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Article de revue

Aller et venir en toute liberté pour le majeur protégé

Le respect de ses choix pour son lieu de vie et ses déplacements

Pages 51 à 61

Notes

  • [1]
    La difficulté peut-être tranchée aussi par le conseil de famille s’il est constitué, ce qui est plus rare que l’intervention du juge des tutelles.
  • [2]
    Cour d’appel d’Amiens 16 janvier 2014, JurisData 2014-000996.
  • [3]
    Parallèlement au Code de l’action sociale et des familles, le Code de santé publique vise en son article L. 11110-1 le droit fondamental à la protection de la santé en garantissant l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible.
  • [4]
    Une Charte est envisagée pour encadrer les dispositifs de géolocalisation : Charte sur les bonnes pratiques relatives à l’emploi des dispositifs de géolocalisation au bénéfice de personnes âgées présentant des troubles des fonctions intellectuelles, Conseil National de la Bientraitance 2013.
  • [5]
    Cour de cassation, chambre civile 2, 12 déc. 2013, pourvoi n° 12-29.392.
  • [6]
    Cour d’appel Chambéry, 27 mai 2013, JurisData 2013-025036.
  • [7]
    Cour de cassation, chambre civile 1, 12 février 2014, pourvoi n° 12-28458 sur l’autorisation de l’intégration d’un majeur protégé dans un foyer d’accueil médicalisé.
  • [8]
    L’article 426 du Code civil étend cette protection au logement principal, mais aussi secondaire dans la perspective de protéger les biens de famille.
  • [9]
    Les circonstances d’espèces résultent du constat que l’acte en cause a de « faibles conséquences sur le contenu ou la valeur du patrimoine de la personne protégée, sur les prérogatives de celle-ci ou sur son mode de vie », article 2 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008.
    Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou tutelle et pris en application des articles 452, 496 et 502 du Code civil.
  • [10]
    Cour de cassation, chambre civile 2, 21 mars 2013, pourvoi n° 11-25462.
  • [11]
    Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 14 octobre 2014, JurisData 2014-024829.
  • [12]
    Cour de cassation, chambre civile 1, 27 février 2013, pourvoi n° 11-28307.
  • [13]
    Cour de cassation, chambre civile 1, 27 février 2013, op. cit.

1 La liberté du choix de lieu de vie et des déplacements du majeur protégé serait-elle entravée par les effets de la mesure de protection ? C’est par cette question directe que les aspects de cette liberté fondamentale seront envisagés. En effet, la mesure de protection confère un pouvoir important à autrui, ce représentant aux pouvoirs divers et nuancés en fonction de la nature de la mesure de protection, aura la possibilité d’agir dans la vie quotidienne ou pour les choix plus exceptionnels du majeur protégé. Pourtant le législateur a envisagé avec force et symbole la prise en considération des droits du majeur protégé dans l’article 415 du Code civil selon lequel la mesure de protection doit être respectueuse des droits fondamentaux, des libertés individuelles et de la dignité de la personne. L’autonomie du majeur protégé est respectée par la prise en considération de ces libertés. Si la mesure de protection permet à autrui d’agir à l’égard du majeur protégé, c’est à la condition d’agir dans ce cadre précis du respect des droits fondamentaux et des libertés individuelles. Il convient de comprendre comment cette alchimie est possible et mise en œuvre pour que la symbolique de l’article 415 du Code civil ne soit pas de vains mots.

2 Concrètement, choisir librement son lieu de vie et ses déplacements vise directement les questions de résidence, de prise en charge par des établissements ou plus indirectement les modes de déplacement de ce majeur. L’aspect personnel imprègne nécessairement et en premier la nature juridique de ces actes. Il magnifie protection et respect de la volonté de la personne, expression de son autonomie. Il s’agit avant tout d’une décision personnelle parce qu’elle exprime le libre arbitre de la personne. Cependant, elle est aussi liée à des relations économiques entre et par des sujets de droit, évaluable en argent, supposant des transferts monétaires, et de ce fait attachés au patrimoine de la personne. Il est nécessaire ainsi de mesurer l’interdépendance entre l’aspect personnel et l’aspect patrimonial des questions relatives à la liberté de déplacement.

3 Dans le cadre des mesures de protection, la double nature personnelle et patrimoniale des décisions prend une dimension importante, car l’organisation de la mesure de protection peut conduire à dissocier la protection de la personne et la protection des biens du majeur protégé, pouvant donc envisager indépendamment les décisions personnelles et les actes patrimoniaux. Si la difficulté est flagrante lorsque la mesure est amputée de l’un des aspects de la protection ou lorsque deux personnes interviennent auprès du majeur, elle n’est pas inexistante lorsque la mesure est confiée à un seul curateur ou tuteur. En effet, quelle que soit la situation il faut tenir compte d’une éventuelle hiérarchie entre les actes. Il s’agit ainsi de s’interroger notamment sur le point de savoir si la décision personnelle prime la décision patrimoniale ou l’inverse.

4 Les règles du Code civil protègent le respect de la liberté, de la volonté et de l’autonomie du majeur protégé. Mais sa mise en œuvre dépend donc de la double qualité, patrimoniale et personnelle, de la décision relative à cette liberté de déplacement. La question de la liberté de déplacement suppose donc de déterminer comment cette liberté est protégée eu égard à son appartenance aux droits fondamentaux et libertés individuelles, mais aussi eu égard à la double nature des actes qui permettent sa mise en œuvre.

5 Les principes posés par l’article 415 du Code civil ne seront donc pas de vains mots si l’alchimie permet de protéger la liberté du majeur protégé pour son choix de lieu de vie ou de déplacements à travers l’aspect personnel de sa décision, mais aussi de son aspect patrimonial. Il convient de constater qu’il s’agit tant d’un enjeu personnel que patrimonial.

Aller et venir librement : un enjeu personnel pour le majeur protégé

6 Aller et venir suppose de se déplacer librement, mais avant tout de fixer seul sa résidence. « La personne protégée choisit le lieu de sa résidence » : par ces mots, l’article 459-2 du Code civil protège la décision personnelle du majeur protégé. Quelle que soit la nature de la mesure de protection, de la sauvegarde de justice à la tutelle, le majeur protégé choisit seul son lieu de vie. Lorsqu’une difficulté est soulevée, le juge des tutelles  [1] est compétent pour la résoudre. Elle peut résulter d’un désaccord entre le mandataire et le majeur protégé. Elle peut résulter aussi d’un choix qui ne protège pas suffisamment le majeur protégé. Quoi qu’il en soit, les enjeux sont importants ne serait-ce que pour déterminer le juge compétent comme le rappelle l’arrêt de la Cour d’appel d’Amiens du 16 janvier 2014  [2].

7 Cela conduit à ce que le mandataire agissant seul, à qui l’on a confié la double protection ou seulement l’une d’entre elles (soit la protection de la personne soit celle des biens), doit toujours privilégier le caractère personnel de la décision. Lorsque les lois d’action sociale annoncent depuis une grande décennie que l’usager est au cœur du dispositif, qu’il faut une approche globale de sa situation, c’est bien pour que la décision personnelle prime. Agir pour le mieux et dans l’intérêt du majeur protégé, comme le prône la démarche éthique, suppose bien que le patrimoine soit aussi le support de ces décisions personnelles. Lorsque la protection de la personne et celle des biens sont confiées à des mandataires différents, la réflexion doit être engagée par le mandataire à qui est confiée la protection de la personne puis s’articuler dans un second temps, avec les exigences de la protection patrimoniale menée par l’autre mandataire.

8 La protection est particulièrement forte et les obstacles au choix du lieu de résidence sont envisagés restrictivement par la loi. En cas de contentieux, le choix du majeur protégé est soutenu. Dans le cadre des questions de déplacement l’articulation entre les exigences de sécurités et de liberté apparaît plus délicate. En effet, l’article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles vise la protection de la sécurité de la personne aux côtés du respect de sa dignité, intégrité, vie privée et intimité  [3]. Concrètement, ne pas mettre en danger la personne prise en charge par les établissements et services sociaux et médico-sociaux, suppose d’encadrer ses déplacements, ce qui est, dans le même temps, potentiellement une atteinte à sa liberté d’aller et venir.

9 L’utilisation des technologies pour les personnes âgées ou les personnes handicapées en établissement interroge la liberté d’aller et venir dans la mesure où il faut concilier la surveillance des personnes et leurs libertés individuelles. Lorsqu’une mesure de protection a été prononcée, le législateur envisage les questions de libre déplacement indirectement, soit par rapport à l’autonomie de la personne et le respect des libertés individuelles (article 415 du Code civil) soit dans le cadre des actes relatifs à sa personne (article 457-1 et s. du Code civil). Expression de la volonté de la personne, les décisions relatives à la liberté de déplacement sont ainsi envisagées avant tout comme des actes personnels. Il est donc fondamental de rechercher la volonté du majeur.

10 Surtout, l’acceptation du principe même de la mesure ou encore du placement dans un établissement participeront à ce que ces libertés d’aller et venir soient le mieux respectées et que les personnes ne cherchent pas nécessairement à enfreindre les règles plus ou moins restrictives qu’on leur impose (si ces dernières sont justifiées pour des raisons de sécurité et d’intérêt collectif de l’établissement). Cette démarche de recueil de la volonté de la personne et d’acceptation, empêchera en pratique des demandes disproportionnées quant à ses déplacements voire même des fugues lesquelles pourraient conduire à des restrictions plus importantes pour les déplacements de la personne.

11 Passé ce temps de l’acceptation, le choix opéré par le majeur protégé est recherché et s’impose s’il n’y a pas de risque particulier. En cas de difficultés, avant même que le juge ne tranche, les règles de bonnes pratiques  [4] et la réflexion éthique permettront de trouver la solution la plus respectueuse de l’intérêt du majeur et de ses libertés individuelles. Cet intérêt supposera de prendre aussi en considération la santé de la personne. Ainsi la Cour de cassation dans un arrêt de la 2ème chambre civile du 12 décembre 2013 rappelle qu’un établissement refusant la sortie de la personne en raison de sa santé et agissant pour sa protection ne commet pas de faute  [5].

12 Dans un autre sens, les juges du fond, par une décision de la Cour d’appel de Chambéry du 27 mai 2013, ont primé la volonté du majeur de son maintien à domicile malgré une infirmité importante, mais dont la volonté était clairement exprimée  [6]. Légalement, il est impossible de fixer un cadre plus précis pour les mesures de protection, car celui-ci pourrait ne pas correspondre aux situations par essence singulières. Cette force d’interprétation conférée au mandataire, éventuellement au juge en cas de difficultés, permet à ses professionnels d’adapter leurs décisions à la situation du majeur protégé. La Cour de cassation exerce un contrôle strict sur ces questions comme elle le précise dans un arrêt de la 1re chambre civile du 12 février 2014  [7].

13 Ainsi, la recherche de l’acceptation de la mesure, les règles de bonnes pratiques régissant les conduites à tenir lorsque des normes collectives de sécurité sont en cause et l’adaptation des décisions à travers la réflexion menée par le mandataire et le juge sont un ensemble cohérent et permettant de respecter les libertés individuelles et fondamentales du majeur protégé. Ces mécanismes juridiques et éthiques permettent sa protection. Cependant, il convient de remarquer que la difficulté n’est pas résolue en envisageant uniquement l’aspect personnel. En effet, le patrimoine du majeur protégé doit notamment pouvoir supporter son choix. Il est donc nécessaire de mesurer comment interfère l’aspect patrimonial de cette décision de choix de résidence ou de déplacement.

Aller et venir librement : un enjeu patrimonial pour le majeur protégé

14 Lorsque la décision personnelle du choix de résidence ou de déplacement manifestant ainsi sa liberté d’aller et venir, est prise en son principe, il convient de déterminer les modalités d’engagement patrimonial. En effet, s’inscrivant dans des relations économiques diverses, la décision relative au lieu de vie ou aux déplacements du majeur engage dans la plupart des cas son patrimoine. Il en est ainsi en cas d’achat ou de vente d’un logement, d’une voiture ou encore de la commande d’un voyage honorant la liberté d’aller et venir du majeur protégé.

15 L’interaction entre les natures personnelle et patrimoniale de la décision doit être soulignée. Mais plus qu’un lien il s’agit d’une dépendance de la décision patrimoniale à la décision personnelle. Non seulement le législateur a cherché à permettre le plus possible à ce que le majeur protégé exprime sa décision en réalisant lui-même l’acte patrimonial. Mais encore, le juge exprime clairement la dépendance de l’aspect patrimonial de la décision à son aspect personnel.

16 Ainsi, en matière de logement, le dispositif légal relatif aux mesures de protection protège celui du majeur protégé. Celui-ci doit être maintenu au profit du majeur protégé, quelle que soit la situation, même s’il est en établissement (article 426 du Code civil). Qui plus est, afin d’envisager une large application de ces dispositions, le législateur a prévu le respect du logement du majeur dans des dispositions communes à toutes les mesures de protection  [8].

17 Quant aux autres actes juridiques, les règles dépendent de la qualification juridique de l’acte (acte d’administration ou acte de disposition pour reprendre la dichotomie la plus importante) et l’aménagement de la mesure telle que l’a envisagé le juge en laissant plus ou moins de liberté au majeur protégé. Avant tout, il faut rappeler le caractère subsidiaire et proportionné de la mesure de protection : ainsi, le juge doit d’abord envisager la mesure de sauvegarde de justice non attentatoire à la capacité juridique de la personne, puis la curatelle laissant une large liberté patrimoniale au majeur pour se résoudre à ne prononcer une mesure de tutelle qu’en dernier lieu (articles 428 et 440 du Code civil). Par ailleurs, en matière de curatelle la décision appartient au curatélaire avec l’assistance du curateur pour les actes les plus graves (article 467 du Code civil). Certes le curateur pourra agir seul, avec l’autorisation du juge, seulement si le majeur protégé compromet gravement ses intérêts (article 468 du Code civil). En matière de tutelle, le tutélaire sera libre de réaliser des actes patrimoniaux si la loi le prévoit ainsi, s’il s’agit d’un acte d’usage ou si le juge le précise dans la mesure de protection (article 473 du Code civil).

18 Comme pour l’aspect personnel des décisions, le législateur cherche à permettre une adaptation permanente à la singularité de la situation, et ce, jusqu’à la qualification des actes. Le décret du 22 décembre 2008 envisage ainsi que certains actes de disposition soient requalifiés, selon les circonstances de l’espèce, en actes d’administration laissant ainsi plus de liberté au curatélaire  [9]. Cette souplesse de qualification et d’organisation permet de respecter au mieux la volonté personnelle du majeur protégé en fonction de l’incidence de l’acte sur son patrimoine. Plus l’incidence sera faible, plus le majeur protégé sera autonome.

19 Le lien de dépendance entre l’aspect personnel et l’aspect patrimonial d’une décision révèle aussi la double nature juridique de certains actes. Notre système juridique connaît plusieurs droits et actes ayant cette double connotation. Ils renvoient à des affectations de biens qui seront dédiés à la mise en œuvre d’une décision personnelle, telle que les créances alimentaires. Ce sont des droits liés à la personne de son titulaire, des droits permettant de respecter aussi leur dignité eu égard aux besoins patrimoniaux de la personne.

20 Cependant, dans le cadre des mesures de protection, le logement expression le plus souvent du choix de lieu de vie du majeur est le seul bénéficiant de dispositions spécifiques. Il est surprotégé, car il devra être maintenu à la disposition du majeur et la mise à disposition des droits relatifs au logement suppose nécessairement l’autorisation du juge ou du conseil de famille (article 426 du Code civil). La décision du juge révélant la prise en considération de l’intérêt du majeur. Cette sur-protection ne fait pas malgré tout obstacle aux droits des tiers notamment en matière de surendettement : l’arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation du 21 mars 2013 considère qu’un bien immobilier pourra ainsi être saisi afin d’apurer une dette  [10]. Tout autant, le majeur protégé doit respecter ces obligations notamment celles liées au bail, sous peine de résiliation du bail  [11].

21 Pour les autres actes, ils doivent être qualifiés. Il faut déterminer si la prise en charge patrimoniale de cette décision personnelle relève d’un acte d’administration ou d’un acte de disposition. Cela permettra de connaître le pouvoir d’agir seul, avec assistance ou par représentation du majeur protégé. C’est à cette occasion que le conflit peut se révéler important lorsque le curateur refuse son assistance ou que le tuteur exclut d’engager l’acte patrimonial, bloquant ainsi la décision. L’effectivité de la protection de la volonté du majeur dans les dispositions relatives à l’expression de sa volonté peut se révéler vaine si la qualification patrimoniale prime l’aspect personnel. En cas de difficultés, le juge sera saisi ; il est nécessaire de déterminer quels seront les critères de sa décision.

22 Cette confrontation entre l’aspect personnel et patrimonial apparaît de manière évidente en matière de liberté de déplacement. L’acte relatif à l’achat de la voiturette au cœur de l’arrêt de la 1re chambre civile de la Cour de cassation du 27 février 2013 en est une illustration intéressante  [12]. Dans cette hypothèse, il s’agit de déterminer l’impact de la décision patrimoniale sur la décision personnelle, notamment dans quelles circonstances elle pourrait risquer de bloquer la décision personnelle. Le financement de l’achat de la voiture est un acte de disposition ; en curatelle, il est donc nécessaire d’obtenir l’assistance du curateur et en cas de refus, de demander l’autorisation du juge.

23 Ainsi quelle articulation concevoir entre l’article 415 du Code civil valorisant l’intérêt du majeur protégé et les dispositions relatives aux décisions par ou avec le protecteur ? L’article 459 du Code civil pose le principe d’une décision personnelle prise seule sauf lorsque son état ne le permet pas, mais aussi le recours du mandataire s’il y a une mise en danger et, enfin, les articles 467 du Code civil déterminent les pouvoirs du curateur et curatélaire. La limite ne résulte pas de l’incapacité patrimoniale de la personne à supporter cet acte ; la Cour de cassation refuse d’admettre que l’aspect patrimonial de la décision puisse bloquer l’acte au profit du majeur protégé. Mais elle rejette tout autant qu’un éventuel refus passe par l’analyse de la capacité personnelle du majeur protégé à prendre une décision éclairée. Cette limite résulterait d’un éventuel danger pour lui ou les tiers à mettre en œuvre cette liberté de déplacement (par l’achat d’un véhicule ou dans d’autres situations telles que la participation à un voyage). La Cour de cassation se réfère alors aux dispositions communes des mesures de protection notamment l’article 415 du Code civil  [13].

24 La référence à l’article 415 du Code civil est-elle légitime ? On peut l’admettre, car l’application expresse de cet article montre le caractère mixte de la décision tout autant personnelle que patrimoniale. De plus, l’article 415 du Code civil vise précisément l’intérêt du majeur protégé, ce qui guidera d’éventuelles restrictions. Mais quel intérêt : celui de protéger sa santé, sa vie, sa décision personnelle ? Il n’existe pas de définition ; le juge est à même d’adapter sa réflexion par rapport à la situation du majeur. C’est le moment aussi de rappeler que l’article 415 du Code civil est le lieu de la protection des libertés individuelles et des droits fondamentaux de la personne protégée. Ce principe posé par la loi doit être suffisamment protecteur des intérêts du majeur protégé pour que le juge admette ou refuse l’acte patrimonial permettant au majeur protégé d’exercer sa liberté d’aller et venir.

25 La décision personnelle, dans l’exercice et la mise en œuvre de la volonté de la personne, n’est donc pas troublée par l’acte patrimonial. Prise en amont, elle repose sur la capacité de la personne à exprimer sa volonté et sur sa force de conviction, ce que d’aucuns pourraient appeler son entêtement. Dès lors que ce consentement est réel, qu’il exprime une volonté libre et éclairée, il appartient de respecter la décision ; la limite de la mise en danger de la personne permettra de poser restrictivement des refus portant directement atteinte à ses libertés individuelles comme celle d’aller et venir. Ainsi une décision de voyage comportant des risques pour la santé et la sécurité du majeur protégé pourrait n’être remise en cause que par référence à ces risques, à condition de pouvoir agir suffisamment en amont ! En effet, pour l’acte patrimonial, il s’agit de prendre en compte avant tout sa nature juridique : il s’agit d’un acte relatif à un droit patrimonial lié à la personne. Et cet acte est dans la dépendance de la décision personnelle tandis que la décision personnelle n’est pas liée à l’acte patrimonial.

26 Le législateur a écrit la réforme du 5 mars 2007 en insistant sur le respect de l’autonomie et de la volonté des majeurs protégés. Ce respect irrigue toutes les décisions y compris celles ayant un caractère patrimonial. Cela suppose que l’acte patrimonial soit, lui aussi, toujours soumis et interprété à la lumière de la décision personnelle.

27 Il n’existe donc pas de grille de décision, seulement une vigilance à apporter sur les décisions patrimoniales qui ne doivent pas être envisagées comme des décisions techniques, mais comme des décisions patrimoniales à caractère personnel dépendantes de la volonté du majeur protégé dans le respect et donc dans la limite d’une éventuelle mise en danger par application des principes posés par l’essentiel article 415 du Code civil.

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : Lieu de vie, liberté de choix, majeur protégé, décision personnelle

Date de mise en ligne : 03/06/2015

https://doi.org/10.3917/graph.050.0051

Notes

  • [1]
    La difficulté peut-être tranchée aussi par le conseil de famille s’il est constitué, ce qui est plus rare que l’intervention du juge des tutelles.
  • [2]
    Cour d’appel d’Amiens 16 janvier 2014, JurisData 2014-000996.
  • [3]
    Parallèlement au Code de l’action sociale et des familles, le Code de santé publique vise en son article L. 11110-1 le droit fondamental à la protection de la santé en garantissant l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible.
  • [4]
    Une Charte est envisagée pour encadrer les dispositifs de géolocalisation : Charte sur les bonnes pratiques relatives à l’emploi des dispositifs de géolocalisation au bénéfice de personnes âgées présentant des troubles des fonctions intellectuelles, Conseil National de la Bientraitance 2013.
  • [5]
    Cour de cassation, chambre civile 2, 12 déc. 2013, pourvoi n° 12-29.392.
  • [6]
    Cour d’appel Chambéry, 27 mai 2013, JurisData 2013-025036.
  • [7]
    Cour de cassation, chambre civile 1, 12 février 2014, pourvoi n° 12-28458 sur l’autorisation de l’intégration d’un majeur protégé dans un foyer d’accueil médicalisé.
  • [8]
    L’article 426 du Code civil étend cette protection au logement principal, mais aussi secondaire dans la perspective de protéger les biens de famille.
  • [9]
    Les circonstances d’espèces résultent du constat que l’acte en cause a de « faibles conséquences sur le contenu ou la valeur du patrimoine de la personne protégée, sur les prérogatives de celle-ci ou sur son mode de vie », article 2 du décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008.
    Décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou tutelle et pris en application des articles 452, 496 et 502 du Code civil.
  • [10]
    Cour de cassation, chambre civile 2, 21 mars 2013, pourvoi n° 11-25462.
  • [11]
    Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 14 octobre 2014, JurisData 2014-024829.
  • [12]
    Cour de cassation, chambre civile 1, 27 février 2013, pourvoi n° 11-28307.
  • [13]
    Cour de cassation, chambre civile 1, 27 février 2013, op. cit.

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