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Article de revue

Le patrimoine des jouets « faits main »

Pages 21 à 30

Notes

  • [1]
    B. Bergier est Professeur à l'UCO Angers, Professeur associé à l'Université de Sherbrooke, directeur de recherche à l'université de Nantes. Mail : bertrand.bergier@uco.fr P. Delsouc est enseignant en éducation socioculturelle en lycée professionnel privé (46). Mail : philippe.delsouc@orange.fr JP. Gaté est Professeur en Sciences de l'éducation à l'Université Catholique de l'Ouest (PRES L'UNAM) - Directeur du programme de recherche « Appropriation et transmission des œuvres et des savoirs». Mail : jean-pierre.gate@uco.fr
  • [2]
    À l’exception, dans les milieux plus aisés, des jouets en bois fabriqués par un(e) ascendant(e) fin(e) bricoleur(se). Ils résistent aux temps et voient des générations successives les utiliser. Exemple d’une petite ferme en bois, peinte, avec un toit ouvrant autorisant des jeux avec le mobilier, et un circuit électrique intégré permettant un éclairage intérieur des différentes pièces
  • [3]
    La découverte vise à saisir, au sein du réel donné, les signes d’une présence cachée (« que pourrait-être d’autre cette chose? »), tandis que l’invention vise à y saisir les signes d’une absence à combler (« que pourrais-je faire d’autre avec cette chose? »). (Antoine de La Garanderie, 1987)
  • [4]
    Comme le souligne Alain Quemin (2002), les pratiques professionnelles peuvent prendre appui sur des compétences acquises au cours de la socialisation primaire et plus largement sur des manières de percevoir, de dire et d’agir inculquées dès l’enfance.
  • [5]
    Cette inscription locale constitue une opportunité, au plan de la recherche, pour comparer les variantes (matériaux employés, techniques adoptées) selon les régions.

1 Dans la plupart des enquêtes sur les jouets (Vincent 2001, Brougère 2008), ceux-ci, véritables biens de consommation de masse, sont commercialement définis. Ils désignent tout matériel vendu dans le commerce à l’instar des poupées, petites voitures, figurines diverses, mais aussi, par extension, renvoient aux jeux de société et autres jeux vidéo...

2 Les études suivent les progressions des ventes pour chaque classe d’âge, le nombre et le type de jouets offerts en magasin, explorent les relations parfois tendues entre les parents et leur progéniture, entre les désirs des jeunes et les décisions des adultes. La période de Noël est révélatrice de la dimension économique. Les « listes de cadeaux » dévoilent des enfants, consommateurs avertis, friands d’informations, cibles privilégiées du marketing.

3 Par leur définition marchande du jouet, ces enquêtes et études excluent, de fait, l’ensemble des jouets fabriqués par l’enfant ou par son entourage et, plus largement, les objets qui servent de « jouets » alors que leur fonction première est tout autre. Ces jouets de fortune sont rangés dans la catégorie des objets anodins, dénués d’enjeux sociaux, statistiquement insignifiants. Toutefois, cette rareté n’a pas toujours été et ce n’est pas parce que cette catégorie est aujourd’hui négligeable qu’elle doit pour autant être négligée par le chercheur. Si les jouets fabriqués nous apparaissent au XXIe siècle comme des résidus de l’histoire, il est sans doute judicieux, pour ne pas dire urgent, d’avoir une intelligence de cet héritage.

Un savoir-faire en héritage

4 Ce qui constitue et spécifie ce patrimoine, ce n’est pas tant le « jouet » en lui-même que le savoir-faire dont il est le produit. Ce savoir-faire est synonyme de plaisir, de passe-temps, de distraction. Pour le dire autrement, le jeu, avec ce que cela implique de divertissement, mais aussi de sérieux et de règles à respecter, est à l’œuvre dans le processus de construction du « jouet ». Au fond, le jeu permet au « jouet » d’advenir. La dimension ludique se déploie donc en amont et en aval du « jouet » fabriqué par l’enfant qui a ici un double statut: faiseur et utilisateur. Elle ne se cantonne pas à des manières de jouer, elle s’étend aux manières de construire. Ces dernières sont l’illustration d’un terroir, d’une façon de vivre et d’agir en relation avec un environnement humain et naturel dans une société donnée, à une époque donnée. Elles sont donc constitutives d’un patrimoine.

5 Les jouets qui nous intéressent ici, ceux qui échappent à l’industrialisation, ceux qui sont réalisés par les enfants dans les campagnes de la première moitié du XXe siècle, désignent n’importe quel objet « fait maison » participant à l’amusement des mineurs. Des verbes, tels « confectionner », « construire », « façonner », sont des verbes d’action renvoyant à des scènes qui se déroulent et prennent place le plus souvent dans les interstices des tâches domestiques et de l’aide apportée par les enfants au travail des adultes. Ils traduisent une mobilisation du corps, à travers l’habileté manuelle, se frottant et se confrontant aux éléments (au bois, aux plantes, aux matériaux jetés au rebut…) rappelant que le « jeu-jouet fait main » est d’abord une occupation et qu’il relève d’un patrimoine culturel se transmettant moins par le dire que par le faire.

6 Les jouets dont les anciens se souviennent sont précisément ceux de la petite enfance, les seuls qu’ils aient eus, ceux qu’ils se sont fabriqués eux mêmes. Ces jouets rustiques expriment une filiation. Ils leur permettent de marquer une certaine continuité entre l’enfance d’hier et celle d’aujourd’hui, entre les enfants qu’ils ont été et les enfants qu’ils continuent à être à travers leurs petits-enfants. Ils peuvent inscrire leurs petits-fils ou petites-filles dans la lignée, leur signifier et leur confirmer une identité et une appartenance à la fois sociale et locale. Construire l’objet, c’est aussi se construire, prendre place dans une histoire (Descomps, 1997, 2001). Ce qu’ils conservent et « lèguent », ce n’est pas d’abord un jouet qui, bien souvent, a une durée de vie éphémère [2], mais un savoir-faire. Celui-ci réclame une initiation, un temps intergénérationnel. Témoin des relations intrafamiliales, la fabrication du jouet lie les petits-enfants aux grands-parents. Elle participe à la transmission de la mémoire familiale, mais aussi à la transmission de la mémoire d’un lieu: les plantes, les arbres à partir desquels les aïeux confectionnaient les sifflets et autres objets… Le jouet produit entretient en effet des relations étroites avec la flore et la faune d’un territoire. Ce lien étroit avec le milieu et les éléments naturels est culturel, il est l’expression d’une façon de vivre et d’agir dans la société villageoise de l’époque.

Une fabrication sociale

7 Cette fabrication du jouet participe d’une socialisation via un apprentissage.

8 En même temps, cette fabrication, si normée soit-elle, n’est pas standardisée, elle est toujours une « œuvre » unique offrant la possibilité au « fabricant » de personnaliser plus ou moins son objet, voire d’exercer à cette occasion sa créativité. De ce point de vue, la confection initie aux caractéristiques d’une culture tout en favorisant l’expression de la personnalité. Le jouet constitue un patrimoine d’autant plus vivant que l’enfant lui a donné naissance, l’a créé de ses mains. Cela renforce la possession: c’est véritablement « son » jouet.

9 La fabrication des jouets par l’enfant est une fabrication sociale qui, pour être comprise, nécessite d’être inscrite plus largement dans une approche socialement différenciée des loisirs qui marque les territoires. Dans cette France, encore rurale, des années 1900-1950, ce sont les enfants des catégories populaires qui sont les plus importants pourvoyeurs. Lorsqu’il nous a fallu solliciter les mémoires des anciens pour reconstituer ces « jouets d’antan » (Delsouc, 2002), nos « personnes ressources » ne se recrutèrent pas tant parmi la minorité des notables (médecin, notaire, propriétaires de grandes exploitations) que parmi les « gens de peu » (Pierre Sansot, 1992) d’un monde paysan où les petits agriculteurs, commerçants et artisans (épicier, maréchal-ferrant, charron, cafetier…) côtoyaient les figures d’une économie parallèle (le sonneur de cloches, la loueuse d’une remise pour les chevaux les jours de foire…). En ces temps-là, le temps des loisirs n’avait pas de sens en soi, il n’avait pas d’existence. Il n’y avait pas de temps libre, seulement des temps occupés. C’est dire que ce que nous nommons aujourd’hui « jouet » ou « jeu » est à penser en concomitance et dans le cadre d’une occupation précise plus ou moins laborieuse. Dans cette société paysanne, les enfants constituent une main d’œuvre jugée indispensable pour faire vivre la ferme, le commerce… L’enfant doit travailler. Dans ce contexte, il n’est pas de jouet dont la facture serait indépendante d’une activité domestique ou économique. Les sorties pour aller à la foire et les veillées sont de fausses exceptions. Les unes et les autres se déroulent sous le regard de l’adulte, s’inscrivent dans un prolongement des pratiques familiales, villageoises, régulières ou saisonnières. Ainsi, à la veillée, les enfants les plus jeunes jouent avec les résidus du travail des grands. Les plus âgés sont initiés à des travaux spécifiques: égrenage du maïs, confection de panier…

Une classe d’âge propice à la fabrication

10 Chaque période historique produit un découpage des âges et lui fait correspondre des attentes. Jusqu’au XVIIIe siècle, l’adolescence se confond avec l’enfance. Quant à la jeunesse, cet « état intermédiaire de plus ou moins longue durée entre l’adolescence et l’âge adulte », elle n’a pas de sens (Blöss 1994, p.253). Aux XVIIIe et XIXe siècles, la famille et l’école font une place privilégiée à l’enfance qui est reconnue comme âge de la vie propre au XXe siècle. L’institution scolaire construit une définition académique et sociale des âges (ou classe scolaire) et des compétences qui leur correspondent. Elle n’est pas la seule. Les institutions et produits de loisirs contribuent à ce découpage des âges en mois ou en année censé suivre le développement psychologique de l’enfant, notamment dans les dimensions sociale et cognitive. « Tous les enfants sont supposés assimiler les mêmes apprentissages (quelle que soit leur appartenance sociale) aux mêmes âges et avec les mêmes jouets » (Vincent, 2001, p.7). La catégorie d’enfance avec les objets qui lui sont spécifiques (à l’instar des jouets commerciaux) donne ainsi l’illusion d’un groupe social homogène. À partir de 12 ans, l’enfant est reconnu comme entrant véritablement dans le monde des adolescents. Le jouet, strictement réservé à l’enfance, devient jeu. Soutenir le contraire, évoquer un jouet pour adolescent, relève d’un oxymore empreint d’ironie (Brougère, 1995).

11 Dans les campagnes de la première moitié du XXe siècle, la création des « jouets » est située. Elle ne se réalise pas n’importe où, n’importe quand. Elle concerne particulièrement une classe d’âge, celle considérée alors comme relevant « de la petite enfance » (8-12 ans) où occupations laborieuses et occupations ludiques peuvent coexister. Cette fabrication s’inscrit dans un entremêlement culturel de l’occupationnel ludique et de l’occupationnel laborieux. Le stade 8-12 ans est celui de l’initiation à certaines pratiques domestiques et professionnelles. « Le travail n’est pas du tout perçu comme une activité dure, contraignante, mais plutôt comme un moment de jeu au-delà de la rigueur scolaire » (Philippe Delsouc, 2002, p.29). Une des activités les plus fréquentes est celle de berger. Point important, cette entrée dans le monde du travail qui réunit enfant et grand-parent n’est pas prise dans des contraintes de rendement, dans des enjeux de productivité. Elle est donc propice au développement de l’imaginaire (construction de maisons avec des petites pierres, réalisation d’un attelage avec des bouts de bois…) et à l’apprentissage de la fabrication des jouets à partir d’éléments naturels ; ainsi la créativité de l’enfant s’exerce à partir d’éléments existants dans son environnement, elle mobilise des capacités de symbolisation et de raisonnement qui, à cet âge, sont en pleine expansion et se soutient d’une recherche d’inédit orientée vers un sens de « découverte » ou d’ » invention » [3]. À leur tour, cet imaginaire et cette fabrication autorisent une activité de second degré qui suspend l’espace-temps ordinaire, une manière d’éprouver le réel, et donc de le découvrir et/ou de l’inventer. L’enfant peut jouer à des règles de la vie économique (autarcie) et sociale (division sexuée du travail) qu’il « expérimente » et éprouve

Une fabrication de jouets sexuellement différenciée

12 Elle participe à la transmission et à l’acquisition de rôles sexués. Garçons et filles se confirment comme être social et sexué en se conformant. Les uns et les autres reproduisent en les « gulliverisant » des scènes de la vie quotidienne. Dans l’organisation de la structure familiale du monde paysan, l’enfant se situe au bas de l’échelle hiérarchique. Il doit, dans tous les compartiments de la vie quotidienne — à la maison, à l’école, au travail, dans les » loisirs » — se soumettre à la volonté des adultes. Cette différence hiérarchique est plus prononcée pour les filles qu’elle ne l’est pour les garçons. Les premières sont plus souvent cantonnées à des tâches domestiques. Cette différence sexuée est perceptible tout au long de l’éducation et n’est pas sans influence sur les jouets fabriqués. Tenues au mimétisme du dedans, les filles sont très tôt initiées aux travaux « d’intérieur »: couture, tricot, broderie… et sont, d’une certaine manière, enfermées dans des activités spécifiquement féminines.

13 Les garçons bénéficient davantage que les filles d’une autonomie. Plus souvent associés aux travaux agricoles du père et du grand-père, ils peuvent plus facilement sortir de la maison. Ils reçoivent un couteau vers l’âge de huit ans. Marqueur dans la participation (qui ira crescendo) à l’activité économique, repère apportant au petit d’homme la preuve de sa « grandeur », la remise du couteau constitue sans doute, pour les garçons, un de ces événements clés assurant un changement de statut (Galland 1991, Thierry Blöss 1994). Il consacre l’entrée dans le monde du labeur. Outil de travail, le couteau est aussi un instrument essentiel à la fabrication des jouets. Celle-ci requiert et cultive une certaine dextérité dans le maniement du canif. De ce point de vue, la fabrication du jouet n’est pas seulement ludique, elle entretient une connivence avec le futur métier, elle relève indirectement d’un processus de pré-professionnalisation [4].

14 Les jouets fabriqués sont en rapport étroit avec les destins socialement assignés aux filles et aux garçons. La dichotomie masculin/féminin s’y trouve confirmée. Par exemple, les filles, jugées plus « calmes », confectionnent globalement des jeux plus en lien avec les activités « maternelles ».

15 La production des jouets a un rôle dans la reproduction des rôles sociaux de sexe, distinction que l’enfant intériorise précocement. Le sexe de l’initiateur (grand-père ou grand-mère), le lieu de la fabrication (intérieur ou extérieur de la maison), l’outil de fabrication (valorisation ou non du couteau) et le type de jouet construit (fronde…/poupée…), manifestent très tôt cette dichotomie.

Petit inventaire local

16 L’enquête ethnographique menée sur la commune de Lalbenque dans le Lot (Midi-Pyrénées) auprès de 151 ménages, sur les « jouets » que les plus anciens se fabriquaient dans leur jeunesse, a permis de dresser l’inventaire suivant :

17 Jouets fabriqués par les garçons :

18 — La fronde: fabriquée avec une branche en forme de fourche, un cuir pour la poignée et un bout de chambre à air en guise d’élastique.

19 — L’estrebèl: on utilise une noix qu’on perce de part en part. On enfile une tige de bois munie d’une hélice à son extrémité. On fait tourner celle-ci à l’aide d’une ficelle fixée sur la tige.

20 — Le sifflet réalisé avec une branche de sureau, de frêne, de lilas ou de saule coupé au printemps, lorsque la sève monte. Après avoir entaillé l’écorce, on la frappe jusqu’à ce qu’elle se décolle pour pouvoir la retirer. Ceci fait, on taille une encoche et on creuse le canal de la sève sur le bout du bois. Pour terminer, on replace l’écorce. Le sifflet est prêt.

21 — Le sifflet en tuile: il suffit d’un morceau de tuile dans lequel on perce trois trous. C’est le positionnement de la langue qui détermine la sonorité du sifflement.

22 — Le sifflet avec le noyau d’un fruit: on retrouve les mêmes règles de confection que pour le sifflet en tuile.

23 — Le sifflet avec un escargot: on ferme le poing, on coince entre le majeur et l’index une coquille conique d’escargot et on souffle dedans.

24 — Le sifflet éphémère: les enfants prennent un bout de tige de seigle vert ou de pissenlit. Ils pratiquent une longue entaille pour le seigle, une plus petite pour le pissenlit, puis, portant à la bouche le bout de tige ainsi coupée, ils en tirent un son pleurnicheur, cinq ou six fois, tout au plus. Il faut ensuite en fabriquer un nouveau.

25 — Le pétard: réalisable avec un bout de sureau dont on creusait le cœur et de l’étoupe (tissu mâché) que l’on enfilait avec un bout de bois jusqu’à l’extrémité du sureau. On enfilait ensuite d’autres étoupes et, en comprimant l’air, au bout d’un moment, la première étoupe partait en pétant. Cet effet pouvait être obtenu également avec une plume d’oie en guise d’étoupe et une pomme de terre à la place du sureau.

26 — Les claquettes: réalisées à partir d’une tige de maïs que l’on entaille à chaque extrémité. En secouant celle-ci, le côté mobile vient frapper le côté fixe et fait du bruit.

27 — Les bateaux: sur une coquille de noix, on colle à l’aide de farine et d’eau une voile réalisée à partir d’une feuille d’arbre.

28 — Le moulin: sur un ruisseau, on plante deux branches en forme de fourches. Sur celle-ci, on pose un axe muni de palettes en bois ou en carton.

29 — Le ballon fabriqué avec une vessie de cochon lorsque l’on tuait l’animal.

30 — Le yo-yo: on coupe les deux extrémités d’une bobine de fil en bois. On les cloue ensemble en coinçant une ficelle entre les deux

31 — La toupie: on coupe une extrémité de la bobine et on place le bout de buis dans le trou pour faire un axe. Il est possible de la faire tourner à la main ou la lancer avec une ficelle.

32 — Le fusil: il suffit de prendre une planche et de la sculpter en conséquence.

33 — Les cerceaux: on fait rouler un cercle de barrique ou encore une jante de vélo sans les rayons que l’on guide par-dessous avec un bâton.

34 Jouets fabriqués par les filles:

35 — Les poupées fabriquées à partir de « coquets » de maïs. Les grains figurent les yeux, le nez, la bouche. Elles les habillent avec du tissu et, pour terminer, tressent les cheveux des coquets

36 — Les poupées en chiffon, cousues et remplies de son. On utilise l’encre pour dessiner les yeux.

37 — Le mobilier pour les poupées: marrons dans lesquels elles plantent des allumettes ou des bouts de bois. Elles réalisent ainsi des tabourets, des tables…

38 — La dînette: elle se compose essentiellement d’objets de récupération ; les végétaux et la terre de nourriture.

39 — Les danseuses: elles sont confectionnées avec des coquelicots, en retournant deux des pétales et en les attachant avec un bout de laine sur la tige.

40 — Les collierstes les unes dans les autres.

41 — Les costumes: ils sont confectionnés à partir de feuilles reliées entre elles avec des tiges de bois très fines.

42 — La corde à sauter: elle est faite de ficelle de lieuses tressées.

43 — Le tricotin ; il permet aux jeunes filles de confectionner, avec des restes de laine, des napperons, des couvertures.

Se fabriquer son jouet : un regain d’intérêt contre-culturel

44 Ces jouets fabriqués avec « trois fois rien » n’ont pas résisté à la concurrence des jouets industriels. Du jouet d’élite au jouet populaire, l’objet s’est démocratisé. À la fin des années 1960, il n’existe pas une chambre d’enfant qui en soit dépourvue (Cécile Bricault 2007).

45 Cependant, la fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle sont marqués par une crainte de l’oubli et une quête des traces du passé local. Notre contexte actuel est à la fois celui de la mondialisation de la sphère financière, économique, donc celui d’une déterritorialisation, et celui de la reterritorialisation du social. On assiste à un recentrage des rapports sociaux autour d’espaces identitaires géographiques proches, à un retour en force de notions telles que « territoires » ou « pays ». Sont autrement regardés tous ces petits « hauts lieux » que sont potentiellement un canton, une commune, un quartier, une rue. Chacun doit pouvoir devenir un « lieu dit », un lieu qui dit. Dans ce contexte, la fabrication du jouet, la transmission d’un savoir-faire en lien avec le milieu [5], devient possiblement objet de patrimoine, objet de mémoire. En permettant aux jeunes générations de s’approprier les secrets de fabrications, aux derniers des anciens de transmettre leurs savoirs-faire, se joue non pas la construction d’un musée moribond, mais la participation à une mémoire vivante.

46 Outre des manuels publiés le plus souvent par des éditeurs locaux, se développent des sites, mais aussi des blogs mutualisant les idées de jouets plus ou moins rustiques à fabriquer par, pour, avec ses enfants. Ces jouets s’appuient sur des matériaux de récupération, des éléments saisonniers. Ils reposent sur des mécanismes simples. Cette simplicité laisse le champ libre à l’imagination et permet de conjuguer tradition et créativité.

47 Il n’en demeure pas moins que le jouet fabriqué revêt, au plan socioéducatif, une dimension contre-culturelle. Dans la société paysanne de la première moitié du XXe siècle où l’autarcie était à la fois démographique, sociale, et économique (alimentaire, énergétique…), le principe même de fabrication des jouets préparait les enfants à la vie adulte, les initiait à une vie entre soi où l’on fait avec ce que l’on a sous la main. Mais aujourd’hui, dans une société où la consommation est le moteur de l’économie, le processus compulsif de commande et d’achat de jouets made in…prépare socio-logiquement les enfants à tenir leur futur rôle de consommateur.

Bibliographie

Bibliographie

  • Bricault, Cécile. (2007). « Comment le jouet ancien, de par sa présence, permet-il au musée trésor de devenir un lieu contemporain de la mémoire vivante ? » Master Administration du patrimoine, Université de Lille 3.
  • Blöss, Thierry. (1994). Une jeunesse sur mesure. La politique des âges.Cahiers internationaux de sociologie, vol. XCVII, pp.253-276.
  • Brougère, Gilles. (1995). Jeu et éducation. Paris: L’Harmattan.
  • Brougère, Gilles. (2008). La ronde des jeux et des jouets. Paris: Autrement.
  • Delsouc, Philippe. (2002). Jeux et jouets du patrimoine quercynois: « des amusets a las falordisos », Quercy recherche, n° 108, pp.18-33 ; n° 109, pp.33-43.
  • Descomps, Daniel. (1997). Construire des jouets et des objets. Paris: Hachette.
  • Descomps, Daniel. (2001). Jouets rustiques. Ostal Del Libre.
  • La Garanderie, Antoine. de (1987). Comprendre et imaginer.Paris: Le Centurion.
  • Quemin, Alain. (2002). « De l’espace privé à l’espace professionnel. Les commissaires priseurs » in Françoise Piotet (dir), La révolution des métiers. Paris: PUF, pp.317-344.
  • Sansot, Pierre. (1992). Les gens de peu. Paris: PUF.
  • Vincent, Sandrine. (2001). Le jouet dans la construction sociale de l’enfance, Recherches et Prévisions n° 64 pp.5-18.

Notes

  • [1]
    B. Bergier est Professeur à l'UCO Angers, Professeur associé à l'Université de Sherbrooke, directeur de recherche à l'université de Nantes. Mail : bertrand.bergier@uco.fr P. Delsouc est enseignant en éducation socioculturelle en lycée professionnel privé (46). Mail : philippe.delsouc@orange.fr JP. Gaté est Professeur en Sciences de l'éducation à l'Université Catholique de l'Ouest (PRES L'UNAM) - Directeur du programme de recherche « Appropriation et transmission des œuvres et des savoirs». Mail : jean-pierre.gate@uco.fr
  • [2]
    À l’exception, dans les milieux plus aisés, des jouets en bois fabriqués par un(e) ascendant(e) fin(e) bricoleur(se). Ils résistent aux temps et voient des générations successives les utiliser. Exemple d’une petite ferme en bois, peinte, avec un toit ouvrant autorisant des jeux avec le mobilier, et un circuit électrique intégré permettant un éclairage intérieur des différentes pièces
  • [3]
    La découverte vise à saisir, au sein du réel donné, les signes d’une présence cachée (« que pourrait-être d’autre cette chose? »), tandis que l’invention vise à y saisir les signes d’une absence à combler (« que pourrais-je faire d’autre avec cette chose? »). (Antoine de La Garanderie, 1987)
  • [4]
    Comme le souligne Alain Quemin (2002), les pratiques professionnelles peuvent prendre appui sur des compétences acquises au cours de la socialisation primaire et plus largement sur des manières de percevoir, de dire et d’agir inculquées dès l’enfance.
  • [5]
    Cette inscription locale constitue une opportunité, au plan de la recherche, pour comparer les variantes (matériaux employés, techniques adoptées) selon les régions.
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