Couverture de GMP_083

Article de revue

L’évolution du contrôle de gestion dans le secteur public de distribution d’eau en contexte post-soviétique. Une approche par les parties prenantes

Pages 47 à 72

Notes

  • [1]
    Territoire historiquement roumain, la Moldavie a connu une forte « colonisation slave » : entre 1812 – 1918 sous l’Empire Russe (entre 1918-1940 et 1941-1944 faisant partie de la Roumanie) et après 1944 quand elle a été annexée par l’URSS. Indépendante depuis 1991, la Moldavie n’a pas achevé le processus de transition et le succès des réformes reste discutable.
  • [2]
    Département financier et de Planification : élabore les plans financiers et répartit les limites du personnel administratif et la masse salariale ; élabore avec les autres départements du ministère les plans de production mensuels, trimestriels, annuels et de « perspective (pluriannuels) », des plans de construction et rénovation des logements et des infrastructures et reçoit le suivi de l’exécution des plans. Il gère l’élaboration du reporting statistique. (Source : FR 3002-1).
  • [3]
    Direction des entreprises communales : gère l’activité de production des réseaux communaux d’eau, bains publics, transports électriques, services funéraires, usines de réparations et mécaniques ; contrôle l’exécution des investissements du plan de toutes ces entreprises. (Source : FR 3002-1).
  • [4]
    Fonds d’archives FR 3002, 5, 457, Ministère des Services communaux de la RSS Moldave, Département Financier et de Planification, année 1971.

Introduction

1Basée sur une logique de quasi-gratuité durant la période soviétique, l’eau est devenue dans certaines républiques issues de l’ex-URSS un enjeu politique de grande importance. Après la chute du mur de Berlin, le tarif de l’eau augmente progressivement. Cette tarification de la ressource « vendue » au client final combinée avec la vétusté des infrastructures surcapacitaires constitue un défi organisationnel pour les réseaux d’eau dans un contexte de pénurie des ressources financières propres aux Pays de l’Europe de l’Est en transition. Durant la période soviétique, ces pays ont subi un système économique centralisé, visant à déployer dans toutes les entreprises l’idéologie et la stratégie du Parti Communiste. Les changements induits par la chute de l’URSS devraient se traduire aujourd’hui par une transformation des méthodes de gestion dans toutes les organisations publiques, y compris celles gérant les réseaux d’eau.

2Cette recherche prend racine dans le pilotage des réseaux d’eau et dans l’application des techniques de contrôle de gestion associées. Ce papier vise à analyser le type d’outils de contrôle de gestion utilisés pour piloter sous contraintes financières les activités opérationnelles et industrielles dans un contexte de gestion publique particulier. Notre recherche se propose ainsi de contribuer à la connaissance en contrôle de gestion public dans les pays post-soviétiques, un terrain fécond et relativement peu étudié (Paladi et Fenies, 2018).

3Ce papier s’inscrit dans une démarche historique visant à retracer l’évolution du contrôle de gestion dans une ancienne entreprise publique soviétique de Moldavie lors de la transition du système planifié vers l’économie de marché. En mobilisant une approche mêlant les Parties Prenantes (PP) et les logiques institutionnelles, nous analysons si un Système de contrôle de gestion (SCG) (concept renvoyant à Anthony, 1988 ; Bouquin, 2010) est utilisé par les sociétés de gestion de l’eau en Moldavie et comment l’émergence de nouvelles PP façonne les SCG et leur usage.

4Deux questions sont sous-jacentes à l’étude réalisée :

  • La première est de savoir s’il existe un SCG dans les sociétés publiques de gestion de l’eau dans les anciennes républiques soviétiques et comment il évolue au cours de la transition ;
  • La deuxième est de savoir si les SCG sont utilisables à des fins de pilotage de performance en contexte de rareté des ressources financières ou répondent uniquement à un reporting formel exigé par les PP (autorités de tutelles, organismes financiers).

5Dans la suite de ce papier, nous contextualisons notre recherche avant de proposer le cadre conceptuel et le design de recherche. Nous détaillons ensuite l’étude du macro-environnement de la société publique Moldwater et analysons en parallèle l’évolution du SCG de cette société pendant la période soviétique et les deux étapes de transition économique. La dernière partie discute des résultats de notre recherche.

1 – Étude du contexte

6Le management des réseaux d’eau constitue un enjeu majeur de gestion publique et de nombreux articles traitent de son importance d’un point de vue géopolitique (Baron, 2007) comme économique (Le Lannier et Porcher, 2012). Pour analyser le contexte de notre recherche, nous caractérisons d’abord la notion de supply chain de l’eau (water supply chain – WSC) et présentons les différents modes de régulation associés dans un contexte global et dans le contexte « local » post-soviétique. Nous réalisons une brève revue sur le contrôle de gestion dans les économies post-soviétiques dans les organisations publiques comme privées.

1.1 – Management public de la supply chain de l’eau

7Par analogie avec les supply chains (Fenies, 2010), nous définissions une WSC comme une coalition d’organisations autonomes dans laquelle une firme pivot coordonne les activités d’un processus logistique intégré assurant au client final la fourniture d’eau. Ce processus est constitué par les macro-activités de production, distribution et récupération de l’eau. Chaque activité peut être réalisée de manière indépendante, autonome ou coordonnée. De nombreuses études ont analysé, via des méthodes économétriques et de benchmarking, l’efficacité relative de WSC selon qu’elles soient gérées de manière publique ou privée, dans les pays développés comme dans les pays en développement (Boston Consulting Group, 2007). Les résultats montrent qu’il n’y a pas de consensus dans la littérature quant au type de gestion (public / privé / mixte) le plus efficace dans les WSC, mais il semble ressortir un cycle de formation des WSC :

  • La construction de la WSC est assumée par les autorités publiques ;
  • La distribution est assurée, suivant les cas, par un opérateur public ou privée ;
  • Lorsque les réseaux sont obsolescents interviennent alors les multinationales de l’eau qui profitent de ce « moment douloureux » pour prendre « possession » de la WSC d’une grande cité, que cette cité soit dans un pays émergent ou dans un pays développé. Cette prise de pouvoir se fait par des privatisations ou par le recours à des concessions, en arguant de la vétusté du réseau pour en prendre possession de manière provisoire ou durable et en jouant sur l’impact de la rénovation sur les finances publiques de la collectivité concernée ;
  • Après le passage des multinationales de l’eau, pour des raisons dogmatiques ou pragmatiques, les pouvoirs publics essaient, dans de nombreux cas, de récupérer la gestion de leur WSC.

8Les WSC soviétiques, en raison de la gratuité « historique » de l’eau pour le citoyen ont échappé à ce cycle de formation et sont aujourd’hui exclusivement dans le giron public. Notons enfin qu’à notre connaissance, aucune étude portant sur le contrôle de gestion n’a été réalisée sur les services de l’eau dans les anciennes républiques soviétiques, que ce soit d’un point de vue efficacité du réseau d’eau ou efficacité des techniques de contrôle de gestion.

9Caractérisée par l’absence de la propriété privée, la gestion des entreprises dans l’économie planifiée, et donc des WSC, relève du domaine du management public, mais avec des traits particuliers dus à la planification centralisée (plan impératif, stratégie et objectifs définis par les planificateurs et déployés au niveau de toutes les entreprises d’État, qui sont soumises ensuite à de nombreux contrôles, mesure de la performance principalement par des indicateurs volumiques, forte orientation production, etc.). Les reformes de la transition contribuent à la diffusion de nouvelles approches managériales dans les entreprises publiques et privées. Cependant, en contexte post-soviétique, les tentatives de mise en place d’une nouvelle forme de gestion publique basée sur la culture du résultat et des pratiques et outils issus du privé, dans l’esprit du New Public Management (NPM) (Chappoz et Pupion, 2012) montrent des résultats contrastés. Par exemple, l’étude de Khodachek et Timochenko (2014) constate que les reformes ont mené à une forme hybride de système budgétaire du gouvernement russe, influencée par les idées du NPM, mais également par les idées encrées dans le passé russe, ainsi que par une rhétorique forte des responsables russes visant à renforcer l’image de la Russie en tant qu’acteur souverain et indépendant moderne. Monobayeva et Howard (2015) soulignent également les limites des réformes inspirées par le NPM, liées à l’héritage des pratiques administratives soviétiques et à une tendance de mise en œuvre superficielle de ces réformes.

1.2 – Le contrôle de gestion dans les organisations publiques et privées dans les PECO

10L’effondrement du bloc communiste dans les pays de l’Europe Centrale et Orientale (PECO) appelle depuis plus de 20 ans à une redéfinition de l’entreprise dans ces pays et la mise en place des méthodes de gestion « occidentales ». Au cours des dernières décennies, la recherche en Russie comme dans les pays en transition économique a été principalement axée sur les aspects macroéconomiques et la comptabilité financière, peu d’auteurs analysant l’utilisation de la comptabilité dans la gestion interne des organisations (Moilanen, 2008). L’accès difficile aux données et la réticence des managers à fournir de l’information contribuent également à ce manque de connaissances (Riskal, 2009). En outre, le contrôle de gestion n’est pas encore reconnu en tant que discipline académique indépendante dans la majorité des pays ex-soviétiques, faisant partie de la comptabilité.

11Les recherches sur le contrôle de gestion restent peu nombreuses au regard des pays développés qui font l’objet d’une littérature beaucoup plus riche (Nobre et Riskal, 2003 ; Kallunki et al., 2008 ; Rejc et Zaman, 2012). Le passé communiste explique le retard de ces pays en matière de recherche et des pratiques de contrôle de gestion. Comme le soulignent Pankov et Bailey (1998), le concept occidental de contrôle de gestion serait incompatible avec l’idée de l’économie centralement planifiée et le contrôle de gestion n’existerait pas dans l’ex-Union Soviétique (Moilanen, 2008), même si des outils proches étaient mis en œuvre (Plans, budgets, calculs d’écarts et système de comptabilité analytique…).

12L’étude de Paladi et Fenies (2018) montre que le plus souvent les travaux qui traitent du contrôle de gestion dans les pays soviétiques ne portent pas sur les organisations publiques et sont principalement basés sur des recherches-actions qui répondent aux besoins particuliers des entreprises, mais fournissent des résultats moins généralisables. Notons qu’à notre connaissance, seule une recherche traite du contrôle de gestion dans les organisations publiques en contexte post-communiste : Sinković et al. (2011) s’intéressent à l’utilisation du Balanced Scorecard dans une entreprise publique en Croatie. Leur étude identifie plusieurs obstacles quant à l’usage du Balanced Scorecard : style autocratique de management, système de rémunération non lié aux performances, absence de planification stratégique, manque d’intérêt pour la satisfaction client, auxquelles s’ajoutent les barrières culturelles : bureaucratie politisée, corruption et manque de volonté politique. Par conséquent, nos connaissances sur le contrôle de gestion dans les PECO ex-communistes, notamment en organisations publiques, sont très limitées.

13Dans le cadre de cette recherche, nous nous concentrons sur la Moldavie [1], une petite ex-République soviétique, ouverte aux idées occidentales et aux aspirations pro-européennes, et présentant en même temps de nombreuses particularités du processus de transition (mentalités changeantes, institutions défaillantes, corruption, manque de connaissances sur les techniques modernes de gestion, contexte culturel spécifique influencé par les cultures roumaine et russe et la période communiste, etc.).

14Le terme contrôle de gestion n’est apparu que récemment (en 2013) dans les recherches moldaves. Les entreprises appliquent peu d’outils de comptabilité de gestion, généralement liés au calcul de coût de production. Les méthodes traditionnelles de calcul de coûts utilisées ne répondent pas aux besoins de gestion, servant seulement au calcul des coûts et sans assurer leur analyse, contrôle et pilotage (Mihaila, 2013). De plus, elles ne sont pas liées avec la stratégie et les performances des organisations. D’autres thèses (Țugulschi, 2013 ; Bajan, 2015) font également ressortir que les méthodes traditionnelles de calcul des coûts utilisées par les entreprises de Moldavie ne fournissent pas les informations nécessaires à la prise de décision. Ainsi, les pratiques de contrôle sont à l’étape embryonnaire.

15En conclusion de cette partie notons que :

  • les pays soviétiques constituent un champ dans lequel le contrôle de gestion est peu étudié ;
  • lorsque le contrôle de gestion et ses outils sont étudiés, c’est rarement dans le champ du management public ; pour de nombreux auteurs, le contrôle de gestion n’existait pas avant 1991 (nous expliquerons notre désaccord avec ce point dans la partie résultats) ;
  • la Moldavie représente un véritable « laboratoire de transition » qui permet de comprendre la transformation du contrôle de gestion dans l’ensemble du « monde post-soviétique ».

2 – Design de recherche et cadre théorique

16Les anciennes républiques soviétiques partagent un passé commun dans le domaine économique et social. Ainsi, l’étude d’un pays anciennement soviétique contribue à la compréhension des situations passées et actuelles dans les autres républiques (Alexander et Ghedrovici, 2013). C’est dans cet esprit que nous souhaitons utiliser le contexte de la Moldavie afin de comprendre l’évolution du contrôle de gestion dans les firmes publiques anciennement soviétiques. Nous bâtissons notre réflexion à l’aide de constats nourris par l’expérience d’un des auteurs du papier qui a travaillé en banque d’affaires en Moldavie, au contact d’entreprises autrefois soviétiques. Dans ces entreprises, le système centralement planifié s’est traduit par la mise en place des SCG identiques et l’émergence de nouveaux outils de contrôle de gestion est apparue chemin faisant vers la fin des années 1990 ; la transition actuelle constitue une époque de reconstruction et de consolidation d’un contrôle de gestion « passerelle » entre les outils issus de l’ancienne URSS et ceux issus du monde occidental.

2.1 – Design de recherche

17Retracer l’histoire du contrôle de gestion dans la période de transition contribuera à une compréhension plus générale des logiques du fonctionnement des entreprises, ainsi que de leur transformation (Labardin, 2017). L’approche historique permettra donc de suivre l’évolution des SCG en les ancrant dans leurs contextes historiques, organisationnels et sociaux et tenant compte de leur substrat idéologique. Pour mettre en évidence cette évolution dans le cadre de notre recherche, nous délimitons trois périodes :

  • 1970-1991 (économie centralisée et planifiée) ;
  • 1991-1998 (transition néolibérale, période des changements radicaux) (Andreff, 2007) ;
  • Après 1998 (transition instituée, accent mis sur les dimensions institutionnelles de la transition) (Andreff, 2007).

18À travers une étude de cas sur une entreprise publique (dans une perspective historique) nous illustrons les principales caractéristiques du SCG dans le système économique planifié et les changements induits par la transition vers l’économie de marché. Nous mettrons au centre de notre réflexion l’émergence de nouvelles PP et leur impact sur le SCG.

19La figure 1 présente le design de recherche et la méthodologie pour les trois périodes. Pour chaque période, nous proposons une analyse du contexte politique, économique et social. Nous considérons que la comptabilité et le contrôle ne sont pas seulement une technique, mais un système technique aux dimensions matérielle, économique, sociale et organisationnelle. Leur histoire ne peut donc être isolée de celle des organisations et du système socio-économique (Colasse, 1988). Par conséquent, les aspects techniques des SCG sont complétés par des considérations sur l’environnement économique, le contexte idéologique/politique et social (Berland, 1999).

Figure 1

Design de recherche selon les périodes historiques

Figure 1

Design de recherche selon les périodes historiques

Figure 2

Histoire de Moldwater

Figure 2

Histoire de Moldwater

20Étude de cas longitudinale. La circonstance rare que constitue la transition économique dans les anciens pays soviétiques justifie la méthodologie d’une analyse longitudinale par étude de cas (Yin, 2009). Un cas longitudinal est un type particulier d’étude de cas et consiste à étudier le même phénomène à différents moments (Yin, 2009). Il peut être défini par trois éléments (Musca, 2006) : les données sont collectées sur au moins deux périodes distinctes, les sujets sont comparables d’une période à l’autre et l’analyse consiste généralement à comparer les données entre différentes périodes ou à retracer l’évolution du phénomène analysé (dans notre cas – le contrôle de gestion). L’étude de cas longitudinale vise à examiner comment les conditions économiques changent au fil du temps (économie centralisée, différentes phases de transition) ; ainsi, les intervalles de temps choisis reflètent les différentes étapes de changement (Yin, 2009).

21L’entreprise analysée, Moldwater, est une société publique de distribution de l’eau de Moldavie. Le premier réseau de distribution de l’eau de la ville analysée, basé sur les eaux souterraines, a été créé en 1892. Le système actuel de distribution d’eau qui utilise les eaux de surface a été créé pendant la période soviétique (les années 60). Comme son activité était subventionnée par le budget public, après la chute du système communiste, l’entreprise a dû surmonter de graves difficultés financières. En 2000 elle a été transformée en société anonyme dont l’actionnaire unique est le Conseil Municipal (avant c’était une Entreprise d’État). Elle emploie 2 100 salariés et gère un réseau de plus de 1 500 km de conduites pour distribuer l’eau potable qui alimente 800 000 habitants.

Cadre d’analyse du Système de Contrôle de Gestion

22Le concept de contrôle de gestion prend naissance chez Anthony (1965), qui le définit comme « le processus par lequel les managers s’assurent que les ressources sont obtenues et utilisées de manière efficace et efficiente pour la réalisation des objectifs de l’organisation » (Anthony, 1965), mais il reviendra plus tard sur sa définition en reliant contrôle de gestion et stratégie : « le contrôle de gestion est le processus par lequel les managers influencent d’autres membres de l’organisation pour mettre en œuvre les stratégies » (Anthony, 1988 ; Anthony et Govindarajan, 2001).

23Pour Simons (1987 ; 1995), le contrôle de gestion comprend « les processus formels et les procédures fondées sur l’information que les managers utilisent pour maintenir ou modifier certaines configurations des activités de l’organisation ». Simons (1995) opère une grande différence entre : d’une part, le contrôle diagnostic, un contrôle réalisé à l’aide de suivi d’indicateurs ayant pour vocation de mettre en avant la performance de l’entreprise et les informations nécessaires aux managers (il s’agit d’un système de reporting classique) ; et d’autre part, le contrôle interactif, qui est constitué par l’interaction des managers avec les opérationnels pour traiter des priorités stratégiques et orienter les décisions. Les deux autres leviers de contrôle de son modèle concernent le système de croyances et le système de barrières. Ce cadre conceptuel est revisité par Tessier et Otley (2012), qui distinguent les intentions de la direction concernant les SCG et les perceptions des employés. Ils se concentrent sur les intentions managériales qui comprennent trois niveaux : 1) types de contrôle (social et technique) 2) objectifs de contrôle (performance ou conformité) regroupés en quatre SCG à deux niveaux organisationnels (opérationnel et stratégique) et 3) usage des contrôles (diagnostic/interactif, rôle habilitant/contraignant récompense/sanction).

24Selon une approche plus récente de Malmi et Brown (2008), les SCG incluent tous les dispositifs utilisés par les managers pour s’assurer que les comportements et les décisions de leurs employés sont conformes aux objectifs et aux stratégies de l’organisation. Ainsi, leur définition du SCG a une portée plus large et la typologie proposée comprend un éventail des types de contrôle qu’ils incluent dans le package des SCG, notamment : la planification, le contrôle cybernétique, le système de récompenses, le contrôle administratif et le contrôle culturel.

25Ferreira et Otley (2009) adoptent eux aussi un cadre élargi, qui permet de définir les SCG grâce aux 12 questions caractérisant leur design et usage.

26On peut donc noter une évolution quant à la définition du contrôle de gestion vers des approches plus larges, qui intègrent à la fois des aspects formels et informels. Considérant que les différents contrôles informels font l’objet d’autres domaines (comme la sociologie, les approches comportementales, la culture d’entreprise…), notre travail met dans le centre de l’analyse les systèmes formels de contrôle de gestion. Nous adoptons la vision de Bromwich et Scapens (2016), selon laquelle seuls les aspects formels rentrent réellement dans la dimension contrôle de gestion.

27Dans la tradition d’Anthony (1988) ou de Bouquin (2010), nous considérons le contrôle de gestion comme un système qui soutient la mise en œuvre ou l’exécution de la stratégie. Il comprend principalement les systèmes de planification, les procédures de suivi et les systèmes de reporting fondés sur l’utilisation de l’information par les gestionnaires (Simons, 1987).

28Nous analysons son évolution selon trois dimensions principales :

  • L’organisation/structure du contrôle de gestion dans les entreprises ;
  • Les acteurs (qui fait du contrôle de gestion, qui s’en sert) ;
  • Les outils du contrôle de gestion – aspects techniques (budgets, reporting, systèmes de calculs des coûts, tableaux de bord/indicateurs de performance).

29Sources d’information (figure 1). Pour conduire cette recherche, nous avons utilisé de multiples sources d’information. Les données primaires ont été recueillies à partir des entretiens semi-structurés d’une durée moyenne d’une heure et demie, avec des banquiers (2 entretiens) et employés de l’entreprise étudiée (Directeur économique – 2 entretiens, ancien économiste – 1 entretien) et des observations faites lors des visites terrain.

30Les données secondaires sont basées sur l’étude des documents d’archives de la période soviétique (5 Fonds de l’Archive Nationale de la République de Moldavie) ainsi que de la littérature d’époque pour l’analyse historique, du cadre législatif de la transition, des documents internes, sites web, documents de presse – pour la période actuelle.

31L’analyse des données a été réalisée avec un codage thématique manuel selon les critères issus de la revue de la littérature en contrôle de gestion et du cadre théorique. Cela nous amène à classifier les données empiriques selon les thèmes principaux suivants :

  • Contexte d’activité ;
  • Influence des PP ;
  • Systèmes de contrôle de gestion :
    • organisation du contrôle de gestion ;
    • Acteurs du contrôle de gestion ;
    • Outils du contrôle de gestion ;
    • Rôle et usage des systèmes de contrôle.

2.2 – Cadre théorique

32Le choix de la théorie des Parties Prenantes comme cadre théorique est basé sur le contexte particulier des anciennes républiques soviétiques. Pendant la période de l’économie centralisée, l’État a été la principale PP. Ce n’est qu’après l’effondrement de l’économie planifiée que les transformations engendrées par la transition vers l’économie de marché ont fait émerger de nouvelles PP qui ont modifié l’environnement organisationnel et le fonctionnement des entreprises. Une approche par les PP souligne l’importance de l’émergence de nouvelles PP dans l’activité des entreprises et permet d’examiner leur influence sur le SCG.

33La théorie des PP indique que les organisations ne sont pas seulement responsables envers leurs actionnaires, mais qu’elles doivent également équilibrer une multiplicité d’intérêts des PP (Freeman, 1984). Cependant, il n’existe pas de consensus quant à la notion de PP (Mercier, 2010), la littérature présente différents attributs permettant d’identifier les PP, allant des définitions très étroites aux définitions générales. Ainsi, Freeman (1984) définit les PP comme « tout groupe ou individu qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs d’une organisation ».

34Les PP peuvent être classées en internes et externes (Carroll et Näsi, 1997) et ont une relation réciproque avec une entreprise puisqu’elles contribuent à la création de valeur de l’entreprise et que la performance de l’entreprise affecte leur bien-être (Rezaee, 2016). D’autres auteurs (Clarkson, 1995 ; Gibson, 2000 ; Harrison et al., 2015) distinguent des PP primaires (en raison de leur implication dans les processus de production de valeur de l’entreprise : les employés, les actionnaires, les établissements de crédit, les clients et les fournisseurs) et des PP secondaires, qui peuvent affecter ou être affectées par l’entreprise, mais n’ont pas de transactions directes avec celle-ci ; telles que les communautés, les groupes d’intérêts particuliers ou environnementaux, les médias ou même la société dans son ensemble (ce qui pourrait soulever des difficultés d’un point de vue pratique car il est impossible de déterminer le meilleur intérêt d’un groupe aussi vaste et hétérogène) (Harrison et al., 2015).

35Plusieurs études analysent les PP en fonction de leur degré d’influence sur l’entreprise. Ainsi, Mitchell et al. (1997) identifie les PP comme les acteurs possédant au moins l’un des attributs suivants : le pouvoir d’influencer l’organisation, la légitimité de la relation avec l’organisation, et l’urgence d’une revendication sur l’organisation.

36En fonction de la contribution de PP aux ressources fondamentales de l’entreprise et de la dépendance de celle-ci vis-à-vis de ces ressources, Frooman (1999) distingue 4 types de relation entreprise-PP, caractérisés par différentes stratégies d’influence (Figure 3).

37Du point de vue du management des organisations, l’approche des PP considère le contrôle de gestion comme un processus bidirectionnel qui permet (Atkinson et al., 1997) :

  • à la direction d’évaluer la contribution des PP aux objectifs de l’entreprise ;
  • aux PP d’évaluer si l’organisation est capable de s’acquitter de ses obligations envers eux maintenant et dans le futur.

Figure 3

Classification des PP (Frooman, 1999)

Figure 3
La PP dépend-elle de l’entreprise ? Non Oui L’entreprise dépend-elle de la PP ? Non Interdépendance faible Stratégie d’influence indirecte, bloquer l’accès aux ressources Pouvoir de l’entreprise Stratégie d’influence indirecte, conditionner l’accès aux ressources Oui Pouvoir de la PP Stratégie d’influence directe, bloquer l’accès aux ressources Interdépendance forte Stratégie d’influence directe, conditionner l’accès aux ressources

Classification des PP (Frooman, 1999)

38Ainsi, les choix qu’une organisation fait en relation avec ses PP devraient se refléter dans la conception du SCG qui est l’outil utilisé par l’entreprise pour surveiller les relations avec ses PP (Atkinson et al., 1997). Dans notre contexte particulier de transition, cette approche souligne comment l’émergence de nouvelles PP influence et façonne le SCG.

39L’approche néo-institutionnelle envisage les SCG comme une réponse aux pressions subies par l’organisation (DiMaggio et Powell, 1983) ou comme l’affichage d’une structure de gestion qui constitue un « mythe » ou « cérémonie » (Meyer et Rowan, 1977) plutôt qu’un outil mis en place dans une logique de recherche d’efficience et d’un comportement organisationnel rationnel.

40Il nous semble pertinent de compléter l’approche par les PP avec une perspective néo-institutionnelle, qui permettra d’expliquer les réponses des organisations face aux pressions exercées par les PP, en distinguant notamment adoption des SCG comme outils de pilotage (recherche d’efficience, pour répondre aux besoins organisationnels) et comme outils de légitimation (de manière « rituelle », « cérémonielle », découplée de la gestion réelle).

41Dans le secteur public, Brignall et Modell (2000) montrent que le découplage pourrait s’avérer une stratégie efficace en permettant aux organisations de faire face à des pressions exercées par différentes PP avec des intérêts divergents. Au lieu d’aggraver les conflits entre les PP, l’organisation est hypocrite, et donne l’image d’être conforme aux attentes des PP.

42Le travail de Renaud (2009) montre l’intérêt d’une approche qui mixe théorie néo-institutionnelle et PP, en proposant une typologie des acteurs influençant les décisions des entreprises en fonction des types de pressions institutionnelles qu’ils exercent. Ce cadre conceptuel permet d’analyser le rôle des outils formels adaptés par les entreprises et de distinguer leur usage en tant qu’instruments de légitimation externe et de pilotage de la performance.

43En conséquence, dans cet article nous nous intéressons aux PP primaires (actionnaires, employés, établissements de crédit, clients et fournisseurs) et leur influence sur le SCG de l’entreprise et son usage (outil de légitimation ou pilotage).

3 – L’évolution du contrôle de gestion de Moldwater dans le contexte de transition

44Nous considérons que les turbulences économiques et politiques sont associées aux changements des techniques de gestion comptable et de contrôle (Anderson and Lanen, 1999). Le recours à une étude de cas basée sur une entreprise publique existant depuis l’époque soviétique permet de comprendre l’évolution du contrôle de gestion de la période communiste jusqu’à la période actuelle. Dans cette section, nous illustrons comment le SCG est « façonné » par les changements de l’environnement économique, social et politique qui déterminent par l’émergence de nouvelles PP l’évolution du contrôle de gestion de la WSC. Pour chacune des trois périodes analysées, nous discutons des éléments de contexte, des particularités du SCG et des liens entre les PP et Moldwater.

3.1 – Période I. Économie centralisée et planifiée (1945-1991)

3.1.1 – Éléments de contexte

Éléments généraux

45Contexte politique. Le système politique de l’URSS est totalitaire ; l’État prend toutes les décisions concernant le pays comme les individus. Les outils permettant l’implantation du totalitarisme communiste sont basés sur le parti unique, un contrôle quotidien des activités, des droits de l’homme limités (avec notamment l’absence de liberté et de propriété privée), la censure, des élections manipulées, une bureaucratie extensive et prégnante (Shama, 1994), une police secrète étendue (Metreveli, 2013).

46Système économique. L’économie planifiée soviétique est caractérisée par un monopole d’État sur l’ensemble des moyens de production ; la production et l’activité économique dans son ensemble sont organisées principalement en grandes entreprises et coopératives (Hare, 1987). Il y a une absence d’orientation consommateur et un manque de compétition ; dans un tel système, les marchés, lorsqu’ils existent, sont fermés, orientés politiquement et cachent le sous-emploi de la main - d’œuvre. La demande est plus grande que l’offre de biens et service (pénurie), entraînant l’existence d’un marché alternatif noir ou gris (parfois toléré) (Shama, 1994).

47Contexte socio-culturel. Le contexte socioculturel d’une économie dirigée est le socialisme, où, comme le dit Karl Marx, « de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins ». Les considérations sociétales sont plus importantes que les considérations individuelles et l’État s’efforce d’assurer une distribution équitable du revenu, des salaires, de l’éducation gratuite et des soins médicaux, bref une société sans classes (Shama, 1994). Globalement, la politique sociale de l’URSS est articulée autour de cinq éléments : (i) l’emploi garanti à vie ; (ii) le contrôle des prix à un bas niveau ; (iii) la gratuité des services publics tels que l’éducation et la santé ; (iv) de nombreux services subventionnés par les entreprises d’État (crèches, garderies, logement, eau, chauffage, etc.) ; (v) un système d’assurance sociale dont l’objectif était de compenser les interruptions du versement des salaires liées à une maladie, à l’âge, à une situation d’invalidité. Ainsi, la politique sociale soviétique garantit à chaque citoyen l’obtention d’un revenu décent et l’accès aux services de base (santé, éducation et logement) ; ces différents services étant souvent assurés au niveau des entreprises, l’entreprise d’État soviétique apparaît donc comme un acteur majeur de la politique sociale (Bertin et Clément, 2008).

Contexte de la WSC

48Dans toutes les républiques de l’URSS, y compris la Moldavie, la WSC est rattachée au secteur du logement/construction et planifiée dans les organes associés. Ce n’est pas un secteur économique majeur, comme dans les pays occidentaux, mais plutôt une obligation sociale que doivent remplir les organisations administratives, les entreprises d’État ou les municipalités. Par conséquent, il n’y a pas de besoin d’analyse du comportement et de la performance de ce secteur et l’administration empêche l’accès à l’information (Renaud, 1995). L’URSS présente la structure de propriété urbaine la plus déformée parmi les principaux pays socialistes, avec 83 % de logements dans le giron de l’état. Les droits au logement dans les républiques soviétiques déterminent la construction de WSC surdimensionnées dans toutes les villes et capitales, avec comme objectif de fournir un service public quasi gratuit. En même temps, les loyers payés par les ménages couvrent une si petite fraction des opérations et de l’entretien ; les services publics sont fortement subventionnés et les logements construits par l’État sont si fortement favorisés que l’eau est quasi-gratuite, seul un abonnement modique est facturé par logement (les subventions pour les services publics d’eau, électricité, chauffage constituent 80-90 % des consommations, soit 5 % du PNB de l’URSS en 1990). Durant la période soviétique aucun service public n’est payé à son prix réel et l’aspect social de diminution artificielle du prix de services est imposé par l’idée politique qu’en socialisme, les services publics ne sont pas chers, mais accessibles pour tous à l’inverse du monde capitaliste. Il y a donc une forte influence politique, comme dans tous les domaines de la vie économique, culturelle, sociale ; le secteur de l’eau n’est pas différent d’un autre secteur : il est public, comme toute l’économie.

3.1.2 – Particularités du SCG de Moldwater

49Le régime totalitaire communiste donne peu d’autonomie aux entreprises. Celles-ci sont dirigées par des fonctionnaires, qui « administrent », sans « manager ». La prise des décisions stratégiques ne fait pas partie des missions du gestionnaire communiste, car tout est préalablement pensé au niveau central. Non seulement les dirigeants ne sont pas confrontés à des problèmes de viabilité commerciale, mais encore la nécessité d’assurer la survie des entreprises semble une notion complètement hors de leur champ de compétences (Bailey, 1975). Par contre, ils sont soumis à un fort contrôle et à une censure exercés à la fois par la cellule de l’entreprise et par les organes régionaux et centraux du Parti Communiste (Zaleski, 1959).

50Les traditions comptables et de gestion dans les systèmes communistes diffèrent considérablement de celles des pays occidentaux. Dans l’économie planifiée, la comptabilité est un instrument de contrôle sur les entreprises d’État, faisant partie du système de contrôle administratif hiérarchique. Elle a une macro-orientation et sert principalement pour le reporting auprès du gouvernement et des autorités fiscales (Moilanen, 2008), ainsi que pour le suivi de l’exécution du plan (Bailey, 1975). De plus, l’information comptable manque de contenu économique (à cause des prix contrôlés) et l’évaluation de la performance des entreprises se fonde principalement sur des indicateurs quantitatifs (Mironova et Bovaird, 1999).

51Organisation du contrôle de gestion. La structure organisationnelle typique des entreprises soviétiques est la structure fonctionnelle, qu’on retrouve également dans les archives de Moldwater. Ainsi, le « contrôle de gestion » est assuré par le Département Planification, une unité distincte de la comptabilité. Celui-ci est subordonné au Département financier et de Planification [2] du Ministère des services communaux (Fonds d’archives FR 3002-1 Département Administratif, Ministère des services communaux), alors que la gestion de l’activité (de production) de Moldwater est sous la responsabilité de la Direction des entreprises communales [3] du même Ministère.

52Acteurs. Les « économistes » du département Planification assurent la planification (élaboration du plan annuel selon les directives des autorités et les indicateurs imposés) et le reporting vers les autorités soviétiques (État, ministère, Banque (Gosbank), bureau des statistiques…). Cette information n’est pas utilisée à des fins de management en interne mais par les autorités de planification de l’État pour l’élaboration et le suivi du Plan national.

53

« Au fil du temps, l’effectif des économistes au sein du Département Planification a varié, mais on en comptait environ une vingtaine en période soviétique (et a diminué après).
Le chef du département signait tous les rapports, le plan, le reporting. Il assurait la transmission d’information auprès des autorités. Les équipes étaient spécialisées :
  • Calcul des salaires et normes de travail de l’ouvrier (établissement de la journée standard ; productivité, durée, taille des équipes) ;
  • Suivi de l’activité de production et distribution d’eau en volume ;
  • Suivi de l’activité récupération des eaux ;
  • Calcul des coûts de revient dont une personne uniquement dédiée au suivi de la consommation d’électricité. L’électricité n’était pas payée à son prix réel, mais subventionnée ;
  • Élaboration du plan (Promfinplan) et des rapports… ».
Ancien économiste, Moldwater

54Outils du contrôle de gestion. Comme dans le secteur de la production industrielle, pour les services à la population, le principal outil de contrôle de gestion de l’économie centralement planifiée est le Plan national (Gosplan), ses indicateurs clés étant ventilés au niveau de chaque république, secteur d’activité et union d’entreprises/entreprise.

55Nous listons ici les principaux outils de contrôle de gestion (système de planification et reporting ; indicateurs de performance ; méthode de calcul des coûts ; système de tarification) et caractérisons la nature de leur usage.

56Le système de planification et reporting. Le plan annuel (industriel et financier) de l’entreprise – « Promfinplan » – est le plan opérationnel et le programme d’exploitation de l’entreprise. Tous ses indices sont directement dérivés du plan national (Gosplan).

57La structure de Promfinplan pour l’année 1971, d’après les données d’archives du Fonds national d’archives de la République de Moldavie est présentée dans le tableau 1.

Tableau 1

« Promfinplan » de Moldwater

Le plan annuel
  • Principaux indicateurs du plan opérationnel ;
  • Plan de vente des produits (services) exprimé en volume (m3) ;
  • Plan du calcul du coût de production (par m3) ;
  • Calcul du nécessaire de combustible, matériaux, eau, etc. pour la réalisation du programme de production ;
  • Calcul de l’amortissement ;
  • État du personnel d’exploitation ;
  • Calcul des frais de la technique de sécurité ;
  • Plan de charges d’atelier, administratives et autres charges d’exploitation ;
  • Plan de travail ;
  • Calcul du besoin en fonds de roulement ;
  • Plan financier.

« Promfinplan » de Moldwater

Source : Fonds d’archives FR 3024, 1, 351, Direction du bloc communal du Conseil Municipal des députés, Département Financier et de Planification, année 1971, 163 pages ; traduction du Russe en Français par les auteurs.

58Un outil de « planification » à long terme est le Plan de développement social du collectif des travailleurs (Fonds d’archives FR 3024-1 348a, Direction des entreprises communales), qui est discuté lors des réunions avec les représentants des travailleurs, mais approuvé par la Direction lors du comité du Parti. Pourtant, il ne concrétise pas des objectifs précis ou décisions opérationnelles, jouant un rôle purement « idéologique ».

59Pour la partie reporting, le Rapport annuel d’activités opérationnelles et financières (Fonds d’archives FR 3002-5-459 Rapport d’activité) contient les compartiments suivants :

  1. Partie technique ; elle est accompagnée d’un listing des travaux effectués en conformité avec le plan ;
  2. Indicateurs du Réseau d’eau ;
  3. Indicateurs des Stations de Pompage ;
  4. Plan de production ;
  5. Suivi des coûts de production ;
  6. Suivi des tarifs et des bénéfices.

60Notons que l’ensemble des indicateurs sont remontés dans la bureaucratie soviétique et que les écarts entre le prévisionnel et le réalisé sont presque toujours nuls, ou en faveur d’une « très légère amélioration par rapport au plan » (ancien économiste). Le système est très sophistiqué mais myope en même temps, car la peur imposée par les contrôles politiques se traduit par un reporting dont on peut douter sur la véracité des chiffres indiqués.

61Fixation des tarifs. Les tarifs sont fixés par les autorités et différenciés par catégories d’usagers (1 - population, 2 - entreprises des services publics, du bloc communal, de commerce et agro-alimentaire, 3 - entreprises en auto-gestion (khozrastcet), industrielles, de bâtiment et autres) et région. Par exemple [4], le tarif en vigueur en 1973 pour la population est de 2,5 kopeik (dans toutes les régions), et 10 kopeik pour la catégorie 2 et 20 kopeik pour le troisième groupe d’usagers dans la capitale, alors que dans les autres régions les entreprises de groupe 2 et 3 payaient 20, respectivement 30 kopeik pour le m3 d’eau (soit 8 et 12 fois plus que le tarif fixé pour la population).

62Calcul des coûts (sebestoimosti’). La méthode soviétique de calcul des coûts est celle de coûts normés et standards basés sur une production standard. Les normes de personnel, consommation des matières, combustible, amortissement sont fixées par les autorités, ainsi que leur coût.

63Indicateurs de performances : principalement basés sur des volumes physiques ; les coûts et les tarifs n’ont pas d’importance managériale car établis par le pouvoir central ; la seule variable réelle porte donc sur les quantités et les volumes qui constituent le seul type d’indicateurs réellement suivis. Malgré l’application des normes de qualité nationales (GOST) au niveau de l’URSS (pourtant les méthodes utilisées pour mesurer le niveau de concentration chimique produisent des données biaisées et douteuses), aucune référence aux indicateurs de qualité n’a été trouvée dans les documents de reporting.

64Rôle et usage du contrôle de gestion, extrait d’un verbatim d’un ancien économiste de Moldwater :

65

« Les outils de planification et reporting servent à superviser et à mettre sous tension les dirigeants ; les autorités soviétiques étaient malgré tout conscientes que le système ne reflétait que partiellement la réalité ; ils toléraient la partie informelle car cette marge de manœuvre permettait la survie du système. La logique était de coercition pour forcer les entreprises et leurs dirigeants à produire le plus possible, compte tenu de la capacité de production, dans une situation de pénurie de matières premières et des biens.
Les économistes élaboraient le plan de l’entreprise en fonction des directives du Gosplan. L’objectif d’utilisation maximale des capacités de production, sans tenir compte du résultat ou de l’efficience, ne se discutaient pas et venaient d’en haut.
Certains secteurs d’activité étaient planifiés à perte (agriculture, électricité, eau)… pour des raisons sociales et idéologiques…
Le ministère approuvait le tarif de l’électricité à un prix subventionné, qui était ensuite utilisé pour la production d’eau à un tarif planifié, et utilisé ensuite pour produire des biens et des services à des prix planifiés ; les magasins et les distributeurs avaient une marge qui elle aussi était réglementée. L’activité économique n’était pas un business, la planification inter croisée, sur toute la chaîne de valeur, était la norme ».

66Les décisions sont prises par le GOSPLAN, sans justification économique. Le secteur manque ainsi de projets d’investissements cohérents, ce qui se traduit par des infrastructures surcapacitaires et technologiquement obsolètes. « Le président du Parti Communiste, ou les membres du Soviet Suprême influençaient fortement la construction des réseaux : ainsi, des villages perdus mais dont sont originaires les membres du Parti sont connectés au réseau, tandis que certains quartiers, voire certaines grandes villes du pays ne sont pas alimentées en eau » (ancien économiste).

3.2 – Période II. Première phase de transition – transition néo-libérale (1991-1998)

3.2.1 – Éléments de contexte

Éléments généraux

67Contexte politique. L’effondrement des régimes communistes d’Europe Centrale et de l’Est conduit inévitablement à la « casse » des institutions des économies planifiées (Bailey, 1995) et la démocratisation du totalitarisme. L’établissement de nouveaux états indépendants et le développement progressif du multipartisme se caractérise par un nombre croissant de droits nouveaux et d’institutions différentes : la liberté d’expression, des élections libres et l’adoption de la constitution (Shama, 1994).

68Depuis la proclamation de son indépendance en août 1991, la République de Moldavie s’est engagée dans un processus de construction de l’État et de la nation (Liikanen et al., 2016). Dans la première phase de la transition, la priorité des autorités est de créer le fondement législatif nécessaire au nouvel environnement économique (adoption de la Constitution de la République de Moldavie et des lois sur la propriété, la privatisation, l’entrepreneuriat et les entreprises, protection des droits des consommateurs, protection de l’environnement, Comptabilité, Institutions financières, restructuration des entreprises, Sociétés par actions…).

69Système économique. Les principales réformes visant à amorcer le processus de transition de l’économie de marché planifiée concernent l’ouverture des marchés, la libéralisation des prix, la concurrence, l’entrepreneuriat et la propriété privée, ainsi qu’une orientation axée sur les consommateurs. Cette période se caractérise par un niveau de concurrence plus élevé (émergence soudaine de la concurrence pour les marchés et les clients), mais un manque de compétences de gestion pour développer et mettre en œuvre des stratégies commerciales compétitives (Shama, 1994).

70Globalement, la transition se montre plus difficile que prévu (Healey, 1994), les politiques publiques sont confrontées à une grave récession, à l’expansion du chômage, à l’inflation, à une faible productivité, à un faible niveau de vie, au surendettement et à la peur de changement (Budnikowski, 1992 ; Hooley et al., 2003). Comme dans d’autres économies postcommunistes, le processus de transition en Moldavie est marqué par une hyper inflation (1 280 % en 1992) et la production massivement décroissante. Le risque politique et commercial élevé se traduit par un faible investissement direct étranger, reflétant la réticence des investisseurs étrangers à prendre de tels risques (Siegelbaum, 2002). La Moldavie fait face à de nombreux obstacles tels que la guerre (transformée en « conflit gelé » en Transnistrie), la grave récession économique et les crises bancaires et n’arrive pas à parvenir à un succès durable en matière de croissance ou de réduction de la pauvreté (Siegelbaum, 2002).

71Constatant que les entreprises d’État sont gérées de manière inefficace, le gouvernement crée une agence chargée de la privatisation pour fournir une assistance technique dans la restructuration et la réorganisation des entreprises (IMF, 1996). Cependant, la privatisation n’est pas autorisée dans certains secteurs, plusieurs activités sont restées sous contrôle public ; et parfois ce n’est plus l’état qui est le propriétaire, mais une collectivité territoriale (Conseils municipaux pour les WSC).

72Contexte socioculturel. Dans la transformation du socialisme en capitalisme, l’individualisme gagne en position. L’accent mis sur l’effort individuel entraîne une plus grande inégalité des revenus, un salaire minimum plus bas, un soutien de l’éducation et des soins médicaux faible et un taux de criminalité plus élevé (Shama, 1994). Les conditions politiques et économiques instables minent le développement d’une société civile qui fonctionne bien (Siegelbaum, 2002).

Contexte de la WSC

73La chute du mur entraîne de profonds changements :

  • chaque république s’affranchit de la tutelle de Moscou et la colonisation russe prend fin ;
  • l’idéologie communiste qui est utilisée comme moteur de l’impérialisme russe est aussi rejetée et le capitalisme prend petit à petit sa place.

74Le domaine des WSC n’est pas du tout vu comme « business utilities » et l’eau est perçue comme un domaine à fort enjeu social, mais sans enjeu économique. La perception sociale du domaine dans lequel ce service public ne doit pas être payé à son prix réel et l’aspect social de diminution artificielle du prix de services reste imposé par l’idée politique, ce qui constitue donc un héritage de la période soviétique.

75Compte tenu du désintérêt des pouvoirs publics sur ce domaine qui est considéré par les autorités comme n’ayant pas de valeur, Moldwater devient progressivement une organisation complètement discréditée (elle est considérée comme un bastion soviétique) désorganisée et obsolète (d’un point de vue infrastructure) :

  • L’utilisation exclusive de l’outillage fabriqué dans l’espace soviétique, qui n’était pas le meilleur (interdiction d’appliquer la technique et technologie occidentale jusqu’à la chute du mur), se traduit d’une part par une obsolescence des infrastructures (actuellement l’âge moyen du réseau – 30 ans, alors que sa durée d’exploitation prévue n’est que 20 ans), et d’autre part une impossibilité à trouver des pièces de rechange. De plus, l’absence de ressources financières empêche l’acquisition de matériel occidental.
  • La population, en gardant l’ancienne mentalité, considère qu’il est possible de ne pas payer pour les services de l’eau… en provoquant ainsi une explosion des dettes et la cessation de plusieurs WSC dans plusieurs localités de Moldavie (mais pas pour Moldwater).

76L’État perd sa position d’actionnaire unique, mais une partie importante des entreprises demeure la propriété de l’État et est soumise à des degrés divers de contrôle et de direction ministériels, comme c’est le cas des WSC. En poursuivant le modèle soviétique, toutes les entreprises du secteur sont subordonnées à un Ministère de gestion des services communaux. Ce Ministère fixe les tarifs de l’eau (jusqu’en 1998), mais ce tarif ne reflète pas le coût de production, l’aspect social étant primordial.

3.2.2 – Particularités du SCG

77Créé au cours de la période soviétique, le système de comptabilité moldave continue d’être influencé par les systèmes de plans et de décisions centralisés, malgré certaines réformes mises en œuvre au début de la transition (Ghedrovici et al., 2014). Le rôle de la comptabilité dans la gestion des entreprises est minimisé, car elle est perçue comme un instrument de contrôle indirect sur les entreprises privatisées. Les principales considérations semblent être l’utilisation de la comptabilité à des fins de surveillance (par exemple pour le calcul des impôts) et la collecte de statistiques économiques nationales (Bailey, 1995). Comme la comptabilité de gestion n’est pas séparée de la comptabilité financière (jusqu’en 1998), cela n’assure pas le maintien du secret commercial quant au calcul des coûts et limite l’application des méthodes de comptabilité de gestion (Government of Republic of Moldova, 1997).

78Organisation du contrôle de gestion. Après la dissolution du système de planification centralisée, le Département économique continue d’exister et de faire remonter des informations et des rapports (principalement des données statistiques) aux autorités du Ministère et de l’État, même si son importance diminue considérablement (fin des plans centraux). Son rôle se limite à un reporting a posteriori, sans phase de planification.

79Acteurs du contrôle de gestion. Les anciens économistes du Département Planification restent les principaux fournisseurs d’informations sur la planification et le reporting. Le destinataire principal de l’information de contrôle de gestion est toujours l’État (Autorités Publiques) qui l’utilise à des fins statistiques et fiscales.

80Outils du contrôle (de gestion). La chute du système communiste entraîne la disparition des plans et des indicateurs nationaux, et par conséquent, du plan d’entreprise (sans obligation légale de le fournir, les entreprises ne l’établissent pas). En termes de reporting, des rapports très similaires à l’ancien système remontent des données historiques ; cependant, les indicateurs utilisés (modèles de coûts / tarifs…) sont obsolètes et centrés sur des coûts au m3 et ne font pas l’objet d’une analyse.

81On constate un « vide institutionnel » temporaire concernant le suivi de la qualité des services et les indicateurs de qualité de l’eau potable. La dissolution des instituts de recherche chargés du suivi des normes ne s’est pas traduite immédiatement par de nouvelles agences.

82Fixation des tarifs. Dans les premières années de la transition, les tarifs de l’eau sont approuvés par les autorités centrales (Ministère), suivant la même logique que pendant la période soviétique - une norme fixe de consommation d’eau par habitant établie à un niveau bas par des considérations sociales. Ce système ne prend pas en compte la consommation réelle et n’incite pas aux économies d’eau. En même temps, les coûts enregistrés par les entreprises du secteur ne servent pas de base à la fixation des tarifs. Les investissements dans l’infrastructure sont complètement ignorés.

83Rôle et usage. Le SCG comme outil de mise en place et suivi d’une stratégie disparaît dans cette période, seulement un reporting a posteriori persiste et prend note des données historiques concernant les revenus, les charges, sans une analyse de ces données.

84

« Durant toute cette période, le Promfinplan n’existait plus, l’activité était « chaotique », on vendait ce qu’on vendait, on encaissait ce que les clients payaient, on constatait les faits… On avait un certain nombre d’employés, car ils existaient déjà, il n’y avait pas de normes…
Pour résoudre une avarie on a dépensé x MDL, on ne sait pas si c’est beaucoup ou peu car on n’avait pas de normes de comparaison… ».
(ancien économiste)

85

« Les économistes se contentent de constater les faits, par exemple la consommation d’électricité, sans une analyse ou comparaison avec les périodes antérieures, ou avec un « standard ». Juste « la consommation d’électricité a été de x kWh pour la période analysée, avec le détail par différents postes… Ils font remonter des « statistiques », mais pas de l’information économique ».
(ancien économiste)

86Il y a une influence politique très forte sur l’activité : « L’entreprise devient autonome d’un côté – plus de subvention, elle doit autofinancer son activité, et de l’autre côté elle reste dépendante du pouvoir public qui fixe les tarifs (insuffisants pour assurer la rentabilité)… Un autre problème vient de la part des usagers, qui ne paient pas pour le service… le cadre légal n’est pas encore clairement établi, l’entreprise ne peut rien faire contre les mauvais clients… » (ancien économiste).

3.3 – Période III. Deuxième phase de transition – transition institutionnelle (après 1998)

3.3.1 – Éléments de contexte

Éléments généraux

87Contexte politique. Cette période se caractérise par une tentative de consolidation des principes démocratiques et la Moldavie enregistre d’importants progrès dans les relations bilatérales avec l’UE (le 27 juin 2014, la Moldavie et l’UE signent un accord d’association, y compris une zone de libre-échange approfondie et complète). La Moldavie a un bon niveau de liberté par rapport à la région dans son ensemble, mais de nombreuses préoccupations concernant la concentration et la transparence de la propriété des médias (ingérence politique). La corruption demeure une préoccupation majeure, ainsi que le conflit Transnistrien qui n’est pas résolu (EUROPEAN COMMISSION, 2015).

88Système économique. Après plusieurs crises (crise russe - 1998, crise financière - 2008-2010), il semble que la Moldavie ait récupéré la stabilité macroéconomique. Mais la crise du système bancaire de 2015 (fraude massive) a eu des effets négatifs sur l’économie et a sapé la confiance des investisseurs.

89Contexte socioculturel. Dans l’ensemble, les conséquences socio-économiques de la transition comprennent le chômage, la déqualification et l’insécurité de l’emploi (Simai, 2006). La pauvreté et les inégalités sociales restent des préoccupations importantes. À la suite de l’augmentation de la migration, les transferts de fonds sont devenus l’une des sources de revenus les plus importantes pour de nombreux ménages moldaves, tout en finançant le déficit commercial du pays.

Contexte de la WSC

90Dans les années 1998-2000 le gouvernement transmet la gestion des WSC aux Autorités Locales et transforme toutes les sociétés de distribution de l’eau en Sociétés Anonymes avec le Conseil Local (Conseil Municipal) comme actionnaire unique.

91On note également une pression des opérateurs étrangers (européens/américains) pour prendre la privatisation du réseau et changer le cadre législatif.

92Pourtant, les SA du secteur ne sont pas privatisables, mais la concession est possible. En outre, un vide juridique est constaté concernant l’activité de distribution d’eau (pas de loi sur l’activité de distribution d’eau, pas de méthodologie claire d’approbation des tarifs - le facteur politique est dominant).

93Dans un premier temps, ce changement de périmètre avec une décentralisation de la compétence publique se traduit par un changement dans la gestion du réseau et une prise en compte de problèmes locaux.

94La mise en place d’une nouvelle méthode de tarification (pendant l’URSS et les premières années de transition – une somme fixe par habitant, avec l’introduction des compteurs – la consommation réelle) engendre une modification du comportement des consommateurs. Grâce aux compteurs, Moldwater constate que la consommation effective d’eau par la population est considérablement inférieure aux capacités de production. Pendant la période soviétique les capacités des sociétés de distribution de l’eau ont été conçues dans une perspective de croissance des villes, ce qui n’est pas le cas. De plus, l’industrie utilise actuellement beaucoup moins d’eau que pendant la période soviétique (actuellement l’industrie comme consommateur de l’eau représente 15 % du niveau enregistré pendant les dernières années de l’URSS). Plus globalement, sur cette période la capacité de production de Moldwater est de 120 millions de m3, seuls 45 millions sont utilisés. Par conséquent, l’entreprise supporte les mêmes changes fixes, mais le chiffre d’affaires baisse considérablement.

95Cependant, les tarifs sont toujours fixés par les Autorités Publiques (Conseil Municipal). Pour des raisons sociales et politiques, pendant plusieurs années le tarif ne couvre même pas le coût de production, entraînant une situation financière difficile de l’entreprise. En outre, un tarif différencié pour les ménages et pour les entreprises est appliqué, celui pour les particuliers étant beaucoup plus bas que pour les entreprises (sans justification autre qu’un motif électoral). Cette situation change en 2015 suite aux pressions des bailleurs des fonds. En effet, les difficultés financières et le besoin impératif d’investissements dans l’infrastructure forcent l’entreprise à chercher des financements auprès des institutions financières internationales (IFI). Afin de sécuriser leur financement et de diminuer le risque de crédit, les IFI imposent plusieurs exigences visant à améliorer la transparence et l’indépendance de l’activité de l’entreprise.

96Les principales exigences pour le financement international concernent l’approbation du tarif de l’eau par une agence indépendante (ANRE - Agence Nationale pour la Réglementation Énergétique) selon une méthodologie explicite afin de mettre en place un tarif unique pour toutes les catégories de consommateurs. Le niveau des prix doit être justifié par les coûts et se situer à un niveau acceptable pour les investisseurs (pour assurer un retour sur investissement positif). Une autre exigence est la création d’un cadre légal afin de réglementer les services publics de distribution d’eau, ainsi que la mise en place d’un contrat de délégation de services de distribution d’eau, représentant un cadre clair pour l’activité de l’entreprise.

3.3.2 – Particularités du SCG

97Des progrès sont enregistrés dans l’effort d’adapter la législation comptable (réforme de 1998 et de 2007) aux principes de l’économie de marché, mais des modifications sont toujours nécessaires. Le nouveau cadre juridique ne permet toujours pas aux utilisateurs d’obtenir les informations nécessaires à la prise de décision et n’apporte pas de transparence. Les informations contenues dans les états financiers ne sont pas disponibles pour les utilisateurs externes, ce qui a un impact négatif sur les décisions prises par eux (Ghedrovici et al., 2014).

98Quant aux pratiques de contrôle de gestion, des études récentes montrent que le contrôle de gestion qui correspond à un système de comptabilité analytique est marginalisé, surtout dans les entreprises locales (Paladi et Fenies, 2016).

99Organisation du contrôle de gestion. Le Département économique de Moldwater reste l’entité en charge du contrôle de gestion, notamment deux de ces Divisions : Budget, Comptabilité, Finances et Analyse économique et tarifs. Sa structure évolue ces dernières années, afin d’améliorer l’efficacité du processus de contrôle de gestion. Ainsi, les divisions Budget, Finance et Analyse économique et Tarifs, sont remplacées par une unité unique de Planification et de reporting.

100Acteurs du contrôle de gestion. Les économistes du Département Économique sont en charge de fournir l’information liée au calcul des coûts, établir le Business Plan et les reportings. L’État garde le rôle de régulation du secteur, mais demande l’information uniquement à des fins statistiques et fiscales. Les PP financières (les IFI) et l’actionnaire (Conseil Municipal) deviennent les principaux destinataires des informations de contrôle de gestion, ainsi que le top management.

Outils du contrôle (de gestion)

101Système de planification et reporting. Afin de s’assurer l’accès aux financements, Moldwater doit respecter les conditions imposées par les IFI. Ainsi, un contrat de délégation de la gestion des services de distribution de l’eau est signé en mars 2015 entre le Conseil Municipal et la société. Ce contrat prévoit la mise en place d’un système de planification et de reporting avec un Programme annuel des activités planifiées (Programme annuel de production, Business plan annuel et Plan d’investissements) et de reporting : Rapport annuel de gestion (Bilan, compte de résultat, rapport d’audit et analyse de l’exécution du Programme annuel des activités planifiées) et Rapport technique. Ces documents sont également destinés aux IFI.

102Indicateurs de performance. En même temps, les bailleurs de fonds exigent le respect des certains ratios financiers (DSCR debt-service coverage ratio, EBITDA, Cash Flow/Operating expenses), ce qui impose l’entreprise de construire des budgets et des modèles financiers afin de calculer et estimer ces indicateurs sur la durée des emprunts bancaires.

103Le contrat de délégation prévoit également le reporting des indicateurs de performance auprès de l’actionnaire (tableau 2), qui sont aussi suivis par le top management.

Tableau 2

Indicateurs de performance

Indicateurs de performance pour l’actionnaire et le top management
  1. Qualité de l’eau
  2. Continuité du service
  3. Temps de reprise du service en cas d’incident
  4. Temps de réaction pour la prévention des dangers pour la santé et la vie des usagers
  5. Niveau de fuites
  6. Taux de recouvrement des factures
  7. Temps de réponse, résolution des réclamations clients
  8. Nombre optimal des salariés (pour 1 000 utilisateurs ; pour 1 km de réseau)
  9. Efficience énergétique

Indicateurs de performance

104Calcul des coûts et système de tarification. Pour le calcul des coûts, Moldwater utilise la méthode du coût standard, qui est un élément commun avec la période soviétique. Cependant, la nouvelle méthodologie d’approbation des tarifs reconnaît les coûts selon les normes établies à partir des pratiques occidentales (pour des conditions normales d’activité). Moldwater ne respecte pas toutes ces normes et n’a pas bénéficié d’une période de « transition » nécessaire pour s’adapter aux nouvelles normes. Ainsi, une partie importante des coûts constatés ne sont pas considérés comme admissibles et ne sont donc pas reconnus lors du calcul du tarif.

105Rôle et usage du SCG. Avec le changement de la forme juridique, la société doit respecter la loi sur les SA, et avoir des organes de direction – AG, Conseil d’administration, P.-D.G. Le reporting n’est plus fait uniquement pour l’autorité extérieure, mais aussi pour le PDG. Apparaissent ainsi de nouveaux indicateurs traduisant à la fois l’implication politique de l’actionnaire unique mais également aussi le poids des PP financières qui financent la mise à niveau progressive de la WSC de la ville.

106Néanmoins, on distingue des différences dans l’usage des outils de contrôle de gestion. Ainsi, le business plan et les indicateurs financiers servent comme reporting pour les banques (condition pour bénéficier du financement), et n’ont pas encore de vrai usage interne.

107

« La grande majorité de notre temps (Département Planification), on travaille pour les banques… sans un logiciel destiné à la compta de gestion, on fait tous les calculs et consolidations des données sur Excel… 3 000 tableaux pour arriver à avoir le « modèle financier » (les données financières prévisionnelles et réelles de notre compte de résultat). Cela nous prend un temps fou !!! on n’arrive pas du tout à rentrer dans l’analyse de ces données… » (économiste). « On n’a pas le temps pour faire des études et d’optimisations internes car on ne finit jamais le reporting, on passe notre temps à collecter, traiter et remonter des informations aux banques ». (Directeur économique)

108

« Afin de réduire le risque de crédit, nous avons exigé plus de transparence dans ce secteur d’activité, avec la mise en place d’un cadre légal qui présente les « règles du jeu » afin de limiter l’influence politique de l’activité économique. Mais aussi plus de transparence dans le processus de management, avec l’introduction d’un système formel de planification et suivi d’activité – un SCG. Cependant, on se rend compte que pour l’instant ils ne savent pas comment utiliser le SCG, et ne comprennent pas son utilité pour la gestion ».
(représentant IFI)

109Quant aux indicateurs de performance demandés par l’actionnaire et le top management, ils concernent principalement des indicateurs opérationnels d’efficience et efficacité de la WSC (Fenies, 2010), ainsi que des indicateurs orientés Client et reflètent à la fois la qualité du service rendu et la satisfaction client, mais également le risque financier client (taux de recouvrement des créances). Ces indicateurs sont suivis par le management et servent au pilotage de l’activité de Moldwater. Quant à l’actionnaire, « la municipalité ne se préoccupe pas du tout de l’entreprise qu’elle détient… elle n’est pas intéressée par le business et le bénéfice » (Directeur économique).

4 – Discussions des résultats

110D’après la théorie des PP, le SCG reflète le choix qu’une organisation fait par rapport à ses PP et est influencé par les relations de l’entreprise et les PP. Dans notre contexte de recherche, les changements engendrés par le passage de l’économie planifiée vers l’économie de marché se traduisent par l’émergence de nouvelles PP, qui peuvent exercer des pressions et façonner par conséquent les SCG des entreprises. L’analyse des résultats dans une perspective historique illustre cette évolution des SCG et souligne l’impact des différentes PP sur l’adoption et l’usage des SCG.

111Période 1. Avant 1991, toute l’activité économique relève du domaine du management public. L’État soviétique est la seule PP des entreprises qui impose un mode de gestion particulier aux entreprises, basé sur la planification centralisée impérative. Le contrôle de gestion est une fonction aux mains de l’État stratège qui élabore la stratégie et les outils de contrôle sont au service de l’énorme « firme » soviétique. Il y a donc une forme de contrôle de gestion comparable à celui d’une immense multinationale fédérant les entreprises publiques soviétiques comme les entreprises de la WSC ; ce contrôle de gestion est au service d’une stratégie d’état et les « économistes » sont les « contrôleurs de gestion soviétiques ». Les outils (états de résultats, plans, indicateurs de performance…) sont comparables à ceux utilisés dans les multinationales de l’époque. Ce processus est bien un processus de contrôle de gestion puisqu’il est au service d’une stratégie déterminée au niveau le plus haut de l’organisation et les outils servent à contrôler et diffuser la mise en œuvre de cette dernière. Sa finalité est par contre différente : elle ne sert pas à orienter les organisations vers le profit mais à orienter le comportement des individus au travers d’objectifs collectifs tournés vers une certaine idée du « bien être communiste ».

112L’État et le Parti Communiste apparaissent comme une PP en position dominante par rapport à l’entreprise et s’insèrent dans la logique des cadrans de Frooman (1999). Il détient le pouvoir d’imposer la mise en place d’un SCG. Cependant, adopté « par obligation », celui-ci n’a pas d’usage interne, il est destiné à des « acteurs externes » (l’État) et montre « ce que les planificateurs voulaient », ayant un rôle de légitimation auprès la PP et assurant l’accès aux ressources allouées par les planificateurs centraux, alors que le pilotage de l’activité est réalisé par des pratiques informelles. Toutes les autres PP sont liées à l’État et au Parti Communiste.

113Période 2. Après l’effondrement de l’Union Soviétique, il y a un changement du niveau de granularité pour le SCG : ce n’est plus Moscou qui dirige, mais le Ministère de gestion des services communaux de la Moldavie. Le domaine des WSC est considéré par les autorités comme n’ayant pas de valeur économique, mais uniquement un secteur à fort enjeu social. Les pouvoirs publics montrent un désintérêt sur ce domaine et ne s’impliquent pas dans la gestion des WSC. Ils gardent le rôle de fixation des tarifs, mais se basent sur l’aspect social, comme pendant la période soviétique : ils imposent une contrainte de tarification politique pour que les « usagers électeurs » ne se servent pas de l’augmentation des prix de l’eau comme argument électoral. L’État-actionnaire n’exerce aucune pression quant aux outils de management des entreprises publiques.

114Il n’existe pas de cadre légal reliant l’entreprise et ses clients/usagers. L’entreprise est obligée de fournir le service et en cas de non-paiement, elle n’a pas de recours juridique et ne peut pas couper l’accès au réseau. L’usager/client exerce une pression énorme sur Moldwater sans contrepartie. Un des efforts des entreprises du secteur et du ministère est de faire émerger un cadre légal conforme à l’économie de marché.

115La situation sur le marché de l’emploi étant détestable (chômage qui s’envole), les employés sont fidèles et espèrent que l’entreprise ne les licenciera pas ou ne fera pas faillite.

116Les banques, comme les fournisseurs sont déjà dans des logiques de marché sur lesquels plusieurs acteurs existent et ne peuvent pas ni exercer de pression ni en subir.

117D’un point de vue SCG, la dissolution du système centralisé entraîne la disparition des plans et des indicateurs nationaux, et par conséquent, des plans d’entreprise. Dans un environnement chaotique, de changement radical, il n’y a pas de SCG au service d’une stratégie bien déterminée ; l’absence de stratégie sur ce domaine conduit à maintenir les routines du passé alors que le monde a changé… On se retrouve avec un système d’information ex post qui fait remonter des informations statistiques et réalise un calcul de coût obsolète, en gardant les anciens outils, mais qui ne sert pas à la prise de décisions. La nouvelle configuration des PP ne stimule pas et n’implique pas de nouveaux outils de SCG car tous les efforts sont orientés dans l’édification du cadre légal.

118Période 3. Avec le changement de la forme juridique et de l’actionnariat (autorités locales), il y a déconcentration du domaine des WSC, en raison des difficultés financières, de surcapacité des réseaux et d’équipements obsolètes. Les financements des IFI semblent la seule solution pour redresser la situation des entreprises du secteur. Cependant, les tarifs sont fixés par les autorités publiques locales, ce qui se traduit par une variété de niveaux de prix dans différentes localités du pays, reflétant la volonté politique et pas les aspects économiques. Pour pallier ces inconvénients, les IFI réclament un cadre clair et transparent pour guider l’activité de distribution de l’eau, en mettant l’accent sur la fixation des tarifs en fonction des coûts. Son objectif fondamental consiste à éviter l’influence des pouvoirs publics imposant des tarifs de l’eau inférieurs au coût de revient pour des raisons politiques. Les PP financières influent ainsi sur le SCG, en imposant pour l’octroi du financement la construction d’un système de reporting traduisant la solvabilité et la maîtrise des coûts par l’opérateur historique. Cependant, le système de planification et de suivi financier joue seulement un rôle de légitimation similaire à celui de l’ancien système de planification et reporting soviétique, qui donne l’accès aux ressources financières. Les IFI ont « remplacé » l’État de la période soviétique comme PP en position de force. La réaction de l’entreprise face à ces pressions est de mettre en place les outils exigés et assurer le suivi demandé, mais sans s’en servir pour le pilotage de l’activité. L’originalité de cette forme de système de contrôle diagnostic (Simons, 1995) réside dans ses destinataires qui sont des PP externes.

119L’actionnaire, lui aussi détient une position de pouvoir, mais il ne s’intéresse pas à la gestion de l’entreprise et n’impose pas la mise en place des outils de gestion interne.

120En même temps, on constate un changement majeur dans l’environnement de l’entreprise - les clients pèsent sur le système, il faut les faire payer, mesurer leur consommation et tarifer en fonction de la quantité consommée (m3). Une nouvelle PP majeure émerge – les usagers deviennent clients, en position d’interdépendance par rapport à l’entreprise. D’un côté, à cause du monopole sur ce service public, le client dépend de l’entreprise pour obtenir un service de première nécessité. De l’autre côté, la survie de l’entreprise (comme l’a montré le cas de plusieurs sociétés du secteur) dépend de sa capacité d’encaisser les créances client. Le suivi d’indicateurs d’efficacité (orientés client) relève donc des besoins organisationnels et joue un rôle de pilotage. Ainsi, l’entreprise surveille en permanence la capacité de recouvrement des créances et travaille sur l’amélioration de la satisfaction des clients ; la qualité de l’eau et du service fourni devient un enjeu. La majorité des indicateurs de performance suivis par le management sont orientés client et traduisent l’interdépendance de l’entreprise et de ses usagers.

121Si aucune modification des relations avec les fournisseurs n’apparaît dans le contexte plus récent, la stabilisation du marché de l’emploi se traduit par une faible interdépendance entre les employés (qui peuvent trouver ailleurs) et l’entreprise (qui peut aussi embaucher et licencier sans difficulté).

122Cette lecture de la dynamique des SCG par les PP met en évidence des rôles différents des SCG (légitimation externe ou pilotage) en fonction de la position et de la stratégie des différentes PP par rapport à l’entreprise lors du passage du système planifié vers l’économie de marché. La figure 4 reprend chacune des PP à l’aune du cadre théorique mobilisé et montre ainsi l’évolution des liens de dépendance.

123Cette classification montre qu’émerge un SCG que lorsque l’entreprise est en relation de dépendance vis-à-vis d’une PP. Deux situations sont ainsi possibles : (i) La PP détient le pouvoir et impose les outils (cas du GOSPLAN durant la période soviétique ou des IFI actuellement avec les contrats de financement). L’usage des SCG ne sert qu’à donner l’image de conformité aux exigences de ces PP. (ii) L’entreprise est dans une relation d’interdépendance et cette relation fait émerger des outils de pilotage nécessaires à la survie de l’entreprise (comme le suivi des indicateurs clients et du taux de recouvrement).

124Comme les études précédentes en contexte post-communiste (Riskal, 2009 ; Zernand-Vilson et Terk, 2009 ; Albu et Albu, 2012), ce travail montre que l’adoption des SCG lors de la transition est principalement associée à l’influence étrangère. Cependant, cette adoption ne se traduit pas automatiquement par un changement des pratiques. Notre recherche couvre cet aspect, apportant une compréhension de l’émergence et l’usage des SCG en contexte de management public dans un ancien pays soviétique.

Figure 4

L’évolution des liens de dépendances des Parties Prenantes durant les 3 périodes

Figure 4
Liens de dépendance des PP avec Moldwater durant la Période Soviétique La PP dépend-elle de l’entreprise ? Non Oui L’entreprise dé- pend-elle de la PP ? Non Interdépendance faible Fournisseurs, usagers, établissements de crédit (Gosbank), employés Pouvoir de l’entreprise Oui Pouvoir de la PP Gosplan (État-Parti Communiste) Interdépendance forte Liens de dépendance des PP avec Moldwater durant la première phase de transition La PP dépend-elle de l’entreprise ? Non Oui L’entreprise dé- pend-elle de la PP ? Non Interdépendance faible Fournisseurs, Établissements de crédit (Banques moldaves) Pouvoir de l’entreprise Employés Oui Pouvoir de la PP État (Ministère) ; usagers Interdépendance forte Liens de dépendance des PP avec Moldwater durant la deuxième phase de transition La PP dépend-elle de l’entreprise ? Non Oui L’entreprise dé- pend-elle de la PP ? Non Interdépendance faible Fournisseurs, employés Pouvoir de l’entreprise Oui Pouvoir de la PP Actionnaire (Conseil Municipal), Établissements de crédit (IFI) Interdépendance forte Clients

L’évolution des liens de dépendances des Parties Prenantes durant les 3 périodes

Conclusion

125Cet article se propose d’analyser le SCG d’une entreprise publique d’une ancienne république Soviétique en mettant en évidence le rôle des PP dans l’évolution des outils de contrôle de gestion et de leur usage lors de la transition du système centralisé vers l’économie de marché. En mobilisant une approche historique, nous retraçons l’évolution du SCG d’une entreprise publique moldave de distribution de l’eau. Notre démarche longitudinale permet d’étudier à l’aide d’un cadre théorique particulier, propre au management public et au contrôle de gestion, un environnement d’enjeu majeur pour le management public qui est celui des WSC.

126Plusieurs apports caractérisent notre travail :

  • Notre recherche s’oppose au consensus de la littérature récente (Moilanen, 2008) selon lequel le contrôle de gestion n’existait pas dans l’économie centralisée, en montrant que l’URSS était gérée comme une entreprise unique, avec un SCG au niveau macro qui servait à mettre en place l’idéologie communiste à tous les niveaux du système économique. Le SCG est mis en place dans les entreprises par obligation légale, comme réponse aux pressions d’une PP dominante (État actionnaire). Mais il sert uniquement comme outil de légitimation externe, assurant aux entreprises l’accès aux ressources, alors qu’il est découplé des pratiques réelles de gestion.
  • Le manque d’étude sur les SCG publiques dans les anciennes républiques Soviétiques pourrait suggérer que le contrôle de gestion n’est pas utilisé dans ce contexte. Notre étude de cas montre au contraire qu’il y a réellement une démarche publique de contractualisation de la performance au service des PP et que les économistes assurent le suivi de cette contractualisation. Ainsi, les outils, méthodes et acteurs de l’ancien SCG hérité du monde soviétique n’ont pas disparu dans la WSC mais ont été adaptés pour être mis au service de la stratégie pilotée par le Conseil Local sous la contrainte de financeurs internationaux. D’un point de vue empirique, cette étude montre qu’un SCG semble facile à installer dans ces anciennes firmes soviétiques, les efforts devraient être orientés vers son usage par le management.
  • D’un point de vue méthodologique, le couplage d’une perspective historique d’analyse d’un SCG avec un cadre théorique permet de mettre en évidence le rôle des PP dans l’évolution des outils et des rôles du contrôle de gestion dans la WSC.
  • D’un point de vue théorique, le recours à la théorie des PP explique certaines évolutions du SCG, notamment les mutations récentes liées à l’arrivée des bailleurs de fonds internationaux qui imposent un système formel de planification et reporting réalisé pour eux. Nos résultats mettent en évidence deux logiques opposées d’usage des outils de contrôle de gestion et expliquent les choix organisationnels quant à un de ces usages en fonction des pressions exercées par les PP et le pouvoir/rapport de force de l’entreprise avec les PP. Cependant, certains phénomènes ne sont pas expliqués par le recours aux PP, comme la continuation du système de reporting soviétique sur la première période de transition. Des routines institutionnelles expliqueraient peut-être ce phénomène. Une telle approche pourrait être intéressante pour des recherches futures.

127Les limites de la recherche sont autant de pistes pour la mise en œuvre d’études futures ; deux limites et deux pistes de recherches nous semblent intéressantes.

128La première limite porte sur le fait que les données empiriques concernent un seul pays, la Moldavie. Néanmoins, comme tous les pays de l’ex URSS partagent un passé commun dans le domaine économique et social, l’analyse de la situation dans un pays « laboratoire de recherche » contribue à la compréhension des situations passées et actuelles dans l’ensemble de l’espace post-soviétique et permettrait l’extrapolation des résultats selon Alexander et Ghedrovici (2013). Cependant, afin de pouvoir extrapoler nos résultats d’une manière fiable, une première perspective est d’étendre notre recherche sur d’autres républiques soviétiques. Une approche multi-cas dans d’autres anciens pays communistes d’Europe de l’Est permettra de comparer l’évolution et le rôle des SCG dans les sociétés d’eau publiques et les changements induits par la transition dans le contexte particulier des WSC.

129La deuxième limite concerne l’approche qualitative de recherche. Compte tenu de notre terrain particulier (ancien pays soviétique dans lequel les enquêtes par questionnaire sont complexes et quasi-impossibles à mener correctement), le recours à une approche qualitative nous permet d’avoir une démarche compréhensive des phénomènes étudiés. De manière plus globale, les limites inhérentes à toute recherche qualitative s’appliquent à notre recherche et sont recevables.

130Deuxième perspective : proposer un protocole de recherche permettant de travailler en contexte post-soviétique avec une approche quantitative en vue de comparer nos résultats avec ceux d’une étude par questionnaires. Dans cette perspective, il convient de travailler avec une logique de fiabilité des données des questionnaires et des firmes de manière à s’assurer de la qualité des réponses et des interlocuteurs. L’objectif de cette recherche serait de parvenir à proposer une typologie des SCG des entreprises publiques travaillant dans le contexte des WSC et issues des anciennes républiques soviétiques.

Bibliographie

Bibliographie

  • ALEXANDER, D. ; GHEDROVICI, O. (2013). « Evolution of accounting in Moldova : Some reflections about the importance of historical and cultural factors », Accounting in Central and Eastern Europe. Research in Accounting in Emerging Economies. : Emerald Group Publishing Limited, p. 121-142.
  • ANDERSON, S.W. ; LANEN, W.N. (1999). « Economic transition, strategy and the evolution of management accounting practices : the case of India », Accounting, Organizations and Society, 24(5-6), p. 379-412.
  • ANDREFF, W. (2007). Économie de la transition : La transformation des économies planifiées en économies de marché, Éditions Bréal.
  • ANTHONY, R.N. (1988). Management Control Function, Boston, Mass : Harvard Business Review Press.
  • ANTHONY, R.N. (1965). Management Planning and Control Systems : A Framework for Analysis, Boston, Graduate School of Business Administration, Harvard University.
  • ANTHONY, R.N. ; GOVINDARAJAN, V. (2001). Management Control Systems, McGrawHill.
  • ATKINSON, A.A. ; WATERHOUSE, J.H ; WELLS, R.B. (1997). « A Stakeholder Approach to Strategic Performance Measurement », Sloan Management Review, 38(3), p. 25-37.
  • BAILEY, D. (1995). « Accounting in transition in the transitional economy », European Accounting Review, 4(4), p. 595-623.
  • BAILEY, D. (1975). « The Business of Accounting : East and West », Journal of Management Studies, 12(1), p. 28-44.
  • BAJAN, M. (2015). Particularitățile contabilității și controlului de gestiune în întreprinderile producătoare de mobilă / The peculiarities of accounting and management control in the furniture manufacturing enterprises, Thesis. Chisinau, Moldova : Academia de Studii Economice a Moldovei.
  • BARON, C. (2007). « Société civile et nouvelles formes de partenariat pour l’accès à l’eau dans les pays en développement », Revue internationale et stratégique, (66), p. 79-92.
  • BERLAND, N. (1999). L’histoire du controle budgetaire en France. Les fonctions du contrôle budgétaire, influences de l’idéologie, de l’environnement et du management stratégique, Phd Thesis. Université Paris Dauphine - Paris IX.
  • BERTIN, A. ; CLÉMENT, M. (2008). « Pauvreté, pénurie et transition en Russie : de l’économie soviétique à l’économie de marché », Revue d’études comparatives Est-Ouest, 39(1), p. 179-202.
  • BOSTON CONSULTING GROUP (2007). Étude économique comparative relative aux modes de gestion des services d’eau, Boston Consulting Group.
  • BOUQUIN, H. (2010). Le contrôle de gestion : contrôle de gestion, contrôle d’entreprise et gouvernance, 9e édition mise à jour, Paris, Presses universitaires de France.
  • BRIGNALL, S. ; MODELL, S. (2000). « An institutional perspective on performance measurement and management in the “new public sector” », Management Accounting Research, 11 (3), p. 281-306.
  • BROMWICH, M. ; SCAPENS, R.W. (2016). « Management Accounting Research : 25 years on », Management Accounting Research, 31 (Supplement C), p. 1-9.
  • BUDNIKOWSKI, A. (1992). « Transition from a centrally planned economy to a market economy : The case of Poland », Technological Forecasting and Social Change, 41(3), p. 257-270.
  • CARROLL, A.B. ; NÄSI, J. (1997). « Understanding Stakeholder Thinking : Themes from a Finnish Conference », Business Ethics : A European Review, 6(1), p. 46-51.
  • CHAPPOZ, Y. ; PUPION, P.-C. (2012). « Le New Public Management », Gestion et management public, volume i/ n° 2(2), p. 1-3.
  • CLARKSON, M.B.E. (1995). « A Stakeholder Framework for Analyzing and Evaluating Corporate Social Performance », The Academy of Management Review, 20(1), p. 92-117.
  • COLASSE, B. (1988). « Les trois ages de la comptabilité », Revue Française de Gestion, p. 83-87 et p. 209-211.
  • DIMAGGIO, P.J. ; POWELL, W.W. (1983). « The Iron Cage Revisited : Institutional Isomorphism and Collective Rationality in Organizational Fields », American Sociological Review, 48(2), p. 147-160.
  • EUROPEAN COMMISSION (2015). Implementation of the European Neighbourhood Policy in the Republic of Moldova Progress in 2014 and recommendations for actions, Brussels.
  • FENIES, P. (2010). Manager la Performance de la Supply Chain, Éditions universitaires europeennes.
  • FERREIRA, A. ; OTLEY, D. (2009). « The design and use of performance management systems : An extended framework for analysis », Management Accounting Research, 20(4), p. 263-282.
  • FREEMAN, R.E. (1984). Strategic Management : A Stakeholder Approach, First edition, Boston, Harpercollins College Div.
  • FROOMAN, J. (1999). « Stakeholder Influence Strategies », The Academy of Management Review, 24(2), p. 191-205.
  • GHEDROVICI, O. ; MIHAILA, S. ; ERHAN, L. ; BIRCA, A. (2014). « Transition to IFRS in the Republic of Moldova : general and practical aspects », Accounting & Management Information Systems / Contabilitate si Informatica de Gestiune, 13(2), p. 259-280.
  • GIBSON, K. (2000). « The Moral Basis of Stakeholder Theory », Journal of Business Ethics, 26(3), p. 245-257.
  • GOVERNMENT OF REPUBLIC OF MOLDOVA (1997). Government Directive on Accounting Reform.
  • HARE, P. (1987). « Economic Reform in Eastern Europe », Journal of Economic Surveys, 1(1-2), p. 25-58.
  • HARRISON, J.S. ; FREEMAN, R.E. ; SÁ DE ABREU, M.C. (2015). « Stakeholder Theory As an Ethical Approach to Effective Management : applying the theory to multiple contexts », Revista Brasileira de Gestão de Negócios, 17, p. 858-859.
  • HEALEY, N.M. (1994). « The transition economic of central and eastern Europe : A political, economic, social and technological analysis », The Columbia Journal of World Business, 29(1), p. 62-70.
  • HOOLEY, G. ; FAHY, J. ; GREENLEY, G. ; BERACS, J. ; FONFARA, K. ; SNOJ, B. (2003). « Market orientation in the service sector of the transition economies of Central Europe », European Journal of Marketing, 37(1/2), p. 86-106.
  • IMF (1996). Moldova : Recent Economic Developments, International Monetary Fund.
  • KALLUNKI, J.-P. ; MOILANEN, S. ; SILVOLA, H. (2008). Western management accounting and controls in Russian firms : an analysis of the extent of the use and its influences, Oulu, Finland, Faculty of Economics and Business Administration University of Oulu.
  • KHODACHEK, I. ; TIMOCHENKO, K.Y. (2014). Exploring Russian government budgeting in its context, In CIGAR Workshop.
  • LABARDIN, P. (2017). L’essentiel de l’histoire de la gestion 2017-2018, Gualino.
  • LE LANNIER, A. ; PORCHER, S. (2012). « Gestion Publique ou Privée ? Un benchmarking des services d’eau en France », Revue d’économie industrielle, (140), p. 19-44.
  • LIIKANEN, I. ; SCOTT, J.W. ; SOTKASIIRA, T. (2016). The EU’s Eastern Neighbourhood : Migration, Borders and Regional Stability, Routledge.
  • MALMI, T. ; BROWN, D.A. (2008). « Management control systems as a package − Opportunities, challenges and research directions », Management Accounting Research, 19(4), p. 287-300.
  • MERCIER, S. (2010). « Une analyse historique du concept de parties prenantes : Quelles leçons pour l’avenir ? », Management Avenir, n° 33 (3), p. 142-156.
  • METREVELI, T. (2013). The Evolution of Totalitarianism : From Stalin to Putin, Atlantic Community.
  • MEYER, J.W. ; ROWAN, B. (1977). « Institutionalized Organizations : Formal Structure as Myth and Ceremony », American Journal of Sociology, 83(2), p. 340-363.
  • MIHAILA, S. (2013). Contabilitatea şi controlul de gestiune la întreprinderile de prelucrare a cărnii, Thesis, Republica Moldova, Academia de Studii Economice din Moldova.
  • MIRONOVA, A. ; BOVAIRD, T. (1999). Performance Management in the Soviet Union : A conceptual framework, Birmingham, Aston Business School.
  • MITCHELL, R.K. ; AGLE, B.R. ; WOOD, D.J. (1997). « Toward a Theory of Stakeholder Identification and Salience : Defining the Principle of Who and What Really Counts », The Academy of Management Review, 22(4), p. 853-886.
  • MOILANEN, S. (2008). The role of accounting in management control systems of firms having subsidiaries in the Former Soviet Union, Thesis, Oulu, University of Oulu.
  • MONOBAYEVA, A. ; HOWARD, C. (2015). « Are post-Soviet republics ready for the new public management ? The case of educational modernization in Kazakhstan », International Journal of Public Sector Management, 28(2), p. 150-164.
  • MUSCA, G. (2006). « Une stratégie de recherche processuelle : l’étude longitudinale de cas enchâssés », M@n@gement, 9(3), p. 153-176.
  • NOBRE, T. ; RISKAL, D. (2003). L’évolution des pratiques de contrôle de gestion dans les entreprises russes après 1992, Identification et maîtrise des risques : enjeux pour l’audit, la comptabilité et le contrôle de gestion, Belgique.
  • PALADI, I. ; FENIES, P. (2018). « Les spécificités du contrôle de gestion dans les pays de l’Europe centrale et orientale : une revue de la littérature », Management international, 23(1), p. 117-137.
  • PALADI, I. ; FENIES, P. (2016). « Performance Management in Central And Eastern European Countries : A Literature Review », in EPSTEIN, M.J. ; VERBEETEN, F. ; WIDENER S.K. (eds), Performance Measurement and Management Control, Studies in Managerial and Financial Accounting, Emerald Group Publishing Limited, p. 217-273.
  • PANKOV, D. ; BAILEY, D. (1998). « Accounting for change in Belarus », Management Accounting : Magazine for Chartered Management Accountants, 76(10), p. 56.
  • REJC, B.A. ; ZAMAN, G.M. (2012). « Contemporary performance measurement systems in central and eastern Europe : A synthesis of the empirical literature », Journal for East European Management Studies, 17(1), p. 68-103.
  • RENAUD, A. (2009). « Le rôle des outils de mesure de la performance environnementale : le cas des audits et indicateurs environnementaux dans dix entreprises françaises certifiées ISO 14001 », Management Avenir, 29(9), p. 344-362.
  • RENAUD, B. (1995). « The Real Estate Economy and the Design of Russian Housing Reforms, Part I », Urban Studies, 32(8), p. 1247-1264.
  • REZAEE, Z. (2016). « Business sustainability research : A theoretical and integrated perspective », Journal of Accounting Literature, 36, p. 48-64.
  • RISKAL, D. (2009). L’évolution des pratiques de contrôle de gestion dans les entreprises russes après 1992, Thesis, France, Université de Strasbourg.
  • SHAMA, A. (1994). « The transformation of Russian management : a qualitative and theory building approach », International Business Review, 3(3), p. 289-309.
  • SIEGELBAUM, P. (2002). Structural Adjustment in the Transition : Case Studies from Albania, Azerbaijan, Kyrgyz Republic, and Moldova, World Bank Publications.
  • SIMAI, M. (2006). Poverty and Inequality in Eastern Europe and the CIS Transition Economies, United Nations Department of Economic and Social Affairs.
  • SIMONS, R. (1987). « Accounting control systems and business strategy : An empirical analysis », Accounting, Organizations and Society, 12(4), p. 357-374.
  • SIMONS, R. (1995). Levers of Control : How Managers Use Innovative Control Systems to Drive Strategic Renewal, Boston, Mass : Harvard Business Review Press.
  • SINKOVIĆ, G. ; CURRIE, D. ; BEVANDA, V. (2011). « From it to BSC : the importance of culture in implementing a performance measurement system in Croatia », Indian journal of economics & business : IJEB, 10(1), p. 39-55.
  • TESSIER, S. ; OTLEY, D. (2012). « A conceptual development of Simons’ Levers of Control framework », Management Accounting Research, 23(3), p. 171-185.
  • ŢUGULSCHI, I. (2013). Perfecționarea contabilității consumurilor în vederea luării deciziilor manageriale / Improvement of costs accounting for managerial decision making, Thesis, Chisinau, Moldova, Academia de Studii Economice a Moldovei.
  • YIN, R.K. (2009). Case Study Research : Design and Methods, 4th edition, Sage Publications.
  • ZALESKI, E. ; GRANICK, D. (1959). « Management of the Industrial Firm in the USSR », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 14(2), p. 396-398.

Notes

  • [1]
    Territoire historiquement roumain, la Moldavie a connu une forte « colonisation slave » : entre 1812 – 1918 sous l’Empire Russe (entre 1918-1940 et 1941-1944 faisant partie de la Roumanie) et après 1944 quand elle a été annexée par l’URSS. Indépendante depuis 1991, la Moldavie n’a pas achevé le processus de transition et le succès des réformes reste discutable.
  • [2]
    Département financier et de Planification : élabore les plans financiers et répartit les limites du personnel administratif et la masse salariale ; élabore avec les autres départements du ministère les plans de production mensuels, trimestriels, annuels et de « perspective (pluriannuels) », des plans de construction et rénovation des logements et des infrastructures et reçoit le suivi de l’exécution des plans. Il gère l’élaboration du reporting statistique. (Source : FR 3002-1).
  • [3]
    Direction des entreprises communales : gère l’activité de production des réseaux communaux d’eau, bains publics, transports électriques, services funéraires, usines de réparations et mécaniques ; contrôle l’exécution des investissements du plan de toutes ces entreprises. (Source : FR 3002-1).
  • [4]
    Fonds d’archives FR 3002, 5, 457, Ministère des Services communaux de la RSS Moldave, Département Financier et de Planification, année 1971.
bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.9.172

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions