Hegel 2018/3 N° 3

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Article de revue

La Médecine Numérique : nouvelle spécialité… nouvelle médecine !

Pages 199 à 206

Notes

Introduction

1On prédit quotidiennement aux médecins l’avènement de technologies capables de les seconder, voire de les remplacer [1]. Il est vrai que le potentiel du « Numérique » appliqué à la santé paraît tellement vertigineux que la réalité du numérique va plus vite que notre imagination, personne n’en cerne réellement l’horizon.

2Le médecin pour sa part, est encore loin d’utiliser le Numérique et probablement d’en mesurer l’intérêt réel ou les… risques. Essentiellement parce que le numérique ne se résume pas à utiliser un Smartphone ou un ordinateur durant une consultation, un soin ou un acte technique !

3Si le médecin maîtrisait pleinement ce potentiel, en disposant d’une Intelligence Artificielle (IA) adossée au Big Data en santé, d’une algorithmie médicale (donc éthique  [2] par nature) qu’il utiliserait en pleine confiance, la médecine ne serait plus discernable de la magie [1], mais d’une « magie » fondée sur les preuves.

4La Médecine doit surtout prendre conscience de sa profonde méconnaissance du Numérique.

La médecine et le Numérique au cœur du Colloque Singulier ?

5La plupart des débats autour du numérique en santé mettent l’accent sur :

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  • ▸ la récupération et la manipulation massives d’informations plutôt que sur la contextualisation ou la conceptualisation de leur signification ;
  • ▸ des machines, voire des intelligences alimentées par des données et dotées d’algorithmes basant leurs décisions sur des statistiques ou de puissantes corrélations plutôt que sur leur capacité de décision « éthique » ou « raisonnée ».

7Le patient armé des résultats de ses recherches sur internet, sollicite le médecin et parfois le challenge sur telles ou telles avancées technologiques, dont il voudrait lui aussi bénéficier.

8Chacun d’eux constate autant la rapidité et l’efficacité toujours croissantes de ces nouveaux outils que leur cruelle « absence » des processus de soins quotidiens.

9Comment expliquer que le rechargement de leurs smartphones soit piloté par une Intelligence Artificielle et qu’un médecin n’utilise en routine qu’un ordinateur connecté à Internet.

10La fulgurance des progrès du numérique questionne la Médecine mais tend à opposer Technologie et Médecin et insidieusement, à éloigner le Patient de son Médecin…

11En effet une forme de dualité compétitive est née entre :

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  • ▸ une médecine, traditionnelle, dont l’essence est issue d’une réflexion médicale, d’une éthique et d’un humanisme enrichis sur 2500 ans d’histoire hippocratique ;
  • ▸ une médecine en construction à partir de données certes volumineuses mais âgées tout au plus de 50 ans, et d’un auto apprentissage automatique et accéléré, mathématique plutôt que conceptuel et, surtout, qui exclue l’Humain.

13Pourtant le Médecin utilise pour orienter une partie de sa prise de décision « quelque chose » qui ne figure pas dans les données, ce qu’une Intelligence Artificielle ne peut faire [2]. « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux » [3]. Jouer 1 million de fois, 10 millions de fois à pile ou face, permettrait peut-être de prédire avec un peu plus de certitude le coup suivant, mais pas d’appréhender le « Hasard ».

14Pour le Médecin, l’enjeu réside dans l’acceptation (ou non) qu’un processus mathématique se substitue au processus de décision médicale au prétexte qu’il mime le médecin par un « calcul » aussi complexe et rapide soit-il !

15Pour le Patient, la digitalisation en santé crée un environnement numérique, global, personnalisé, connecté, au sein duquel chaque patient se trouve et auquel il souhaite participer.

16Ses préoccupations s’articulent autour de la légitime sécurité des données de santé sans réellement percevoir qu’il s’habitue déjà à confier son avenir à une machine qui n’a ni conscience, ni empathie, ni sens commun. Cette « Machine » va pourtant conditionner in fine son avenir médical, personnel et peut- être sociétal. L’unique moyen pour l’individu d’influencer sur cet environnement réside dans la maîtrise/ contrôle qu’il aura de ses données. Il n’y a pas d’IA sans données  [4].

17En alimentant le corpus informationnel de ses données, il enrichit le référentiel de ses informations et plus précisément de son expérience. Il influence de son individualité l’apprentissage du système. Son consentement s’apparenterait à celui d’un « consentement éclairé» qu’il donnerait pour un don [5] (non pas d’organe mais bien d’une partie substantielle de ce qui le constitue). Cette démarche ne se limite donc pas à une simple autorisation pour un droit d’accès.

18La donnée menace de submerger la médecine plutôt que de l’enrichir… La vérité devient relative. C’est pourquoi le colloque singulier doit évoluer. Mais pour ne pas disparaître au profit d’une « interface », le médecin doit rapidement entreprendre un effort de réflexion et peut-être d’appropriation de ces nouveaux enjeux. A défaut, il découvrira qu’il a abandonné sans réagir ses responsabilités au « Numérique ».

19Mais comment doit-il procéder ?

20Les ingénieurs, les mathématiciens au cœur des progrès du numérique et de l’IA n’ont aucune expérience de la médecine. Les médecins tout comme leurs patients n’ont qu’une compréhension limitée des systèmes numériques ou de l’Intelligence Artificielle en tant que technologie.

21La première approche consisterait en une collaboration interdisciplinaire [3]. Cette démarche permettrait de combler la fracture entre les différentes parties prenantes. Mais elle ne règlerait pas la dualité compétitive déjà évoquée.

22A terme doit émerger une « médecine numérique » proprement dite.

Inventer le concept de« Médecine Numérique »

23Le concept de Médecine Numérique n’existe pas en tant que tel dans la littérature, sauf pour évoquer l’utilisation ou l’optimisation de processus de soins traditionnels à l’aide de technologies numériques. Dans ce cas, c’est le terme de « médecine digitale » qui est préféré (parce qu’issu de la traduction de l’anglicisme « digital health ») sans pour autant qu’il soit possible de se référer à une définition unique. Pourtant, de manière très marginale, certains articles [4] évoquent la nécessité d’une approche nouvelle de la médecine utilisant les technologies puissantes, autour de réflexions fondées sur :

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  • ▸ une gestion proactive et coordonnée des problématiques de santé publique (ou médicales) ;
  • ▸ l’utilisation des technologies digitales/numériques et potentiellement des ruptures que leur usage va induire dans les pratiques ;
  • ▸ la confiance, censée en garantir la continuité voire la cohérence.

25Cette approche s’avère convergente avec les intuitions et parfois les attentes, de tous les acteurs concernés (professionnels de santé ou non, patients) dans l’optique d’une médecine moins décalée d’un numérique qui côtoie pourtant leur quotidien.

26De leur côté, les acteurs du numérique [6] appellent de leurs vœux la création d’un écosystème permettant de « délivrer éthiquement et durablement plus de valeurs et de qualité » en santé. A l’occasion des réflexions nationales relatives à l’Open data en Santé, ils suggéraient une « démarche visant à transformer les données de santé en connaissances et de coproduire des protocoles de soins personnalisés en tempsréel pour faire évoluer la médecine curative en une médecine préventive, et créer des services et des solutions pour accompagner cette démarche et les acteurs (dont les professionnels de santé) qui s’y engageront ».

27Les pouvoirs publics, pour leur part, cherchent prudemment à identifier le champ du possible et potentiellement l’acceptable, au travers des initiatives comme les ateliers citoyens [7] sur le Big Data en santé et dernièrement au travers du Rapport Villani sur l’intelligence artificielle (Focus santé du rapport C. Villani [8]).

28Plus récemment encore, s’est ouvert au sein des états généraux de la bioéthique, un débat autour de l’intelligence artificielle et des données de santé [9], débat qui semble toujours (encore ?) opposer « Intérêts médicaux vs. Problématiques éthiques ». La question récurrente se résume ainsi : « Comment autoriser l’utilisation et la valorisation des données de santé à caractère personnel sans mettre à mal le respect de la vie privée » alors que des solutions existent et que certaines ont été décrites depuis longtemps [5].

Les piliers de la « médecine numérique » (les Données, les Traitements et les Usages)

29Le Big Data et maintenant l’IA progressent dans un écosystème numérique en santé émergeant et non encore stabilisé, mais les paramètres sont connus et maîtrisables. Il n’est plus légitime qu’un débat oppose encore les bénéfices individuels aux bénéfices collectifs d’autant que les données et a fortiori les données de santé ne sont finalement ni un prérequis ni un objectif, mais plutôt un « catalyseur » des recherches, des découvertes, des enseignements et des innovations à venir.

30Leur réelle valeur se situe, non dans une simple agrégation aussi exhaustive et fiable que possible, mais dans leur accessibilité et les moyens/compétences permettant leur exploitation contextualisée pour des finalités simultanément générales (santé publique, médico économique) et individuelles (Médecine 4P pour Personnalisée, Préventive, Prédictive et Participative, voire 5P pour une médecine basée sur des Preuves).

31Force est de constater que depuis plusieurs années et malgré l’apparition de réelles solutions (c’est-à-dire associant intérêt médical et numérique), chaque dynamique qui aurait permis l’émergence d’une médecine numérique digne de ce nom, se heurte à une antinomie constituée d’un « décalage » persistant entre la pensée médicale, les usages (au sens « organisationnel » et « pratiques » du terme) et la réalité du « numérique ».

32A titre d’illustration, dans son livre blanc sur la Santé Connectée [10], le Conseil National de l’Ordre des Médecins engage « à accompagner le déploiement du « monde numérique » appliqué à la santé et à en adopter eux-mêmes les aspects utiles et bénéfiques dans leurs pratiques médicales ». Il complète sa réflexion dans son livre blanc intitulé « Médecins et patients dans le monde des data, des algorithmes et de l’intelligence artificielle » [11], d’une « médecine du futur » ou d’une « médecine à l’ère du numérique » permettant avec des outils à venir, une « augmentation » du médecin. Ces ouvertures sont loin d’être erronées, mais ne permettent cependant pas d’envisager une nouvelle « dimension » de la médecine.

33Ainsi, la conception dominante du numérique appliquée à la médecine incite à s’interroger exclusivement sur la manière de s’« approprier » le numérique, tout au moins d’en accompagner la diffusion. Il existe une forme de « cécité cognitive [12] numérique » qui conduit à ne pas percevoir l’intrication possible (voire souhaitable) entre le numérique et la médecine.

34L’approche véritablement innovante ne consiste pas simplement à « plaquer le numérique sur le vivant » mais plutôt à hybrider les compétences de la « médecine » avec celles du « numérique » afin de faire émerger à terme une nouvelle discipline.

35Au même titre que la « Neurologie », la « Santé Publique » ou à la manière des départements d’« Information Médicale », la « Médecine Numérique » devrait s’appréhender comme une spécialité médicale. Mais est-il possible d’unifier les réflexions de la médecine et les approches du numérique ?

La Spécialisation Médicale

36Selon Galien, la spécialisation était courante chez les médecins romains. Le système de spécialités médicales a progressivement évolué au cours du XIXe siècle. La « spécialisation médicale » telle que nous la connaissons serait apparue dans la première moitié du XIXe siècle consécutivement aux progrès rapides de la science.

37Ce processus a aussi et surtout, procédé d’un changement fondamental de perspective intellectuelle qui a considéré comme une nécessité incontournable pour la médecine moderne de se structurer, puis de se spécialiser. Il a été rendu possible par l’association de 3 préalables [13] qui se sont concrétisés pour la spécialisation médicale moderne, de la manière suivante :

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  • ▸ Un Rapprochement : en l’espèce ce fut le rapprochement de la médecine et de la chirurgie au sein de la formation et de la recherche médicales ;
  • ▸ Une Extension : force a été de constater une volonté partagée d’étendre le champ de la science médicale (pour ensuite la spécialiser) ;
  • ▸ De Nouvelles Conceptions : cela s’est concrétisé de la part des pouvoirs publics par une médecine plus « organisée » voire plus « administrative ».

39Il semble que les 3 préalables soient déjà réunis pour permettre à la « Médecine Numérique » de s’officialiser. Les indices de leur présence sont nombreux !

40Nous les retrouvons notamment mentionnés dans le rapport sur l’Intelligence Artificielle [14] du député Cédric Villani (LREM, Essonne). Le mathématicien propose de « transformer les voies d’accès aux études de médecine » en intégrant « davantage d’étudiants spécialisés dans le domaine de l’informatique et de l’IA » (Extension) mais aussi de former les professionnels aux usages de l’IA, des objets connectés et du big data en santé (Rapprochement). Ces préconisations visant à faire de la médecine française, un fer de lance culturel, intellectuel et économique au niveau international (Nouvelles Conceptions).

41Le Dr Guy Vallencien les a également identifiés dans son ouvrage « La médecine sans médecin [15] ». Il y décrit une « média médecine » c’est-à-dire d’une « médecine médiatisée par le recours aux capacités de l’ordinateur, que l’on retrouve de la génétique à la robotique chirurgicale, en passant par la télémédecine et les communautés de malades » (Rapprochement). Il pressent que l’évolution accélérée des technologies bouleversera la médecine et le système sanitaire (Nouvelles Conceptions) avec des impacts qui ne s’arrêteront pas à la seule pratique médicale (Extensions).

Un concept d’abord « médical » avant d’être « technologique »

42Désormais, le principal enjeu de la médecine numérique n’est pas tant technique que médical. Il s’agit de dépasser les débats autour des conséquences d’une utilisation des données de santé, de la substitution du médecin par des « technologies pensantes », ou de limiter l’apport du numérique à une simple « augmentation de la médecine » [16] induite par la simple amélioration des performances de la technologie.

43Il faut admettre que la transformation pourtant continue et adaptative des pratiques médicales apparaît de plus en plus inadaptée aux ruptures et transformations technologiques amenées par le numérique [17].

44Et accepter que la promesse du numérique, si effrayante soit-elle au premier abord, sera un bénéfice pour l’humanité si elle est destinée à un usage qui lui permet de progresser.

45C’est pourquoi l’adoption de la médecine numérique par les professionnels de santé, les patients et plus largement par la société civile, imposera à cette nouvelle discipline le respect au minimum de quatre principes : la confiance et l’éthique intrinsèque, le service « médical » rendu, une légitimité opposable (Preuves) et la pertinence économique.

46L’éthique et la confiance [18] ne seront possibles que si les médecins sont associés activement dès la conception et qu’ils sont les garants (jusqu’à la mise en œuvre) des processus ou des services proposés : c’est le « Medical by design ». Dans cette dynamique, la confiance est implicite. Elle diffusera de proche en proche à partir d’un évènement fondateur qui révélera la valeur ajoutée du numérique et l’évidence de son caractère incontournable.

47Le service médical rendu de la médecine numérique incitera naturellement à son appropriation. Il s’adossera sur une légitimité issue de Big Data, de corrélations le cas échéant identifiées à l’aide d’IA faible mais légitimée « scientifiquement » au travers des mécanismes traditionnels (études cliniques, mesures scientifiques, statistiques)… au moins dans un premier temps.

48Enfin, la pertinence économique sera intégrée dans les processus non pas dans une finalité « mercantile » mais dans celle de l’« Intérêt Public » [19].

Sans maîtrise médicale la puissance du numérique ne mènera à « rien »

49Le médecin ne peut ni ne doit devenir ingénieur, mathématicien, économiste, juriste ou directeur de projet. Il s’agit également de poser comme prérequis la formation des différents acteurs à ces enjeux et plus particulièrement les médecins. Sans être experts de tous les sujets, les médecins se devront d’en appréhender les principes fondamentaux dans les différentes dimensions [20]. Mais c’est à eux qu’appartiendra la responsabilité d’évaluer le rapport bénéfices/risques, dans toutes ces dimensions et d’en prescrire l’utilisation à des fins thérapeutiques ou préventives.

50L’enjeu réside dans la maîtrise du potentiel d’une médecine numérique afin qu’elle soit bien utilisée et qu’un éventuel principe de précaution ne nous conduise à un immobilisme et ne nous prive de tout progrès.

51Pour y parvenir, il faut s’attacher à « hybrider » les compétences de la médecine avec celles du « numérique » (au sens large [21]) afin de coconstruire une nouvelle conception de la pratique médicale, des compétences du médecin, de la médecine et de son organisation et très probablement du système de santé.

52C’est ce corpus de connaissances que nous nommerons « Médecine Numérique » et le médecin qui le maîtrise sera spécialiste de la « Médecine Numérique ».

53Cette démarche s’inscrit dans une perspective de renforcement réciproque entre la médecine et le numérique qui harmonisera à terme les « usages » avec les principes, les besoins, les attentes et les préoccupations des différentes parties prenantes.

54Il est tentant d’illustrer le défi à relever par la médecine numérique au travers de deux outils incontournables en médecine :

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  • ▸ le stéthoscope ;
  • ▸ le PACS (Picture Archiving and Communication System) [22].

56Le stéthoscope a été « inventé » par un médecin qui a su saisir le potentiel, non pas parce qu’il était médecin mais plutôt parce qu’il était musicien. Cette double compétence lui a permis de concevoir une innovation technologique et médicale avec le regard du médecin et l’expertise du musicien, pour des médecins.

57Le PACS dépasse la compréhension « technique » du médecin. Il sait en domestiquer les fondamentaux pour l’utiliser dans sa pratique sans avoir besoin de savoir le fabriquer ou le réparer.

58Une médecine numérique devra notamment associer les deux approches à savoir :

59

  • comprendre une technologie et en concevoir les fondamentaux pour ensuite ;
  • l’utiliser ou la rendre utilisable par des médecins (professionnels de santé).

60La Société Française de Radiologie résumait ainsi l’enjeu pour sa spécialité : « Les enjeux sont multiples, le défi est unique : faire définitivement basculer la discipline du monde médico-technique à celui du médical » [23].

61L’enjeu d’une médecine numérique est le même, non pas à l’échelle d’une spécialité, mais de toute la médecine.

Ab origine fidelis

62Jusqu’à aujourd’hui, il a suffi à la médecine d’accroître sa technicité pour s’approprier les nouveautés scientifiques. A l’ère du numérique, face à la complexité croissante des technologies inaccessibles à nos capacités de compréhension humaine, c’est bien l’« humanité» de la médecine qu’il faut s’attacher à accroître.

63Les innovations ne se diffuseront pas dans le monde médical sur la base de leur nouveauté ou de l’évolution incrémentale de leur technicité, mais sur leur « bénéfice » médical pour les individus et de leur bienveillance/sagesse héritée de leurs concepteurs.

64Grâce au « numérique », une « évolution » de la médecine est en cours. Les médecins doivent prendre conscience que le numérique n’est pas qu’un simple outil qui va « révolutionner » la pratique mais bien une « évolution » au sens darwinien du terme. Elle est inéluctable. C’est pourquoi l’implication des médecins est impérative pour en contrôler l’émergence et s’en emparer afin de s’assurer que son extraordinaire potentiel soit exploité et bien exploité. Il apparaît indispensable que les médecins anticipent l’apprentissage des technologies pensantes dans l’optique de les instruire d’une éthique médicale humaine et non mathématique.

65Il est probable que ces enjeux et leurs potentiels ne soient réellement maîtrisés que par les générations de médecins (et de patients) qui auront nativement connu le « numérique ».

66Une génération de praticiens qui utilisera intuitivement le numérique et qui n’aura pas à apprendre à l’utiliser. Une génération qui la considérera comme un moyen et non une menace, sans aucune crainte d’être remplacée par elle.

Concevoir la « Médecine Numérique »

67La « Médecine Numérique » permettra une démarche collégiale et transdisciplinaire dans laquelle le médecin sera autant un chef d’orchestre qu’un référent. Elle offrira alors des solutions innovantes sécurisées, transparentes, viables, conformes aux impératifs de vie privée et d’éthique. Ces innovations s’insèreront de façon intuitive et naturelle dans le parcours de soins et les usages des professionnels de santé, au plus grand bénéfice des patients.

68Le numérique en santé porte ainsi de véritables « enjeux » dont les impacts constitueront un bouleversement équivalent à l’utilisation du microscope par Antoni van Leeuwenhoek [24] le plaçant comme l’un des précurseurs de la biologie cellulaire et de la microbiologie, ou de l’utilisation des Antibiotiques [25] qui deviendront aussi familiers dans la pratique du médecin que son stéthoscope.

« Le suprême degré de la sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue pendant qu’on les poursuit » William Faulkner

69Aujourd’hui, les intelligences artificielles sont capables de diagnostics tout au moins de stratégies thérapeutiques par « accélération » du traitement des connaissances existantes. Mais lorsque ces mêmes intelligences artificielles proposeront des options thérapeutiques innovantes non conçues par des humains, peut-être hors de leur compréhension. Qui sera alors au contrôle ?

70L’avenir de la médecine dépend-elle du numérique ? Même le Comité Consultatif National d’Ethique le reconnait dans sa contribution à la révision de la loi de bioéthique 2018-2019 [26].

71Il recommande la création d’un comité d’éthique spécialisé dans les enjeux du numérique. Mais également veiller à ce que la composante « humaine » ne soit pas écartée dans une décision qui serait alors exclusivement fondée sur des données. Alors où commencer ?

72En effet, dans la perspective d’un virage numérique médical et de son accélération annoncée, la stratégie de transformation de la Médecine doit donc répondre à plusieurs prérequis :

73

  • ▸ Identifier les compétences utiles ou nécessaires à la médecine numérique.
  • ▸ Acculturer les médecins au numérique dès le début de leur formation… !
  • ▸ Constituer une société savante dans l’optique de faire valoriser les savoirs et savoir-faire des experts dans les différents domaines d’activité concernés. Le cas échéant d’accompagner la convergence de ces expertises autour de la Médecine et leur diffusion auprès des jeunes médecins ;
  • ▸ Valider le principe de Médecine Numérique en tant que spécialité médicale;
  • ▸ Positionner la Médecine Numérique comme une des compétences dévolues à l’ordre des médecins voire, comme une de ses missions ;
  • ▸ La mise en place d’un référentiel et peut-être d’un socle technologique à même d’assurer la diffusion des solutions innovantes conformes aux prérequis de la Médecine.

74Le Médecin ne doit pas subir l’Avenir. Il doit le prendre en main !

Lien d’intérêt :

75

  • ▸ Directeur Médical – Médecin de l’hébergeur Atos/Santeos ;
  • ▸ Syntec Numérique - Membre du comité Santé – Référent du groupe de travail Données en santé et Intelligence artificielle ;
  • ▸ Secrétaire Général du Collège National des Médecins des Hébergeurs (CNMH) ;
  • ▸ Directeur pédagogique eSanté/télémédecine à CentraleSupelec Paris ;
  • ▸ Membre fondateur du Think Tank « Le Cercle de la Donnée ».

Bibliographie

  • Références

    • 1. Clarke AC. Toute science suffisamment avancée est indiscernable de la magie. Profiles of the Future (édition révisée, 1973).
    • 2. Ghassemi MM, Alhanai T, Jesse D. Raffa JD, Mark RG, Nemati S, Chokshi FH. How is the Doctor Feeling? ICU Provider Sentiment is Associated with Diagnostic Imaging Utilization disponible en ligne http://ghassemi.xyz/static/documents/Ghassemi_EMBC_2018.pdf
    • 3. Vibert E, Duvaut P. Roux C. IA en santé au service de la personne et de la société ? TELECOM 2018;189. Accessible en ligne https://buff.ly/2NkpqJe
    • 4. Keen J. Digital health care: Cementing centralisation? Health Informatics Journal 2014;20(3):168-75. DOI: 10.1177/1460458213494033
    • 5. Richard C. Les big data en Santé : bénéfices ou risques ? Ou comment hybrider « Big Data » et « Santé » Health &Tech - Tribune 2016;1920

Notes

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