@GRH 2015/2 n° 15

Couverture de GRH_152

Article de revue

Quand le territoire s’organise pour attirer à l’international et fidéliser en local les talents : le cas du cluster technologique de Sophia Antipolis

Pages 99 à 125

Notes

  • [1]
    Pourtant, de nombreux auteurs (Mirallès, 2007 ; Cappelli, 2008 ; Dejoux & Thévenet, 2010 ; Chabault, Hulin & Soparnot, 2012) soulignent le fait que les talents ne sont pas nécessairement des dirigeants ou des leaders, contrairement aux hauts potentiels. En effet, les talents sont généralement considérés comme des personnes qui contribuent le plus à la stratégie d’une entreprise, mais sans qu’elles aient nécessairement une position hiérarchique élevée.
  • [2]
    De la même façon, pour Chabault et al. (2012), l’expert se distingue du talent car son expertise ne correspond pas nécessairement aux caractères d’« excellence » et de « différenciation » du talent.
  • [3]
    Commission Emploi-Formation de Telecom Valley.
  • [4]
    Ce dispositif vise à faciliter la circulation des ressortissants étrangers qui travaillent sur un projet contribuant au développement économique de la France et de son pays, ou à leur rayonnement intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire, sportif, etc.
  • [5]
    Team Côte d’Azur est l’agence de promotion et développement économique du département des Alpes-Maritimes. Son objectif est de promouvoir le territoire azuréen sur les marchés internationaux pour faciliter l’implantation d’entreprises.
  • [6]
    Les formations demandées sont en majorité des modules classiques et transversaux : gérer son temps et ses priorités, optimiser sa communication, gestion de projets, management d’équipe, gestion du stress, etc.

Introduction

1Les années 2000 sont caractérisées par les risques de pénurie de main-d’œuvre qualifiée suite au retrait de la vie active de cohortes de baby-boomers et, simultanément, par la prise en compte du profil et des attentes spécifiques de nouvelles générations, comme la génération Y. La mondialisation entraîne un phénomène d’hypercompétition entre firmes et accroît le poids de l’innovation dans le développement des produits. Face à ces changements, les individualités capables de « faire la différence » dans la compétition sont mises en avant. Pour Lawler (2008), dans l’économie actuelle, le management des talents représente d’ailleurs la clé pour conquérir un avantage concurrentiel soutenable. L’enjeu pourrait se résumer ainsi : si une entreprise (ou même une institution) souhaite développer ou maintenir son avantage concurrentiel, elle se doit de recruter, développer et fidéliser les meilleurs. Plus elle élargira (notamment à l’échelle internationale voire mondiale) sa politique de management, et en particulier de recrutement des talents, plus elle aura de chance d’attirer et de sélectionner les meilleurs talents. D’où un véritable engouement pour cette thématique depuis le milieu des années 2000, à la fois dans les pays anglo-saxons (Boudreau & Ramstad, 2005 ; Cappelli, 2008 ; Gallardo-Gallardo, Dries & Gonzáles-Cruz, 2013 ; Thunnissen, Boselie & Fruytier, 2013 ; Sparrow & Makram, 2015), en France (Mirallès, 2007 ; Thévenet, 2008 ; Peretti, 2009 ; Dejoux et Thévenet, 2010) et, plus récemment, dans le monde entier (Beechler & Woodward, 2009 ; Collings & Mellahi, 2009 ; Scullion, Collings & Caligiuri, 2010 ; Tarique & Schuler, 2010 ; Schuler, Jackson & Tarique, 2011 ; Al Ariss, Cascio & Paauwe, 2014 ; Khilji, Tarique & Schuler, 2015).

2Dans cette littérature émergente sur le management global des talents, la caractéristique commune des travaux est de s’intéresser aux processus et pratiques de management mis en place par les entreprises multinationales pour attirer, développer et fidéliser les collaborateurs talentueux dans une « guerre » internationale des talents (Beechler & Woodward, 2009). La question centrale est alors celle de la transférabilité des pratiques aux différents niveaux d’analyse (individuel, organisationnel et institutionnel/sociétal) et dans différents contextes (nationaux, internationaux et sectoriels). Plus précisément, dans la réflexion actuelle sur le management global des talents, deux perspectives de recherche retiennent l’attention des chercheurs. La première s’intéresse aux différents niveaux d’analyse des pratiques de management mis en place par les entreprises multinationales pour attirer et fidéliser leurs talents sur le marché global, c’est-à-dire pour gérer leurs talents à l’international (Thunnissen et al., 2013 ; Al Ariss et al., 2014). La seconde perspective vise à comprendre comment les processus et pratiques de management des talents opèrent dans différents contextes nationaux, internationaux et sectoriels (Thunnissen et al., 2013).

3Dans cet article, nous proposons d’ouvrir une troisième perspective de recherche : celle du management global des talents par le territoire. Au confluent des deux premières, cette approche territoriale introduit de nouvelles dimensions dans le débat actuel sur le management global des talents, en enrichissant les niveaux d’analyse retenus dans la littérature (Al Ariss et al., 2014) : en adoptant un angle territorial, le management des talents peut être appréhendé au niveau inter-organisationnel, avec des pratiques qui articulent un réseau d’acteurs individuels, organisationnels et institutionnels. Nous traitons ainsi dans nos travaux la question de recherche suivante : Pourquoi et comment s’organise le territoire pour attirer les talents à l’international et les fidéliser localement ?

4Afin d’apporter des premiers éléments de réponse à cette question, nous positionnons d’abord le territoire comme une nouvelle perspective d’analyse du management global des talents (1). Ensuite, nous décrivons la méthodologie de notre étude empirique, fondée sur le cas du cluster technologique de Sophia Antipolis (SA) et de sa plateforme numérique eDRH (2). Notre analyse de cas nous permet alors de mettre en évidence comment le territoire de SA s’organise pour attirer les talents à l’international et les fidéliser en local, grâce à la combinaison progressive d’applications et de services ciblés de DRH mutualisée (3). Enfin, nous discutons des principaux apports théoriques et pratiques de notre recherche (4).

1 – Le management global des talents par le territoire

5Dans cette première partie, nous offrons tout d’abord une synthèse des débats traversant les travaux sur le concept polysémique de talent (1.1). Nous présentons ensuite une revue de la littérature émergente sur le management global des talents (1.2). Enfin, nous proposons le territoire comme nouveau niveau d’analyse pertinent des processus et pratiques du management global des talents (1.3).

1.1 – Le talent, un concept polysémique nécessitant encore des repères théoriques

6Depuis le début des années 2000, le talent a envahi la GRH. Il ressort de notre analyse de la littérature sur ce nouvel « étalon de mesure des RH » qu’il ne peut pas y avoir de talent sans compétence, même si le talent est supérieur à cela. Thévenet (2008) positionne le talent comme un ensemble de compétences personnelles tout à fait originales. Roger et Bouillet (2009, p. 104) considèrent les talents comme « un sous-ensemble des compétences, celles dans lesquelles la personne excelle, dans lesquelles elle se distingue des autres ». Enfin, Dejoux et Thévenet (2010, p. 21) définissent le talent « comme une combinaison rare de compétences rares », et soulignent ainsi que le talent va se distinguer des autres grâce à des compétences uniques et originales. Pour notre part, et à partir des travaux majeurs sur le concept, nous comprenons le talent comme une combinaison (rare) de compétences (rares) permettant à une personne de se distinguer des autres (i.e. faire mieux et/ou faire différemment), en interne (dans son organisation) ou en externe (sur le marché du travail), aujourd’hui (par ses résultats, sa performance, son engagement, sa motivation, etc.) ou demain (par son potentiel et sa volonté d’évolution).

7En outre, trois grands débats sur la nature et la conception des talents traversent la littérature. (1) Le premier met en tension deux visions de la notion de talent dans le milieu professionnel (Gallardo-Gallardo et al., 2013). Alors que dans l’approche « sujet », le talent correspond à la personne elle-même, dans l’approche « objet », le talent correspond à un élément constitutif d’une personne. (2) Le deuxième débat concerne l’origine et la provenance du talent, avec deux courants aux définitions complémentaires (Meyers, Van Woerkom & Dries, 2013). Dans le premier courant, le talent est principalement inné : il peut être assimilé à un don, à quelque chose d’unique, conféré à des personnes d’exception. Le second courant privilégie ce qui peut être acquis : le talent est alors une combinaison de différentes compétences que le sujet a accumulées au fil de ses expériences. Ainsi pensé, le talent peut être développé et managé. Il s’agit alors de créer les conditions d’un environnement « capacitant » favorisant le développement de ses compétences. (3) Enfin, selon Gallardo-Gallardo et al. (2013), une question importante pour définir le talent en milieu professionnel est de savoir si l’organisation considère que l’ensemble de ses employés disposent d’un talent (vision inclusive) ou s’il s’agit uniquement d’une petite partie de son personnel (vision exclusive). Très souvent dans cette vision exclusive, sont cités en exemple les hauts potentiels et les experts. Le haut potentiel est une personne dont l’organisation estime qu’elle a la capacité à occuper un poste de direction [1]. Quant à lui, l’expert est considéré comme un professionnel ayant atteint un degré de maîtrise particulièrement élevé d’un domaine de compétence [2]. La figure 1 ci-après offre une représentation de ces différents débats qui traversent la littérature sur le talent.

Figure 1

Synthèse des débats autour du talent

Figure 1

Synthèse des débats autour du talent

1.2 – Le management global des talents, un champ de recherche en construction

8Bien que la littérature relative à la notion de talent soit aujourd’hui abondante, la recherche en management global des talents est un domaine de recherche émergent, caractérisé par le caractère global (international, multinational) des enjeux et des pratiques du management des talents (Beechler & Woodward, 2009 ; Collings & Mellahi, 2009 ; Scullion et al., 2010 ; Tarique & Schuler, 2010 ; Schuler et al., 2011 ; Al Ariss et al., 2014 ; Khilji et al., 2015). La caractéristique commune de ces récents travaux est de s’intéresser aux processus et pratiques de management mis en place par les entreprises multinationales. Tarique et Schuler (2010) identifient trois processus majeurs structurant le management global des talents : attirer, développer et fidéliser les talents. Le « global talent management system » proposé par les auteurs peut alors être décrit et enrichi, en associant les activités et les pratiques identifiées et développées dans d’autres travaux aux trois processus de management des talents identifiés (Dejoux et Thévenet, 2010 ; Schuler et al., 2011 ; Thunnissen et al., 2013) (cf. tableau 1).

Tableau 1

Le système de management global des talents

Tableau 1
Processus Activités Pratiques Attirer les talents Identifier et Attirer - gérer les viviers et les CVthèques - identifier les compétences rares et détecter le potentiel humain en interne - analyser les besoins actuels et futurs en talents - développer une réputation RH voire une image de marque employeur attractive - bâtir un véritable plan marketing RH - attirer les individus avec un intérêt pour les activités et carrières internationales Recruter et intégrer - recruter en continu des profils de talents pour différents postes - diversifier les méthodes de recrutement (site emploi généraliste, site internet RH entreprise, salons et forums, réseaux sociaux numériques, applications mobiles, jeux virtuels, etc.) - inscrire les talents dans la politique de responsabilité sociale de l’entreprise - accueillir et intégrer le nouveau talent - développer de nouveaux arguments en direction de la génération Y Développer les talents Évaluer et développer - fixer le niveau de responsabilités et de résultats - évaluer et former en continu les talents - généraliser les outils de développement personnel et professionnel (coaching, mentoring, challenging, cocooning) - faire des managers et des seniors des développeurs de talents - apprendre aux talents à se valoriser - développer des « global leaders » Fidéliser les talents Motiver et fidéliser - comprendre les facteurs motivationnels - développer l’engagement des employés - rémunérer les talents - valoriser les performances exceptionnelles - investir dans la qualité des conditions de travail et la reconnaissance au quotidien - organiser la mobilité interne et à l’international - diminuer le turn-over des « rapatriés » (gestion des retours des expatriés) - repenser les plans de succession et évolutions de carrière - communiquer en interne sur les pratiques de management des talents

Le système de management global des talents

9Finalement, si de nombreuses entreprises affirment s’engager dans un management des talents, peu d’entre elles affichent des procédures globales dans ce domaine. La littérature traduit ce constat en décrivant une grande variété de pratiques (d’une entreprise à une autre, d’un pays à l’autre, d’une culture à une autre, etc.) et en appelant à des travaux complémentaires pour identifier les grappes de pratiques à mettre en œuvre pour former un système de management global des talents adapté et efficace. En particulier, si les pratiques sous-jacentes sont bien identifiées, leur efficacité et leur combinaison en « grappes » (dans le sens de relations entre les pratiques) demeurent des champs de recherche à approfondir (Tarique & Schuler, 2010). Ces auteurs appellent donc à des travaux complémentaires pour étudier la question du transfert des pratiques à mettre en œuvre pour former un système de management global des talents adapté et efficace. Le terme « transfert » inclut ici le partage de ressources et le développement de nouvelles pratiques.

1.3 – Le territoire comme nouvelle perspective d’étude des processus et pratiques du management global des talents

10Dans la réflexion actuelle sur le management global des talents, deux perspectives retiennent l’attention des chercheurs. La première a trait aux différents niveaux d’analyse (individuel, organisationnel et institutionnel/sociétal). Al Ariss et al. (2014) recommandent aux chercheurs de bien prendre en compte les trois niveaux d’analyse du management global des talents, ainsi que leur articulation. Le niveau individuel comprend l’expérience subjective de l’individu, comme par exemple les perceptions des managers et des employés au sujet de la façon dont les talents sont gérés dans leur entreprise. Le niveau intermédiaire est celui des organisations dans lesquelles les processus et les pratiques de management global des talents prennent place. Enfin, le troisième niveau est le contexte institutionnel du pays (ou sociétal) qui permet ou contraint le management des talents, tels que les normes, les valeurs et les règlements. La seconde perspective vise à comprendre comment les processus et pratiques de management des talents opèrent dans différents contextes nationaux, internationaux et sectoriels (Thunnissen et al., 2013). Parmi les contextes nationaux étudiés, Iles, Chuai et Preece (2010) explorent le management des talents dans le contexte chinois, alors que Sidani et Al Ariss (2014) considèrent les pays du Golfe. Concernant la dimension internationale, certains travaux traitent de l’importance de l’expatriation des employés talentueux partout dans le monde (Cerdin & Brewster, 2014) ainsi que de la gestion internationale de leurs carrières (Claussen, Grohsjean, Luger & Probst, 2014), alors que d’autres cherchent à comprendre comment des multinationales attirent, développent et fidélisent des talents locaux dans d’autres pays du monde. Par exemple, Dejoux et Thévenet (2012) s’intéressent aux cas de trois multinationales françaises (Danone, L’Oréal et Alstom) en Asie. Enfin, quelques travaux s’intéressent au management global des talents à l’échelle d’un secteur d’activité particulier, comme l’industrie des jeux vidéo pour Claussen et al. (2014).

11Dans le prolongement de l’agenda de recherche sur le management global des talents (Al Ariss et al., 2014), nous proposons d’ouvrir une troisième perspective de recherche, au confluent des deux existantes : celle du management global des talents par le territoire. Tout l’intérêt de notre recherche est de proposer le territoire comme un nouveau niveau d’analyse pertinent pour la réflexion et donc une nouvelle perspective d’étude des processus et pratiques de management global des talents. La dimension territoriale n’est pas nouvelle dans les recherches en GRH, puisqu’elle est investiguée depuis la fin des années 2000 dans le cadre notamment des recherches sur la GRH-Territoriale (GRH-T), la GPEC-T ou encore les pôles de compétitivité (Defélix & Mazzilli, 2009 ; Calamel, Defélix, Mazzilli & Retour, 2011 ; Jouvenot et Parlier, 2011 ; Loubès & Bories-Azeau, 2012). Mazzilli (2008, p. 4) définit les pratiques de GRH inter-organisationnelles comme « une activité ou plusieurs activités de GRH qui s’établissent entre au moins deux entreprises » et auxquelles « diverses organisations tierces (administration, associations, etc.) » peuvent participer. Ces activités concernent principalement les pratiques d’acquisition et de régulation des ressources humaines (recrutement et intégration, formation, carrières, GPEC), et de communication et de mise en réseau, notamment pour les partages d’expériences entre acteurs (Defélix & Mazzilli, 2009). Ces pratiques de GRH inter-organisationnelles territoriales se sont développées sous l’impulsion des pouvoirs publics et des syndicats, mais également des entreprises, avec notamment la multiplication des situations de co-activité et de co-innovation (ibid.).

12Dans le cadre de notre recherche, nous adoptons un angle territorial délimité par un cluster technologique. Selon Cooke et Huggins (2002), un cluster est une concentration géographique d’acteurs technologiques unis par des chaînes de valeur économique, évoluant dans un environnement bénéficiant d’infrastructures de soutien, partageant une stratégie commune et visant à attaquer un même marché. Dans ce territoire, le management des talents est analysé au niveau inter-organisationnel et les pratiques articulent un réseau d’acteurs individuels, organisationnels et institutionnels. D’ailleurs, des travaux récents s’intéressent au management des talents dans les clusters, de manière essentiellement conceptuelle et théorique. En particulier, Chabault et al. (2012) précisent que les recherches existantes sur le talent et ses pratiques de management sont principalement centrées sur le niveau intra-organisationnel, et ils argumentent en faveur de davantage d’études sur les talents dans le contexte inter-organisationnel des clusters. Tarique et Schuler (2010) soulignent également la nécessité d’introduire le niveau d’analyse du cluster industriel ou technologique dans les travaux futurs, et de développer un système de management global des talents articulant les relations entre processus et pratiques sous-jacents au système. Notre recherche a justement pour ambition d’étudier le management global des talents par le territoire, en développant une compréhension systémique des trois processus (attirer, développer et fidéliser les talents) et des nombreuses pratiques à analyser en « grappes » et en synergie (transfert des pratiques, partage de ressources, etc.), au niveau d’un cluster technologique. Dans cette perspective, la question de recherche qui guide notre travail se formule de la façon suivante : Pourquoi et comment s’organise le territoire pour attirer les talents à l’international et les fidéliser localement ?

2 – L’étude empirique : le cas du cluster technologique de Sophia Antipolis

13Dans cette deuxième partie, nous présentons la méthodologie (2.1) et le contexte de l’étude empirique (2.2).

2.1 – Méthodologie

14De type exploratoire, notre recherche repose sur une démarche qualitative centrée sur l’étude d’un cas unique : le cluster technologique de Sophia Antipolis (SA) et sa plateforme numérique eDRH – www.edrh06.com. Cette plateforme est une DRH mutualisée en ligne au service des entreprises du territoire de SA, comprenant des services et des solutions innovantes en RH. Sa mission est d’aider les entreprises du territoire à recruter, accueillir, intégrer, former et fidéliser des talents sur SA pour répondre aux besoins de développement et de compétitivité des entreprises à l’international. Le territoire utilise le numérique pour fédérer son écosystème composé de multiples entreprises diversifiées, autour d’une palette de services numériques RH. Au sens de Yin (2008), le cas unique de notre étude se justifie par le caractère « révélateur » du cluster technologique de SA et de son système de management global des talents, à savoir sa plateforme numérique. En effet, cette étude de cas nous donne l’opportunité en tant que chercheur d’observer et d’analyser un phénomène qui n’est pas rare, mais qui était jusqu’à présent difficile d’accès à des investigations scientifiques et donc peu étudié.

15Le recueil des matériaux empiriques a commencé en juin 2012 et continue à l’heure où nous écrivons cet article. La nature des données collectées est qualitative et le mode de collecte des données suit les recommandations communes des recherches qualitatives centrées sur les études de cas (Eisenhardt, 1989 ; Eisenhardt & Graebner, 2007 ; Yin, 2008). Notre recueil des données combine cinq sources : entretiens individuels, réunions collectives, dialogues informels, observation et documentation. Cette multiplicité des modes de collecte des données assure la richesse des résultats et l’objectif de triangulation (Yin, 2008).

16Dix-huit entretiens individuels semi-directifs sont la principale source de données de notre recherche : d’une durée moyenne de 1 heure 30, ils ont été réalisés auprès des principales parties prenantes du projet « eDRH SA » (cf. tableau 2). Le guide d’entretien a été élaboré à l’issue de la revue de littérature et des premiers entretiens menés avec les porteurs du projet. Nous avons demandé aux personnes rencontrées de nous raconter l’histoire du projet depuis sa création, ses enjeux, les motifs de leur participation ou de leur soutien au projet, leur représentation des intérêts d’une gestion territoriale des talents, leur rôle dans le projet, l’évaluation qu’ils en font à ce jour, les résultats attendus à plus long terme et les pistes de développement. Les entretiens ont tous été enregistrés et intégralement retranscrits.

Tableau 2

Parties prenantes rencontrées en entretiens

Tableau 2
Catégories d’acteurs Nombre d’entretiens (18) Partenaires fondateurs CCI Nice-Côte d’Azur (Responsable du Pôle RH et Territoire-Chef du projet – 6 entretiens) ; Club des Dirigeants (Président) ; Club des DRH (Président) ; Fondation Sophia-Antipolis (Responsable Formation) ; Team Côte d’Azur (Directeur Business Development) 10 Partenaires Business NewNet3D (Directeur) ; Psya (Responsable Régional du Cabinet) 2 Partenaires institutionnels APEC (Responsable) ; membres Commissions paritaires emploi (Secrétaire Général Syndicat Patronal, Consultant Formation Insertion) 3 Utilisateurs entreprises Amadeus (Directeur associé des RH) ; Incubateur Paca-Est (Chargé d’affaires) ; Virbac (DRH) 3

Parties prenantes rencontrées en entretiens

17Parallèlement à cette investigation par entretiens individuels, nous avons participé à 3 réunions collectives de présentation de la plateforme numérique, lors desquelles nous avons pu échanger avec les acteurs en présence. La collecte des données est également complétée par les dialogues informels avec les personnes rencontrées lors de l’étude, via email, téléphone ou toute autre conversation sans accord préalable. Une observation non participante a ainsi pu être menée au cours de notre présence sur les sites des organisations partenaires du projet pour conduire les entretiens individuels, les réunions collectives ou lors des dialogues plus informels. Nous avons retranscrit nos observations dans un journal de recherche.

18Enfin, une analyse documentaire à la fois sur le cluster technologique (rapports, plaquettes de présentation, Internet) et sur le projet eDRH SA (plaquettes de présentation, site Internet, articles et communiqués de presse, réseaux sociaux numériques, documents de travail, comptes-rendus de réunions, etc.) nous a permis de compléter les informations issues des entretiens, réunions, observations et dialogues informels, et ainsi de comprendre l’évolution du projet avant notre arrivée. Chaque document a été annoté, parfois résumé et systématiquement répertorié selon les thèmes qu’il abordait.

19Pour l’analyse des données, nous avons eu recours aux outils classiques d’une méthodologie qualitative, pour la plupart recommandés par Miles et Huberman (2003) : fiches de synthèse des entretiens, analyse de contenu, codage thématique des données, matrices et tableaux de synthèse. Notre première analyse des données recueillies nous permet d’éclairer l’origine du projet, de formaliser l’historique de la plateforme eDRH SA depuis son lancement en 2009, ainsi que de comprendre ses finalités, ses modes de déploiement et ses résultats tangibles. Aussi, dans un souci de validité du construit de notre recherche, nous avons utilisé des données de natures différentes et échangé régulièrement avec le chef de projet sur notre démarche et nos résultats. Pour s’assurer de la validité interne et de la pertinence des résultats de la recherche, nous avons réalisé un aller-retour permanent entre le terrain et la littérature.

2.2 – Contexte de l’étude empirique

20Fondée en 1969, Sophia Antipolis (SA), située dans le département des Alpes-Maritimes (06), est aujourd’hui le plus grand parc scientifique de France et la première technopole d’Europe. Cluster à vocation mondiale, SA regroupe plus de 1 500 entreprises qui génèrent environ 35 000 emplois directs en recherche scientifique de pointe dans le domaine des technologies de l’information et de la communication (TIC), du multimédia, des sciences de la vie (médecine et biochimie), de l’énergie, de la gestion de l’eau, des risques et du développement durable. Dans ce cluster, on trouve également près de 5 000 étudiants et 4 000 chercheurs.

21Le développement de la technopole sophipolitaine est relativement atypique en comparaison d’autres systèmes productifs localisés (Longhi, 1999 ; Krafft, 2004). En effet, cette technopole a été créée ex nihilo, sans tissu industriel ou tradition universitaire, et par une volonté étatique forte. Aujourd’hui, les principales caractéristiques du cluster peuvent être résumées ainsi : (1) les firmes évoluent dans un contexte multi-technologique couvrant un large spectre d’industries de la micro-électronique à l’informatique, en passant par les sciences du vivant (Biotech/Santé/Pharma) ; (2) dans la mesure où les maisons-mères des entreprises internationales implantées à SA (Amadeus, Hewlett-Packard, IBM, Philips, ou plus récemment, Samsung, Intel et Huawei) sont localisées à l’étranger, les firmes sophipolitaines ont des liens forts avec l’externe ; (3) les firmes sophipolitaines souhaitent combiner des stratégies locales et globales de partenariat dans une logique de gestion modulaire de la chaîne de valeurs ; et (4) au niveau local, la dynamique du cluster repose essentiellement sur des interactions sociales développées par de multiples associations et clubs (Telecom Valley, Fondation de SA, Club des Dirigeants, Club des DRH, etc.), afin de favoriser les synergies et de profiter ainsi des proximités technologiques et géographiques.

22Exception à ses débuts il y a 46 ans, le cluster technologique de SA s’est depuis banalisé, dans la mesure où les parcs technologiques et technopoles se sont multipliés en France comme dans le monde. C’est dans ce contexte que les entreprises sophipolitaines appartenant au cluster ont réfléchi collectivement en 2006 à la problématique suivante : Comment maintenir le leadership européen et mondial de la technopole de SA ? Trois enjeux territoriaux clés constituent les fondements de ce projet d’une stratégie RH territoriale : (1) la concurrence entre les territoires, car il s’agit de dynamiser un bassin d’emploi concurrencé au niveau de la chasse aux talents dans le secteur des hautes technologies ; (2) la difficulté à attirer, intégrer et fidéliser les talents sur le territoire ; (3) la raréfaction et/ou volatilité des compétences clés, tout particulièrement dans les deux filières d’excellence du territoire (TIC et sciences du vivant). Le projet est donc une réponse à un problème concret de maintien et de développement de l’attractivité du territoire pour des profils de talents rares, hautement qualifiés et employables. Parmi les différentes réflexions engagées, les acteurs ont décidé de rentrer dans une démarche de GRH-T dont l’objectif principal est d’attirer et de fidéliser les talents sur le territoire pour répondre aux besoins de développement et de compétitivité des entreprises.

23C’est alors que le projet de plateforme numérique eDRH SA a débuté en 2009. Ce projet regroupe plusieurs DRH de SA, avec de nombreux autres partenaires, qui partagent et échangent sur des problématiques communes, mutualisent leurs moyens et mettent en place des solutions collaboratives et partagées. Le résultat de cette réflexion collective est une « plateforme ludique et numérique de DRH mutualisée » sur le territoire. Cette plateforme devait être à l’image de SA, une technopole innovante et numérique, à vocation internationale. La plateforme est en anglais et en français. Elle est disponible sur Internet et en application mobile, avec des services interactifs (e-mails, SMS). Le tableau 3 présente la perception de la plateforme et de ses enjeux par des acteurs clés, chef du projet ou partenaires fondateurs.

Tableau 3

Les enjeux perçus de la plateforme eDRH06

Tableau 3
« DRH territoriale, mutualisée et numérique : tous les mots sont là ! (…) Cette eDRH n’est pas que virtuelle. Il s’agit aussi d’être le plus « léger », le plus proche, le plus dédié possible aux entreprises de Sophia-Antipolis. La plateforme se veut un outil pragmatique pour les entreprises utilisatrices » (Chef de projet, entretien). « L’objectif est d’attirer les meilleurs pour rendre le territoire meilleur » (Président du Club des Dirigeants, entretien). « Comment gérer de manière nouvelle, plus collaborative, les RH sur Sophia-Antipolis ? Comment mieux animer, mieux consolider ce besoin-là ? Et en plus répondre à la question récurrente (…) : attirer les talents » (Directeur Business Development Team CA, entretien). « Le projet eDRH06, c’est voir le marché du travail autrement, c’est une mise en relation des compétences et des besoins de manière originale et innovante. (…) Une des forces d’un territoire, c’est que les compétences restent : le cycle de vie des entreprises est différent, mais les compétences sont restées. Par exemple, après les licenciements chez Texas, les personnes sont restées » (Secrétaire Général Syndicat Patronal, entretien).

Les enjeux perçus de la plateforme eDRH06

24Cette démarche de GRH-Territoriale s’adresse à la fois aux entreprises, aux actifs (salariés et en recherche d’emploi) et au territoire. Elle est ancrée sur les métiers actuels de SA et ses deux filières d’excellence (TIC et sciences du vivant). La priorité a été donnée délibérément aux métiers clés de ces filières, souvent en tension sur le bassin d’emploi, et non aux fonctions transversales (commercial, communication, etc.). La main-d’œuvre sur le territoire est très qualifiée, spécialisée et aux nationalités multiples (près de 80 % de cadres, ingénieurs, chercheurs ou encore développeurs, plus de 50 nationalités dans certaines grandes entreprises). Dès lors, l’objectif affiché du dispositif de GRH-T eDRH de SA est d’attirer et de fidéliser les talents internationaux sur le territoire. Les acteurs du projet ont décidé d’axer leur stratégie internationale des RH et leur communication sur la notion de talents, dans la mesure où leur objectif est d’attirer les meilleurs profils à l’international pour répondre aux besoins en compétences des entreprises du territoire. Le slogan de la plateforme est d’ailleurs explicite : « Sophia Antipolis welcomes Talent ! ». Aussi, il n’y a pas de définition consensuelle du talent mais des caractéristiques communes émergent : le talent est plutôt considéré comme étant acquis et résultant de l’accumulation de compétences rares au fil de ses expériences ; une vision « sujet » plutôt exclusive semble aussi structurante, l’expression « les meilleurs » revenant souvent dans le discours de certains acteurs.

25Concrètement, 15 services numériques RH sont proposés, ciblés sur les TPE/PME mais à destination des entreprises de toutes tailles. Ils sont présentés en trois modules : mobilité internationale, formation et outils RH communautaires. L’ensemble de ces services est accessible sur le portail internet (www.edrh06.com) qui se veut être le point d’entrée unique, le « guichet unique », du management des talents sur le territoire. La plateforme est en ligne depuis janvier 2012 et a été inaugurée le 19 juin 2012. À la fin 2014, 282 entreprises ont utilisé la plateforme et plus de 50 000 connexions au portail ont été enregistrées.

3 – Une plateforme numérique pour répondre aux enjeux du territoire de SA : attirer les talents à l’international et les fidéliser localement

26Dans cette troisième partie, nous fondons notre analyse sur les pratiques conçues et développées en réseau par le cluster technologique en réponse aux enjeux spécifiques du territoire décrits ci-dessus. Dans la mesure où nous considérons la plateforme numérique comme un système de management global des talents territorial, nous porterons notamment l’accent sur les transferts de pratiques entre les institutions, les entreprises (firmes multinationales et PME) et les actifs du territoire.

27La présentation des services RH sur le territoire et des pratiques associées est réalisée à partir des trois axes de développement structurant la plateforme (attirer et recruter, accueillir et intégrer, former et développer les talents) : chaque axe a donné lieu au développement d’un ensemble de services, en réponse à des enjeux et des objectifs de management global des talents sur le territoire, permettant des transferts de pratiques entre les acteurs de SA. Ces trois aspects seront développés (services développés, enjeux perçus par les acteurs en matière de management des talents, et transferts de pratiques autour de ces services) pour chacun des axes : pour attirer et recruter les talents, des services d’identification et de recrutement des talents par les compétences ont été développés (3.1) ; pour accueillir et intégrer les talents, la plateforme eDRH SA a permis une amélioration et une homogénéisation des pratiques (3.2) ; enfin, pour former et développer les talents, la mutualisation des formations et informations sur le territoire a été une démarche structurante et déterminante dans le développement de la plateforme (3.3).

3.1 – Identifier et recruter les talents par les compétences pour les attirer à l’international

28Trois services clés de la plateforme eDRH SA ont été développés pour attirer et recruter des talents à l’international. L’approche par les compétences a été structurante dans les services d’aide à l’identification et au recrutement proposés par la plateforme. Elle ouvre notamment la voie à des transferts de pratiques propices pour le premier processus de management global des talents : le développement de l’attractivité des entreprises et du territoire lui-même.

3.1.1 – Les services proposés : le recrutement et l’observatoire des talents par les compétences

29Les deux outils développés pour faciliter le recrutement des talents sur SA (« Recruter des talents » et « Talent Recruitment Toolkit ») sont spécialisés sur les deux domaines d’activités stratégiques clés de SA : les TIC et les sciences du vivant. Ils ont donc comme particularités d’être territorialisés et construits sur une « entrée par les compétences » techniques répertoriées dans l’optique de constituer un vivier de talents. À la fin 2013, un vivier de 12 000 profils a été constitué à la disposition des entreprises de SA.

30Le service « Recruter des talents » est disponible à partir du portail de recrutement territorial www.sophiaantipolis-careers.com, et s’adresse aux responsables recrutement et mobilité internationale, ainsi qu’aux chefs d’entreprises des filières TIC et sciences du vivant. Il leur permet d’avoir accès à un vivier de talents composé d’ingénieurs et de scientifiques souhaitant venir travailler sur le territoire, ainsi qu’une mise en relation directe avec des profils de compétences ciblés. L’identification des compétences a été réalisée avec l’aide d’experts métiers, et selon un travail de traduction classique des métiers en compétences techniques fines.

31L’outil « Talent Recruitment Toolkit » a été développé, quant à lui, par la Telecom Valley. Cet outil est une méthode interactive, « à vocation informative et pédagogique » qui a été réalisée dans le but d’accompagner les TPE/PME dans leur processus de recrutement. Une enquête de 2009 [3] dressait en effet le constat de fortes attentes et difficultés des start-up et PME en matière de recrutement. Les problématiques d’identification et d’attractivité des talents, de connaissance et d’utilisation des dispositifs d’aide à l’emploi avaient alors émergé.

32Enfin, le dernier dispositif est l’observatoire des compétences : il est réalisé, de manière continue et en instantané, à partir des compétences disponibles (détenues par les candidats) et requises (demandées par les entreprises). Il offre une cartographie par grands domaines de compétences, qui permet de voir quelles sont les compétences critiques du territoire dans une démarche de Gestion Territoriale des Emplois et des Compétences (GTEC). Plus précisément, à partir de l’exploitation des bases de données du site www.sophiaantipolis-careers.com, l’Observatoire restitue, au niveau des compétences les plus fines, en temps réel et sous forme de graphiques dynamiques : d’une part, les compétences disponibles « en stock » dans le vivier mis à disposition des entreprises ; d’autre part, les compétences recherchées par les entreprises de SA, à partir des offres diffusées (données non nominatives).

3.1.2 – Les apports de la plateforme aux enjeux de l’attractivité sur le territoire

33Le principal dispositif proposé pour aider au recrutement est un outil de recherche ciblé et adapté pour les entreprises et les profils particuliers du territoire, et qui était attendu par les acteurs (cf. tableau 4) : des groupes de travail sur le thème, constitués de « recruteurs », ont mis au point un formulaire électronique fondé sur les compétences, et identique à la fois pour le candidat et l’entreprise. Il est construit comme un référentiel numérique de compétences détaillées pour les deux filières et propose une option de confidentialité ou d’anonymat (pour les candidats, le CV est non accessible mais les compétences sont répertoriées ; pour les recruteurs, la diffusion de l’annonce est ciblée aux candidats présélectionnés).

Tableau 4

Enjeux perçus des services de recrutement par les compétences

Tableau 4
« Pour les entreprises, c’est la possibilité d’identifier des compétences sans job description précise, c’est une sorte de veille sur des types de compétences précises. Et ça répond bien aux attentes des patrons de PME, qui cherchent le mouton à 5 pattes ou telle compétence très spécifiquement. (…) Pour l’employabilité, c’est la possibilité de se mettre sur le marché sans se mettre sur le marché, d’être en veille, d’avoir une visibilité maîtrisée sur une compétence technique ou spécifique » (Secrétaire Général Syndicat Patronal, entretien). « La capacité de mettre en relation demande et offre étant facilitée par Internet, la notion d’eDRH s’est imposée. Elle permet un meilleur profilage, une forte réactivité, l’usage des réseaux sociaux, soit autant d’éléments importants dans le succès de la démarche » (Président du Club des Dirigeants, entretien). « L’idée au départ pour réaliser le site, c’est d’imaginer que le territoire prospecte pour le compte des sociétés, et non les sociétés qui recrutent directement. (…) Avec sophiacareers, j’ai dans ma base de données 40 ingénieurs disponibles, pour répondre à des investisseurs potentiels. C’est un élément essentiel : pouvoir lister immédiatement les compétences disponibles sur le territoire et identifier les compétences potentiellement disponibles pour des investisseurs » (Directeur Business Development Team CA, entretien).

Enjeux perçus des services de recrutement par les compétences

34Ainsi, la plateforme permet d’améliorer la visibilité des candidats, même en poste, et donc d’augmenter leur employabilité et de leur faire prendre conscience de leurs compétences. Pour les entreprises, elle leur permet de cibler leurs recherches sur quelques candidatures, de générer des annonces envoyées aux candidats par SMS, de recruter de façon discrète (pour ne pas divulguer leur stratégie de développement), et enfin de visualiser les CV et alertes. Les acteurs soulignent notamment les apports de la plateforme pour les PME : améliorer et faciliter leurs pratiques de recrutement peu structurées ; remédier à leur manque de visibilité sur les compétences disponibles sur le territoire. En outre, l’analyse des écarts entre les compétences disponibles et celles recherchées permise par l’Observatoire a un intérêt tout particulier pour les entreprises, les institutions et les investisseurs : disposer d’une connaissance approfondie de ce bassin d’emploi, des possibilités de développement endogènes, pour développer des plans d’actions ciblés en termes de formation ou de recrutement hors du territoire. Elle offre aussi de la visibilité aux actifs et aux demandeurs d’emploi pour se positionner sur le marché de l’emploi territorial.

3.1.3 – Les transferts de pratiques de management global des talents sur le territoire

35Les outils d’aide au recrutement facilitent les transferts de pratiques de recrutement des talents des firmes multinationales vers les PME du territoire : les techniques d’identification des talents par une traduction fine en compétences métiers spécifiques sont accessibles et partagées, et le vivier constitué est enrichi et administré par les partenaires institutionnels. Ces derniers offrent aussi un accès privilégié et plus visible à leurs pratiques d’aide à l’emploi et à l’embauche, impactant l’ensemble des entreprises.

36Le prolongement de l’outil par un service de veille territoriale sur les compétences individuelles disponibles et recherchées (l’observatoire des compétences) est une démarche qui renforce la visibilité à la fois pour les actifs, les entreprises et les institutions. L’observatoire des compétences permet ainsi le développement de pratiques de diagnostic territorial et d’analyse des besoins et des ressources au service de l’ensemble des acteurs. Il peut permettre d’identifier des compétences rares ou potentielles en interne ou chez un candidat et offre ainsi un support aux pratiques de gestion des viviers et d’identification des talents. Ces pratiques « réservées » aux grandes firmes ou aux experts deviennent ainsi transférables aux PME, et plus généralement peuvent se développer au sein du réseau. Ce vivier de talents est aussi un levier d’attractivité du territoire pour de nouvelles entreprises ou des PME à forte croissance.

3.2 – Améliorer et homogénéiser les pratiques locales d’accueil et d’intégration des talents

37Un effort important a été réalisé autour de la plateforme pour proposer des services pour accompagner, améliorer et faciliter l’accueil et l’intégration des talents internationaux sur le territoire. Les défaillances de l’accueil et de l’intégration ont été identifiées comme au cœur de problèmes de fidélisation et peuvent même entraver la venue du talent sur le territoire, si les conditions administratives ou matérielles d’accueil ne sont pas remplies. Si les grandes entreprises ont mis en avant leur besoin d’amélioration des pratiques d’accueil et d’intégration, les PME ont également bénéficié de cette homogénéisation des pratiques, positive pour l’image du territoire et de ses institutions.

3.2.1 – Les services proposés : un « guichet unique » d’informations et de prestations

38Quatre services RH sont proposés par la plateforme eDRH SA pour accompagner et faciliter l’accueil et l’intégration des talents internationaux sur le territoire.

1er service : Formalités – Titres de séjour

39Ce service basé à SA s’occupe exclusivement des formalités administratives pour faciliter l’obtention des titres de séjour. Il est mis en place pour assurer une interface, entre les établissements (employeurs) et la Préfecture, afin de simplifier les démarches administratives des entreprises pour recruter des collaborateurs étrangers. Dans ce module, les intéressés peuvent trouver un ensemble d’informations sous forme de fiches traitant de visas d’entrée, de carte de résident ou encore la fiche Compétences & Talents [4].

2e service : Côte d’Azur Welcome Guide

40Développé par Team Côte d’Azur [5] et accessible en ligne, le guide « Welcome to the Côte d’Azur » est destiné aux DRH et salariés étrangers nouvellement installés dans les Alpes-Maritimes. Il est composé de 10 rubriques traitant des démarches administratives et des problématiques générales d’une installation en France et sur la Côte d’Azur en matière de santé, transport, éducation, culture, etc. Il est complété par un addendum (le « Useful contacts and numbers »), qui répertorie toutes les adresses et contacts liés aux thématiques abordées dans le guide.

3e service : Aide au logement

41Le guide du logement a pour objectif d’aider les actifs et les entreprises dans leur recherche de logement dans le département, de les renseigner sur les aides auxquelles ils peuvent prétendre et de leur fournir tous les contacts utiles. Parmi les différents modules proposés, le module « Logement temporaire » s’adresse aux besoins des salariés étrangers en mission (flexpatriés par exemple), en contrat à durée déterminée, aux étudiants-doctorants salariés, etc. Les entreprises ou les salariés concernés peuvent déposer leurs annonces par l’intermédiaire d’un module spécifique. Ces demandes sont immédiatement transmises aux professionnels de l’hébergement, agences immobilières et résidences-services qui ont signé une charte d’engagement. Ce service est donc une mise en relation entre les entreprises et leurs salariés et les professionnels de l’immobilier, avec un délai de réponse aux demandes de 48 heures.

4e service : Intégration du conjoint

42Les entreprises de SA souhaitent faciliter l’intégration des talents internationaux en aidant leur conjoint à trouver un emploi. L’intégration sociale et professionnelle du conjoint est en effet un facteur clé de succès dans le maintien des talents internationaux dans l’entreprise. La eDRH SA, en collaboration avec l’Agence Pour l’Emploi des Cadres (APEC), propose un programme de soutien pour les conjoints étrangers, composé d’aide à l’emploi, de tutorat sur les techniques de recherche d’emploi ou de bénévolat sur le territoire.

3.2.2 – Les apports de la plateforme aux enjeux de l’intégration sur le territoire

43Les problématiques de gestion administrative et logistique de la mobilité internationale et de la gestion des couples à double carrière sont clairement posées par le management global des talents. Ce sont des questions complexes et techniques qui ont des enjeux stratégiques en termes d’attractivité et surtout de fidélisation des talents dans les entreprises et plus largement sur le territoire. La plateforme offre un guichet unique qui facilite l’identification des acteurs et la réalisation des démarches administratives, et qui fournit un ensemble d’informations variées sur le territoire et ses réseaux. Le service de prospection immobilière ciblée est un autre apport de la plateforme à la fois pour les entreprises qui développent des pratiques d’accompagnement à la mobilité internationale (gestion de l’expatriation avec aides pour le logement, scolarisation des enfants, etc.) et pour des talents arrivant ou présents sur le territoire. Enfin, la eDRH SA propose une mise en relation directe avec l’APEC pour bénéficier de la prestation de l’accompagnement de conjoint, qui va de l’aide à la recherche d’emploi au projet associatif. Cette démarche répond à un véritable besoin des entreprises du territoire, notamment les plus grandes. Elle a été intégrée à la plateforme de manière pérenne sous l’impulsion du Club des Dirigeants, qui avait la volonté de coordonner les prestations des acteurs locaux via la plateforme (cf. tableau 5).

Tableau 5

Enjeux perçus des services d’accueil et d’intégration

Tableau 5
« Nous sommes confrontés à des besoins stratégiques en termes de mobilité internationale ainsi qu’à une législation très évolutive. La gestion de la mobilité exige une connaissance approfondie et un savoir-faire en matière de logement, de permis de travail et de visas, de gestion des contrats, d’immigration, de procédures administratives, de fiscalité et de sécurité sociale et de réseaux d’assistance aux expatriés et impatriés. (…) Accueillir le salarié, son conjoint et ses enfants dans les meilleures conditions est une procédure forte car elle conditionne l’intégration et la fidélisation du salarié dans l’entreprise, qui est ainsi plus attractive. Il est donc primordial de pouvoir s’appuyer sur des partenaires facilitant la réussite de l’intégration des nouveaux arrivants » (Directeur associé des RH chez Amadeus, entretien). « Un des défis auxquels nous devons faire face est la gestion des doubles carrières. Il faut comprendre que les ressources humaines que nous recrutons ou cherchons à recruter sont très souvent en couple avec des personnes qui sont également des hauts potentiels, qui gagnent bien leur vie et qui ont des attentes particulières en termes de carrière. Les accompagner dans leur recherche d’emploi pour recruter leur conjoint est donc important pour nous » (DRH de Virbac, entretien). « Le point positif, c’est le guichet unique qui permet d’identifier les interlocuteurs pour pouvoir agir et trouver les moyens. (…) Le chômage des cadres est bas, c’est un marché pénurique. Il n’y a pas de mobilité dans ce contexte, il y a une tendance à ne pas bouger. (…) L’accompagnement des conjoints, c’est une idée du Club des Dirigeants. Au départ, c’est un projet développé avec l’impulsion des entreprises » (Responsable APEC, entretien).

Enjeux perçus des services d’accueil et d’intégration

3.2.3 – Les transferts de pratiques de management global des talents sur le territoire

44Les quatre services proposés par la plateforme permettent le transfert de bonnes pratiques vers les PME et plus largement d’organiser des pratiques d’accueil et d’intégration des talents effectives et homogènes sur le territoire. Les institutions contribuent chacune dans leur champ à développer une réputation territoriale positive en matière d’accompagnement de l’accueil et de l’intégration des talents.

45Le savoir-faire complexe de management de l’accueil et de l’intégration n’est en général accessible qu’aux grandes entreprises, qui ont les ressources nécessaires pour acquérir ou développer ces compétences de management global des talents (compétences administratives, logistiques et RH de gestion de la mobilité internationale et des couples à double carrière) : avec les services développés, la plateforme organise le transfert de ces ressources et des pratiques associées vers l’ensemble des acteurs, et en particulier vers les PME du cluster. Tous ces services s’inscrivent dans cette logique et contribuent conjointement à développer des pratiques homogènes d’accueil et d’intégration des talents sur le territoire.

3.3 – Mutualiser les formations et les informations sur le territoire pour mieux développer les talents

46La fidélisation des talents commence dès l’accueil et l’intégration des actifs sur le territoire, puis se poursuit par la formation et le développement de leurs compétences. La démarche de mutualisation des formations est à l’origine de la plateforme eDRH SA et constitue l’un de ses modules phare. Le développement des talents sur le territoire est un enjeu pour l’ensemble des entreprises et des institutions, qui disposent via la plateforme d’un module efficace de formations mutualisées (avec deux services clés présentés ci-dessous : « Formations mutualisées » et « Trouver un organisme »), et qui peuvent donc coordonner leurs ressources pour organiser des sessions de formation locales.

3.3.1 – Les services proposés : l’organisation mutualisée de sessions de formation sur le territoire

47Le service de « Formations mutualisées » permet la diffusion automatique des programmes de formation, l’inscription en ligne et en lien avec le prestataire retenu. Les responsables formation mutualisent les formations via la plateforme et ses applications : ouverture de session avec envoi de mails aux chargés de formation préinscrits, inscription en ligne, alerte mail et SMS pour envoi des convocations, etc. En d’autres termes, l’outil offre une vitrine des formations proposées par les organismes locaux et d’une partie des besoins exprimés par le marché. Les programmes de formation sont conçus et validés par les responsables formation des entreprises partenaires. L’objectif de ce service est de consolider les besoins communs de formation des organisations (en dehors de leurs compétences critiques, cœur de métier). En 2012, 13 entreprises ont mutualisé leurs formations parmi les 45 entreprises partenaires, 27 sessions de formation ont été organisées et 300 stagiaires ont été formés. À la fin 2013, 150 organismes de formation locaux sont inscrits pour 1 300 programmes de formation proposés.

48D’un point de vue technique, le service « Trouver un organisme » permet de créer des fiches formation, avec une mise en forme « marketée », c’est-à-dire une recherche par mots-clés pour une mise en relation ciblée des besoins avec les offres de formation (moteur 2.0). Avec l’autre service « Formations mutualisées », les participants au groupe de travail se partagent la prise en charge de l’organisation des différentes sessions ouvertes après consolidation des besoins des entreprises.

3.3.2 – Les apports de la plateforme aux enjeux du développement des talents sur le territoire

49Le service « Formations mutualisées » est le résultat du plus ancien groupe de travail collaboratif du projet. Il est issu du constat suivant : dans le contexte où les TPE/PME, majoritaires sur le territoire, ont du mal à répondre aux besoins de leurs salariés en termes de formation, la plateforme offre aux responsables formation, OPCA (pour le financement des besoins exprimés de formation), associations d’entreprises et pôles de compétitivité, un service complet de formations mutualisées.

50Plusieurs avantages sont avancés pour motiver les entreprises à adhérer à la démarche : réduire les frais de formation (en termes de déplacements, logements, etc.), sécuriser le choix du prestataire (en bénéficiant des évaluations réalisées sur les sessions précédentes), améliorer l’efficacité de la formation en bénéficiant des retours d’expériences et des partages de pratiques entre chargés de formation. Pour les acteurs publics territoriaux, mobiliser et faire travailler les organismes de formation locaux est également un objectif. L’ambition de ce module est ainsi de proposer un plan de formation territorial, en s’appuyant sur les organismes de formation locaux (cf. tableau 6).

Tableau 6

Enjeux perçus des services de formations mutualisées

Tableau 6
« Pour les formations, nous dépensions plus d’argent en frais de déplacement, d’hébergement et restauration, qu’en frais pédagogiques. D’où l’idée : ne serait-il pas mieux de faire venir les formateurs à Sophia ? De nombreuses entreprises étant confrontées au même problème, il suffisait de regrouper les demandes pour un même type de formation et d’assurer la formation dans les locaux d’une des entreprises, la facture globale étant partagée. C’était pour nous une façon d’accroître les compétences du territoire azuréen » (Président du Club des Dirigeants, entretien). « La mutualisation des actions de formation offre de nombreux avantages, notamment ceux d’optimiser les budgets formation, de satisfaire plus de demandes et de diversifier l’offre aux salariés de chaque entreprise » (Responsable Formation INRIA, témoignage lors d’une réunion). « Pour les responsables de formation, c’est un outil génial. Avec le moteur de recherche, on peut effectuer des recherches en ligne par mots clés, mettre des filtres et connaître les documents à fournir pour être inscrit. (…) Pour les PME, qui n’ont pas le temps, pas les ressources, ça donne de la visibilité sur les choix des formations. Pour les grandes entreprises, pour les responsables de formation déjà dotés, leur nouveau rôle est de vendre la formation et de sortir du rôle administratif ou comptable » (Responsable Formation Fondation de SA, entretien).

Enjeux perçus des services de formations mutualisées

3.3.3 – Les transferts de pratiques de management global des talents sur le territoire

51La mutualisation des formations offre la possibilité de transférer des pratiques de développement des talents vers les PME, et plus largement de profiter de la mutualisation pour accroître les formations accessibles et dispensées sur le territoire. Elle facilite finalement les pratiques de formation continue des talents sur le territoire dans toutes les catégories d’entreprises : les sessions sont accessibles à prix réduits malgré un faible nombre de participants (seuil de 8 à 10 participants en moyenne pour lancer l’organisation d’une session) ; le réseau permet un meilleur contrôle de l’efficacité des modules et de la qualité des prestataires. Plusieurs freins classiques à la formation sont ainsi levés par la démarche : le coût, l’organisation et la logistique, et la qualité des prestataires et des formations. Plus largement, les formations généralistes dispensées [6] peuvent aussi être vues comme des pratiques de développement personnel et professionnel nécessaires dans un système de management global des talents.

4 – Discussion et conclusion

52À l’issue de cette étude d’un cas de système territorial de management global des talents, nous proposons de porter notre discussion sur trois points.

53Le premier point, qui constitue l’apport majeur de notre travail, concerne notre proposition d’un management global des talents par le territoire. Nous ouvrons ainsi une troisième perspective de recherche dans la littérature, prolongeant les deux premières existantes, centrées soit sur les différents niveaux d’analyse (individuel, organisationnel et institutionnel/sociétal) des processus et pratiques développées par les entreprises multinationales (Al Ariss et al., 2014), soit sur les différents contextes (nationaux, internationaux et sectoriels) de leur mise en œuvre (Thunnissen et al., 2013). Cette approche territoriale introduit de nouvelles dimensions dans le débat actuel sur le management global des talents et répond ainsi aux demandes d’enrichissement des niveaux d’analyse retenus (Tarique & Schuler, 2010 ; Thunnissen et al., 2013 ; Al Ariss et al., 2014 ; Khilji et al., 2015). En particulier, en adoptant un angle territorial pour étudier le cluster technologique de SA, le système de management global des talents peut être appréhendé au niveau inter-organisationnel, avec des pratiques et services ciblés de DRH mutualisée qui articulent un réseau d’acteurs individuels, organisationnels et institutionnels. Nous considérons ainsi contribuer au champ de recherche sur le management global des talents en adoptant cette perspective multi-niveaux et contextualisée au territoire.

54Le deuxième point de discussion se situe au niveau de la transférabilité des pratiques du management global des talents. Al Ariss et al. (2014) mettent en avant cette question centrale de la littérature et la nouvelle perspective de recherche proposée, centrée sur le territoire, nous semble complémentaire et innovante par rapport aux travaux antérieurs. En introduisant le niveau territorial, de nombreux transferts de pratiques de management des talents ont pu être identifiés et étudiés. En effet, notre analyse du cas eDRH SA permet de montrer concrètement comment les transferts inter-organisationnels et la mutualisation des pratiques et services RH sont privilégiés et organisés, et pas seulement entre grandes entreprises et multinationales : les transferts entre grandes entreprises et PME deviennent aussi possibles et, plus largement, les pratiques et les ressources peuvent finalement être partagées entre les institutions, les entreprises et les individus. La démarche de GRH-T développée dans le cluster de SA est avant tout une recherche de transposition et d’extension de dispositifs de management des talents pour les petites entreprises, grâce à la mutualisation de ressources sur le territoire. Mais l’analyse descriptive et compréhensive du cas montre que de multiples transferts croisés de pratiques et de ressources peuvent être organisés au niveau d’un territoire pour développer un véritable système de management global des talents, visant à les attirer au plan international et à les fidéliser territorialement. Ces nombreux transferts et partages de pratiques RH sont médiatisés par la plateforme numérique développée progressivement. Certains services peuvent même être vus comme de nouvelles pratiques de management des talents émergeant de la mise en réseau et bénéfiques pour l’ensemble du territoire. En particulier, les formations mutualisées ou l’homogénéisation des pratiques institutionnelles d’accueil et d’intégration peuvent être considérées comme des pratiques spécifiques du niveau inter-organisationnel, contribuant au renforcement de l’attractivité et de la fidélisation territoriale, mais aussi au développement des talents dans le cluster.

55Enfin, le troisième point de discussion traite du développement d’une marque employeur territoriale et de l’employeurabilité. En effet, nous proposons de considérer que, de la même façon que les entreprises développent en propre leur marque employeur pour attirer et fidéliser leurs talents en France et à l’étranger, les territoires sont amenés progressivement à définir une véritable stratégie inter-organisationnelle de marketing et communication RH pour attirer et fidéliser les talents internationaux en local. Dans le cas de la eDRH SA, nous observons que le territoire a été amené à définir une stratégie marketing territoriale pour développer sa propre marque employeur. Pour ce faire, SA a défini son identité RH territoriale (fondée sur la technologie, l’excellence et l’innovation) et utilise de manière intensive Internet et ses déclinaisons, notamment pour leur effet démultiplicateur à l’international (site Internet et référencement, réseaux sociaux numériques, applications mobiles, etc.). Aussi, notre analyse du cas fait émerger la notion d’employeurabilité territoriale, avec une distinction qui s’impose entre les petites et les grandes entreprises. L’employeurabilité est interprétée par Baron et Bruggeman (2010) comme une compétence des entreprises d’un territoire, qui facilite notamment le développement de démarches de GPEC dans les TPE et les PME. Le cas eDRH06 présente la spécificité d’être d’abord ciblé sur les TPE et PME du territoire, en leur offrant des outils pour attirer et fidéliser des talents et bénéficier par là même de services impossibles à développer en interne (aides au recrutement, documentation pour la formation et l’intégration, numéro vert risques psychosociaux, formations mutualisées). Quant aux grandes entreprises, ce sont notamment les apports en termes de communication RH et de gestion de leur marque employeur qui sont déterminants dans la participation des acteurs au projet. Au final, le développement de l’employeurabilité dépend donc de la taille de l’entreprise : des pratiques de mutualisation plutôt pour les PME et de communication RH plutôt pour les grandes entreprises.

56En définitive, cette recherche se veut être une première étape dans l’exploration du management global des talents par le territoire, en proposant le territoire comme nouveau niveau d’analyse pertinent et nouvelle perspective d’étude des processus et pratiques. Néanmoins, plusieurs questions demeurent à approfondir ou émergent à l’issue de ce travail, comme autant de perspectives de recherches futures. Tout d’abord, la perspective territoriale que nous proposons demeure à consolider et à préciser. Comment différencier clairement la gestion territoriale des talents des démarches de GPEC-T et de GTEC ? Comment construire une signification claire du management global des talents par le territoire d’un point de vue conceptuel et pratique ? Ensuite, le rôle des différents acteurs dans l’émergence et la stabilisation du système territorial de management des talents doit être analysé. Quels sont les acteurs prestataires d’outils et de pratiques et quels sont les acteurs utilisateurs ? Comment chacune de ces parties prenantes décide-t-elle de s’engager dans un projet territorial de management des talents ? Les rôles et les moteurs de l’engagement évoluent-ils ? Enfin, la question de l’utilisation concrète des services et de leur efficacité est un dernier axe de questionnement encore en suspens. Comment les services d’un système de management territorial des talents sont-ils utilisés et adoptés par les entreprises et les actifs ? Quels sont leurs effets perçus et réels au niveau des individus, des entreprises et des institutions ? Nous continuons actuellement le recueil et l’analyse des données sur le cluster technologique de SA et sa plateforme numérique eDRH, en gardant à l’esprit ces questions émergentes. Au final, nous espérons que notre travail enrichit (et enrichira) davantage « l’agenda de recherche », suggéré en introduction du numéro spécial de la revue « Journal of World Business » d’Al Ariss et al. (2014), grâce à l’introduction du niveau territorial, qui s’impose comme un axe majeur d’investigation en GRH depuis une dizaine d’années.

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Notes

  • [1]
    Pourtant, de nombreux auteurs (Mirallès, 2007 ; Cappelli, 2008 ; Dejoux & Thévenet, 2010 ; Chabault, Hulin & Soparnot, 2012) soulignent le fait que les talents ne sont pas nécessairement des dirigeants ou des leaders, contrairement aux hauts potentiels. En effet, les talents sont généralement considérés comme des personnes qui contribuent le plus à la stratégie d’une entreprise, mais sans qu’elles aient nécessairement une position hiérarchique élevée.
  • [2]
    De la même façon, pour Chabault et al. (2012), l’expert se distingue du talent car son expertise ne correspond pas nécessairement aux caractères d’« excellence » et de « différenciation » du talent.
  • [3]
    Commission Emploi-Formation de Telecom Valley.
  • [4]
    Ce dispositif vise à faciliter la circulation des ressortissants étrangers qui travaillent sur un projet contribuant au développement économique de la France et de son pays, ou à leur rayonnement intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire, sportif, etc.
  • [5]
    Team Côte d’Azur est l’agence de promotion et développement économique du département des Alpes-Maritimes. Son objectif est de promouvoir le territoire azuréen sur les marchés internationaux pour faciliter l’implantation d’entreprises.
  • [6]
    Les formations demandées sont en majorité des modules classiques et transversaux : gérer son temps et ses priorités, optimiser sa communication, gestion de projets, management d’équipe, gestion du stress, etc.
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