La prévention précoce : un autre angle d’intervention.
1 Si dans certains pays l’éducation d’un enfant est l’affaire de la communauté, la France responsabilise de plus en plus les parents et leur laisse une autonomie qui peut se révéler déconcertante. D’autre part, les « grands intégrateurs » que sont la Famille, l’Ecole, le Travail et la Religion ne jouent plus leur rôle (Le Bouëdec, 2001, p.51). Ainsi en 2011, d’après une enquête de l’Ipsos, 71 % des parents pensent qu’il est plus difficile d’élever ses enfants aujourd’hui qu’il y a vingt ans. On ne naît pas parent, on le devient. Et si la plupart du temps les parents trouvent un soutien dans leur entourage, ce n’est pas le cas de tous. Comment devenir un parent « compétent » si l’on n’a pas eu de référence parentale ou si ces références sont jugées défaillantes ? La démarche de prévention précoce apporte un nouveau souffle à la protection de l’Enfance en renforçant le travail avec les familles.
2 En 1948, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) propose trois types de prévention : primaire, secondaire et tertiaire, en rapport avec la maladie. La prévention primaire consiste à anticiper les risques d’apparition de la maladie. La prévention secondaire intervient en tout début de maladie pour la dépister et contrer son évolution. La prévention tertiaire quant à elle, se rapporte à la diminution des effets négatifs causés par la maladie ou son traitement. Le terme prévention tend à se détacher du caractère exclusivement médical et se rapporte à d’autres domaines d’intervention notamment celui du social. Le mot précoce vient s’accoler à celui de prévention pour caractériser des actions préventives périnatales.
3 Les programmes de prévention précoce ont débuté dans les années 60. Aux Etats-Unis, l’objectif de ces programmes était de lutter contre la pauvreté grâce à la réussite des enfants à l’école. La pauvreté était perçue comme le « sous-produit d’une culture » et la volonté d’intervention s’appuyait sur la croyance que chaque individu a la capacité d’atteindre les objectifs qu’il se fixe (Bouchard, 1989, p.140). Deux types d’action étaient développés : en direction des parents, à partir de la grossesse et en direction des enfants, principalement par le biais de l’école. Sept éléments concourent à la réussite des interventions précoces : l’intimité de l’intervention, la stabilité, l’intensité, le caractère vaste du programme, la collaboration et l’intégration des efforts entre les services partenaires, l’intégration des ressources et le respect des personnes accueillies (ibid.). L’intimité de l’intervention a trait à l’élaboration d’une relation de confiance entre les professionnels et le public. La stabilité se réfère au suivi de la famille par des acteurs stables et dont le nombre est réduit. L’intensité du programme est liée au temps investi qui sous-tend l’engagement des familles. Le caractère vaste du programme signifie qu’il offre diverses possibilités aux familles, notamment en termes d’activités proposées et d’horaires variés. La collaboration, l’intégration des efforts et des ressources concernent l’encrage du programme dans un environnement donné en partenariat et en cohérence avec les acteurs de ce système.
4 La Maison d’accueil de jour « Pain d’épices » est un exemple d’intervention précoce.
La Maison d’accueil de jour « pain d’épices » : un projet innovant.
5 La Maison d’accueil de jour de la petite enfance Pain d’Epices (que nous nommerons MAJ par la suite) est une structure qui souhaite soutenir et accompagner les parents dans une démarche de prévention précoce. En 2008, elle naît de la volonté d’une association s’inscrivant dans l’action sociale, médico-sociale et éducative, qui lui préexiste depuis plus d’un siècle. La MAJ est le fruit d’une longue réflexion qui a été forgée suite à une rencontre du directeur :
6 Une maman qui fréquentait le centre maternel, dont le père et le grand-père avaient été placés à la maison d’enfants à caractère sociale (MECS). Une mesure judiciaire était en cours pour son enfant. Et une prise de conscience du directeur de l’association : « on ne peut pas continuer à bosser en faisant des générations de gamins qui vont être placés ».
7 La MAJ est née grâce à un travail en partenariat entre la MECS et l’école maternelle. Les échanges réalisés entre les professionnels de ces deux institutions, ont permis de constater que les enfants de la MECS qui ont participé au jardin d’enfants préscolaire s’inscrivent mieux dans les apprentissages que les enfants issus de quartiers dits « sensibles ». L’ancien directeur explique qu’il y avait « environ trente-cinq enfants toutes classes confondues qui n’auraient pas dû être en maternelle parce qu’ils n’avaient pas les prérequis pour rentrer en maternelle et qui auraient dû bénéficier d’un accompagnement plus light ». Il souligne également qu’un tiers de ces enfants étaient déjà connus des services de la Protection Maternelle et Infantile (PMI) qui suivaient leur famille. D’autre part, selon lui, certains enfants placés « auraient pu rester à la maison s’il y avait simplement eu une garantie pour l’enfant ».
8 Le projet de la MAJ a été soumis au Comité Régional de l’Organisation Sociale et Médico-social (CROSM), dorénavant remplacé par une procédure d’appel à projet basée sur un cahier des charges institué par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009. Grâce au soutien de la PMI, le CROSM a autorisé l’ouverture de l’établissement avec un financement sur six mois. Si le projet fonctionnait, il allait être reconduit. Le projet a été construit dans une optique de management participatif : pendant six mois, les futurs professionnels de la MAJ se sont concertés sur les modalités d’accueil et d’accompagnement d’un point de vue organisationnel mais aussi pédagogique.
9 La MAJ a été pensée comme un « endroit où on accueillerait des enfants en situation de difficultés familiales mais pas que. […] En se basant sur la notion de compétence des parents : les parents sont compétents nous on va leur proposer quelque chose en terme d’accueil mais eux vont venir nous parler de leurs compétences ». Dans le projet d’établissement actuel, les missions de la MAJ sont « l’accompagnement et l’évaluation des enfants ; l’accompagnement à la parentalité ; le travail avec les partenaires (Espaces Solidarité, CAMSP, PIJ,…) ».
10 De par sa mission de soutien à la parentalité, la MAJ se situe dans une forme de double accompagnement : elle accompagne l’enfant et sa famille mais également les parents pour qu’à leur tour ils accompagnent leur enfant.
11 Ce type d’accompagnement nous montre une alliance entre l’individuel et le collectif. Les familles ont leurs propres logiques et c’est la raison pour laquelle « on ne peut donc imposer un schéma éducatif à tous » (Pourtois, Desmet et Lahaye, 2004). Elles ne sont d’ailleurs pas toujours conscientes des difficultés qu’elles rencontrent. Il se peut que ce que nous percevons comme un besoin ne le soit pas forcément et que le système familial ait son propre équilibre. Les interventions auprès des parents dépendent donc fortement de cette perception partagée ou non. La personne accompagnée est incluse dans la réflexion qui la concerne. A la MAJ, cela se traduit notamment par l’élaboration avec la famille du projet personnalisé : la famille a des attentes vis-à-vis de l’accueil et la structure en tient compte. Le projet personnalisé permet également de se centrer sur la famille comme un système à part entière avec un historique, des valeurs et un vécu. D’autre part, les ateliers parents/enfants permettent un accompagnement qui a pour objectif que les parents mobilisent leurs ressources (cf. tableau 1).
Tableau 1 : Organisation des interventions de la MAJ.
Tableau 1 : Organisation des interventions de la MAJ.
Un fonctionnement basé sur un partenariat avec la PMI.
12 Houzel (1999) émet des propositions pouvant contribuer au soutien à la parentalité. Il aborde notamment l’importance de la mise en réseau. Pour lui c’est un élément essentiel notamment parce que si les équipes se renferment sur elles-mêmes cela renvoie à certaines familles leur propre modalité de fonctionnement. Ainsi, ce processus défensif alimente celui des familles. La MAJ est en étroite collaboration avec la Protection maternelle et infantile (PMI).
13 Le partenariat entre la PMI et la MAJ s’inscrit dans la mission de protection de l’enfance. Il se traduit en premier lieu par une collaboration étroite pour choisir les familles auxquelles bénéficierait le plus l’accueil à la MAJ. Les puéricultrices proposent l’accueil à la MAJ à certaines familles qu’elles suivent dans le cadre de leur mission de prévention et de protection de l’enfance. Il n’y a pas de critères de sélection et la proposition est réalisée en fonction de la situation particulière.
14 Les puéricultrices incitent les familles à venir voir la MAJ et rencontrer les professionnels. La visite des locaux s’effectue avec la présence de la chef de service.
15 A partir du moment où la famille accepte le projet, une demande écrite est réalisée conjointement avec la famille et la puéricultrice. La demande fait un état des lieux de la situation familiale et expose les motivations à prendre part au projet d’accueil à la MAJ. Chaque demande est exposée lors d’une commission où siègent la chef de service et la psychologue de la MAJ, les adjointes au chef de service de l’espace solidarité, un médecin et parfois des puéricultrices. Les demandes sont alors soit acceptées, refusées ou mises sur liste d’attente en fonction des places disponibles et du degré d’importance de la situation.
16 Une fois les familles inscrites à la MAJ, le partenariat avec les puéricultrices continue. Elles sont conviées pour la réalisation du projet personnalisé (PP) et son éventuelle reconduction tous les six mois. La MAJ est également invitée à prendre part à des réunions de synthèse concernant une situation familiale particulière.
Caractéristiques des familles accueillies.
17 Les familles accueillies à la MAJ sont des familles dites en situation précaire. Leur précarité peut se manifester sur le plan économique, social et/ou relationnel. Les familles orientées vers la MAJ ont été repérées par la PMI et sont caractérisées dans le projet d’établissement de la MAJ, comme présentant « une certaine fragilité au niveau du lien, du repérage des besoins de leur enfant et des rythmes ».
18 Lors des admissions, la commission répertorie les difficultés rencontrées par les familles et éventuellement par les enfants. Elle les classe en indicateurs principaux et secondaires. Pour la période 2015-2016, le premier motif d’accueil des familles est : les violences familiales (cf. figure 1). Cependant la population accueillie est très hétérogène dans les difficultés qu’elle rencontre : les carences éducatives et les pathologies ou troubles des parents sont également fortement représentés.
Figure 1 : Indicateurs principaux d’orientation des familles à la MAJ
Figure 1 : Indicateurs principaux d’orientation des familles à la MAJ
19 D’autre part, les indicateurs principaux d’orientation des familles sont pratiquement toujours associés à des indicateurs secondaires. La difficulté de prise en compte des besoins de l’enfant est l’indicateur secondaire le plus cité.
20 Le premier motif d’accueil des enfants est lié à leur contexte familial : ils ne présentent majoritairement pas de signes alarmants à leur arrivée. Les deux autres principaux motifs sont les « difficultés au niveau du lien » ainsi que des « problèmes liés au rythme, sommeil, alimentation de l’enfant ».
21 Les statistiques relevées présentent le caractère hétérogène des familles accueillies à la MAJ. Afin que ces données prennent sens, nous avons choisi de présenter trois situations très différentes de familles qui sont accueillies à la MAJ.
22 Mère célibataire isolée : S. est une fillette de 6 mois lorsque sa maman, Mme L. fait la demande d’accueil. Cette maman vit seule avec ses deux filles, elle est en conflit avec sa propre mère et a tendance à rester cloitrée dans son appartement. Elle dit n’avoir découvert sa seconde grossesse que tardivement ; les objectifs de l’accueil sont de soutenir le lien mère enfant et permettre à cette maman de recréer du lien social.
23 Mère avec des difficultés psychologiques : Mme C. et sa sa fille L. vivent chez la grand-mère maternelle. Mme C. présente une pathologie d’ordre psychiatrique. Certaines situations provoquent chez elle de fortes angoisses : elle ne peut être seule, ni sortir seule de chez elle, elle souffre également d’agoraphobie. Consciente que sa pathologie pourrait avoir des conséquences sur le développement de sa fille âgée d’un an, elle a fait une demande d’accueil afin de lui offrir une ouverture au travers de la socialisation. Elle pense également que la participation aux ateliers en petits groupes lui permettra de s’ouvrir.
24 Situation de violence : C. est une fillette de 19 mois, qui vit avec ses parents madame et monsieur R.. La demande d’accueil mentionne des difficultés éducatives : il y est décrit une fillette vive qui se met en danger à la maison et qui fait beaucoup de crises (pleurs, colères, etc…). La demande évoque également des difficultés au niveau des rythmes de sommeil, d’alimentation. Les objectifs d’accueil visent à permettre à C. d’être stimulée par des jeux et activités liés à son âge. L’accueil régulier doit également être l’occasion de soutenir les parents dans la mise en place des rythmes sommeil/alimentation. Une difficulté supplémentaire, qui n’est pas évoquée dans la demande écrite, nous sera donnée par la suite : monsieur R. peut se montrer violent vis-à-vis de sa femme. L’accueil de l’enfant et de ses parents permet d’assurer une vigilance, de soutenir le couple et de rediriger madame R. si besoin.
Le cheminement des parents dans leur accompagnement.
Les debuts…
25 Les parents se souviennent avoir eu divers ressentis lors du premier jour d’accueil de l’enfant. Deux parents n’ont pas vécu ce moment négativement de par leur besoin que l’enfant soit accueilli et parce qu’ils ont déjà eu des enfants inscrits en accueil collectif. La plupart des parents ressentent de vifs sentiments tels que l’appréhension, la peur, le reproche envers soi :
26 – « Moi j’ai toujours eu mes enfants que pour moi donc le fait… c’est comme si on me les enlevait en fait ».
27 – « Alors euh moi quand, la toute première fois quand j’ai fait la visite sur place là-bas euh… où y est eu concrétisation du projet euh j’ai failli tomber dans les pommes. Mais pas parce que c’était une crèche ou quoi que ce soit. C’était parce que c’était mon fils et euh, et euh je me suis dit [rire] non c’est, c’est, j’ai failli avoir un malaise. […] Non c’est le lien fusionnel que j’avais avec lui qui a fait que ben j’allais le laisser à quelqu’un d’autre que moi parce que jusqu’à maintenant c’était que moi qui s’en occupait. ».
28 – « Après c’est vrai que c’était dur hein on peut pas le cacher hein. Moi j’arrivais pas à donner mes enfants ».
29 – « J’avais peur. J’avais peur et [prénom de son fils] c’était mon premier… Je l’ai eu 4 ans après mon mariage. J’ai quand même eu du mal à tomber enceinte j’avais très peur. Et j’avais l’impression de jeter [prénom de son fils] parce que son frère était arrivé. ».
30 – « au début j’ai fait la rebelle je voulais l’enlever [rire]. Parce que, je voulais pas, je trouvais… J’ai trouvé toutes les excuses du monde : j’ai dit que c’était pas propre, j’ai dit que euh j’aimais pas les, le personnel… J’ai dit tout en fait, j’ai cherché des excuses de fou. J’ai fait un rejet total alors que j’en avais besoin. […] C’était dur de passer le relais à autre que ma mère donc du coup c’était un peu… Mais après au bout d’une semaine ça s’est calmé ».
31 Pour les parents ce n’est souvent qu’une étape transitoire. Ils soulignent le rituel d’adaptation et l’importance du lien de confiance qui s’établit avec les professionnelles.
Les apports de l’accompagnement à la MAJ selon les parents
32 Après avoir réalisé un échantillon représentatif, nous avons mené des entretiens auprès de 20 anciens parents dont l’enfant a fréquenté la MAJ entre 2008 et 2014 afin de connaître leur représentation vis-à-vis de l’accompagnement qu’ils ont vécu. Il en ressort que les parents ont trouvé que la MAJ a été source d’apports pour leurs enfants mais également pour eux.
Pour les enfants
33 Tous les parents interrogés (hormis une non-réponse) déclarent que la MAJ a apporté quelque chose à leur enfant. Les principales réponses concernent le développement psychomoteur et éducatif de l’enfant et le détachement de ses parents (cf. tableau 2).
Tableau 2 : Les apports de la MAJ pour leur enfant selon les parents.
Bien-être/épanouissement | Développement/apprentissages | Détachement | Socialisation |
---|---|---|---|
3 | 13 | 5 | 4 |
Tableau 2 : Les apports de la MAJ pour leur enfant selon les parents.
34 Voici deux extraits d’entretiens qui illustrent ces réponses :
35 – « C’est bien il a appris plein de choses. Ben, ben ils faisaient beaucoup de choses » ; « Si je ne l’avais peut être pas mis à la MAJ ou à un endroit où il y a plusieurs enfants, ça se serait pas passé comme ça. Parce que justement il aurait été encore plus avec moi jusqu’à… ».
36 – « Mes fils à l’âge de deux ans, un an et demi-deux ans ils savaient parler le français. Alors qu’il y a beaucoup d’étrangers quand ils rentrent, à l’âge de 3 ans quand ils rentrent à la maternelle sans aller à la crèche ou quoi que ce soit ben ils ont du mal ces enfants-là. Ils parlent que le turc ou que l’arabe. Ben ils ont beaucoup de mal alors que mes fils ils ont pas eu de mal. Ca a apporté… Ils savaient déjà manger correctement. Ils savaient pas mal de choses, les couleurs, compter un peu, parler en français… C’est déjà une bonne chose. Ils étaient plus mûrs. » ; « ça a apporté beaucoup de choses à mes enfants. A partager, ça ils savaient déjà le faire. » ; « ils savent déjà parler le français, ils écoutent bien, ils savent partager… ça après ça venait de la MAJ aussi. ».
37 Beaucoup de parents évoquent la MAJ comme une préparation à l’entrée en école maternelle.
Pour les parents
38 Toutes les personnes interrogées (hormis une non-réponse) déclarent que la MAJ leur a apporté quelque chose en tant que parent. Ils évoquent principalement le fait de pouvoir se reposer/souffler/voir autre chose, rompre l’isolement/l’ennui et rencontrer des personnes ainsi que d’avoir reçu de l’aide, du soutien et de l’écoute (cf. tableau 3).
Tableau 3 : Les apports de la MAJ pour les anciens parents.
Se reposer/souffler | Rompre l’isolement, l’ennui | Aide et soutien dans ses difficultés/écoute | Confiance en soi | Relation à l’enfant |
---|---|---|---|---|
7 | 7 | 7 | 3 | 5 |
Tableau 3 : Les apports de la MAJ pour les anciens parents.
39 Par rapport au soutien dans les difficultés, aux relations sociales et à la confiance en soi :
40 – « Parce qu’à ce moment-là j’avais besoin de parler. Euh, ils sont là pour les enfants mais ils sont aussi là pour les parents et, et ils m’ont quand même bien accompagné, bien conseillé quand j’avais besoin d’aide à côté et puis, et puis j’ai pu me faire des amis. Ça aide aussi. » ; « Oui j’ai eu beaucoup de choses qui se sont… Mais je pense que la MAJ a beaucoup changé : j’ai repris un peu plus confiance en moi. Elle m’a servi surtout pour moi que [rire]… Ouais c’est surtout pour moi que ça a servi que pour mon fils ! ».
41 – « Pour moi c’était un point, un point solide sur lequel je pouvais compter et, et… où on me jugeait pas, où on me soutenait. Où quand il y avait le moindre problème je pouvais être avec [prénom psychologue MAJ] ou avec Madame [nom chef de service MAJ], je pouvais parler. C’était vraiment une bulle pour moi dans laquelle je me sentais en sécurité, où ma fille elle était en sécurité. […] Du coup ben c’est rassurant en tant que parent. ».
42 Par rapport au besoin de souffler et à l’écoute :
43 « Parce qu’on peut discuter. Je veux dire quand on travaille pas que même s’il y a cinq enfants, qu’on a plein de boulot, faut des fois qu’on décompresse, qu’on voit autre chose qu’on voilà, qu’on parle d’autre chose et… Surtout quand j’étais à la MAJ j’avais une période où c’était difficile pour moi » ; « Voilà de souffler, de voir autre chose quoi. De pouvoir un peu me libérer de tout ça parce que quand on est à la maison, ménage, truc… Mais c’est vrai que… Non mais en plus elles sont beaucoup à l’écoute et c’est… c’est agréable quoi ».
44 Par rapport à la relation avec l’enfant :
45 – Bon en plus moi maintenant quand je vais faire des gâteaux et tout ça, je fais aussi avec eux. Je les laisse tourner et tout ça… […].
46 – « Moi ça m’a permis de, de grandir aussi ! De voir les choses autrement. Maintenant ben je vois, ouais je vois les choses autrement […] En fait maintenant c’est plus….c’est, c’est MES enfants mais ben maintenant voilà avant j’allais dans un parc de jeu ils avaient pas le droit de jouer au sable parce qu’ils allaient être sales, ils allaient aussi tomber ou s’ils avaient une petite tâche fallait pas qu’ils mangent de… Ben non ça m’a permis de ouvrir tout ça quoi ».
47 – « Ça m’a changé quand même. Au moins on apprenait les choses à reproduire après avec les enfants à la maison ».
48 Nous avons relevé l’importance du lien qui a été établit entre les parents et les professionnelles, notamment à travers le champ lexical de la famille : « petite famille », « grandes sœurs », « une belle petite famille ». La MAJ est évoquée en tant que telle dans trois entretiens différents. Des termes liés au sentiment de sécurité sont souvent évoqués : la confiance, être rassuré, le non-jugement. Un des parents met également en avant le rôle de la référence des professionnelles. L’accueil est un terme qui revient fréquemment.
La fin de l’accompagnement : dur retour à la réalité ?
49 L’accompagnement à la MAJ a pris fin pour dix-neuf parents lors de la scolarité de l’enfant, pour un parent à cause d’un placement judiciaire de l’enfant. Sur les vingt parents interrogés, huit trouvent que la fin de l’accompagnement a été difficile pour l’enfant mais surtout onze trouvent que la fin de l’accompagnement a été difficile pour eux.
50 Les principales difficultés énoncées se réfèrent au manque de lien, à l’ennui et à l’isolement :
51 – Après toutes les activités s’arrêtent. Tout… où on a l’habitude de voir les parents et tout. […] Je participais même au café des parents. Même à l’atelier de [prénom] le mercredi après-midi ».
52 – « Moi ça m’a fait drôle. […] Parce que ces sorties, ces trucs là ils étaient plus alors à ce moment-là je travaillais déjà encore pas donc euh ben là je me suis retrouvée à la maison à rien faire [rire]. […] Ben parce que je me suis créée des amis puis j’avais pareil la peur de peut-être plus avoir ce contact avec eux parce que elles, elles continuaient. C’était une année où elles, elles continuaient encore. Elles sont arrivées après moi donc euh elles ont continué une deuxième année. Euh et donc voilà j’avais peur de cette habitude soit, parce que moi je fais plus partie de la MAJ donc voilà. ».
53 – « Ah moi j’étais bien ici ! Quand ça s’est fini je me suis dit mince, qu’est-ce que je vais faire certain jour ! ».
54 – « C’était plus dur pour moi les premiers temps parce que ben surtout quand la dernière est sortie d’1, 2, 3… parce que ben il y avait plus d’activités. » ; « Je m’ennuyais […] Je me disais ça y est maintenant, je vais faire quoi euh… Donc on s’est dit, on a essayé de s’occuper comme on pouvait mais voilà quoi. ».
55 – « Et moi voilà justement j’étais perdue vers la fin. J’étais allée voir [prénom de la psychologue de la MAJ], j’avais parlé avec madame [nom de la chef de service de la MAJ] et heureusement qu’après j’ai connu là le centre Europe, le club des jeunes… » ; « Parce que moi j’avais l’impression qu’on m’avait laissé tomber d’un coup… Mais après j’ai commencé à connaître d’autres choses. Mais moi je préfère ces, ces parents là que… qui, qui soient pas comme moi ouais voilà je me retrouve de nouveau toute seule… » ; « Pour moi c’était encore plus difficile que eux hein. ».
56 – « on disait que ouais avec d’autres mamans que ça nous manquait en fait ! C’est vrai. Euh ouais au début ça était… euh ouais il y avait un manque ! [rire]. ».
57 Deux mamans évoquent la fin de la MAJ comme la fin d’un soutien tant au niveau des professionnelles que des parents :
58 – « C’est moi qui ai regretté la MAJ, surtout il y avait tous ces gens qui m’écoutaient, qui me comprenaient, qui me donnaient des conseils et tout ça... ».
59 – « Bah oui parce que moi je voyais du monde, il y avait deux parents avec moi dans les activités. Et c’est vrai que l’on pouvait communiquer. Elles avaient des problèmes avec les siens, j’avais des problèmes avec les miens, on essayait de trouvé des solutions pour arranger les choses, on faisait des échanges, quand tu es à la maison tu ne peux pas faire ça, c’est pour ça que c’était autant bien pour moi que pour eux car je voyais du monde. Tandis que là.... c’est plus pareil. Ça ne s’achète pas, ça ce fabrique. ».
60 Enfin, une maman a ressenti la fin de la MAJPE comme un manque affectif s’élevant presque au même titre qu’un abandon :
61 – « C’était comme une famille et ça fait du bien quoi. C’est pour ça que pour moi ce que vous faites c’est important. Quand on faisait des lettres pour les financements pour les voyages ou bien… on était tous impliqué parce qu’on, on est reconnaissant. Je crois qu’on a été beaucoup à pleurer [rire] à la fin de la MAJ. On a envie d’en refaire un [rire] pour qu’il y retourne mais… » ; « Donc du coup on a dû arrêter un peu brutalement. Donc du coup ça m’a fait bizarre parce que j’ai pas pu dire au revoir euh… » ; « ça m’a fait un trou. Et tout mon équilibre en fait il a changé. » ; « Du coup c’est sûr que ça fait un petit peu bizarre quoi. Mais maintenant que les mois ont passé que ça va bientôt faire un an c’est sûr que les choses se tassent quoi. Mais c’est clair qu’au début c’était pas [rire]… c’était pas simple quoi. Et les gens nous manquent hein. On a envie de les voir encore, on a envie de partager des choses… Là du coup je suis contente parce que vu que là ma meilleure amie elle est là-bas ben quand on vient chercher le petit à la camionnette ben du coup on peut papoter un petit peu ou on rigole de nouveau. Donc ça laisse un petit fil de lien quoi. Mais après on est adulte, on nous dit de passer à autre chose donc euh… Mais c’est vrai que c’est tellement… Enfin pour moi ça a été tellement un bloc dans ma vie que c’est délicat après… ».
62 Dans les structures du secteur social, l’accompagnement est souvent soumis à des injonctions temporelles. L’accompagnement doit alors, se concevoir comme un parcours, impliquant nécessairement une fin. Si, cette question fait débat, elle fait partie d’une réalité dans les pratiques. Comment élaborer l’accompagnement pour qu’il soit bénéfique et n’induise pas une forme de dépendance ?
Entre accompagnement et éducation familiale, penser l’éthique.
63 Il est important de se concentrer sur les enjeux déontologiques de l’action auprès des familles car elle peut venir interférer avec les valeurs familiales singulières. « S’il existe un domaine où se profile un risque permanent de confusion entre la démarche scientifique et des prises de position moralisatrices, c’est bien celui de l’éducation familiale » (Gayet, 2006, p.31). Le caractère spécifique de l’éducation familial nécessite de réfléchir à son positionnement pour ne pas aller à l’encontre de ses objectifs initiaux. Une relation de confiance ne peut pas se créer si l’un a le sentiment que l’autre a l’ascendant sur lui : nous serions dans une relation asymétrique. L’autre peut-il se développer en tant que sujet singulier s’il est sous influence ?
64 L’action auprès des familles induit une posture éducative spécifique : éduquer celui qui éduque. Durning (2006) parle d’une forme d’homologie, c’est-à-dire que les professionnels transmettent aux parents qui eux-mêmes transmettent à leurs enfants. Cela nécessite une grande réflexion éthique : quelle est la limite pour ne pas tomber dans le « faire à la place de » mais surtout dans le « penser à la place de » ? L’accompagnement nous amène à nous interroger sur sa finalité ainsi que sur l’influence que les professionnels peuvent avoir sur les familles : faut-il influencer ? Mais dans un autre sens, peut-on ne pas influencer ? Ce sont des interrogations que l’on retrouve dans l’éducation en direction des enfants mais aussi des parents.
65 Ce même auteur s’interroge sur la question de la subsidiarité présente dans l’éducation familiale : quelle est la place de l’Etat, des structures d’accueil et de la famille dans l’éducation de l’enfant ? En France, beaucoup d’actions et de politiques sont menées en faveur des familles. Pourtant, et contrairement à d’autres pays, l’éducation familiale reste un sujet sensible. Houzel (1999) relève que la formation des professionnels sur l’éducation de l’enfant est une préoccupation de l’Etat français et que « l’éducation sociale est en grande part déléguée à la collectivité dès le plus jeune âge » (p.186). Cependant, la question de la formation des parents est occultée et les quelques initiatives locales ne s’enracinent pas dans une volonté politique spécifique.
Conclusion
66 Les relations parents-professionnels sont souvent compliquées dans le domaine de la protection de l’Enfance. D’une part, parce qu’avant même le début de la démarche d’accompagnement un jugement a été porté sur la situation familiale. D’autre part, parce que les interventions en direction des familles s’appuient principalement sur leur défaillance. La relation s’entame sur une base inégalitaire.
67 La Maison d’accueil de jour « Pain d’épices » est un lieu de non-jugement où les parents réussissent à créer un lien de confiance avec les professionnels qui les accompagnent. Nous pensons que la MAJ est un lieu source de savoirs expérientiels. Comment pouvons-nous proposer un jeu à notre enfant si étant petits nous n’avons jamais expérimenté la joie qu’il procure ? Il est difficile, voire inconcevable de transmettre et de transposer des expériences que l’on n’a pas connu. La MAJ offre cet espace-temps propice à la découverte, à l’appropriation puis à la transmission. La compréhension de chaque famille s’envisage au regard de ce qui fait norme chez elle, et non au prisme de l’a-norme. Cet accompagnement pourrait se révéler être un support à la résilience familiale.
Bibliographie
Bibliographie
- Ausloos Guy, La Compétence des familles : temps, chaos, processus, Toulouse, Erès, 2008.
- Bouchard, Camil, « Lutter contre la pauvreté ou ses effets ? Les programmes d’intervention précoce », in Santé mentale au Québec, n° 2, Pauvreté et santé mentale, 1989, pp. 138-149.
- Durning Paul, Éducation familiale : acteurs, processus et enjeux, Paris, L’Harmattan, 2006.
- Gayet Daniel, Pédagogie et éducation familiale : concepts et perspectives en sciences humaines. Paris, L’Harmattan, 2006.
- Houzel Didier, Les enjeux de la parentalité. Toulouse, Erès, 1999.
- Le Bouëdec Guy, Du Crest, Arnaud, Pasquier, Luc et Stahl, Robert, L’accompagnement en éducation et formation : un projet impossible ? Paris, L’Harmattan, 2001.
- Pourtois, Jean-Pierre, Desmet, Huguette et Lahaye, Willy, « Connaissances et pratiques en éducation familiale et parental », in Enfances, Familles, Générations, n° 1, Regards sur les parents d’aujourd’hui, 2004, pp. 22-35.
Mots-clés éditeurs : accompagnement, expérience, parents, prévention précoce, protection de l’enfance
Mise en ligne 30/11/2017
https://doi.org/10.3917/graph.hs010.0111