Notes
-
[1]
En entendant ce système comme celui de la distribution des soins médicaux au sens strict, hospitalisation, soins de ville et biens médicaux et non celui d’un système de santé au sens large englobant une grande part de l’activité sociale, de l’éducation au mode alimentaire en passant par le stress au travail et la pratique sportive.
-
[2]
Ou d’avoir « l’âge de ses artères ».
1Dans la France du XXe siècle de fortes inégalités sociales persistent en terme de mortalité; non seulement les groupes les plus défavorisés accusent les taux de mortalité les plus élevés, mais c’est l’ensemble de la société dont la mortalité suit l’échelle sociale. Les écarts n’ont pas été réduits au cours du temps.
2Parallèlement, l’état de santé suit le même gradient social, aussi bien les indicateurs synthétiques de morbidité, comme le vieillissement relatif ou le niveau de dépendance, que certaines pathologies.
3La question que nous abordons ici est de savoir si ce différentiel social de mortalité est essentiellement dû à ce moins bon état de santé qui entraînerait une mort plus précoce pour les personnes défavorisées, ou si s’ajoute à cette différence de morbidité un taux de mortalité plus élevé pour un même état de santé.
4Si, pour un même état de santé, les personnes défavorisées meurent en plus grand nombre ou plus tôt que les personnes les plus favorisées, des hypothèses peuvent être émises pour expliquer cette inégalité, en particulier quant au rôle possible du système de soins [1].
5En France, où l’on bénéficie d’une protection sociale généralisée et d’un système de soins considéré comme performant, il est admis que les soins sont dispensés en fonction des besoins du patient et non de ses caractéristiques socio-économiques. Ainsi dans le dernier rapport du Haut Comité de Santé Publique, la question est évoquée et une réponse en ce sens proposée : «Les données disponibles mettent du reste bien en évidence que les inégalités en matière de déterminants de santé sont très nettes. Autrement dit la probabilité de devenir malade varie sans doute encore plus socialement ou géographiquement que la probabilité de recevoir des soins de qualité équivalente une fois malade ». Ce qui peut introduire un double questionnement, celui du lien entre état de santé et situation sociale, et, à état de santé donné, celui du lien entre mortalité et situation sociale.
6A titre d’exemple, et comme principale illustration du niveau social, nous utilisons ici la profession ou l’ancienne profession. Des résultats similaires peuvent être présentés selon le niveau d’instruction, le diplôme, le mode de protection…
LA MORTALITÉ
CADRE GÉNÉRAL
7Depuis longtemps l’augmentation du risque de décès avec l’âge a été soulignée et mesurée; sur ce plan la France est en bonne position par rapport aux autres pays industrialisés, spécialement pour les femmes et les personnes âgées. Par contre, les résultats sont très médiocres pour les hommes jeunes, et les différences de mortalité entre les hommes et les femmes sont parmi les plus élevées des pays industrialisés : entre 10 et 75 ans les taux de mortalité des hommes sont pratiquement doubles de ceux des femmes.
8Les liens entre la mortalité et la situation sociale ont été évoqués depuis longtemps et mis en évidence en France, au moins depuis les travaux de Villermé sur la mortalité, dès le XIXe siècle. A l’échelon national et de manière plus systématique, la mortalité différentielle selon la catégorie socio-professionnelle a été mesurée en France dans les années 1960 (Calot G. et al., 1965 ; Desplanques G., 1993 ; Mesrine A., 1999) ; l’espérance de vie à 35 ans des hommes cadres supérieurs était supérieure de presque 8 ans à celle des manœuvres. En quarante ans la mortalité a diminué pour toutes les catégories sociales mais les écarts entre groupes extrêmes ne se sont pas sensiblement modifiés.
LES DIFFÉRENCES DE MORTALITÉ ENTRE GROUPES SOCIAUX
9Par rapport aux autres pays européens, les disparités de mortalité entre groupes sociaux sont élevées en France, et plus accentuées pour les hommes que pour les femmes. Les estimations sont faites à partir d’un échantillon de Français issu du recensement de 1982 âgés à cette époque de 30 à 64 ans et dont les décès ont été observés de 1982 à 1996 (Mesrine A., 1999).
10Pendant cette période, la probabilité pour les hommes de décéder entre 35 et 65 ans a été, de 13% pour un cadre supérieur, de 17% pour un cadre moyen, de 24,5% pour un ouvrier qualifié, et de 29% pour un ouvrier non qualifié, qui a donc deux fois et demi plus de risque de décéder qu’un cadre supérieur. Pour les femmes actives, l’ordre des probabilités de décès selon la profession est le même que celui des hommes, mais d’une part, cette probabilité est inférieure à celle des hommes pour toutes les catégories et, d’autre part, l’écart entre catégories extrêmes est moins marqué que pour les hommes : de 6,5% de risque de décéder entre 35 et 65 ans pour une femme cadre supérieur, à 11% pour une femme ouvrière non qualifiée, soit 1,7 fois plus, versus 2,2 pour les hommes.
11Les différences de mortalité entre hommes et femmes exerçant la même profession sont plus accentuées pour les ouvriers non qualifiés que pour les cadres supérieurs. La mortalité des hommes, comprise entre 1,6 et 1,7 fois celle des femmes pour les groupes favorisés est 2,5 fois plus importante que celle des femmes pour les groupes moins favorisés.
12Cette information peut être étendue à une tranche d’âge plus large, 30-75 ans, en considérant l’indice standardisé de mortalité. Cet indice comparatif élimine l’effet des structures par âge : c’est le rapport du nombre de décès observé au nombre de décès qui aurait été observé dans le groupe si la mortalité avait été celle de la population générale. Cet indice vaut 1 pour l’ensemble des hommes ou des femmes; il varie, pour les hommes, de 0,60 pour les cadres supérieurs et les professions libérales à 1,30 pour les ouvriers non qualifiés, et pour les femmes actives, de 0,71 pour les cadres supérieurs à 1,18 pour les ouvrières non qualifiées. Des écarts aussi importants sont observés selon le niveau de diplôme et l’exercice ou non d’une profession.
LA MORTALITÉ NE RECOUVRE PAS LA MORBIDITÉ MAIS ELLE VARIE DANS LE MÊME SENS
13Pendant longtemps, ces indicateurs de mortalité, ou d’autres (par exemple, taux de mortalité infantile), ont été utilisés pour apprécier l’état de santé des populations. Cependant, la mortalité, tout en représentant un axe important de la morbidité, est insuffisante pour décrire cette réalité complexe. Des pans entiers de la morbidité n’entraînent pas ou peu de décès; ils n’en sont pas moins importants par les incapacités et les souffrances qui en résultent. Leur impact sur la mortalité n’est pas proportionnel à leurs conséquences sur la qualité et les conditions de vie. Suivant l’importance relative des causes de décès d’une part, des états morbides d’autre part, la mortalité pourrait théoriquement s’avérer élevée dans un groupe où la morbidité serait faible et inversement. En fait aucun groupe social ne présente simultanément une mortalité élevée et une morbidité faible (Desplanques G. et al., 1996).
14Parallèlement à la mortalité, à chaque âge, l’état de santé des ouvriers est plus dégradé que celui des cadres. Ceci se vérifie, aussi bien sur les indicateurs synthétiques d’état de santé comme le vieillissement relatif ou le niveau de dépendance que sur des données encore parcellaires par pathologie.
LE VIEILLISSEMENT RELATIF (LA MORBIDITÉ)
15Pour comparer les états de santé des groupes sociaux, nous nous référons au concept de vieillissement relatif d’une personne, qui s’apparente à la notion intuitive d’être jeune ou vieux pour son âge [2]. Nous utilisons deux estimateurs de ce concept, tous deux établis au niveau de chaque personne : l’un à partir des répercussions probables des maladies, l’autre basé sur des analyses biologiques et des épreuves fonctionnelles.
LE VIEILLISSEMENT RELATIF
16Le vieillissement relatif a été mis en œuvre dans les enquêtes effectuées auprès des ménages, sur la santé et la consommation médicale. De nombreuses informations sont recueillies sur les maladies et sur la nature et les motifs des recours aux soins. Etabli dans une optique pronostique et proche de la démarche médicale par sa construction, cet indicateur est défini au niveau des personnes et intègre les notions de gravité et d’association de maladies. Sont considérées comme graves les maladies qui risquent d’entraîner la mort à plus ou moins long terme ou qui génèrent des incapacités. Dans cette optique, on peut tenir compte de situations limites ou d’affections dont l’effet de gravité n’apparaîtra que dans un avenir éloigné, en les plaçant à un niveau de gravité moindre. La gravité cumulée de l’ensemble des maladies dont souffre chaque personne est résumée dans une synthèse établie par un médecin sur l’état de santé de chaque personne.
17Cette synthèse pronostique des différentes maladies, déficiences et infirmités d’une personne est traduite dans un indicateur à deux dimensions, risque vital et invalidité. L’estimation de cet indicateur est donc située et datée; compte tenu de l’évolution des connaissances et des traitements, un même tableau pathologique donne lieu à des estimations de gravité différentes à vingt ou trente ans d’intervalle.
18Le pronostic vital porté par le médecin traduit le risque connu pour chaque personne du fait de ses affections et/ou infirmités. La bonne santé étant, selon cette composante, de ne pas être porteur de maladies ou d’infirmités engageant le pronostic vital.
19L’invalidité comporte aussi un élément pronostique puisque, établie à un moment donné, elle évalue les handicaps jugés permanents par les enquêtés et/ou les médecins, tandis que les gênes inhérentes à un épisode aigu (varicelle, entorse, grippe, etc.) sont exclues.
20Compte tenu des différences importantes entre les hommes et les femmes, tant sur le plan de la mortalité que de la pathologie, les deux sexes sont traités séparément.
21Si les composantes de l’état de santé sont fortement liées à l’âge, de fortes différences se rencontrent fréquemment entre personnes de même âge : certaines présentent une invalidité et/ou un risque vital nettement inférieurs à la moyenne de leur classe d’âge et inversement, les plus gravement malades dans une classe d’âge peuvent présenter une invalidité et/ou un risque vital proche de ceux de personnes de 10,15 ou 20 ans plus âgées qu’elles.
22La connaissance simultanée pour chaque personne, de son âge, de son invalidité et de son risque vital permet d’approcher la notion de « vieillissement prématuré » ou, au contraire, de « vieillissement retardé »: on définit un âge modifié, appelé âge morbide, qui tient compte, outre l’âge civil déterminé par la date de naissance, de l’état de santé comparé à l’état de santé moyen des personnes de même âge. Ainsi, l’âge morbide des personnes en relativement bonne santé est inférieur à leur âge civil et inversement, les personnes en relativement mauvaise santé ont un âge morbide supérieur à leur âge. Le vieillissement relatif d’une personne est la différence entre son âge morbide et son âge civil, il est exprimé en années (Cf. annexe 1).
DIFFÉRENCES SOCIALES DE VIEILLISSEMENT RELATIF
23L’analyse du vieillissement relatif des différents groupes sociaux conduit à des résultats parallèles à ceux obtenus sur la mortalité différentielle (Cf. graphique 1).... Ainsi, les cadres ont un vieillissement retardé de 1,3 ans pour les hommes et de 1,9 ans pour les femmes; en sens inverse, les employés dans le commerce et les services présentent un vieillissement prématuré de 2,1 ans pour les hommes et de 1 an pour les femmes. Les ouvriers spécialisés accusent respectivement un vieillissement prématuré de 2 ans et 1,5 ans, les ouvriers qualifiés, de 0,9 an et 0,5 an.
Vieillissement relatif selon la catégorie socio-professionnelle individuelle (adultes, données d’enquêtes auprès des ménages - ESPS)
Vieillissement relatif selon la catégorie socio-professionnelle individuelle (adultes, données d’enquêtes auprès des ménages - ESPS)
24De même que pour la mortalité les différences sociales sont moins marquées pour les femmes que pour les hommes. L’écart entre les deux groupes extrêmes est de 4 ans pour les hommes et de 3,3 ans pour les femmes et montre à la fois un vieillissement prématuré pour les salariés les moins qualifiés et un vieillissement retardé maximum pour les cadres; les autres catégories s’étagent entre ces deux extrêmes.
25La ventilation selon d’autres caractères sociaux (niveau d’instruction, revenu, mode de protection, ...), confirme l’importance du vieillissement prématuré pour les moins favorisés et l’existence, quel que soit le critère, d’un continuum social.
26Ainsi, l’état de santé s’améliore lorsque le niveau d’instruction s’élève; l’effet est plus fort pour les hommes que pour les femmes, l’écart entre les classes extrêmes est de 2,6 ans pour les hommes et de 2 ans pour les femmes.
27Le vieillissement relatif est également lié à l’occupation principale, les chômeurs présentent un vieillissement plus précoce que les actifs, de 2,9 ans en moyenne pour les hommes et de 2,6 ans pour les femmes. Notons l’important vieillissement précoce des hommes au foyer (3,1 ans) dont la majorité le sont pour raisons de santé, ce qui n’est pas le cas des femmes.
28Les facteurs défavorisant se cumulent, et l’écart moyen entre les cadres supérieurs actifs et les ouvriers spécialisés (ou les employés de commerce ou de service) inactifs atteignent près de 6 ans (deux sexes réunis).
L’INDICATEUR BIOLOGIQUE ET FONCTIONNEL DU VIEILLISSEMENT
29Une autre méthode d’estimation du vieillissement consiste à comparer l’âge biologique et l’âge civil, l’âge biologique étant établi à partir de résultats à une batterie d’examens, analyses biologiques et épreuves fonctionnelles.
30Les résultats sont issus de bilans de santé effectués dans les centres d’examens de santé de la Sécurité sociale auprès d’assurés volontaires et de leur famille dans la France entière (Cf. annexe 2).
31L’indicateur de vieillissement varie entre les cadres supérieur et les ouvriers, de 3 ans pour les hommes et de 2,4 ans pour les femmes (Cf. graphique 2).
Indicateur du vieillissement selon la catégorie socio-professionnelle individuelle (adultes, données d’examens fonctionnels et d’analyses biologiques - CMP)
Indicateur du vieillissement selon la catégorie socio-professionnelle individuelle (adultes, données d’examens fonctionnels et d’analyses biologiques - CMP)
32L’ordre des professions de salariés selon l’indicateur de vieillissement est identique à celui selon le vieillissement relatif. Cependant l’écart entre professions est plus important pour les hommes en terme de vieillissement relatif et pour les femmes en terme d’indicateur de vieillissement.
MORTALITÉ À MÊME VIEILLISSEMENT RELATIF SELON LA PROFESSION
33Les professions se hiérarchisent dans le même ordre selon la mortalité et le vieillissement relatif, des cadres supérieurs qui ont les indices les plus favorables aux ouvriers qui ont les moins bons; plus les groupes sont défavorisés, plus ils « vieillissent » vite et meurent tôt.
34Dans quelle mesure ces différences de mortalité résultent-elles du vieillissement différentiel ? La forte mortalité des groupes défavorisés découle-t-elle essentiellement de leur vieillissement prématuré ? Ou le vieillissement prématuré se conjugue-t-il de plus avec une plus forte mortalité pour un même état de santé ? Autrement dit, pour un même âge et un même vieillissement relatif, la mortalité est-elle de même niveau dans les différents groupes sociaux, ou dans l’hypothèse inverse, à même état de santé, les taux de mortalité sont-ils supérieurs pour les groupes défavorisés ?
CADRE DU MODÈLE ET HYPOTHÈSES
35Comme les démographes, nous retenons l’hypothèse, largement vérifiée par l’observation, que dans nos sociétés la mortalité des adultes augmente de plus en plus rapidement avec l’âge et que cette croissance est de forme exponentielle, à des niveaux différents pour les hommes et les femmes. L’allure de cette croissance avec l’âge et le sexe est la même pour les différents groupes sociaux : pour un âge donné, la probabilité de décéder d’une personne appartenant à une catégorie favorisée est égale à celle d’une personne appartenant à une catégorie défavorisée, mais plus jeune de plusieurs années.
36Le modèle postule alors que cet écart peut se décomposer en deux éléments :
- l’un dû au vieillissement relatif, retardé pour les groupes favorisés, qui entraîne un effet mécanique, sur la mortalité;
- l’autre est un écart résiduel, qui n’est entraîné ni par les différences d’âge ni par celles de vieillissement relatif, mais par les conditions plus générales de vie, les comportements, les accidents éventuels, la quantité et/ou la qualité des soins, les façons de se soigner…
37L’application de ce modèle permet d’estimer la mortalité différentielle des catégories sociales, une fois éliminé l’effet des structures par âge, en séparant la part due au vieillissement relatif de celle, résiduelle, qui n’est due ni à l’âge, ni au vieillissement relatif (Cf. annexe 3).
RÉSULTATS
38Les différences d’âge et de vieillissement relatif ne suffisent pas à expliquer totalement les différences sociales de mortalité : les écarts de mortalité après élimination de l’effet de l’âge et du vieillissement relatif, varient selon les groupes sociaux dans le même sens que les écarts de mortalité standardisés seulement par l’âge, mais leur amplitude de variation est plus réduite (Cf. tableau 1).
Écart relatif de mortalité et vieillissement relatif selon la catégorie socio-professionnelle (personnes de 30 à 75 ans)
Écart relatif de mortalité et vieillissement relatif selon la catégorie socio-professionnelle (personnes de 30 à 75 ans)
39La probabilité de décéder d’un ouvrier de 50 ans par exemple est la même que celle d’un cadre supérieur de 58 ans. Il en est de même pour tous les âges entre 30 et 75 ans.
40Ce décalage d’années, correspondant à une même probabilité de décès, ne serait pas dû uniquement à la différence d’état de santé mais aussi à d’autres facteurs favorables ou défavorables pesant sur la mortalité : l’environnement social et professionnel des cadres supérieurs, leur mode de vie, leur utilisation du système de soins, leur permettant, pour un même vieillissement relatif de réduire leur mortalité par rapport aux groupes moins favorisés. Alors que c’est l’inverse pour les ouvriers dont la mortalité est encore supérieure à ce que laisserait supposer leur vieillissement prématuré, des facteurs défavorables augmentant leur probabilité de décès. Les professions intermédiaires sont dans une situation relativement favorable, tant pour la mortalité (la probabilité de décéder d’un homme exerçant une profession intermédiaire de 50 ans est la même que celle d’un ouvrier de 55 ans), que pour l’influence des facteurs externes.
41Pour les agriculteurs, les employés et les indépendants, les écarts de mortalité peuvent s’expliquer uniquement par l’effet mécanique des écart de vieillissement relatif, comme on peut le voir sur le graphique 3 : les points qui les représentent ne s’écartent pas significativement de la diagonale (à deux écarts-types près, Cf. graphique 3).
Écart relatif de mortalité et vieillissement relatif par catégorie
Écart relatif de mortalité et vieillissement relatif par catégorie
42Pour les femmes, les écarts de mortalité relative entre groupes sociaux sont plus proches de ceux du vieillissement relatif, mais ils restent élevés. La probabilité de décéder d’une ouvrière de 50 ans est la même que celle d’une femme cadre supérieur de 55 ans. Comme pour les hommes, il en est de même pour tous les âges entre 30 et 75 ans.
43Le rôle des facteurs favorables limitant l’impact mécanique du vieillissement relatif sur la mortalité est plus marqué pour les femmes exerçant des professions intermédiaires que pour les femmes cadres supérieurs. Cette moins bonne position relative des femmes cadres supérieurs par rapport aux professions intermédiaires a déjà été soulignée sur d’autres plans liés à la santé (Mizrahi A. et al., 1998).
44Pour les hommes 42% des écarts sociaux de mortalité seraient mécaniquement entraînés par le vieillissement relatif et pour les femmes 54%; ceci peut s’expliquer en partie par les risques d’accidents plus élevés des hommes, mais aussi par le meilleur suivi médical des femmes qui utilisent plus et peut être plus efficacement le système de soins que les hommes.
45Les différences entre groupes sociaux peuvent aussi s’exprimer en termes d’indices de mortalité standardisés par âge et vieillissement relatif. Les positions des différents groupes les uns par rapport aux autres sont évidemment conservées (Cf. tableau 2).
Indices de mortalité standardisés par âge et vieillissement relatif selon la catégorie socio-professionnelle (personnes de 30 à 75 ans)
Indices de mortalité standardisés par âge et vieillissement relatif selon la catégorie socio-professionnelle (personnes de 30 à 75 ans)
46Nous avons appliqué le même modèle sur l’indicateur de vieillissement issu des bilans de santé (même si les les limites d’âge sont différentes).
47Les résultats obtenus par catégorie socio-professionnelle confirment ceux présentés ci-dessus en particulier sur les poins suivants :
- pour les salariés, l’ordre des professions est le même, non seulement pour la mortalité et le vieillissement relatif, mais aussi pour la mortalité à âge et vieillissement relatif comparables;
- l’impact mécanique du vieillissement sur la mortalité est plus fort pour les femmes que pour les hommes.
RÉSERVES : NATURE ET QUALITÉ DES DONNÉES
48Les données de mortalité sont longitudinales, alors que celles de morbidité sont transversales, avec une double conséquence :
- Mortalité et morbidité ne recouvrent pas les mêmes périodes, la mortalité se référant à une cohorte sur une longue période, la morbidité étant celle d’une population de différents âge à un moment donné.
- Une personne peut changer de catégorie sociale ; or cette modification peut être liée à l’état de santé; une bonne santé favorisant la promotion sociale, alors qu’une santé fragile peut entraîner stagnation ou déqualification. Le relevé de cette variable pour une cohorte, en début de période, ou pour une population à un moment donné entraîne des biais difficiles à mesurer, les mobilités sociales et leurs relations avec l’état de santé étant mal connues.
- La qualité des résultats est dépendante de la qualité des données de morbidité (la mortalité, comme l’âge sont plus facile à relever). Ces informations, recueillies auprès des ménages, sont parfois incomplètes (alcoolisme par exemple), et ce biais n’est pas uniforme, les ouvriers répondant moins bien que les couches moyennes. On peut donc penser que les écarts de vieillissement relatif sont légèrement sous estimés.
- Pour des raisons techniques, la cohorte sur laquelle est estimée la mortalité est constituée des seuls Français nés en France, alors que la morbidité est relevée pour l’ensemble des personnes résidant en France, Français et étrangers.
LA CONSOMMATION MÉDICALE
49Comme la mortalité, la consommation médicale totale croît avec l’âge et avec le vieillissement relatif, selon une fonction exponentielle. Pour comparer la consommation médicale des différents groupes sociaux, il est nécessaire de tenir compte de leur structure par âge et leur état de santé et on calcule à partir de là des indices de consommation médicale standardisés (Cf. tableau 3). Nous utilisons les données de l’appariement de l’Enquête sur la Santé et les Soins médicaux du CREDES (1992-1995) avec l’Echantillon Permanent d’Assurés Sociaux de la CNAMTS (1995) (Com-Ruelle L. et al., 1999).
Indices de concommation médicale standardisés par âge et vieillissement relatif
Indices de concommation médicale standardisés par âge et vieillissement relatif
50L’indice de la consommation médicale totale est de 0,90 pour les cadres supérieurs et de 1,16 pour les ouvriers non qualifiés; les autres catégories sociales s’étagent entre ces deux extrêmes. La consommation médicale totale varie donc légèrement en sens inverse du niveau social. Ce faible effet est la résultante de deux variations en sens contraires, augmentation des soins de ville avec le niveau social, et au contraire, diminution de l’hospitalisation.
51Ces agrégats, consommation médicale totale, hospitalisation, soins de ville, sont eux-mêmes des sommes de soins de nature très variée (hospitalisation en court, moyen ou long séjour, soins de généralistes, de spécialistes, de dentistes, d’auxiliaires, médicaments, analyses biologiques, ...). Plus on détaille, plus les gradients sociaux de consommation sont différents; ainsi par exemple pour les cadres supérieurs, la dépense de soins de spécialistes est de 69 % supérieure à celle des ouvriers non qualifiés, alors que leur consommations pharmaceutique est de 19 % inférieure.
52La consommation médicale des groupes moins favorisés (ouvriers, employés, chômeurs, intérimaires, personnes à faible niveau d’instruction, à petits revenus, ...) est inférieure à la moyenne pour la consommation de soins de ville mais plus importante pour l’hospitalisation. En matière de soins de ville, leur consommation est faible sauf pour les soins de généraliste, d’infirmier et la pharmacie prescrite ; inversement les groupes favorisés ont une consommation plus élevée que la moyenne pour les soins de spécialistes, de dentistes, la biologie, la pharmacie non prescrite et des dépenses moins élevées d’hospitalisation.
53Les dépenses globales de soins médicaux ont des niveaux proches mais recouvrent des structures de soins très différentes et co-existent avec de forts gradients de morbidité et de mortalité (Mizrahi A. et al., 2001).
54Au terme de ce travail, un vieillissement plus rapide de toutes les catégories sociales, par rapport aux cadres supérieurs, a été mis en évidence. Ce vieillissement prématuré s’échelonne, selon les catégories sociales, dans le même ordre que la mortalité et sont plus marquées pour les hommes que pour les femmes. Mortalité et vieillissement relatif sont liés à de nombreux facteurs : conditions de vie et de travail, niveau d’instruction, revenu, chômage, couverture sociale, etc. Ces caractéristiques sont souvent concomitantes et conjuguent leurs effets, mais, au-delà de deux facteurs, l’effet additionnel sur le vieillissement relatif n’est plus observable du fait du petit nombre d’observations.
55Néanmoins, le vieillissement prématuré n’explique qu’une partie de la mortalité différentielle : le reste n’étant plus dû, ni aux structures par âge, ni à la morbidité différentielle. Cette part de la mortalité non expliquée par le vieillissement relatif peut-elle être comprise comme un effet du système de soins ? et plus particulièrement des différences de consommation médicale à même morbidité ? La Sécurité sociale a permis un accès généralisé aux soins médicaux; cependant, la consommation médicale diffère selon les catégories sociales, non pas tant en niveau de dépenses qu’en nature et peut-être en qualité des soins reçus ; il semble en effet que les gradients de morbidité et de mortalité soient parallèles à un recours aux soins médicaux plus ou moins retardé et à une préférence pour une médecine moins spécialisée. La question toujours en suspens est de savoir dans quelle mesure des soins plus précoces et plus spécialisés peuvent limiter la dégradation plus rapide de l’état de santé. Quelles actions doit-on mener pour inciter l’ensemble de la population à faire davantage appel à la prévention et aux soins précoces et améliorer la qualité des soins pour tous ?
56Mais le système de soins ne peut être tenu pour seul responsable de la permanence des inégalités sociales de morbidité et de mortalité et les recherches doivent aussi porter sur l’effet des conditions de vie, du niveau d’instruction, de l’environnement...
ANNEXE 1 : LE VIEILLISSEMENT RELATIF (Mizrahi A. et al., 1996)
57Les classes de risque vital et d’invalidité sont ordonnées selon des critères médicaux, sans unité de mesure définie à priori. Pour modéliser les relations âge, pronostic vital et invalidité on affecte à la distance entre deux classes consécutives la mesure la plus simple, l’unité. Des relations linéaires fortes apparaissent entre le risque vital, l’invalidité et l’âge.
58Sur des effectifs de plusieurs milliers de personnes (données de l’Enquête sur la Santé et la Protection Sociale du CREDES, 1996-98, (Aligon A. et al., 2001 ; Com-Ruelle L. et al., 1999). Les relations linéaires entre âge, risque vital et invalidité, s’expriment par deux équations :
59En appelant AM(i) l’âge morbide et A(i) l’âge d’une personne i, L’âge morbide ainsi défini d’une personnes i est égal à son âge corrigé de son état de santé défini par les niveaux relatifs de son risque vital et de son invalidité par rapport à ceux moyens de sa classe d’âge.
60AM(i) = A(i) + a * (RV(i) – RVA) + b * (Inv(i) – InvA), avec pour chaque âge, RVA = moyenne(RV) ; InvA = moyenne(Inv)
61Une personne en meilleure santé que la moyenne de sa classe d’âge aura un âge morbide inférieur à son âge civil, et réciproquement ; pour chaque classe d’âge, la moyenne de l’âge morbide est égal à l’âge. En appelant VR(i) le vieillissement relatif d’une personne i : VR(i) = AM(i) – A(i)
62Principales caractères statistiques de VR : moyenne = 0, médiane = – 1,3 ans, premier quartile = – 6,5 ans, troisième quartile = 6,7 ans, écart type = 10,5 ans.
63D’après ce modèle, et conformément à ce qu’on sait par ailleurs, sur les maladies dont souffrent les hommes et les femmes, les hommes « vieillissent » plus vite par un accroissement de leur risque vital, alors que les femmes sont davantage invalidées.
ANNEXE 2 : L’INDICATEUR DE VIEILLISSEMENT (Guegen R., 2002)
64 Parmi les 254434 personnes âgées de 25 à 79 ans examinées en 1995 dans les centres d’examen de santé, un échantillon de référence de 24510 personnes supposées en bonne santé et sans risque sanitaire connu (ne fumant pas, buvant moins de 44 grammes d’alcool par jour, ayant un index de masse corporelle inférieur à 35, ne suivant aucun traitement et pour lequel aucune recommandation d’examen ou de suivi n’a été faite à l’issue du bilan) a été sélectionné.
65Cet échantillon est utilisé pour étalonner les résultats considérés comme normaux pour les différents âges. Les examens retenus sont la tension artérielle, la capacité respiratoire, l’indice de masse corporelle, le niveau d’audition, le nombre de dents saines, les constituants du sang (cholestérol total, triglycérides, glucose, hémoglobine) et MCV. Des régressions multiples entre l’âge et l’ensemble de ces variables, effectuées séparément pour les hommes et les femmes fournissent des valeurs théoriques normales pour chaque âge.
66Pour chaque personne l’indicateur de vieillissement est la différence entre son âge biologique (estimé à partir de ses résultats aux examens et des valeurs théoriques normales pour son âge) et son âge civil.
67La stabilité des références retenues pour les âges biologiques normaux a été contrôlée sur les années successives de 1995 à 1999.
68L’indicateur de vieillissement est calculé pour 87 729 hommes et 78 905 femmes de 45 à 74 ans ayant passé des bilans des santé en 1999 dans les Centres de Médecine Préventive.
ANNEXE 3 : UN MODÈLE DE LA MORTALITÉ PAR CATÉGORIE SOCIALE
69Le modèle, appliqué séparément pour les hommes et pour les femmes, est basé sur la probabilité pour un individu de décéder à un moment donné ; cette probabilité est fonction de l’âge, du vieillissement relatif et d’un facteur résiduel lié aux caractéristiques socio-économiques de la personne :
70 (1) Probabilité de décéder = f (âge, vieillissement relatif, facteur résiduel) + aléas Ce modèle est une extension du modèle des démographes, dit de Gomberz , qui spécifie que, pour les adultes, la probabilité de décéder varie de manière exponentielle avec l’âge :
71 (2) Probabilité de décéder = f (âge) + aléas, la fonction f étant exponentielle Cette relation, entre âge et probabilité de décéder, peux s’exprimer sous la forme inverse :
72 (3) Âge 0 = g (Probabilité de décéder) + aléas, la fonction g étant logarithmique dans laquelle à chaque taux de décès correspond un âge théorique moyen âge 0 de décès pour l’ensemble de la population.
73Une des manières classique d’estimer la mortalité différentielle, selon la catégorie socio-professionnelle par exemple, est de calculer les indices de mortalité standardisés par l’âge (ISM), on admet alors que la forme de la variation avec l’âge reste exponentielle et que c’est le niveau de la mortalité qui varie selon la catégorie socio-pro-fessionnelle :
74 (4) Probabilité de décéder = ISM pcs * f (âge) + aléas Cette relation entre âge et probabilité de décéder peux s’exprimer, pour chaque catégorie sociale, sous la forme inverse :
75 (5) Âge pcs = constante + g (Probabilité de décéder) + aléas Cette constante, qui mesure le lien entre la catégorie socio-professionnelle et la mortalité, est un écart social de mortalité standardisé par l’âge (ESM pcs) et s’exprime en années :
76 (6) ESM pcs = Âge pcs - Âge 0 Dans le modèle proposé ici, nous décomposons cet écart en deux éléments : le vieillissement relatif, VR, qui entraîne un effet mécanique, sur la mortalité, un écart résiduel, écart social de mortalité standardisé par l’âge et le vieillissement relatif (ESVR), soit, pour chaque catégorie sociale :
77 (7) ESM = VR + ESVR Du fait de la forme logarithmique de la fonction g, le modèle peut aussi s’exprimer sous la forme d’indices standardisés de mortalité :
78 (8) ISM = IVR* ISVR
79 avec ISM = indice de mortalité standardisé par l’âge,
80 IVR = indice de mortalité attribuable au vieillissement relatif,
81 ISVR = indice de mortalité standardisé par l’âge et le vieillissement relatif.
82Pour estimer les paramètres du modèle il suffit de disposer pour les mêmes groupes sociaux d’estimations du vieillissement relatif et des indices standardisés de mortalité.
83Comme groupe social nous utilisons les catégories socio-professionnelles pour lesquelles sont connus les indices standardisés de mortalité (données INSEE) et les vieillissements relatifs, séparément pour les hommes et les femmes et pour la même tranche d’âge de 30 à 75 ans (enquête ESPS du CREDES). Pour calculer ESM, on utilise les relations (4), (5) et (6), pour le rendre homogène au vieillissement relatif, on le centre en utilisant les mêmes coefficients que pour VR (effectifs, respectivement, de l’échantillon de l’enquête sur la santé et la protection sociale du CREDES ou des données des Centres de Médecine Préventive).
84Pour chaque catégorie socio-professionnelle, on obtient des estimations des écarts sociaux de mortalité standardisés par l’âge et le vieillissement relatif, qui éliminent en quelque sorte l’effet de l’âge et de la morbidité.
Bibliographie
BIBLIOGRAPHIE
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- MIZRAHI An.., MIZRAHI Ar. (2001). Longévité différentielle et consommation médicale, pp. 14-17, Epistula ALASS, N°42.
Notes
-
[1]
En entendant ce système comme celui de la distribution des soins médicaux au sens strict, hospitalisation, soins de ville et biens médicaux et non celui d’un système de santé au sens large englobant une grande part de l’activité sociale, de l’éducation au mode alimentaire en passant par le stress au travail et la pratique sportive.
-
[2]
Ou d’avoir « l’âge de ses artères ».