1 Quelques histoires parmi beaucoup d'autres nous montrent qu'une personne âgée qu'elle soit riche ou pauvre peut être victime des prédateurs qui sont à l'affût des personnes vulnérables. La première m'a été racontée par sa fille, pharmacienne, qui avait appelé ALMA.
Dans le Bordelais, le baron A., 82 ans, vit seul dans un petit château. Sa fille habite à Paris et son fils vit en Amérique latine. Il est depuis un an moins valide et présente un léger affaiblissement intellectuel. Sa fille engage pour s'occuper de lui une femme de 50 ans, Françoise, qui a l'habitude des personnes âgées dépendantes et a de bons certificats. Elle habite dans la maison du gardien avec son mari, retraité, qui entretient le parc. Lorsque la fille de monsieur A. revient un an plus tard pour les vacances, le château est presque vide, à l'exception de la chambre de son père. Meubles et tableaux ont disparu. Françoise les a reçus les uns après les autres de Monsieur A. Elle s'occupait fort bien de lui, de son réveil à son coucher. Elle l'aidait à faire sa toilette, à s'habiller. Elle passait alors une blouse blanche sous laquelle elle ne portait qu'un peu de lingerie diablement féminine. Elle se penchait sur monsieur A. qui se retrouvait le nez dans un décolleté généreux, et sa main tremblante et impatiente sous la blouse n'était pas repoussée. De temps en temps, Françoise freinait : « Monsieur, vous me griffez ». Chaque semaine, elle lui suggérait qu'il pourrait lui faire cadeau de tel ou tel objet.
3Je tire l'autre exemple du quotidien régional « le Dauphiné libéré »:
Une dame âgée de 85 ans et de santé fragile du centre ville de Grenoble s'est fait dérober d'importantes sommes d'argent par sa femme de ménage. Elle avait à ce point confiance en elle qu'elle lui avait donné une procuration sur ses trois comptes bancaires. Une infirmière a soupçonné des exactions en regardant un chéquier que cette vieille dame lui avait tendu pour y inscrire ses honoraires. Alors que ses besoins étaient réduits, des sommes importantes étaient retirées mensuellement. Sa fille fut alertée et découvrit que cela atteignait 14000 euros en un mois et 10000 euros au cours des deux derniers jours. Des bijoux et des étains de valeur avaient également disparu. La femme de ménage portugaise fut inculpée de « vol et d'extorsion de fonds sur personne particulièrement vulnérable ».
5Certains se spécialisent en bande dans l'arnaque des messieurs trop crédules. Les uns appâtent – souvent avec l'aide d'un jupon auprès de vieux messieurs – d'autres photographient et d'autres enfin referment le piège en exerçant un « chantage » à l'honorabilité.
Les quotidiens ont rapporté le 11 avril 1997, les succès du « clan Fourtier » qui, pendant plusieurs années, a abusé d'une quarantaine de personnes vulnérables, dont une dizaine seulement ont osé se faire connaître. Bernadette Fourtier, alias « Ma Dalton » et cinq membres de sa famille ont comparu devant le tribunal correctionnel de Nancy pour « abus de faiblesse sur personnes âgées », vols, chantages, escroqueries. L'avocat de la défense accusa les victimes d'être des « complices de leur spoliation ». « Leur âge n'est pas un argument, ou alors on ferme le Sénat !» aurait-il ajouté selon François Simon dans Le Figaro du même jour alors que le Sénat d'aujourd'hui, fort éloigné ainsi de celui de Rome, ne renferme pas que des gérontes.
7Des vols plus ponctuels sont souvent l'œuvre de faux agents du gaz et de l'électricité, ou de fausses assistantes sociales sans parler des cambrioleurs « classiques », attirés par l'habitude des personnes âgées de garder auprès d'elles argent liquide et bijoux.
8Ces histoires sont une entrée en matière, celles que les « faits divers » des quotidiens aiment rapporter, mais la part la plus importante des « maltraitances financières » est familiale. En effet, les anciens « nantis » avec biens et fortune sont entourés par leur famille et attirent alors même la partie de la famille qui semblait les avoir oubliés (ou qu'ils avaient oubliée) quand leur âge les rapproche de celui de la fin (ou supposé tel !). Certains autour d'eux aspirent déjà à l'héritage et s'il tarde trop (et il tardera de plus en plus) en chercheront l'anticipation par des vols (camouflés ?) ou des emprunts (ultérieurement oubliés !).
9Déjà en 1991, Claudine Attias-Donfut [1] nous rappelait que les maltraitances financières sont incluses dans les conflits de génération dénoncés dans la seconde partie du XXe siècle. Les romans et les films qui se bâtissent sur ces thèmes sont innombrables.
10Certaines hurlent à tort tel l'avare de Molière, d'autres se taisent, soit parce qu'ils ne se rendent compte de rien et ne se réveillent que lorsqu'ils sont « à sec » et parfois se taisent encore, d'autres se sentent et se savent pillés, mais comme c'est la famille qui est en cause, il leur est difficile de réagir sans couper les liens, les derniers liens, qui leur restent… Dans les statistiques d'ALMA, les maltraitances financières sont au premier rang avec les maltraitances psychologiques (20 à 25% chacune). Elles peuvent être aussi incluses dans ce que nous avons décrit comme une « cascade de maltraitances », car le refus de continuer à répondre aux sollicitations financières peut être complété par des menaces (maltraitances psychologiques) ou attirer des violences physiques.
11On a déjà beaucoup écrit sur le thème des « maltraitances financières », et je l'avais déjà abordé moi-même en 1996 à l'occasion du XIIe congrès de l'UNOPA [2].
12Je ne vais cependant pas aborder cette catégorie de maltraitances en prenant la maltraitance elle-même comme thème des variations de ses modalités, mais en feuilletant avec vous les situations personnelles ou familiales ou sociétales qui en favorisent le développement.
13La vieille dame poursuivant sa vie seule chez elle, veuve le plus souvent, héritière de son défunt mari. Fortunée souvent : en tout cas, c'est alors qu'elle attire des prédateurs financiers. Ce sont d'abord ses propres enfants et petits-enfants, ceux de son mari. En leur absence, des amis proches auxquels elle a donné sa confiance ou des salariés à son service. Ceux-là gèrent sa fortune et parfois le font fort bien avec zèle et amitié, mais aussi confondent parfois ses propres biens avec les leurs. Il nous a aussi été signalé (Petits Frères des pauvres) que des femmes seules, ne disposant pourtant que du minimum peuvent être soumises au « rackett » des commerçants du voisinage qui leur fournissent les aliments de base et remplissent parfois eux-mêmes le chèque qui leur est présenté. La victime ne découvre alors cette maltraitance que lorsque son compte est vide.
14Dans quelques cas, des agences de pompes funèbres leur auraient vendu des obsèques luxueuses.
15La visite périodique de certains éléments de la famille n'est parfois motivée que par le besoin d'argent. Lorsqu'il s'agit des « petits-enfants adolescents » la demande répétée peut devenir fréquente et s'assortir de menaces lorsqu'apparaît une certaine réticence à en poursuivre l'habitude.
16Comme nous le voyons, c'est toujours de l'environnement proche que vient le danger : ce sont des maltraitances de proximité.
17Pour toutes les raisons que nous connaissons, elle ou il a dû quitter son domicile et trouver refuge dans une institution. Parfois on n'a fait que changer de prédateurs, même si dans la plupart des cas, ce nouveau cadre se révèle chaleureux et protecteur. ALMA a découvert que dans 15% des cas, c'est encore la famille, à laquelle pourtant elle/ou il avait ainsi tenté d'échapper, qui se révèle alors le maltraitant de choix. S'il y a affaiblissement intellectuel ou une mort annoncée, le mouvement se précipite et certaines parties de la famille se disputent sournoisement la pré-succession, parfois accompagnée d'un homme de loi reconnaissable à son costume strict et à sa serviette noire, prêt à faire signer quelques documents d'une main guidée – à moins qu'il ne soit averti qu'une mesure de « sauvegarde de justice » protège désormais cette personne intellectuellement affaiblie, dans l'attente d'une tutelle plus rigoureuse.
18Mais d'autres prédateurs financiers sont parfois là, de plus en plus souvent dévoilés par la vigilance accrue de l'entourage et dont la presse locale nous apprend les exactions. Cela va du personnel de proximité, qui monnaye son meilleur service, à la direction qui menace d'exclusion une personne ou une famille trop vigilantes. Il a été découvert récemment qu'une directrice de foyer-logement faisait affaire avec un brocanteur ou un antiquaire pour disperser les quelques meubles avec lesquels ses pensionnaires décédés avaient tenté de personnaliser leur chambre.
19Mais alors que faire ?
- Etre vigilant. Savoir que ces maltraitances ne sont pas rares.
- Que cela se passe en famille ou avec ceux qui en sont proches,
- amis » ou salariés, et que le placement en institution n'est pas une garantie totale.
- Savoir que des mesures de protection existent (sauvegarde, curatelle, tutelle).
- Que la marche à suivre en cas de soupçon ou de signalement d'une maltraitance confirmée peut être indiquée par l'antenne ALMA la plus proche (08 92 68 01 18).
- Que des hommes de loi (juges chargés des tutelles, conciliateurs de justice) peuvent donner des conseils, ainsi que des notaires.
21Ces derniers ont traité de ce thème lors de leur congrès national des 5 et 6 avril 2006. Les travaux préparatoires, pendant plusieurs mois, étaient consacrés en effet aux « personnes vulnérables », âgées ou handicapées. 59% des personnes interrogées lors d'un sondage préalable avaient une « personne vulnérable » dans leur entourage. Les « mises sous protection juridique » pourraient atteindre le million d'ici 2010. Tout le monde réclame la réforme du régime des tutelles désormais inadapté, études et mesures qui furent l'objet du rapport Favard, il y a près de six ans… propositions dans le désert !
22Le congrès des notaires précité revient sur une formule conseillée par beaucoup depuis des années : le « mandat de protection future » permettant à l'avance (avant d'avoir perdu le moyen de réagir ou de décéder !) de désigner la personne (ou les… ce serait plus prudent !) à qui l'on pourrait confier le moment venu cette protection financière.
23… Mais aucune de ces mesures ne sera suffisante si la famille elle-même n'est pas conseillée, avertie, formée non par une école mais par des documents.