Hegel 2018/1 N° 1

Couverture de HEG_081

Article de revue

La réglementation dédiée à l’évaluation des interventions non médicamenteuses (INM)

Pages 28 à 34

Introduction

1Penser la Santé comme une philosophie, ou édicter une philosophie de la santé, c’est replacer l’homme dans son environnement, son biotope, en s’interrogeant sur les interactions et les interdépendances qu’il entretient avec lui ainsi qu’avec les autres individus de son espèce : homo sapiens sapiens mais aussi les autres animaux non humains. Comment ces interactions induisent des maladies ou au contraire des bienfaits. Remettons-nous en mémoire la définition de la santé selon l’OMS : « la santé est un état de complet de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité » [1]. Cette définition est restée inchangée depuis 1946. Cette définition OMS de la Santé signifie fondamentalement : « absence de troubles », troubles qui pourraient être de nature physiques, psychiques et/ou sociaux. En termes philosophiques, cette notion « d’absence de troubles » s’apparente à celle d’ataraxie [Epicure]. L’ataraxie, selon Epicure, serait l’état d’un individu qui satisfait ses besoins naturels et nécessaires (boire, manger, dormir). Ces besoins naturels s’opposent, selon Epicure, aux besoins non naturels et non nécessaires (drogues, consommation excessive). Les besoins naturels et nécessaires diffèrent donc des besoins naturels et non nécessaires.

2Repenser la santé, sa recherche et ses progrès, au XXIe siècle, siècle de la mondialisation, c’est nous approprier ou nous réapproprier l’ensemble des thérapeutiques et des prophylaxies en les rendant accessibles au plus grand nombre, au profit du plus grand nombre. Car la santé et les produits de santé, dans le siècle qui s’ouvre seront à considérer comme des biens non compétitifs. La santé comme un bien commun est à penser dans un nouveau communalisme des savoirs et enseignements sur le sujet. Selon Gadamer [2], la santé est une expérience d’équilibre. À partir de cette expérience (la maladie est aussi une expérience), l’auteur conçoit la maladie comme une expérience de manque d’équilibre, que ce soit à l’intérieur de notre organisme ou entre nous et notre environnement. Ainsi, la santé devient une expérience d’intégration à une totalité fragile toujours soumise au risque du déséquilibre et de la désintégration, car cette totalité est toujours en mouvement. L’expérience de l’équilibre ou de la totalité en mouvement est un processus continu et dynamique. La santé n’a rien d’un état stable ; par conséquent, elle ne peut pas être produite par une volonté ou être un produit de consommation.

3De façon antithétique, Illich prône le renoncement à la santé, ou le droit à ne pas se soigner dans une société hygiéniste, dans laquelle, selon lui, la mise en tutelle du citoyen s’impose [3]. C’est qu’il pense que « l’entreprise médicale est devenue un danger majeur pour la santé » [4].

4L’évaluation clinique des Interventions Médicamenteuses (INM) se situe donc dans un paradigme nouveau, dans lequel l’activité de maintien voire l’augmentation de l’état de santé se voit dotée de méthodes, pratiques individuelles et collectives avant que la prestation de soins n’entre en jeu mais aussi pendant, avec ce que l’on nomme les thérapies complémentaires.

5L’enjeu, d’une institutionnalisation des INM, passe donc par l’évaluation clinique d’impact sur l’état de santé et sur la sécurité des clients ou axients (terme qui mêle acteur et patient, un acteur de sa santé) qui les utilisent. Ces évaluations, se devront d’être reconnues par les autorités de santé afin de prévenir tout risque de dérives sectaires ou de charlatanisme. Toutefois, il est probable que leurs natures et leurs effets attendus parfois à moyen ou long termes, rendront difficile l’application de modèles de développement clinique traditionnels propres aux médicaments et dispositifs médicaux. Même si, nous le verrons, certaines applications logicielles peuvent être assimilées légalement à des dispositifs médicaux (et donc soumis à un marquage CE) et que certaines allégations santé de produits alimentaires peuvent se rapprocher de la définition du médicament comme produit « présenté comme ayant des vertus thérapeutiques ».

6Les INM telles qu’elles sont listées dans le référentiel de la Plateforme CEPS font émerger différentes possibilités de méthodologie de développement clinique spécifique pour chacune d’entre elles (Interventions psychologiques santé, Interventions physiques santé, Interventions nutritionnelles santé, Interventions numériques santé, Autres interventions NM santé).

7Sur le plan réglementaire, nous trouvons des analogies pour certaines avec l’évaluation des médicaments, pour d’autres, une analogie avec l’évaluation des dispositifs médicaux. Nous allons donc nous attarder particulièrement sur les interventions nutritionnelles santé et les interventions numériques santé afin de dégager des similitudes réglementaires quant à leurs évaluations cliniques.

Les interventions nutritionnelles santé

Règlementations

8Règlement (CE) n° 353/2008 de la Commission du 18 avril 2008 fixant les dispositions d’exécution relatives aux demandes d’autorisation d’allégations de santé.

9Règlement 1169/2009 de la Commission rectifiant le règlement (CE) 353/2008 fixant les dispositions d’exécution relatives aux demandes d’autorisation d’allégations de santé.

Profils Nutritionnels

10Les profils nutritionnels définissent les exigences nutritionnelles globales auxquelles doivent satisfaire les aliments afin de pouvoir faire l’objet d’allégations nutritionnelles et de santé spécifiques.

Allégations santé

11La définition de ce terme nous est donnée par le Règlement 1924/2006 : « Tout message ou toute représentation, non obligatoire en vertu de la législation communautaire ou nationale, y compris une représentation sous la forme d’images, d’éléments graphiques ou de symboles, quelle qu’en soit la forme, qui affirme, suggère ou implique qu’une denrée alimentaire possède des caractéristiques particulières » (règlement CE no 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires, art. 2). Il existe une liste d’allégations autorisées établie par l’EFSA. Toute allégation portée sur un étiquetage doit figurer sur cette liste et donc, avoir fait l’objet d’une autorisation préalable.

Justification scientifique des allégations (article 6 du règlement CE n°1924/2006)

12Les allégations nutritionnelles et de santé reposent sur des données scientifiques généralement admises et sont justifiées par de telles données. L’exploitant du secteur alimentaire qui fait une allégation nutritionnelle ou de santé justifie l’emploi de cette allégation. Les autorités compétentes des États membres peuvent demander à l’exploitant du secteur alimentaire ou au responsable de la mise sur le marché de produire tous les éléments et données pertinents attestant le respect des prescriptions du présent règlement.

Nutrivigilance

13Ce système de veille sanitaire recueille les effets indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires, d’aliments ou de boissons enrichis, de nouveaux aliments ou « novel foods ». Les signalements sont faits par les professionnels de santé (médecins, pharmaciens, diététiciens, etc.). Pour chaque effet signalé, l’ANSES évalue la probabilité qu’il soit lié à la consommation du produit. Depuis sa mise en place, parmi les 282 effets indésirables dits recevables pour les compléments alimentaires, 19,9 % concernent des troubles hépatiques, 18,4 % des troubles gastro-entérologiques, 16 % des allergies et 12 % des affections neurologiques et psychiatriques.

Les interventions numériques santé

14L’idée est de cartographier toutes ces activités, avec les hypothèses suivantes : la msanté est incluse dans la esanté car elle concerne la santé de manière globale, avec un recours aux TIC en situation de mobilité. La télésanté est incluse dans la esanté, ceci est vrai si l’on considère uniquement les moyens de communication électroniques. La tendance de la télésanté est à la msanté car elle exploite tout le potentiel des communications mobiles. Esanté et msanté ne sont pas forcément des activités de télémédecine qui nécessitent un professionnel de santé au bout de la connexion. Le quantified self peut intervenir dans la télé/e/msanté, mais il sort également largement de ce cadre avec une finalité très souvent ludique et/ou sportive. Le décret du 19 octobre 2010 développe les composantes de la télémédecine (esanté, msanté, téléconsultation, téléexpertise, télésurveillance médicale, téléassistance médicale, réponse médicale apportée dans le cadre de la régulation médicale) [6]. On retiendra les trois points forts caractérisant la télémédecine, sa pratique à distance, son recours aux TIC et la participation d’un professionnel médical (médecin, aide-soignant, infirmier…).

Exemples de pratique entrant dans le champ de la esanté

15Le rapport de l’Union Internationale des Télécoms (ITU) sur l’implémentation de la esanté dans les pays en développement fournit de bons exemples, la télémédecine, la surveillance électronique des patients, le dossier médical électronique (notamment le DMP Dossier Médical Personnel qui commence à percer en France), les systèmes informatiques hospitaliers, le remboursement électronique des soins, et le elearning (éducation à la santé). Le champ est très vaste, il inclut la télémédecine, passe par les infrastructures et va jusqu’à l’apprentissage.

Dispositifs Médicaux

16Le dispositif médical (DM) ou « Medical Device » est défini par l’article L. 665-3 code de la Santé Publique : « C’est un produit d’origine ni humaine ni animale et qui se définit comme tout instrument, appareil, équipement, matière ou autre article, utilisé seul ou en association, y compris le logiciel nécessaire pour le bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l’homme à des fins de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d’atténuation d’une maladie, d’atténuation ou de compensation d’une blessure ou d’un handicap, d’étude ou de remplacement ou modification de l’anatomie ou d’un processus physiologique, de maîtrise de la conception et dont l’action principale voulue dans ou sur le corps humain n’est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens ». Des exemples de dispositifs médicaux peuvent être un gant médical, un champ opératoire, une seringue, un thermomètre, un implant, une prothèse, un équipement de radiologie, un appareil dentaire, des lunettes correctrices, un préservatif, un logiciel d’aide au diagnostic, une ceinture lombaire. Les Classes de DM sont définies selon deux critères principaux, la durée de contact avec le corps et le degré d’invasivité. Ainsi, les dispositifs de classe 3 sont généralement en contact avec les vaisseaux sanguins et le système nerveux central et pour une durée indéterminée :

17

  • ▸ classe de risque I faible degré de risque ;
  • ▸ classe de risque II a degré moyen de risque ;
  • ▸ classe de risque II b potentiel élevé de risque ;
  • ▸ classe de risque III potentiel très sérieux de risque ;
  • ▸ DMIA - implantés en totalité ou en partie dans le corps humain - dépendent d’une source d’énergie autre que celle générée par le corps ou la pesanteur.

18Les essais de dispositifs médicaux permettent au fabricant d’obtenir le Marquage CE qui est l’équivalent de l’Autorisation de Mise sur le Marché dans le médicament. La réglementation applicable aux dispositifs : 90/385/CE ; 93/42/CE ; Norme ISO 14155-2011. L’équivalent des GCP-ICH (Bonnes Pratiques Cliniques selon le consensus ICH : International Conference in Harmonization) pour les DM (Dispositifs Médicaux) est une norme internationale ISO #14155 dans sa Seconde édition du 1er février 2011 : Investigation clinique des dispositifs médicaux pour sujets humains - Bonnes pratiques cliniques.

Réglementation des dispositifs médicaux et définition du marquage CE

19Le marquage CE est un symbole apposé sur un produit garantissant que celui-ci satisfait aux exigences essentielles des directives européennes dont il relève. Ce symbole, signifiant « Communauté Européenne » autorise la libre circulation du produit dans les états membres de l’Union Européenne. Le marquage CE désigne également la procédure suivie par un fabricant pour obtenir le droit d’apposer le symbole CE sur son produit. Le marquage CE est obligatoire pour tous les dispositifs médicaux mis sur le marché, excepté les dispositifs sur-mesure et ceux destinés aux investigations cliniques qui font l’objet d’une procédure spécifique.

20En Europe, ce marquage qui vaut pour Autorisation de Mise sur le Marché d’un DM est délivré par les Organismes notifiés. Un organisme notifié (ou ON) est un organisme qui est habilité par l’autorité compétente pour évaluer la conformité d’un dispositif médical à la directive 93/42/CEE afin d’autoriser le fabricant à y apposer le marquage CE lorsque cette autorisation est nécessaire.

21L’autorité compétente doit vérifier que l’organisme répond aux exigences de compétences demandées par la directive 93/42/CEE pour le notifier. Celle-ci le contrôle ensuite régulièrement et peut lui retirer sa notification si les exigences de compétences ne sont plus respectées. En particulier, l’organisme notifié doit évaluer la conformité d’un produit de manière compétente, transparente, neutre, indépendante, non discriminatoire.

Logiciel

22Les logiciels et les applications mobiles dans le domaine de la santé connaissent actuellement un essor important. Leurs utilisations se multiplient et ces produits peuvent être très variés. Seuls certains de ces logiciels sont des dispositifs médicaux (DM) ou des dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DM DIV) car ils ont une finalité médicale. Ils doivent, de ce fait, être marqués CE comme tous les DM et DMDIV. Le marquage CE atteste de leur conformité à la réglementation. Ils entrent alors dans le champ de surveillance de l’ANSM. Des repères réglementaires encadrant la mise sur le marché de ces produits en France sont donnés ici aux éditeurs (fabricants) de logiciels et applications en santé. Les logiciels et applications utilisés dans le champ de la santé ne relèvent pas tous du statut de DM ou de DM DIV. La destination est fixée par le fabricant (l’éditeur) de l’application. Elle est décrite dans la notice, l’étiquetage mais également dans le matériel promotionnel. Pour être qualifié de DM ou DM DIV, un logiciel doit être destiné à une utilisation à des fins médicales au sens de la définition du DM ou du DM DIV. Il doit permettre, par exemple, un diagnostic, une aide au diagnostic, un traitement ou une aide au traitement. Il doit également répondre à quelques critères de qualification tels que : le logiciel doit fournir une information médicale nouvelle contribuant par exemple au diagnostic ou au traitement du patient, le logiciel doit donner un résultat propre à un patient sur la base de données individuelles. Un résultat générique pour un groupe de patients ou un résultat obtenu par une recherche simple dans une base de données, ou un abaque ne justifie pas le statut de DM ou DM DIV. En revanche, une application d’analyses de données de signaux physiologiques propres à un patient et dotée de fonctions d’alertes à finalité médicale sera qualifiée de DM. Un logiciel qui pilote ou influence un DM ou un DM DIV pourra être qualifié d’accessoire et sera soumis aux mêmes conditions de mise sur le marché.

Accessoire

23L’accessoire est tout article qui, bien que n’étant pas un dispositif, est destiné spécifiquement par son fabricant à être utilisé avec un dispositif pour permettre l’utilisation dudit dispositif conformément aux intentions du fabricant de ce dispositif.

24Accessoire - Définition de la directive 93/42/CEE : « Tout article qui, bien que n’étant pas un dispositif, est destiné spécifiquement par son fabricant à être utilisé avec un dispositif pour permettre l’utilisation dudit dispositif conformément aux intentions du fabricant de ce dispositif ».

25Les accessoires sont marqués CE séparément du dispositif médical avec lesquels ils doivent être utilisés. Ils ne relèvent pas obligatoirement de la même classe, excepté pour les logiciels intervenant sur le fonctionnement ou les performances d’un dispositif médical.

26Des exemples d’accessoires peuvent être un produit de nettoyage et désinfection pour lentilles de contact souples, un produit lubrifiant et désinfectant pour endoscope, un logiciel de commande d’un équipement IRM.

Dispositif Médical Actif (DMA) - Définition de la directive 93/42/CEE

27« Tout dispositif médical dépendant pour son fonctionnement d’une source d’énergie électrique ou de toute autre source d’énergie que celle générée directement par le corps humain ou la pesanteur ». Des exemples de dispositifs médicaux actifs peuvent être un logiciel médical, un équipement d’imagerie médical (scanner, IRM…), un bistouri électrique, un endoscope, un équipement de circulation extracorporelle.

Dispositif Médical Implantable Actif (DMIA) - Définition de la directive 90/385/CEE

28« Tout dispositif médical actif qui est conçu pour être implanté en totalité ou en partie, par une intervention chirurgicale ou médicale, dans le corps humain ou, par une intervention médicale, dans un orifice naturel et qui est destiné à rester après l’intervention ». Des exemples de dispositifs médicaux implantables actifs peuvent être un stimulateur cardiaque (pacemaker), un neuro-stimulateur, une pompe à insuline implantable, un implant cochléaire.

Dispositif Médical Implantable Actif (DMIA) - Définition de la directive 90/385/CEE

29« Tout dispositif médical actif qui est conçu pour être implanté en totalité ou en partie, par une intervention chirurgicale ou médicale, dans le corps humain ou, par une intervention médicale, dans un orifice naturel et qui est destiné à rester après l’intervention ». Des exemples de dispositifs médicaux implantables actifs peuvent être un stimulateur cardiaque (pacemaker), un neuro-stimulateur, une pompe à insuline implantable, un implant cochléaire.

Les évaluations

Considérations méthodologiques

30Une étude n’est légitime que si un doute réel existe avant sont démarrage. Ce doute peut concerner la bonne tolérance d’un produit, son efficacité, son acceptabilité par le patient. Un essai thérapeutique ne doit donc pas débuter s’il n’existe avant sa mise en œuvre un dilemme, une interrogation, une incertitude. En logique, un dilemme (du grec dilemma « double proposition ») est un raisonnement comprenant deux prémisses contradictoires, mais menant à une même conclusion, laquelle par conséquent s’impose in fine.

31D’aucun parle à ce point d’un « devoir d’essai ». Pourrions-nous penser alors, que le devoir d’essai se justifie par l’ignorance ? Ou bien par l’inexistence de techniques alternatives d’acquisition du savoir médical ? Mais pour le dire de façon fondamentalement applicable à l’essai thérapeutique, il est un principe d’incertitude qui fonde le métier de la recherche clinique, c’est l’« équipoïse clinique ». Passons donc du principe d’incertitude à l’équipoïse clinique. Le principe d’incertitude, dit équipoïse (anglicisme signifiant « balancés équitablement »), est issu de l’éthique médicale. On postule que le clinicien doit proposer, en toutes circonstances, le meilleur traitement possible. Si un clinicien est persuadé de la supériorité d’un traitement par rapport à un autre, il n’a aucune raison de proposer au patient un tirage au sort entre ces deux traitements. Mais si les deux traitements lui apparaissent, à titre individuel, a priori équivalents, le tirage au sort est une option acceptable vis-à-vis de ce patient et souhaitable pour l’ensemble des patients [5]. L’« équipoise clinique » dérive du principe précédent. Mais, ici, l’incertitude n’est pas définie à l’échelon individuel (le médecin) mais à l’échelon de la communauté médicale.

32Posons tout d’abord la différence intrinsèque qui existe entre l’étude clinique et l’essai clinique [6]. L’étude clinique est une approche scientifique visant à évaluer une technique ayant pour but la prévention, le diagnostic ou le traitement d’une pathologie (évaluation pouvant se faire en utilisant des données existantes, sans exposer des sujets). L’essai clinique quant à lui, étudie les thérapeutiques nouvelles et expérimentales, suivant le stade de développement du produit de santé l’étude se situe dans une phase de I à IV. L’essai clinique a pour objectif premier de confirmer l’innocuité de la molécule, de mesurer son efficacité et d’évaluer sa tolérance.

Approche bayésienne des essais cliniques

33L’approche bayésienne en recherche clinique se distingue de l’approche fréquentiste [7]. Celle-ci, basée sur le hasard (qui imprègne largement les essais contrôlés actuels), donne plus d’influence aux essais quantitatifs. En effet, dans l’approche fréquentiste, la probabilité des résultats observés peut être due au seul hasard. Dans l’approche bayésienne, la valeur prédictive positive mesure la probabilité que l’effet du traitement soit réel. D’une façon générale, si la probabilité est faible, la quantité d’information à recueillir est importante (la quantité d’information pour approcher la certitude augmente de manière exponentielle, le nombre de patients recrutés avec elle) afin que la probabilité a posteriori (valeur prédictive positive) soit proche de 1 (qui est la probabilité certaine que le traitement est efficace). Le poids de l’évidence de l’essai se mesure en déciBans (dB) : la relation entre le poids de l’évidence et la probabilité n’est pas linéaire, mais exponentielle.

34L’approche bayésienne intègre une once de subjectivité (définition de la probabilité a priori, c’est-à-dire avant même le démarrage de l’essai) qui s’appuie sur les résultats des études pré-cliniques ainsi que de la croyance (Paradigme du Traitement Dogmatique de l’Information) de l’investigateur dans les mécanismes d’action, croyance sous-tendue par son expérience personnelle (evidence based medicine). Notons ici la différence entre l’équipoïse clinique collective (consensus d’experts) et personnelle (croyance de l’investigateur, basée sur le principe d’incertitude) [8]. Dans le futur, la méthode bayésienne couplée avec des systèmes d’informations puissants, eux-mêmes adossés à des bases de connaissances médicales étendues, permettra une approche plus qualitative et informative des essais et études cliniques. Osons penser, que ces méthodes, et l’algorithme de Bayes, permettent de « rationnaliser » et « scientiser » l’intuition du chercheur (mesure de fiabilité d’un raisonnement de type abductif). L’école bayésienne utilise les probabilités comme moyen de traduire numériquement un degré de connaissance. Dans cette optique, le théorème de Bayes peut s’appliquer à toute proposition, quelle que soit la nature des variables et indépendamment de toute considération ontologique.

Une plateforme fondée sur l’Evidence Based, la Plateforme CEPS

35La Plateforme universitaire CEPS se base précisément sur un raisonnement qui fonde toute pratique clinique et de prévention sur des preuves scientifiques. Ce courant de pensée issu du Canada est décliné aujourd’hui à la médecine (Evidence Based Medicine), à la psychologie (Evidence Based Psychology), aux sciences du sport (Evidence Based Kinesiology), à la prévention (Evidence Based Prevention) et à la nutrition (Evidence Based Nutrition). L’approche bayésienne en recherche clinique se distingue de l’approche fréquentiste. Celle-ci, basée sur le hasard (qui imprègne largement les essais contrôlés actuels), donne plus d’influence aux essais quantitatifs. En effet, dans l’approche fréquentiste, la probabilité des résultats observés peut être due au seul hasard.

Conclusion

36Au total, nous voyons qu’il n’existe pas à ce jour de réponse absolue et univoque à la question de savoir s’il existerait un canon du développement clinique des INM. Chacune se situe dans un champ d’intervention invasif ou pas, et dans un champ temporel différent quant à l’efficacité ou à la performance attendue sur l’état de santé d’un sujet et non plus d’un patient, car ces méthodes prophylactiques s’adressent à des personnes saines (mais pas exclusivement) et qui aspirent, par ces pratiques, à le rester le plus longtemps possible, afin de « donner de la vie aux années et non des années à la vie » et ainsi, par ricochet, satisfaire à l’aspiration sanitaire et démographique d’une population qui vieillirait en bonne santé dans une espérance de vie en bonne santé. La santé n’est pas un objet produit, mais un événement. Et dès lors que cet événement ne peut que difficilement être appréhendé (sinon que par son absence, qui est la maladie) nous pourrions parler pour la santé d’un phénomène émergent. La question de la preuve d’efficacité est devenue centrale dans la définition des traitements « qui marchent », utilisés et remboursés dans un contexte général de maîtrise des coûts. Le « golden standard » dans l’efficacité est et reste le sacro-saint essai randomisé contrôlé, bien que nous sachions aujourd’hui que des méta-analyses d’essais randomisés contrôlés (de haute qualité) ont une puissance statistique supérieure, ces méta-analyses sont d’ailleurs recommandées par l’HAS pour l’évaluation des INM. L’efficacité ainsi démontrée, s’applique à un échantillon de population, par l’étude d’une médiane ou d’une moyenne, cela ne dit pas de l’effet réel prédictible sur un patient (qui plus est non sélectionné). D’autre part, démontrer l’efficacité d’une thérapeutique, ne signifie pas que celle-ci soit « utile » en termes de santé publique. La question actuelle n’est donc pas de critiquer l’évaluation actuelle des produits de santé, mais plutôt de trouver des moyens de la réaliser afin qu’elle ait du sens au plan clinique et soit pertinente d’un point de vue méthodologique. Cela sera aussi un moyen de réduire l’écart qui peut se creuser entre la pratique et la recherche. Des méthodes statistiques émergentes, comme la méthode bayésienne permettent de « scientiser » l’intuition du chercheur (aussi médecin) en s’appuyant sur des observations cliniques subjectives (dont les questionnaires de qualité de vie de patients).

37Car d’ici à 2030, l’augmentation exponentielle des volumes de données, couplée à l’émergence de capacités de corrélation et d’analyse, donnera une puissance sans précédent aux réseaux connectés dans presque tous les endroits du monde. Nous entrerons alors dans l’ère des solutions de données, aujourd’hui limitées par le fait que les quantités de données accumulées dépassent la capacité des systèmes à les utiliser avec efficience. Cette santé du XXIe siècle, environnementaliste, renoue à la fois avec la philosophie Hippocratique, mais risque également si elle n’est pas maîtrisée par les décideurs publics de nous faire glisser vers les excès d’un hygiénisme à la solde des seuls assureurs du risque santé avec la réduction des libertés publiques que cela pourrait entraîner.

Bibliographie

Références

  • 1. Constitution de l’OMS entrée en vigueur le 7 avril 1948. Conférence internationale sur la Santé, New York, 19-22 juin 1946, signée le 22 juillet 1946 par les représentants de 61 Etats. (Actes officiels de l’Organisation Mondiale de la Santé, n°2, p. 100).
  • 2. Gadamer HG. Über die Verborgenheit der Gesundheit, Aufsätze und Vorträge, Frankfurt am Main: Suhrkamp Verlag, 1993.
  • 3. Illich I. Le renoncement à la santé. Document en ligne, 1994. http://olivier.hammam.free.fr/imports/auteurs/illich/renoncement-sante.htm
  • 4. Boles JM, David P. Les carnets de l’Espace Ethique de Bretagne Occidentale. Montpellier : Ed. Sauramps Médical, 2010.
  • 5. Ferté C, Hollebecque A, Salleron J, Penel N, Équipoïse clinique et études cliniques randomisées en cancérologie. Bulletin du Cancer 2009; 96(6).
  • 6. Bardie Y. Essais Cliniques, du patient à l’objet de science. Montpellier, Sauramps Médical, 2013.
  • 7. Boles JM, David P. La finalité de la recherche médicale : vers un arraisonnement de l’être humain ? Les carnets de l’espace éthique de Bretagne occidentale 2010;90-92.
  • 8. Berry DA. Bayesian clinical trials. Nat Rev Drug Discov 2006;5:27-36.

Mots-clés éditeurs : Usage, Evaluation, Réglementation, Intervention non médicamenteuse, INM

Mise en ligne 27/08/2020

https://doi.org/10.3917/heg.081.0028

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