VIEILLISSEMENT ET CHANGEMENT SONT-ILS SUPERPOSABLES ?
1 Dès qu’un nouvel être humain est conçu se met en train une procédure biologique préétablie qui va pour ainsi dire harceler cet état de choses initial : d’abord elle produit une sorte de pré-embryon, qui deviendra embryon, puis fœtus et enfin nouveau-né. Il est clair en outre que la naissance, que ce soit celle d’un garçon ou d’une fille, n’arrête certes pas cette procédure, qui d’ailleurs ne se terminera qu’avec la mort. Le changement, en somme, est de mise dans les habitudes de la vie ; tout se modifie sans cesse, comme l’avait déjà fait remarquer le philosophe Héraclite, même si à la base de tout cela va se constituer un noyau de persistance et de stabilité, sur lequel s’appuyait par contre la philosophie d’un presque contemporain d’Héraclite, le philosophe Parménide. Quel est-il, ce noyau persistant de l’être qui défie le changement, qui peut amener à penser, par moments du moins, que toute transformation n’est qu’apparente ? S’agirait-il du patrimoine génétique ? S’agirait-il du fameux Moi singulier dont chacun serait nanti ? S’agirait-il peut-être d’une inégalité structurale, toute subtile soit-elle, entre les différents individus ? L’ensemble des êtres humains paraît pouvoir se ranger, à la limite, dans une interminable série de clones, mais néanmoins conserve en profondeur, et même dans les traits du visage de chacun, les signes d’une incontournable diversité : il suffit de penser à l’ADN, aux empreintes digitales, à la manière très personnelle de chacun de réagir aux événements.
2 Toutefois, c’est le changement qui l’emporte, c’est le changement qui, dans un bricolage inépuisable, en arrive à promouvoir le perfectionnement, l’achèvement de la différence entre chacun de nous, la rendant avec le passage du temps plus marquée encore que celle qui existait déjà dès la naissance. On sait très bien que les bébés se ressemblent énormément entre eux, que les jeunes, tout en affichant des propos révolutionnaires, finissent par s’aligner facilement aux modes du moment, à des pensées stéréotypées, au besoin d’appartenir coûte que coûte à des groupes de contemporains en révolte perpétuelle vis-à-vis des aînés, vis-à-vis des parents. Pour des jeunes, tout changer va signifier le plus souvent se développer tout en ne devenant pas comme ses propres parents, en faisant mieux que ses parents. Savoir en tout cas s’aventurer dans le monde mieux qu’eux n’auraient su le faire. Et surtout ne pas risquer une contamination, un mélange hybride entre changement et vieillissement. Pour quelqu’un de très jeune, la véritable existence s’arrête conceptuellement aux alentours de quarante ans au maximum, en somme l’âge moyen qui était celui de l’époque de l’Empire Romain. Le reste, pour un jeune, ne peut se configurer que comme une subtile dégénérescence, un affaiblissement progressif, voire une catastrophe existentielle. D’accord, pensent les jeunes, on peut être gentil, aidant, compréhensif à l’égard des vieilles personnes, comme on peut l’être pour ses grands-parents, mais ne nous demandez pas, réagissent-ils, d’être admiratifs à leur endroit, de les jalouser pour avoir su devenir vieux, d’essayer de les suivre pas à pas dans leur système de vie. Leur activité sexuelle presque inexistante, leur corps de plus en plus handicapé, leurs idées désuètes, leur dépendance se révélant problématique pour la société… Peu importe si les biologistes soutiennent que le vieillissement commence déjà à la naissance, qu’il se confond en pratique avec les transformations nécessaires pour le développement des individus, leur adaptation au passage du temps et aux modifications du milieu ambiant.
3 Quoi qu’il en soit, les gens âgés d’aujourd’hui, qu’ils vivent en couple, en communauté, ou qu’ils soient veufs, séparés ou célibataires, doivent absolument s’efforcer d’oublier cette prise de position de la jeunesse à l’encontre des vieux et du vieillissement. L’oublier, l’effacer autant que possible, en tenant compte cependant que cette position dédaigneuse et dévalorisante pour la prise d’âge ou le vieillissement tout court était aussi la leur quand ils étaient jeunes. Et que donc de quelque façon ils devraient essayer d’oublier avoir été jeunes, de continuer à croire – d’ailleurs en se trompant – que seule la jeunesse serait l’expression d’une vie proprement dite, que seule la jeunesse vaudrait la peine d’être qualifiée d’existence. Penser plutôt, au contraire, qu’il faudrait enfin ouvrir les yeux aux jeunes, les avertir avant qu’il soit trop tard que la vieillesse amorce, inaugure la période la plus importante de toute une vie, que seule la vieillesse achève les détails d’une personnalité, que seule la vieillesse est susceptible de nous libérer de l’emprise de l’anonymat, de liens communs trop serrés, des exigences d’une compétition impitoyable, d’un besoin de réussite sociale et mondaine seule capable, selon ces principes, de nous faire obtenir un sens pratique des valeurs, mais capable par contre de nous faire perdre le goût du présent, la perception des instants qui s’égrènent à l’instar d’autant de gouttes de vie, apparemment très similaires entre elles, mais en réalité foncièrement variées et différentes.
POUR UNE SAGE MÉFIANCE ENVERS NOS MEILLEURS SOUVENIRS
4 Voilà de nouveau quelque chose qu’il faut chercher à oublier en vieillissant, quoique ce ne soit certes pas facile non plus, parfois même presque inimaginable.
5 Alors que des souvenirs désagréables du passé ne font défaut à personne, que, bon gré mal gré, ils ne nous lâchent pas sur simple demande et que même ils resurgissent spontanément par surprise, les souvenirs agréables, surtout ceux en général d’un lointain passé venant de notre jeunesse révolue, nous les gardons souvent en réserve – une précieuse réserve, pensons-nous – susceptible de nous réconforter ne serait-ce qu’avec nostalgie. Bref, pour contempler en pleurnichant ce que nous étions à ce moment-là et que nous ne pourrons plus être, à tout jamais. Pour nous dire qu’à ce moment-là tout était magnifique, prometteur, éblouissant, sans tenir compte des chagrins que même le tout premier amour comporte, non plus que des illusions qui se faufileraient dans les mailles de nos projets les plus ambitieux et vraisemblablement les plus enivrants. Toujours est-il que ces souvenirs agréables en provenance de notre jeunesse désormais perdue finissent par nous prendre en otage, en nous soufflant de temps à autre – comme le souffleur dans sa fosse au théâtre qui rappelle aux acteurs des répliques qu’ils risqueraient de n’avoir pas retenues –, en nous rappelant à nous ces souvenirs qu’un premier amour est en principe irremplaçable, impossible à répéter.
6 Cependant, n’importe quel souvenir agréable ou prétendu tel, qu’il soit même déformé, embelli ou inventé de toutes pièces, mais appartenant à une jeunesse désormais irrécupérable, va jouer un terrible rôle de trouble-fête. Il va crier sans cesse, depuis le fond de nos entrailles, que rien ne pourra jamais plus être comme avant, que si nous n’avons pas assez profité de nos années de jeunesse nous en sommes les seuls responsables. Et ce ne sera pas une kyrielle de regrets, de sentiments de culpabilité, de réactions de désespoir qui pourraient fonctionner comme exorcisme pour opérer le miracle de revenir en arrière dans la vie, de repenser les décisions prises à cette époque, d’avoir pratiqué alors une certaine paresse émotionnelle donnant lieu à un manque de courage qui à son tour nous aurait fait perdre de mirobolantes occasions. « Les jeux sont faits », cette phrase résonne sans cesse à l’intérieur de nous et, par la force des choses, non seulement nous gâche toute perspective de réajustement, de réparation, mais surtout nous empêche de nous apercevoir que, ne serait-ce qu’en continuant le peaufinage de notre personnalité propre, nous pourrions atteindre des satisfactions bien plus valables, bien plus authentiques.
7 Essayons par exemple de mettre en valeur le toucher, tout contact tactile prenant facilement la place souvent tyrannique des regards, de la fascination visuelle. Les yeux peuvent être à la limite très cruels en se déplaçant d’une prise du visage dans son ensemble à des détails désobligeants tels que des rides, des taches, tandis que les mains, le toucher, peuvent transmettre des messages émotionnels plus tendres et chaleureux à la fois, pouvant nous faire retrouver facilement des signes appartenant à la mémoire corporelle qui, eux, vont au-delà des comparaisons propres au regard, qui laissent s’entremêler des moments vécus ensemble dans un couple, moments de souffrance commune comme de joie partagée. Tout en sachant que c’est impossible, le regard veut retrouver à tout prix le même visage tellement fascinant, tellement idéalisé, du premier amour, et ainsi il ne rencontrera que des regrets, que des changements, d’ailleurs purement esthétiques.
8 La voix, également, a certainement, avec les années, perdu de sa sonorité juvénile, de sa puissance communicative, mais elle aussi peut être remplacée par un langage du corps, même très simple, surtout très simple, fait de gestes, de soutien mutuel, de messages non verbaux, d’entente et de complicité.
9 De toute manière, le temps qui semble se rétrécir comme une peau de chagrin vaut plus que celui qui paraissait illimité ou presque dans la jeunesse. C’est un temps plus précieux en tant que tel, très personnalisé, de plus en plus personnalisé d’ailleurs. Temps qui peut ainsi être davantage autogéré, moins influencé en tout cas par des obligations codifiées, par les nécessités propres à la compétition, à la rivalité, pouvant se soustraire à l’ambivalence sociale qui à la fois cherche à valoriser la longévité et s’attend à ce que le vieillissement conduise à la dépendance, à une prise en charge massive de personnes ayant épuisé la prétendue force de l’âge.
DU RECYCLAGE SENSITIF AU REMANIEMENT ÉMOTIONNEL
10 Un corps vieillissant peut donner même trop facilement l’impression d’être de plus en plus carencé en énergie, en élan vital, en capacité de résistance. Ce qui est profondément erroné, puisque au contraire le fait même de continuer à vivre au-delà précisément de la force de l’âge atteinte avec la maturité, en ayant survécu à la mortalité juvénile aussi bien qu’à des maladies et des stress et à une certaine érosion des motivations et des attentes illusoires, tout cela témoigne que pour pouvoir vieillir, on doit disposer d’énergies qu’on serait censé qualifier justement comme des énergies de réserve. Des énergies peut-être sagement accumulées à travers des choix prudents, des vérifications inlassables, des récupérations astucieuses.
11 Beaucoup de prestations biologiques ne sont plus pour ainsi dire obligatoires, comme par exemple une vie sexuelle, mais se sont transformées en une sorte de luxe biologique qu’on peut en l’occurrence utiliser, mais qu’on peut également décider de ne pas utiliser du tout. Fait surface une propension à sélectionner les efforts et les engagements. On s’aperçoit en outre que l’on est devenu davantage le propriétaire de son propre corps, de son propre organisme, alors qu’auparavant on pouvait avoir l’impression d’avoir, si l’on peut dire, un corps en location, un corps que la Nature nous aurait prêté pour un certain temps et dont nous aurions été cependant responsables pour obtenir un fonctionnement adéquat et de quelque façon socialement rentable.
12 Dans le domaine émotionnel, alors que nous étions plus enclins à favoriser l’agressivité, à nous laisser prendre par des colères ayant toutes pour but essentiellement de défendre notre territoire, notre place au soleil, désormais si des colères parfois se déclenchent quand même, nous avons la possibilité de nous rendre compte que ces colères, cette rage qui peut nous saisir tout d’un coup n’a plus tellement un but quel qu’il soit, mais sont ressenties plutôt comme une soudaine remise en état de nos sources énergétiques primordiales.
13 Quoi qu’il en soit, nous préférons, en vieillissant, avoir recours en général à des émotions plus douces, en tout cas moins violentes, relevant davantage de notre besoin – devenu, celui-ci, impératif – d’un plus grand usage de la tendresse. Tendresse autant reçue que distribuée autour de nous. Même si pas mal de gens âgés donnent l’impression d’être renfermés, d’être plutôt réfractaires au contact, spécialement avec les jeunes, d’être devenus pessimistes, d’être fondamentalement découragés et ronchonneurs, il suffira de peu de choses, d’un sourire lancé au hasard par quelqu’un de l’entourage, mais aussi par un inconnu, pour voir surgir comme par enchantement une capacité et une disponibilité émotionnelles qu’on croyait devenues inexistantes ou impossibles.
14 Une imaginaire partie jeune, du reste, qui serait tapie en profondeur et qui, sous certains aspects, pourrait jouer un rôle négatif en rappelant sans arrêt la jeunesse perdue, peut à l’occasion, mais aussi en permanence, servir de point de repère intérieur pour modifier l’orientation des souvenirs lointains et moins lointains. Elle pourra être d’ailleurs elle aussi recyclée, devenant alors une aide précieuse pour oublier la dévalorisation préalable du vieillissement dont nous étions tous complices, et nous faire retenir par contre ce que nous percevions déjà bien à l’avance : la joie inévitablement connectée à une vie qui s’allonge, qui se développe par une véritable force interne très personnalisée et très moulée non seulement par la dotation individuelle du départ dans l’existence, mais aussi par tout ce qui s’est passé ensuite, par les événements et nos réactions particulières à tout ce que nous avons ainsi vécu chemin faisant.
15 Il y a par conséquent plusieurs façon d’oublier, comme il y a plusieurs façons de choisir à quel type de souvenirs accorder une priorité ou quand et comment établir un barrage, ou mieux un filtre, un tamisage ne permettant pas que des résidus de la fougue de la jeunesse se logent encore trop dans la mémoire et occasionnent des dommages à une nouvelle réalité à certains égards merveilleuse qui s’est édifiée sur l’apprentissage de l’art de vieillir.
16 Au gaspillage énergétique de la jeunesse s’est en fait substituée une sobriété de dépenses énergétiques centrée, elle, sur l’expérience, si l’on veut, mais également sur une meilleure évalua tion des droits du plaisir, de l’économie des jouissances. Du sens des priorités et d’une intuition accrue par rapport à l’usage du présent.
POURQUOI NE PAS APPRENDRE À VOYAGER DANS LE TEMPS ?
17 Au lieu d’observer avec admiration, et peut-être aussi avec un brin de jalousie, les astronautes qui se promènent avec aisance dans l’espace cosmique, nous pourrions du moins prendre en considération la perspective de voyager dans le temps.
18 Cela peut paraître, bien sûr, le énième truc propre à la science-fiction ou un jeu mental quelque peu fantaisiste. Mais d’abord, il n’est pas du tout absurde de penser que nous tous, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, riches et moins riches, pour ne pas dire tout à fait pauvres, serions obligés de voyager dans le passé chaque nuit lorsque nous sommes pris par le sommeil. Car, lorsque nous dormons, nous ne sommes pas si différents des êtres humains primitifs : la structure du sommeil semblerait en réalité ne pas avoir tellement changé depuis l’Homo Sapiens ou l’Homme de Neandertal. De telle manière qu’en dormant, nous nous retrouverions presque sans nous en apercevoir dans la peau de nos lointains ancêtres. Prêts néanmoins à reprendre au réveil les caractéristiques de l’être éveillé, en plein état de conscience lucide, faisant de quelque manière semblant de ne pas avoir quitté notre identité diurne !
19 Il se pourrait que l’homme primitif ait en outre ressenti le passage, toutes les vingt-quatre heures, d’un état de pleine conscience à un état de sommeil et vice versa, de façon moins sensible que nous, aujourd’hui, pour qui ce double passage de la veille au sommeil et du sommeil à la veille est peut-être plus traumatique qu’on ne le pense.
20 De toute manière, revenons à nos possibles voyages dans le temps, pris en tant que tels. A la place donc des voyages cosmiques propres désormais aux astronautes professionnels, ceux qui seraient décidés et désireux d’effectuer ce genre de voyage dans le temps devraient alors être appelés des « chrononautes ». Il est évident qu’ainsi nous ne pourrions pas éviter de nous dire qu’il s’agirait de pure imagination. Néanmoins, cela deviendrait beaucoup moins imaginaire si l’on essayait de concevoir les choses autrement.
21 Supposons que la société tout entière déléguerait à un nombre donné de personnes la mission d’accomplir la tâche d’explorer, non pas l’Espace, mais le Temps, un temps cependant concret et non pas abstrait, représenté en effet par l’âge avancé, par la longévité. D’autant plus qu’à l’heure actuelle le nombre de centenaires semble augmenter et qu’ils auraient à travers cette mission sociale un but extraordinaire à atteindre. De plus, ils ouvriraient la perspective d’un accroissement progressif aussi du nombre des ultracentenaires. En somme, ces personnes capables d’atteindre un très grand âge – chose qui n’est pas permise à la majorité des êtres humains – seraient censées justement faire connaître aux générations plus jeunes comment vraiment on s’y trouve, dans cette vieillesse extrême. Non seulement pour renseigner donc les plus jeunes, mais peut-être aussi pour réfléchir et par là en déduire des suggestions appropriées et des conseils aptes à favoriser un allongement naturel de la vie. La découverte du fameux Graal deviendrait ainsi une entité très, très concrète et plus que souhaitable : la découverte du grand secret de la longévité.
22 Ces explorateurs du temps délégués par la société, qui en d’autres termes seraient des personnes surdouées, assumeraient le devoir d’être bien attentifs à tous les ressentis possibles dans leur état particulier les portant à vivre au-delà des limites statistiques établies par la biologie. Ces gens porteurs de longévité sont en effet des êtres privilégiés qu’on considère en général avoir tout simplement de la chance. En réalité, il se pourrait que cette longue vie, ils l’aient inconsciemment programmée, voulue, fabriquée de toutes pièces, à leur insu et jour après jour.
23 Au lieu de les appeler des chrononautes c’est-à-dire des explorateurs du temps, on devrait plus exactement les nommer des « géronautes », c’est-à-dire des explorateurs du grand âge. Voilà que les plus jeunes cesseraient alors de les considérer comme des gens affaiblis et ayant nécessairement besoin d’aide, mais les verraient plutôt comme des gens extraordinairement forts et solides susceptibles de nous enseigner comment conquérir, non pas donc l’Espace, mais bel et bien le Temps, le temps qui est au fond notre propriété la plus précieuse.
24 Le poète Aragon a dit : « Le temps d’apprendre à vivre, il est déjà trop tard ». Nous pourrions le paraphraser et affirmer, en nous adressant surtout aux jeunes et même aux enfants : « Le temps d’apprendre à vieillir, il n’est jamais trop tôt ». Quoi qu’il arrive, il faut pouvoir se débarrasser au moins d’une bonne partie du passé, alléger son emprise, en oublier certains aspects, certains conditionnements, pour éviter de nous réduire à n’être que des héritiers de nous-mêmes, et pour ainsi continuer à nous surprendre, à nous étonner.
25 Car en somme, nous savons bien que plus on avance en âge, plus le passé s’étend, tandis que le futur prend de moins en moins d’ampleur. C’est là d’emblée à la fois une pénible réalité et une sorte de trompe-l’œil susceptible en soi de nous faire perdre le sens du présent, sa relative indépendance tant du passé que du futur. La vie, en fait, dans sa structure profonde, voire essentielle, n’est qu’un enchaînement d’instants qui se succèdent, qui pourraient sembler rigoureusement identiques, mais qui, au contraire, si l’on prend la peine de mieux s’approcher d’eux, de les regarder en face, sont tous quelque peu différents les uns des autres.
26 De quelque manière, le présent pris en soi n’a pas d’âge, il n’est pas réductible à un pur produit de la confrontation entre passé et avenir ; entre une entité, le passé, destinée en principe à ne plus se répéter exactement, et une autre, le futur, elle en principe insaisissable à l’avance dans ses contours, donc en définitive plutôt virtuelle.
27 De plus, si nous réfléchissons, le plaisir se dévoile surtout sous l’égide du présent, étant donné que le simple souvenir d’un plaisir passé n’est plus que l’ombre de lui-même, alors qu’un plaisir futur peut toujours aboutir sur une désillusion, sur une autotromperie.
28 Toujours est-il que si de quelque façon on peut affirmer que nous n’avons que l’âge de nos artères, il vaudrait mieux affirmer que nous n’avons que l’âge qui nous rendrait capables de vivre le présent dans sa plénitude.
Bibliographie
POUR EN SAVOIR PLUS
- ABRAHAM G. & STRUCHEN M. (2008). En quête de soi. Un voyage extraordinaire pour se connaître et se reconnaître. Paris : L’Harmattan, 182 p.