Notes
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[1]
L’association Des Mains Libres innove et développe ce modèle de médiation culturelle à vocation sociale au travers de son projet nommé « Un Autre Regard ». Elle propose ce modèle avec différents partenaires sociaux et muséaux. Elle organise des « activités-formations » permettant aux bénéficiaires de devenir les initiateurs de paroles et de regards face aux œuvres pour le public ordinaire des musées. Outre l’activité culturelle pour les participants, la confrontation aux œuvres et à soi, l’inclusion sociale et la valorisation lors de l’évènement, c’est aussi une formation pratique offerte au personnel éducatif des musées sur la notion de projet et le travail en médiation culturelle à vocation sociale. Cette formation rentre dans le cadre des objectifs de la loi « handicap » du 11 février 2005 et répond à l’enjeu sur l’accessibilité. Rappelons que dix ans avaient été donnés depuis la loi pour rendre accessibles tous les lieux publics, dont les musées ; cet enjeu lié à l’accessibilité est donc un enjeu actuel majeur. Pour une vision plus approfondie du projet : www.desmainslibres.com
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[2]
Le Clark Institute est à la fois un musée des beaux-arts aux collections remarquables et un centre de recherche et d’expérimentation innovant en matière d’histoire de l’art, mais aussi sur les questions de la médiation culturelle et de la pédagogie de l’art. Le Clark institute est basé dans le Massachussetts aux États-Unis.
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[3]
Voir Ronna Tulgan Ostheimer, « Making Museums Socially Relevant : The RAISE Program at the Clark », Best Practice 4, A toll to improve museum education internationally, edited by Emma Nardi and Cinzia Angelini, ICOM, Edition Nuova Cultura, Roma, 2015 , p. 95-104.
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[4]
Une vidéo de 15 minutes montre l’expérience menée au Clark avec ces adolescents : http://www.clarkart.edu/About/Global-Initiatives
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[5]
Le FRAME est une fédération de trente grands musées de France et d’Amérique du Nord qui promeut la collaboration culturelle et les échanges de compétences.
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[6]
Sur une approche critique concernant les ateliers de médiation artistique dans lesquels le participant est invité à copier, mimer un style caractéristique, voir Alain Troyas, « On devient ce que l’on voit et ce que l’on fait » (2001, pp. 31-40). L’auteur questionne la pertinence de la démarche en soulignant l’absence de références à l’histoire de l’art, ce qui engendre le plus souvent un manque de recul et de prise en compte des contextes de création toujours très spécifiques ainsi qu’une sous- évaluation de la puissance des images sur l’imaginaire de chacun.
1 En réponse aux préoccupations liées à l’inclusion et à la mixité sociale, à la citoyenneté des personnes en marge, au développement de leur autonomie et de leurs réseaux sociaux, il semble judicieux de proposer des pistes de renouvellement au sein des pratiques de médiations artistiques et culturelles dans le domaine des arts visuels en particulier.
2 Actuellement, nous pouvons noter l’émergence d’expériences sociales qui démontrent l’impact positif sur les bénéficiaires d’une approche en médiation culturelle au sein de musées. Ces quelques expériences nous poussent à envisager des activités destinées à un public vulnérable et qui mettent en lien la réflexion, la socialisation et le questionnement autour de l’art dans une visée d’inclusion sociale réelle. Aussi, notre proposition est de concevoir un modèle d’« activité-formation » au sein de musées, développant de fait la notion de médiation culturelle à vocation sociale [1].
3 Le dispositif développé est une proposition offerte aux musées, mais aussi à tout organisme sensible à ces questions de médiation culturelle à vocation sociale. Il s’agit donc d’explorer un projet où la participation sociale est englobante et où le participant développe ses forces à travers une activité qui prend le pari de la réussite.
4 Ainsi pourra s’esquisser un modèle nouveau, déjà émergent dans le champ des pratiques de médiations, à la rencontre du culturel et de l’artistique, au croisement des institutions sociales et des espaces d’exposition et qui recentre la place et le rôle de l’œuvre d’art dans le processus.
Un modèle émergent
5 Dans le domaine des arts visuels, l’espace muséal représente aujourd’hui un lieu privilégié pour développer des projets de médiation innovants à caractère social. Différents programmes récents mis en place au sein d’institutions muséales en France et à l’étranger ouvrent une voie possible en ce sens.
6 En 2009, le Clark Institute [2] met en place un projet pilote intitulé RAISE Program (Responding to art involves self-expression). En collaboration avec une prison pour mineurs (the berkshire county juvenile courts), un travail est effectué au sein de la collection d’art du Clark Institute avec un groupe d’adolescents incarcérés.
7 L’objectif du programme est de favoriser le développement de l’estime de soi et d’acquérir une vision positive du monde contemporain à travers le travail sur la collection d’art. L’équipe encadrante se compose de psychologues, de membres du Clark Institute et de représentants légaux. L’expérience est menée sur une période de deux mois. Les adolescents volontaires sont immergés au sein du musée. Pour la plupart d’entre eux, il s’agit d’une première fois. Ils y découvrent un lieu accueillant, protecteur et dynamisant. Progressivement, ils s’imprègnent de la collection, tissent des liens avec les membres de l’équipe et apprennent à regarder, à penser et à parler à propos d’œuvres choisies dans une perspective enrichissante.
8 Les résultats concrets obtenus à la suite du travail mené ont été considérés comme très encourageants. Les premières études qui évaluent l’impact de ce programme suggèrent qu’apprendre à regarder et à parler d’art développe l’estime de soi et améliore le regard sur le monde des participants [3]. On ne relève aucune récidive chez les adolescents qui ont participé au programme RAISE [4]. Les témoignages des adolescents se rejoignent sur le sentiment très satisfaisant de s’être senti être capable de. L’estime de soi s’est vue augmentée, car les participants ont pris conscience d’avoir pu, d’avoir réussi à faire face à une œuvre qui leur était, dans un premier temps, totalement étrangère. Grâce à la confrontation, au travail et au soutien de l’équipe encadrante, ces jeunes sont parvenus à cheminer vers les œuvres et à se les approprier. Ils sont parvenus à construire leur propre discours.
9 À la suite de cette première expérience, le FRAME [5] (French american museum exchange) met en place un programme intitulé Talking Art qui poursuit les mêmes objectifs que le RAISE program et essaime sur le territoire nord-américain et français. Plusieurs musées ont ainsi développé leur propre version du programme Talking Art et notamment les musées de Montpellier, Rouen et Marseille.
10 En 2013, le musée Fabre de Montpellier accueille des détenus de la prison de Villeneuve-lès-Maguelone. Après avoir suivi des visites spécifiques, les détenus eux-mêmes parlent d’une œuvre choisie au sein de la collection du musée. Ces paroles posées sur les œuvres font l’objet d’un enregistrement sous forme de capsules sonores courtes (2 à 3 minutes) pour chacune des œuvres choisies. Celles-ci sont proposées à l’écoute du grand public lors de la Nuit des Musées 2014. Ces capsules proposent un autre regard sur des œuvres déjà connues, une approche personnelle et souvent émouvante. L’auditeur lambda redécouvre les œuvres grâce à l’éclairage particulier apporté par le regard de ce public spécifique, mais aussi à travers la spontanéité et l’ouverture dont font preuve les participants face aux œuvres. Le plaisir que ces détenus ont eu à jouer le jeu de la description d’œuvres dans ces capsules s’entend et ne peut qu’inciter l’auditeur à imiter cette approche libre et ouverte devant les œuvres.
11 Ces expériences récentes et innovantes démontrent le potentiel de la pratique d’une médiation artistique autour d’un jeu de lecture d’œuvre et affirment le caractère opérant de l’équation suivante :
12 Œuvre d’art + Oralité et échanges humains = Estime de soi renforcée et vision positive du monde
13 Apprendre à regarder, voir de près, voir de loin, se perdre dans les détails, faire une pause, explorer à nouveau l’image, prendre son temps, retrouver son chemin, parvenir à ordonner un ensemble, mais aussi apprivoiser ses sentiments, ses émotions, ses peurs, se questionner, enquêter, déchiffrer, découvrir l’histoire, l’intention de l’artiste et toujours traduire ce tout en mots pour le proposer et l’échanger avec l’autre.
14 Ce cheminement est exigeant et de longue haleine, mais garantit, en retour, une satisfaction réelle pour le promeneur qui aura fait l’effort de s’aventurer sur les chemins de traverse du monde des arts visuels.
15 Ces récentes expériences convergent toutes vers un renouvellement de la conception de la médiation en matière d’art visuel. Ce modèle émergent reste cependant à approfondir. Comment articuler ces pratiques innovantes qui confrontent les œuvres d’art aux mots avec les problématiques d’inclusion et de mixité sociale ? À la différence des programmes décrits ci-dessus, le dispositif que nous proposons s’engage véritablement dans cette voie participative et inclusive.
De quel dispositif s’agit-il ? Logistique
16 Le dispositif proposé implique la constitution d’un groupe d’environ huit adultes en situation de handicap mental et/ou psychique qui vivra une expérience esthétique et de communication au sein du musée partenaire. Même si ce projet peut se mener auprès de différents publics comme nous le montrons ci-après, nous restons centrés sur les problématiques liées au handicap mental et/ou psychique.
17 Afin de faciliter les nouvelles rencontres et d’élargir les réseaux sociaux des participants, les adultes volontaires ne sont pas tous les résidents d’une même structure, mais relèvent de différents organismes. Une fois le groupe constitué, les usagers sont immergés dans le musée pour participer à une activité formatrice de plusieurs séances. Il s’agira pour les participants de choisir des œuvres d’art qu’ils « travailleront » au travers de notions en histoire de l’art, mais aussi sous un aspect plus analytique de l’œuvre sur soi-même. Les jeux d’observation, de questionnements, de proposition de lecture de l’œuvre sont des pistes qui seront explorées et qui permettront d’outiller le participant afin qu’il devienne le médiateur culturel pour le public ordinaire des musées lors d’un évènement rassembleur et collaboratif. Cet enjeu final offre un sens réel à l’activité ; il en est le défi, mais représente aussi toute son ouverture. Des intervenants viennent enrichir l’activité et des enregistrements sonores en gardent trace.
18 Un tel projet présente un caractère d’innovation sociale autant par son approche théorique que dans la réalisation concrète de l’évènement. Il s’agit tout d’abord de considérer l’éducation au regard, c’est-à-dire la découverte active, curieuse et critique du monde des arts visuels, comme un vecteur de participation citoyenne chez ce public spécifique. Ensuite, la réalisation concrète de l’évènement permet d’expérimenter une redistribution des rôles sociaux absolument inédite : donner la possibilité à des adultes en situation de handicap mental de devenir les médiateurs, les transmetteurs de culture au sein du grand public.
19 En remplissant les objectifs d’accessibilité de la culture pour tous, le projet convoque en même temps les notions d’inclusion, de mixité sociale et se donne pour ambition de questionner et d’interpeller les codes sociaux qui régissent nos rapports à la culture et donc aux autres.
Partenariat nouveau : le musée
20 Des partenariats sont engagés : musées et institutions médico-sociales sont les deux entités du projet.
21 Le musée est essentiel puisqu’il conserve les œuvres c’est-à-dire les sujets mêmes du projet. Il les héberge et va héberger l’activité. Celle-ci est formatrice pour les participants puisqu’ils vont devoir construire leur projet individuel à partir d’œuvres de leur choix en développant des compétences nécessaires à la réalisation de l’évènement. Le musée accueille le groupe de participants. Il est un lieu qui va se substituer au milieu protégé dans lequel vivent principalement les adultes concernés. Le musée devient donc ce nouvel espace protecteur, cet asile public ouvert à tous. Les participants se retrouvent en position dominante, en position de force, car ils sont les privilégiés d’un lieu spécialement adapté à eux dans une visée de participation sociale. Cela est tout à fait différent d’un milieu protégé fermé sur lui-même et privé. L’activité dédiée aux participants est privée, mais le lieu est ouvert. En cela, déjà s’esquisse une particularité fondamentale dans la valorisation et l’estime de soi pour ces adultes généralement stigmatisés et en marge des lieux publics. Les participants deviennent les maîtres à bord d’un projet qui n’est pas centré exclusivement sur eux, mais bien avec une finalité d’inclusion et de partage. De plus, cette activité formatrice se déroule ; elle se construit dans la durée ce qui représente un aspect important pour les musées qui proposent des activités pour différents publics, mais dont la durée reste généralement courte. Les personnels des musées témoignent aujourd’hui de l’ouverture de leur musée, mais de l’aspect trop « consommable » des activités proposées. (Schéma du principe d’action du projet à consulter sur le site du Sociographe : www.sociographe.org).
La médiation culturelle à vocation sociale
22 Cette médiation culturelle à vocation sociale est un moyen pour réunir des publics qui ne se fréquentent pas, s’ignorent, se méconnaissent. La médiation se situe au milieu de différentes parties, elle s’engage comme un intermédiaire qui revêt différentes formes.
L’association/les professionnels comme intermédiaire
23 L’association crée les conditions favorables des rencontres. Elle initie des partenariats nouveaux et met en relation les différents protagonistes à savoir les musées, les structures médico-sociales et/ou les familles, et les participants.
L’œuvre comme intermédiaire
24 L’œuvre est au centre de la relation entre le participant et le public ordinaire. L’œuvre devient le prétexte des rencontres. Elle est le sujet des débats, des discussions, des échanges. La relation tripartite est dynamique et verbale.
Le participant comme le médiateur entre l’œuvre et le public
25 Étape extrêmement valorisante pour le participant puisqu’il génère des rencontres, des situations, et des connaissances. Il initie les dialogues, soulève des questionnements, impulse les dynamiques verbales. C’est précisément suite aux apports de l’activité/formation que ce défi est relevé par le participant.
Pourquoi « médiatiser » ?
26 L’objet « œuvre d’art » reste complexe, mystérieux, pluriel. L’œuvre d’art ne transmet pas un message unique, mais offre bien différentes lectures possibles. Elle engage un processus esthétique polymorphe puisque chaque regardeur dispose de ce potentiel d’expérience esthétique. De fait, l’œuvre peut être vécue par le regardeur, ressentie, décrite, questionnée. La connaissance de données en histoire de l’art sur l’artiste, la période, le contexte socio-politique et l’iconographie sont autant d’aspects permettant une description de l’œuvre affinée et une appréhension facilitée. Cependant, la charge émotionnelle, la puissance esthétique, l’harmonie générale sont les caractéristiques de l’œuvre d’art qui en font toute sa complexité. Aussi, c’est sur cette part sensible de l’œuvre que le participant peut s’engager, et initier les discussions.
27 Pour aborder les questions de médiation artistique ou culturelle dans le domaine social, il nous semble essentiel de ne pas omettre l’apport de la discipline de l’histoire de l’art qui appartient pleinement aux sciences humaines et qui participe à la production du discours sur l’art et ses pratiques. Plus qu’un découpage stéréotypé qui déroule une frise des grands mouvements de l’art dans le temps, l’histoire de l’art, pour peu que l’on s’y attarde et qu’on la débarrasse de son dogmatisme parfois étouffant, est une invitation à un voyage esthétique proposant une multitude d’approches et d’entrées. S’appuyer sur l’exigence scientifique développée au sein de cette discipline représente une étape inévitable dans la quête d’une expérience esthétique complète faisant à la fois appel à la sensibilité et à la raison. En contribuant à l’appropriation d’un savoir extérieur à soi qui permet en retour de construire son propre regard sur l’œuvre, de vivre une expérience individuelle de la forme artistique, l’histoire de l’art en acte doit trouver aujourd’hui toute sa place dans les pratiques de médiation artistique appliquées au champ du social.
28 Parce que tous les regards peuvent être discutés, peuvent se questionner, se confronter, se combiner, alors il semble intéressant de médiatiser toutes ces interactions. En effet, cette médiation devient une activité qui rassemble et qui permet la collaboration de tous pour qu’émerge du sens dans l’œuvre. Elle réintègre du verbe face aux œuvres, pratique qui tend à disparaître au sein du musée. Dès lors, celui-ci ne devient plus un lieu sacré dans lequel le dévot face à l’œuvre se tait et garderait pour lui son éventuelle expérience esthétique. Au contraire, il devient un lieu où la parole s’échange et où s’autorisent des tentatives d’observations et de questionnements. Une telle médiation stimule les regards et la collaboration de tous. Rassembler, collaborer, fédérer sont les maîtres mots d’un tel projet. La participation sociale engagée dans cette médiation reste libre, volontaire et constructive. Ainsi, la médiation culturelle devient une force créative, car elle « oxygène » l’esprit. Toute acquisition de savoir est facilitée quand ce savoir est précisément expérimenté et questionné. Nous suivons ici les préceptes philosophiques et esthétiques de penseurs tels qu’Adorno en interrogeant « concrètement le contenu social de l’œuvre » , en nous appuyant sur l’œuvre d’art et sur son autonomie. En envisageant l’œuvre non comme « immédiate », mais comme « médiate », nécessitant des intermédiaires (Ardono, 1984, p. 46).
29 Il est intéressant de penser une activité qui construit. Souvent, les travailleurs sociaux envisagent des activités qui vont développer la motricité ou la créativité des participants. Mais trop rares sont les expériences esthétiques abordées. Trop rares sont les activités qui poussent les bénéficiaires à réfléchir, à se questionner comme s’ils n’en étaient pas capables ou qu’ils avaient atteint pour toujours leurs limites. L’œuvre d’art devient le prétexte pour réfléchir sur soi-même, « ce qu’il y a d’unique en elle c’est la révélation de l’être » (Maldiney, 2002, p. 24). Créer un espace de parole dédié à cette construction est finalement l’enjeu du projet. Le participant est le créateur de cet espace au moment de sa rencontre avec le public. Nous abordons ainsi des constructions multiples et combinatoires.
30 Ces espaces de paroles ouverts à tous peuvent être saisis par les travailleurs sociaux eux-mêmes permettant de développer une relation privilégiée avec les usagers. En effet, les professionnels pourront apprendre par leur usager sur leur usager. De plus, ces espaces qui créent du sens de l’œuvre sont également initiatiques. Ils permettent de découvrir sur soi-même et ont une puissance libératrice. Le travailleur social pourra être séduit par son usager, sur son usager et sur lui-même en tant que professionnel.
31 La médiation culturelle à vocation sociale comme envisagée dans ce projet est un terrain de jeu sans norme où les rôles sociaux ne prédominent pas.
32 Dans les ateliers éducatifs mis en place au sein des musées, le participant reçoit un discours autour d’une visite commentée par un guide et peut également pratiquer une activité manuelle ayant un thème précis dont un des favoris reste le fait de peindre « à la manière de ». Ce type d’activité contraint le participant à trop peu réfléchir sur soi, à principalement écouter sans avoir la possibilité de mûrir sa propre observation [6]. Il fait intervenir davantage le corps que l’esprit. Faisons le pari qu’un individu ayant une différence intellectuelle peut construire ses propres représentations et traduire par lui-même ses observations de l’œuvre sur le monde dans lequel il vit. Donnons-lui la possibilité d’élaborer une réflexion. Le schéma de médiation culturelle à vocation sociale que nous proposons réunit du temps nécessaire à cette maturation ; l’œuvre d’art reste une épreuve pour l’homme, une épreuve de l’étranger (Joulia, 2004), une épreuve de l’autre. Elle fait d’abord perdre tout repère ; par où la commencer, y entrer et aller jusqu’au fond ? L’œuvre exige de l’effort pour comprendre et dépasser les représentations.
34 La possibilité d’initier par les participants des regards collaboratifs avec le public ordinaire des musées afin de (re-)construire l’œuvre ensemble est le défi mis en avant par le dispositif proposé. L’œuvre va permettre une valorisation des participants, de fait une estime de soi augmentée. La différence intellectuelle sera mise en avant au travers d’une appropriation sensible et singulière du monde dont l’œuvre fait écho. La mise en relation des différents regardeurs autour de l’œuvre doit mener à l’appréhension de soi ; « notre être propre est en jeu dans notre être à l’autre » (Maldiney, 1997, p. 299).
35 La médiation culturelle et la mixité sociale proposées par cet évènement consistent donc à observer ensemble les œuvres, à tenter d’en tirer des significations et de faire émerger son rapport au monde et aux autres. Il s’agit de « Voir d’un œil, sentir de l’autre » (Klee, 1992, p. 297).
Bibliographie
- Adorno, Theodor W., « Discours sur la poésie lyrique et la société », in Notes sur la littérature, Paris, Flammarion, 1984.
- Joulia, Anne, L'instant, la perte, le vide. Comment surgit l'oeuvre d'art ?, mémoire de D.E.A., Université Montpellier III, 2004.
- Klee, Paul, Journal, Paris, Grasset, 1992
- Maldiney, Henri, Penser l’homme et la folie, Grenoble, Million, 1997.
- Maldiney, Henri, Ouvrir le rien, l’art nu, Paris, Encre Marine, 2002.
- Troyas, Alain, « On devient ce que l’on voit et ce que l’on fait » in L’art ça nous regarde, équipe du foyer d’accueil et de promotion Hubert-Pascal (dir.), Nîmes, champs social, 2001.
Mots-clés éditeurs : arts visuels, Médiation, handicap, accessibilité, musée
Date de mise en ligne : 02/03/2017
https://doi.org/10.3917/graph.057.0067Notes
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L’association Des Mains Libres innove et développe ce modèle de médiation culturelle à vocation sociale au travers de son projet nommé « Un Autre Regard ». Elle propose ce modèle avec différents partenaires sociaux et muséaux. Elle organise des « activités-formations » permettant aux bénéficiaires de devenir les initiateurs de paroles et de regards face aux œuvres pour le public ordinaire des musées. Outre l’activité culturelle pour les participants, la confrontation aux œuvres et à soi, l’inclusion sociale et la valorisation lors de l’évènement, c’est aussi une formation pratique offerte au personnel éducatif des musées sur la notion de projet et le travail en médiation culturelle à vocation sociale. Cette formation rentre dans le cadre des objectifs de la loi « handicap » du 11 février 2005 et répond à l’enjeu sur l’accessibilité. Rappelons que dix ans avaient été donnés depuis la loi pour rendre accessibles tous les lieux publics, dont les musées ; cet enjeu lié à l’accessibilité est donc un enjeu actuel majeur. Pour une vision plus approfondie du projet : www.desmainslibres.com
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Le Clark Institute est à la fois un musée des beaux-arts aux collections remarquables et un centre de recherche et d’expérimentation innovant en matière d’histoire de l’art, mais aussi sur les questions de la médiation culturelle et de la pédagogie de l’art. Le Clark institute est basé dans le Massachussetts aux États-Unis.
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[3]
Voir Ronna Tulgan Ostheimer, « Making Museums Socially Relevant : The RAISE Program at the Clark », Best Practice 4, A toll to improve museum education internationally, edited by Emma Nardi and Cinzia Angelini, ICOM, Edition Nuova Cultura, Roma, 2015 , p. 95-104.
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Une vidéo de 15 minutes montre l’expérience menée au Clark avec ces adolescents : http://www.clarkart.edu/About/Global-Initiatives
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Le FRAME est une fédération de trente grands musées de France et d’Amérique du Nord qui promeut la collaboration culturelle et les échanges de compétences.
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Sur une approche critique concernant les ateliers de médiation artistique dans lesquels le participant est invité à copier, mimer un style caractéristique, voir Alain Troyas, « On devient ce que l’on voit et ce que l’on fait » (2001, pp. 31-40). L’auteur questionne la pertinence de la démarche en soulignant l’absence de références à l’histoire de l’art, ce qui engendre le plus souvent un manque de recul et de prise en compte des contextes de création toujours très spécifiques ainsi qu’une sous- évaluation de la puissance des images sur l’imaginaire de chacun.