Introduction
1Les patients porteurs de maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) sont à risque élevé de pancréatite aiguë (PA) par rapport à la population générale. La prévalence des PA dans les MICI est estimée à 1,6 % [1]. La PA peut faire partie des manifestations extra-intestinales ou être secondaire à un traitement par les dérivés salicylés (mésalazine, sulfasalazine) ou les immunosuppresseurs (IS) dont l’azathiprine (AZA) et son métabolite la 6-mercaptopurine (6-MP). Chez les patients ayant développé une PA sous 6-MP, il y a très souvent d’autres facteurs surajoutés favorisant son apparition (association aux dérivés salicylés, le terrain auto-immun…) [1-2]. Cette complication est plus fréquente au cours de la maladie de Crohn que dans la rectocolite hémorragique (RCH) [3]. Nous présentons à travers notre observation un cas de PA secondaire à la 6-MP après 3 semaines de son début chez une patiente porteuse d’une RCH.
Observation
2Il s’agit d’une patiente âgée de 44 ans, connue porteuse d’une RCH distale confirmée histologiquement, révélée par une poussée minime selon le score de Truelove et Witts, mise sous mésalazine par voie orale avec bonne évolution (rémission pendant 2 ans), ayant présenté une seconde poussée classée sévère. L’abdomen sans préparation n’avait pas mis en évidence de complications notamment pas de colectasie ni de pneumopéritoine. La coloscopie gauche avait montré un aspect de pancolite sans signes de gravité endoscopique et la biopsie n’avait pas montré d’inclusions de cytomégalovirus (CMV) ni Clostridium difficile. L’examen coproparasitologique des selles n’avait pas objectivé d’amibiase. Ainsi, la prise en charge avait consisté en la mise sous traitement d’attaque à base de corticothérapie par voie intraveineuse à la dose de 120 mg/j de méthyl prednisolone, bi-antibiothérapie à base de quinolone et métronidazole, héparine de bas poids moléculaire, traitement local par lavements. A J5 du traitement, devant la bonne évolution clinique et biologique, un relais par corticothérapie orale a été effectué. Pour maintenir la rémission, un traitement d’entretien par 6-MP à la dose de 1 ,5 mg/kg/j a été démarré après un bilan pré-immunosuppresseur qui est revenu normal. La surveillance clinique et biologique par la numération formule sanguine n’avait pas objectivé d’effets secondaires immédiats. Cependant, l’évolution a été marquée par la survenue à la 3e semaine du traitement d’épigastralgies transfixiantes, associées à des vomissements bilieux. L’examen clinique avait trouvé une patiente consciente, apyrétique avec une sensibilité épigastrique. Le taux de la lipasémie était à 250 UI /L (> 3N). Le reste du bilan biologique, notamment la numération formule sanguine, l’ionogramme sanguin et le bilan hépatique étaient normaux. Devant ces données clinico-biologiques, le diagnostic de PA a été posé. Dans le cadre de l’évaluation, il n’y avait pas de signes de gravité biologiques selon le score de Ranson, et le scanner abdominal avait objectivé une PA œdémateuse de stade C (Fig. 1 et 2). La vésicule biliaire était alithiasique et les voies biliaires intra et extra hépatiques n’étaient pas dilatées. L’origine médicamenteuse a été suspectée justifiant l’arrêt du traitement.
3La prise en charge de la PA a été basée sur les mesures symptomatiques : mise au repos du tube digestif, réhydratation, antalgiques, prévention anti ulcéreuse par un inhibiteur de la pompe à protons, avec bonne évolution clinico-biologique. Dans le cadre de son bilan étiologique et après avoir éliminé une origine biliaire sur le scanner, un bilan auto-immun a été demandé avec notamment le dosage des IGg4 qui est revenu négatif. Ainsi, nous avons retenu le diagnostic d’une PA secondaire à la 6-MP, ce dernier a été arrêté définitivement d’où l’indication d’une biothérapie, mais le manque de moyens et l’absence de couverture sanitaire, nous a obligés à démarrer le traitement par méthotrexate comme alternative thérapeutique. L’évolution a été marquée par une nette amélioration clinique (disparition de la douleur), et biologique (normalisation de la lipasémie) après arrêt du traitement en cause.
Discussion
4La 6-MP, dérivé de l’AZA, est largement utilisée dans les MICI comme traitement d’entretien [1]. La PA dans les MICI peut faire partie des manifestations extra-intestinales ou être secondaire aussi bien à l’AZA qu’a son métabolite la 6-MP ou à un traitement par dérivés salicylés (mésalazine ou sulfasalazine) [1-5]. Le traitement immunosuppresseur par l’AZA ou la 6-MP a une capacité certaine d’induire une PA ; cependant, la toxicité pancréatique est rare, estimée à 1,4 % [1, 6, 7]. Les facteurs de risque rapportés dans la littérature sont la maladie de Crohn où le risque est multiplié par 4 alors que dans la RCH, le risque est multiplié par deux, le sexe féminin et l’association aux aminosalycilés [8, 9].Ces pancréatites surviennent généralement au cours du premier mois du traitement et sont généralement bénignes [4, 5, 8] comme c’est le cas chez notre patiente. Cliniquement, les symptômes de la PA sont parfois difficiles à différencier de ceux causés par l’activité des MICI ou de leurs complications. De plus, une élévation minime à modérée de la lipasémie est fréquemment observée au cours des MICI en dehors de poussée [5]. Toutefois, son diagnostic est fondé sur la présence de critères précis : la douleur de type pancréatique, l’élévation des enzymes pancréatiques. Les données du scanner abdominal ont une valeur d’orientation en cas de difficultés diagnostiques. La PA induite par l’AZA ou la 6-MP est généralement bénigne et répond bien à l’arrêt du médicament [6]. Le mécanisme des PA sous immunosuppresseur n’est pas clair ; cependant, plusieurs hypothèses avance la probabilité d’un mécanisme direct ou immuno-allergique [2-3]. Une enquête minutieuse permettra cependant de déterminer l’imputabilité chronologique du médicament. La récidive de la pancréatite est quasi-certaine en cas de reprise du traitement, ce qui n’est pas recommandé [10]. Il existe une réaction croisée qui est constante rendant inutile voire dangereux le fait de remplacer la 6-MP par l’AZA et inversement. Dans ce cas, un remplacement par les anti-TNFa comme traitement de fond reste une alternative, après échec ou intolérance à l’AZA ou à la 6-MP [11, 12]. Dans notre cas, le méthotrexate comme traitement de fond a été instauré par manque de moyens.
Figure 1 et 2. Pancréatite aiguë stade C : infiltration de la graisse péripancréatique
Figure 1 et 2. Pancréatite aiguë stade C : infiltration de la graisse péripancréatique
Conclusion
5La fréquence de la PA au cours des MICI reste variable. L’origine médicamenteuse notamment l’AZA et 6-MP, en est la cause principale. Le diagnostic étant parfois difficile, un bilan exhaustif s’impose avant de retenir l’imputabilité du médicament, qui dans ce cas, doit être arrêté de façon définitive. Ainsi, la rareté et la non gravité de la PA dans ce contexte ne justifient le dosage des enzymes pancréatiques qu’en cas de signes d’appels cliniques.
Références
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- 2. Bermejo F, Lopez-Sanroman A , C.Taxonera , et al. Acute pancreatitis in inflammatory bowel disease, with special reference to azathioprine-induced pancreatitis. Aliment Pharmacol Ther 2008;28:23-628.
- 3. Venkatesh PG, Navaneethan U. Azathioprine induced pancreatitis in a patient with co-existing autoimmune pancreatitis and hepatitis. JOP 2011;12(3):250-4.
- 4. Blomgren KB, Sundström A, Steineck G, Genell S, Sjöstedt S, Wiholm BE. A Swedish case-control network for studies of drug-induced morbidity-acute pancreatitis. Eur J Clin Pharmacol 2002;58(4):275-83.
- 5. Pitchumoni CS, Rubin A, Das K. Pancreatitis in inflammatory bowel diseases. J Clin Gastroenterol 2010;44(4):246-53.
- 6. Trikudanathan G, Navaneethan U. Association of pancreatitis with inflammatory bowel disease. J Clin Gastroenterol 2011;45(1):83.
- 7. Herrlinger KR, Stange EF . The pancreas and inflammatory bowel diseases .International Journal of Pancreatology 2000;27(3) :171-179.
- 8. Weber P, Seibold F, Jenss H. Acute pancreatitis in Crohn’s disease. J Clin Gastroenterol 1993;17(4):286-91.
- 9. Weersma RK, Peters FT, Oostenbrug LE, et al. Increased incidence of azathioprine-induced pancreatitis in Crohn’s disease compared with other diseases. Aliment Pharmacol Ther 2004;20(8):843-50.
- 10. Tréton X, Tanasa C, Bouhnik Y. Immunosuppresseurs et MICI. Hépato-Gastro 2007;14:14-25.
- 11. Rutgeerts P, Sandborn WJ, Feagan BG, et al. Infliximab for induction and maintenance therapy for ulcerative colitis. N Engl J Med 2005;353(23):2462-76.
- 12. Bickston SJ. Infliximab for ulcerative colitis induction of remission and maintenance therapy. Gastroenterol Hepatol (NY) 2007;3(1):55-6.
Mots-clés éditeurs : 6-mercaptopurine, Maladies inflammatoires chroniques intestinales, Pancréatite aiguë
Date de mise en ligne : 27/08/2020
https://doi.org/10.3917/heg.064.0400