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Article de revue

La pré-appropriation capacitante d’un outil de contrôle de la qualité : le cas d’une accréditation à l’université

Pages 95 à 114

Introduction

1 L’évaluation de la qualité et la mise en place de certifications dans les universités se développent depuis les années 1980 (Vinokur, 2006). Elles sont devenues un instrument des réformes de l’enseignement supérieur (Panjeta, 2019), en particulier dans les écoles de management de nombreux pays (Mergen et al., 2000 ; Durand et Mc Guire, 2005 ; McKee et al., 2005 ; Elliott, 2013 ; Miles et al., 2015). Dans les établissements français, ce développement semble être également un mouvement de fond comme l’attestent les nombreux labels et normes déployés : Label Développement Durable et Responsabilité Sociétale, Label européen Human Resources Strategy for Researchers, certification Qualicert pour les Instituts d’Administration des Entreprises, ISO 9001, ISO 50001, etc.

2 Ce sujet nous semble mériter une attention particulière compte tenu du mouvement de fond évoqué ci-dessus et des difficultés dans l’appropriation des outils de gestion au sein ces établissements. Ces difficultés sont liées notamment à des raisons politiques (Chatelain-Ponroy et al., 2013) de préservation des ressources (Boitier et Riviere, 2016), de simplification des indicateurs (Mériade, 2017) et à des comportements opportunistes (Bessire et Fabre, 2011). Si ces contributions sont riches d’enseignements, peu de travaux se sont intéressés à l’appropriation des outils de gestion de la qualité. En particulier, la phase de pré-appropriation reste ignorée alors qu’elle semble être cruciale : elle conditionnerait les représentations que se font les utilisateurs de l’outil (Espinasse et Dreveton, 2021).

3 Certains auteurs plaident pour la nécessité d’engager un pilotage actif des représentations dès le processus de construction de l’outil (Dreveton et al., 2012). Cet appel au pilotage des représentations renvoie aux travaux de Lorino (1995) qui distingue une coordination des représentations par héritage (mécanique, autoritaire, persuasive) d’une coordination par projection (traductrice et participative). Si cette distinction est instructive, elle n’explore pas suffisamment les caractéristiques des représentations. Nous nous sommes alors orientés vers un cadre théorique qui réalise une distinction similaire, celui du contrôle capacitant (bureaucraties coercitives i.e. autocratiques et mécanistes vs bureaucraties capacitantes i.e. participative et aidante). Il peut être défini comme « une démarche de contrôle de gestion basée sur une technologie formalisée du travail irriguée par quatre caractéristiques-clés capacitantes [transparence interne ; transparence globale ; flexibilité ; réparation] qui permettent aux employés de mieux maîtriser leur mission au travers des interactions entre les managers-utilisateurs et les éléments de ce SMG [système de maîtrise de gestion] » (Benoit et Chatelain-Ponroy, 2016 p. 74). En d’autres termes, une telle démarche vise à permettre aux utilisateurs de percevoir les enjeux et le fonctionnement de l’outil (grâce aux actions de transparence engagée sur ce dernier), ainsi que les marges de manœuvre futures dont ils disposeraient pour l’utiliser (par sa flexibilité) et pour l’améliorer (par les opportunités de le « réparer »).

4 Notre recherche s’est donc structurée autour de la question suivante : la pré-appropriation d’un outil de contrôle est-elle capacitante ?

5 Compte tenu du faible nombre de contributions consacrées à l’appropriation des outils de gestion de la qualité, que nous considérons avec Eve et Sprimont (2016) comme des outils de contrôle, notre recherche vise à mieux comprendre les mécanismes susceptibles de la favoriser dans les universités publiques. Plus précisément, l’article se focalise sur la phase de pré-appropriation, et en particulier sur les mécanismes qui agissent sur les représentations que se font les acteurs de l’outil en projet ou en construction. S’interroger sur la dimension capacitante de la pré-appropriation vise à explorer si cette dimension engendre, auprès des utilisateurs, des représentations favorables à la maîtrise des missions qu’ils auront à réaliser sur l’outil de gestion de la qualité en construction.

6 La première partie de cet article met en évidence que la phase de pré-appropriation des outils de contrôle de la qualité à l’université sont largement sous-documentés dans la littérature. Par ailleurs, nous y abordons également ce que le cadre théorique du contrôle capacitant peut apporter à l’étude de la phase de pré-appropriation. Dans la seconde partie, sont présentés la méthodologie et les résultats d’une étude qualitative réalisée au sein d’une université française ayant le projet de déployer une accréditation internationale.

1. La pré-appropriation des outils de contrôle de la qualité à l’université : un objet d’étude peu exploré

7 Notre recherche explore un domaine peu investigué à ce jour, aussi bien au niveau des outils de contrôle de la qualité à l’université (1.1.) qu’au niveau de la phase de pré-appropriation. Cette dernière pose la question complexe du pilotage des représentations des acteurs (1.2.) que nous tentons de traiter par la mobilisation du contrôle capacitant (1.3.).

1.1. Des exigences accrues de certification de la qualité à l’Université et ses difficultés

8 Depuis de nombreuses années, le management de la qualité fait partie du fonctionnement des universités publiques françaises. Un des dispositifs les plus représentatifs s’est développé avec la loi de programme pour la recherche du 18 avril 2006, qui pose les fondations de l’évaluation, par la création de l’agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). Ce dispositif contribue à la formalisation et à la structuration de l’évaluation « en instituant une procédure et en adoptant et diffusant des critères et des indicateurs qui contribuent à la codifier » (Barats et Née, 2020, p. 6). Il a permis « la diffusion de la culture qualité » (Panjeta, 2019, p. 35). Il se fonde sur un référentiel d’évaluation qui contribue à la création d’écrits standardisés, unifiés justifiant la comparabilité des universités. Cette évaluation de la qualité n’est qu’un dispositif parmi d’autres déployés dans les établissements français depuis de nombreuses années (Vinokur, 2006). De nombreux labels et certifications se sont développés : Label Développement Durable et Responsabilité Sociétale (DD&RS) ; Label européen Human Resources Strategy for Researchers (HSR4R), accréditation de l’Association to Advance Collegiate Schools of Business (AACSB), certification Qualicert pour les Instituts d’Administration des Entreprises, ISO 9001, ISO 50001, etc.

9 Ce besoin de certification de la qualité répond à deux logiques (Vinokur, 2017) : une première, d’ordre marchande, permet aux universités de se placer sur un marché international en visant une standardisation des diplômes (ex. Licence Master Doctorat), l’assurance qualité de processus, le rating et le ranking ainsi que la standardisation des compétences. La seconde, d’ordre managérial, permet de répondre à un besoin d’optimisation subordonné au nouveau management public et à une normalisation de l’enseignement supérieur. Dès lors, les injonctions institutionnelles (Classement de Shanghai, processus de Bologne, Loi relative aux lois de finance, Révision Générale des Politiques Publiques, Loi sur la Responsabilité des Universités) conduisent les établissements à incorporer dans leur fonctionnement et leur gouvernance « des outils de gestion importés de la sphère privée au premier titre desquels les outils d’évaluation de la performance et de contrôle de gestion » (Ory et al., 2014, p. 2). La certification qualité à l’Université se traduit par le déploiement d’outils qualifiés de contrôle. En effet, les certifications, fournies par des organisations externes, fixent « des règles d’organisation susceptibles d’améliorer la coordination des actions au sein de l’entreprise dans le respect des objectifs de celle-ci. Le contrôle est ainsi basé sur des normes d’activité et se traduit en obligations de moyen » (Maurand-Valet, 2004, p. 33). Conformément à Chiapello (1996) « on est dans une situation de contrôle, lorsque le comportement d’une personne est influencé par quelque chose ou quelqu’un » (1996, p. 52).

10 De nombreux travaux de recherche montrent que la mise en place de ces outils, relevant du New Public Management, se heurtent à des difficultés majeures (Chatelain Ponroy et al., 2013 ; Boitier et Riviere, 2016 ; Mériade, 2017 ; Bessire et Fabre, 2011). Ils irriguent les universités à petits pas, de manière incrémentale (Pollitt et Bouckaert, 2011), non sans heurts. Concernant plus précisément les outils de management de la qualité, les rares recherches en sciences de gestion sur les universités françaises dévoilent des difficultés similaires. Vinokur (2017) observent que ces dispositifs sont contradictoires avec la qualité des savoirs et l’autonomie professionnelle des universitaires. Bédé et al. (2012), constatent que le déploiement d’une certification universitaire peut manquer de concertation, de notoriété, et se caractériser par une difficile adhésion de certains acteurs comme les enseignants-chercheurs. Ils observent que la difficulté de fournir des compensations financières suppose une adhésion quasi-philanthropique : l’appropriation suppose alors une légitimation multidimensionnelle. Panjeta (2019) observe des situations favorables au développement de la qualité mais aussi des obstacles : une polyphonie autour de la notion de qualité, des points de vue divergents entre les acteurs et, parfois, une appropriation improbable d’outils.

1.2. L’importance de la phase de pré-appropriation et du pilotage des représentations

11 Depuis une vingtaine d’années, les travaux sur l’appropriation se multiplient (De Vaujany, 2005, 2006 ; Grimand, 2012). Les perspectives et les logiques d’approche de l’appropriation sont variées. Dans la plupart des travaux, deux perspectives sont abordées, fondées sur les travaux de De Vaujany (2005, 2006) : la théorie de la conception à l’usage (qui s’inscrit dans une approche structurationniste, usage et conception s’imbriquent étroitement) ; la théorie de la mise en acte (alternance conception – mise en œuvre). L’appropriation comporte différentes phases : la pré-appropriation, l’appropriation originelle, les routines d’appropriation et la réappropriation (De Vaujany, 2005).

12 Les travaux de recherche portant sur la pré-appropriation sont globalement rares, inexistants dans le contexte des universités. Certes, ceux qui s’intéressent à la conception d’outils de gestion sont nombreux (Hatchuel et Weil, 1992 ; Moisdon, 1997), mais ils ne s’attachent pas à comprendre la phase spécifique de pré-appropriation. À notre connaissance, seuls Lemaire et Nobre (2013) et Espinasse et Dreveton (2021) y font formellement référence. Carton et al. (2005) mobilisent le concept de pré-implantation (d’un objet de gestion informatisé). Nombreux sont les chercheurs qui considèrent cette phase comme la porte d’entrée du processus d’appropriation (Brunel et al., 2006 ; Ndao et Kane, 2021…). Elle favorise l’intégration et le renforcement du rôle du professionnel et permet à l’usager de développer des représentations multiples censées aider à diminuer les angoisses pour s’engager dans un processus d’appropriation (Carton et al., 2005). Pour De Vaujany (2006, p. 118), la pré-appropriation se traduit par de premières discussions autour de l’outil, « de son évocation ou, pour quelques rares personnes, de la phase de co-conception, l’outil de gestion est l’objet d’une première interprétation ». L’outil n’est pas encore présent ou en phase de conception, sa maîtrise et la construction sociale sont très limitées, il est perçu, évoqué et conçu (De Vaujany, 2005).

13 Cette phase se traduit donc par l’imaginaire qui travaille, par l’interprétation de la réalité et par l’élaboration du désir (Brunel et Roux, 2006). Les premières interactions entre les acteurs et l’outil permettent de créer des représentations comme le soulignent Lux et Lajante (2017, p. 217) : « les individus perçoivent les caractéristiques (par exemple, l’utilité, la facilité d’utilisation, le design) d’un outil de gestion (artefact instrumental) et développent leurs propres représentations de celui-ci en fonction des circonstances et de l’environnement ». Les représentations qui se développent en phase d’appropriation peuvent être multiples (Carton et al., 2005) voire hétérogènes. Dans une recherche consacrée aux représentations sociales, Dreveton et al. (2012) observent que l’exploration des représentations sociales (mobilisées par un individu – subjective –, qui se construisent dans l’interaction – intersubjective –, ou encore celles qui proposent un cadre commun d’action – trans-subjective), permet de cerner les tensions « autorisant ou contrariant le déploiement d’un outil de contrôle de gestion au sein de l’organisation publique » (2012, p. 131).

14 La non-gestion de cette diversité de représentations peut conduire à l’échec de l’implantation de l’outil de gestion (Dreveton et al., 2012). Ce constat sur les risques liés à l’hétérogénéité des représentations rejoint celui de Bouzon (2002) : « quand des membres du personnel ont des représentations trop contradictoires, le dialogue devient difficile voire conflictuel, et derrière une collaboration de façade, se développent des stratégies d’acteurs où le non-dit prédomine et la rivalité se substitue à la coopération » (Bouzon, 2002, p. 3). Si cette approche est ancienne, les rares travaux portant explicitement sur la pré-appropriation ne tiennent pas compte de l’hétérogénéité des représentations des acteurs et notamment la nécessité d’engager un pilotage actif de ces dernières dès le processus de construction de l’outil (Dreveton et al., 2012).

15 Là encore, à notre connaissance, les travaux en contrôle consacrés au pilotage des représentations sont peu développés (contrairement à ceux portant sur la représentation de la performance qui font l’objet d’une vaste littérature en comptabilité / contrôle). Seule l’approche déjà ancienne de Lorino (1995) sur le pilotage de la performance est instructive. Lorino (1995) distingue une coordination de la représentation globale « par héritage » (mécanique, autoritaire, persuasive) d’une coordination de la représentation globale et locale « par projection » (traductrice et participative). Si cette distinction vise le pilotage de la représentation de la performance et non l’outil de gestion, la frontière reste ténue : la représentation de la performance traduit une philosophie gestionnaire (finalités et cibles des outils) inscrite dans un substrat technique (nature et méthodologie) (Hatchuel et Weil, 1992). L’appropriation de ce dernier est facilitée s’il permet la traduction la plus fidèle possible de la philosophie portée par l’innovation managériale (Canet et Tran, 2017). Si l’approche de Lorino (1995) est très instructive sur le pilotage des représentations, les caractéristiques de ces dernières ne sont pas précisées. Nous nous sommes alors orientés vers un cadre théorique qui réalise une distinction similaire à celle de Lorino (coordination des représentations par héritage – mécanique, autoritaire, persuasive ; coordination des représentations par projection – traductrice et participative) : celui du contrôle capacitant.

1.3. L’apport du cadre théorique du contrôle capacitant à la pré-appropriation

16 Le contrôle capacitant consiste en « une démarche de contrôle de gestion basée sur une technologie formalisée du travail irriguée par quatre caractéristiques-clés capacitantes qui permettent aux employés de mieux maîtriser leur mission au travers des interactions entre les managers-utilisateurs et les éléments de ce SMG [système de maîtrise de gestion] » (Benoit et Chatelain-Ponroy, 2016 p. 74). Il repose sur un modèle structuré en trois éléments (Benoit et Chatelain-Ponroy, 2019) : un concept fondamental qui rappelle que l’objectif des outils de contrôle est de mieux maîtriser leur tâche ; une typologie matricielle opposant organisations organiques, capacitantes, mécanistes, et autocratiques (capacitante/contraignante) ; quatre caractéristiques clés comprenant à la fois des processus de conception et de mise en œuvre. Les caractéristiques clés sont le cœur du contrôle capacitant, correspondant chacune à des dimensions habilitante ou facilitante :

  • La transparence interne a une dominante facilitante, c’est la compréhension du fonctionnement des processus locaux.
  • La transparence globale a une dominante facilitante et correspond à une acception plus large que la précédente, à savoir une compréhension de la place des processus locaux au sein des systèmes globaux. La transparence globale permet d’agir de façon créative sur l’environnement.
  • La flexibilité correspond à une dominante habilitante et permet à l’usager de l’outil d’avoir une marge de manœuvre pour moduler l’emploi qu’il en fait.
  • La réparation est habilitante et développe l’échange entre l’utilisateur et le concepteur de l’outil dans un objectif d’amélioration et de diminution des pannes.

18 Les travaux sur le contrôle capacitant développés en France se sont tournés récemment vers la question de la mise en place d’un contrôle de gestion sur-mesure selon une optique d’amélioration continue (Benoit et Chatelain-Ponroy, 2019). S’ils ne ciblent pas explicitement une phase spécifique de l’appropriation, ce cadre théorique se positionne dans chacune d’entre elles. S’il ne vise pas à explorer directement les représentations, il s’en rapproche en s’intéressant à l’évolution des perceptions des systèmes de contrôle par les managers (Benoit, 2016). S’il ne vise pas directement le pilotage des représentations, la matrice capacitante présente des similarités avec les travaux de Lorino (1995) : le pilotage des représentations par héritage présente des caractéristiques des bureaucraties coercitives (i.e. autocratiques et mécanistes), le pilotage des représentations par projection est similaire aux bureaucraties capacitantes (i.e. participative et aidante). Les caractéristiques de transparence vont dans le sens des observations de Lorino (1995) : elles font référence à la compréhension des situations qui permettent l’apprentissage, ici les caractéristiques et la finalité des outils qui font l’objet de l’appropriation. Enfin, les caractéristiques de flexibilité et de réparation se rapprochent des aspects de co-construction des processus d’appropriation. Ce cadre théorique nous a conduit à formuler la problématique suivante : la pré-appropriation d’un outil de contrôle est-elle capacitante ? Précisons ici que, pour nous, la pré-appropriation se traduit par les représentations (centrales et périphériques, Abric, 1987) qu’ont les acteurs sur les apports de l’outil à l’organisation, sur son fonctionnement (transparence interne), sa place dans l’organisation (transparence globale), les marges de manœuvre dont ils disposent pour l’utiliser (flexibilité) voire pour le modifier (réparation). Ces représentations seraient de nature à permettre aux employés de mieux maîtriser leur mission car habilitantes et facilitantes c’est-à-dire, pour notre étude, de participer au déploiement d’outils de contrôle de la qualité à l’université. Précisons également que les représentations centrales sont constituées d’un noyau qui se caractérise par trois fonctions : « (1) la construction de la base commune, proprement sociale et collective, qui définit l’homogénéité d’un groupe ; (2) la définition des principaux fondamentaux autour desquels se constituent les représentations ; et (3) la stabilité et la cohérence de la représentation » (Zouhri et Rateau, 2015, p. 133). Elles sont stables et partagées par tous. Les représentations périphériques sont des éléments qui « assurent l’inscription de la représentation dans la réalité concrète et autorisent diverses individualisations de cette représentation. C’est pourquoi on pourra observer que des individus partageant une même représentation (organisée autour d’un même noyau central) ont parfois des pratiques sensiblement différentes » (ibid., p. 134). Ainsi, les représentations centrales garantissent une homogénéité et du consensus et les représentations périphériques autorisent diverses opinions et pratiques.

2. Une étude qualitative au sein d’une université française

19 Pour répondre à notre problématique, peu investiguée à notre connaissance, nous avons mené une étude exploratoire sur une composante d’une université française ayant le projet de déployer une accréditation internationale (2.1). Les résultats montrent une pré-appropriation différenciée tant sur les impacts de cette dernière (2.2) que sur ses modalités de fonctionnement et les marges de manœuvre qu’elles procurent aux acteurs (2.3.). Nous analysons les raisons de ces représentations contrastées à partir des données recueillies sur le mode de pilotage (2.4.).

2.1. Contexte et méthodologie de la recherche

20 Notre étude porte sur le déploiement de l’accréditation américaine AACSB (Association to Advance Collegiate Schools of Business) dans un établissement universitaire français. De nombreux travaux ont traité de cette accréditation dans d’autres pays (Durand et Mc Guire, 2005 ; McKee et al., 2005 ; Elliott, 2013 ; Miles et al., 2015). Cette accréditation serait « connue dans le monde entier comme la forme la plus durable et la plus reconnue d’accréditation spécialisée qu’un établissement et ses programmes de gestion puissent obtenir. L’accréditation est un processus volontaire et non gouvernemental qui comprend un examen externe rigoureux de la mission d’une école, des qualifications du corps enseignant, des programmes d’études et de la capacité à fournir des programmes de la plus haute qualité » (AACSB, 2023). Elle permet aux écoles de commerce et de management (publiques ou privées) d’obtenir et de faire valoir une accréditation garantissant engagement, qualité, connexion (avec d’autres partenaires AACSB), pertinence, impact sociétal positif et amélioration continue. Notre étude a eu lieu entre juin et septembre 2020, dans une école de management d’un établissement public français. La mise en place de l’accréditation nécessite un dossier de pré-éligibilité puis le montage d’un dossier d’éligibilité, contrairement à un établissement privé qui n’aurait qu’un dossier d’éligibilité à rendre. L’établissement doit prouver une certaine autonomie vis-à-vis de l’université notamment en termes financiers. Dans cette recherche, nous sommes intervenus juste après l’annonce de la validation du dossier d’éligibilité, presque deux ans après le démarrage du projet. L’établissement est par ailleurs accrédité ISO 9001 sur les services de scolarité et Qualicert.

21 Pour réaliser cette étude exploratoire, nous avons mené une étude de cas que Yin (1994, p. 17) définit comme une investigation en contexte réel « lorsque les frontières entre phénomène et contexte ne sont pas clairement tracées et pour laquelle de multiples sources d’information sont utilisées pour mettre le phénomène en évidence ». Nous avons mené 18 entretiens (regroupés dans le tableau 1) qui ont permis d’atteindre un niveau de saturation des données satisfaisant (Marshall et al., 2013) compte tenu de la phase dans laquelle se situe le projet d’accréditation. Le choix des personnes interrogées s’est fait en fonction de la proximité de ces dernières avec la mise en place de la certification qui n’est encore qu’en phase de développement au moment de notre intervention. Nous avons mené deux types d’entretiens : les premiers concernent un cercle restreint de personnes liées à la mise en place d’AASCB, les gestionnaires du projet ; les seconds concernent les premières parties prenantes impliquées. L’étude de la phase de pré-appropriation de l’outil limite les personnes concernées par sa mise en place.

Tableau 1

Récapitulatif des entretiens menés

RôleTypeDurée des entretiens
Assistante de direction de laboratoireAdministratif00:38:55
Directrice administrative adjointeAdministratif00:48:40
Chargée de gestionAdministratif00:41:33
Assistante qualitéAdministratif01:03:23
Gestionnaire de formationAdministratif00:39:33
Responsable scolarité adjointeAdministratif00:16:22
Responsable qualitéAdministratif00:56:31
Directeur administratifAdministratif00:56:33
Professeur des universitésEnseignant chercheur00:48:04
Professeur des universités (porteur du projet AACSB)Enseignant chercheur01:04:0502:15:00
Professeur des universitésEnseignant chercheur00:48:45
Professeur des universitésEnseignant chercheur00:58:44
Professeur des universitésEnseignant chercheur00:47:51
Maitre de conférencesEnseignant chercheur00:50:03
Maitre de conférencesEnseignant chercheur00:51:58
Maitre de conférencesEnseignant chercheur00:40:32
Attaché temporaire d’enseignement et de rechercheEnseignant chercheur00:51:42

Récapitulatif des entretiens menés

22 Le guide d’entretien (en annexe 1) s’est structuré autour des dimensions du contrôle capacitant et des représentations qu’ont les personnels de l’accréditation AACSB. Les représentations ont été évaluées par l’impact de cette dernière sur les acteurs et l’organisation selon deux niveaux : les représentations centrales et les représentations périphériques (Abric, 1987). L’analyse des entretiens a été faite grâce à Nvivo 12 par un codage à visée théorique (Point et Fourboul, 2006). Nous avons donc catégorisé des données puis avons réalisé des codages d’évaluation et descriptifs. Les données des entretiens ont été importées par cas dans Nvivo 12 auxquels les attributs sociodémographiques ont été ajoutés : l’appartenance professionnelle, le genre, le poste et, pour le personnel enseignant, les responsabilités administratives le cas échéant. Nous avons donc procédé à l’encodage des verbatims qui ont été modélisés notamment grâce à l’aide de matrices à condensées, mais aussi grâce à un tableau d’analyse récapitulatif que nous avons joint en annexe 2. Notre codage ainsi que notre guide d’entretien nous a permis d’investiguer à la fois la question des représentations mais également les représentations dans les dimensions du contrôle capacitant. Afin d’analyser les modes de pilotages nous nous sommes intéressés également aux « verbes du contrôle capacitant » proposés par Benoit (2016) dans notre analyse.

23 Ces entretiens ont été complétés par une analyse documentaire pour cerner les spécificités d’une part de la composante universitaire dans laquelle la certification est déployée et, d’autre part, de la certification AACSB. La démarche a consisté à analyser le site internet de l’établissement, les réseaux sociaux qui relaient les activités de celui-ci et les articles de presse qui traitent de la composante. Concernant AACSB, nous avons également étudié le site internet qui nous a permis de comprendre ses objectifs. Dans une démarche similaire, nous nous sommes intéressés aux réseaux sociaux de la certification (AACSB, AACSBschools et AACSBcareers) pour comprendre la portée de la certification : l’organisme cherche à atteindre les écoles et les praticiens. Par ailleurs, nous avons exploré les travaux universitaires portant sur le déploiement d’AACSB notamment les articles de Kelley et al. (2010) de Shaftel et Shaftel (2007) et d’Hedrick et al. (2010). Enfin, de façon plus large, nous avons mené une analyse comparant plus de 20 labels universitaires internationaux afin d’appréhender au plus juste la place d’AACSB dans un panorama de certifications prenant en considération des critères de Responsabilité Sociale des Entreprises. Ce benchmark a porté sur l’objectif de chaque accréditation, le périmètre d’action, l’établissement d’accréditation et le fonctionnement de chacune d’entre elles.

2.2. Des représentations différenciées des impacts d’AACSB

24 L’analyse des données qualitatives fait ressortir une pré-appropriation contrastée de l’accréditation par les acteurs, c’est-à-dire des représentations centrales qui posent une base commune à l’ensemble du groupe et des représentations périphériques plus individualisées et différenciées. Précisons que, dans cette section, les représentations ont été centrées sur la perception des impacts positifs et négatifs d’AACSB.

Des représentations centrales axées sur une triple valorisation de la composante

25 Les représentations principales se structurent autour des possibilités de valorisation de l’institut qu’offre la mise en place d’AACSB. Tous les répondants interrogés ont un avis homogène sur la valorisation, sous trois angles : la valorisation par la qualité, la valorisation internationale, la valorisation concurrentielle.

26 La valorisation par la qualité est perçue comme importante : la responsable qualité considère que l’objectif principal d’AACSB est « d’améliorer la qualité du niveau de formation des étudiants, que ce soient des managers formés à la réalité du terrain ». Le PU 5 confirme cette représentation en ajoutant qu’il s’agit « d’apporter à nos étudiants quelque chose de manière distinctif comme une bonne formation, en nous appuyant sur ce que nous sommes ». Des enjeux sur la qualité des formations et surtout sur leur reconnaissance sont clairement identifiés. Cette reconnaissance est « un gage d’assurance de qualité et que pour signer des partenariats et des échanges d’étudiants, pour même attirer de bons enseignants-chercheurs, il faut, et surtout pour la concurrence internationale et dans les classements de presse, le fait d’avoir l’accréditation est devenu indispensable » (ibid.). Il y a donc une perception de l’outil en faveur de l’amélioration de la qualité en interne et d’une valorisation en externe. Cette accréditation semble être perçue comme un outil d’amélioration de la qualité avec une attention particulière « sur la qualité des enseignements, l’implication dans le processus d’enseignement, aussi une mise en place des circuits de communication transversale, entre l’administration, le corps enseignant et les vacataires » [ATER].

27 La valorisation internationale est liée à la visibilité de la composante : « je pense qu’au niveau international on aura une meilleure visibilité » [Assistante de direction de laboratoire]. La responsable du projet AACSB perçoit l’accréditation comme permettant une ouverture au monde. La chargée de gestion explique qu’AACSB offre à la fois une « reconnaissance plus large de nos formations et d’être reconnu en France mais aussi à l’international […] ça apporte la preuve que nos formations sont compétitives sur le plan national et international ». Cette représentation nous semble importante puisque même des participants qui n’ont que très peu de connaissances sur l’accréditation reconnaissent son envergure internationale. Par exemple, le gestionnaire de formation explique que « c’est la seule chose que je peux vous dire sur AACSB, c’est important au niveau international, mais à part ça… ». C’est aussi le cas pour certains, plus réfractaires, à la mise en place d’AACSB, notamment le MCF 2 qui « imagine que l’arrière-pensée pourrait être d’avoir une visibilité internationale plus forte ». La directrice de composante explique la raison de la mise en place d’AACSB « par la volonté de se développer encore plus à l’international et d’avoir une reconnaissance internationale, et d’avoir des partenaires éventuellement un peu plus de haut niveau ». Cette représentation de la valorisation à l’international est liée aussi à la concurrence entre les établissements avec une réelle volonté de se démarquer.

28 La valorisation concurrentielle apparaît comme un enjeu important perçu dans la mise en place de l’accréditation. En effet, AACSB est appréhendée comme permettant d’accéder à une notoriété et de « s’aligner parmi les meilleures écoles de commerce, c’est de pouvoir avoir et créer un réseau sur lequel on peut s’appuyer, et on va partager les informations » [Responsable qualité]. Le choix de cette accréditation répond à une ambition de la composante étant « une école de formation universitaire au niveau européen et pour être dans la cour des grands il y a un passage obligé qui est l’accréditation » [PU 2]. Le MCF 3 a une perception qui va dans le même sens : « C’est une certification internationale et surtout en ce qui concerne les écoles de commerce. Alors nous ne sommes pas une école de commerce mais nous nous situons dans cet environnement-là mais nous tenons à notre caractère universitaire ». L’accréditation s’inscrit dans une logique de positionnement face à la concurrence. La composante étant déjà certifiée Qualicert, il paraissait important de « monter en gamme au niveau de cette accréditation AACSB » [MCF 1].

29 La valorisation joue un rôle important dans la mise en place de cet outil. Elle permet d’obtenir une reconnaissance non seulement à la composante mais aussi aux individus. Les formations et le fonctionnement interne de la structure sont au centre de l’accréditation qui permettrait davantage d’interactions internationales entre étudiants et entre personnels universitaires. Pour la composante, il s’agit de se créer une place de choix et de faire face à la concurrence.

Des représentations périphériques focalisées sur les ressources, la stratégie et les règles

30 Cependant, à ces représentations centrales se greffent des représentations périphériques, divergentes et individualisées. Des impacts négatifs de la mise en place de l’outil sont perçus par 11 répondants, notamment en temps et en masse de travail qu’il mobilise. Pour passer le dossier de pré-éligibilité, il a fallu mobiliser deux années de travail. Le responsable qualité considère que le dépôt du dossier est un « soulagement car deux ans et demi de travail intensif… laborieux ». Certaines personnes se demandent encore quelle est l’ampleur du projet AACSB, la responsable de scolarité adjointe s’interroge : « est-ce que ça va nous donner du travail à faire en plus ? ». Il y a donc des bénéfices bien qu’une masse de travail considérable soit demandée. La directrice administrative adjointe perçoit AACSB comme un « travail colossal […] on savait que ça allait être long et fastidieux ».

31 L’impact en temps et en ressources mobilisés est perçu comme un obstacle significatif : « C’est infernal. D’abord les gens ne répondent pas quand on les sollicite. Après ils ne répondent pas dans les formes, il y a donc tout un travail qui est pénible et le problème c’est qu’on nous demande des infos pour la composante, pour AACSB, pour le laboratoire de recherche, et les gens en ont marre de donner ces informations » [PU 2]. De nombreuses données sont demandées au personnel qui supposent beaucoup de temps pour les récolter : « j’ai dû me battre pendant plus d’un an, pour obtenir une vision quantitative c’est-à-dire, nous permettant d’entrer dans AACSB par rapport aux critères, parce qu’il n’y avait pas d’information et s’il y en avait l’information, il y avait un véritable travail à effectuer » [PU 2]. La vision quantitative imposée par l’accréditation exige de la légitimité pour collecter de nombreuses données : « Ça bloquait vraiment au niveau interne […] Pour pouvoir obtenir l’information, il fallait demander à quelqu’un mais dans ces organisations si vous n’avez pas une position directe hiérarchique, face à une personne, si elle n’a pas envie de le faire elle ne le fera pas » [PU 2].

32 La représentation de l’impact d’AACSB par certains acteurs reste positive, comme le MCF 3 qui la considère comme une opportunité « en dépit du coût que cela représente, du coût financier et d’investissement ». La chargée de gestion se représente AACSB comme un processus qui va demander énormément de travail, mais que « c’est un mal nécessaire ». Elle a participé à la mise en place de Qualicert qui a « impliqué beaucoup de formalisation, beaucoup de paperasse, mais n’empêche que je trouve que ça a formalisé beaucoup de choses ». Elle considère que la mise en place d’AACSB est « un investissement et comme tous les investissements il faut mettre le prix ». Au-delà de l’investissement global demandé par le déploiement d’AACSB, ils perçoivent les impacts sur le fonctionnement interne de l’organisation.

33 D’autres représentations périphériques interviennent dans la phase de pré-appropriation, comme l’impact de l’accréditation sur la stratégie (10 répondants) ou encore la création de nouvelles règles. AACSB doit permettre de donner une vision/mission à l’établissement et « l’intérêt certain de l’outil c’est qu’il nous force à définir une stratégie et à la communiquer » [PU 3]. Selon le PU 5, l’accréditation c’est l’opportunité de revoir certains éléments du fonctionnement interne « c’est une très belle opportunité de se questionner […] Le but du jeu c’est se saisir de cette opportunité pour vraiment se direbon on va essayer, quitte à faire des choses autant bien les faire, avec une grande ambition. On va le faire” ». Le MCF 3, quant à lui, perçoit l’accréditation comme un moyen de faire un « effort de réflexion sur nos missions et le périmètre de celles-ci ». L’évolution des règles internes présente également un intérêt pour l’institution. Pour certains, AACSB est perçue comme une opportunité pour la composante de remettre certaines procédures à plat, d’être « structuré, on a besoin d’avoir du sens et de nous rassembler autour de quelque chose de partageable » [PU 3]. La PU 1 pense qu’il va en découler de nouvelles règles de communication, que cette dernière va évoluer « Ça devrait normalement… ça devrait faciliter l’information, la communication ».

34 Si les participants à notre étude ont des représentations centrales sur l’impact d’AACSB en termes de valorisation, ce qui peut favoriser l’émergence d’une dynamique de groupe, parallèlement des représentations périphériques individualisées et différenciées ont émergé. De ce point de vue, sous l’angle des représentations, les acteurs ne convergent pas dans la phase de pré-appropriation.

2.3. Une orientation capacitante contrastée : l’absence de représentations centrales

35 Ces divergences de représentation sur l’accréditation n’ont rien d’étonnant dans cette première phase d’appropriation d’un outil en construction. Ces divergences sont-elles liées à l’orientation capacitante (forte ou faible) de la pré-appropriation ? De ce point de vue, notre étude dévoile une compréhension hétérogène du fonctionnement de l’outil qui fait l’objet de l’appropriation. Seules des représentations périphériques ont pu être identifiées au sein de notre échantillon, c’est-à-dire divergentes. S’ils partagent des représentations sur l’impact d’AACSB (cf. 2.2.), les avis divergent quant à sa dimension capacitante.

Une transparence interne mitigée

36 La transparence interne (qui permet la compréhension du fonctionnement d’un outil ainsi que de ses procédures inhérentes) apparaît comme contrastée en raison notamment d’une implication plutôt limitée de certains acteurs : « les contraintes de la certification, je ne les connais pas, je ne sais pas » [Gestionnaire de formation] ; « La grande question tourne autour de la communication, je ne suis pas sûr que tous les collègues sachent ce qu’est AACSB » [PU 2] ; « le fond de la justification comme je ne travaille pas dedans je ne pourrai pas vous donner de détails précis » [Chargée de gestion]. Certains connaissent l’accréditation mais pas sa portée : « dans mon équipe quand on parle d’AACSB on sait juste qu’il y a une nouvelle certification qui va être mise en place mais on ne sait pas du tout à quoi ça correspond » [Responsable de scolarité adjointe]. En réalité, la connaissance du fonctionnement de l’accréditation est liée à la proximité des acteurs avec le projet : « je travaille beaucoup avec la responsable. Elle m’a souvent tenu au courant et on a souvent échangé là-dessus. Plus récemment j’ai intégré l’équipe de direction en tant que directeur adjoint chargé de la recherche, je suis informé régulièrement forcément de l’avancée du projet » [PU 2 et responsable de master]. Certaines personnes ont été mises au courant de l’accréditation dans d’autres cadres : « Moi je suis un peu plus sensibilisé à la question parce que je l’ai rencontrée du point de vue extérieur de l’organisation et aussi je connais pas mal de personnes qui se sont beaucoup investies pour mettre en place ces normes et que c’est très lourd » [PU 1] ; « j’en ai entendu parler, je me suis un peu intéressée, c’est parce que je suis à la recherche, c’est ça un peu aussi » [Assistante de direction du laboratoire de recherche].

37 AACSB est une accréditation d’inspiration anglo-saxonne qui recommande la transparence : « AACSB c’est très clair, très anglo-saxon, américain même oui. Plus accessible, non, ça assure une clarté et ça assure ce qui est beaucoup plus lisible et transparent. Ça n’enlèvera pas certains travers, mais ça renforce évidemment la clarté, pourquoi on fait ceci » [PU 5]. Cependant, l’excès d’informations limite cette transparence : « on a beaucoup-beaucoup de données qui sont là, récupérées […] Moi je gère un master qui est en apprentissage, qui fait appel à des tas de professionnels et des tas de personnes » [PU 1]. Il y a donc de nombreuses informations à traiter en interne pour monter le dossier d’accréditation mais également de nombreuses informations à traiter provenant de l’organisme AACSB : « en même temps ils disent tellement de choses que c’est noyé un peu dans ce qu’ils disent » [PU 4]. La transparence interne est donc plutôt mitigée avec une compréhension divergente par les acteurs et une grande masse d’informations à traiter.

Les limites de la transparence globale

38 Concernant la transparence globale (compréhension des systèmes globaux), elle apparaît également contrastée. La perception de l’accessibilité de l’information est différente selon les personnes interrogées. La responsable qualité ainsi que la responsable du projet ont pu accéder à des séminaires AACSB et ont pu « rencontrer des gens, créer du réseau et puis pour échanger, collaborer, puisqu’on est tous sur les mêmes problématiques mais enfin voilà, on n’est pas tout seuls. L’entraide, enfin là-dessus ils sont très forts AACSB c’est sûr le fait qu’ils s’appuient sur la force du réseau pour créer une entité, fédérer les équipes, avoir vraiment une culture du management, et partager cette vision, mission, perspective dans laquelle ils ont créé le référentiel et je trouve ça très intéressant » [Responsable qualité]. Ces deux acteurs ont donc pu lier la mise en place de cet outil à la stratégie de l’établissement tout comme la chargée de gestion : « Je pense qu’à elle seule ce n’est pas AACSB qui va décider de tout, mais je pense que ça va faire partie de la politique globale de l’établissement. Ça va faire partie des objectifs. Pour moi, ça va faire partie des axes de stratégie ».

39 D’autres rejoignent l’idée que AACSB doit rentrer dans une stratégie d’établissement mais cela ne semble pas totalement acquis : « pour le moment pour moi ce n’est pas assez limpide. […] les Anglo-Saxons sont quand même très pragmatiques dans le travail et ils voient bien, très vite la limpidité entre la stratégie et la mise en place d’AACSB. Cette certification, selon ce que j’en ai compris, ce n’est pas uniquement de dire j’ai fait ça où j’ai fait ça, non ce n’est pas le plus intéressant, c’est je fais ça, mais quelles sont les actions qui sont mises en place, pour prouver que je fais ça » [Directeur administratif]. Certains en savent encore très peu sur AACSB : « Concernant AACSB je ne peux pas vous dire l’impact que ça va avoir hormis la valorisation de l’institut. Parce que je n’en sais pas beaucoup plus. Je sais que ça a été mis en route, qu’il y a une première étape qui est passée mais à part ça, je n’en sais pas plus » [Gestionnaire de formation]. La transparence globale reste donc encore très limitée. Si les représentations des acteurs devaient être liées à ce qu’ils comprennent du fonctionnement de l’outil et à sa place dans l’organisation, elles sont également inhérentes à leur perception des marges de manœuvre dont ils disposeraient pour son utilisation (flexibilité) et pour remédier à ses manquements (réparation) (Benoit, 2016).

Une flexibilité relative

40 Concernant la flexibilité, AACSB est une accréditation comprenant un référentiel aux lignes directrices importantes influençant le fonctionnement éducatif de la composante. C’est le cas avec l’organisation des diplômes comme l’observe un E/C : « chez AACSB, ils sont quand même assez directifs, m’a dit la responsable du projet. Ils voulaient supprimer des diplômes puis ils les ont fait rajouter, et ça a changé plusieurs fois même » [PU 2]. L’accréditation a également un impact sur le fonctionnement financier puisqu’il est demandé de prouver l’autonomie de la composante par rapport à l’université : « Au niveau financier on est autonome mais pas totalement. Chaque fois que l’on recrute on va demander l’autorisation au président. Donc ce sont des exemples qui montrent que les critères ne sont pas totalement adaptés. Mais ils [interlocuteurs de AACSB] ont bien compris quand même je pense parce que AACSB veut viser les écoles de management universitaires publiques. Donc ils ont adapté encore récemment le référentiel » [PU 4].

41 Malgré l’existence du référentiel, des possibilités d’adapter les règles aux besoins existent. Cependant, certaines règles incontournables s’imposent, l’organisme se réservant un droit de sélection des établissements. La structure doit donc « fournir les éléments qui permettront de rentrer dans le cubage, dans les petites boîtes, qu’a défini AACSB » [ATER]. Mais ce cadre peut s’adapter en fonction des besoins de l’établissement. L’adaptation d’AACSB aux spécificités de la composante constitue un des points centraux de cette accréditation qui semble avoir été bien compris par les personnes que nous avons interrogées. Ainsi, la responsable qualité indique que « le but, c’est de s’approprier les valeurs et de les mettre à votre sauce. C’est des grandes orientations. […] Avec AACSB, ils nous laissent une marge de manœuvre sur ce qui est attendu mais à nous de pouvoir l’appliquer de notre manière avec nos valeurs et force de proposition et d’innovation ». C’est une perception partagée par d’autres collaborateurs qui parlent d’AACSB comme laissant une « certaine latitude par rapport à la stratégie de l’établissement et l’accréditation se joue sur les objectifs fixés par l’établissement lui-même » [PU 2 et Responsable de master] ou encore qui « laisse le choix, la façon de mettre en place. Aucun doute à cela. Il faut que méthodologiquement ce soit bien ficelé. Après ils laissent le choix » [PU 5]. La responsable de la mise en place d’AACSB [PU 1] affirme qu’elle a « compris que j’avais des marges de manœuvre ».

Un potentiel de réparation

42 Dans le cadre théorique du contrôle capacitant, la réparation vise un objectif d’amélioration et de diminution des pannes. Cette caractéristique est encore faible en phase de pré-appropriation, l’outil n’étant pas encore déployé. Cependant, la mise en place d’AACSB ouvre d’ores et déjà la voie à certains aspects de la réparation qui se mettent en place petit à petit, par exemple par le biais de l’entraide : « c’est vraiment la mentalité AACSB. C’est l’état d’esprit américain où l’idée c’est de s’aider au niveau des dossiers à déposer, etc. » [PU 5]. Apparaît également le dialogue dans le développement de l’outil et la construction conjointe du système : « je sais qu’il y a eu pas mal d’allers-venues, d’allers-retours et donc je suppose qu’il y a un dialogue. Je ne sais pas si les propositions faites par le département sont retenues mais toujours est-il, de l’extérieur, j’ai l’impression qu’il y a une forme de co-construction qui laisse place à des échanges et à des discussions » [MCF 3]. La directrice administrative adjointe souligne que la responsable qualité « est en lien avec notre point de contact sur AACSB. Elle échange régulièrement avec elle, elle a des retours aux questions qu’elle pose ou aux réponses que l’on apporte, qui sont plus ou moins validées, elle nous réoriente des fois dans notre interprétation ». On constate ainsi des interactions entre concepteurs et utilisateurs dans un objectif d’amélioration : « Avant de déposer le dossier on a interagi de manière informelle avec AACSB Europe qui a relu plusieurs fois le dossier de pré-éligibilité et on a dû le modifier à plusieurs reprises » [PU 5]. L’organisme accréditeur met également en place un mentor pour aider les établissements à développer l’accréditation. L’établissement bénéficie d’une aide pour pouvoir développer l’outil et peut communiquer avec AACSB pour la mettre en place, dans une logique d’atteinte d’objectifs communs.

43 Si les participants à l’étude considèrent, au moment où ils ont été interviewés, qu’ils disposent de marges de manœuvre pour l’utilisation de l’outil (flexibilité) et pour le transformer (réparation), ce constat est à nuancer s’agissant de caractéristiques plutôt présentes potentiellement après la pré-appropriation. Ce constat est également à nuancer sur les deux autres caractéristiques du contrôle capacitant (transparences interne et globale). De ce fait, l’étude dévoile seulement des représentations périphériques sur la dimension capacitante de la pré-appropriation. L’analyse des verbatims n’a pas permis d’identifier des représentations centrales sur celle-ci (cf. tableau 2).

Tableau 2

Synthèse des représentations périphériques de la dimension capacitante de la pré-appropriation

Caractéristiques du contrôle capacitantReprésentations périphériques différenciées
Leviers de la dimension capacitanteFreins à la dimension capacitante
Transparence interneCompréhension du fonctionnement de l’accréditation (transparence inhérente à AACSB pour des acteurs proches des porteurs de projet)Surcharge informationnelle pour les porteurs du projet et absence d’informations pour des acteurs périphériques
Transparence globaleCompréhension des liens avec la stratégie de la structureDifficultés à s’extraire des actions locales
FlexibilitéPossibilité d’adapter les règles d’AACSBLignes directrices figées du référentiel AACSB
RéparationPerception d’une co-construction de l’outilCaractéristique difficile à percevoir dans la phase de pré-appropriation

Synthèse des représentations périphériques de la dimension capacitante de la pré-appropriation

44 À ce stade des résultats, le cas étudié nous conduit à répondre de manière contrastée à notre problématique : la pré-appropriation d’un outil de contrôle est-elle capacitante ? Différentes explications émergent dans les entretiens que nous avons menés.

2.4. Une communication et une participation insuffisantes pour développer la dimension capacitante

45 Si le contrôle capacitant se structure autour de quatre caractéristiques, il suppose le déploiement d’actions de coordination entre les acteurs. Plus précisément, Benoit et Chatelain-Ponroy (2019) observe l’importance du dialogue (de gestion) quant à l’activation des caractéristiques-clés du contrôle capacitant.

46 Bien entendu, de nombreuses réunions ont été organisées sur le projet d’accréditation de la composante universitaire étudiée. Plusieurs réunions de lancement consacrées au choix du porteur du projet, à la communication de la démarche AACSB au comité de direction, au conseil d’institut puis auprès de l’administration. Des réunions mensuelles qui traitent de la qualité ont également été programmées au niveau du personnel administratif. Elles ont été complétées par d’autres pour lancer le dossier de pré-éligibilité puis le montage du dossier d’éligibilité. Ce processus a mobilisé plus d’une trentaine de personnes. Ces réunions visent à faire participer les acteurs non sans difficultés malgré l’implication de la responsable du projet AACSB comme le souligne le PU 2 : « elle aborde toujours les choses de façon enthousiaste et positive. Et du coup elle y croit et elle ne lâche rien ».

47 Cependant, la communication sur le projet reste perçue comme insuffisante : « j’imagine pourquoi on fait ce genre de choses mais il n’y a aucune communication, aucune discussion, aucune présentation de ça. Donc officiellement je ne suis au courant de rien…, si nous pauvres MCF, du fond de la mine, on considère qu’on n’a pas à être informés… après tout pourquoi pas » [MCF 2]. Une des raisons d’une communication perçue comme insuffisante concerne le périmètre originel des acteurs concernés par le projet. Comme le souligne le directeur administratif : « ce n’est qu’un tout petit groupe qui s’en occupe. Alors que la certification ça touche toute la composante : ça va toucher les administratifs, les étudiants, les enseignants et on est quatre [à s’occuper effectivement de la mise en place d’AACSB] ». La directrice administrative adjointe regrette qu’il n’y ait pas plus de personnes investies dans le projet et souhaite qu’il sorte du cercle restreint actuel « il faut qu’elles ne soient plus les deux porteuses [PU responsable de projet et la responsable qualité] mais que ça soit porté par l’ensemble de la communauté, parce que, un, ça va les soulager toutes les deux, et puis deux, il est temps que ça devienne un projet commun de la structure en associant tout le monde ». Ce point de vue est également celui des PU : « il faudra fédérer l’ensemble de tout le staff, toutes les parties prenantes qui participent à la réalisation de la mission et évidemment le staff support » [PU 5] ; « Si j’étais la directrice de composante, j’en ferai mon fer de lance. Ça structure, mais c’est aussi un objet frontière. On a tous des intérêts différents mais au moins on va pouvoir coopérer sur la base de cet outil » [PU 2]. Si le mode de pilotage choisi se traduit par la participation des acteurs, le périmètre est considéré comme trop restreint.

48 Une autre raison d’une communication perçue comme insuffisante concerne les difficultés structurelles de cette composante, à savoir l’absence de communication entre certains services. Or, le projet d’accréditation rend cette communication indispensable compte tenu de sa transversalité, comme l’explique la personne en charge de collecter les données quantitatives [ATER] « je demandais beaucoup d’informations pour permettre le développement de l’outil, c’est là qu’on s’aperçoit que l’outil est transversal, donc toutes ces portes il faut les ouvrir et tous ces gens qui ne communiquent pas beaucoup… ». Ce manque de communication et les difficultés récurrentes à la collecte de données sont également liés à la jeunesse du projet : « en termes de communication interne on est encore au début donc il y a peu eu de communication. Mais c’est toujours pareil, communiquer en cours de processus c’est toujours difficile » [MCF 3].

49 Si le périmètre des acteurs concernés par le projet est à agrandir, leur mobilisation est peu évidente. Pour la directrice de composante, il va falloir sensibiliser le personnel malgré le risque de participation fluctuante : « On ne peut pas le rendre totalement obligatoire. Les réunions pour les administratifs c’est obligatoire, pour les enseignants c’est compliqué, ils sont souvent sur les cours, sur les congrès, etc. L’idée est quand même de travailler avec un groupe d’enseignants sur AACSB ». Le PU 5 évoque également la difficulté de fédérer les acteurs de l’établissement : « Le problème c’est qu’à l’université chacun est libre, ce qui fait qu’après pour jouer ensemble ce n’est pas toujours simple. Chacun décide s’il a envie de jouer avec l’autre ou pas. Alors que là, il va y avoir une mission et quelque part, la pression concurrentielle si c’est le cas, devrait pousser les gens à agir de manière plus coordonnée ». Cette participation fluctuante découle également du caractère politique des établissements universitaires : « Quand on fait partie d’une institution on ne peut pas toujours être contre la direction, on marche ensemble. Je trouve que c’est dommage de réagir comme ça. Le monde de l’université est de plus en plus concurrencé » [Directrice de composante].

50 L’analyse des données fait ressortir une autre difficulté majeure dans la participation des personnels : la charge de travail que représente AACSB. Cette dernière étant importante, elle génère des représentations plutôt critiques d’autant plus qu’elle se situe dans un contexte universitaire déjà particulièrement formalisé. La chargée de gestion considère ainsi qu’il y a « des récalcitrants. Je pense que la démarche qualité ça implique une forme de rigueur, à différents niveaux. Moi je peux me référer à SGS. Ça a demandé beaucoup de procédures à établir et je pense qu’AACSB ça va aussi dans cette démarche-là de formaliser les choses ». Le formalisme existant avec SGS se renforcera avec cette nouvelle accréditation, elle aussi formelle, même si celle-ci peut être bénéfique. Le PU 2 explique que le besoin d’accréditation est « paradoxal parce qu’en même temps on a besoin de ça et en même temps on devient bureaucratique ». Il s’agit donc de mettre en place un outil pour valoriser son établissement, pourtant, cet outil va renforcer le formalisme et la bureaucratie. La porteuse du projet trouve que la communication d’AACSB notamment dans les séminaires est très inspirante et positive pourtant sa mise en place « est très bureaucratique français… c’est-à-dire, les galères ».

51 Malgré les difficultés de communication rencontrées, le projet vise à faire participer les acteurs. Cependant, le stade d’avancement de l’accréditation n’a pas encore permis de faire participer l’ensemble des acteurs concernés.

Discussion et conclusion

52 Notre recherche vise à apporter un éclairage nouveau à la littérature consacrée à l’appropriation, de par sa focalisation sur une de ses phases – la pré-appropriation – et de par la mobilisation d’un cadre théorique original, celui du contrôle capacitant.

53 Dans le cas étudié, nos résultats nous conduisent à répondre de manière contrastée à notre problématique : la pré-appropriation d’un outil de contrôle est-elle capacitante ? Si les représentations centrales de l’impact de l’outil pour la composante convergent vers la valorisation de l’institut et la notoriété, des représentations périphériques subsistent notamment sur la bureaucratisation de la structure : elle est tantôt mal perçue car considérée comme chronophage et sclérosante, tantôt bien perçue car elle conduirait à améliorer les process. Les représentations des acteurs sur les caractéristiques capacitantes sont également différenciées. Concernant la flexibilité, elle est censée permettre à l’usager d’obtenir une marge de manœuvre et de moduler l’emploi de l’outil (Benoit, 2016). Dans la mise en place d’AACSB, la flexibilité est perçue comme envisageable : l’outil possède un cadre, mais ce cadre peut s’adapter en fonction des besoins de l’organisation. La réparation est plus difficile à appréhender, l’outil n’étant pas encore implanté dans l’organisation. Cependant, des dispositifs d’entraides sont prévus en particulier par le biais du réseau AACSB. La transparence interne est plutôt perçue comme limitée par les participants. L’étude dévoile une faible implication des utilisateurs dans le développement de l’outil : ils connaissent l’accréditation mais ne comprennent pas forcément de quelle façon elle peut influencer leur travail. Aussi, le système anglo-saxon présumé être particulièrement transparent ne semble pas l’être pour tous. Enfin, la transparence globale est plutôt critiquée par les participants.

54 Ces résultats permettent de contribuer à la littérature consacrée à l’appropriation des outils de contrôle. Ils rejoignent les travaux de Lemaire et Nobre (2013) sur la pré-appropriation. Ces auteurs ont observé une forte dimension politique et une perspective symbolique dans cette phase qui fait l’objet « de multiples modalités de construction de sens pour les acteurs » (Lemaire et Nobre, 2013, p. 12) : si l’aspect politique émerge peu dans notre étude, nous constatons également que les représentations des acteurs, vectrices de sens, sont différenciées car insuffisamment coordonnées. Ce constat conforte les résultats notamment de Bouzon (2002) et Carton et al. (2006). Par conséquent, nous rejoignons les travaux de Lorino (1995) et Dreveton et al. (2012) sur l’importance du pilotage des représentations dès le processus de construction de l’outil.

55 Par la mobilisation du contrôle capacitant, notre étude apporte un nouvel éclairage sur les modalités de l’appropriation. Si différents cadres théoriques ont été empruntés dans les travaux antérieurs (par exemple ceux de Grimand 2012), l’utilisation du contrôle capacitant offre de nouvelles perspectives. En particulier, l’angle retenu, l’analyse de la dimension capacitante de la pré-appropriation, permet de focaliser l’attention sur le système, c’est-à-dire non seulement sur l’instrumentation mais aussi sur la démarche d’implantation et, bien entendu, sur les acteurs. Par ailleurs, l’étude contribue à la littérature sur le contrôle capacitant (Benoit, 2016 ; Benoit et Chatelain-Ponroy, 2019) laquelle, à notre connaissance, n’a jamais porté sur la pré-appropriation, ni sur les outils de contrôle à l’université.

56 Notre étude explique une pré-appropriation capacitante contrastée par une utilisation insuffisante des leviers susceptibles d’activer les caractéristiques-clés du contrôle capacitant : la communication dans la mise en place d’AACSB et la participation des utilisateurs. Ce constat rejoint celui de Benoit et Chatelain-Ponroy (2019) sur l’importance du dialogue et donc de la participation pour la mise en œuvre d’un contrôle capacitant.

57 Enfin, sur l’accréditation elle-même, notre recherche va dans le sens des travaux antérieurs portant sur AACSB. Les personnes interrogées soulignent l’importance des ressources supplémentaires (financières et en temps) à y consacrer, comme l’ont observé McKee et al. (2005). Une unanimité se dégage dans notre échantillon sur l’impact positif de l’accréditation en termes de valorisation de la composante, comme l’ont également montré Elliott (2013) et Miles et al. (2015) (effet réputation).

58 Relevons que l’ensemble de ces apports est à nuancer. L’étude présente des limites théoriques et méthodologiques qui donnent à voir les résultats de manière provisoire. Sur le plan théorique, le choix du cadre mobilisé (contrôle capacitant) donne une orientation spécifique à l’étude de la pré-appropriation. Sur le plan méthodologique, les entretiens réalisés et l’étude documentaire restent statiques et limités à la phase d’éligibilité de la composante par AACSB. Une étude longitudinale et in situ pourra compléter les observations et constats réalisés. Des méthodes d’investigation issues des philosophes pragmatistes à l’instar de celle de Panjeta (2009) sur la qualité à l’université, ouvrent la voie à de possibles résultats complémentaires.

59 Sur le plan managérial, l’étude permet de souligner l’importance, pour des concepteurs d’outils de gestion de la qualité au sein des établissements universitaires, de porter une attention aux futurs utilisateurs, dès la phase de pré-appropriation. Communiquer sur l’impact positif d’une accréditation ne semble pas suffisant. Si les futurs utilisateurs ne sont pas suffisamment mobilisés autour du fonctionnement des outils, des représentations différenciées risquent d’émerger. Ces dernières peuvent nuire aux phases suivantes de l’appropriation. Ainsi, adopter une approche capacitante en encourageant les membres impliqués dans la mise en place de l’outil semble pouvoir renforcer leur engagement et améliorer la phase de pré-appropriation. Des méthodes de type feedback ou évaluation continue peuvent y contribuer sensiblement. La coordination des représentations des utilisateurs sur la finalité et le fonctionnement de l’outil dès la pré-appropriation semble donc essentielle, mais suppose aussi de mobiliser davantage de ressources humaines.


Annexe 1. Extrait du guide d’entretien

Participation et contrôle capacitant (20 minutes)

  • Comment avez-vous pris connaissance du contenu et des objectifs de la certification AACSB pour votre établissement ?
  • Si on se réfère strictement aux informations qui vous ont été communiquées depuis le début du projet, qu’est-ce qui justifie de mettre en place une telle certification dans votre établissement ? (Évaluation des réalisations, adoption de meilleures procédures, adoption de contrôle qualité, objectif personnel du porteur de projet).
  • Si on se réfère à nouveau aux seules informations qui vous ont été transmises, quelles sont les principales caractéristiques de AACSB pour l’établissement ?
  • Les contraintes imposées par AACSB sont-elles cohérentes avec les possibilités de l’établissement ? Est-ce qu’AACSB est réalisable selon vous ?
  • Vous a-t-on confié un rôle dans le cadre de la certification AACSB, ou vous êtes-vous attribué un rôle ? si oui lequel ?
  • La communication faite sur AACSB depuis le début du projet est-elle cohérente avec ce qui est en train de se mettre en place ?
  • Que pouvez-vous dire des affirmations suivantes :
    • L’objectif de cohérence d’AACSB est limpide, (l’information est claire et concise, accessible, contextualisée donc le moment est opportun).
    • AACSB est une certification objective, (les erreurs sont possibles et assumées, les comparaisons avec d’autres éléments d’informations sont faisables, et les informations sont partagées et permettent leur mise en relation).
    • AACSB est une certification ouverte, (l’utilisateur est entendu, les réponses aux questionnements sont rapides, les utilisateurs peuvent faire des propositions).
REPRÉSENTATIONS (15 minutes)
  • Vis-à-vis des affirmations évoquées juste avant, finalement, d’après vous, quel est le principal objectif d’AACSB pour l’établissement ?
  • Selon vous, cet outil va-t-il permettre à l’établissement de définir une stratégie (ou vision/mission à long terme) et de fédérer le personnel autour d’elle ?
  • Est-ce que le projet AACSB a fait évoluer les modes de communication ou plus largement de coordination entre les différentes strates hiérarchiques de l’établissement ? Si oui, comment ?
  • D’après vous, le projet AACSB induit-il la création d’un nouveau vocabulaire et de nouvelles règles, si oui, le vivez-vous comme une contrainte ? comme une opportunité ?
  • D’après vous, les représentations qu’ont les ambassadeurs (organisme ou porteurs de projets) AACSB du projet sont-elles identiques aux vôtres ? Si oui ou non pourquoi ?
APPROPRIATION (10 minutes)
  • Comment avez-vous réagi lorsque la décision de certification a été prise ?
  • Que pouvez-vous dire des affirmations suivantes :
    • L’objectif d’AACSB est pertinent avec la façon dont il est mis en place.
    • L’atteinte des objectifs d’AACSB est certaine.
    • Les attentes liées à AACSB sont concordantes avec ce qu’il est possible de faire.
    • AACSB est une opportunité majeure.
    • Il est urgent de mettre en place AACSB.
  • Maîtrisez-vous les tâches qui vous ont été attribuées (ou que vous vous êtes attribuées) dans le processus de déploiement d’AACSB ?
  • Vous avez appris récemment que vous êtes éligible à la certification, qu’avez-vous ressenti et qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Annexe 2. Extrait du tableau d’analyse employé pour l’encodage des entretiens

Socio-démographieCaractéristiques de la transparenceReprésentationsCaractéristiques du contrôle capacitant
Interrogé(e)FonctionAnciennetéParcours professionnelCompréhension de l’outilLégitimité de l’outilÉvaluation de la transparenceReprésentation principaleReprésentations périphériquesFlexibilitéTransparence globaleTransparence interneRéparation/Maîtrise des tâches
Enregistrement n°Codage par catégorie
VerbatimsInsertion des verbatims selon les catégories de codage

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : Pré-appropriation, Contrôle capacitant, Université, Outil de contrôle

Mise en ligne 14/06/2024

https://doi.org/10.3917/gmp.122.0095

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