Notes
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[1]
81 % des Français souhaitent mourir chez eux.
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[2]
Chantier de recherche « J’y suis, j’y reste ! » conduit par Marie Delsalle au sein de Leroy Merlin Source, en partenariat avec Ag2r La Mondiale. Débuté en 2012, ce chantier de recherche se termine en 2017.
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[3]
Marie-Claire Mitout, entretien avec Pascal Dreyer, à propos de l’œuvre journal intime « Les plus belles heures », 11/11/2014, Lyon (document non publié). http://mcmitout.com/
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[4]
Difficile de ne pas penser à Françoise Dolto et Catherine Dolto-Tolitch (1989) et à leur fameux « complexe du homard ». Comme les adolescents, certains retraités font face à une mue, dans une étape de vie où ils peuvent éprouver le sentiment d’avoir été dépouillés de tous les signes qui constituaient leur identité précédente.
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[5]
« Le terme qui me paraît le plus caractéristique, et j’y insiste dans mon Manifeste, serait celui d’agonique – du grec, agôn, qui signifie la lutte, le combat. La vieillesse est l’âge de la lutte permanente, souvent féroce, sur tous les fronts, littéralement parlant “à la vie à la mort”, à chaque instant, pour persévérer dans son être, et préserver autant que faire se peut sa plénitude et son statut de personne humaine – face à elle-même et face aux autres » (extrait de l’entretien accordé à Pascal Dreyer par Roger Dadoun en 2006 et publié en ligne sur leroymerlinsource.fr).
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[6]
« À peine me rappelais-je mon enfance heureuse, ici, où je connus l’exquise habitude d’habiter, le prolongement de la peau en linges et habits, le durcissement de l’habit en meubles et murs. » (Serres, 2011).
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[7]
Bernadette Veysset n’a pas une lecture figée du logement ou du chez-soi à partir des notions de « repaire » et de « repères ». Ce qui est le cas bien souvent des proches et des professionnels qui sous-estiment les capacités d’adaptation et de création des personnes âgées. Mais ces dernières demandent d’être soutenues et accompagnées de manière spécifique pour affronter la mobilité et la transformation du repaire et des repères que forment ensemble le logement et le chez-soi.
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[8]
Geneviève Laroque a souvent utilisé cette expression lors de nos échanges et des comités de rédaction de Gérontologie et société.
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[9]
Article de Zeliha Chaffin.
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[10]
Dans ce même article, la journaliste du Monde rappelle que « lors de la Def Con, une conférence de hackers, qui s’est tenue en août [2016], les participants se sont amusés à pirater des serrures connectées pour montrer les failles de ces nouveaux objets ».
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[11]
« La maison se présente et se représente à [l’enfant]. Quelques traits d’un seul élan sans fléchir font des lignes droites et les droites font naturellement des maisons assez approchantes, avec porte, fenêtres et toit. Ce n’est pas difficile. On y ajoute le chemin, sinueux de préférence, amusant à faire, si nécessaire, si parlant comme trajet, et aussi comme élément premier d’orientation – précaution à ne pas oublier. L’enfant en ses dessins évoque la maison, la pense pour y aller, pour y retourner quand il le faudra, répète son plaisir d’y revenir, établit ses repères » (Michaux, 1983).
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[12]
Résultats enquête Chez soi, ses choix, à paraître.
1Rester chez soi pour y vivre jusqu’au bout de sa vie est le souhait d’une majorité de Français (ONFV, 2011) [1]. Mais que recouvre exactement ce souhait et quels espaces, lieux et territoires sont signifiés par les habitants eux-mêmes dans la notion de chez-soi ? L’histoire et les définitions du chez-soi et de l’habiter, convergentes dans leurs grandes lignes, peuvent présenter, selon les auteurs, des nuances appréciables (Besse, 2013 ; Cholet, 2015 ; Dadoun, 2015 ; Djaoui, 2014 ; Eleb, 2015 ; Ingold, 2013 ; Serfaty-Garzon, 2003). Ces différences tiennent autant aux champs disciplinaires de chacun des auteurs qu’aux dimensions personnelles qui colorent leurs analyses. Le chez-soi et l’habiter que nous connaissons, loin de relever de l’évidence naturelle, sont des constructions culturelles (Hall, 2014) façonnées et perfectionnées depuis la fin du XIXe siècle (Eleb, 1994).
2Ce numéro de Gérontologie et société va tenter d’apporter à la question du chez-soi dans le temps du vieillir une réponse, provisoire et partielle. Être temporel par essence, l’homme a cependant besoin de lieux où faire halte durablement ou passagèrement (Chrétien, 2014) à toutes les étapes de sa vie. Ces lieux sont en lien étroit avec la définition qu’il se donne de lui-même et avec les transformations qui l’affectent. Comment, à partir du passage à la retraite, les retraités puis les personnes âgées organisent-ils les espaces dans ce temps nouveau de la vie ? Quels sont les parcours qu’ils font dans leur logement, leur quartier, leur région ; puis de ces derniers à des logements plus ou moins désirés ou désirables ? Quelles sont les utopies qui fondent leur désir d’habiter qui ne sont celles ni de leurs parents ni de leurs enfants ? Quelles peurs traversent ce désir d’habiter au fur et à mesure de l’avancée en âge ?
Quatre motivations essentielles au rester chez soi
3Une recherche récente, conduite depuis 2012, met en lumière et questionne les quatre motivations des personnes âgées et très âgées à rester chez elles : la liberté, le confort, le bien-être et la prise de risque [2] (Delsalle, 2013, 2015). On reste chez soi parce qu’on y est libre de faire ce que l’on veut, comme on veut et quand on veut. Parce qu’on y éprouve un confort patiemment construit au fil des ans : l’espace du logement a été façonné pour s’ajuster au plus près des habitudes de vie et des manières de faire. Réciproquement, le corps s’est transformé au contact de ces lieux au point de se fondre en eux. On reste aussi chez soi, parce qu’on y éprouve un bien-être sans équivalent : on y goûte, par exemple, un repos que l’on retrouve rarement ailleurs. Enfin, on souhaite rester chez soi parce qu’on peut y prendre des risques avec le sentiment de ne pas se mettre en danger.
4Ces quatre grandes motivations n’ont rien de spécifique aux personnes âgées, sauf à considérer, ce qui est essentiel, leur inscription dans la profondeur du temps vécu. Être libre, éprouver le confort et le bien-être tels qu’on les désire et pouvoir prendre ses propres risques est aussi ce qui motive les adolescents à quitter le domicile familial et ce qui structure tout projet d’habiter. Mais dans le vieillissement, ces motivations expriment à un haut degré d’intensité l’identité profonde qui unit l’individu, la conception qu’il se fait de lui-même, ses valeurs et les espaces dans lesquels il vit/a choisi de vivre. Le logement n’est pas simplement, comme pour le jeune adulte, un lieu de transition vers d’autres logements qui accueilleront des transformations encore à venir. Il est devenu au fil du temps la manifestation concrète et immatérielle des liens tissés de soi à soi, de soi avec les autres et avec le monde. Comme le dit joliment l’artiste Marie-Claire Mitout, « le chez-soi est un point de vue sur le monde » [3].
5Vouloir vivre chez soi, ce n’est pas rester enfermé dans son logement. Là encore, les personnes âgées et très âgées sont des habitants ordinaires. Selon leurs ressources physiques, cognitives mais aussi sociales, culturelles et financières, rester chez soi c’est vivre à l’échelle de son îlot, de son quartier si ce dernier offre suffisamment de services et d’aménités, ou de sa ville. C’est se percevoir et se comprendre à l’échelle de sa région de vie ou de celle d’origine, et à celle de son pays ou d’un autre choisi (Cassin, 2013). Vivre chez soi, c’est donc vivre au sein de plusieurs échelles d’espaces et de temps, intimement mêlées. L’histoire du XXe siècle a fracturé nombre d’identités et détruit les chez-soi de millions d’individus qui ne cessent pourtant de les reconstituer à travers des familles et des individus par la force conjuguée de la mémoire, de la recomposition de leurs identités et de l’investissement des lieux où ils vivent (Cixous, 2016 ; Cixous et Wajsbrot, 2016 ; Dreyer, 2016).
Vivre et vieillir dans et avec son territoire
6Cette première partie explore les liens des habitants de plus de 65 ans à leur logement et à leur environnement. Leur profil est spécifique puisqu’ils sont 74 % à être propriétaires de leur logement en 2013. La maison individuelle ou l’appartement peuvent apparaître comme la concrétisation et l’accomplissement d’un parcours de vie.
7Hervé Marchal décrit ici l’attachement des habitants de plus de 80 ans à leur quartier, les ressorts du rester chez soi et les raisons de la faiblesse de la solidarité de proximité que constatent acteurs et habitants. Leur fort attachement à la maison individuelle ne se réduit pas à la sédimentation des souvenirs personnels dont elle serait le réceptacle et la trace. Bien au contraire il s’enracine dans un parcours de vie qui a vu ces habitants, pour la plupart modestes, s’arracher au monde rural et gagner de haute lutte, aux prix de sacrifices financiers, une autonomie et un mode de vie modernes dans les années 1960/70. Cet arrachement du milieu rural s’est construit autour du refus du contrôle social s’exerçant dans les petites communautés où tout le monde se connaît. Le grand âge venu, moins mobiles, plus dépendants de la « cordiale vigilance d’autrui », ces habitants éprouvent le désir d’une solidarité de plus grande proximité qui ne peut toutefois plus se construire. Leurs habitudes de vie les ont coupés définitivement des mécanismes anciens de solidarité. Le chez-soi, lieu du repli sur soi pour certains ou d’une petite socialité pour d’autres, est nettement défendu des intrusions. L’espace public y gagne en intensité, les échanges les plus denses se situant à cette échelle. Comme le souligne l’auteur, s’il « ne se passe pas grand-chose dans ces espaces en réalité, dans ce presque rien quotidien, il y a un presque tout existentiel pour ces personnes âgées ».
8De leur côté, Lionel Rougé et Annabelle Morel-Brochet, à rebours des approches de Christophe Guilluy (2009), constatent le même attachement et enracinement des plus de 75 ans dans le territoire périurbain francilien et l’absence de retour vers les centres-villes. Acteurs de la vie économique et sociale, les retraités de ces territoires font l’apprentissage d’une vie locale souvent inconnue avant leur passage à la retraite, avec des engagements associatifs et politiques forts. Leurs mobilités évolutives sont liées principalement à l’automobile, comme dans d’autres pays ayant connu le même développement urbain (Lord et Després, 2011). Celle-ci leur permet de se déplacer et d’organiser au fil du vieillissement, selon le degré d’acceptabilité des prises de risque, leurs déplacements vers les services et les aménités. Les seuils de rupture de cette vie dans le périurbain résultent de la dégradation de l’état de santé et de l’éloignement progressif, en temps et en distance, des ressources disponibles localement, qu’il s’agisse de services ou de la présence des proches ; des contraintes financières qui portent sur l’entretien ou l’adaptation du logement ; des possibilités offertes par le territoire pour pallier ou non la perte de mobilité automobile. C’est dire si les politiques municipales ou intercommunales en faveur de ces habitants vieillissants sont primordiales pour les accompagner dans leur désir de rester chez eux. Elles sont pourtant toujours largement insuffisantes car souvent le fruit du déni des élus locaux, eux-mêmes âgés (Bernard-Hohm, 2011).
9Enfin, Sylvie Renaut, Jim Ogg, Aline Chamahian et Ségolène Petite se proposent d’explorer le degré de satisfaction des propriétaires vis-à-vis du logement et de son environnement pour dégager ensuite les obstacles à son adaptation au vieillissement. Dans l’ensemble, cette étude des critères de satisfaction présentés dans les résultats de l’enquête nationale sur le logement de l’Insee en 2013 confirme l’appréciation globale positive des propriétaires quant à leur quartier. Selon les catégories sociales et les environnements concernés, les propriétaires apprécient le contexte dans lequel ils vivent au sens large. De la même façon, et même si cette satisfaction se répartit inégalement sur l’ensemble des critères retenus, les propriétaires sont satisfaits de leur logement. Cette analyse permet-elle toutefois de comprendre les obstacles à l’adaptation du logement dans le cadre du vieillissement ? Les auteurs relèvent que la plasticité de ce dernier et sa modularité constituent des atouts importants tout comme des revenus suffisants pour faire face aux dépenses d’entretien non prévues. Ils soulignent également que les enjeux de ces habitants âgés portent moins sur la compensation telle qu’elle est définie par la loi du 11 février 2005 et transmise par les professionnels, notamment les ergothérapeutes, que sur des enjeux de vie quotidienne délicats à appréhender : protection de l’intimité du conjoint dépendant et préservation de la vie de couple face aux intrusions humaines, sanitaires et technologiques.
10Ainsi, il semble bien que l’adaptation du logement soit davantage une conception encore abstraite des politiques publiques plutôt qu’une compréhension construite et socialement partagée des habitants. En généralisant et massifiant des normes définies pour les personnes en situation de handicap, notamment dans la construction neuve et le parc social, la loi du 11 février 2005 n’a pu répondre qu’à la marge aux besoins des personnes âgées et très âgées vivant chez elles, par méconnaissance de leurs conceptions de « l’habiter » et de leurs modes de vie réels. Ne s’étant pas accompagnées de la convergence entre les champs du handicap et du vieillissement, cette loi et les normes qu’elle entraîne avec elle sont perçues par nombre d’habitants âgés ou très âgés comme stigmatisantes et inappropriées. Elles entraînent la défiguration du lieu de vie, de la forme du chez-soi et donc de l’image intérieure de soi à un moment de l’existence où la stabilité de cette représentation est essentielle à l’individu pour faire face à des transformations existentielles majeures (Renaut et al., 2011).
Habiter chez soi : les mutations du domicile historique et de l’habitant
11Le passage à la retraite constitue une étape forte de la vie de l’individu. L’espace domestique, autrefois second, notamment pour les hommes, devient premier et doit accueillir les transformations psychiques et sociales de cette étape de la vie. Les reconfigurations à l’œuvre ne sont pas ou psychiques ou spatiales : ces deux dimensions s’enchevêtrent dans la vie de chacun, à la mesure du choix de vie fait à ce moment. En suivant le parcours de jeunes retraités qui ont fait le choix d’une activité ayant pour modèle l’activité professionnelle, Mélissa Petit note trois types de reconfigurations spatiales du domicile. La première est le maintien à l’identique des espaces et de la fonctionnalité des pièces car l’essentiel de l’activité se déroulant à l’extérieur, rien n’est modifié dans le logement pour l’individu et le couple. La deuxième est la création d’un « lieu à soi » (Woolf, 2016) dont la création et l’aménagement concrets viennent accompagner les réaménagements psychiques liés à la maturation de l’individu. Comme l’exprime un des interviewés, une pièce intime, non accessible à autrui, lui était nécessaire pour vivre cette transformation de soi dans le secret de son intimité [4]. Mais ce repli sur soi et dans un lieu à part n’est pas sans risque pour l’individu et le couple. La troisième reconfiguration des espaces est celle de la création d’un « bureau à tout le monde » où le couple et les membres de la famille de passage utilisent les mêmes équipements (meuble bureau et ordinateur). Ces reconfigurations peuvent se succéder dans le temps et s’articuler en fonction de l’évolution de chaque personne, du couple et des besoins auxquels le logement doit répondre (accueil temporaire ou durable d’un ascendant ou d’un descendant, vie sociale, etc.). Aucune anticipation du vieillissement physique et cognitif ne semble être présente à cette étape de la vie.
12Vingt ou vingt-cinq ans plus tard, le domicile n’est plus vécu de la même façon ni sur le même mode. L’un des conjoints a pu être hospitalisé, se trouver placé en institution ou décéder. C’est l’entrée dans « l’âge agonique » décrit par Roger Dadoun avec tant de force (2005) [5]. Catherine Piguet, Marion Droz Mendelzweig et Maria Grazia Bedin ont mené une enquête serrée et attentive chez des personnes de plus de 80 ans vivant seules. Elles soulignent avec un à-propos sensible et politique combien cette expérience du vieillir chez soi est méconnue des professionnels de l’intervention à domicile et des chercheurs dont les discours et interprétations recouvrent trop souvent cette dimension de lutte dans l’habiter au grand âge. L’essentiel de la vie chez soi réside dans le maintien, à travers les « gestes profonds » (Dreyer, 2015) qui ont fait et font l’identité de chaque personne, du sens de l’habiter chez soi. Ces gestes sont le support d’un équilibre fragile entre les risques vitaux et les menaces existentielles qui pèsent sur l’avenir immédiat. La lutte pour continuer à mener dignement et créativement sa vie se joue dans un ajustement permanent, peu parlé ou de manière très elliptique par les personnes elles-mêmes, avec les réalités psychiques, physiques et environnementales. L’équilibre entre risques vitaux et menaces existentielles se joue au plus concret, dans un quotidien banal : cuisiner, ranger, repasser, faire ses courses, voir des amis, etc. Les professionnels ont à entendre les enjeux du maintien de cet équilibre précaire : conserver sa dignité à ses propres yeux, maintenir son autonomie et une continuité biographique (Ennuyer, 2016). Et ils ont aussi à en accepter le poids de la charge existentielle. Les personnes âgées, dans le logement vécu comme un « vêtement durci » (Serres, 2011) [6], parfois trop, mènent un travail invisible dont la part inventive doit être reconnue pour donner sens à l’accompagnement des aménagements et des adaptations.
13On l’a vu avec le vivre chez soi des plus de 80 ans, professionnels et chercheurs ne peuvent pas toujours atteindre le réel de la vie de leurs interlocuteurs. Comment remédier à ce défaut lorsqu’il s’agit de concevoir une offre de logements tenant compte des besoins ordinaires et spécifiques des personnes vieillissantes et âgées ? Partant du constat du cloisonnement des chercheurs et des disciplines, des décideurs et des acteurs de l’habitat, du social et du sanitaire, une équipe de chercheurs québécois a élaboré un projet de recherche visant à « briser les silos ». L’article de Carole Després et al. fait le récit de cette démarche collaborative qui tente de faire émerger un consensus et des propositions à partir d’un partage des savoirs et des expériences des chercheurs, des acteurs professionnels et de la contribution des représentants des personnes âgées. Les conclusions de l’article appellent à la création de mécanismes de traduction des concepts des différents champs disciplinaires appelés à construire des solutions communes et des lieux virtuels de partage des connaissances. Mais le plus intéressant est la place que le dispositif « invente » pour les personnes âgées. Quelle que soit la difficulté à la construire et à la tenir, cette place des âgés dans les dispositifs de co-construction des solutions qui les concernent est essentielle. Elle seule peut permettre de comprendre comment se pensent et s’arbitrent des choix de vie, toujours mal vécus par les aînés et leurs proches car non appropriés. Ce qui se joue autour du logement et du chez-soi d’une vie ne peut pas relever uniquement d’un savoir théorique et de statistiques. Les expériences d’habiter singulières doivent être collectées et largement diffusées parmi les acteurs concernés et dans le corps social pour en montrer la variété et l’hétérogénéité. Si les statistiques (et donc les politiques publiques qui s’appuient sur elles) doivent trouver du sens, ce sera en s’incarnant dans la parole et dans les expériences concrètes des individus eux-mêmes et de leur entourage. L’article pointe que la notion de chez-soi, loin de se concentrer sur le seul logis ou domicile, embrasse, comme le montrent Lionel Rougé et Annabelle Morel-Brochet, Hervé Marchal et Sylvie Renaut et al., un territoire géographique et idéel plus large : l’îlot, le quartier et les services ; mais aussi le passé et ses légendes ; et enfin le futur.
Reconstruire le sentiment de chez-soi
14Tout au long de leur vie, les habitants âgés n’auront cessé, comme les plus jeunes aujourd’hui, de construire (mais peut-être que les verbes façonner ou sculpter seraient plus justes) la matière même de leur chez-soi. Ce dernier, à la fois espace(s) et temps, est une matière souple, fragile et résiliente, faite d’amalgames hétérogènes et uniques dont l’épaisseur est toute de transparences et d’opacités. Transparences de ce qui est donné à voir de soi aux autres dans les différents espaces et pièces du logement, en empruntant les codes d’un milieu social et de l’époque pour formuler la part communicable de l’identité et de la singularité revendiquée de chaque habitant. Opacités des lieux de l’intimité : étagères, placards et tiroirs secrets, chambre, salle de bains, lit où s’entassent pêle-mêle objets et gestes qui ne vont ensemble et n’ont de sens que dans la subjectivité de chaque habitant. Opacités aussi, même aux yeux de l’habitant lui-même, de certains objets conservés et dont le sens s’est perdu (Beldjerd et Tabois, 2014) mais dont l’importance reste sensible.
15Malgré une abondante littérature sur le chez-soi qui en marque le caractère mobile et inventif, y compris pour celui des personnes migrantes (Serfaty-Garzon, 2006), les lectures de celui des personnes âgées sont encore marquées par une conception figée dans le souvenir. Cette lecture du logement et du chez-soi fait de ces derniers des « repaires/repères » (Veysset, 1989, p. 32-37) intangibles [7]. Or, qu’il s’agisse de trouver un lieu de vie plus commode, plus proche de sa famille et plus sécurisant, de rejoindre une communauté partageant peu ou prou un même idéal de vie, ou enfin de se trouver au soir de sa vie, en EHPAD, la mobilité résidentielle dans le temps du vieillir implique de pouvoir façonner ailleurs et autrement un chez soi renouvelé dont la signification est forte. Même si la fin de vie est souvent gommée par la puissance publique et les promoteurs de ces nouveaux lieux de vie, le choix de l’un d’eux et la reconfiguration du chez-soi et du soi qui l’accompagnent s’inscrivent de manière résolue dans cette dimension existentielle. Pour construire ces choix ultimes (car plusieurs de ces lieux de vie peuvent s’enchaîner, pour lesquels l’implication et la détermination de l’habitant peuvent varier considérablement), l’habitant vieillissant ou âgé ne va pas appliquer les grilles définies par les professionnels et la loi.
16L’entrée en foyer-logement appartient à ce qui est désormais connu comme la « mobilité résidentielle d’ajustement » (Drosso, 2009). Les personnes vieillissantes qui font ce choix, interrogées par Anne-Bérénice Simzac, en ignorent généralement tout du statut médico-social. Les critères appliqués à ce choix résidentiel relèvent de la confiance dans l’informateur (le bouche-à-oreille joue un certain rôle dans la découverte de ce type de logement par les futurs habitants), de son emplacement, de sa proximité des commerces, de la qualité du cadre bâti et de l’environnement. Pas de différence donc avec les critères qualifiés par les propriétaires de plus de 55 ans pour exprimer leur satisfaction vis-à-vis de leur logement dans l’enquête logement de l’Insee. Ce choix s’inscrit donc dans le parcours résidentiel ordinaire, dans l’attachement au domicile historique, à sa reproduction plus ou moins complète et à sa reconfiguration. Dans cette dernière, ce qui semble nouveau, c’est certainement le poids affectif de certains renoncements (notamment lorsque les habitants quittent une maison individuelle pour un appartement : renoncements aux espaces, à des objets et meubles, à des formes de vie, nécessité de trier, de donner ou de jeter, etc.). Reconstruire son chez-soi consiste donc pour une part à déconstruire/se déconstruire, puis à recomposer les signes habituels de l’habiter, tout en restant tourné vers les autres. L’anticipation de certaines difficultés physiques est généralement présente.
17Une fois entrés dans l’un des habitats intermédiaires dont font partie les foyers-logements et les résidences services, les habitants s’approprient-ils les espaces collectifs dédiés à la vie personnelle et sociale, le lieu de vie étant généralement de petite taille ? Ces espaces sont fortement valorisés par les décideurs, les élus et les promoteurs de cet idéal et de ces formes d’habiter. On sait que les espaces intermédiaires occupent un rôle important dans les usages ordinaires de l’habiter (de la circulation entre les lieux aux « conversations de palier » en passant par la gestion fine des degrés de mise en contact avec l’intimité d’autrui, etc.) (Djaoui, 2016 ; Morley, 2006). Antoine Gérard note qu’il y a des habitants pour qui les espaces intermédiaires n’ont guère d’intérêt, leur vie sociale se poursuivant à l’extérieur comme lors du temps du domicile historique. Il y a ceux qui se les approprient de manière souveraine pour y conduire les activités qu’ils ont légitimées culturellement et socialement. Et enfin, il y a ceux qui ne peuvent y accéder que dans les creux laissés par le groupe d’habitants souverains car ils ne correspondent pas aux critères sociaux et culturels définis par ce groupe. Ce dernier a naturalisé les règles et les critères qu’il s’est fixés, et que les directions approuvent sans les discuter ni ouvrir des temps de médiation qui permettraient aux exclus de trouver une place véritable. Loin des visions et visées utopiques des promoteurs de ces projets, l’habitat intermédiaire révèle dans son quotidien, à une échelle réduite, les clivages profonds qui traversent la société et le fait qu’habiter se construit sur l’entre-soi. Un entre-soi aux conséquences qui peuvent être dramatiques lorsque les espaces se resserrent autour de l’habitant.
18Cécile Rosenfelder a porté son regard sur une communauté de sœurs franciscaines dont l’idéal et les pratiques religieuses ont structuré toute leur existence. Cet idéal et ces pratiques ont été soutenus par un ordre, des règles de vie commune et un long apprentissage réciproque de l’autre qui leur donnent un sérieux avantage pour envisager une vie communautaire différente pour leur vieillesse. Lorsqu’elles décident de la vivre dans le cadre d’un habitat autogéré, elles s’inscrivent dans un mouvement qui peut sembler proche de celui créé par Thérèse Clerc. Mais à la différence des Babayagas, elles n’ont pas à renoncer à une vie inscrite dans un logement personnel. Leur engagement dans la foi est indissociable de la vie communautaire. Elles connaissent de longue date les difficultés de partage et de gestion propre à ce choix de vie. Par ailleurs, la création de cet habitat autogéré vise à protéger des attaques extérieures (individualistes et laïques) un mode de vie fondateur. Même si elles rencontrent comme toute communauté des difficultés dans le vivre ensemble, elles savent surmonter différences et différends. La leçon de Cécile Rosenfelder rejoint celle de Monique Eleb et Sabri Bendimérad au sujet de la cohabitation (Eleb et Bendimérad, 2015). Si la qualité des espaces et des équipements intérieurs joue un grand rôle dans la possibilité de la cohabitation, le plus important réside toutefois dans la définition et le respect de règles communes ou dans ce que l’on pourrait appeler plus largement la création d’une vie institutionnelle de la communauté. Pour des communautés dont les membres n’ont pas vu leur intériorité façonnée par la définition, l’apprentissage et la mise en œuvre de règles de vie, la médiation s’annonce alors comme un impératif pour permettre aux habitants de vivre ensemble. Qui doit détenir l’autorité de cette médiation ? Comment l’instaurer puis l’effacer une fois les habitants en capacité de vivre de manière autogérée ? Est-il possible pour une communauté de vivre sans cette autorité ? Autant de questions auxquelles les expériences d’habitat participatif, au sens plus large, qui se développent actuellement en France, pourront contribuer à répondre à l’avenir.
19Pour les habitants qui ne pourront rester ni chez eux ni s’installer ou rester durablement dans un habitat « intermédiaire », la perspective de l’établissement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) apparaît souvent comme la solution et un repoussoir. Pourtant, ainsi que le montrent Fany Cérèse et Kevin Charras, de plus en plus d’établissements essaient de penser autrement leurs espaces intermédiaires et les usages qui leur sont associés, la qualité des matériaux employés et des équipements proposés, les ambiances et le rôle des équipes médico-sociales qui accompagnent les personnes. En un mot comme en cent ils essaient, dans les deux sens du mot, de « domestiquer » l’institution : contenir son ensauvagement institutionnel liée à la prééminence du sanitaire ; redonner aux personnes résidentes le sentiment d’un chez-soi (au sens là encore de repaire/repères). L’article ouvre ainsi à une réflexion dialectique qui réintègre le projet des EHPAD dans le corps social. D’un côté, ils doivent répondre à la question de ceux qui y vivent : « qu’est-ce qui est essentiel pour que j’éprouve le sentiment d’y habiter en tant qu’être humain qui va y finir sa vie ? ». D’un autre côté, ils doivent aussi répondre à la question des professionnels : « qu’est-ce qui est essentiel pour que je puisse y accomplir mon travail de manière satisfaisante, à la fois personnellement, car je suis en relation avec des personnes vulnérables et que cela peut m’affecter, et professionnellement, dans le cadre de l’institution ? ». L’article ouvre des pistes fécondes autour de la notion non pas de décoration mais d’ambiance. Et pour construire cette dernière, les auteurs insistent sur la nécessité de tenir compte de l’environnement social et des conceptions de la vieillesse comme de l’habiter des personnes accueillies.
Vers d’autres manières d’habiter : approches anthropologiques, politiques et technologiques
20Au terme de ce parcours, trois grandes questions se posent. Tout d’abord, l’émergence rapide et l’appropriation par le corps social et les médias des propositions d’habitat intermédiaire. Ensuite la question de l’habitat intergénérationnel dont Geneviève Laroque elle-même se méfiait. Elle n’hésitait pas à les qualifier avec humour de « programmes bébés sur mémés » [8], dans lesquels ni les tout-petits ni les plus âgés n’avaient vraiment choisi de se rencontrer. La problématique n’est-elle pas la même pour la rencontre étudiants-personnes âgées ? Enfin, la technologie s’affirme comme la réponse à tous les besoins définis pour les « seniors » ou les plus âgés. Confort, bien-être, sécurité, monitoring de santé, la promesse technologique embrasse tous les domaines de la vie. Comment les habitants s’en saisissent-ils ? Répond-elle au désir si puissant d’être libre, première motivation au rester chez soi ?
21De l’article comparatif d’Hélène Leenhardt sur l’habitat intermédiaire en France et en Allemagne, nous retiendrons deux éléments sur l’horizon du développement ancien et structuré de cette forme d’habitat dans les deux pays. La première concerne la dénomination. La France parle d’habitat intermédiaire, comme si ces formes d’habitat constituaient une sorte d’interstice ou de parenthèse dans le parcours résidentiel des habitants. Pourtant, on l’a vu avec l’article d’Anne-Bérénice Simzac, loin d’être vécus comme une parenthèse, ils sont assumés et vécus dans la continuité même du parcours résidentiel qu’ils prolongent insensiblement pourrait-on dire. L’Allemagne parle d’habitat alternatif soulignant par là, non le primat du cadre bâti et des services offerts, mais bien une manière alternative d’habiter. Cette autre manière d’habiter se définit par le maintien fort du lien social et donc du soutien à la capacité d’autodétermination des personnes. Ce constat ouvre à la seconde différence, notable. L’approche française du logement, du domicile et du chez-soi est dominée par la souveraineté de l’habitant, sa maîtrise sur ce qui entre et sort de chez lui. Le renvoi classique à l’étymologie de domicile par Émile Benveniste (1969) vient en appui de cette conception hégémoniste du maître de maison, chef de famille. Le domicile, lieu de la maisonnée, est celui de liens étroits et exclusifs. À l’inverse, chez les Allemands, le lieu de vie, le Heim, est le support des liens familiaux mais aussi sociaux de l’individu. Peut-être faut-il voir dans cette conception du chez-soi comme familier et extensif, l’une des sources de la dynamique politique, sociale et culturelle qui a présidé au développement significatif des formes d’habitats alternatifs en Allemagne.
22De la même façon, ainsi que les acteurs historiques français de ce domaine le constatent, l’habitat intergénérationnel peine à trouver son second souffle. L’analyse qu’en propose Sophie Némoz permet de revenir sur dix années d’enthousiasme médiatique, culturel via le cinéma, et de structuration progressive des acteurs autour de mécanismes de médiation permettant d’apparier étudiants et personnes âgées de manière harmonieuse. Ces expérimentations et innovations tentaient et tentent toujours de combiner le principe d’une solidarité entre des générations, inégales du point de vue économique, et de l’utilité sociale, notamment à travers la création de liens intergénérationnels censés combattre l’atomisation des vies contemporaines des plus jeunes et la solitude, voire l’isolement, des plus âgés. Le développement de ces formes d’habitat se heurte aux attentes, fortement divergentes, de générations placées aux deux extrémités du cycle de vie. Une typologie crue met en lumière les tensions et les non-dits à l’œuvre dans ces cohabitations devenues souvent au fil du temps des colocations : « le gîte néo-familial » ; « l’auberge espagnole » ; « la demeure gériatrique ». Le constat final est alors sans appel : l’habitat intergénérationnel réunit deux générations fragilisées que tout sépare et pour lesquelles il ne peut être qu’une solution parmi d’autres.
23À l’occasion de la dernière édition de la Foire internationale d’électronique grand public (IFA Berlin, 2015), le journal Le Monde notait que « la maison connectée se décline à toutes les sauces. Cafetière, machine à laver, réfrigérateur, four, thermostat […], rien ne semble échapper à cette tendance du tout connecté » [9]. Pourtant les professionnels du secteur reconnaissent un faible taux de pénétration du marché : à peine 2 ou 3 %. Les réticences des consommateurs tiennent à la fois aux coûts de ces innovations et à la crainte que le respect de la vie privée (utilisation des données collectées via les objets connectés) et la sécurité des biens et des personnes ne soient pas pleinement garanties [10]. Les résidences seniors constituent pour les innovateurs un terrain de jeu parfait pour expérimenter quelques-unes de ces solutions. Véronique Chirié et l’équipe du Tasda ont mené l’enquête dans une résidence senior dont la promesse de services et de confort s’appuie sur une offre technologique pointue et abondante. En amont de la question technologique proprement dite, les auteurs relèvent que la population ciblée par l’offre commerciale est bien celle qui a rejoint la résidence, soit des personnes retraitées ayant pris conscience de leurs premières difficultés mais conservant de fortes capacités d’adaptation et des personnes isolées ayant reconnu le poids de la solitude. Les auteurs notent au terme de leur analyse que si les technologies doivent répondre à des besoins avérés et objectivés, elles doivent aussi s’inscrire dans les usages et modes de vie des personnes. Pour cela un temps de formation (prise en main) et un accompagnement permanent semblent la clé du succès de leur appropriation et de l’autonomie des personnes. Cette autonomie est toutefois toujours dépendante de la qualité de la maintenance autour des accidents techniques et des oublis qui ne manquent pas de survenir. Ainsi le choix des solutions technologiques ne dépend-il pas seulement d’une évaluation objective des capacités et besoins de l’habitant mais surtout des usages qu’il en aura et du degré de personnalisation à définir. En effet, ces solutions technologiques, comme souligné à propos des logements-foyers par Anne-Bérénice Simzac, doivent s’articuler avec les choix personnels issus du domicile historique (abonnements à des services supplémentaires, continuité des abonnements technologiques précédents, etc.). Or ce n’est pas encore le cas. Les conclusions du travail de Véronique Chirié rejoignent ainsi celles des travaux de Gaétan Brisepierre concernant l’appropriation des bâtiments technologiques basse consommation (BBC) par des publics ordinaires (Brisepierre, 2013). Ces bâtiments exigent tout à la fois une appropriation de nouvelles technologies, des changements de comportements souvent ancrés profondément dans des habitudes de vie, et une réponse à des usages qui permettent de maintenir le sentiment de continuité du chez soi. Les publics âgés ne sont pas différents des publics plus jeunes. Ils ont besoin d’être soutenus et accompagnés dans l’appropriation de solutions auxquelles ils doivent donner un sens comme les autres.
Un habitant comme les autres
24Comme le décrit admirablement dans Les commencements le poète Henri Michaux (1983), l’enfant, dès ses premiers dessins, exprime avec force le vécu de la maison comme chez-soi, c’est-à-dire comme prolongement de soi [11]. Ce cheminement du dessin enfantin, l’adulte le prolonge dans son parcours résidentiel où toujours revient le même attachement au chemin sinueux, aux fenêtres, aux portes et au toit qui émergent de la page blanche puis du paysage et où la quête du chez soi est première. La « maison » au sens composite français de cadre architectural et de réunion des membres d’une même famille est un lieu de pensée et d’imagination (Bachelard, 2009 ; Goetz, 2011). Un lieu de construction de soi, de ses propres repères et de ses relations avec les autres. Un lieu où l’on ne cesse pas de revenir par le rêve, le désir, la pensée et l’action. Cette puissance d’évocation et d’attachement de la maison s’exerce jusqu’à la fin de la vie.
25L’allongement de la durée de la vie, les enjeux économiques des ménages comme de la collectivité et l’évolution des relations de solidarité et de dépendance réciproque au sein de la famille complexifient pour chaque individu l’appréhension de la fin de son parcours résidentiel. Concilier les différents temps de ce parcours qui peut se déployer dans un logement unique comme dans plusieurs, sur quelques années comme sur plusieurs décennies, est un enjeu qui tend à s’atomiser dans des politiques publiques cloisonnées et dans une information aux habitants rarement complète et cohérente. Jusqu’à présent, la communication autour de l’adaptation du logement au vieillissement a manqué ce qui fait l’essence même de l’habiter humain : la création incessante, fragile et essentielle, d’un chez-soi. Malgré les confusions de significations dans son usage que l’on peut noter chez les professionnels [12], les usages marketing qui en sont faits, l’émergence forte de cette notion indique une véritable prise de conscience.
26La première leçon de ce numéro affirme le caractère incontournable du chez-soi pour les habitants, quels que soient leur âge et leur situation de handicap ou de dépendance. Pour être justes et efficaces, les dispositifs d’accompagnement à venir devront prendre en compte les significations profondes et singulières qu’ils accordent à cette dimension qui se confond avec leur existence même. Et si le feuilletage logement/domicile/chez-soi qui traverse les politiques publiques (maîtrise des dépenses énergétiques, adaptation au vieillissement) doit aujourd’hui être repensé, c’est parce qu’il est au cœur des nouveaux besoins sociaux des habitants (travailler ou développer chez soi une activité économique, accueillir un proche malade ou dépendant, vivre à plusieurs en mutualisant des ressources par exemple). La seconde leçon de ce numéro est de proposer d’aller toujours davantage à la rencontre des habitants quel que soit leur âge pour mieux les comprendre. La dernière et la plus importante de ces leçons est que l’habitant âgé, quelles que soient ses difficultés, reste jusqu’au bout de sa vie un habitant comme les autres.
Bibliographie
Références
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Notes
-
[1]
81 % des Français souhaitent mourir chez eux.
-
[2]
Chantier de recherche « J’y suis, j’y reste ! » conduit par Marie Delsalle au sein de Leroy Merlin Source, en partenariat avec Ag2r La Mondiale. Débuté en 2012, ce chantier de recherche se termine en 2017.
-
[3]
Marie-Claire Mitout, entretien avec Pascal Dreyer, à propos de l’œuvre journal intime « Les plus belles heures », 11/11/2014, Lyon (document non publié). http://mcmitout.com/
-
[4]
Difficile de ne pas penser à Françoise Dolto et Catherine Dolto-Tolitch (1989) et à leur fameux « complexe du homard ». Comme les adolescents, certains retraités font face à une mue, dans une étape de vie où ils peuvent éprouver le sentiment d’avoir été dépouillés de tous les signes qui constituaient leur identité précédente.
-
[5]
« Le terme qui me paraît le plus caractéristique, et j’y insiste dans mon Manifeste, serait celui d’agonique – du grec, agôn, qui signifie la lutte, le combat. La vieillesse est l’âge de la lutte permanente, souvent féroce, sur tous les fronts, littéralement parlant “à la vie à la mort”, à chaque instant, pour persévérer dans son être, et préserver autant que faire se peut sa plénitude et son statut de personne humaine – face à elle-même et face aux autres » (extrait de l’entretien accordé à Pascal Dreyer par Roger Dadoun en 2006 et publié en ligne sur leroymerlinsource.fr).
-
[6]
« À peine me rappelais-je mon enfance heureuse, ici, où je connus l’exquise habitude d’habiter, le prolongement de la peau en linges et habits, le durcissement de l’habit en meubles et murs. » (Serres, 2011).
-
[7]
Bernadette Veysset n’a pas une lecture figée du logement ou du chez-soi à partir des notions de « repaire » et de « repères ». Ce qui est le cas bien souvent des proches et des professionnels qui sous-estiment les capacités d’adaptation et de création des personnes âgées. Mais ces dernières demandent d’être soutenues et accompagnées de manière spécifique pour affronter la mobilité et la transformation du repaire et des repères que forment ensemble le logement et le chez-soi.
-
[8]
Geneviève Laroque a souvent utilisé cette expression lors de nos échanges et des comités de rédaction de Gérontologie et société.
-
[9]
Article de Zeliha Chaffin.
-
[10]
Dans ce même article, la journaliste du Monde rappelle que « lors de la Def Con, une conférence de hackers, qui s’est tenue en août [2016], les participants se sont amusés à pirater des serrures connectées pour montrer les failles de ces nouveaux objets ».
-
[11]
« La maison se présente et se représente à [l’enfant]. Quelques traits d’un seul élan sans fléchir font des lignes droites et les droites font naturellement des maisons assez approchantes, avec porte, fenêtres et toit. Ce n’est pas difficile. On y ajoute le chemin, sinueux de préférence, amusant à faire, si nécessaire, si parlant comme trajet, et aussi comme élément premier d’orientation – précaution à ne pas oublier. L’enfant en ses dessins évoque la maison, la pense pour y aller, pour y retourner quand il le faudra, répète son plaisir d’y revenir, établit ses repères » (Michaux, 1983).
-
[12]
Résultats enquête Chez soi, ses choix, à paraître.