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Article de revue

Quand Simon rencontre Julie

Comment une relation amoureuse bouleverse l'institution

Pages 57 à 65

1Julie est une jeune femme d’une trentaine d’années. Elle est arrivée sur l’unité il y a 5 ans. Elle se présente à nous comme étant malade : « Je suis tombée malade à 18 ans, ma maladie c’est la schizophrénie. ».

2Simon est un jeune homme d’une vingtaine d’années. Il est arrivé sur l’unité il y a 2 ans. Lui aussi se présente à nous comme « étant malade, schizophrène ».

3Depuis 8 mois une relation amoureuse s’est crée entre eux. Cette expérience amoureuse a un effet bouleversant non seulement pour eux puisqu’elle les questionne sur leur identité sexuelle, leur sexuation et leur impossibilité à faire l’amour, mais aussi pour nous car elle vient nous bousculer quant à notre position dans l’accompagnement et met à l’épreuve la dynamique institutionnelle.

4Cette histoire s’est déroulée il y a deux ans, sur l’une des unités du Chrs (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) Henri Wallon qui relevait de l’Apajh 34 (Association pour adultes et jeunes handicapés de l’Hérault).

5Leur inquiétude les conduit à nous demander de les accompagner à se situer comme homme et femme.

« Suis-je une femme ? »

6Au début de leur relation, ils sont venus dans le bureau pour me parler de leurs difficultés à avoir des relations sexuelles. Julie me dit : « Voila, nous avons un problème, on n’arrive pas à faire l’amour, ça rentre pas, est-ce que tu peux nous aider ? ». Je leur demande alors comment je pourrai les aider. Simon me répond : « Je bande mou, je crois que ce sont les effets secondaires de mon traitement, j’aimerais modifier mon traitement. J’en ai déjà parlé à ma psychiatre, c’est elle qui m’a expliqué que cela pouvait provenir d’un médicament, mais je ne lui ai pas demandé de changer mon traitement, pourrais tu m’accompagner à mon prochain rendez-vous pour que je puisse lui en parler, seul je n’y arrive pas. ».

7Nous décidons lors de nos réunions d’équipe de soutenir sa demande. La question que Julie nous adresse est : qu’est-ce qu’être une femme, comment devient-on une femme ? Son interrogation en passe par l’appareillage génital et son fonctionnement : « Je peux te parler, j’ai un grave problème, mon vagin est trop petit ; le sexe de Simon ne rentre pas, mon vagin n’est pas normal, je dois aller voir la gynécologue et prendre la pilule aussi, tu pourras m’accompagner et m’expliquer pour la pilule ? ».

8Deux rendez-vous seront pris avec la gynécologue qui suit Julie depuis plusieurs années. L’un pour effectuer un examen gynécologique et pour la prescription d’un moyen contraceptif où je l’accompagne et l’autre pour le résultat de l’examen où Julie sera accompagnée par une collègue. Les examens révèleront qu’il n’y a aucune anomalie sur le plan vaginal. Ce n’est pas la première fois que Julie s’inquiète à cet endroit, malgré les divers examens réalisés depuis quelques années sa question demeure : « Mon vagin est-il normal ? ».

9Les questions de Julie se succèdent, se répètent à l’égard des membres de l’équipe. Un jour s’adressant à un collègue Julie lui parle de l’insuffisance érectile de Simon : « Est-ce que toi aussi tu as des problèmes sexuels comme ça avec ta copine ? ». Mon collègue lui répond : « En ce qui concerne ma vie sexuelle, cela ne te regarde pas car c’est mon intimité mais ça peut arriver à tous les hommes ».

10Un matin Julie paraissait très inquiète et s’adressa à une collègue : « J’ai le corps tordu, c’est la scoliose, comment je vais retrouver mon corps ». Puis, lors du déjeuner, elle demanda à un résident : « Est-ce que je suis une femme ? ». Son ami Simon, répondit : « Pour l’avoir expérimentée, je confirme, c’est une femme ». Julie redressa la tête et esquissa un sourire. Quelques instants après elle revient de l’autre appartement, paniquée, angoissée, en interpellant la même collègue : « Viens voir », arrivée devant le miroir elle dit : « Il n’y a pas de lumière, je ne peux pas me regarder dans la glace ».

11Quelques jours après elle me dit : « Je suis bien une femme, tu crois que je suis une femme…on m’a volé mon corps de femme, c’est Denis (un autre résident), il veut être une femme mais moi je ne veux pas être un homme (elle se met à pleurer) pourquoi on m’empêche d’être une femme ? ». Puis elle ajoute : « Pourquoi tu as les cheveux courts, pourquoi tu ne te maquilles pas, tu ne veux pas être féminine… pourtant tu es bien une femme, non ? ».

12Son expérience de la vie amoureuse la confronte à l’enigme de la féminité. Ce qu’elle vit dans sa relation sexuelle ne lui suffit pas pour se dire qu’elle est une femme, elle demande une confirmation. Elle vient vérifier son image auprès de l’autre et du miroir. Julie sait à qui elle peut s’adresser, chez qui elle va trouver un écho à ses questions. Elle se débrouille et se repère avec nos vies psychiques, avec ce que nous sommes.

13Sa relation amoureuse et sexuelle soulève chez Julie la question : qu’est-ce que être une femme ? Le sujet psychotique semblerait chercher une réponse au niveau du réel de la différence anatomique des sexes ; réel qui n’a pu symboliser.

Face au couple

14Simon et Julie nous sollicitent régulièrement au sujet de leur sexualité, ils viennent soit individuellement, plus particulièrement Julie, soit en tant que couple. L’équipe s’interroge, comment les soutenir individuellement tout en préservant une place à leur couple ? Lorsqu’une telle demande surgit pouvons-nous laisser une place à l’accompagnement du couple ? Comment travailler avec cette part d’intimité qu’ils nous font partager ?

15Quand Julie et Simon nous expriment leurs difficultés sexuelles dans un langage cru, nous leur soulignons qu’en ce qui concerne les détails de leur vie sexuelle nous souhaitons ne rien en savoir car cela leur appartient. L’absence de pudeur nous met mal à l’aise mais c’est nous qui la percevons, ne s’agit-il pas d’un aspect de la psychose ?

16La vie amoureuse de Julie et de Simon bouleverse les rôles dans l’équipe mais aussi la dynamique familiale et collective. En effet, au début de sa relation amoureuse, Julie, revenant d’un week-end passé chez ses parents m’exprime sa crainte d’être renvoyée de l’unité, de l’institution : « Je ne vais pas être virée… pourquoi voulez-vous me virer ? J’ai le droit d’être amoureuse… ma mère m’a dit qu’il était interdit de faire l’amour avec Simon sur l’unité. ».

17Me référant au règlement de fonctionnement du Chrs, je lui précise qu’il n’y a pas d’interdit posé, que chaque résidant a droit au respect de sa vie sexuelle mais cela implique les devoirs suivants :

  1. Veiller à ce que les relations sexuelles restent de l’ordre de l’intime afin d’éviter de déranger les autres
  2. Ne pas solliciter de relation sexuelle qui ne soit pas dans le cadre d’une relation librement consentie.
Quelques jours plus tard je reçois un appel téléphonique de sa mère me disant : « J’ai bien répété à Julie qu’elle ne devait pas dormir avec son copain car c’était interdit sur l’unité et qu’elle risquait d’être renvoyée ». Je lui lis l’article du règlement et elle me dit : « Ah, ce n’est plus comme avant, ça a changé ».

18Lors d’un autre week-end chez ses parents Julie me dit : « Je n’y comprends rien à cette pilule… ma mère a sorti la plaquette du boîtier et elle s’est trompée… regarde… (Elle pleure) ». Effectivement il y avait eu un raté dans la prise de la pilule. Je reprends cela avec elle et là elle me dit : « Tu pourrais me montrer comment on met un tampax… tu ne veux pas être ma mère ? ».

19Nous nous demandons si elle ne nous invite pas, sur un mode transférentiel, à jouer inconsciemment la fonction maternelle de lui transmettre comment devenir femme ? Cela nous interroge sur notre fonction, la question de l’éducatif vient d’être bouleversée. Elle est de l’ordre de la transmission et non de l’apprentissage. Celle-ci semble passer par des moments d’identification avec la mère ou plutôt avec le rôle qui nous est donné de jouer sur cette Autre scène.

20Un jour d’été, quelques jours après le début de sa relation avec Simon, Julie me sollicite pour aller faire du shopping. Elle s’achète une paire de chaussure, des sandales à talon car dit elle : « ça fait femme ». Durant trois jours elle ne les quitte plus. De retour d’un week-end chez ses parents, elle ne les porte plus. Elle me dit : « Ma mère m’a dit de te dire qu’il ne fallait pas acheter des chaussures à talon, car ça me fait mal, je n’arrive pas à marcher, ça me tords les pieds alors elle m’a réparé mes sandales à lanières. ».

21A quelle place est-elle logée dans le désir et le fantasme parental ? Comme une enfant ? Comme une femme ? Comme un être sexué ou bien asexué ? Julie ne serait-elle pas prise dans les rets du désir de sa mère, peut-être aussi dans ceux de notre désir ?

22Nous supposons que Julie, à travers ses diverses sollicitations à notre égard au sujet de sa féminité, adresse à ses parents un message à la reconnaître autrement.

23D’ailleurs, Julie, durant plusieurs mois, voulait que ses parents viennent à Montpellier pour rencontrer Simon. Lorsque les parents de Julie acceptèrent de rencontrer son ami elle nous dit avec un enthousiasme débordant : « Oh, je suis heureuse, je suis amoureuse, mes parents vont venir, ils vont appeler pour vous en parler… ma mère a fini par céder, elle ne voulait pas à cause des travaux du tramway, mon père a suggéré de prendre le train. ». Elle prend une intonation particulière sur le verbe céder qui est accentué. A cet instant-là, nous la percevons heureuse de se sentir femme. Cette rencontre les met en tension, Simon s’inquiète, il nous confie : « Qu’est-ce que je vais leur dire, s’ils ne m’aiment pas ? ». Avec une collègue, Julie s’achète une jupe et un tee-shirt assorti. Elle vient dans le bureau et demande à un éducateur : « Est-ce que je suis belle ? » il lui répond : « Cet ensemble a de belles couleurs printanières, il te va à ravir. ». Elle lui dit : « Je commence à devenir comme les autres ».

24Puis, se tournant vers le reste des permanents, elle nous dit avec un visage rayonnant et épanoui : « Ce matin je me suis regardée dans la glace et je me sens de plus en plus femme, c’est l’amour, oh, comme je suis heureuse, j’aimerai guérir pour vivre avec mon homme. ». Le j’aimerai guérir est une expression qu’elle formule souvent, mais c’est encore plus vif depuis qu’elle est amoureuse.

25Durant la semaine d’attente de la visite de ses parents, Julie était souriante, épanouie, ses angoisses étaient moins intenses. Les moments d’élaboration des repas collectifs lui étaient moins éprouvants.

26Lors de son tour de repas, elle nous attendait et nous fait remarquer qu’elle avait mis la table et que le repas était prêt. Elle me dit : « J’ai une surprise pour toi, quand je l’ai vu, j’ai pensé à toi, (elle me donne une bouteille de jus d’orange dont le goulot est en forme de tétine). Tu veux du lait mon bébé ?… Tiens, bois du lait mon bébé ». Elle me tend la bouteille.

27Cette phrase tu veux du lait mon bébé, elle me l’a répété depuis quelques temps mais cette semaine là plus fréquemment. Elle me dit aussi : « Tu ne veux pas être mon bébé, je prendrai bien soin de toi (elle me masse les épaules) ».

28Quand elle me tend la bouteille, dans un premier temps je refuse, puis face à son insistance, je l’accepte sans savoir ce que j’accueille, je lui propose que nous nous la partagions lors du repas en enlevant la tétine. Une fois la bouteille vide, je ne peux pas la jeter, je ressens, sans rien en savoir, que je dois la garder et je la pose sur une étagère de notre bureau sur l’unité.

29En réunion d’équipe, nous nous demandons si Julie n’a pas déposé en moi cette part de bébé qui l’encombre dans cette autre place où elle essaye de s’inscrire ; qu’elle essaye de prendre dans sa famille pour être reconnue en tant que femme ?

30L’expérience de la vie amoureuse et sexuelle qu’elle vit sur l’unité semble lui permettre l’émergence d’un lieu transitionnel, d’un espace psychique où elle peut exister autrement, espace rendu possible par le travail institutionnel.

Dynamique de la relation amoureuse

31Dans sa relation, Simon positionne Julie en place d’adulte et de femme, il lui indique ses propres limites, lors de ses épisodes délirants il la renvoie à sa souffrance : « Arrête de pleurnicher, t’es pas une gamine, tu as 33 ans, pourquoi tu pleures, c’est ta maladie qui fait ça, tu te fais des idées, moi aussi j’entends des voix mais je fais comme s’il n’y en avait pas, tu parles toujours de tes parents mais fais ta vie. ».

32Quand nous sommes à table, Julie tente souvent d’embrasser Simon qui lui rappelle : « Ce n’est pas le moment, on ne s’embrasse pas à table. ». Lorsqu’ils vont faire les courses ensemble c’est lui qui porte le panier, ils s’aident pour les tâches ménagères, Julie met la table pendant que Simon regarde la télévision et en plaisantant à ce sujet avec lui il nous répond que ses parents agissent de la même façon. Il nous dit : « Dans un couple, l’homme doit aider la femme. ».

33Dès que Simon s’éloigne, face à l’absence réelle de ce dernier, Julie retourne à une position infantile, elle se tient courbée, prend une voix de petite fille. Dés lors qu’il est présent, elle se tient droite, parle avec plus d’aisance et son visage s’épanoui, elle parle de robe de mariée et d’enfants. Cette question de maternité a été évoquée par Julie, Simon et l’équipe éducative lorsque ces derniers sont venus nous dire : « En tripotant les seins de Julie il en sort un liquide, ce n’est pas normal, pourtant elle n’est pas enceinte, car avec nos maladies ce n’est pas possible d’avoir des enfants, je l’ai déjà dit à Julie, c’est difficile de s’occuper des enfants, (il se tourne vers Julie), tu le sais toi aussi que tu ne peux pas t’occuper d’un enfant… car des fois tu fais le bébé, tu fais des caprices… peut-être plus tard si on guérit. ».

34Simon rajoute : « Ici on vit en concubinage, on fait les courses ensemble, on s’aide pour les repas, la vaisselle et dans nos maladies, car on a la même maladie, on est tous les deux schizophrènes, on entend tous les deux des voix, mais moi ça va maintenant, ça dure moins qu’avant et je fais comme si je ne les entendais pas. ».

35Depuis le début de sa relation amoureuse, le traitement de Simon a été modifié à trois reprises. La première fois, c’était une demande de sa part pour atténuer son insuffisance érectile. Les deux autres fois, c’était sa psychiatre qui lui a proposé d’abaisser son traitement, ce qu’il a accepté. Lors de ces moments Simon nous disait : « Ma psy me trouve mieux, elle m’a enlevé des médicaments, je suis content, je n’ai plus d’angoisse comme avant, peut-être que je pourrais essayer de travailler, il faut que j’en parle au psychologue, je pourrais commencer par un stage en Cat, je vais y réfléchir. ».

36Simon a exprimé à l’équipe des permanents, au psychologue et au chef de service lors de la signature de son contrat : « C’est la première fois que j’ai une relation avec une fille qui dure aussi longtemps, c’est bien, c’est constructif, c’est pas l’histoire d’un soir, je suis bien avec elle, je vais mieux, je suis plus présent avec les autres, je passe moins de temps dans ma chambre, maintenant je n’ai plus besoin de l’aide des éducateurs pour préparer les repas, bon j’ai toujours peur de sortir, il faut que je sois accompagné d’un éducateur, c’est ce qu’il me reste à faire. Dehors j’ai peur de rencontrer des Sdf que j’ai connu quand j’étais à la rue et si ils sont plusieurs je ne pourrai pas protéger Julie, elle ne sait pas se défendre ».

Le couple, cet inconnu institutionnel

37Nous supposons que pour exister autrement, Simon et Julie se soutiennent non seulement de leur expérience de la vie amoureuse, mais aussi de ce qu’ils transfèrent sur l’équipe et du travail institutionnel qui laisse place à cette relation. Cette expérience de la vie amoureuse de deux résidents bouleverse, questionne les places, les rôles et les identités de chacun. Cette histoire saisit l’institution dans le cadre de son projet d’établissement, sur la place qu’elle attribue au couple, et à l’expérience de la vie amoureuse et sexuelle des personnes qu’elle accueille. L’expérience de la vie amoureuse de Julie et Simon semble s’étayer sur les membres de l’équipe et sur la dynamique du travail institutionnel.

38Mais qu’en est-il de la vie de couple ? Notre savoir faire nous a conduits à traiter d’abord l’accompagnement de la personne, à travailler le couple avec l’un et l’autre. Cependant nous n’avons jamais pensé, travaillé l’entité couple. Jusqu’à aujourd’hui, dans le projet d’établissement, nous n’avons encore rien écrit sur la dimension de la vie de couple. L’entité couple est autorisée mais en même temps elle n’est pas reconnue. Comment la traiter et dans quel champ d’intervention ? Quelle en serait la limite au niveau du travail et de l’accompagnement ?

39Comment le couple peut-il être pris en compte dans l’accompagnement au regard de la loi du 2 janvier 2002 qui instaure la passation de contrat individualisé avec chaque résident ? En fonction de cela, quelle place l’institution peut elle laisser à la parole du couple et consacrer à la vie de couple ? Car si l’institution ne peut pas permettre aux personnes de s’installer dans une vie de couple, quel est le sens de l’accompagnement ? Cette question doit être mise au travail afin que des espaces de jeu puissent exister, pour que les trois éléments, l’un, l’autre et le couple, soient pris en compte.

40L’autre problématique à laquelle nous avons été confronté concerne la santé psychique de Julie et de Simon. Nous avons laissé place à cette expérience de la vie amoureuse, cependant nous nous sommes demandés quel effet cela pouvait-il induire sur la santé psychique de l’un et de l’autre. L’expérience de la vie amoureuse convoque les personnes à des places qu’elles ne peuvent pas soutenir symboliquement. Julie vient nous dire qu’il lui est difficile de s’inscrire dans une identité sexuelle, notre aide lui est nécessaire.

41Cela représenterait-il un risque pour la santé psychique des personnes ? Pourrions-nous faire autrement que de prendre le risque d’un éventuel effondrement ou d’une nouvelle crise psychique ? Sans le questionnement permanent de l’équipe et l’étayage du travail institutionnel cette relation amoureuse aurait-elle été possible ?

Projet de mariage et désir d’enfant

42Depuis cet écrit l’histoire de Simon et Julie s’est poursuivie. Aujourd’hui, ils sont tous les deux hébergés au Foyer d’accueil médicalisé Henri Wallon qui a ouvert ses portes temporairement sur le domaine de la Bruyère à Saint-Christol. Ils ont souhaité expérimenter une vie de couple et partager une chambre commune. Ils ont également émis le souhait d’acheter en commun un lit double.

43L’institution a reconnu et a accompagné cette dynamique de couple en aménageant une chambre commune ainsi qu’un espace servant à garantir une possibilité de repli pour l’un ou pour l’autre. De même, nous avons modifié les registres de prise en charge avec le projet de tenir compte de l’entité du couple, tout en maintenant le projet personnalisé.

44Ces évolutions ont activé chez eux un projet de mariage, un désir d’enfant qui sont venus bousculer les familles et l’équipe. La demande de mariage a énormément enthousiasmé Julie, Simon lui a envisagé la venue d’un enfant en précisant qu’il serait élevé par sa mère.

45Le projet de mariage ainsi que le désir d’enfant a fait violence dans les relations interfamiliales. Julie et Simon se sont adressés à l’institution qui a répondu qu’elle n’était pas habilitée à accueillir un couple avec enfants. Les familles se sont positionnées en précisant qu’elles n’élèveraient pas l’enfant à leur place. Malgré le positionnement de l’institution et des familles et malgré les précautions mises en place, le désir ne serait-il pas plus fort ? Chaque mois, le moment de règles est vécu comme un soulagement pour l’équipe, comme quoi, ça bouleverse.

46Simon et Julie ont été, eux aussi, bousculés par l’image et le rôle de l’homme et de la femme dans un couple, la filiation, l’hérédité. Cette expérience, a permis à Simon de nous évoquer des souvenirs autour de sa place dans sa propre famille, son vécu douloureux et perturbant, tout ceci probablement lié à une quête d’identité masculine.

47Face à leurs questions liées à l’intime, à nos limites de régulation dans leur relation sexuelle nous avons souhaité offrir un espace extérieur qui pourrait faire tiers. Comment distinguer espace intime, sexualité et institution, tout en les articulant ? Comment les préserver eux et les autres dans leur intimité ?

48Des rendez-vous chez une sexologue ont été mis en place à leur demande. Notre souci étant de soutenir cette démarche et de leur offrir un lieu d’adresse des questions de l’ordre de la génitalité tout en continuant à travailler les questions liées à leur vie de couple. Par ailleurs, comment travailler ces questions avec la famille ? Comment faire pour que chaque sujet soit pris en compte dans la dimension de couple ?

49Les parents de Julie nous ont fait part qu’ils sentaient leur fille moins angoissée, plus apaisée et semblent trouver positif sa place au Foyer d’accueil médicalisé et sa relation avec Simon. Concernant ce dernier, sa famille a évoqué une amélioration de l’état psychique de leur fils. Sa mère nous a également interpellé sur son souhait de voir un jour son fils travailler.

50Le projet actuel pour Simon serait une orientation de type Foyer Logement car il souhaite expérimenter le travail en milieu protégé et la vie autonome en appartement. Julie souhaite vivre avec Simon, mais elle a conscience qu’elle a besoin d’un point d’appui éducatif plus important que celui apporté en Foyer Logement et se sent éloignée du monde du travail


Mots-clés éditeurs : couple, projet d'établissement, relation amoureuse, handicap psychique

Mise en ligne 01/12/2011

https://doi.org/10.3917/graph.027.0057

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