Notes
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François-Xavier Verschave, « On joue mieux avec un ballon gonflé », Revue Projet 2017/2 (N° 357), p. 45-51 (reprise d’un texte publié en 1999).
Le plus grand danger, dans les moments de turbulence, ce n’est pas la turbulence; c’est d’agir avec la logique d’hier.
1La Gestion des Ressources Humaines est, en 2018 comme depuis plusieurs années ainsi qu’en témoignent les éditions récentes des congrès de l’AGRH, sous le feu roulant des tensions et des innovations caractéristiques de la période d’intenses transformations que nous vivons. Celles-ci tentent de dépasser les limites économiques, sociales, écologiques et environnementales des modèles de développement de nos sociétés modernes et, plus récemment, de profiter des formidables opportunités en lien avec la révolution numérique.
2On qualifie la période de quatrième révolution industrielle, en insistant sur la métamorphose qui se profile. Dans une actualité foisonnante d’événements, de crises, d’initiatives, de débats, d’expertises, de postures, il est difficile de stabiliser les réflexions, les modèles, les notions et les concepts. Les évolutions à l’œuvre offrent des controverses souvent fécondes pour en exprimer le sens, exercice particulièrement difficile alors que chacun perçoit bien que le sens même des mots travail, emploi, entreprise peut être remis en cause par la métamorphose en cours, ce qui fait dire que la révolution en cours est aussi une révolution épistémologique. Ce qui explique aussi sans doute l’expression régulière d’un certain pessimisme quant aux chances de connaître une transition maîtrisée et réussie. Tout ceci procède et engendre en retour des recompositions profondes et multiples, potentiellement déstabilisatrices pour toute la société, qui interpellent la Gestion des Ressources Humaines dans tous ses champs d’expertise et de contribution à la performance des entreprises et des organisations.
3Agir. Expérimenter. Contextualiser.
4Complexité, volatilité, incertitude, ambiguïté, tensions sur les ressources ; autant de caractéristiques saillantes de notre contexte et de raisons d’inventer de nouveaux cadres d’action. Car l’action est nécessaire précisément parce qu’il faut se préparer à l’inconnu, ne pas être pris au dépourvu ; mais alors l’action consiste pour l’essentiel à explorer, expérimenter, tester de nouveaux modèles, se tromper, en tirer des capacités d’agir renouvelées, donner du pouvoir d’agir aux parties concernées, sur des enjeux qui font sens pour elles là où elles œuvrent, dans leur contexte. L’action expérimentale comme vecteur d’apprentissages collectifs (re)devient centrale. C’est le sens de notre référence, dans le sous-titre de notre appel à contribution, à la formule inspirée par l’historien Fernand Braudel [1] : « on joue mieux avec un ballon gonflé » pour signifier que le développement de nos sociétés démocratiques ne peut se passer d’un « étage intermédiaire, gonflé par les valeurs de l’échange et les jeux coopératifs à somme positive ». Le souffle pour gonfler ce fameux ballon, c’est la décentralisation de l’action, la subsidiarité, la conception du changement non plus comme un espace planifié de rationalisation descendante mais comme un espace expérimental où le développement des capacités locales est l’objectif premier. Pour approfondir ces questions, nous avons choisi d’orienter l’appel à propositions dans deux directions : l’expérimentation et la contextualisation.
5Foisonnement d’initiatives.
6Agir est nécessaire écrivions-nous plus haut. De nombreuses initiatives se prennent, particulièrement visibles pour ce qui concerne les réformes portées par l’action publique : droit du travail, de la formation, de la négociation collective et jusqu’à la réflexion amorcée sur la refondation de l’entreprise, invitant à sa déclinaison dans un objet social étendu pour rééquilibrer les rapports de forces entre détenteurs des actions (titres de propriété sur la société) et investisseurs en capital humain (les salariés, œuvrant dans la communauté de travail de l’entreprise).
7Les réformes du code du travail, en instituant une troisième voie autour de la concertation sociale dans les entreprises pour de nouveaux compromis sociaux – où il s’agit moins d’ouvrir des droits nouveaux pour le salarié et donc des obligations nouvelles pour l’employeur que d’innover dans la conception de nouvelles capacités de régulation dans l’entreprise – réinterrogent nombre d’acteurs, d’outils et de pratiques de gestion des ressources humaines et de management.
8Les entreprises elles-mêmes ne sont pas en reste pour en appeler à de nouveaux cadres d’action, mieux calés sur les sources de création de valeur de la coopération, de l’innovation, de la valorisation des capacités d’apprentissage individuel et collectif. Il s’agit ni plus ni moins, notamment dans de nombreuses (très) grandes entreprises, d’offrir une réponse alternative aux limites et aux désordres du travail tel qu’il est organisé, avec son cortège de symptômes désormais bien documentés : désengagement, défaillances productives, burn-out, etc.
9Les attentes sociétales enfin, largement relayées par la révolution numérique et le potentiel d’émancipation qu’elle suggère, font écho à ces différents courants transformateurs, et stimulent l’attention des acteurs sociaux pour canaliser des réponses crédibles à ces nouvelles attentes.
10Perspectives ouvertes.
11L’appel à contribution a généré plus de 225 propositions, parmi lesquelles 154 ont été retenues pour le Congrès de l’AGRH. S’efforçant de répondre à chacun des deux axes choisis, expérimentation et contextualisation, deux tables rondes, se saisissant aussi de l’invitation à expérimenter dans nos propres formats de travail en Congrès, vont venir approfondir des expérimentations sociales conduites en tant que telles dans différentes entreprises (Crédit Agricole, France Télévisions, Atlantic) et les questions que nous pose l’appréhension de contextes très spécifiques (police, urgence).
12Les papiers sélectionnés pour ce numéro spécial retiennent notre attention à de nombreux titres :
- Johan GLAISNER et Olivier MASCLEF « Du management bienveillant à la communauté de travail : le cas Yves Rocher », à travers la discussion d’une étude de cas très documentée, nous invitent à nous saisir des questions épistémologiques évoquées plus haut : la bienveillance n’est pas une notion en vogue, relayée par un marché du conseil dynamique. C’est l’expression d’une nécessaire relecture de ce qu’est le travail humain, le bien commun qui irrigue toute activité de travail et sans laquelle on ne peut plus penser les modèles de performance capables de tenir ensemble création de valeur, engagement qualité et vitalité du collectif.
- Sophia GALIERE, dans le papier « de l’économie collaborative à l’ubérisation du travail : les plateformes numériques comme outils de gestion des ressources humaines » nous propose des clés pour équiper notre compréhension des nouvelles configurations productives que sont les différents types de plateformes en fonction de leurs modèles de production et des emprunts qu’elles font aux outils et pratiques de management déployés depuis de nombreuses années dans les entreprises dites classiques.
- Lamia HECHICHE-SALAH, Emna GARA-BACH OUERDIAN, Tayssir YAHMADI et Sandra BEN OTHMAN, dans leur papier intitulé « Quand le stress professionnel dégénère en souffrance au travail : cas des enseignants-chercheurs tunisiens » approfondissent, sous l’angle de leur impact en termes de santé mentale, les transformations qui déstabilisent la société quand tensions sur les métiers et sur les ressources d’une part, innovations de rupture d’autre part pénètrent dans un contexte où les collectifs de métier sont peu outillés pour faire face.
- Michel FERRARY, dans l’article “Gender diversity in the labor market: employer discrimination, educational choices and professional preferences” nous propose, sur un thème que les profondes transformations en cours vont sans doute recomposer sans le résoudre, de considérer les enjeux de diversité de genre tant du point de vue de l’offre d’emploi que de la demande de travail pour mieux comprendre la façon dont la diversité se construit ou non.
Notes
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[1]
François-Xavier Verschave, « On joue mieux avec un ballon gonflé », Revue Projet 2017/2 (N° 357), p. 45-51 (reprise d’un texte publié en 1999).