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Article de revue

Notes de lecture

Pages 126 à 139

Le déni des cultures, par Hugues Lagrange (Seuil, 2013 (2e édition), 370 p.)

1 L'ouvrage vise à la prise de conscience des enjeux culturels au sens anthropologique dans l'approche de la socialisation des jeunes générations au cœur des quartiers ségrégés. L'occultation en France de la question de l'origine culturelle dans les politiques et statistiques publiques répond à un idéal républicain égalitaire et universaliste mais qui ne permet pas d'aborder les problématiques actuelles d'une société multiculturelle. L'auteur refuse les interprétations des phénomènes urbains (émeutes, délinquance...) en terme d'anomie, de perte des solidarités et de l'autorité paternelle, ou bien en terme de « communautarisme », de repli sur soi... Sa thèse suggère au contraire, qu'au-delà des difficultés socio-économiques, il s'agit d'un excès d'autorité ainsi que d'un déficit d'autonomie des femmes et des adolescents, autrement dit, une « sur-affiliation » des individus à des liens locaux et à diverses formes d'emprises familiales. Pas d'essentialisation, pour l'auteur, de l'origine culturelle mais une attention à porter aux conflits normatifs existants, en lien notamment avec les configurations familiales et deux données importantes : l'histoire des migrations et les formes de ségrégation spatiales. Des processus à analyser donc : les effets des contraintes donnant lieu à tel mouvement migratoire, les effets de la ségrégation telle qu'elle est exercée sur les immigrés. Rappeler la dimension politique et morale qui est à la source des tensions urbaines en Europe, de la montée de la xénophobie, de la fermeture des frontières ; situer les processus socio-économiques conduisant à la formation des cités et la corrélation existant entre l'inconduite des jeunes et l'héritage familial, les coutumes… Familles du Maghreb, du Sahel, d'Afrique subsaharienne, turques présentent des expériences migratoires différentes et posent donc des questions différentes. L'auteur nous expose sa démarche de distinguer les familles selon les origines géographiques et leur typologie pour interpréter les orientations éducatives et les transgressions des jeunes au regard des normes et modèles d'intégration de la modernité occidentale, comme la crispation des familles sur des valeurs néo-patriarcales ou la quête d'une identité dans un islam radical. L'auteur souligne ensuite la nécessité d'une reconnaissance politique de ces populations culturellement hétérogènes : prendre au sérieux les modèles éducatifs familiaux, la place des femmes et inclure ces pratiques dans le champ d'une réflexion morale afin de dénoncer publiquement les désaccords. L’auteur prend la précaution de rappeler le contexte de la mondialisation transformant les rapports techno-économiques, politiques et culturels entre pays pauvres et pays riches comme à l'intérieur de l'Etat-nation ; de dénoncer des politiques publiques à double message, c'est-à-dire prétendre lutter contre les discriminations et en même temps appliquer une orientation sécuritaire, stigmatisante et criminalisante. L'analyse est très encadrée par des données quantitatives, des statistiques, des tableaux. On peut néanmoins attendre une approche politique plus critique rappelant l'incapacité des Etats à réguler efficacement la dérive néolibérale, source des inégalités sociales grandissantes, tout comme une approche plus qualitative pour nuancer et prendre la mesure, au-delà des typologies et des chiffres, de la singularité de chaque trajectoire de migration, de chaque famille : ceci afin de questionner conjointement les valeurs et les pratiques en jeu, tant du côté des immigrés que de la société dominante...

2 Pascale Faure

Dans le monde des cités. De la galère à la mosquée, par Samir Zegnani (PUR, 2013, 240 p.)

3 A partir d’une étude de type ethnographique réalisée à la fin des années 1990 et au début des années 2000, Samir Zegnani, sociologue, définit trois principaux systèmes participant à la vie publique des jeunes adultes de trois quartiers. Le premier est le système de relation des « jeunes de la rue » qui se caractérise par « une occupation significative de l’espace public, au sein duquel les jeunes construisent les contours sociaux de leur groupe » (p. 21). Plusieurs éléments constituent ce type de socialisation. Le premier est langagier : à partir d’un processus de « catégorisation ethnique », il s’agit de la construction d’un mode d’opposition à un extérieur par le langage qui correspond à la dichotomie eux/nous des classes populaires à fort pouvoir d’exclusion. Le deuxième élément se situe dans le stigmate qui porte également sur le lieu de vie et fonctionne comme une « catégorie socialisante » (p. 34) contribuant à la définition de comportements déviants au regard de la norme légitime. Le troisième mode de socialisation est caractérisé par les spécificités des activités internes du système relationnel en place. De fait, « les catégories de l’altérité (nous/eux) comme les différentes formes de mise en scène de soi en public donnent corps aux collectifs et aux systèmes de relation des jeunes de la rue » (p. 62) dont l’espace public devient le support. Cet usage de l’espace public découle en partie de la promiscuité à l’œuvre dans les logements sociaux qui n’autorise pas la constitution d’un espace privé de socialisation pour les jeunes, et l’autre partie des formes de rejet par ces mêmes jeunes du cadre éducatif contraignant (et non laxiste ou démissionnaire comme souvent prétendu) des parents. Le deuxième système correspond à l’adhésion à l’islam salafi. En fait, il permet l’élaboration de modes d’interconnaissance particuliers avec les jeunes de la rue. Bien que minoritaires, la manière avec laquelle les musulmans salafis se mettent en scène dans l’espace public, leur participation active à la vie du quartier produit des effets de visibilité extrêmes. En dehors de l’instauration d’un rapport au champ de la connaissance par l’intermédiaire du travail sur les Ecritures, l’islam salafi « offre une voie de sortie du monde de la rue sans pour autant empêcher d’être visibles dans l’espace public » (p. 142) en plus d’une possibilité d’insertion économique au travers d’activités commerciales halal (licites devant Dieu). L’adhésion à ce mouvement produit également des conflits générationnels et parfois des ruptures familiales au regard de l’orthodoxie défendue par les enfants tout en ayant lieu dans des endroits désertés par les travailleurs sociaux, et où niveau scolaire, histoire de la cité et antagonismes interindividuels jouent un rôle prégnant. Le troisième système s’appuie sur le mouvement hip-hop. En produisant un mode de socialisation spécifique, il prend appui sur une logique de relations scripturales. La danse permet l’inclusion du jeune à partir d’une mise à l’épreuve qui favorise l’intégration du groupe. Une fois réalisée, cette intégration place l’individu dans une position de transmetteur de codes et de valeurs avant à son tour de participer à l’initiation d’autres jeunes. Le hip-hop et le rap entrent dans une logique de renversement du stigmate (cf. Virginie Milliot) où le handicap de l’apparence se transforme en atout. Tout comme l’islam salafi, l’adhésion à ce mouvement permet la participation à des modes verticaux de transmission de savoir.

4 Les socialités étudiées mettent en évidence des modes d’être ensemble résultant de constructions et déconstructions constantes. L’espace public, utilisé comme espace de substitution à la sphère privée aux codes et valeurs propres, est également institué par les musulmans salafis et les rappeurs en lieu de connaissance et de rapport au savoir.

5 Lionel Clariana

Accompagner vers la parentalité les personnes en situation de handicap, par Bernard Morin (Chronique Sociale, 2013, 144 p.)

6 Le désir d’enfant est un acte de la vie somme toute assez banal sauf pour les personnes en situation de handicap. Longtemps, la parentalité des personnes en situation de handicap a été un tabou : en promulguant la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, le législateur a incité les équipes à proposer un accompagnement au plus près des attentes de la personne en situation de handicap.

7 Par conséquent la question de la parentalité a pris de plus en plus d’importance dans les équipes éducatives et en particulier celles des SAVS (Service d’accompagnement à la vie sociale). Dans cet ouvrage, Bernard Morin présente les difficultés que vont rencontrer ces parents et les outils possibles pour les aider à surmonter ces épreuves. Fort de son expérience de terrain comme directeur de deux établissements pour personnes en situation de handicap mental et de son travail de recherche sur la parentalité, il apporte un point de vue novateur avec, en particulier, le dispositif du parrainage du tiers digne de confiance.

8 Yann Cardin

Le changement organisationnel dans les établissements sociaux et médicosociaux, par Michel Foudriat (Presses de l’école des Hautes études en santé publique, 2013 (2e édition), 350 p.)

9 Depuis plus d’une décennie, le secteur de l’intervention sociale et médico-sociale ne cesse d’être bousculé, de nouvelles lois venant imposer le renouvellement des pratiques. La refonte des conventions, la conformité de l’activité, l’amélioration de la qualité, les appels à projet initient des formes nouvelles de l’exercice de nos métiers. Quoi qu’on en pense, quelles que soient les critiques énoncées, nous sommes entrés dans une période inédite de l’activité sociale et médico-sociale au cœur de laquelle se situent les changements. Le livre de Michel Foudriat, sociologue des organisations, apparaît comme le guide indispensable pour penser ces changements. L’heure n’est plus aux résistances et la question n’est plus de deviner les intentions des forces qui les introduisent. Au contraire, il devient nécessaire de les comprendre pour que chaque établissement, chaque service social s’approprie des dynamiques et les applique pour le plus grand bénéfice des usagers et des salariés. Tout au long de cet ouvrage, l’auteur visite les principaux courants et concepts du management du changement à la lumière de l’actualité du secteur social et médico-social. Puis il prend position : favorable à un changement continu, il s’inscrit vertement dans une démarche constructiviste, c’est-à-dire que « la réalité humaine est une réalité socialement construite » (cf. La construction sociale de la réalité) et, à ce titre, il dégage trois pistes managériales fortes :

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  1. « Le changement ne peut se définir en fonction du seul point de vue des responsables, car dans ce cas il n’aura pas de sens pour les autres acteurs. »
  2. « Il devrait être co-construit par l’ensemble des acteurs ; il ne devrait donc pas être d’emblée défini trop précisément. »
  3. « Puisque le démarrage du processus s’inscrit dans le système des différents points de vue, il paraît important de trouver les conditions d’une mise en comptabilité des significations qui seront adoptées par les acteurs sur le changement » (p. 167).

11 Il justifie cette prise de position en évoquant les limites de perspectives trop rationnelles, préférant quant à lui valoriser l’opérationnalité à l’efficacité. Et au-delà de cette approche théorique du changement, Michel Foudriat propose une véritable méthodologie pour accompagner les changements à partir de situations réelles concrètes, expliquées méthodiquement et empruntées à notre secteur d’activité. De nombreux exemples jalonnent et encadrent des approches théoriques. Il s’agit d’un livre clair, agréable à lire, avec des références qui parlent à tous les professionnels du secteur. Un ouvrage important qui permet de comprendre avec pertinence la complexité de l’ensemble des dynamiques de changement qui traverse notre secteur. Enfin, c’est un livre qui permet d’agir avec méthodologie, prudence et conviction. Le meilleur moyen de ne pas subir les changements est de se les approprier, pour cette raison cet ouvrage intéresse tous les professionnels et étudiants concernés par ces questions. Une lecture que j’encourage vivement !

12 Simon Pitaud

Un membre de la revue publie

Nouvelles pratiques d'écriture en travail social. Des écrits professionnels émergents ou en mutation, par Philippe Crognier (ESF éditeur, 2013, 128 p.)

13 Philippe Crognier est spécialiste des questions d'écriture (il est chercheur associé au laboratoire universitaire Théodile de Lille 3) et du travail social (il est directeur de la recherche et de l'évaluation à La Sauvegarde du Nord), il est aussi membre du comité de rédaction du Sociographe. De là, certainement, le bonheur que procure ce livre pour le moins extraordinaire. Extraordinaire car riche tout en étant bref, foisonnant tout en étant concis, léger et en même temps rigoureusement structuré. En une centaine de pages, il apporte un cadre théorique issu des sciences du langage, de la critique littéraire la plus exigeante et du travail social ; une synthèse de l'évolution du champ de l'intervention sociale qui nécessite une évolution des pratiques scripturales, une typologie des principaux écrits que les professionnels sont ou seront amenés à rédiger ainsi qu'une série de fiches qui sont autant « d'outils » mis à la disposition de chacun. Le premier chapitre pose un cadre théorique rigoureux qui s'appuie sur « les théories pragmatiques », autrement dit, sur une approche de la langue en acte issue de travaux étatsuniens qui, dans la plus belle tradition de l'empirisme anglo-saxon, s'intéresse au concret, à la réalité des « actes de langage » bien plus qu'à une construction théorique d'une langue coupée de toute actualisation ou réalité. Il s'agit alors de s'intéresser à la façon dont deux interlocuteurs se parlent, s'entendent, se répondent, coopèrent en interagissant. C'est aussi le cas de la communication écrite. Il faut saluer ce premier chapitre qui expose de façon claire et concise des travaux pour certains méconnus des intervenants sociaux qui pourraient s'en nourrir pour leur travail le plus quotidien, notamment la théorie des faces et les maximes conversationnelles de Grice. Le chapitre deux traite de « l'activité scripturale ». Toujours selon la perspective interactionnelle inaugurée dans le premier chapitre, l'activité scripturale est présentée comme activité dynamique et itérative. Comme dans le premier chapitre, des points importants sont exposés clairement, comme l'utilité du brouillon, des ajouts, des suppressions, des déplacements, etc. Autant de composants trop souvent négligés alors qu'ils sont au cœur de cette « activité scripturale » qui fait passer de la rédaction à l'écriture. Une fois exposée cette architecture théorique de l'activité scripturale, et toujours selon la perspective fortement affirmée de l'interaction entre une communication et le contexte dans lequel elle a lieu, nous en venons à une synthèse de l'évolution récente du champ lexical en travail social ainsi qu'à une analyse d'un vocable en cours d'institutionnalisation : gouvernance, dirigeance et management, qualité et démarche qualité, appel à projets, efficacité et performance, partenariats ; évaluation(s) et entretien(s) annuel(s) d'évaluation ; bonnes pratiques professionnelles, etc. Nous parvenons alors, à la moitié de l'ouvrage, au chapitre intitulé « Nouvelles pratiques scripturales pour des écrits émergents ou en mutation » et que l'on aimerait qualifier, en hommage aux choix de l'auteur, de « pragmatiques au sens courant »... Il présente les principaux types d'écrits qu'un professionnel sera amené à écrire de nos jours, avec pour chacun, une analyse et des outils très concrets permettant d'entrer plus aisément dans son écriture : Répondre à des appels à projets; Réaliser un cahier des charges ; Écrire un plan d'action ; Écrire un article de recherche ; Écrire un rapport d'activité ; Réaliser un rapport d'évaluation interne ; Écrire/Réécrire un projet d'établissement ; Écrire une convention, etc. Cet ouvrage, accessible à tout professionnel et qui offre une analyse du champ et des outils concrets sous-tendus (motivés ?) par une réflexion philosophique et politique affirmée sans ostentation, est une réussite complète.

14 Marc Levivier

Clinique et management : rupture ou transition ?, par Lin Grimaud, Alain Jouve et Paule Sanchou (dir.) (Erès, 2013, 245 p.)

15 Cet ouvrage fait suite à différents articles déjà parus sur le sujet dans la revue Empan entre 2006 et 2010. Je n’ai pas trouvé « d’idée neuve » dans ces multiples articles mais plutôt une synthèse de différents points de vue sur la question. La richesse de cet ouvrage tient d’après moi à ces nombreux « mots pour le dire » issus de la sociologie politique, sociologie clinique, psychanalyse, psychothérapie institutionnelle, philosophie etc. L’ouvrage est dense mais facile d’accès et « tous les grands noms de notre secteur » y sont ! Certains (J.B. Paturet, J.P. Lebrun, V. de Gaulejac, J.F. Gomez…) proposent aux institutions de ne pas céder aux sirènes du « soi disant » nouveau paradigme de l’entreprise, porteur de valeurs de domination, d’exploitation, d’indifférence et d’irresponsabilité, mais d’assumer plutôt leur héritage. Ils insistent sur le risque de s’émanciper de toute verticalité, d’évincer toute « position d’exception » : si plus personne ne dirige, personne n’ose plus prendre d’initiative, tout fonctionne plutôt par consignes et mots d’ordre, et quand on ne sait plus interdire on va empêcher… Ils rappellent que la gestion se présente comme un outil pragmatique et neutre, mais le caractère idéologique de cette « théologie gestionnaire » consiste justement à revendiquer cette neutralité qui n’existe pas. D’autres conçoivent le management comme un art de faire réussir les entreprises humaines et pensent que le modèle humaniste ancien (qui n’a pas empêché certaines maltraitances institutionnelles) n’est pas forcément plus pertinent que le management d’aujourd’hui, plus explicite, qui dispose de contrats plus clairs et d’indicateurs d’évaluation. B. Bouquet propose une « gouvernance clinique » dans une dynamique d’hybridation entre approche clinique et logique managériale. En tout cas, l’essentiel est de ne pas oublier les personnes pour lesquelles on travaille dans tout ça : « le management rendra t-il nos enfants plus heureux ? » demande un Président de Sésame autisme.

16 Patricia Vallet

Du désamour au divorce. Jugement, conciliation, médiation, par Béatrice Blohorn-Brenneur (L’Harmattan, 2013, 190 p.)

17 L’auteur a exercé pendant 33 ans les fonctions de juge. En tant qu’experte européenne et internationale pour la pacification des conflits, elle est pionnière pour l’institutionnalisation de la médiation devant la cour d’appel. Dans cet ouvrage, elle part de son expérience de juge, face à des justiciables en situation de rupture familiale, pour démontrer le cheminement qui l’a conduite à développer la conciliation, puis à s’intéresser à la médiation. Cette démarche de la part d’un juge est intéressante, car peu nombreux sont les magistrats qui insistent sur l’aspect conciliation de leur fonction. Les raisons sont plurielles et elle les évoque : le nombre croissant de dossiers et le manque de temps pour les gérer, l’importance du pourcentage dans le traitement des dossiers et le manque de formation des magistrats concernant la conciliation et la médiation.

18 Elle explique son orientation vers la conciliation par sa prise de conscience de l’importance pour les justiciables de la notion d’équité, qui est supérieure pour eux au résultat. Ce constat est très important et vient mettre en question la doxa. En cela cet ouvrage nous apporte une réflexion critique sur la justice, telle qu’elle est pratiquée généralement. L’auteur part de sa pratique et des difficultés qu’elle a rencontrées face à des situations de conflits où les personnes s’en remettaient totalement au juge pour trouver une solution, qui finalement ne les satisfaisait pas. Face à cette impasse, elle s’est tournée vers la conciliation, qui est inscrite dans le code de procédure civile, mais très peu utilisé par les magistrats.

19 Face à la montée du divorce, le rôle du juge est bouleversé et les tribunaux sont engorgés. Face à la souffrance qui s’exprime lors de l’audience, l’auteur s’est demandé ce qu’elle pouvait faire avec les moyens qui étaient les siens. Ce type de réflexion pour un magistrat est suffisamment rare pour être noté. En effet, même si les magistrats ont conscience de ne pas s’intéresser à la souffrance des personnes qu’ils reçoivent et parfois le regrettent, ils ne vont pas en général, jusqu’à transformer leur pratique, comme cela a été le cas pour l’auteur. Dans cet ouvrage, l’auteur parle finement du ressenti des justiciables. Elle nous présente la rupture de l’intérieur. Elle s’appuie sur des auteurs pour apporter des références théoriques, qui peuvent éclairer la pratique d’un Juge, en lui apportant des éléments de compréhension des situations de conflit. Toutefois, on peut regretter qu’elle ne cite pas davantage ses sources. L’auteur est lucide quant à la limite de la conciliation, face à des divorces très conflictuels. Elle insiste sur l’intérêt de l’utilisation de la conciliation pour les magistrats, car elle porte ses fruits dans la gestion des conflits familiaux et par conséquent sur les enfants. Elle démontre comment ces derniers sont pris en otage dans ces situations de rupture et comment en permettant aux parents d’exprimer leur souffrance et en les amenant à se parler, on permet aux enfants de redevenir sujets. De plus, à l’issue de la conciliation les justiciables qui sont satisfaits de cette sortie de crise, arrêtent en général la procédure judiciaire. Pour pallier les limites de sa fonction en termes de gestion des conflits familiaux, l’auteur introduit la médiation, comme un outil que les juges peuvent et doivent utiliser, pour une reprise de communication familiale. Pour mieux faire comprendre le bien-fondé de la médiation, elle la présente et elle insiste à partir d’exemples sur l’intérêt de celle-ci. Cet ouvrage apporte un regard nouveau sur les pratiques judiciaires et en cela il renvoie à la question du pouvoir d’agir laissé aux justiciables.

20 Marie-Hélène Bellucci

La pauvreté en France. Permanences et nouveaux visages, par Jean-Michel Charbonnel (La Documentation Française, 2013, 173 p.)

21 J.-M Charbonnel, docteur en sociologie, spécialiste des revenus sociaux, analyse la question de la pauvreté et ses multiples dimensions à travers cet ouvrage en 4 grandes parties. Au sein de la première (« La pauvreté : rappel historique, approches et définitions »), l’auteur s’attache à situer historiquement les phénomènes de pauvreté en France du Moyen Age au XXe siècle. Puis, il tente de définir la pauvreté, notion aux multiples facettes en se référant à l’histoire. Enfin, il effectue une lecture critique des définitions et des concepts statistiques permettant de la mesurer. La seconde partie présente les multiples itinéraires de la pauvreté, liés généralement au cumul de handicaps (p. 55) et aux accidents biographiques. L’auteur en analyse quelques-uns : insuffisance de revenus, échec scolaire, grossesses précoces, instabilité conjugale, chômage, emploi précaire, difficultés d’insertion professionnelle, cessation définitive d’activité. A travers ces exemples, nous comprenons que la pauvreté est « le produit de processus longs et douloureux, de relégations successives » (p. 53) pouvant conduire à une grande précarité économique puis à une situation d’exclusion. La troisième partie expose les principales politiques de lutte contre la pauvreté. J.-M. Charbonnel en rappelle ses fondements, ses acteurs, ses dispositifs, ses évaluations. Il rappelle l’importance des solidarités de proximité, qui persistent parallèlement aux actions des pouvoirs publics. Enfin, la dernière partie présente les formes de pauvreté et donne au lecteur des repères statistiques aux niveaux mondial et européen. Cet ouvrage est destiné à un large public. De surcroît peu onéreux, il a le mérite d’analyser de manière synthétique le phénomène complexe et multidimensionnel qu’est la pauvreté.

22 Anne-Françoise Dequiré

Pierre Bourdieu, l’insoumission en héritage, par Edouard Louis (dir.) (PUF, 2013, 180 p.)

23 Pierre Bourdieu (1930-2002) est un des sociologues français les plus marquants de la deuxième moitié du XXe siècle qui, à la fin de sa vie, devint, par son engagement public, l’un des acteurs principaux de la vie intellectuelle de notre pays. Sa pensée a exercé une influence considérable dans les sciences humaines et sociales d’après la Seconde Guerre mondiale. Son œuvre a pris forme autour de quelques concepts fondateurs : habitus comme principe d’action des agents, champ comme espace de compétition sociale fondamental et violence symbolique comme mécanisme premier d’imposition des rapports de domination. Ces trois concepts sont de nouveau explicités dans cet ouvrage par Annie Ernaux, écrivaine inconditionnelle de Pierre Bourdieu, Didier Eribon, sociologue et philosophe, professeur à l’université d’Amiens, Arlette Farge, historienne, directrice de recherche au CNRS, Geoffrey de Lasganerie, philosophe et sociologue, chargé de cours à Sciences po., Frédéric Lebaron, sociologue, professeur à l’université d’Amiens, président de l’association Raison d’Agir, Frédéric Lordon, économiste et philosophe, directeur de recherche au CNRS. Leurs points de vue dans ce recueil d’articles sont issus d’un colloque organisé en 2012, dix ans après la disparition de Pierre Bourdieu. Ce qui leur permet de présenter un certain recul sur sa pensée et son action de son vivant. Ces textes ont été recueillis et organisés par Edouard Louis, étudiant en sciences sociales et en philosophie à l’Ecole normale supérieure (et depuis auteur du remarqué En finir avec Eddy Bellegueulle, son premier roman). Il présente lui-même les six articles en question dans une courte introduction, notamment en citant Sartre : « un texte, un écrit, un livre contient toujours en lui une adresse. Consciemment ou non, un auteur définit dans ce qu’il écrit le public qu’il vise », pour indiquer que cet ouvrage collectif a pour but d’atteindre un public le plus large possible afin de ne pas reproduire de distinction (dans la définition que pouvait en faire Bourdieu). Mais là, une fois de plus, certaines pensées philosophiques me paraissent parfois poussées à l’extrême, certes justes et empreintes d’une certaine forme de lucidité, mais conduisant trop souvent à des paradoxes insolubles, et à des images d’Epinal, des schémas qui réduisent le monde à des mécaniques mal huilées… Á mon sens, pour dire ce que certaines personnes tentent d’exprimer dans des articles et des colloques interminables, certains écrivains s’en sortent mieux en quelques lignes : « Toute l’histoire des progrès de la liberté humaine démontre que chacune des concessions qui ont été faites [...] ont été conquises de haute lutte. Là où il n’y a pas de lutte, il n’y a pas de progrès. Ceux qui professent vouloir la liberté mais refusent l’activisme sont des gens qui veulent la récolte sans le labour de la terre, la pluie sans le tonnerre et les éclairs... » (Douglass, Mémoires d’un esclave).

24 Arnaud Papin

L’inconscient de la maison, par Alberto Eiguer (Dunod, 2013, 170 p.)

25 Le concept d’habitat intérieur est central dans cet ouvrage publié pour la première fois en 2004 ; c’est l’idée d’une représentation inconsciente de l’habitat qui se construit à partir de l’image du corps ; autrement dit, chacun construit ses rapports à l’espace d’après sa propre topologie interne, d’après la manière dont il se figure son espace inconscient. Le principe de communion soi-espace marque le sceau de nos appartenances. Ainsi l’habitat intérieur remplit plusieurs fonctions : il permet d’investir, d’aménager et de s’approprier une maison : on s’attache intensément à elle, on l’aime, on la déteste, on la craint… Elle nous protège, traduit nos goûts et nos préférences, elle a aussi une fonction créatrice et esthétique qui recherche la beauté dans les formes. L’habitat est traversé par des désirs, des fantasmes, les murs et les objets ont une âme… Cohabiter, déménager, hériter, sont des étapes chargées de tous ces affects lourds, des épreuves car la vie n’est pas un rêve. Cet ouvrage permet de penser notre propre rapport à nos espaces intimes, et de réfléchir aux situations de ceux qui sont privés de ces territoires et en souffrent : ceux qui vivent l’expérience d’être sans logis, ou bien ceux qui vivent l’exil notamment.

26 Ce livre est très accessible et peut intéresser me semble t-il, autant les étudiants que les professionnels.

27 Patricia Vallet

Le courrier électronique dans les pratiques professionnelles, par Gilles Monceau (dir.) (Champ social, 2013, 191 p.)

28 Gilles Monceau est professeur des Universités en sciences de l’éducation à l’Université de Cergy-Pontoise. Ses recherches portent sur l’évolution des pratiques professionnelles dans les institutions d’éducation, de santé et de l’action sociale. Cet ouvrage, collectif, rassemble les contributions de chercheurs venant d’horizons divers (sciences de l’éducation, linguistique, sociologie) sachant que tous ont un point commun, celui de travailler sur l’écriture, même si le courrier électronique ne faisait pas partie de leurs préoccupations de départ. Cette recherche a amené certains d’entre eux à de nouvelles réflexions comme, par exemple, Martine Blanc et Catherine Peyrard, sociologues du travail. Elles ont repris et remis en question leurs travaux sur l’usage du courriel en milieu professionnel qu’elles avaient réalisés au début des années 2000. Elles ont ainsi constaté « qu’en 10 ans l’effet du courrier électronique dans les pratiques professionnelles s’était totalement inversé : perçu comme un gain de temps par ses utilisateurs en 2002, le courriel, 10 ans après, est perçu comme très chronophage ! ». En faisant le parallèle entre cette lecture et mon quotidien de travail, je me rends compte que la boîte mail professionnelle est devenue indispensable (ou se veut indispensable ?!). Tous les jours y arrivent 50 mails qui doivent être traités dans l’immédiateté : des rendez-vous, des ordres du jour, des échanges avec les collègues en terme d’organisation, des erreurs de planification, des questions… bref, un trop-plein d’informations qui ne peuvent tous se traiter par mail ! Et, si je souhaite travailler sur un dossier ou réfléchir à un projet, je n’ouvre pas cette boîte afin de ne pas être envahie par l’arrivée intempestive de mails ! Se pose alors la question d’une forme de résistance en refusant d’utiliser cet outil institutionnel, en refusant d’avoir le dernier téléphone tactile (pour ne pas le nommer) sur lequel apparaissent les mails afin d’éviter le chevauchement du temps professionnel sur le temps personnel… Mais comment faire alors apparaître la « zone de liberté » décrite par Enriquez dans L’organisation en analyse (1992) afin de se sentir plus libre ? Dans cet ouvrage, l’on se rend également compte que le courrier électronique est très fréquemment utilisé entre professionnels, usagers, bénéficiaires, patients, élèves et leurs parents. De plus en plus souvent, l’usager est lui-même impliqué dans l’échange électronique. C’est en particulier le cas pour les étudiants « à distance », les parents d’élèves, les patients voire les « bénéficiaires » de l’action sociale. Qu’en est-il de ceux qui ne possèdent pas d’ordinateur ou de connexion internet ?

29 Michèle Duchateau

Encaisser ! Enquête dans la grande distribution, par Marlène Benquet (La Découverte, 2013, 348 p.)

30 Marlène Benquet a réalisé une enquête pendant trois ans au sein de la grande distribution en occupant des positions transversales. Cet ouvrage est le résultat d’une démarche ethnographique qui a plongé l’auteur dans différentes sphères d’une même enseigne. Après avoir consacré un premier livre à une mobilisation exceptionnelle de caissières dans les années 2000 (NDLR : Les damnées de la caisse, cf. recension dans notre n°41), la chercheuse s’attache désormais à présenter un tableau complexe et complet du fonctionnement de la grande distribution. Revêtant tantôt le costume de stagiaire à la direction du groupe ou dans une section syndicale et tantôt celui de caissière à temps partiel, le parti pris est de se livrer à une pluralité de micro- observations donnant à voir un système global.

31 Des années 1960 aux années 1980, l’entrée des actionnaires financiers, remplaçant les fondateurs originels aussi appelés « les épiciers », a marqué un tournant dans la grande distribution. Ce point de départ sert de tremplin à la compréhension des évolutions des modes de direction dans le secteur, passant de l’entreprise familiale au grand groupe côté en bourse.

32 La première partie est dédiée à la direction des ressources humaines du groupe. Elle révèle que ces individus ont une vision extrêmement limitée de leur propre position dans l’organigramme. Le verrouillage hiérarchique est tel que les chefs sont toujours eux-mêmes dirigés par d’autres chefs ce qui mène l’auteur à avancer qu’une majorité ne sait rien et une minorité pas grand-chose. La seconde partie s’attache aux magasins. En ayant été caissière, l’auteur s’emploie à décrire comment la prépondérance des interrelations contribue à l’obtention d’un investissement constant des salariés qui est entretenu par un système de faveurs accordées. Le recrutement est lui-même une étape permettant la sélection de salariés ayant des moyens d’actions limités n’ayant pas d’autre choix que de « tenir » au travail. Le verrouillage se trouve donc aussi présent à cette échelle de l’entreprise, que ce soit par un isolement prononcé des salariés se croisant peu ou encore par le contrôle de la représentativité du personnel.

33 La dernière partie décrit les organisations syndicales.

34 La sociologue, se plongeant dans la section Force ouvrière du groupe qui est alors majoritaire, expose les rouages de l’obtention d’une paix sociale. Cependant elle remarque aussi l’émergence progressive d’une crise que les échanges de bons procédés entre syndicat et patronat ne suffisent plus à couvrir. M. Benquet analyse ainsi avec force les rouages d’une enseigne de la grande distribution à plusieurs niveaux hiérarchiques. Ce fonctionnement particulièrement opaque semble ainsi tenir par l’entretien de liens empêchant toute forme de mobilisation susceptible de remettre en cause la structure. Cependant, la sociologue pointe des fissures inhérentes à ce type de management laissant penser qu’une nouvelle mutation serait en marche.

35 Sophie Louey

Dans la peau d'une femme de plus de 65 ans, par Enguerren Macia (Armand Colin, 2013, 158 p.)

36 Alors que la thématique de l’avancée dans l’âge suscite des questions en termes économiques, politiques, d’organisation matérielle ou d’incidences sur l’environnement des personnes concernées, la sociologie et l’anthropologie y voient un espace de dénonciation des stéréotypes relatifs aux plus âgés et/ou aux conflits intergénérationnels. L’ouvrage d’Enguerren Macia prend une certaine distance avec les études sociologiques en cette matière en se focalisant sur la dimension du corps des femmes vieillissantes. L’auteur tente de comprendre les enjeux complexes autour de l’avancée dans l’âge. Elle analyse ainsi la perception que 29 femmes, âgées de 65 à 75 ans, ont des transformations de leurs corps. L’auteur revient sur la manière dont les personnes interviewées vivent ces transformations corporelles et érigent des résistances face au processus dégénératif et aux discours normatifs prescrivant de rester, ou tout au moins, de donner l’impression de rester jeune. Pour mener ce travail, elle choisit une méthodologie de recueil des données qui s’appuie sur des entretiens et sur un ancrage théorique inscrit dans le cadre de l’interactionnisme symbolique. Les analyses de l’auteur accordent une place de choix au corps biologique culturellement construit. Elles montrent que l’image du corps, jeune, beau et fort dans les sociétés occidentales produit des stigmates qui engendrent des mises à l’écart des personnes vieillissantes à l’apparence peu conforme aux canons valorisés. Stigmates qui s’accentuent notamment avec le processus de la sénescence et que ces femmes vont essayer d’atténuer par le recours à des techniques de dissimulations telles que les produits cosmétiques et autres chirurgie esthétique. Or, le prix de cette dernière est prohibitif pour la majorité des femmes qui cherchent à trouver « un équilibre précaire entre le laisser-aller et le souci de soi, deux comportements également stigmatisés ».

37 Alors, elles vont tenter de trouver des moyens autres pour conjurer les effets de la désignation. Mais l’avancée dans l’âge peut aussi représenter une opportunité, pour certaines femmes moins jolies pendant leur jeunesse, de « réaliser des comparaisons à leur avantage » en réévaluant leur capital esthétique dans le cadre de ce que l’auteur nomme le « paradoxe de l’impossible beauté ». Elles développent ainsi des stratégies identitaires qui leur permettent de conjurer les effets du stigmate, dévalorisant le corps vieux, la peau flétrie ou la chair flasque, qu’elles ont intériorisés. L’avancée dans l’âge amène inéluctablement son lot de douleur et de fatigue comme signes de la dégradation de la matérialité des corps. Paradoxalement, celui-ci fait l’objet, dans les sociétés occidentales, d’une attention particulière avec le développement des principes de la préservation de la santé des individus comme impératif à viser. Et c’est dans cet espace, de ce que l’auteur considère comme révélant la faiblesse des normes sociales, qu’elle considère que les femmes vieillissantes, dans la société post-moderne, innovent dans leur rapport au corps vieillissant. Grâce aux moyens dont elles peuvent disposer, elles tentent constamment de trouver des marges de manœuvre qui leur permettent de « brouiller les normes liées à l’âge ». C’est ainsi, en jouant sur toutes les panoplies des supports d’entretien des corps et sur l’amélioration de l’état de santé dans les sociétés occidentales, qu’elles inventent des comportements qui ne sont ni spécifiques aux personnes âgées ni aux jeunes. Des comportements qui ne rejettent pas la vieillesse mais qui refusent les représentations sociales négatives qui l’affectent. Des comportements que ces femmes adoptent, de plus en plus, encouragées par le poids démographique grandissant des personnes âgées.

38 Ahmed Lemligui

La barricade. Histoire d’un objet révolutionnaire, par Eric Hazan (Autrement, 2013, 170 p.)

39 Prétendre écrire l’histoire des barricades, n’est ce pas un pari audacieux ? Faire de ce qui ressemble à une démarche spontanée, portée par l’urgence de l’ébullition sociale un objet culturel, c’est-à-dire transmissible et normatif cela n’est-il pas surprenant ? Un pari compliqué également, où se croisent diverses histoires des conflits sociaux ou religieux, mais aussi l’histoire militaire – la barricade est aussi un élément de stratégie de combat urbain. Ces paris-là, Eric Hazan, écrivain et éditeur engagé, entend bien les relever. S’intéresser à l’histoire des barricades conduit à se focaliser sur un élément matériel commun à bien des émeutes, journées, révoltes ou révolutions. S’il décrit la barricade comme un « amas d’objets disparates, barriques (dont elle tire son nom), planches, moellons, charrettes… » (quatrième de couverture), l’auteur la définit à travers trois dimensions. La barricade comme élément offensif qui empêche les troupes légalistes dans leur déploiement, un élément défensif derrière lequel on se protège. Mais surtout, ce qui traverse cet ouvrage, c’est le sentiment que les barricades ont permis aux peuples en colère de s’approprier leur territoire et de le redéfinir. Ce n’est sans doute pas un hasard si cet ouvrage se termine par une description journalistique de la reconquête de Paris en 1871 par les Versaillais achevant de manière si sanglante une parenthèse utopique dans l’histoire de France. Parfois victorieuses, pendant les trois glorieuses de 1830 ou en février 1848, parfois bien désuètes comme en 1851 contre le coup d’Etat de Louis Napoléon, les barricades en même temps qu’elles sont la traduction de la colère du peuple deviennent l’application immédiate, éphémère et locale d’une prise de pouvoir. Après quoi elles débordent et aboutissent à des bouleversements politiques ou au contraire, elles sont matées. Mais c’est seulement à ce titre que les barricades sont un objet politique. Mais le projet de ce livre est aussi d’en faire un objet culturel dont la conception technique a pu se transmettre d’une révolte à l’autre. Surtout, un objet qui s’est inscrit dans l’imaginaire collectif symbolisant le peuple en mouvement.

40 Sur les barricades nous voyons Gavroche dans les récits de Victor Hugo, nous le voyons aussi sur l’un des plus célèbres chefs d’œuvre de Delacroix.

41 Grâce à cela, la barricade appartient à l’histoire symbolique de la république et de la démocratie. Les barricades qui se dressent rue Gay- Lussac en 1968 sont avant tout un hommage rendu aux peuples qui glorieusement et courageusement se soulevaient contre l’injustice.

42 Cet ouvrage permet de revisiter l’histoire des conflits politiques et sociaux, certes en ne s’intéressant qu’à ceux qui ont vu se dresser des barricades. Mais au travers de chapitres courts,

43 à la lecture agréable, nous comprenons mieux les enjeux d’événements qui ont laissé un nom dans l’histoire. La Fronde ou la Commune, parfois une date : 1648, 1871, mais dont nous en avons souvent oublié le sens. Un pari réussi pour tous ceux qui voudraient revisiter l’histoire de ces conflits.

44 L’ouvrage se termine en expliquant que les moyens techniques d’aujourd’hui rendraient inefficace la moindre barricade, affirmant que cet objet appartient incontestablement à l’histoire. Pourtant, je me souviens d’une barricade qu’il n’y a pas si longtemps, nous avions parfois dans la poche : une reproduction de l’une des plus célèbre et victorieuse d’entre elles. Je me souviens de « La liberté guidant le peuple » en hommage à Eugène Delacroix et aux trois glorieuses sur le billet de 100 francs…

45 Simon Pitaud

Revues

Recherche et travail social : critiques des outils et critiques des fondements (Pensée plurielle, n°30-31, 2012)

46 Ce numéro double de Pensée plurielle vise à contribuer de manière constructive à la réflexion dans le débat actuel autour de « la recherche en/dans/sur le travail social », posé en France notamment par la Conférence de consensus organisée en 2012. L'apport spécifique de ce numéro se situe dans une appréhension partagée de la question de la recherche sociale par divers acteurs – formateurs, professionnels, universitaires – de l'espace francophone – Belgique, Canada, France, Suisse. Il s'agit d'éclairer cette question, via une vingtaine d'articles, dont les auteurs interrogent chacun de leur point de vue, la recherche et le travail social. Les deux coordonnateurs de ce numéro font d’abord une présentation synthétique des enjeux sociaux et scientifiques de la recherche sociale aujourd'hui. Ensuite, ils explicitent l'articulation qu’ils proposent autour de quatre axes structurant la revue. Cela permet au lecteur de resituer les différents articles dans l'ensemble des questions liées à la recherche en/dans/sur le travail social, notamment : « A quoi et à qui sert la recherche ?», « Qui a légitimité pour produire des connaissances en lien avec le champ du travail social ? », « Quels statuts ont les connaissances produites ? », « Sur quoi portent ces connaissances ? », « Quelle place et reconnaissance pour chacun des acteurs – universitaires, professionnels du travail social, usagers ? », « Quels outils sont à entrevoir ? ». Le premier axe pose, à partir de trois articles, les fondements de la recherche en travail social. Le deuxième axe (cinq articles) propose des expérimentations d'outils de production de connaissances sur la compréhension des pratiques de travail social. Quels que soient les outils évoqués, est développé le rapport entre le chercheur et son objet de recherche ainsi que son rapport aux autres acteurs impliqués dans la recherche. Le troisième axe intitulé « Construction de l'enquête, construction de la connaissance » regroupe huit articles autour de différents dispositifs de recherche (recherche ethnographique, recherche-accompagnement, ...), conduits dans divers contextes. L'exposé de recherches et/ou des réflexions menées à la périphérie de ces recherches, alimente la question centrale : « comment produire des connaissances dans le champ du travail social ? ». A la faveur de ces réflexions, est posée de manière accrue la question de la place et de la reconnaissance des différents acteurs. Le quatrième axe, au travers des quatre articles qui le constituent, insiste quant à lui sur les enjeux des partenariats entre formation en travail social et recherche. Ce numéro, dense par la diversité des angles d'analyse développés et la qualité des articles présentés se découvre au gré des besoins, désirs, ou envies du lecteur. Les différentes entrées proposées : approche synthétique des enjeux sociaux, présentation d'outils de recherche, appréhension nouvelle d'un champ disciplinaire traditionnellement utilisé, réflexions autour de dispositifs de recherche novateurs, enjeux des partenariats nécessaires au développement de la recherche sociale, permettent d'appréhender la recherche et le travail social au-delà des schismes habituels, en élargissant le débat au travers de points de vue non franco-français, resituant ainsi la question centrale dans l'espace francophone et par une visibilité des travaux en cours, à la fois riches et moteurs, pour les années de structuration de la recherche sociale qui semblent s'annoncer.

47 Claire Jondeau

Supervision, régulation, analyse des pratiques... (Santé mentale, nº 178, 2013)

48 Dans le travail social ou les professions de santé essentiellement, nous pouvons rencontrer plusieurs instances de travail dont la supervision individuelle (pas traitée dans ce périodique), d’équipe, la régulation, l’analyse des pratiques. Toutes ne font pas référence à la même méthodologie. L’élément commun de tous ces espaces est de s’assurer de la dimension de confidentialité, de qualité de présence, du droit « à la bêtise » et ce, dans un cadre d’intervention précis. Très axée sur l’approche psychanalytique, la supervision selon Louis Hecthor, est un espace protégé où l’équipe émet une demande claire et précise (à différencier du besoin). Selon J. Rouzel, ce n’est ni du contrôle ni de l’audit. C’est une attente de comprendre, une demande de renarcissisation, un espace de ressourcement sans être thérapeutique. Selon Nicolas Gougoulis (Du contrôle à la supervision), s’y joue la narration de la situation en plus de la relation avec le superviseur et le reste du groupe avec amitiés et rivalités possibles. La position tierce, extérieure permet de fluidifier la parole. Superviser, c’est regarder avec de la hauteur pour mettre en lumière le transfert entre le patient et le soignant : se décaler des affects dans le registre du savoir. Le superviseur rappelle le cadre et offre des apports sans être le sujet supposé savoir (Lydia Ledig). Chacun s’écoute. Le but sera de désemmêler le transfert entre patients et thérapeutes. Plusieurs types de supervisions sont possibles : équipe, individuelle, collective, interinstitutionnelle, corps de métier. La méthode Balint, selon S. Cohen-Leon, a aussi pour but de sensibiliser les soignants à la dimension inconsciente dans l'acte de soin sans tenir compte de l’aspect personnel. Le groupe de formation/recherche se focalise sur l'identification primaire et secondaire de la personnalité professionnelle (identification inconsciente à son patient mais aussi aux collègues). L’analyse des pratiques, c’est comment on fait, pourquoi et pour qui en tant que professionnel (réflexion sur l'intervention et la pratique, autour des procédures, l'identité professionnelle). Il s’agit de faire le choix et l’exposition de la situation, questionnement du groupe, hypothèse d'analyse, synthèse élaborée collectivement puis par l’exposant après enrichissement des échanges. Nous nous situons donc au-delà de la réflexion sur le transfert et le contre transfert.

49 Pour Catherine Henri Ménassé, l'analyse de pratique, présente en travail social, n’est pas toujours pratiquée par des personnes formées. Alors que pour Jean-Pierre Pinel (Équipe instituée et analyse clinique), l’APP se concentre sur les aspects transférentiels là où la supervision est axée sur le contre-transfert. Les Groupe d'Analyse clinique des pratiques d'équipe instituée forment un noégroupe (groupe+analyste) où l’analyse clinique (travail de pensée singulier fondé sur la réalité psychique, intrapsychique, intersubjective et trans-subjective référé à des contenus conscients et inconscients) sera différente des dispositifs institutionnels centrés sur la décision et l'action. Par les pratiques, on se centre sur des situations concrètes et non en lien avec l’histoire du praticien (supervision). L’aspect d’équipe instituée se caractérise par trois ancrages : institutionnel, groupal, organisationnel. La régulation, quant à elle, est centrée sur la relation entre les professionnels, l'analyse des dysfonctionnements et les changements à opérer. On va donc plus impliquer la sphère personnelle dans la réflexion Vincent Di Rocco, qui rappelle l’importance du thérapeute « ordinaire et discret », intègre la notion de jeu : jeu des pensées et des affects, jeu comme alternative au modèle du rêve, jeu comme base de la symbolisation primaire.

50 Isabelle Chollet

Le jeu dans le soin (Pratiques, n°62, 2013)

51 Ici, une trentaine d’articles écrits par des médecins (généraliste, psychiatre pédiatre…), des rééducateurs (orthophoniste, psychomotricienne), des psychologues, psychanalystes ainsi que des philosophes et artistes. Ces écrits parlent du jeu qui présente de multiples facettes et qui peut être mis en scène de différents manières tel que par l’expression du corps, des jeux d’esprit, de l’humour, du rire mais également de manière violente, pulsionnelle voire sadique. Si d’emblée soigner et jouer peuvent paraître antinomiques, le lecteur comprend que les jeux d’enfants témoignent qu’ils « permettent de penser et de transposer la réalité », d’ailleurs quel enfant n’a jamais joué au docteur ?

52 Le jeu est au cœur de celle-ci et est utile aussi bien au patient qu’au soignant. A travers le jeu et par le biais de différentes approches, les patients et soignants peuvent s’ajuster mutuellement afin que la confiance s’installe. L’énergie créatrice du jeu est nécessaire, de part et d’autre, afin de faire face à l’imprévu, de déjouer la peur, de faire avec l’incertitude qui accompagne toute démarche de soin. Dans le psychodrame, l’implication dans le jeu fait surgir une parole en l’articulant avec des émotions, étayées par le groupe.

53 Le faire « comme si », respectueux et partagé, offre un espace stratégique sur lequel le patient peut s’appuyer pour faire face aux enjeux de vie et de mort et sur lequel le soignant peut affronter la répétition des scènes et développer sa créativité (aire transitionnelle de Winnicott). A la suite de Winnicott, le jeu symbolique est l’occasion d’éprouver le plaisir, d’inventer ensemble et de renforcer mutuellement le bonheur d’exister. Dans le jeu, chacun des joueurs sait ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas…

54 Pour conclure, je voudrais citer la réflexion de Mme Susini (psychanalyste) qui concerne les adultes et leurs jeux : « L’homme n’a pas d’autre réalité que le monde imaginaire de ses jouets (jeux) qu’il continue jusqu’au bout à se constituer, mais souvent de façon plus figée, répétitive que l’enfant. Le château de sable retourne à l’eau, le ballon rouge aux nuages et l’enfant se tourne vers une création nouvelle… » (p. 80).

55 Michèle Duchateau

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