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Article de revue

La mission Formation Continue des universités. Des pratiques qui font stratégie ?

Pages 11 à 37

Notes

  • [1]
    Nous utilisons le terme d’enseignants-chercheurs pour faciliter la lecture mais nous entendons par ce terme aussi les enseignants du second degré, les enseignants-chercheurs associés et des enseignants en CDI.
  • [2]
    Ce chiffre et les suivants sont issus de données de l’université et du site gouvernemental [URL : https://data.esr.gouv.fr].
  • [3]
    Ces pratiques coïncident avec l’obligation légale des médecins de se former tout au long de la vie selon l’article R.4127-11 du code de la santé : « Tout médecin entretient et perfectionne ses connaissances dans le respect de son obligation de développement professionnel continu ».
  • [4]
    Il s’agit de démarche VAE pour les salariés d’une entreprise qui souhaitent valider le même diplôme.

Introduction

1 L’activité de formation continue (FC) dans les universités françaises fait l’objet d’un paradoxe qui interpelle les politiques et le management publics : bien qu’elle soit fortement encouragée par l’environnement institutionnel depuis plusieurs décennies, son développement par les établissements d’enseignement supérieur et de recherche (ESR) reste très embryonnaire. Malgré les incitations successives et les différentes lois depuis 1968 pour développer la FC dans les universités, force est de constater que celle-ci ne s’y déploie que de manière marginale (Germinet, 2015). L’objectif de cet article est par conséquent d’examiner les facteurs organisationnels qui contribuent à ce faible développement.

2 Notre étude est centrée sur les pratiques de FC des enseignants-chercheurs et de leur université. Pour ce faire, nous mobilisons un double cadrage théorique. D’abord nous nous appuyons sur les premiers travaux en stratégie qui ont porté sur les organisations universitaires (Mintzberg et Waters, 1985). Nous mobilisons ensuite la « Strategy as Practice » (SaP) qui s’intéresse aux pratiques des acteurs qui sont constitutives de la fabrique de la stratégie d’une organisation (Whittington, 1996 ; Jarzabkowski, 2003). Nous nous demanderons ainsi : Comment qualifier les stratégies de développement de la FC dans les universités ?

3 Nous avons d’abord conduit quatre entretiens exploratoires avec des acteurs nationaux de la formation continue afin de saisir les principaux enjeux de la FC dans les universités. Nous avons alors mené une enquête approfondie au sein d’une université qui constitue notre étude cas (Yin, 2018). Nous avons effectué 15 entretiens semi-directifs avec différents acteurs de la FC dans cet établissement. Nous avons par la suite codé les données de manière inductive (Corley et Gioia, 2004) en montant petit à petit en abstraction (Allard-Poesi, 2015). Les thèmes émergeant des entretiens ont été triangulés avec les documents officiels de l’université et une observation participante, nous permettant d’élaborer les résultats suivants :

4 Tout d’abord, nous montrons dans cette étude que les pratiques de FC sont dispersées, issues des implications individuelles et peu coordonnées des acteurs (notamment les enseignants-chercheurs [1]), mais aussi peu consensuelles. Ensuite, nous montrons comment les dynamiques organisationnelles de cette université influencent ses pratiques de FC. Pour finir, nous montrons que les dynamiques à la frontière de l’université, notamment l’incitation au développement de l’apprentissage, ont une influence sur la FC. Fort de ces constats, nous mettons en avant que ces différentes pratiques peuvent faire stratégie mais que ces dernières restent peu connues et peu nombreuses d’où la qualification de stratégie « discrète » que nous développerons dans la discussion.

1. État de l’art. La formation continue des universités en France

5 Depuis la loi Faure de 1968, la puissance publique a fait de la FC une mission à part entière de l’université, ce qu’elle a réaffirmé par les réformes de l’ESR qui se sont succédé à la fin du xxe siècle et dans les années 2000, jusqu’à la loi Avenir de 2018 qui marque le point d’orgue de l’encouragement des universités à contribuer à la logique de professionnalisation devant garantir l’employabilité de chacun au profit de l’économie nationale (Casale, 2019). Au-delà de ces textes législatifs, c’est tout l’environnement institutionnel de l’ESR qui pousse au déploiement de cette « troisième mission » (Vorley et Nelles, 2008) dans les stratégies des universités. Au niveau européen, la stratégie de Lisbonne de 2000 a inscrit la fonction des universités dans une « économie de la connaissance » qui conçoit la formation comme un « capital humain » (Becker, 1964) devant avant tout servir les besoins du marché du travail (Mignot-Gérard et al., 2019). Et c’est dans le cadre de ce paradigme marchand que les organisations internationales font la promotion de la formation tout au long de la vie. Au niveau national, la loi LRU de 2007 fait de l’insertion professionnelle une mission à part entière de l’université en même temps qu’elle vise à renforcer la gouvernance des universités (Chatelain-Ponroy et al., 2012). Par ailleurs, l’ESR étant en proie à une raréfaction des financements publics, les universités sont incitées à développer leurs ressources propres (Calviac, 2019 ; Mariette, 2024). En somme, une gouvernance managériale qui légitime les pratiques commerciales (Manifet, 2012), un besoin croissant de diversification des moyens, et la recherche d’une adéquation formation-emploi constitueraient tous les ingrédients favorables du déploiement de la FC par les universités.

6 Or, force est de constater le faible engagement de ces dernières dans le développement de formations ou l’accueil de stagiaires FC. En 2015, selon le rapport Germinet, les universités ne représentaient que 293 millions de chiffre d’affaires de la FC de l’ESR pour un total d’environ 13 milliards d’euros en France. Germinet (2015) avait fixé un objectif de 1 milliard d’euros pour 2020, un objectif loin d’être atteint puisque le chiffre d’affaires de la FC dégagé par les universités est évalué à 328 millions d’euros en 2021 (MESRI, 2022).

7 Comment expliquer ce paradoxe ?

8 La plupart des travaux scientifiques sur le sujet invoquent pour l’essentiel des facteurs « institutionnels » au faible développement de la FC par les universités. Une sociogenèse de la FC comme domaine d’intervention public montre que celle-ci s’est développée largement en marge du secteur universitaire (Manifet, 2015). De plus, l’offre de FC des universités se situerait au cœur d’une tension entre logique marchande et logique de service public (Manifet, 2012). Pour Borras et Bosse (2017), c’est davantage le cadrage institutionnel qui, en maintenant une démarcation FI (formation initiale)/FC adossée aux financements, contribuerait à limiter l’accueil des adultes dans les formations universitaires. Ces explications aussi convaincantes soient-elles n’épuisent cependant pas l’entièreté de l’interrogation. Il demeure étonnant que les universités qui sont encouragées à devenir des acteurs « stratégiques » (Brunsson et Sahlin-Andersson, 2000 ; Krücken et Meier, 2006) qui sont préoccupées ainsi qu’évaluées sur l’insertion professionnelle des diplômés et contraintes de diversifier les sources de financement exploitent peu la FC comme peuvent le faire d’autres pays européens (Borras et Bosse, 2017). Par ailleurs, cette interrogation s’inscrit dans la logique de changement des organisations publiques avec le New Public Management (NPM) (Hood, 1991) qui passe d’une « logique de moyen » à une « logique de résultats » (Verdier et al., 2022). La dimension financière et le pilotage de l’université sont des points de tension dans des organisations restant largement des bureaucraties professionnelles (Boitier et al., 2015). Dans les universités cela se traduit par l’injonction de développement des ressources propres de l’université dans le cadre de son autonomie (Mariette, 2024).

9 Le phénomène des développements de la FC a pour l’essentiel été investie par la sociologie et les sciences de l’éducation, si bien que sa dimension organisationnelle est le plus souvent ignorée, sauf dans les travaux qui interrogent les pratiques des entreprises en la matière (Ben Mahmoud-Jouini et al., 2020 ; Mias et al., 2021). Mais côté « offre », si certaines études s’intéressent à des centres de formation privés ou sectoriels (Paranthoën, 2021 ; Lescure et Frétigné, 2010), les universités restent un point aveugle de la littérature. Or, comme souligné précédemment, le renforcement de la gouvernance des établissements associé à l’encouragement de ces derniers à développer leurs ressources propres invitent à investiguer comment les universités se saisissent ou pas de l’activité de FC et quels facteurs organisationnels facilitent ou freinent son développement.

10 Aussi pour combler ce gap empirique et théorique, nous allons ici avoir une approche organisationnelle et stratégique du sujet, en nous appuyant sur le cadrage théorique développé ci-après.

2. Cadrage théorique. La stratégie et les universités

2.1. Des spécificités des organisations universitaires…

11 Avant d’aborder la question de la « stratégie » dans les universités, il semble important de rappeler les spécificités organisationnelles des universités. Les métaphores de « l’anarchie organisée » (Cohen et al., 1972), de la « bureaucratie professionnelle » (Mintzberg, 1982) ou des « systèmes faiblement liés » (Weick, 1976) ont été conçues à partir de l’observation empirique des organisations universitaires. Ces métaphores partagent plusieurs points communs. Elles soulignent d’abord la faiblesse des interdépendances fonctionnelles au sein de ces organisations : les unités académiques (à l’échelle d’un département, voire d’un programme de formation) peuvent mener à bien leurs activités principales sans besoin de se coordonner avec le reste de l’organisation. Par ailleurs, les chaînes hiérarchiques y sont peu opérantes : d’une part la gouvernance y est collective (les responsables universitaires partagent leur pouvoir décisionnel avec des assemblées collégiales ou représentatives des différentes catégories de personnels et d’usagers), et d’autre part ces dirigeants sont le plus souvent élus et considérés comme des primus inter pares, c’est-à-dire se comportant avant tout comme des représentants des intérêts de leurs pairs. Il s’agit enfin de pyramides inversées où la base de l’organisation est composée de « professionnels » (Mintzberg, 1982) qui bénéficient d’une expertise constitutive de leur autonomie, mais aussi d’une surface sociale (Paradeise, 1998) leur permettant de déjouer les directives émanant des niveaux supérieurs de l’organisation.

12 C’est pourquoi même si les universités sont depuis quelques décennies appelées à devenir des organisations « comme les autres » (Krücken et Meier, 2006), ce « tournant organisationnel » reste inachevé dans les universités françaises (Mignot-Gérard et al., 2019) : les stratégies top-down y sont avant tout une mise en scène visant à répondre aux attentes des tutelles ministérielles (Goy, 2015) et leur mise en œuvre est souvent contrariée par les résistances des communautés académiques (Mignot-Gérard, 2006).

2.2. … À la possibilité d’une stratégie dans ces organisations

13 Alors que ces métaphores soulignaient les spécificités des organisations universitaires, notamment leur caractère anarchique ou décentralisé, des travaux de recherche plus récents ont pu montrer qu’elles étaient capables d’élaborer des stratégies autres que top-down et ont commencé à investiguer les conditions de possibilité de celles-ci.

14 Mintzberg et Waters (1985) développent une conception de la stratégie en mettant en évidence d’autres types de stratégies plus hétérodoxes que la planification stratégique, notamment la stratégie émergente : une stratégie planifiée peut être élaborée de manière itérative avec des imprévus qui sont constitutifs de la construction stratégique. Dans la typologie de Mintzberg et Waters qui établit un continuum entre stratégie délibérée et stratégie émergente, les universités illustrent le cas de la « unconnected strategy » (« stratégie non-connectée »). Celle-ci se caractérise par une vision peu centrale et peu cadrée, et a tendance à apparaître dans les organisations « d’experts ». Les experts poursuivent leur propre stratégie : par exemple les enseignants-chercheurs définissent individuellement leurs sujets de recherches ou manières d’enseigner. Par ailleurs, ces experts s’autoévaluent si bien que leurs collectifs produisent leur propre stratégie pouvant être décorrélée de la stratégie planifiée de l’organisation.

15 Du fait de ces spécificités et des ambiguïtés de l’exercice du pouvoir qui en découlent (March et Olsen, 1976), le mariage entre stratégie et universités est souvent difficile (Goy, 2015). C’est pourquoi Hardy et al. (1983) arguent que le concept de « stratégie émergente » reflète davantage la pratique stratégique (Whittington, 1996) de ces organisations singulières. Les stratégies émergentes ont trois caractéristiques : elles ne sont pas nécessairement explicites, leur formulation ne précède pas forcément leur mise en œuvre, et elles peuvent exister sans un effort particulier des acteurs centraux de l’université. Analyser la stratégie dans l’université invite par conséquent à considérer celle-ci comme une « pratique » (Whittington, 1996), et suppose d’examiner l’ensemble des pratiques des acteurs (académiques, services administratifs et responsables universitaires) qui concourent à sa fabrique. La considération de la stratégie comme une « pratique » émerge au début des années 1990. D’ailleurs, plusieurs auteurs du courant stratégique commencent à cette période à s’intéresser aux universités. Les premiers travaux portent sur les universités nord-américaines et montrent que ces dernières, soumises à des changements brutaux de leur environnement, sont capables de développer des stratégies (Milliken, 1990 ; Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Gioia et Thomas, 1996). Le courant de la SaP s’intéresse à son tour aux universités et notamment Jarzabkowski (2003) qui analyse une enquête empirique sur les micro-pratiques de stratégies de trois universités au Royaume-Uni. Jarzabkowski (2003) avance que les universités confrontées à la baisse des financements publics et la concurrence accrue entre les universités qu’elle qualifie de « quasi-marché » sont de plus en plus enclines à développer des stratégies. Dans la même veine et plus récemment, Foss et Møllgaard (2020) s’intéressent au cas de la CBS où ils mettent en évidence un processus stratégique qu’ils nomment modèle de « l’évolution guidée » où les supérieurs (équipe dirigeante) incitent à des initiatives « ascendantes » qu’ils vont ensuite trier. En somme, les universités ont des stratégies mais qui prennent des formes particulières dans l’organisation.

16 Au-delà des universités américaines et des business schools privées, les universités publiques en Europe ont connu des évolutions sensibles depuis les années 1990 : sous l’impulsion de réformes sous-tendues par les principes du nouveau management public, elles ont été encouragées à se comporter comme des organisations « comme les autres » (Brunsson et Sahlin-Andersson, 2000) et donc à élaborer des stratégies. Cela dans un contexte de forte compétition internationale entre les établissements se matérialisant par une course aux classements (Côme et Rouet, 2024). Plusieurs travaux mettent à leur tour en évidence l’existence de stratégies dans ces universités. C’est le cas de l’étude de Soliman et al. (2019) qui s’intéresse aux stratégies d’internationalisation de l’ESR. Les auteurs cherchent à déterminer si les stratégies internationales de quatre universités britanniques sont planifiées ou émergentes. Cette étude débouche sur un modèle conceptuel mettant en avant trois phases des stratégies internationales tout en indiquant que les universités ne suivent pas ces phases de manière linéaire.

17 Frølich, Stensaker et Huisman (2017) avancent que dans le contexte européen de l’ESR, l’analyse des stratégies des universités devient un enjeu important. Les auteurs étudient la place des pratiques stratégiques dans six universités différentes en Europe (Allemagne, France, Pays-Bas, Portugal, Norvège, Suisse). Il ressort de cette étude que dans des organisations complexes et faiblement couplées, la planification et la création de sens vont créer une adhésion des communautés à une cohérence organisationnelle. Néanmoins, cette cohérence organisationnelle n’est pas sans tensions dans les universités étudiées.

2.3. La strategy as practice comme cadre d’analyse

18 Ces recherches qui mettent en lumière les spécificités de la stratégie dans les universités invitent à considérer la stratégie comme le résultat de pratiques plus ou moins articulées de diverses parties prenantes de l’organisation. Aussi, le cadre conceptuel de la SaP apparaît-il particulièrement pertinent pour analyser la stratégie des universités en matière de FC. L’approche de la SaP s’attarde plus sur le niveau micro de la construction stratégique (Bouty, 2019). L’université étant une bureaucratie professionnelle, les « experts » du « centre opérationnel » ont du pouvoir sur l’organisation. Aussi, le courant de la SaP est intéressant comme cadre d’analyse puisqu’il permet de voir au niveau micro de l’université si les pratiques des « experts » ont une influence sur le processus stratégique de l’université. En effet, le courant SaP est un domaine de recherche en gestion qui se concentre sur l’étude des pratiques (Whittington, 1996) quotidiennes et des actions concrètes qui sous-tendent la formulation et la mise en œuvre des stratégies au sein des organisations. Ce courant met l’accent sur le fait que la stratégie ne se limite pas à des décisions prises par la haute direction, mais émerge également des actions et des interactions des membres de l’organisation à tous les niveaux. Il considère la stratégie comme un processus social (Bouty, 2019) et un ensemble d’activités concrètes, plutôt que comme un plan ou une intention figée. L’intérêt de cette approche est de saisir d’un même mouvement « le faire stratégie », « les pratiques stratégiques » et « les praticiens » (Jarzabkowski et al., 2007) et de lier ces trois dimensions (Rouleau et al., 2007).

19 Dans le contexte universitaire et notamment de la FC, l’approche par la pratique de la stratégie est une « lunette théorique » qui va d’abord nous permettre d’examiner comment les universités conçoivent, développent et mettent en œuvre leurs programmes de FC. Cela implique de se pencher sur les actions et routines des enseignants-chercheurs, des administrateurs et des responsables de la gestion de la FC, ainsi que sur les interactions entre eux. En examinant ces pratiques quotidiennes, on peut mieux comprendre comment les programmes de FC prennent forme et si les pratiques FC sont connues et font l’objet d’une stratégie particulière dans l’université. D’autre part, en considérant la stratégie comme une série de pratiques, il devient possible de qualifier les stratégies des établissements universitaires en observant leurs actions réelles plutôt qu’en se basant uniquement sur leurs déclarations officielles. Cela offre une perspective plus réaliste et holistique des orientations stratégiques d’une université.

20 Le cadrage théorique nous amène à nous poser la question de recherche suivante : comment qualifier les stratégies de développement de la FC dans les universités ?

3. Méthodologie

21 La recherche menée est un travail exploratoire qui a été conduit dans une université française. Cette université est le premier des cas d’une étude par cas multiples (Yin, 2018) qui constituera le matériau empirique d’une thèse de doctorat en cours. Elle s’appuie sur une méthodologie qualitative combinant la conduite de quinze entretiens semi-directifs dans cet établissement, de l’observation participante de l’un des auteurs (professionnel de la FC dans une composante de l’université étudiée) et de l’analyse de documents stratégiques de cet établissement.

3.1. Description du cas étudié

22 L’université a été choisie pour son dynamisme en matière de formation tout au long de la vie. Il s’agit d’un établissement pluridisciplinaire avec santé d’environ 40 000 étudiants. L’établissement est composé d’une quinzaine de facultés, instituts ou écoles et une trentaine d’unités de recherche. C’est une université impliquée dans la FC depuis de nombreuses années : elle affiche une politique de formation continue et se situe dans la moyenne des universités françaises en termes de chiffre d’affaires dégagé par son activité de FC. Ce chiffre d’affaires oscille entre 7,8 et 7,2 millions [2] entre l’année 2021 et 2023 pour ce qui est de la « formation continue, diplômes propres et VAE » sur un total d’environ 100 millions de recettes propres. Les ressources propres qui sont classées en trois catégories : les recettes de formations, les recettes de recherche et les « autres recettes ». La « formation continue, diplômes propres et VAE » représente environ 7,3 % de l’ensemble des ressources propres de l’établissement.

23 L’université comporte une direction de la FC directement rattachée au DGS (ce qui n’est pas le cas de toutes les directions de FC dans les universités françaises qui peuvent être rattachées à une direction de la formation). Par ailleurs, l’université a créé son propre CFA en interne, la gestion de ce dernier étant intégrée à la direction FC. Ainsi, le directeur de la direction FC est également le directeur du CFA interne, les équipes font partie de la même direction. Le rôle du CFA interne est la gestion administrative des contrats d’apprentissage. Le CFA est aussi source de conseils auprès de formations notamment sur le lien avec les Opco et sur les dimensions juridiques. L’université comporte également un VP délégué à la formation tout au long de la vie (FTLV). L’organisation de la FC dans cet établissement est « déconcentrée » au sens où ce sont les composantes qui portent la FC pédagogiquement et administrativement. La direction de la FC a un rôle administratif, de conseil et d’accompagnement des composantes quand ces dernières en font la demande. L’accompagnement se traduit par de l’ingénierie de formation, l’aide au dépôt et à la validation des projets dans les instances de l’université, voire l’accompagnement au dépôt de la formation dans les différents répertoires (RNCP ou répertoire spécifique). La figure 1 représente les liens et interactions dans l’organisation pour ce qui concerne la FC.

Figure 1

Liens fonctionnels et interactions dans l’université sur l’objet FC

figure im1

Liens fonctionnels et interactions dans l’université sur l’objet FC

Source : les auteurs

24 Dans l’université étudiée, on distingue deux catégories de FC : la FC dédiée et la FC intégrée. La FC dédiée correspond à des formations qui sont ouvertes uniquement à des publics en FC. Le nombre d’inscrits FC oscille entre 12 000 et 14 000 par an (rapport RAPET 2022). L’établissement offre différents types de FC ouverts à des « groupes dédiés », c’est-à-dire exclusivement réservés à des publics FC parmi lesquels 47 Diplômes d’Université (DU), 14 Diplômes Interuniversitaires (DIU) et 7 Certificats Universitaires (CU). Cette université comporte aussi le DAEU et un diplôme d’État. La FC intégrée correspond à de l’intégration de stagiaires FC dans les diplômes nationaux en FI ou en alternance (FA). Dans cette université, la composante qui comporte le plus de FC dédiée est la médecine. Les composantes non médicales de l’université ont quelques diplômes dédiés mais la majorité des publics FC sont intégrés dans les diplômes nationaux en FI ou en FA. Au vu du caractère multifacette de la FC, il nous semble pertinent de représenter sous forme de schéma les différentes formes de FC présentes dans l’université étudiée (Figure 2).

25 Les modes de financements de la FC sont divers et dépendent le plus souvent de la catégorie de FC. Pour les FC dédiées, les stagiaires peuvent s’autofinancer, avoir un financement ou co-financement avec leur entreprise et utiliser le CPF (compte personnel de formation) si la formation y est éligible, c’est-à-dire si elle fait partie des répertoires (RNCP ou RS). Pour les formations intégrées, ces dernières étant des diplômes nationaux donc apparaissent sur le RNCP ou RS. Ainsi, les stagiaires ont les mêmes modalités de financement que la FC dédiée. La FC intégrée a des moyens de financement supplémentaires propres aux opérateurs de compétences (Opco qui désigne des organismes agréés chargés d’accompagner la formation professionnelle), aux régions ou à France Travail, pour les demandeurs d’emploi.

Figure 2

Les différentes pratiques de FC dans l’université

figure im2

Les différentes pratiques de FC dans l’université

Source : les auteurs

3.2. La collecte des données

26 Comme préconisé par Yin (2018), la méthodologie mise en œuvre pour cette étude de cas est qualitative. La collecte des données a été faite auprès d’acteurs de l’université ayant une implication particulière dans le développement de la FC. Nous avons, avant de faire l’étude de cas, réalisé 4 entretiens exploratoires avec des acteurs impliqués dans la FC depuis plusieurs décennies au niveau national. L’objectif était de densifier notre connaissance du contexte et des enjeux de la FC avant de mener l’enquête de terrain et d’élaborer le guide d’entretien pour cette enquête. Nous avons alors identifié les acteurs impliqués dans la FC à trois niveaux et réalisé un total de 15 entretiens auprès de membres de la présidence (3 entretiens), de la direction de la FC (5 entretiens), d’enseignants-chercheurs et administratifs de composantes dans trois domaines disciplinaires (7 entretiens). Les trois composantes retenues (IUT, faculté des sciences et IAE) ont été sélectionnées car elles sont reconnues dans l’établissement comme les plus dynamiques en matière de développement de la FC.

27 Les entretiens ont été réalisés suivant un guide d’entretien visant à saisir les pratiques et représentations de la FC des enquêtés, mais aussi leur perception de la stratégie FC de l’établissement. Les questions du guide d’entretien sont organisées en quatre grands thèmes : les activités de formation des répondants ; comment ils ont construit ou contribué à la construction d’un programme FC (organisation, partenaires, concurrents, communication, financier, impacts sur les carrières, difficultés rencontrées…) ; les relations de ces acteurs avec leurs pairs, mais aussi entre les différents niveaux (présidence, direction de la FC et composantes) ; le rôle de l’environnement institutionnel dans le développement de la FC.

Tableau 1

Les entretiens semi-directifs

FonctionStructureID des répondants
Vice-président du conseil d’administration (PRAG)PrésidenceR7
Vice-président partenariats économiques (MCF)Présidence / IAER8
VP délégué à la FTLV (PR)PrésidenceR14
Directeur de la FCDirection de la FCR0
Ingénieure de formation, référente qualitéDirection de la FCR6
Ancien Ingénieur de formation, référent juridiqueDirection de la FCR9
Ancienne commerciale à la direction de la FCDirection de la FCR12
Cheffe de département en IUT et ancienne directrice de la direction FCDirection de la FCR13
Membre permanent VAE, Enseignant-chercheur en biochimieIUT 1R1
Enseignante chercheuse en gestion, ancienne responsable de la FC et membre permanent VAEIUT 1R3
Enseignante chercheuse en gestion, ancienne responsable de formation en FC et membre permanent VAEIUT 2R5
Directeur d’IUTIUT 2R10
Enseignante chercheuse en chimie faculté de sciences, membre permanent VAEFaculté de sciencesR2
Directeur adjoint de la FC de la faculté de sciences, EC en biologieFaculté de sciencesR11
Responsable FTLV IAE, administrativeIAER4

Les entretiens semi-directifs

28 Nous avons également effectué de l’observation participante dans différentes réunions rassemblant les composantes et la direction de la FC.

29 Le matériau qualitatif issu des entretiens a été complété par le recueil des principaux documents institutionnels de l’université : le contrat d’établissement, le document stratégique d’établissement, le dernier rapport HCERES, les procès-verbaux des conseils d’administration de 2016 à 2022, le RAPET 2022, et le rapport de la Cour des Comptes.

3.3. Le traitement des données

30 Notre recherche se fonde dans une démarche abductive. Le codage des données (verbatims) issu des entretiens semi-directifs a permis de faire émerger des catégories de premier niveau que nous avons catégorisées dans des catégories de second niveau pour arriver à des grands thèmes (Corley et Gioia, 2004). Les unités que nous analysons sont des unités de sens, nous avons fait des analyses « thématiques » (Allard-Poesi, 2003). L’unité de sens retenue dans cette recherche est le paragraphe, qui constitue l’unité d’analyse privilégiée pour l’analyse d’une étude de cas (Allard-Poesi, 2003). Après avoir relevé les unités de sens, nous les avons classés dans des catégories de premier ordre en essayant d’être le plus fidèle au sens de l’unité de sens. Ce premier codage permet de regrouper les discours convergents des différents entretiens. Par la suite, nous sommes montés en abstraction (Allard-Poesi, 2015) et avons catégorisé les données dans un second niveau. Puis les catégories de second niveau nous ont fait monter en abstraction pour faire émerger des thèmes (cf. Annexe). Cette catégorisation se fait a posteriori au sens de Glaser et Strauss (1967) avec une comparaison systématique des unités classées. Un extrait de la grille de codage se trouve en annexe. Nous avons ensuite triangulé ce codage avec des éléments d’observation participante au sein de l’université mais aussi en dehors de l’université, par exemple lors de colloques professionnels comme le colloque Formation Continue à l’Université (FCU) ou l’Université d’Hiver de la Formation Professionnelle (UHFP). Enfin, nous avons comparé systématiquement les représentations des acteurs avec les données recueillies dans les documents stratégiques de l’établissement mentionnés ci-dessus.

4. Résultats

31 Au sein de l’université étudiée, les projets de développement de FC ne manquent pas, on identifie plusieurs actions et initiatives qui en témoignent. Mais la FC se déploie sous des modalités très diverses qui font l’objet de débats parmi les personnes interviewées avec un ensemble de pratiques de la FC qui divergent et sont issues de pratiques individuelles. Les enseignants-chercheurs s’y engagent de manière individuelle et souvent isolée, ce qui débouche sur des actions qui se diffusent peu à l’intérieur de l’établissement et dont la pérennité est fragile (4.1). Par la suite, nous verrons que les différents niveaux organisationnels de l’université impliquent des dynamiques influençant la FC. (4.2).

4.1. Les différentes pratiques de la FC : un ensemble d’actions dispersées et peu consensuelles

4.1.1. L’implication des enseignants-chercheurs dans la formation continue : des initiatives individuelles et discrètes

32 Dans l’université étudiée, les unités de formation semblent tout comme le niveau établissement, peu investies dans l’élaboration d’une stratégie collective de FC. Les initiatives sont davantage prises au niveau individuel, c’est-à-dire à l’échelle des enseignants-chercheurs qui s’y engagent de deux manières : en s’impliquant dans des jurys de VAE ou en développant des formations sur-mesure pour les entreprises.

33 Dans tous les cas, ces initiatives ne sont pas le fruit d’une stratégie collective, elles répondent davantage à des aspirations personnelles. Par exemple, des enseignants-chercheurs développent des formations à la demande d’entreprises. Ils envisagent ces formations comme un « challenge intellectuel », car il convient de concevoir des contenus sur mesure et de haut niveau pour répondre à un public exigeant, intéressé et ayant des questions pratiques pointues. Cet engagement est « discret » puisqu’il n’est pas toujours connu de la communauté même des plus proches collègues.

34

« Moi, quand j’ai développé le module sur la FC clairement, c’est aussi le challenge intellectuel quoi, c’est-à-dire que la différence que j’ai vue c’était, et je m’en doutais un peu, c’est que quand on a des formations continues comme ça, on a des gens qui sont intéressés par le sujet parce qu’ils ont choisi de venir à la formation. »
Vice-président (R7)

35 D’autres enseignants s’impliquent dans la FC par conviction que les parcours de formation ne sont pas nécessairement linéaires et que l’université a vocation à contribuer à l’effort de FTLV. Cette motivation se retrouve notamment chez les enseignants qui s’investissent dans les jurys VAE.

36

« Alors moi ce qui m’incite à le faire en fait, je me dis que bah, tout le monde ne peut pas, entre guillemets, réussir dans son parcours de formation et qu’en fait y a pas qu’une seule voie pour arriver à un endroit […]. Ou alors il y a des gens qui supportent pas ce système d’encadrement et qui sont capables très très bien de se former sur le terrain. Et je trouve que ces gens qui ont beaucoup appris sur le terrain aussi, c’est pareil, ils ont beaucoup de richesses et c’est dommage que, en fait, on ne puisse pas transformer ça par un diplôme donc voilà. Je trouve que pour moi le processus de VAE c’est… […] je trouve qu’on a la chance d’avoir plein de systèmes comme ça qui permettent de donner du tremplin social aux gens et qu’il faut que tout le monde en profite. »
Enseignant-chercheur IUT (R1)

37 Ces logiques d’action sont donc largement individuelles, mues par des intérêts ou convictions personnels, ce qui est d’ailleurs raillé par certains personnels administratifs qui y voient une rationalité du plaisir qui ne prend pas en compte les besoins du marché.

38

« Alors, il y a aussi d’autres formations courtes parce que là c’est des formations courtes que les profs ont voulu monter, par exemple, dans l’énergie. Mais on va dire un peu pour se faire plaisir. Et du coup, il n’y a jamais eu de public […]. »
Ingénieure de formation de la direction FC (R6)

39 Si certains enseignants-chercheurs sont actifs dans le domaine de la FC, leurs initiatives sont motivées par des enjeux personnels plutôt qu’arrimés à une politique d’établissement. Ainsi, la FC dans cette université se développe par des pratiques individuelles d’enseignants-chercheurs qui souhaitent développer des FC en fonction de plusieurs paramètres. Mais ces implications dans la FC restent assez discrètes, au sens où elles sont peu visibles par les services centraux de l’université mais aussi méconnues des collègues.

40

« […] quand on [la présidence de l’université] arrive dans des entreprises, parfois ils nous parlent, ils disent “Ah oui, mais je fais déjà des choses avec des gens de l’université. Il me semble machin, bidule”. On n’est même pas au courant, donc on a l’air un peu ridicule, y compris sur la partie recherche, parfois, avec des bourses CIFRES qui existent et on n’est pas au courant. »
Vice-président (R7)

41 Or comme on va le voir, cette dispersion des initiatives individuelles tient aussi aux relations intuitu personae que les enseignants-chercheurs ont avec leurs partenaires extérieurs.

4.1.2. Les pratiques FC en réponse à un besoin socio-économique : des liens individuels et peu pérennes

42 Ce sont le plus souvent les entreprises qui sollicitent les acteurs de l’université pour signaler leurs besoins en formation. La FC avec les entreprises est essentiellement de la FC rentrante où les enseignants-chercheurs répondent à un besoin exprimé par le monde socio-économique. Mais dans le cadre de ces partenariats avec des entreprises conduisant à des formations sur-mesure, la pérennité de l’activité FC est fragile. Ces partenariats sont en effet le plus souvent conçus à partir de contacts interpersonnels entre un enseignant-chercheur et un décideur d’entreprise. Lorsque l’un des deux partenaires change d’organisation, le programme de formation est menacé de disparaître, ce d’autant plus que ces partenariats informels sont souvent inconnus de la direction de la FC ou des vice-présidents en charge de ce domaine.

43

« C’est de l’interpersonnel, il faut aller les chercher les partenariats, faut aller parler avec les gens, faut connaître, faut faire marcher les réseaux aussi entre collègues. Et ça se fait, ouais, ça se fait vraiment comme ça. […] Et si malheureusement t’as une personne qui change dans l’organigramme, bah parfois ça peut faire effondrer le truc parce que tu retrouves pas son homologue ou il pense pas à te dire “Bah tiens, je suis remplacé par machin. Et et là, le partenariat avec des guillemets s’arrête hein. »
Enseignant-chercheur (R5)

44

« Et puis, les partenariats lorsqu’ils sont aussi généraux, Eh bah ça suppose de les entretenir, il y a le turnover au niveau des responsables qui est compliqué. Je sais pas en… En 10 ans de licence, on a connu 6 responsables différents parce que c’est compliqué à gérer. »
Ingénieur de formation à la direction de la FC (R9)

45 Les enseignants-chercheurs s’impliquent dans la FC pour différents motifs. Malgré l’investissement fort de certains sur le sujet, ils restent peu nombreux à s’impliquer. Ils ont aussi du mal à faire adhérer les collègues car le temps de ces derniers est déjà pris par d’autres activités, notamment la recherche. De plus, les initiatives des enseignants-chercheurs sont issues de relations interpersonnelles avec les entreprises et ne durent que le temps où les individus l’entretiennent. La pérennité de ces partenariats est souvent mise à mal étant donné qu’elle ne repose que sur des individualités.

4.1.3. Une implication freinée par la concurrence des implications

46 De plus, les enseignants-chercheurs s’investissant dans des dispositifs de FC sont assez peu nombreux. On constate que ces enseignants-chercheurs ont du mal à rallier leurs collègues à leur cause. Ils font face à ce que l’on peut nommer la concurrence des implications de l’enseignant-chercheur : la FC est en effet en concurrence avec d’autres de leurs activités (la recherche, l’enseignement, les responsabilités pédagogiques et électives, le développement international…). Plusieurs entretiens pointent ainsi le temps de l’enseignant-chercheur comme une denrée rare. Le temps qui, selon les répondants, est le principal frein à l’engagement dans la FC.

47

« Ben déjà ils [les enseignants] sont en surcharge. Ils font 1 fois, 2 fois, même parfois 2 fois et demie leurs heures. Donc, c’est pas une histoire de personnel hein, c’est une histoire de qui fait quoi aussi. »
Ingénieur de formation à la direction FC (R9)

48

« [Sur les raisons de la complexité à développer la FC] [rires] Alors, Ben […] C’est justement le manque, finalement, de temps pour tout le monde. »
Enseignant-chercheur de la Faculté de sciences (R11)

49 L’activité la plus consommatrice en temps et la plus valorisée dans les carrières étant la recherche scientifique, celle-ci est vue comme la concurrente la plus redoutable de la FC.

50

« Si tu veux prendre du temps, ben en fait c’est sur la partie recherche que tu vas un petit peu grignoter donc c’est pour ça qu’il y a très très peu de gens. »
Enseignant-chercheur en biochimie (R1)

51 Or ce problème de manque de temps pour la recherche concerne au premier chef les universitaires engagés depuis plusieurs années dans le développement de la FC. Ainsi non seulement ils sont rares à s’y investir mais reconnaissent que leur implication doit rester temporaire afin de mener à bien leurs autres activités.

52

« [sur la priorisation des activités d’enseignant-chercheur] non, déjà je suis bien contente de faire plus que de l’enseignement et de la recherche donc j’arrive à prioriser les deux. [rires]. C’est déjà vachement bien de ne plus avoir d’administratifs [le répondant a quitté ses responsabilités sur la FC] et donc de pas avoir ce truc en plus qui n’est pas une obligation. Après, il y a, quand même, quand on dit "prioriser", il faut avoir le choix. Alors, je dis pas qu’on n’a jamais le choix que »
Enseignant-chercheur en gestion IUT (R3)

53 Le caractère peu pérenne de l’investissement des enseignants-chercheurs dans le suivi de la FC est donc lié à la multiplicité des activités qu’ils sont poussés à assurer tout en poursuivant leurs objectifs de carrière : ils doivent arbitrer entre plusieurs activités et l’implication dans la FC en pâtit d’autant plus que celle-ci est peu valorisée pour la progression dans la carrière universitaire.

4.1.4. Les désaccords sur les pratiques de la formation continue

54 Cette dispersion des pratiques va de pair avec des définitions singulières de ce qu’est ou devrait être la FC. Un certain flou entoure l’appellation que l’on devrait réserver à cette mission de l’université : doit-on parler de FC ou de FTLV ?

55

« Enfin ouais, je vois pas trop la différence entre les deux [FC et formation tout au long de la vie]. En fait, pour moi, les deux termes sont équivalents. »
Enseignant-chercheur, IUT (R1)

56

« J’ai tendance à dire que ça serait mieux de dire la formation tout au long de la vie et puis parce qu’en vrai, c’est jamais [formation] continue en fait. Continue, ça voudrait dire… Bah c’est au quotidien, dans notre expérience, on valorise aussi, on évalue, on a des qualifications qui vont avec l’expérience qu’on a […] et ça, ça ne se fait pas, donc oui ça devrait plutôt être formation tout au long de la vie. »
Enseignant-chercheur, IUT (R3)

57 Outre cette confusion sémantique qui reflète pour partie la diversité des pratiques existantes au sein de l’établissement, les enquêtés expriment des désaccords sur la définition de la FC et de son périmètre. La figure 2 met bien en lumière la distinction entre la FC dédiée et la FC intégrée. Pour certains répondants la FC dédiée correspond à une formation qui est construite spécifiquement pour un public de FC qui répond à des demandes ou besoins socio-économiques : sur le diplômant c’est le cas des DU ou pour le certifiant, des CU. Dans cette université, il y a aussi des diplômes nationaux en FC mais cela reste minoritaire par rapport aux DU et CU. La FC dédiée passe aussi par les réponses aux besoins spécifiques des entreprises pour de la montée en compétences ou des formations courtes spécifiques pour des salariés en entreprises (en « intra » pour une entreprise spécifique ou en « inter » pour plusieurs entreprises). La FC dédiée, dans cette université, correspond à de la montée en compétences des publics FC plus qu’à un besoin de diplôme.

58 Pour ce qui est de la FC intégrée, dans cette université, les publics FC sont intégrés dans des groupes en FA ou en FI. Dans le cas de la FC intégrée, la formation n’est pas spécialement construite pour les publics FC, ces derniers sont intégrés sur un diplôme national. D’ailleurs, l’objectif de cette intégration est plus l’obtention d’un diplôme national qu’une montée en compétences.

59 La différence entre la FC intégrée et la FC dédiée est importante pour certains acteurs qui ont une vision de la FC qui doit être spécifique et construite pour des publics FC, donc de la FC dédiée. Pour ces acteurs, la FC intégrée n’est pas considérée comme de la FC puisqu’elle n’est pas construite spécifiquement pour un public FC. Ainsi, pour certains répondants, intégrer des adultes en reprise d’études dans des groupes existants en formation initiale (FI) ou en formation en apprentissage (FA) ne devrait pas être considéré comme de la FC.

60

« Maintenant, dans les universités, la majorité de ce qu’on appelle FC, ce sont 1,2,3 adultes qui reprennent leurs études, qui sont au sein de groupes d’étudiants. Donc la formation, elle n’est pas spécifiquement conçue pour eux. Du coup… pour moi c’est pas de la FC ça, ça n’en est pas. »
Ingénieure de formation, direction FC (R6)

61 D’autres répondants considèrent par ailleurs que le contrat de professionnalisation, bien que dédié à des stagiaires de plus de 26 ans, se rapproche davantage d’un dispositif d’alternance et constitue à ce titre de la « fausse » FC.

62

« Alors après, il faut distinguer […] ce qu’est la vraie FC entre guillemets de ce qui est de la fausse FC donc j’enlève les contrats pro que je considère être de l’alternance et pas de la FC même si ça rentre dans la formation continue. »
Vice-président (R7)

63 Par ailleurs, la VAE est sans doute la pratique qui fait le moins consensus dans l’établissement. Alors qu’elle fait partie intégrante de la FC, elle est loin de faire l’unanimité y compris dans les composantes à vocation professionnalisante à l’instar des IUT. L’argument le plus récurrent en sa défaveur est le risque de dégradation de la qualité du diplôme national. Plusieurs enseignants-chercheurs font ainsi valoir que l’obtention d’une certification à travers la seule évaluation d’un mémoire revient à « brader » les diplômes.

64

« Et je l’ai encore entendu y a pas longtemps [à propos de la VAE]. Donc, de là à dire “on va donner”, j’y mets plein de guillemets parce qu’on voit pas mon geste, “des diplômes à des gens juste parce qu’ils ont fait un dossier et juste parce qu’ils auront une expérience”, et c’est très ironique hein, la façon dont je le dis. »
Enseignant-chercheur IUT (R5)

65

« En fait, pour beaucoup de gens, [la VAE] c’est je viens, je donne mon CV et donnez-moi le diplôme et c’est tout. Donc non, la VAE est très, très mal vue. »
Enseignant-chercheur IUT (R1)

66 D’autres universitaires estiment à l’inverse que le risque de dévaloriser le diplôme national est limité si l’on parvient à hybrider le dispositif de VAE avec un complément de modules de diplômes préexistants.

67

« On a aussi, donc on a un glissement comme de la FC où on est un peu moins sur du diplômant avec des longues périodes à l’université mais plutôt des modes hybrides où on essaie d’hybrider de la VAE et de la FC avec des modules qualifiants ou des choses comme ça. »
Vice-président (R7)

68 Mais le débat entre qualifiant et certifiant dépasse le seul périmètre de la VAE. Pour certains membres de la direction de l’université, il est tout à fait possible de développer la FC autour de modules certifiants. Pour d’autres, il est difficile de générer une demande suffisante pour constituer des groupes dédiés préparant à l’obtention d’un diplôme national, l’université aurait donc intérêt à construire des modules qualifiants répondant à une demande ad hoc.

69

« Donc, il faut qu’on soit capable de montrer que bah le fait de faire des modules qualifiants, au bout d’un moment, la somme des modules qualifiants peut amener à déposer un dossier de VAE qui permet de dire : "j’ai suivi des modules et j’ai une partie professionnelle". Et donc, ça permet de valider des modules certifiants. »
Vice-président (R7)

70

« Je pense que le sens de l’histoire, ça va quand même de plus en plus de la FA sur le diplômant… Que le risque c’est qu’on fasse de la FC, enfin, je sais pas si c’est un risque mais sur du qualifiant. Mais ça suppose que les équipes suivent derrière quoi. C’est pas parce qu’il y a un directeur de la FC qui veut absolument qu’on fasse du qualifiant que ça va suivre quoi. »
Vice-président (R8)

71 Ces dernières citations semblent indiquer une vision différente du développement de la FC au niveau central. Ainsi, cela traduit des intentions qui ne sont pas encore tranchées à l’échelle de l’établissement et donc une stratégie en suspens. Ainsi, les pratiques et intentions de développement de la FC dans l’université étudiée sont très hétérogènes. Si elles reflètent dans une certaine mesure la capacité des universitaires à se saisir de dispositifs réglementaires ou d’incitations soutenant la FC, elles peuvent être apparentées à une forme « bricolage institutionnel » qui aboutit à une nébuleuse peu consensuelle.

4.2. La formation continue influencée par des dynamiques organisationnelles

4.2.1. La formation continue « discrète » dans les instances

72 La stratégie de la FC de l’université est peu visible. Tout d’abord, aucune référence à une « stratégie de FC » n’apparaît ni dans les délibérations du conseil d’administration, ni dans le contrat quinquennal ou le projet stratégique de l’université. Dans les instances, la FC est très rarement abordée. Elle apparaît en pointillé à l’occasion de débats sur les ressources propres, par exemple au moment du vote des tarifications des DU ou lors des validations budgétaires.

73

« Nous sommes sur une augmentation des contributions des composantes qui est corrélée, strictement corrélée, à l’augmentation des ressources propres constatées et qui sont fort heureusement en augmentation forte depuis trois ans notamment. L’augmentation est plus ancienne mais elle est particulièrement forte depuis trois ans et se confirme. Nous souhaitons soutenir cette augmentation des ressources propres par une politique de soutien au développement de la formation et de l’apprentissage, par le développement de la FC et aussi par une politique de RH pour apporter un soutien au développement de ces activités de manière encadrée. »
PV Conseil d’administration (2018), Vice-président

74 Ce silence sur la FC dans les documents stratégiques de l’établissement s’accompagne d’une méconnaissance par les interviewés de la stratégie FC de leur établissement.

75

« […] Le problème, c’est qu’il y a pas de stratégie. C’est pas seulement le cas à l’université A, je pense que c’est le cas dans la plupart des universités françaises. »
Ingénieure de formation de la direction FC (R6)

76

« Je la connais pas, si elle en a une ! [stratégie de FC à l’université] »
Directeur d’IUT (R10)

77 Le rare sujet qui fait l’objet de délibérations dans les conseils concerne la démarche qualité engagée par l’université : la certification FCU à laquelle a succédé le label Qualiopi. Or ce label est jugé par certains comme consommateur de ressources organisationnelles pour un faible bénéfice de notoriété.

78

« Je pense que le label Université est pas suffisant. Aujourd’hui un label extérieur, une certification extérieure comme Qualiopi, c’est important pour crédibiliser ce qu’on fait. Mais ça a des coûts et des contraintes. Mais après, faut savoir ce qu’on veut. »
Vice-président (R8)

79 En outre, même quand les enquêtés reconnaissent que Qualiopi crédibilise la qualité d’une offre de formation, plusieurs rapportent ne pas toujours le mobiliser dans leurs communications auprès de leurs partenaires ou publics cibles.

80

« [Utilisation du label Qualiopi] J’ai pas forcément pensé effectivement hein, mais après est-ce que c’est nécessaire ? C’est, effectivement, un affichage intéressant et oui oui. »
Enseignant-chercheur, la faculté de sciences (R11)

81 Hormis cette démarche de certification, c’est la faible visibilité, voire l’absence d’une politique d’établissement en faveur de la FC qui prédomine. Certains l’expliquent par la « surcharge stratégique » à laquelle l’équipe de direction de d’établissement est confrontée : elle a beaucoup d’autres priorités en matière de formation initiale, de recherche scientifique, de développement international, etc., ce qui tend à reléguer la FC au second plan.

82

« Je suis d’accord mais le problème c’est qu’actuellement, comme il y a un peu le feu sur plein de dossiers, j’ai peur que ce soit pas un sujet prioritaire [la FC]. »
Directeur d’IUT (R10)

4.2.2. Au-delà de l’université, les pratiques des composantes

83 Les éléments qui suivent sont principalement issus de l’observation participante et d’échanges plus informels avec différents acteurs au sein de l’établissement. Tout d’abord, les pratiques de FC (cf. figure 2) ne sont inégalement représentées dans les différentes composantes. La faculté de médecine a tendance à développer prioritairement des diplômes d’université (DU) ou des DIU (Diplôme inter-université). D’ailleurs, sur les 47 DU proposés par l’université, 43 sont des DU de la faculté de médecine (soit 91 %).

84 De plus, le développement de DU en FC est aussi un moyen de reconnaissance d’une expertise pour le médecin qui crée la formation. Par ailleurs, les médecins qui suivent un DU remplissent leurs obligations légales de FTLV [3] et peuvent se targuer d’avoir suivi une formation avec un médecin expert sur le sujet. Ainsi, les pratiques de la composante médecine sont spécifiques à ce secteur professionnel et largement décorrélées de la stratégie globale de l’université.

85 Les autres composantes de l’université étudiée (IUT, IAE, faculté de sciences) développent pour leur part des formations sur-mesure pour un public de FC sur des DU, DIU mais aussi sur des diplômes nationaux. Ces composantes portent aussi des formations sur mesure qualifiantes ayant pour principal objectif la montée en compétences du public FC. Ces montées en compétences peuvent être à l’initiative d’une entreprise (formation en intra) ou des stagiaires de différentes entreprises suivant la formation (formation en inter). Néanmoins, ces formations ne sont pas toujours connues au sein desdites composantes. Ces trois composantes permettent aussi l’intégration de publics FC dans les formations en FI ou en FA. C’est la pratique de FC qui prédomine dans l’université (hors médecine). Dans ce cas, la formation n’est pas construite spécifiquement pour des publics de FC, qui doivent s’adapter à l’organisation en FI ou FA et trouver un financement. Cette pratique d’intégration des stagiaires FC dans les diplômes nationaux n’implique pas un investissement particulier des enseignants-chercheurs : les publics FC viennent d’eux-mêmes et suivent les mêmes enseignements que le public étudiant. Le responsable de formation n’a pas à revoir l’organisation de la formation. Le stagiaire FC reçoit souvent un accompagnement plus personnalisé mais cela ne remet pas en cause ni le contenu la formation en tant que tel ni son organisation.

86 L’hétérogénéité des pratiques FC entre les composantes est renforcée par les contextes et stratégies de ces dernières. Par ailleurs, les liens entretenus entre les acteurs universitaires et le monde socio-économique ainsi que le domaine disciplinaire peuvent expliquer l’hétérogénéité des pratiques.

4.2.3. La direction de la FC : une stratégie FC déconnectée et « hors-sol »

87 Bien que le service central de FC ait été renforcé ces dernières années, il est perçu comme un acteur « hors-sol ». D’une part, il semble peu connecté à l’équipe politique de l’établissement.

88

« […] j’ai toujours le sentiment que la direction de la FC se vivait de façon très autonome dans l’université. Et surtout très autonome du politique. »
Vice-président (R8)

89 Un symptôme de cette relation en pointillé est l’absence de réaction de la présidence au plan stratégique élaboré par le directeur du service FC en 2022. De plus, la création par ce même directeur d’un catalogue des formations diplômantes existantes visant à commercialiser ces dernières est vivement critiquée.

90

« Donc ce qu’on disait tout à l’heure avec la création, à la demande du directeur [de la FC], de créer un catalogue qui soit hors… C’est un catalogue hors-sol, on est clair, hein. Ni les composantes, ni les responsables de diplôme, personne n’a été consulté pour la création de ce catalogue. »
Ingénieur de formation à la direction de la FC (R9)

91 D’autre part, les universitaires porteurs de diplômes en FC soulignent n’avoir quasiment pas de contact avec la direction de la FC. Ce constat s’inscrit dans la continuité du propos précédent du caractère hors-sol de la direction de la FC qui connaîtrait mal les formations et s’engagerait dans une stratégie indépendante de celle des composantes.

92

« [rires] Je non, je crois que je n’ai jamais eu enfin… Comment je dirais ça, j’allais dire “aucune aide. C’est très dur de le dire comme ça. Non, franchement, pas de lien avec le service de FC à l’université A, très peu, enfin, par des mails. »
Enseignant-chercheur IUT (R5)

93 Cette coupure entre le service central et les composantes sur le développement de la FC est aussi liée à la création récente d’un CFA interne à l’université dont le directeur du service a la responsabilité. Depuis quelques années, de nombreux recrutements sont faits sur la partie apprentissage pour répondre à la demande grandissante de formation qui s’ajoute à la gestion du CFA. Ainsi, comme on va maintenant le voir, le dispositif de l’apprentissage revêt une importance stratégique pour l’établissement ayant pour effet de reléguer la FC au second plan des priorités de l’établissement et de son service central.

4.2.4. L’apprentissage comme influenceur des dynamiques organisationnelles : une stratégie pragmatique de l’université passant sous silence la FC

94 Finalement, dans ses démarches de développement de la formation professionnelle, l’université préfère le dispositif de l’apprentissage à celui de la FC. Cette priorité donnée à l’apprentissage se matérialise par la création du CFA interne au sein de l’université. Un premier argument en faveur de l’apprentissage est sa simplicité de mise en œuvre. Contrairement à une formation FC qui doit adapter ses contenus et sa pédagogie à des publics adultes, souvent professionnels et experts, basculer un programme de FI en FA ne requiert pas d’ajustement particulier pour les enseignants, les publics étudiants étant très similaires.

95

« Donc, on a plutôt développé la partie apprentissage et alternance même si les contrats pro sont en voie de disparition parce que du coup c’était le plus simple. On adosse… Ce sont des étudiants, on met une année, deux ans en alternance donc c’est plus facile à mettre en œuvre parce qu’il y a juste le rythme adapté et un peu le contenu pédagogique mais ça reste quand même plus facile pour les enseignants. »
Vice-président (R7)

96 Ensuite et surtout, la FA génère plus de ressources propres que la FC et qu’il y a des aides de l’État pour développer le dispositif apprentissage. Au sommet de l’université, la FC est conçue dans les termes d’un rapport coût/bénéfice : au regard de l’apprentissage, la FC ne vaut pas la peine d’un développement important puisqu’elle serait plus complexe à mettre en œuvre, plus coûteuse et moins génératrice de recettes que la FA. Le choix de développement de l’apprentissage s’apparente ainsi à un besoin de rentabilité à court terme.

97

« Je suis pas sûr que ce soit un levier de croissance des universités la FC. Donc, c’est très coûteux, y compris administrativement. Coûteux humainement, enfin, coûteux pour les enseignants et tout ça en montage et… Et donc, à un moment, quand il faut faire des arbitrages, je pense que l’arbitrage sera en faveur de la FA et pas de la FC quoi. »
Vice-président (R8)

98

« Mais derrière, en fait, c’est : est-ce qu’on considère que la FC est importante ? Parce que là aujourd’hui, on le voit avec l’apprentissage, là c’est tout le monde ne parle que d’apprentissage. Alors, c’est pas pour insérer les petits jeunes hein. C’est parce qu’il y a de l’argent en fait hein. La motivation, elle est financière. Bon tant mieux, ça les aide à les insérer, c’est très bien. »
Ingénieure de formation (R6)

99 En outre, dans la ligne de cette réflexion économique, il existe dans certains champs disciplinaires, à l’instar des sciences de gestion, une concurrence importante avec les organismes de formation privés sur la FC. A contrario la FA répond à un public « captif ».

100

« Après, comme j’ai dit, on ne peut pas aller tout faire non plus parce qu’on voit bien que les catalogues de Demos ou Cegos sont… Des catalogues pléthoriques avec des formations qui sont très courtes, bon marché et donc on n’a pas de plus-value, nous université, à vouloir être concurrence sur ce genre de créneau. »
Vice-président (R7)

101 Néanmoins, pour certains vice-présidents, FA et FC ne sont pas antagonistes. Les liens développés avec les entreprises via la FA pourraient à terme contribuer au développement de formations sur mesure ou de VAE collectives [4]. Mais ces témoignages restent prospectifs et pour l’heure, chacun s’accorde sur le fait que l’université mise davantage sur la formation par apprentissage qui présente de nombreux avantages à court terme : elle assure un retour sur investissement rapide tout en répondant à l’injonction de la professionnalisation des diplômés. L’apprentissage est fortement encouragé par la présidence notamment dans un contexte économique sous tension. Ainsi, la stratégie opportuniste de l’université sur l’apprentissage a un impact sur les pratiques de FC qui se trouvent reléguées au second plan. Dès lors, la stratégie « top down » de l’établissement en matière de FC reste très prudente, sinon absente. Nous allons poursuivre l’analyse de ces dynamiques organisationnelles internes avec la direction de la FC.

5. Discussion

5.1. Une stratégie « discrète »

102 Les implications et pratiques des acteurs impliqués dans la FC dans cet établissement sont donc disparates entre les enseignants-chercheurs mais aussi entre les composantes. Par ailleurs, elles ne sont pas débattues dans les espaces stratégiques de l’université. Certains enseignants-chercheurs s’engagent dans la FC par conviction, que cela fait partie de la mission publique de l’université de contribuer à la FTLV, tandis que d’autres créent des formations certifiantes à la demande d’entreprises privées pour répondre à la demande socio-économique et/ou par intérêt intellectuel et/ou par nécessité de diversifier les sources de financement de leurs composantes. Or ces représentations divergentes ne s’affrontent pas directement, elles cohabitent au sein de la même organisation sans vraiment se rencontrer, en particulier dans les instances où elles ne font pas l’objet de délibérations ni d’arbitrages. Finalement la diversité des pratiques FC est le fruit d’une agrégation de « stratégies » (Crozier et Friedberg, 1977) individuelles, fonctions de la « position » (Boudon, 2003) des acteurs – administratifs ou universitaires – dans leur contexte d’action local (métier, discipline, fonction…) ou dans leur carrière. Il s’ensuit que la FC est un agencement de pratiques protéiformes, qui s’incarnent dans un enchevêtrement de dispositifs institutionnels (VAE, contrats de professionnalisation, DU, etc.) mal articulés les uns aux autres.

103 Or ces pratiques sont largement déconnectées (Mintzberg et Waters, 1985), elles ne sont pas issues de routines ou d’actions quotidiennes (Jarzabowski et Sillince, 2007) et peinent à coaguler en une stratégie d’établissement cohérente. C’est pourquoi il nous semble plus juste de qualifier ces accumulations de pratiques comme une stratégie de « discrète » se positionnant entre les stratégies comme pratique et « émergente » (Hardy et al., 1983). Le terme « discret » renvoie à trois caractéristiques qui émergent des résultats. Premièrement, les pratiques de la FC sont largement invisibles. Les différents acteurs de l’université qui revendiquent contribuer à l’activité FC s’y engagent de manière isolée et ignorent leurs initiatives respectives ; les responsables de la gouvernance eux-mêmes méconnaissent souvent ces activités dispersées. En second lieu, l’activité est développée par une poignée d’acteurs qui s’y investissent de manière ponctuelle et moins importante que dans le reste de leurs activités, y compris la formation en apprentissage. Mais cela reste de la stratégie puisque les acteurs vont suivre une stratégie « individuelle » (Mintzberg, 1985). Troisièmement, le discours stratégique sur la FC est lui-même discret : il est peu affiché dans les documents institutionnels, il est quasiment absent des débats et décisions des instances de l’établissement, il n’apparaît que ponctuellement, à l’occasion de démarches de labellisation ou de réponse à des appels à projets compétitifs. Par ailleurs, la direction FC n’a pas de poids politique pour porter des projets au contraire d’autres directions plus régaliens dans l’université.

104 Nous proposons ici une comparaison de la strategy as practice comme cadre d’analyse et de la stratégie discrète par rapport à ces trois caractéristiques issues des résultats (tableau 2).

5.2. Implications managériales

105 La mise à jour de cette stratégie discrète suggère au moins deux implications managériales qu’il convient de souligner pour toute université désireuse de s’engager dans une démarche stratégique de développement de ses activités de FC.

106 D’abord, notre étude montre que les enseignants-chercheurs sont les principales chevilles ouvrières de la FC. Ils sont cependant surchargés et parviennent difficilement à concilier leur cœur de mission et le développement de leur carrière avec un investissement au long cours dans des activités de FC. Plusieurs voies d’action sont envisageables : la valorisation de la FC auprès des enseignants-chercheurs titulaires par des mécanismes incitatifs par exemple en augmentant le taux horaire FC en fonction de l’implication, en proposant des décharges pour les enseignants-chercheurs qui développent de la FC avec les entreprises afin qu’ils aient du temps pour construire les formations. Cela peut également passer par une communication plus large des activités de FC dans l’université en interne et externe (avec des postes marketing et communication par exemple) ; le recrutement d’enseignants dédiés à la FC (développement de partenariats et d’enseignements adaptés à ces publics) sur des supports contractuels ou fonctionnaires qui pourraient être financés sur les ressources dégagées par cette activité (Germinet, 2015).

Tableau 2

Comparaison SaP et stratégie discrète

Strategy as practiceStratégie « discrète » en FC
Visibilité / invisibilité des pratiquesVisiblesInvisibles
Qui sont les praticiens ?Praticiens sont les dirigeants, managers ou expertsPraticiens sont quelques experts
Discours en cohérence avec les actesParfoisRarement
Réappropriation par le centralRéappropriationRéappropriation formelle pour remonter les chiffres au ministère

Comparaison SaP et stratégie discrète

Source : les auteurs

107 Une autre voie, complémentaire, consisterait à ancrer la FC dans des pratiques d’ores et déjà valorisées par les enseignants-chercheurs : leurs activités de recherche et les formations en alternance. Il semble ainsi opportun de ne pas considérer la FC, l’apprentissage et la recherche comme des missions étanches mais au contraire de les envisager en synergie. Par exemple, dans l’étude, l’université développe beaucoup l’apprentissage. L’apprentissage créé des liens entre les enseignants-chercheurs et les entreprises. Ce lien pourrait être mis à contribution pour proposer aux entreprises de la FC pour leurs salariés dans le cadre du plan de développement des compétences ou bien des partenariats recherche sur des problématiques bien spécifiques. L’université a tendance à se contenter de répondre aux besoins à court terme de l’entreprise mais ne va pas au-delà en anticipant des besoins sur le plus long terme. Ces synergies entre la FA, la recherche et la FC permettraient tout à la fois de maîtriser la contrainte du temps maintes fois mentionnée dans les entretiens tout en démultipliant les opportunités. Cela passe également par une connaissance plus fine des différentes FC possibles dans l’université. Le schéma que nous proposons (cf. Figure 2) nous semble être une première étape pour faire connaître les différentes possibilités de FC. Bien entendu, la seconde étape serait d’aborder les différents dispositifs possibles en fonction des différents styles de FC.

108 La seconde implication serait que la direction FC vienne en appui aux enseignants-chercheurs et valoriser les pratiques existantes plutôt que de proposer une stratégie parallèle déconnectée. Une piste serait que ce service central s’engage dans la création d’une communauté d’enseignants-chercheurs et administratifs impliqués dans la FC afin de partager et de valoriser leurs pratiques auprès de la présidence de l’université et de l’ensemble de la communauté universitaire. Cette communauté s’organiserait autour de la direction FC avec éventuellement le VP qui co-construirait des projets FC. L’objectif serait d’échanger sur la faisabilité des projets et l’échange des bonnes pratiques entre pairs sur le domaine de la FC permettant la valorisation des expériences des enseignants-chercheurs. Cette dynamique d’échange romprait le sentiment d’isolement des enseignants-chercheurs et le caractère interpersonnel et fragile de leurs liens avec le monde socio-économique. Leurs initiatives seraient soutenues, ce qui constitue une condition essentielle à la motivation des académiques dans la FC (Wilkesmann et Voberg, 2021). En retour, cette communauté apporterait à la direction FC et à la présidence une meilleure visibilité des pratiques permettant un discours plus en cohérence avec les actes et une meilleure réappropriation par le politique.

Conclusion

109 La FC a du mal à trouver sa place dans l’université française. Bien que les traditions et structures institutionnelles spécifiques à la France soient convoquées comme principaux facteurs explicatifs de cette situation (Dayan, 2019), des études sur d’autres pays en Europe (Volles, 2019) parviennent à une conclusion convergente à la nôtre : cette « troisième mission » ne parvient pas à se développer en dépit des pressions exercées par l’environnement institutionnel des universités aux niveaux européen et national. En s’appuyant sur la SaP, l’étude de cas montre que les spécificités organisationnelles des universités conduisent à une multitude de pratiques FC peu coordonnées, peu consensuelles, peu pérennes, qui peinent à se transformer en une véritable stratégie d’établissement, que nous avons pu qualifier de « discrète ».

110 L’article présente une étude qui reste néanmoins exploratoire. La principale proposition théorique de ce papier est que les différentes pratiques FC constituent une stratégie discrète plus qu’émergente. Au regard de ce résultat dans une université que l’on situe dans la moyenne des universités françaises en matière de développement de la FC, il convient de mettre à l’épreuve nos conclusions dans d’autres universités qui affichent elles aussi une stratégie de FC mais surtout dans des contextes universitaires qui sont différents. Aussi serait-il intéressant d’étudier des établissements plus petits, plus centralisés et/ou plus ancrés dans leurs territoires locaux pour voir si leur stratégie est plus affirmée et si des stratégies d’établissement émergent de pratiques de FC. Par ailleurs, il conviendra de comparer de manière plus systématique différents secteurs de formation afin de caractériser plus finement les pratiques de FC existantes dans les différentes disciplines.

111 Une telle recherche au croisement de la stratégie et de la théorie des organisations est nécessaire pour mieux comprendre les difficultés qu’ont les universités à développer l’activité de formation continue, mais aussi plus généralement à analyser de manière renouvelée la pratique de la stratégie dans les organisations pluralistes.


Annexe 1. Extraits d’entretiens illustrant l’analyse (1/4)

ThèmeSous-thèmesÉléments marquants des répondants
Importance du tempsLe développement des partenariats prend du temps
Beaucoup de temps pour monter une formation FC
Manque de temps des enseignants-chercheurs pour développer la FC
Temps pris sur la recherche
« Ben déjà ils [les enseignants] sont en surcharge. Ils font 1 fois, 2 fois, même parfois 2 fois et demie leurs heures. Donc voilà donc, c’est en fait, c’est pas une histoire de personnel hein, c’est une histoire de qui fait quoi aussi. » (R9)
« Si tu veux prendre du temps, Ben en fait c’est sur la partie recherche que tu vas un petit peu grignoter donc c’est pour ça qu’il y a très très peu de gens. » (R1)
« Enfin, je sais que l’année dernière j’en ai fait une trentaine donc ça, ça représente quand même du travail qui prend sur la partie recherche parce que quand il y a quelque chose qui pâtit des activités, c’est souvent la partie recherche parce que le bah, le l’enseignement, on est tenu de faire un certain nombre d’heures. Voilà donc on va prendre, on va prendre plutôt sur la partie recherche, du temps sur cette partie-là. » (R2)
« [Sur les raisons de la complexité à développer la FC] [rires] Alors, Ben […] C’est justement le manque, finalement, de temps pour tout le monde. » (R11)
Divergences des perceptions stratégiques Différentes visions de la stratégie FC
Stratégie court termiste
Manque voire absence de stratégie FC à l’université
« Je la connais pas, si elle en a une ! [stratégie de FC à l’université] » (R10)
« Donc… mais non, le problème, c’est qu’il y a pas de stratégie, y a et enfin… C’est pas seulement le cas à l’université A, je pense que c’est le cas dans la plupart des universités françaises. » (R6)
« Ça demande du temps. Et la pérennisation demande du temps aussi. Et aujourd’hui l’argent, il le faut tout de suite. Donc, et si c’est pas tout de suite, on laisse tomber. C’est un peu ce que je disais tout à l’heure, c’est la, c’est la théorie, enfin, c’est la, c’est la stratégie du court terme, voilà. Donc, mais c’est un peu aussi la stratégie de la terre brûlée. Parce que si on pratique comme ça, après il n’y a plus rien pour les projets qui sont plus longs […] » (R9)
Priorisation de l’apprentissageLa FC n’est pas une priorité
Priorité de l’apprentissage
Recettes plus importantes de la FA par rapport à la FC
Mise en place de l’alternance est plus simple
L’apprentissage comme stimulateur de FC
« Donc, on a, on a plutôt développé la partie apprentissage et alternance même si les contrats pro sont en voie de disparition parce que du coup c’était le plus simple. On adosse… Ce sont des étudiants, on met une année, deux ans en alternance donc c’est plus facile à mettre en œuvre parce qu’il y a juste le rythme adapté et un peu là un peu le contenu pédagogique mais ça reste quand même plus facile pour les enseignants. » (R7)
« Je suis pas sûr que ce soit un levier de croissance des universités la FC. Donc, c’est très coûteux, y compris administrativement. Coûteux humainement, enfin, coûteux en pour les enseignants et tout ça en montage et… Et donc à un moment quand il faut faire des arbitrages, je pense que l’arbitrage sera en faveur de la FA et pas de la FC quoi. » (R8)
« Aujourd’hui, y a des universités dans lesquels la formation continue, pour prendre le terme global, où c’est pas une priorité et où ok bah on fait de la formation continue parce qu’il faut en faire un peu. » (R0)
Dimension financière et concurrentielle L’université peut difficilement concurrencer les organismes privés
Nécessité d’un équilibre financier des formations
« On a un ensemble de ressources qui sont mobilisées au sein de la direction de la formation continue pour la FA et la FC. À un moment, il va falloir se poser la question du retour sur investissement de toutes ces ressources. Et… De l’équilibre entre les ressources qui sont mises sur la FA et les ressources qui sont mises sur la FC quoi. Et de façon très objective, voir s’il faut à des réajustements, des rebalancements, des redéploiements. » (R8)
« Après, comme j’ai dit, on ne peut pas aller tout faire non plus parce qu’on voit bien que les catalogues de Demos ou Cegos sont… Des catalogues pléthoriques avec des formations qui sont très courtes, bon marché et donc on n’a pas de plus-value, à être, nous université à être, à vouloir être concurrence sur ce genre de de créneau. » (R7)
Multiplicité des motivationsMotivation intellectuelle pour les enseignants
Motivation financière pour les enseignants
Dimension passionnelle de la FC
Implication individuelle dans la FC sans obligations
« Donc y a une… Enfin, une richesse d’échange qui est vachement plus intéressante que que que ce qu’on peut retrouver avec avec des étudiants qui forcément prennent un peu la connaissance comme ça, écoutent gentiment mais n’ont pas vraiment de question parce qu’ils sont pas capables d’accrocher de l’expérience professionnelle ou de l’expérience personnelle même. » (R7)
« Alors moi ce qui m’incite à le faire en fait, je me dis que bah tout, tout le monde enfin en fait, tout le monde ne peut pas, entre guillemets, réussir dans son parcours de formation et qu’en fait y a y a pas qu’une seule voie pour arriver à un endroit et y a des gens, effectivement, Ben ça peut être une formation très généraliste […]. » (R1)
« Enseigner et former et organiser des formations pour des publics FC, je trouve ça hyper valorisant en fait, à plusieurs enseignes. D’abord parce que c’est une façon de de dire que l’université a des choses à apporter de façon constante. Pas juste on forme la base, on leur donne les trucs de base et après le reste, c’est en entreprise qu’ils vont apprendre. Mais non que, y compris pour enrichir ce qui se fait en entreprise, ça soit enfin là pour le coup avec l’IUT, il y avait aussi de ça, que ça soit sur du secondaire, de la, de la création de d’enfin d’oui, d’outils, de techniques de point de vue industriel d’un point de vue… On a des choses à apporter tout au long de du de l’activité. » (R5)
Importance des relations en interne et en externe Importance de la dimension interpersonnelle dans le partenariat
Peu d’échanges entre le service de formation continue et les composantes
« C’est de l’interpersonnel, il faut aller les chercher les partenariats, faut aller parler avec les gens, faut connaître, faut faire marcher les réseaux aussi entre collègues. Et et ça se fait, ouais, ça se fait vraiment comme ça. » (R5)
« […] J’ai toujours le sentiment que la direction de la FC se vivait de façon très autonome dans l’université. Et surtout très autonome du politique. » (R8)
« Donc ce qu’on disait tout à l’heure avec la création, à la demande du directeur [de la FC], de créer un catalogue qui soit hors… C’est un catalogue hors-sol, on est clair, hein. Ni les composantes, ni les responsables de diplôme, personne n’a été consulté pour la création de ce catalogue. » (R9)
« On a vraiment l’impression que c’est un c’est un service [la formation continue] qui est à part de de de l’université, enfin de de d’enfin d’une des composantes je dirais. On a vraiment l’impression que c’est un truc vraiment très décentralisé. » (R1)
Diversité des formes de FCMontages entre la FC et la VAE
Complexité à maintenir des groupes dédiés FC sur du diplômant
Volonté de développement de modules FC qualifiants
« […] Si tu prends en 450 heures de cours, y a une VAE partielle qui fait qui n’ont plus que 210 heures à assurer. Enfin, ils ont plus que 210 heures à suivre les les collaborateurs de la banque, 170 en présentiel et de 40 heures en distanciel. Donc, une sorte un peu de FC hybride qui mélange de la VAE partielle avec du complément de cours quoi. » (R10)
« Donc, la plus-value de l’université c’est de faire du module qualifiant sur des niveaux plus élevés, sur, en lien avec la recherche, en lien avec des choses plutôt liées au master. Et là on s’aperçoit que du coup, le public, la cible, la cible est beaucoup plus petite donc c’est beaucoup plus compliqué de faire des modules dans ces dans ces domaines-là. » (R7)
Importance de la valeur diplôme Risque d’appropriation des diplômes par les acteurs extérieurs
La VAE perçue comme un dispositif qui « brade » les diplômes
Attractivité du diplôme
« Et je l’ai encore entendu y a pas longtemps [dans le cadre de la VAE]. Donc, de là à dire “on va donner”, j’y mets plein de guillemets parce qu’on voit pas mon geste, “des diplômes à des gens juste parce qu’ils ont fait un dossier et juste parce qu’ils auront une expérience”, et c’est très ironique hein, la façon dont je le dis. » (R5)
« En fait, pour beaucoup de gens, [la VAE] c’est je viens, je donne mon CV et donnez-moi le diplôme et c’est tout. Donc non, la VAE est très, très mal vue. » (R1)
« Il y a des sensibilités politiques, ouais, sensibilité politique. Puis, oui il trouve que voilà, il trouve que dès qu’on sort, on va dire du format classique pour lui on brade le diplôme. » (R10)
Liens université et monde socio-économiqueImportance du lien avec le monde socio-économique
Peu de communication vers l’externe sur les labels qualité détenus par les universités
La FC perçue comme un marché
« On arrive souvent, quand on arrive dans des entreprises, parfois ils nous parlent, ils disent “Ah oui, mais je fais déjà des choses avec des gens de l’université. Il me semble machin, bidule”. On est même pas au courant, donc on a l’air un peu ridicule, y compris sur la partie recherche, parfois, avec des bourses CIFRES qui existent et on n’est pas au courant. » (R7)
« Mais voilà, encore une fois, c’est l’interpersonnel. Et si malheureusement t’as une personne qui change dans l’organigramme, bah parfois ça peut faire effondrer le truc parce que tu retrouves pas son homologue ou il pense pas à te dire “Bah tiens, je suis remplacé par machin. Et et là, le partenariat avec des guillemets s’arrête hein. » (R5)
« Et puis, et aussi les partenariats lorsqu’ils sont aussi généraux, Eh bah ça suppose de les entretenir, il y a le turnover au niveau des responsables qui est compliqué. Je sais pas en… En 10 ans de licence, on a connu v 6 responsables différents parce que c’est compliqué à gérer. » (R9)
« Et il y a aussi… Toute une… Une veille socio-économique pour avoir à la fois des commandes d’entreprise, donc du sur-mesure et aussi pour construire à la marge des formations dédiées, pas sur mesure, donc pas par rapport à une commande entreprise, mais des formations où on se dit “là, c’est une niche, faudrait qu’on ouvre ça”. Mais derrière c’est une bonne étude de faisabilité avec un réseau, évidemment, inscrire au répertoire spécifique enfin au RNCP mais bon plutôt répertoire spécifique. Et puis avoir quelqu’un qui fait du, du commercial et du marketing, enfin, ça c’est évident. » (R6)
Oppositions relatives à la FC Pas d’oppositions explicites à la FC
Opposition de certains EC à la FC
La FC n’est pas valorisé dans la carrière de l’EC
Pas de consensus pour la définition de la FC
Lourdeurs administratives de l’université et des financeurs
« Ça pourrait hein mais… et ça c’est fait… voilà, là, c’est la lourdeur. Et une fois que je t’explique cette lourdeur au niveau de l’université A, il y a la lourdeur au niveau des financeurs parce qu’on va avoir 11 OPCO, donc 11 plateformes. On va avoir transition pro, tu vas avoir transition pro Île-de-France, transition pro… Enfin, t’as des transitions pro par région donc selon le lieu d’habitation de la personne bah tu peux avoir un autre transition pro donc encore une autre plateforme. L’ANFH, bon y a pas de plateforme mais c’est encore d’autres process. Le CPF, c’est encore d’autres process. Pôle emploi, c’est encore d’autres process. C’est que voilà y a aucune interaction entre toutes ces plateformes. Et donc ça demande quand même, alors c’est pas une expertise mais ça demande de de savoir coordonner l’utilisation de toutes ces plateformes et c’est très lourd en fait. » (R4)
« Ça serait plus simple si c’était plus simple, je veux dire, ça serait mieux si les procédures [en formation continue] étaient un peu plus légères. » (R3)
« Ils [les enseignants-chercheurs] sont valorisés sur des publications, ils sont valorisés sur des responsabilités qui peuvent prendre. Mais tant que je pense aussi que dans l’avancement des enseignants-chercheurs, on prend pas ça [la FC] en compte, ils ne feront pas. » (R13)
« C’était que un groupe exclusivement en formation continue avec soit des adultes en recherche d’emploi ou en en cifre et c’était que des FC, c’était vraiment du 100 % la la vraie FC, pas de la FC contrat pro quoi. » (R10)
« Ben les réticences, les… enfin justement ceux qui répondent pas, qui gèrent les dossiers, qui qu’il faut appeler 15 fois pour dire, “faudrait répondre à Monsieur machin. C’est comme ça qu’on se rend compte qu’ils en ont rien à faire que tant que ça rentre pas dans le petit truc bien facile du Bachelier ou du BTS ou du DUT, dès que c’est quelqu’un où ben il faut aller regarder dans ses expériences, faut lire entre les lignes. » (R3)
* p < 0.05 ** 0 exclu de l’intervalle LLCI et ULCI

Annexe 2. Guide d’entretien

  • Questions introductives
    1. Pour commencer, pourriez-vous me présenter votre (vos) fonction(s) à l’université ?
    2. Comment avez-vous commencé à être « en contact » avec la FC ?
    3. Pouvez-vous me raconter comment vous êtes arrivé à faire de la formation continue ? Votre département/UFR vous a-t-il encouragé dans cette direction ?
  • Questions principales
    1. Comment voyez-vous l’évolution de la formation continue dans les universités ?
    2. Comment s’organise la formation continue dans l’université ?
    3. Comment développez-vous la FC dans l’université ?
    4. Quelle est la stratégie de l’université sur la formation continue ? Se combine-t-elle avec une stratégie plus globale ?
    5. Comment la stratégie de formation continue de l’université est-elle mise en action ?
    6. Pouvez-vous me raconter une opération de formation continue réussie que vous avez mise en place ?
    7. Est-ce que la FC est une priorité pour les enseignants et enseignants chercheurs ?
    8. Quelles difficultés éventuelles rencontrez-vous dans les activités de formation continue ?
  • Questions de fermeture
    1. Que pensez-vous de la manière dont votre université développe et gère la formation continue ? Que faudrait-il selon vous améliorer ?
    2. Aujourd’hui, diriez-vous que l’environnement institutionnel encourage les universités à développer la formation continue ?
    3. Y a-t-il au contraire des évolutions institutionnelles défavorables au développement de la FC ?

Bibliographie

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Mots-clés éditeurs : Stratégie émergente, Strategy as Practice, Université, Stratégie, Formation continue

Mise en ligne 14/06/2024

https://doi.org/10.3917/gmp.122.0011

Notes

  • [1]
    Nous utilisons le terme d’enseignants-chercheurs pour faciliter la lecture mais nous entendons par ce terme aussi les enseignants du second degré, les enseignants-chercheurs associés et des enseignants en CDI.
  • [2]
    Ce chiffre et les suivants sont issus de données de l’université et du site gouvernemental [URL : https://data.esr.gouv.fr].
  • [3]
    Ces pratiques coïncident avec l’obligation légale des médecins de se former tout au long de la vie selon l’article R.4127-11 du code de la santé : « Tout médecin entretient et perfectionne ses connaissances dans le respect de son obligation de développement professionnel continu ».
  • [4]
    Il s’agit de démarche VAE pour les salariés d’une entreprise qui souhaitent valider le même diplôme.
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