Notes
-
[1]
J. Carbonnier, Sociologie juridique, PUF, 1994, n° 306 et 308.
-
[2]
F. Fichter-Boulvard, La notion de vulnérabilité et sa consécration par le droit, in Vulnérabilité et droit : le développement de la vulnérabilité et ses enjeux en droit, PUG, 2000.
-
[3]
Cf. Article L. 167-1 Code de la sécurité sociale.
-
[4]
Capacité de jouissance.
-
[5]
Capacité d’exercice.
-
[6]
L’article 488 alinéa 2 du Code civil offre également une protection occasionnelle au majeur vulnérable indépendamment des régimes de sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle. Il est possible d’annuler un acte rétroactivement en apportant la preuve de l’altération des facultés mentales au moment de l’acte (art. 489 C.civ.).
-
[7]
Art. 490 al. 1 et 2 C.civ.
-
[8]
Art. 488 al. 2 et 3 C.civ.
-
[9]
Art.488 al. 1er C.civ. : « La majorité est fixée à dix-huit ans accomplis ; à cet âge, on est capable de tous les actes de la vie civile ».
-
[10]
Régime dit de « capacité protégée »
-
[11]
Art. 491-1C.civ.
-
[12]
Deux mois renouvelable six mois.
-
[13]
Art. 508 à 514 C.civ.
-
[14]
Art. 492 à 507 C.civ.
-
[15]
Selon l’article 493 al. 1er, peuvent déposer une requête la personne qu’il y a lieu de protéger, son conjoint à moins que la communauté de vie n’ait cessé entre eux, ses ascendants, ses descendants, ses frères et sœurs, le curateur et le Ministère public. Le juge des tutelles peut aussi se saisir d’office.
-
[16]
Selon l’article 493 al. 2, peuvent donner un avis au juge les autres parents, les alliés, les amis, le médecin traitant et le directeur de l’établissement.
-
[17]
Les trois régimes de protection peuvent se décliner sous les formes suivantes : sauvegarde de justice avec mandat, sans mandat ; curatelle simple, curatelle à capacité étendue, curatelle à capacité restreinte, curatelle renforcée, curatelle d’Etat ; tutelle avec conseil de famille, administration légale sous contrôle judiciaire, tutelle allégée, tutelle en gérance, tutelle d’Etat.
-
[18]
Cf. motifs du projet de réforme du dispositif de protection des majeurs.
-
[19]
La décennie 90 a enregistré une augmentation de 47 % des demandes de placements et de 66% des jugements d’ouverture, avec une augmentation massive du nombre des curatelles aggravées et de TPSA.
-
[20]
Rapport de l’Inspection Générale des Finances, de l’Inspection des Affaires Sociales et de l’Inspection des Services Judiciaires de novembre 1998.
-
[21]
La loi de 1968 opère un renvoi aux règles de la tutelle des mineurs qui spécifient que le conseil de famille règle les conditions générales de l’entretien et de l’éducation de l’enfant (art.449 C.civ.) et que le tuteur prend soin de la personne de l’enfant et le représente dans les actes de la vie civile, administre ses biens et répond des dommages résultant d’une mauvaise gestion (art. 450 C.civ.). Ceux qui s’opposent à l’extension des pouvoirs en matière personnelle arguent que le majeur, qui n’est plus concerné par l’éducation, ne bénéficie pas par conséquent de ces dispositions.
-
[22]
Pour une étude plus précise et exhaustive, se reporter au projet de réforme sur le site internet du ministère de la Justice (http :// www. justice. gouv. fr)
-
[23]
Pour une analyse comparative d’un concept voisin, cf. le mandat sur inaptitude future, proposé dans ma thèse (précitée).
1Appréhendée sous l’angle juridique, la question des fragilités revêt sans conteste une importance toute particulière. Le droit s’avère en effet un précieux outil de protection des majeurs vulnérables, en dépit des tabous et réticences qui subsistent encore aujourd’hui au sein des familles sur les régimes de tutelle ou de curatelle, tandis que bon nombre de majeurs acceptent encore difficilement l’idée d’être privé partiellement ou totalement de leur capacité d’exercer leurs droits.
2Le trait commun des majeurs protégés réside dans la notion de vulnérabilité qui renvoie à une certaine idée de fragilité et de besoin de protection. Plus généralement, la vulnérabilité se définit comme une situation de fait causée par une précarité économique, matérielle, physique et/ou psychologique. Cette notion qui recouvre des réalités très diverses, offre au majeur vulnérable un visage aux multiples facettes. Devenue une préoccupation sociale majeure, elle a progressivement été intégrée, explicitement ou implicitement, dans nos textes de lois. Rien d’étonnant à cela dès lors que la mouvance du droit est considérée comme « le reflet de la mouvance sociale » [1]. Le droit des incapacités en offre un exemple flagrant. En effet, c’est l’état préexistant de faiblesse des incapables majeurs qui justifie l’ensemble des dispositions visant à conjurer les risques auxquels ils sont par nature exposés. Ainsi, les régimes d’incapacité apparaissent comme « la traduction juridique d’une vulnérabilité préalablement tenue pour acquise par le droit » [2].
LE DISPOSITIF ACTUEL
3La protection juridique des majeurs est organisée par deux grandes lois. La loi du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs et la loi du 18 octobre 1966 relative à la tutelle aux prestations sociales adultes.
4Les dispositions de la loi du 18 octobre 1966 ont créé une tutelle de nature sociale intégrée dans le Code de la sécurité sociale [3]. La tutelle aux prestations sociales adultes, dite TPSA, est prononcée lorsqu’un majeur bénéficiaire d’allocations sociales (avantages vieillesse, allocations adultes handicapés, prestations familiales, revenu minimum d’insertion, …) ne les utilise pas dans son intérêt ou lorsqu’il vit dans des conditions d’alimentation, de logement et d’hygiène manifestement défectueuses, en raison de son état mental ou d’une déficience physique. La TPSA ne constitue pas une mesure d’incapacité au sens juridique du terme, la capacité juridique se définissant comme l’aptitude à être titulaire de droits [4] et à pouvoir les exercer [5]. Elle ne saurait à ce titre être analysée comme un régime civil d’incapacité à l’instar de la tutelle ou de la curatelle. Cette tutelle spécifique appliquée exclusivement aux adultes se caractérise néanmoins par la présence d’un tuteur aux prestations sociales, personne physique ou morale, dont la mission consiste à percevoir les allocations en lieu et place du bénéficiaire, à charge de les utiliser au profit de ce dernier. En un sens, cette mesure suscite une incapacité juridique mais strictement limitée à la perception et à l’utilisation des seules prestations sociales.
5Quant à la loi du 3 janvier 1968 portant réforme du droit des incapables majeurs, elle a remodelé les anciens régimes de protection, tant du point de vue de leur forme que de leur esprit. Ce texte, profondément novateur, doit sa notoriété aux trois mesures de protection civile qu’il a instituées : la sauvegarde de justice, la curatelle et la tutelle. Elles offrent au majeur une protection continue [6] dans deux cas de figure. L’altération de ses facultés personnelles d’une part, sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté d’autre part.
6En premier lieu, l’altération des facultés personnelles recouvre l’altération des facultés mentales due à «une maladie, une infirmité ou un affaiblissement dû à l’âge» ainsi que l’altération des facultés corporelles «si elle empêche l’expression de la volonté» [7], ce qui vise principalement le cas des aphasiques. En second lieu, par prodigalité, intempérance ou oisiveté, il faut entendre respectivement les dépenses excessives, les vices tel l’alcoolisme, et l’inactivité.
7Dans ces deux hypothèses, en fixant des conditions précises, le législateur a pris le soin d’encadrer strictement la procédure du passage à l’incapacité, la privation partielle ou totale de capacité demeurant ne l’oublions pas un enjeu majeur. Ainsi, l’altération des facultés mentales n’engendre des conséquences juridiques que si elle met le majeur «dans l’impossibilité de pourvoir seul à ses intérêts», puisque la défaillance psychique ou physique ne prive pas forcément l’intéressé de la possibilité de pourvoir lui-même à la protection de sa personne et /ou de ses biens. De même, sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté doit nécessairement «l’exposer à tomber dans le besoin ou compromet(tre) l’exécution de ses obligations familiales» [8]. Par le biais de ces dispositions, le législateur pourvoit ainsi au respect du sacro-saint principe de la liberté individuelle.
8Si les trois mesures ont chacune une incidence sur le principe de capacité juridique octroyée à chacun «à dix-huit ans accomplis» [9], seules la curatelle et la tutelle constituent des régimes d’incapacité en tant que tels. En effet, le majeur vulnérable placé sous sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits [10], l’intérêt du régime résidant dans la possibilité d’annuler a posteriori des actes lésionnaires conclus à l’encontre des intérêts du majeur. Le placement émane d’une déclaration faite par le médecin traitant auprès du Procureur de la République [11]. Cette mesure originale est toutefois conçue comme temporaire [12] et limitée à la protection des biens.
9La curatelle et la tutelle constituent en revanche des régimes d’incapacité à part entière qui privent partiellement ou totalement le majeur de sa capacité d’exercice. Tandis que le majeur sous curatelle conserve son autonomie pour les actes les moins graves, il doit nécessairement se faire assister de son curateur pour les actes les plus conséquents [13]. En revanche, c’est le tuteur qui agit toujours en lieu et place de la personne protégée [14]. Ce principe subit des tempéraments. En effet, même pour ce régime d’incapacité le plus lourd, une marge d’autonomie est concédée à l’intéressé pour les actes de la vie courante tandis que l’on doit en principe s’enquérir de son avis pour les décisions relatives à sa personne dans la mesure où il possède encore son discernement. L’ouverture de la curatelle et de la tutelle est subordonnée au dépôt d’une requête auprès du juge des tutelles par un cercle restreint de personnes énumérées [15], tandis qu’un cercle élargi de personnes peuvent parallèlement aviser le magistrat de la cause justifiant l’ouverture du régime [16].
10Le jugement d’ouverture de chacun des trois régimes est fondé sur le critère clé du besoin de protection du majeur, dont le degré, variable, a une incidence directe sur la nature de la mesure. Suivant la technique du «vêtement sur mesure», ils s’adaptent à chaque personne suivant le seuil de gravité du trouble physique ou psychique, ce qui constitue en fin de compte une échelle des mesures extrêmement diversifiée [17]. La loi de 1968 est fondée sur un double objectif de généralisation et d’individualisation du dispositif de protection juridique, privatif de capacité. Empreinte de réalisme et de souplesse, elle a également marqué les esprits par l’introduction du principe d’indépendance entre le traitement médical et le régime de protection applicable aux intérêts civils, tout en consacrant une étroite collaboration entre le juge et le médecin.
11Le dispositif de protection juridique des majeurs a été marqué ces dernières années par une augmentation « constante et préoccupante » [18] des mesures de protection. En 2002, les statistiques faisaient état de plus de cinq cent mille personnes protégées, soit environ 1% de la population française [19].
12Les raisons fort diverses tiennent tant à l’augmentation de la proportion de la population âgée et très âgée (70% de l’augmentation serait due aux personnes âgées de plus de soixante dix ans), qu’à l’accroissement du nombre de ménages bénéficiant de minimas sociaux (l’incidence de l’allocation pour adultes handicapés sur l’ouverture des tutelles aux prestations sociales adultes est à ce titre instructive). La politique de sectorisation de la santé mentale n’y est pas non plus étrangère puisqu’en privilégiant les soins du malade psychiatrique en milieu ouvert, elle a accru instantanément, par un effet de vase communiquant, les besoins de placement.
13Or, la mise sous protection juridique des majeurs, si légitime qu’elle puisse être, s’est faite en fin de compte au détriment des principaux intéressés, personnes déjà fragilisées par essence, dès lors que l’engouement pour les régimes de protection a eu des incidences sur le fonctionnement du dispositif régi par les lois du 18 octobre 1966 et 3 janvier 1968.
14Ainsi, les lacunes initiales de la loi de 1968, qui n’en avait pas moins fait l’objet d’un large consensus, se sont accompagnées au fil du temps d’une dérive profondément regrettable de ses principes fondamentaux originels, provoquée notamment par l’évolution de l’environnement économique et social.
15En 1998, un Rapport d’inspection tripartite [20] a dressé un bilan de l’application de la loi de 1968 que certains acteurs de terrain, sans remettre en cause le bien-fondé de certaines remarques, jugèrent parfois sévère. A l’époque, ce rapport a eu l’intérêt de mettre l’accent sur les points sensibles et de mettre en exergue les dérives issues de la pratique. On compte parmi les nombreuses failles évoquées, et non des moindres la dénaturation de l’esprit des régimes de protection, en ce sens que les conditions d’ouverture posées à l’origine ne sont plus respectées à la lettre. Il suffit sur ce point de songer à l’application de la curatelle à des personnes surendettées, au placement de certains individus en situation d’« inadaptation sociale » ou à la prorogation dans le temps de la sauvegarde de justice par voie de renouvellements successifs, à l’encontre de son caractère ponctuel originaire. En réalité, cela tient au fait que la mesure de protection est avant tout perçue aujourd’hui comme une mesure d’aide, ce qui fait oublier à certains qu’elle est privative de droits. Est encore visé le non-respect des règles procédurales, la procédure représentant pourtant un garde-fou précieux, si l’on ose s’exprimer ainsi, de la loi de 1968. Parmi les nombreux exemples cités, ce rapport fait état du certificat médical du médecin spécialiste préalable au placement sous curatelle ou tutelle devenu purement formaliste, du caractère incomplet des requêtes, des nombreuses saisines d’office du juge des tutelles, ou encore de la non-audition abusive des majeurs à protéger.
16L’hétérogénéité et la grande complexité des pratiques et des financements, le contrôle difficile des comptes de gestion, la surcharge des tribunaux et le désengagement des familles figurent encore dans ce triste recensement, d’autant plus regrettable lorsque l’on mesure les enjeux humains et affectifs étroitement liés à la protection des personnes fragilisées.
17L’évaluation de cette loi permet finalement de faire surgir un constat a priori antinomique mais bien réel d’une sur-protection et d’une sous-protection des majeurs vulnérables. En effet, certains d’entre eux sont placés sous ces régimes alors qu’ils ne répondent pas aux critères initiaux posés par le législateur. D’autres en revanche échappent à la protection alors qu’ils devraient l’être au regard des mêmes critères, et l’on songe à un grand nombre de personnes âgées en perte de repères qui ne sont pas protégées parce que nul n’a pris la peine d’accomplir les démarches juridiques. La persistance de tabous en ce domaine en est peut-être la cause, à moins qu’il ne s’agisse d’intérêts financiers jugés trop faibles. On touche là à une des questions les plus délicates et controversées de la protection juridique des majeurs vulnérables. De fait, si la majorité des auteurs s’accordent à penser que le rôle du tuteur recouvre tant la protection de la personne que celle des biens du majeur, les dispositions de la loi du 3 janvier 1968 ne se prononcent pas clairement sur ce point [21]. Se détachant de l’ambiguïté des textes, la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18 avril 1989 a clairement affirmé que le rôle du tuteur ne se limite pas à la protection des biens mais recouvre aussi la protection de la personne.
18Le projet de réforme du dispositif de protection juridique des majeurs devrait entériner cette solution largement admise aujourd’hui. Parallèlement, on constate, et cela n’est pas antinomique, la reconnaissance d’une sphère d’autonomie du majeur vulnérable en matière personnelle y compris lorsqu’il est placé sous le régime d’incapacité le plus lourd, en l’occurrence la tutelle. La capacité naturelle du majeur incapable en matière personnelle implique la recherche systématique de la volonté de l’intéressé, dans la mesure du possible. Cette condition revêt bien évidemment un sens particulier dans le cas de personnes fragilisées dont le discernement subsiste ou resurgit parfois partiellement ou ponctuellement. Cela suppose une écoute attentive et une interrogation régulière sur leur état psychique. Cette démarche apparaît d’autant plus naturelle et légitime que les questions touchent à l’intimité ou au choix de vie du principal intéressé.
LE PROJET DE RÉFORME DU DISPOSITIF ACTUEL
19Outre le rapport tripartite de novembre 1998, la réflexion sur la réforme du dispositif de protection des majeurs a été nourrie d’une part par les débats qui ont animé les « Assises nationales de la tutelle » organisées en décembre 1999 à l’initiative de l’UNAF et des associations et fédérations nationales concernées, d’autre part par le rapport remis en avril 2000 par le groupe de travail interministériel présidé par M. Jean Favard, conseiller honoraire à la cour de cassation. Partant du constat des défaillances de la loi de 1968, ce document élabore une série de propositions «tendant à réformer le dispositif actuel pour l’adapter aux réalités nouvelles». Ces dernières ont fait l’objet d’une large consultation des juridictions à l’initiative de la chancellerie qui a analysé les réponses jusqu’à la fin du premier semestre 2001. Les principales orientations du projet de réforme ont finalement été adoptées en conseil des ministres le 30 janvier 2002. Dans le cadre de cette refonte largement discutée et tant attendue du mécanisme de protection juridique des majeurs vulnérables, nul ne s’étonnera du fait que le point le plus sensible qui retarde le vote définitif de la loi réside dans la réforme spécifique du dispositif de financement encore en voie d’expérimentation à l’heure actuelle. Le financement, nerf de la guerre, est source d’enjeux et d’intérêts auxquels le domaine de la protection juridique des personnes fragilisées ne saurait bien évidemment échapper. Ce cheminement très lent apparaîtra peut-être rétrospectivement légitime si la réforme est par la suite couronnée de succès. Elle met en tout état de cause à dure épreuve la patience de ceux qui depuis longtemps ont préconisé et démontré avec conviction tout l’intérêt d’une évolution des textes en ce domaine. Le conseiller Thierry Fossier et le professeur Jean Hauser pourraient en témoigner, eux qui figurent parmi les plus ardents défenseurs du projet.
20Le projet de réforme du dispositif juridique de protection des majeurs s’articule autour de quatre axes principaux. Mais il faut retenir avant toute chose l’idée directrice qui en fait son essence. Le souci majeur du législateur sera de «mettre la personne protégée au cœur du dispositif, c’est-à-dire de rendre effective la protection de la personne et pas seulement de ses biens». Le sous-titre de la réforme affiche d’ailleurs clairement l’ambition de «faire vivre deux principes essentiels : la protection de la personne concernée et le respect des libertés individuelles».
21Au-delà de cette finalité proclamée, les quatre axes de la réforme sont initiés par la volonté de renforcer la protection de la personne et des règles de procédure (1), de mieux former, recruter et encadrer les délégués à la protection juridique des majeurs (2), d’assurer un contrôle effectif des comptes (3) et de revisiter le financement des mesures de protection (4). Il ne s’agit pas ici de donner une liste exhaustive des modifications préconisées, mais simplement quelques exemples qui illustrent selon nous particulièrement l’esprit de ces grandes orientations [22].
- La protection de la personne et les principes de procédure : le renforcement de la protection de la personne implique la consécration d’un dispositif général rendant effective la tutelle à la personne et pas seulement la protection des biens ce qui participera au respect des libertés fondamentales, des droits de l’homme et de sa dignité. D’un point de vue terminologique, l’expression de « majeurs protégés » se substituera à celle d’« incapables majeurs », tandis que le délégué à la protection juridique devra « visiter régulièrement le majeur concerné à l’endroit où il demeure afin de vérifier ses conditions quotidiennes de vie ». Le principe de la participation du majeur aux décisions personnelles le rendra acteur du processus de mise en œuvre de sa protection, à moins que son état de santé ne l’interdise. La réaffirmation et le renforcement des principes de nécessité et de subsidiarité de la mesure passe par l’organisation d’une évaluation médico-sociale des situations individuelles en amont, le rôle de philtre étant assuré par des Groupes d’évaluation médico-sociale (GEMS). L’objectif est d’opérer un contrôle de rationalité sur les décisions d’ouverture des régimes civils d’incapacité. Ce mécanisme s’accompagne de la création d’une « Mesure budgétaire et sociale » qui viendrait se substituer à la tutelle aux prestations sociales adultes actuelle. La nouvelle mesure, réservée aux prestations sociales vise à protéger les personnes « dont la santé ou la sécurité sont gravement compromises du fait de leur incapacité à assurer seules la gestion de leurs ressources sociales et qui refusent l’accompagnement social et personnalisé qui leur est proposé par les autorités administratives ». Par ailleurs, la reconnaissance de la faculté de conclure un « Mandat de protection future » par acte notarié, loin d’être anecdotique, permettra au majeur de confier sa protection à une personne de confiance pour le cas où il viendrait à perdre ses capacités. Ce nouveau concept déjà présent au Québec devrait, lorsqu’il sera entré dans la pratique et dans les mœurs, présenter l’atout de responsabiliser les citoyens dans le prise en charge future de leur propre incapacité [23]. La réaffirmation et le renforcement du principe du respect de la personne et de ses droits dans le processus judiciaire consiste à mieux définir les conditions d’ouverture de la mesure de protection, en redéfinissant et en élargissant le cercle des personnes habilitées à présenter la requête aux fins d’ouverture d’une tutelle ou d’une curatelle à « toute personne ayant avec le majeur des liens étroits et stables ». Il s’agit encore de renforcer les droits des majeurs tout au long de la procédure judiciaire par une réaffirmation de l’audition obligatoire de l’intéressé, d’instaurer une révision périodique des mesures tous les cinq ans, enfin de faciliter l’intervention de la famille pour tenter de redonner à sa mission de protecteur naturel tout son sens.
- La formation, le recrutement des délégués à la protection juridique: Une formation harmonisée consacrée par un certificat national de compétence, une liste unique des délégués et l’élaboration d’un véritable statut, visent à répondre au réel besoin actuel de qualification des délégués à la protection juridique.
- Le contrôle des comptes: l’amélioration du dispositif de contrôle actuel espérée justifie la mise en place d’une reddition annuelle des comptes plus pertinente, de mesures coercitives en cas de carence de gestionnaire ou encore la mise en place de contrôles internes au sein des associations.
- Le financement des mesures: les difficultés actuelles inhérentes à cette partie de la réforme s’expliquent par le fait qu’il s’agit de simplifier un régime extrêmement complexe et disparate. Les orientations résident dans l’harmonisation des rémunérations des gérants de tutelle, dans l’instauration d’un financement par dotation globale qui se manifestera entre autre par une rémunération selon la réalité du service et et non en fonction du nombre de mesures.
23Il est particulièrement intéressant de relever que la notion de « démarche de qualité » fait son entrée dans la prise en charge liée à l’accompagnement de la personne vulnérable. Au-delà de son aspect symbolique, ce critère récurrent répond parfaitement à la finalité de rendre plus effective la protection de la personne du « majeur protégé ». L’amélioration sera peut-être perceptible par le biais de considérations financières !
24Bien qu’étant considérée généralement comme une bonne loi, la loi du 3 janvier 1968 a aujourd’hui besoin de revêtir une nouvelle toilette, afin d’une part de mettre un terme aux dérives inéluctables nées de la pratique, d’autre part de redonner de la cohérence à l’ensemble du dispositif de protection des majeurs, enfin de se conformer à l’évolution du droit européen sur ces questions sensibles. La recommandation du Conseil de l’Europe du 22 février 1999 en témoigne; elle rappelait les principes fondateurs de fonctionnement de tout système de protection des majeurs : «la nécessité et la subsidiarité dans le respect de la personne et de ses droits ». Par cette réforme, c’est sans nul doute un bel objectif que s’est fixé le législateur français. En dépit de certaines critiques et du scepticisme qui accompagne parfois ce projet, avant même que la loi ne soit votée, on lui souhaite tout le succès possible à la hauteur des enjeux humains et affectifs qu’elle recouvre.
Notes
-
[1]
J. Carbonnier, Sociologie juridique, PUF, 1994, n° 306 et 308.
-
[2]
F. Fichter-Boulvard, La notion de vulnérabilité et sa consécration par le droit, in Vulnérabilité et droit : le développement de la vulnérabilité et ses enjeux en droit, PUG, 2000.
-
[3]
Cf. Article L. 167-1 Code de la sécurité sociale.
-
[4]
Capacité de jouissance.
-
[5]
Capacité d’exercice.
-
[6]
L’article 488 alinéa 2 du Code civil offre également une protection occasionnelle au majeur vulnérable indépendamment des régimes de sauvegarde de justice, curatelle ou tutelle. Il est possible d’annuler un acte rétroactivement en apportant la preuve de l’altération des facultés mentales au moment de l’acte (art. 489 C.civ.).
-
[7]
Art. 490 al. 1 et 2 C.civ.
-
[8]
Art. 488 al. 2 et 3 C.civ.
-
[9]
Art.488 al. 1er C.civ. : « La majorité est fixée à dix-huit ans accomplis ; à cet âge, on est capable de tous les actes de la vie civile ».
-
[10]
Régime dit de « capacité protégée »
-
[11]
Art. 491-1C.civ.
-
[12]
Deux mois renouvelable six mois.
-
[13]
Art. 508 à 514 C.civ.
-
[14]
Art. 492 à 507 C.civ.
-
[15]
Selon l’article 493 al. 1er, peuvent déposer une requête la personne qu’il y a lieu de protéger, son conjoint à moins que la communauté de vie n’ait cessé entre eux, ses ascendants, ses descendants, ses frères et sœurs, le curateur et le Ministère public. Le juge des tutelles peut aussi se saisir d’office.
-
[16]
Selon l’article 493 al. 2, peuvent donner un avis au juge les autres parents, les alliés, les amis, le médecin traitant et le directeur de l’établissement.
-
[17]
Les trois régimes de protection peuvent se décliner sous les formes suivantes : sauvegarde de justice avec mandat, sans mandat ; curatelle simple, curatelle à capacité étendue, curatelle à capacité restreinte, curatelle renforcée, curatelle d’Etat ; tutelle avec conseil de famille, administration légale sous contrôle judiciaire, tutelle allégée, tutelle en gérance, tutelle d’Etat.
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[18]
Cf. motifs du projet de réforme du dispositif de protection des majeurs.
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[19]
La décennie 90 a enregistré une augmentation de 47 % des demandes de placements et de 66% des jugements d’ouverture, avec une augmentation massive du nombre des curatelles aggravées et de TPSA.
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[20]
Rapport de l’Inspection Générale des Finances, de l’Inspection des Affaires Sociales et de l’Inspection des Services Judiciaires de novembre 1998.
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[21]
La loi de 1968 opère un renvoi aux règles de la tutelle des mineurs qui spécifient que le conseil de famille règle les conditions générales de l’entretien et de l’éducation de l’enfant (art.449 C.civ.) et que le tuteur prend soin de la personne de l’enfant et le représente dans les actes de la vie civile, administre ses biens et répond des dommages résultant d’une mauvaise gestion (art. 450 C.civ.). Ceux qui s’opposent à l’extension des pouvoirs en matière personnelle arguent que le majeur, qui n’est plus concerné par l’éducation, ne bénéficie pas par conséquent de ces dispositions.
-
[22]
Pour une étude plus précise et exhaustive, se reporter au projet de réforme sur le site internet du ministère de la Justice (http :// www. justice. gouv. fr)
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[23]
Pour une analyse comparative d’un concept voisin, cf. le mandat sur inaptitude future, proposé dans ma thèse (précitée).