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Article de revue

L’organisation d’un management collaboratif entre acteurs publics et acteurs civils : le rôle d’organisation frontière d’une association d’insertion dans l’emploi pour les jeunes diplômés

Pages 9 à 26

Notes

  • [1]
    Notre traduction.
  • [2]
    Notre traduction.
  • [3]
    D’autant plus que certaines associations trouvent une partie de leurs financements auprès d’eux, et peuvent même s’y substituer pour certaines missions, ce qui pose la question de leur instrumentalisation.
  • [4]
    Notre traduction.
  • [5]
    Notre traduction.
  • [6]
    Notre traduction.
  • [7]
    Notre traduction.
  • [8]
    Notre traduction.
  • [9]
    En novembre 2019, NQT affiche sur son site web plus de 48 000 jeunes accompagnés et déclare que « 70 % des jeunes diplômés accompagnés trouvent un emploi en 6 mois en moyenne ».
  • [10]
    Cette remise s’est déroulée au Palais de l’Élysée le 21 octobre 2015. Le livre blanc s’intitule « Relançons l’ascenseur social », édité par l’association NQT, publié en 2015.
  • [11]
    À savoir favoriser l’accès à l’emploi des jeunes issus de quartiers sensibles et/ou d’un milieu social défavorisé.

1 – Introduction

1Dans un contexte de post-NPM (New Public Management) où la coordination inter-organisationnelle est le maître mot (Christensen et Laegreid, 2011) et où les initiatives civiles se développent face aux difficultés de la puissance publique à répondre aux défis de société, les recherches se multiplient pour comprendre en quoi et comment les organisations de l’économie sociale et solidaire contribuent à l’action publique (Laville et Salmon, 2015). Parmi les actions menées, certaines s’appuient sur l’articulation entre des acteurs publics, privés et associatifs. Nous nous intéressons à ces actions et cherchons à en dégager les conditions organisationnelles de performance et de réussite.

2Nous nous positionnons dans le champ théorique du management public collaboratif (Agranoff et McGuire, 2003 ; McGuire, 2006), qui place au centre de son questionnement le dépassement des frontières des organisations pour permettre un renouveau de l’action publique, fondé sur une collaboration entre des acteurs hétérogènes. Le management public collaboratif est en effet une réponse à ces enjeux d’intégration et de coordination inhérents à une action publique plurielle. « Collaboratif signifie travailler à plusieurs, atteindre des buts communs, en travaillant souvent à travers les frontières dans le cadre de relations plurisectorielles et pluri-acteurs [1] » (Agranoff et McGuire, 2003, p. 3). Ce courant de recherche accorde une « attention renouvelée aux formes organisationnelles transfrontières [2] » (O’Leary et Vij, 2012, p. 507), et s’intéresse à l’évolution du rôle des managers publics dans la mesure où ceux-ci ne peuvent plus se contenter seulement d’administrer l’organisation dont ils ont la charge pour résoudre les problèmes qui se posent à eux (Ibid.) mais doivent collaborer pour résoudre des problèmes qui ne pourraient pas être résolus autrement.

3De nombreux travaux en management public collaboratif questionnent la notion de frontière en lien avec les organisations (Lamont et Molnar, 2002), et ouvrent des pistes d’analyse intéressantes pour étudier la collaboration en management public. C’est souvent l’acteur public qui, comme une évidence, porte la lourde tâche de créer un cadre partagé pour un partenariat (Geddes, 2012). Néanmoins, cette responsabilité revient parfois à un acteur associatif, qui se substitue alors à l’acteur public au centre de la collaboration. Cette situation est d’autant plus intéressante à étudier qu’elle va à l’encontre de l’évidence de la primauté de l’acteur public et pourrait ouvrir de nouvelles perspectives en termes de management public collaboratif. Ainsi, on se demandera comment un acteur associatif peut impulser un « travail aux frontières » qui initie et soutienne un management public collaboratif. Telle est notre question de recherche.

4Pour y répondre, nous étudions le cas de l’association NQT qui aide des jeunes diplômés issus de quartiers prioritaires et/ou de condition sociale modeste à trouver un emploi à hauteur de leurs diplômes, grâce à un système de parrainage par des cadres expérimentés. Lors d’une recherche intervention, nous avons aidé cette association à caractériser son modèle à l’occasion de ses 10 ans, dans le cadre de l’écriture d’un livre blanc remis au Président de la République en 2015. À travers la formalisation de ce modèle, il s’agissait aussi de comprendre la réussite d’une collaboration multi-partenariale entre acteurs publics, privés et associatifs. L’analyse de ce cas permet de mettre à jour un type de dispositif spécifique favorisant les collaborations de cette nature – en l’occurrence une association jouant un rôle de boundary organization (O’Mahony et Bechky, 2008) –, et d’explorer la façon dont celui-ci contribue au boundary work.

2 – Cadre théorique

5Nous revenons tout d’abord sur les travaux qui s’interrogent sur les collaborations entre les associations et l’acteur public. Ils mettent en particulier l’accent sur la nécessaire articulation entre des acteurs hétérogènes. Cela nous conduit, dans un second temps, à mobiliser les recherches sur la notion de frontière, et plus particulièrement la façon dont le « travail aux frontières » peut faciliter cette articulation.

2.1 – Quelles collaborations entre les associations et l’acteur public ?

6Par nature, associations et acteur public paraissent s’opposer. En effet, les associations sont fondées sur la base d’initiatives privées, et sont porteuses de projets venant de la société civile, alors que l’acteur public remplit, de manière descendante, une mission de service public. Toutefois, les projets associatifs rencontrent parfois des missions du domaine public, et les associations peuvent alors, comme l’explique Marival (2011), être qualifiées d’espaces intermédiaires entre la sphère publique et le marché. Dans différents secteurs, les associations entretiennent de fait des liens très étroits avec l’acteur public [3].

7Beaucoup de ces analyses sont ainsi centrées sur la question des relations entre l’État et les associations. Mais c’est souvent du point de vue de l’acteur public, appréhendé de façon monolithique, et de ses désengagements (Cottin-Marx et al., 2017) ou de ses insuffisances, que la question est traitée. La pression liée au financement difficile des associations comme des services publics sous-tend la réflexion sur l’évolution de la relation entre ces acteurs. L’analyse porte beaucoup plus rarement sur la co-production d’un service d’intérêt général qui associe des acteurs hétérogènes.

8Toutefois, Laville (2010) argumente sur le fait qu’il est nécessaire de passer d’une problématique de l’instrumentalisation selon laquelle les associations seraient « le cheval de Troie du désengagement de l’État » à une autre problématique mettant au cœur de la réflexion « l’arrimage entre action collective et pouvoirs publics » (p. 163). Plusieurs auteurs se sont engagés dans la voie proposée par Laville. Pour certains, le rôle d’entrepreneur social et de porteur d’innovation joué par les associations (Lévy et Rival, 2010) amène ces dernières à repérer et à répondre à des besoins sociaux non satisfaits. Les initiatives impulsées par les associations viendraient alors compléter les actions déployées par les acteurs publics. Pour qualifier les liens entre les acteurs publics et les associations, certains vont même jusqu’à parler de « co-gestion » (Demoustier, 2005) de certaines politiques publiques ; tandis que d’autres se contentent de souligner l’existence de « formes multiples d’interaction » (Marival, 2011).

9La coopération multi-acteurs apparaît ainsi comme une autre porte d’entrée pour analyser la construction de services ou de dispositifs d’intérêt général (Michaux et al., 2011). Elle permet notamment de comprendre le fonctionnement tout à la fois quotidien et dans la durée d’une coproduction. Dès lors, il ne s’agit plus de savoir si les associations rendent ou non le service public, si elles sont instrumentalisées ou non, sous pression ou pas, mais de comprendre leur rôle dans le dispositif multi-acteurs et la façon dont elles usent de leur positionnement singulier. Cette question est d’autant plus importante que l’action associative se niche souvent dans les interstices non couverts par l’action publique et qu’elle répond à des besoins non pris en charge par le marché. Les associations réussissent même parfois à faire coopérer des acteurs privés (marchands) et des acteurs publics qui, sans elles, n’y seraient pas parvenus.

10Les associations peuvent donc impulser de nouvelles configurations collaboratives, dont le caractère novateur interroge la réciprocité entre acteurs, l’autonomie dont ils peuvent faire preuve, et l’indépendance qui peut être la leur. C’est cette dynamique que nous voulons explorer dans cet article, en questionnant la place nouvelle que peuvent prendre les associations dans ce type de coopération.

11Cette question fait écho aux travaux portant sur le management public collaboratif. Ces derniers ont émergé en réaction au mouvement du Nouveau Management Public. D’une part, il s’agissait pour un acteur public qui voyait les services publics traditionnels lui échapper (Anttiroiko et Valkama, 2016, p. 678), de reprendre le contrôle via l’intégration des différents contributeurs à l’action publique. D’autre part, il s’agissait de mieux prendre en compte la complexité de cette dernière, qui nécessite l’intervention de plusieurs acteurs de part et d’autre de frontières définies (Kettl, 2006), et donc une meilleure coordination horizontale pouvant prendre la forme du réseau, de l’équipe ou du projet (Christensen et Laegreid, 2011).

12Les questions d’intégration et de coordination sont donc centrales dans la réflexion sur le management public collaboratif. Mais considérer que l’acteur public reste la « plateforme de toutes les connexions », comme le rappelle Geddes (2012), et lui conférer une position centrale dans la collaboration, se révèle souvent problématique. Cette centralité de l’acteur public peut en effet générer une asymétrie allant à l’encontre de la collaboration. Ainsi, Bureau et al. (2013), mais aussi Chabault et Martineau (2013), pointent les risques d’un contrôle trop fort de la part de l’État. À distance, sans réelle compréhension de ce qui se joue sur le terrain, la contrainte exercée par cet acteur central dominant peut entraver la logique de collaboration pourtant souhaitée.

13Les recherches en management public collaboratif convergent ainsi vers la nécessité de traverser les frontières institutionnelles pour rapprocher les parties prenantes de l’action publique, dans une relation équilibrée et réciproque garantissant leur autonomie (Agranoff et McGuire, 2003), plutôt que de privilégier le tropisme centralisateur de l’acteur public. La notion de « boundary work » (Quick et Feldman, 2014) permettant de travailler à l’élaboration d’un cadre commun (Emerson et al., 2012), apparaît ainsi comme incontournable pour permettre l’action collaborative. C’est ce travail aux frontières qui va être au cœur de notre réflexion.

2.2 – Les ressorts du « travail aux frontières »

La recherche d’un cadre commun

14Plusieurs auteurs s’interrogent sur le cadre qu’il convient de mettre en place pour dépasser les différences entre acteurs. Certains travaux relativement anciens en management public pointaient déjà l’importance (et la difficulté) d’un cadre partagé par les acteurs (Muller, 2000 ; Lascoumes et Le Bourhis, 1998). Plus récemment, les travaux de Chanut et Rochette (2012) ont décrit la fabrique de la marque « Auvergne » et montré en particulier comment les différents protagonistes trouvent à s’accorder, en agissant « sur la base de conventions communes (notamment le code de marque formalisé), d’habitudes de travail et aussi d’intérêts communs » (Ibid., p. 502).

15On retrouve ce même souci d’un cadre commun dans les recherches sur les démarches collaboratives en management public, puisque Quick et Feldman (2014) évoquent l’idée d’un « framework ». Emerson et al. (2012) font, quant à eux, reposer l’existence d’un régime de gouvernance collaborative sur une dynamique vertueuse combinant plusieurs ingrédients. En premier lieu, se construit un engagement fondé sur des principes (« principled engagement ») qui permet progressivement d’identifier les différents partenaires, et les amène à travers une série d’itérations à une vision partagée du but et d’une « théorie de l’action » également partagée (2012, p. 11). L’existence d’une « motivation partagée » est le second ingrédient qui permet la dynamique collaborative. Elle est fondée notamment sur une « confiance » et une « compréhension » entre les partenaires, et requiert une « légitimité » du projet en interne pour chaque partenaire, ainsi qu’un « engagement » qui en découle. Enfin, Emerson et al. incluent dans le cercle vertueux du régime de gouvernance collaborative la nécessité d’une « capacité d’action conjointe », qui se distingue par le fait qu’agir collectivement donne une meilleure capacité à atteindre les buts fixés (du fait d’un partage de ressources, de connaissances, d’une combinaison de leaderships, etc.).

16L’élaboration de ce cadre commun aux acteurs requiert en tout état de cause un boundary work efficace, c’est-à-dire un travail sur les frontières pour faire des ponts entre les parties prenantes de l’action publique plutôt que des murs, afin d’inventer des solutions nouvelles et inclusives (Quick et Feldman, 2014, p. 690).

Les pratiques de boundary work

17La notion de boundary work, a été proposée à l’origine par Gieryn (1983) pour souligner les différences entre groupes sociaux. Gieryn a proposé ce concept pour expliquer comment, dans le domaine scientifique, sont établies les frontières entre ce qui est, et ce qui n’est pas de la science (mais par exemple de la religion, de l’éthique, ou autre), et quels mécanismes sont mobilisés par les scientifiques pour protéger ce qu’ils considèrent comme leur domaine de légitimité. Dans ces premières acceptions, le travail aux frontières était donc destiné à « séparer », à marquer la frontière. De fait, de nombreux auteurs se sont intéressés au travail à la frontière pour comprendre comment il distingue (Burri, 2008), comment il légitime et oppose (Gieryn, 1999). Dans une perspective contraire, d’autres auteurs vont s’intéresser au boundary work en tant qu’il est créateur de collaborations.

18C’est ce que proposent Quick et Feldman (2014), dans le cadre du management public collaboratif, en identifiant deux façons contrastées de considérer les frontières : soit comme des barrières, dans la même lignée que les auteurs précédents, soit comme des jonctions poreuses, « qui rendent possibles des connexions variées [4] » (p. 674). Ils identifient trois pratiques de boundary work créatrices de connexions, et qui jouent en tant que « cadre de référence » [5]. La pratique de « traduction » veut aboutir à une multi-vocalité, ce qui peut passer par la création d’un nouveau langage ou d’un nouveau mode d’expression. La pratique « d’alignement dans la différence » [6] implique d’accepter les différences et de les considérer comme un point de départ pour faire émerger des intérêts partagés. La troisième pratique, « dépasser les différences » [7], consiste, quant à elle, à minimiser les différences (par exemple en mettant plus le focus sur les points d’accord que sur les désaccords, ou encore en créant une nouvelle zone de collaboration, plus neutre).

L’appui sur des objets frontières ou sur une organisation frontière : concilier la convergence et la divergence

19La perspective sur le travail aux frontières résonne avec les réflexions menées par Star et Griesemer sur les boundary objects (Star et Griesemer, 1989), qui cherchent à mieux comprendre comment se fait la communication entre différents mondes sociaux. Les boundary objects ont une structure stable et partagée, mais peuvent être interprétés de manière différente, ce qui permet à différents acteurs de conserver leur propre référentiel et de poursuivre leurs intérêts, tout en se retrouvant autour de l’objet (Star et Griesemer, 1989 ; Bechky, 2003), qui fait alors office de cadre commun. Toutefois, il s’agit là d’artefacts matériels ou symboliques.

20Dans une perspective proche, des sociologues des sciences ont proposé la notion de boundary organization (Guston, 2001), en particulier pour étudier des organisations qui permettent de rapprocher scientifiques et non scientifiques (des politiques par exemple). La boundary organization s’appuie sur des mécanismes qui renforcent des intérêts convergents, tout en permettant à des intérêts divergents d’exister. Elle fait donc office de pont, tout comme les boundary objects, mais les processus étudiés sont ici de nature organisationnelle. « Les boundary organizations peuvent ménager les intérêts variés des différentes parties en fournissant un mécanisme qui renforce les intérêts convergents tout en permettant aux divergences de persister » (O’Mahony et Bechky, 2008, p. 426) [8].

21L’apport de O’Mahony et Bechky va être justement de repérer les mécanismes organisationnels qui jouent le même rôle que celui des boundary objects, à savoir concilier la convergence et la divergence ; il s’agit également d’attirer l’attention sur des formes organisationnelles originales et nouvelles, des boundary organizations créées spécifiquement pour permettre le boundary work.

22Les auteurs identifient quatre domaines principaux qui favorisent la collaboration, faisant ainsi écho à des questionnements de la littérature en management public :

  • la gouvernance, également mise en avant par Favoreu et al. (2016, p. 449) qui étudient les processus de mise en place et de gouvernance des réseaux multi-parties-prenantes en analysant en particulier le rôle des acteurs pivots, publics ou privés ;
  • le contrôle de la production, et les règles d’appartenance, qui correspondent à la capacité d’action conjointe et à l’engagement fondé sur des principes, déjà évoqués ci-dessus (Emerson et al., 2012) ;
  • et la gestion de la propriété, qui s’intéresse aux droits de chaque organisation sur ce qui a été produit.

23Ces domaines s’ajoutent à ceux pointant le rôle du partage d’un langage (Quick et Feldman, 2014) et d’une motivation (Emerson et al., 2012).

2.3 – Notre problématique et nos questionnements

24En définitive, nous mobilisons les travaux sur le thème du boundary work et de la boundary organization pour interroger la collaboration entre les acteurs publics, privés et les associations. En prêtant attention aux caractéristiques de l’organisation frontière (telles que synthétisées à partir de notre revue de littérature dans le tableau 1), nous souhaitons rendre compte de l’importance des mécanismes organisationnels soutenant l’élaboration d’un cadre commun nécessaire à la collaboration, sans réifier les frontières, ni postuler à l’avance la centralité ou la domination de l’acteur public.

Tableau 1

Les ingrédients du boundary work et des boundary organizations soutenant la collaboration multi-acteurs

QUI ?Qui participe ?
Qui décide ?
Qui est propriétaire ?
Engagement fondé sur les principes (Emerson et al., 2012), membership (O’Mahony et Bechky, 2008)
Gouvernance (O’Mahony et Bechky, 2008 ; Favoreu et al., 2016)
Ownership (O’Mahony et Bechky, 2008)
COMMENT ?Quels sont les processus de production ?
Quel est le langage utilisé ?
Capacité d’action conjointe (Emerson et al., 2012), contrôle de la production (O’Mahony et Bechky, 2008)
Langage commun (Quick et Feldman, 2014)
POURQUOI ?Quelle mission ? Quel but ?Motivation partagée et engagement fondé sur les principes (Emerson et al., 2012)

Les ingrédients du boundary work et des boundary organizations soutenant la collaboration multi-acteurs

3 – Contexte et méthodologie

25Nous présentons dans cette partie l’étude de cas qui fonde notre analyse, son intérêt et son contexte. Puis nous donnons des éclairages sur notre méthodologie, qui combine une recherche intervention, des observations et des entretiens.

3.1 – L’intérêt du cas

26L’étude de cas sur laquelle nous nous appuyons est issue d’un travail réalisé dans le cadre d’une recherche intervention, suite à une demande de l’association NQT (acronyme de Nos Quartiers ont des Talents), qui œuvre à l’insertion sur le marché de l’emploi de jeunes diplômés issus des quartiers prioritaires et/ou de condition sociale modeste. Le modèle de NQT pourrait ne pas sembler particulièrement original du point de vue de la politique publique de l’emploi. En effet, de nombreux travaux soulignent, dans le cadre de cette dernière, la généralisation de l’accompagnement depuis le début des années 1990 (Goux, 2009), d’ailleurs parfois sans discernement (Fretel, 2013), et l’ouverture du service public à des opérateurs privés de placement (Divay, 2009). En outre, les leviers du parrainage et, plus largement, les principes de la discrimination positive sont déjà bien connus. Toutefois, NQT se distingue en ce qui concerne le segment de population ciblée (les jeunes diplômés des quartiers sensibles et/ou issus d’un milieu social modeste) et les résultats quantitatifs impressionnants revendiqués [9].

27L’action de cette association repose principalement sur l’organisation à grande échelle d’un système de parrainage de jeunes diplômés en recherche d’emploi par des professionnels confirmés, cadres occupant un poste dans les organisations privées ou publiques « mécènes-partenaires ». Concrètement, le jeune diplômé remplissant les conditions d’admissibilité dans le dispositif, se voit attribuer un parrain, qui va l’accompagner pendant quelques mois en le rencontrant régulièrement, pour l’aider à affiner son projet professionnel, le faire bénéficier de son réseau professionnel, le mettre en situation d’entretien, etc. L’objectif est atteint lorsque le jeune diplômé, qui est en parallèle en recherche d’emploi, en trouve un à la hauteur de son niveau de qualification.

28L’association a souhaité, à l’occasion de ses 10 ans, rédiger un livre blanc à remettre au président de la République [10], François Hollande, et a sollicité une équipe de chercheurs pour y contribuer. Il s’agissait en particulier de mettre au jour le modèle de fonctionnement qui sous-tend son action. Le livre blanc fonctionne ainsi comme un marqueur temporel, qui signale une certaine maturité de ce modèle. En mobilisant elle-même des partenaires, notamment des entreprises privées, l’association n’est pas dans la logique de sous-traitance des opérateurs privés de placement, répondant au cahier des charges de Pôle Emploi. Elle participe à une création de valeur tout à la fois partagée et plurielle. Plurielle car chaque partenaire trouve dans l’expérience une source de création de valeur, et partagée car NQT, à travers un « travail aux frontières », réussit à articuler les actions des différents acteurs. Le modèle NQT repose en effet sur la coopération entre de nombreux acteurs qui participent tous à la création de valeur générée par l’association.

29Il s’est agi pour nous, chercheurs, de rendre compte de la mise en place progressive d’une collaboration multi-partenariale rassemblant des acteurs hétérogènes et qui témoigne d’une co-production d’un service d’intérêt général. En particulier, c’est un dispositif organisationnel innovant qui a soutenu un travail aux frontières que nous avons souhaité analyser. Nous voulions comprendre comment ce dispositif a favorisé la collaboration et a suscité la construction d’un cadre commun ainsi que la mise en place d’une offre innovante en matière de politique de l’emploi à l’égard des jeunes.

3.2 – Le contexte de développement de NQT

30Le territoire sur lequel se crée à l’origine l’association est celui de la Seine-Saint-Denis (93). Les deux fondateurs de l’association s’y rencontrent en 2005, dans le cadre d’un groupement patronal local, le Medef 93. Tirant profit des liens déjà tissés aussi bien avec les entreprises qu’avec les élus locaux, ils créent au sein de ce Medef local des initiatives en faveur des jeunes diplômés. Leur projet est de promouvoir l’égalité des chances en commençant par « leur » territoire (pour « sauver » les jeunes qui galèrent, diplômes en poche) et, pour cela, de créer un dispositif de parrainage par des cadres expérimentés.

31Dès cette création, plusieurs types d’acteurs aux logiques très différentes interviennent. Ainsi, les fondateurs, animés par une logique tout à la fois entrepreneuriale et humaniste, trouvent des soutiens au niveau des acteurs publics (le préfet, la directrice de l’ANPE locale), politiques (le député local) et économiques (la présidente du MEDEF). Ils comprennent immédiatement l’intérêt qu’il y a à dépasser les frontières institutionnelles existantes. Pour chacun des acteurs, la valeur créée par le dispositif prend une teinte différente, mais en retour ils contribuent également à créer collectivement une offre fondée sur cette valeur plurielle, qui, au départ, s’exprime surtout en termes d’action pour le « territoire de Seine-Saint-Denis », pour « sauver les jeunes ».

32Une première expérimentation concerne 200 jeunes diplômés pour qui des rencontres avec des cadres d’entreprise vont être organisées. C’est un succès, et l’association naîtra l’année suivante, en 2006. Très tôt, le choix d’un développement à grande échelle est présent dans l’esprit des fondateurs (encouragés en cela tout à la fois par la présidente du Medef et le préfet), ce qui pose d’emblée la question de l’extension du modèle au niveau national. Bientôt, un autre acteur de poids va faire son entrée. Il s’agit des grandes entreprises, qui sont un réservoir de parrains-marraines et qui trouvent un intérêt à ce partenariat dans le cadre de leur politique de RSE. Elles aussi vont inciter NQT à se développer nationalement. L’association est dès lors lancée sur ces bases ambitieuses, qui permettent le développement du « modèle NQT ».

3.3 – Méthodologie

33À la demande des responsables de NQT, nous avons rédigé une analyse qui est venue nourrir une grande partie du livre blanc publié par l’association à l’occasion de ses 10 ans. Pour ce faire, nous avons entamé une collecte de données, à la fois par entretiens et par observation. Ainsi, vingt entretiens ont été réalisés entre mai et août 2015 avec des dirigeants et salariés de NQT, et 17 entretiens avec des jeunes diplômés. Ces entretiens ont été complétés par une analyse documentaire. Enfin, nous avons mené, sur dix demi-journées et soirées, des observations in situ centrées sur le fonctionnement « ordinaire » de l’association.

34C’est à partir de ce matériau empirique (synthétisé dans le tableau 2) que nous avons pu reconstituer les pratiques clés de l’association, leur histoire et leur évolution pour faire émerger les fondements de l’association, ses choix stratégiques, organisationnels et managériaux, et dégager ainsi les principales composantes du « modèle NQT ». De façon inductive et en confrontant nos analyses des données au sein de l’équipe de recherche, nous avons cherché à caractériser le fonctionnement de cette association.

Tableau 2

Données collectées

Entretiens semi-directifs20 entretiens (hors jeunes diplômés) de 30 minutes à 3 heures ont été menés d’avril à juillet 2015 auprès de représentants des différentes parties prenantes de l’association :
  • Salariés (entretiens durant entre 1 et 3h) : 2 entretiens avec la direction du pôle parrainage, 2 entretiens avec le pôle développement (le directeur, la responsable des partenariats institutionnels), 1 entretien avec la responsable pôle communication, 2 entretiens avec le président fondateur, 2 entretiens avec le directeur fondateur, et 1 avec la directrice adjointe, 1 entretien avec un chargé de développement territorial en région
  • Mécènes : 2 entretiens avec des représentants des entreprises privées, 1 entretien avec un acteur public
  • Parrains-marraines au sein des entreprises (5 entretiens, d’une demi-heure à 3 heures, et exploitation d’une enquête interne)
17 entretiens auprès de Jeunes diplômés bénéficiaires en juillet 2015 (durée d’une demi-heure à 1 h 30)
Documents internesRapports d’activité, fiches actions, processus internes, articles de presse, supports de communication (documents multimédias)
Comptes rendus des étapes du Tour de France des Régions réalisé en 2015, rédigés par le service Communication
Observations in situ
(mars à juin 2015)
Événement lié au parrainage (nuit du parrainage)
Observation d’ateliers proposés aux jeunes chez NQT et en entreprise (2 demi-journées)
Clubs Jeunes Diplômés organisés par des collectivités locales (2 séances de 2 heures)
Observation de l’équipe du pôle parrainage : 1 journée
Accompagnement des directeurs et de l’équipe communication à Lille sur une étape du Tour de France des régions : 1 journée
Participation à un événement de signature d’une convention avec une ville en région francilienne (une soirée)
Observation et rencontres au niveau de la gouvernance
(mars à juin 2015)
Observation d’une journée de travail stratégique du conseil d’administration : 1 journée
Observation de réunions de travail en sous-groupes avec des administrateurs, mécènes, souvent référents NQT pour leurs entreprises et eux-mêmes parrains-marraines (Orange, LVMH, BNP-Paribas, Carrefour, etc.)
Réunions de travail pour la co-construction du Livre Blanc4 réunions de travail pour la co-construction du Livre Blanc

Données collectées

35Par ailleurs, notre posture de recherche peut être considérée comme proche de la « recherche intervention », dans la mesure où le livre blanc était un enjeu majeur pour les acteurs de l’association (David, 2012), et que nous avons contribué à son écriture en restituant le modèle élaboré. Ainsi, nous avons cherché à saisir le modèle depuis l’intérieur de l’association, en nous basant principalement sur les logiques organisationnelles explicitées par les acteurs. Pour notre analyse, nous avons identifié et confronté les points de vue des différentes parties prenantes en nous focalisant prioritairement sur les éléments fédérateurs, qui « faisaient modèle ». Ces données discursives ont été triangulées avec nos observations et les documents consultés.

36En outre, nous avons cherché à faire ressortir du corpus de données les étapes principales de l’histoire de l’association, depuis sa fondation jusqu’à ses 10 ans, pour identifier les moments clés et les principes fondateurs de l’association. Cette double analyse du fonctionnement de l’association au moment de notre présence et de l’histoire de son développement, nous a semblé à même de faire ressortir les traits saillants du « modèle NQT ».

37Étant amenés à rendre compte régulièrement de nos avancées lors des réunions du comité de pilotage du projet de livre blanc, nous avons pu assister et même prendre part à une discussion déjà en cours au moment de notre arrivée, sur les fondements historiques de l’association, ce qui la caractérisait au moment de la recherche, et comment elle pouvait se projeter dans le futur. Participer à l’écriture nous a donc amenés à présenter le résultat de nos analyses aux acteurs et nous a permis de bénéficier de leur relecture critique quant à notre représentation de NQT. En participant à une discussion avec les acteurs de l’association sur ce qui la caractérisait, sur les enjeux des partenaires, sur les partenariats à susciter ou à renforcer, nous avons été en mesure de compléter nos données et de mieux les analyser.

4 – Résultats empiriques : l’association NQT au cœur d’un boundary work

38Notre analyse des données empiriques nous a conduits à mettre en évidence les points clés qui participent au boundary work et qui contribuent à l’émergence d’un service de nature publique et collaborative. Ce dernier a pour particularité le fait que l’acteur public n’est pas au cœur du boundary work. Ce rôle est pris en charge par l’association NQT, qui joue le rôle d’une boundary organisation. L’animation de la collaboration est en effet inscrite dans l’ADN de cette association : elle a marqué sa fondation et les différentes étapes de sa croissance. NQT réussit en effet à faire coexister un cadre commun et des logiques hétérogènes voire divergentes.

39Notre analyse montre en premier lieu la construction d’un cadre commun, qui permet d’intégrer les diverses parties prenantes. Nous identifions ensuite différentes modalités utilisées par l’association pour concilier ce cadre commun et les divergences inhérentes à l’hétérogénéité des partenaires : le jeu sur la dimension territoriale, qui permet l’adaptabilité à des configurations locales spécifiques ; la continuelle incitation à innover qui suscite une différenciation de l’offre proposée par les entreprises, tout en s’inscrivant dans le cadre commun ; et, enfin, la recherche d’un équilibre entre des dispositifs globaux porteurs de rationalisation et d’autres dispositifs permettant la souplesse.

4.1 – Un cadre commun en vue de rassembler des acteurs de différents mondes

40Un premier aspect du « travail aux frontières » s’est joué au niveau des valeurs et des attentes des différentes parties prenantes. Comme l’exprime un dirigeant de NQT : « Les institutionnels, le côté public, nous suit pour une grande partie parce qu’on a ce côté entreprises. […] Et on voit aussi inversement, depuis un certain nombre d’années que, pour les entreprises, c’est quelque chose d’important pour elles, que le côté public, les institutionnels de manière globale, nous soutiennent aussi, parce que cela donne cette légitimité, cette aura. ». Ou encore une responsable du pôle parrainage : « Et nous, il faut que l’on fasse attention à cela en interne car il faut vraiment avoir le point de vue de l’entreprise, des jeunes et des parrains. Il faut avoir les trois points de vue. ».

41L’association NQT propose ainsi un cadre fédérateur à ses partenaires, où cohabitent des outils et valeurs proches de l’entreprise, et des valeurs humanistes, qui suscitent l’adhésion. D’un côté, donc, les modes de fonctionnement de l’entreprise, comme le dit une responsable d’entreprise Référente NQT qui loue « le professionnalisme de l’association » et précise « que c’est une association certes… mais qui a les mêmes exigences que si c’était une société cotée au Nasdaq pour faire simple, c’est-à-dire avec des reportings très clairs, des chiffres, des données, etc., des comptes audités cela va de soi évidemment… ». De l’autre, la mise en avant des valeurs humanistes, comme le raconte un fondateur de NQT : « Quand Marie-Christine qui gérait les contacts avec les entreprises allait les voir, elle allait les voir pour participer à une aventure humaine. Elle disait “voilà ce qu’on essaie de faire, venez avec nous ! Vous allez nous aider à faire quelque chose qui a du sens”. Et de fait, c’est ça qui les a fidélisés. ».

42Les acteurs de l’association n’ont de cesse de mettre en avant les partenaires historiques et de répondre à leurs attentes. Cependant, la valorisation des acteurs historiques par NQT ne se fait pas pour autant au détriment des autres partenaires et de leur intégration. En effet, tout le travail de communication, médiatique bien entendu, mais aussi via des événements annuels ou ponctuels, joue beaucoup sur la mise en valeur des actions déjà réalisées, sur l’engagement des partenaires historiques, pour faire de NQT une communauté rassemblée autour d’une mission.

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« Avec plus de 600 événements chaque année, l’association favorise les liens de proximité entre les jeunes bénéficiaires et les entreprises. Pour Nos Quartiers ont des Talents, le choix d’une orientation professionnelle en inadéquation avec les besoins des entreprises est un facteur discriminant. C’est pour cette raison qu’elle a créé, depuis 2010, les Rencontres Nationales […] qui ont réuni des milliers d’étudiants et de jeunes diplômés. Nos Quartiers ont des Talents est un facilitateur de liens positifs tant au niveau de ses partenaires que des jeunes qui s’engagent au sein du dispositif. »
(extrait du rapport d’activité 2012)

44Les partenaires historiques aident à donner du sens et de la visibilité, ce qui permet de générer de l’enthousiasme, d’attirer de nouveaux partenaires et de susciter des vocations de parrain. Les efforts de communication (mise en scène et mise en histoire de l’association) servent à élaborer un cadre commun pour l’ensemble des partenaires, et à articuler des modes de fonctionnement propres à l’entreprise privée et des valeurs humanistes.

45Enfin, la gouvernance de l’association joue un rôle important pour s’assurer du maintien de ce cadre et du sens de l’action de l’association. D’une part, parce que les deux dirigeants fondateurs de NQT incarnent fortement le projet initial et ont su faire jouer leurs réseaux pour rallier à leur cause des personnalités prestigieuses dont la caution n’est pas sans effet. Notons, d’autre part, que le conseil d’administration est composé de l’ensemble des parties prenantes, des jeunes aux entreprises – même si tous ne sont pas représentés à parts égales. C’est aussi dans l’animation de la gouvernance qu’est pérennisé ce principe fondateur de l’association de rassembler des acteurs hétérogènes autour d’un but commun. Le président l’exprime ainsi lors d’une réunion du Conseil d’administration : « il faut avoir une vision commune, partager une ambition. Que cela nous rende plus fort. C’est capital qu’on soit tous là. » (note d’observation, mars 2015). Même si les différents acteurs peuvent avoir des objectifs différents comme l’exprime aussi un membre du bureau : « Cette association va très vite. À un moment donné, il faut se poser, ne pas s’éparpiller. Cette journée peut aider à avoir un dialogue plus simple au CA. On est une association, avec plein de partenaires : des universités, des villes… Il faut faire en sorte de pouvoir donner à ces partenaires une vision. » (note d’observation, mars 2015).

4.2 – La dialectique du local et du national : maintenir une capacité d’adaptation à des configurations locales

46Si le cadre intégrateur peut être pérennisé, NQT n’en est pas moins exposée à un risque d’entropie. En effet, l’offre évolue au cours des dix années, puisque, partant d’un territoire, la Seine-Saint-Denis, l’association en vient à s’étendre à un grand ensemble de régions.

47D’un côté, le cadre commun aux différents acteurs impliqués dans NQT se transforme et gagne en ampleur : d’une action locale, on passe à une ambition plus forte et nationale, en l’occurrence la lutte pour l’égalité des chances, puis la relance de l’ascenseur social. Cet extrait d’un des entretiens menés auprès des jeunes diplômés bénéficiaires est révélateur des mécanismes qui conduisent à l’inégalité des chances : « Je suis heureuse que NQT existe, parce que justement, le principal problème des jeunes diplômés de banlieue, c’est le fait qu’ils n’ont pas de réseau, et le fait qu’ils se dévalorisent constamment. Ils se disent, ah ce n’est pas pour moi, je n’ai pas le niveau. Alors qu’ils ont un bac +5, c’est ridicule en fait. » (jeune diplômée, passée par NQT).

48L’ambition d’un développement à grande échelle est constamment présente dans les discours, comme si elle était partie intégrante de la mission. Ainsi, le président de NQT l’exprime régulièrement : « quand on a démarré en Seine-Saint-Denis, dès le début, on s’est dit qu’on voulait dupliquer le modèle à l’échelon national. On s’était dit aussi qu’on voulait s’inscrire dans la durée. Car il fallait au moins dix ans si on voulait que les choses changent. » (observation réunion de CA, mars 2015).

49Le développement à grande échelle se fait par ajout progressif de régions dans le dispositif, quand l’on détecte un intérêt de partenaires potentiels. Comme l’explique le directeur du développement : « je prends un exemple, une entreprise (bancaire), qui vient à nous, nous dit vous n’êtes pas présents en région centre, nous on serait intéressés pour vous accompagner dans votre développement, à trouver des financements […]. Cela donne une première enveloppe de financement, et une fois cette première enveloppe de financement acquise, la possibilité d’embauche d’un collaborateur, qui lui aura la tâche de trouver de nouveaux financements privés. ». Le développement se fait aussi en coopération avec l’acteur public : « on est aussi à l’écoute des sollicitations et des attentes de l’État, qui va le plus spécifiquement possible nous orienter sur certaines régions plus que sur d’autres. » (directeur du développement).

50Ce développement régional conduit à ce que le territoire soit un maillon important qui induit l’adaptation de l’offre aux spécificités locales. C’est donc un échelon fondamental du boundary work chez NQT. Pour cibler le public pertinent et améliorer le sourcing (la capacité à identifier puis à enrôler des jeunes dans le dispositif), NQT adapte son offre région par région, comme le souligne un membre du pôle « Développement » :

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« À Lille, une grosse académie, on a développé le dispositif pour les Bac +4. Au départ, c’était la même chose pour les deux départements. Mais au regard des chiffres de Pôle emploi, et aiguillés aussi par le Conseil départemental du Pas-de-Calais, on y a aussi développé le dispositif “nos territoires ont des talents”, proposé aux Bac +3 également. »

52Ou encore un chargé de développement régional : « Aujourd’hui, dans notre région, on a 80 partenaires, dont 50 entreprises. Comme on est en région, on a 2 types d’entreprises, celles qui développent un partenariat au niveau national, Thalès, SG, Orange, qui développent le parrainage… Mais on a aussi un ancrage local, avec des entreprises qui ont un siège en région. ».

53Cette adaptabilité locale va de pair avec la mise en avant, de plus en plus nette, de l’association et de son projet au niveau national. Ainsi, la marque de l’association est certes déclinée selon les types de territoires (quartiers, territoires, outre-mer), mais cela procède d’une même formule : « nos… ont des talents ». De même, en parallèle du déploiement centrifuge de l’association, il y a un rappel incessant de l’unité du projet. En 2010 sont organisées pour la première fois les Rencontres nationales pour l’égalité des chances. Tenus annuellement depuis, ces signes forts de rassemblement de la communauté NQT participent d’un effort d’intégration des membres. Dans le même but, une communauté online des parrains est créée, qui leur permet d’échanger entre eux. La reconnaissance d’intérêt général enfin, obtenue en 2014, contribue aussi à renforcer la représentation symbolique de son existence au niveau national.

54Ainsi, ce n’est pas seulement la prégnance du cadre commun qui explique le succès de la démarche collaborative de NQT, mais aussi la dialectique que cette dernière arrive à entretenir entre le cadre national et la variété des situations qui accompagne l’expansion sur de nouveaux territoires. De même, le lien avec l’acteur public peut varier d’un territoire à l’autre, tout en s’appuyant sur des représentations nationales. Ainsi, au fur et à mesure de sa croissance, NQT a cherché à intensifier sa relation avec Pôle Emploi. L’enjeu était réel puisque le sourcing des jeunes représente une réelle difficulté pour l’association.

55Toutefois, c’est surtout localement que l’on observe la collaboration, plus ou moins réussie selon les cas : « Avec Pôle Emploi, il y a un accord cadré au niveau national. Nous on a une Convention régionale signée en avril dernier, qui a été actée pour dynamiser. Pôle Emploi reste le principal acteur du sourcing. Contacter les directeurs territoriaux, leur donner connaissance de cette convention, ils doivent faire du sourcing selon cette convention, de manière régulière. » (extrait entretien Chargé de développement régional). Et tout dépend du directeur régional : « Dans le département X, il y a un bon contact avec le directeur territorial de Pôle Emploi, ce qui rend les choses plus efficaces. Il a été décidé apparemment qu’il y ait un phoning auprès des jeunes, pas seulement un contact mail, ce qui permet de plus les attirer. Mais apparemment, il n’y a pas eu de phoning pour cette réunion à laquelle j’assiste, peu de monde… Ils ont invité (par mail) les jeunes demandeurs d’emploi, peu sont présents. » (extrait note d’observation réunion à Pôle emploi, mai 2015).

56En parallèle a également germé l’idée chez les fondateurs qu’un autre acteur public était concerné par la mission de NQT, bien qu’indirectement lié à l’emploi. Il s’agissait de remonter le fleuve pour agir au niveau des universités et avec elles, en transformant la question de l’accompagnement vers l’emploi en une problématique d’orientation. NQT a donc noué des liens avec des universités pour travailler l’orientation des étudiants. Ainsi, l’association a cherché à raccrocher à son réseau de partenaires les acteurs de l’éducation, connectant indirectement sur chaque territoire les acteurs publics de l’emploi et de l’enseignement supérieur.

57Le travail sur cette dimension territoriale renvoie à une première forme de boundary work, qui articule l’existence d’un cadre global convergent, et l’acceptation d’une certaine hétérogénéité portée par les acteurs locaux à l’échelle du territoire, où se joue un autre boundary work.

4.3 – Un espace de rencontre : favoriser et tirer profit des opportunités d’innovation

58Un autre levier d’action que nous avons identifié, pour concilier cadre intégrateur global et possibles divergences entre les acteurs participant à la collaboration, est l’incitation à l’innovation locale. Nous avons pu voir la structuration progressive de l’association, par le biais notamment d’innovations diverses (création de marque, d’événements…) permettant sa croissance et son adaptation à des contextes variés. Pour maintenir sa capacité d’innovation, NQT favorise ainsi les innovations chez ses partenaires, dont elle tire profit lorsque c’est possible, pour les intégrer ensuite à son offre globale.

59Ainsi, NQT se constitue en un espace de rencontre catalysant les innovations par rapport au modèle de base. Avec la dynamique de croissance quantitative et géographique liée au succès de la formule du parrainage, de nouvelles ressources affluent qui permettent une dynamique d’innovation incrémentale soutenue.

60C’est d’ailleurs une dynamique essentielle du modèle. Qui dit croissance et innovation dit obtention de nouvelles ressources, pour une part des ressources classiques (comme les parrains-marraines bénévoles), mais également de nouvelles ressources qui vont permettre d’innover : un nouveau partenaire permet la création d’un nouvel événement fédérateur dans lequel se trouvent impliqués des acteurs hétérogènes, une nouvelle compétence permet l’organisation d’un nouvel atelier pour les jeunes, etc. Tout en faisant vivre une certaine hétérogénéité, cela permet d’enrichir l’offre et facilite la coopération. Autour du moteur initial et partagé par tous que constitue le parrainage organisé par NQT, se crée donc une offre périphérique enrichie à destination des jeunes diplômés (ateliers CV, coaching, formations à l’anglais, à l’usage des réseaux sociaux proposées par des partenaires…), qui accroît la valeur que peuvent retirer les jeunes de leur intégration au sein du dispositif.

61Cette dynamique collective permet aux parrains d’adapter leur contribution à leurs envies personnelles, et aux entreprises d’articuler l’offre de NQT avec leurs enjeux internes. Ainsi, une entreprise a considéré pouvoir faire bénéficier les jeunes de l’expérience de ses collaborateurs dans le cadre d’un atelier CV, ce que par ailleurs elle présentait aux collaborateurs comme un moment de team-building avec plus de sens et de valeur ajoutée qu’une séance d’accrobranche. L’entreprise a sollicité NQT et lui a fait cette proposition, qui était compatible avec la mission de NQT et qui a donc été acceptée. En se constituant en espace de rencontre (ici au sens propre puisque l’atelier s’est déroulé dans les locaux de l’association), NQT peut s’adapter aux spécificités de ses partenaires tout en bénéficiant de leurs compétences.

4.4 – Une structure et des dispositifs qui savent allier rationalisation et souplesse

62Le boundary work s’appuie aussi sur l’organisation interne de l’association, qui permet son inscription dans l’écosystème partenarial pourvoyeur des ressources humaines et financières. Au niveau de l’organisation interne, on trouve une structure agile qui allie rationalisation au service du cadre global et souplesse, au service d’une réactivité pour tous les bénéficiaires du service, qu’ils soient jeunes ou entreprises.

63Rapidement, le parrainage a ainsi été rationalisé, puisqu’il s’agissait du « cœur du réacteur » de l’association selon la métaphore d’un fondateur. À un référentiel de bonnes pratiques élaboré avec l’aide de l’AFNOR, a succédé un guide des processus de l’association réalisé bénévolement par une spécialiste de la qualité. Dans ce même esprit de fixer les règles d’un « bon » parrainage, la directrice de l’association explique la volonté qu’a eu l’association de mettre en place un « système de points » pour évaluer la recevabilité des candidatures des jeunes.

64En outre, un système d’information favorise l’échange des données accumulées à l’occasion de la mise en relation des jeunes et des parrains. Comme le souligne la directrice de l’association, ce système « sert à tous les pôles, la communication, la comptabilité, etc., pour que tout le monde ait le même niveau d’information et à tout moment. ». Il est donc le gage de la qualité de la mise en œuvre des processus en ce qui concerne le parrainage. Il s’agit d’un élément clé de l’institutionnalisation d’une vision partagée de la mission de l’association, qui lui permet de s’assurer que les relations de parrainage restent bien dans l’esprit souhaité.

65Mais, dans le même temps, l’organisation reste souple et réactive. La réactivité est d’autant plus importante que le développement d’un réseau comme celui constitué par NQT repose sur des opportunités à saisir et la capacité à jouer sur des registres différents pour intéresser dans la durée les membres actuels et futurs. Au début de l’histoire de l’association, cet intéressement supposait un investissement très coûteux en temps et en énergie, ce qui mobilisait très fortement les premiers membres de l’association. Ce n’est plus le cas depuis qu’un parrain de chez Oracle a suggéré l’idée d’instituer des référents d’entreprise qui sont, eux, chargés de trouver les parrains au sein des entreprises souhaitant rejoindre NQT. Cela crée de la souplesse, une possibilité pour le référent d’adapter les spécificités de son entreprise au dispositif.

66Les référents NQT en entreprise constituent ainsi une pièce maîtresse du dispositif et un élément essentiel de cet écosystème partenarial, permettant à NQT de se concentrer sur le développement qualitatif de l’offre. Les entreprises sont liées à NQT via une convention, et c’est le référent qui est à l’interface avec NQT, l’association lui faisant confiance pour signaler les spécificités de son entreprise, et faisant preuve de souplesse dans la mise en œuvre de ses processus internes. En tant qu’animateurs de communauté, les référents ont pour mission de fédérer les parrains et marraines de leur entreprise, mais aussi de susciter de nouvelles vocations.

67Ils sont appuyés en cela par des salariés de NQT qui organisent régulièrement des événements fédérateurs, et par des parrains et marraines d’autres structures qui souhaitent partager leur expérience, lors des « bilans de parrainage » par exemple. Le dispositif des « bilans de parrainage » est aussi un moyen de s’adapter aux spécificités de l’entreprise : « les bilans de parrainage consistent à réunir les parrains et marraines existants au niveau d’une même entreprise, pour faire un peu table ronde, échange de bonnes pratiques, faire le bilan des expériences, les positives et les négatives, et dégager des axes d’amélioration, des choses à retravailler, des manquements ou au contraire les points forts de l’association. Et ces réunions sont très importantes. Évidemment il y a les outils mais les parrains ce sont des cadres ou des dirigeants d’entreprise qui sont très pris et donc les outils ils ne sont pas forcément preneurs. Mais il y a surtout ces réunions là où ils échangent des idées où un tel va dire “ben tiens tu ne pourrais pas rencontrer mon filleul la semaine prochaine pour faire une simulation d’entretien parce que moi je l’ai tellement suivi que je ne suis plus tout à fait neutre ?” Ce sont des choses comme ça que l’on essaye de créer. » (membre du pôle parrainage).

68Nous avons montré, ici, que NQT produit un « travail aux frontières », grâce aux différents dispositifs mis en place et à la structure adoptée, qui permettent de donner un cadre commun aux différents partenaires tout en respectant les spécificités de chacun.

5 – Contributions théoriques et discussion

69Notre recherche contribue à la littérature sur le management public collaboratif en donnant à voir les enjeux organisationnels de l’innovation collaborative, et l’action d’une organisation frontière à même de favoriser la collaboration entre acteurs publics, acteurs marchands, et acteurs de la société civile. Par ailleurs, elle contribue aussi à la réflexion sur les relations entre les associations et l’acteur public, en mettant au cœur du management public collaboratif un acteur associatif.

Les soubassements organisationnels du management collaboratif innovant

70La dimension organisationnelle qui soutient le management collaboratif a peu été mise en avant. Les différentes recherches ont surtout porté sur les connaissances et les compétences des différents acteurs à la frontière (Geddes, 2012), et donc sur une dimension plus individuelle. En reprenant l’idée de boundary organization (O’Mahony et Bechky, 2008) notre étude confirme l’importance d’une organisation favorisant un management public collaboratif plus innovant et inclusif : la mise en relation d’acteurs hétéroclites et l’inclusion continue de nouveaux acteurs ; l’élaboration continue et le rappel d’un cadre commun tout en répondant aux attentes spécifiques de chacun des partenaires.

71Cette organisation a les mêmes caractéristiques que celles identifiées dans notre revue de littérature (voir tableau 1) : des règles d’engagement (les conventions), une gouvernance équilibrée, la propriété (de la marque NQT, qui est déclinée) ; un contrôle des processus clés de la production (certification ISO) et un langage partagé (via le storytelling) ensuite ; une compréhension partagée de la mission (grâce aux efforts de communication) enfin. Au-delà, nous avons identifié dans le cas de NQT des leviers organisationnels supplémentaires qui catalysent la collaboration : l’articulation entre les échelles territoriales de l’action collective ; la continuelle incitation à innover qui suscite une différenciation de l’offre proposée par les entreprises ; et, enfin, les outils qui permettent d’allier rationalisation et souplesse.

72Sur le plan du management public collaboratif, nous avons mis en lumière un travail constant sur les frontières comme identifié par Quick et Feldman (2014), à travers notamment la mise en avant des complémentarités et la minimisation des divergences dans une logique collective et exploratoire de construction de la diversité des partenaires. Par rapport au cas des logiciels libres sur lesquels O’Mahony et Beckhy (2008) ont théorisé la boundary organization, nous sommes en présence d’une collaboration ne se limitant pas à une relation triangulaire puisque la médiation opérée par l’association se fait entre plus de deux acteurs. Ainsi, si NQT s’est construit largement comme un mouvement d’entreprises, son fonctionnement est celui d’un acteur composite, mêlant représentants du monde de l’entreprise et des organisations publiques sans les opposer ou les hiérarchiser a priori. Un acteur composite qui se déploie de façon singulière et locale sur un grand nombre de territoires ; NQT pilote ce déploiement en assurant l’articulation locale avec les autres acteurs, y compris avec un État multi-facettes présent par exemple à travers les acteurs de l’emploi et de l’enseignement. Au centre de la collaboration, l’association crée des configurations différentes adaptées aux territoires, favorisant de ce fait une action plus efficace de l’acteur public. On retrouve ici la recommandation de Quick et Feldman (2011) de ne pas réifier les catégories (par exemple public / privé) pour favoriser les collaborations.

73Nous montrons aussi que l’association, en tant que boundary organization, se caractérise par une structure stable et durable (ce qui permet d’ancrer la collaboration), tout en conservant une souplesse et une capacité d’adaptation constante à des configurations d’acteurs variées. Cela passe par des règles d’engagement suffisamment souples pour intéresser de nombreux acteurs, sous réserve d’adhérer à la mission bien identifiée de l’association.

L’acteur associatif au centre du management collaboratif

74Il est intéressant de noter que, dans notre cas, l’acteur public n’est pas au centre du jeu, contrairement à ce que l’on peut constater dans les réflexions sur le management public collaboratif. Même si certains ont déjà noté que le rôle de l’acteur public était amené à évoluer compte tenu du passage à une logique plus collaborative de l’action publique (Favoreu et al., 2016), notre cas donne à voir une place plus périphérique des acteurs publics. Ces derniers occupent une place particulière et surtout variable en fonction des directions prises par l’association. Ainsi, Pôle Emploi a joué un rôle important au tout début de par son coup de pouce initial, puis s’est trouvé progressivement marginalisé dans le développement du parrainage (mais sans jamais disparaître puisqu’il détient les clés de l’accès au public cible). On observe également que la souplesse de l’association, bien qu’étant très centralisée, permet des formats variés de collaboration avec l’acteur public du fait de la territorialisation de son action.

75Dans le cas étudié, c’est bien l’association comme acteur hybride qui reste au centre du jeu, et fait converger vers elle les différentes parties prenantes, dont elle maintient une représentation équilibrée au travers de sa gouvernance. Il y a donc une différence notable avec la littérature sur le management public collaboratif, qui place l’acteur public au centre du jeu, comme la « plateforme de toutes les connexions » (Geddes, 2012). Cette différence est de nature à permettre une reformulation de la problématique du désengagement de l’État et de sa relation à la société civile. D’où l’intérêt de recourir à la notion de boundary organization, celle-ci permettant d’échapper à une approche duale de la relation entre l’acteur public et l’association. Le cas empirique étudié montre également la possibilité d’inscrire la réflexion sur la collaboration à bien plus grande échelle. En définitive, ce cas invite à questionner (voire à relativiser) le rôle joué par l’acteur public dans le management public collaboratif – dans la mesure où celui-ci n’est pas toujours au centre du jeu – et à étudier de plus près le rôle joué par l’acteur associatif et les pratiques qu’il déploie pour soutenir la dynamique de collaboration.

Un autre regard sur la relation entre associations et acteurs publics

76Ce point s’avère également intéressant au regard de la littérature sur les associations et de leur rapport à l’État. Nous avons ici le cas d’une association qui impulse et développe son propre rapport à l’acteur public, de manière très pragmatique à la fois concernant sa relation à l’acteur public et à ses interlocuteurs (puisque NQT cible spécifiquement les acteurs publics qui sont pertinents pour son action et opère indirectement leur mise en relation). On est très éloigné dans notre cas, d’une réflexion sur l’acteur public « en bloc » dans son rapport au monde associatif… On peut même se demander si l’action de cet acteur associatif ne finit pas en définitive par « faire » politique publique. La démarche de NQT interpelle de ce point de vue, puisqu’après avoir recherché un développement aussi indépendant que possible des ressources financières publiques, la rédaction d’un livre blanc présenté au Président de la République marque la volonté cette fois de s’adresser au plus haut niveau de l’État pour en retirer une légitimité. C’est aussi une façon de formaliser un modèle d’action, que l’on peut ensuite s’approprier.

Un acteur plate-forme ?

77Par ailleurs, il ressort du développement de NQT un souci constant de communiquer sur la mission de l’association et la portée de ce qu’elle entreprend. Communication en interne, mais également dans les médias et auprès des partenaires… Jusqu’à la présidence de la République ! Les valeurs, la mission et les résultats sont partagés très largement et traversent les frontières organisationnelles et institutionnelles existantes, au moyen d’un storytelling travaillé, qui correspond à ce langage commun (Quick et Feldman, 2014) nécessaire au développement d’un cadre commun. Il donne en effet corps à un cadre commun qui entretient une dynamique autour du projet. Cette dynamique illustre bien le cercle vertueux conceptualisé par Emerson et al. (2012). Le cadre commun dont il est question ici est progressivement élaboré et étayé, sans qu’à aucun moment il ne s’impose de façon trop contraignante aux acteurs. Un équilibre est maintenu de façon à obtenir un cadre souple, stimulant les innovations et facilitant les collaborations par des principes partagés (par exemple, le but des parrains n’est pas d’embaucher les jeunes qu’ils parrainent mais de les accompagner sur le chemin de l’emploi).

78Cependant, les principes organisationnels que nous venons de passer en revue sont ici rendus possibles à travers les outils et structures déployés par l’association, qui constitue donc un espace intermédiaire très ou tillé, espace intermédiaire qui reste au centre du jeu, ne serait-ce que parce qu’il porte le cadre commun. Notre analyse fait ainsi écho aux travaux de Geddes (2012), mais, dans le cas étudié, c’est l’acteur associatif qui joue le rôle de plate-forme et non l’acteur public. De ce fait, ce cas enrichit la littérature sur le management public collaboratif dans le sens où il montre l’utilité de mettre au centre de la réflexion l’organisation et son outillage « favorisant des espaces innovateurs » (Grenier, 2014).

6 – Conclusion

79L’étude du cas de l’association NQT, a permis de mettre en évidence l’importance des dispositifs organisationnels pour favoriser la collaboration entre acteur public et société civile. Un ensemble de caractéristiques organisationnelles, saillantes dans notre cas, ont ainsi été identifiées et seraient intéressantes à étudier dans d’autres cas de collaboration. Par ailleurs, notre cas illustre bien la pertinence et le potentiel de la notion de boundary organization dans le cadre du management public collaboratif. Cela permet notamment d’envisager un nouveau rôle pour les acteurs associatifs, un rôle de plateforme.

80Plusieurs recommandations d’ordre managérial en ressortent. Du point de vue de l’acteur associatif, travailler en tant que boundary organization consiste à construire des règles d’engagement suffisamment souples pour intéresser de nombreux acteurs, tout en les fédérant autour de la mission de l’association. On observe ainsi que la construction d’un cadre commun est portée certes par des valeurs et un but partagés, mais aussi par une structure et des outils de gestion communs, qui permettent d’allier rationalisation et souplesse, et qui sont acceptés par les diverses parties prenantes. L’acteur associatif réussit aussi le boundary work car il mobilise différentes échelles territoriales de l’action collective, et s’appuie sur une continuelle incitation à innover qui suscite une différenciation localement adaptée de l’offre proposée.

81Du point de vue de l’acteur public, il semble important de reconnaître la complémentarité des rôles entre acteurs publics et associations, et de penser l’échelon territorial comme le lieu d’une telle articulation. La coopération entre acteur public et association ne se réalise ici pas de façon descendante, mais l’association crée des configurations différentes adaptées aux territoires, favorisant de ce fait une action plus efficace de l’acteur public. Pour l’acteur public, penser autrement la collaboration signifie alors accepter une place sans doute plus marginalisée et fragmentée, mais qui lui permet de répondre à des attentes elles aussi plus locales et diversifiées.

82À l’issue de notre discussion, demeurent toutefois d’autres questionnements que nous n’avons pas pu analyser dans le cadre de cette recherche : sur la capacité d’un tel espace à protéger l’intérêt général dont il est question ici [11] à travers une gouvernance équilibrée ; sur la légitimité aussi d’un fonctionnement émergeant et donc très probablement local, là où l’action publique procède le plus souvent d’une réflexion d’abord générale, voire universelle. À ce sujet, il conviendrait de poursuivre la réflexion en se demandant comment cette souplesse entrepreneuriale peut s’accommoder des institutions publiques existantes et des valeurs qu’elles portent au-delà des premières années de collaboration. Dit autrement, il conviendrait de s’interroger sur l’articulation possible d’une approche pragmatique tournée vers l’innovation avec une approche plus normative de l’action publique. L’actualité de l’association, qui dit désormais ambitionner les 100 000 jeunes accompagnés, rend cette question incontournable.

83Enfin, la réflexion proposée ici sur une association au centre du management collaboratif peut également être rapprochée des recherches sur des formes inclusives de collaboration autour de thématiques d’intérêt général, et questionner le rôle des associations pour favoriser cette inclusion, et les modalités de démocratie participative qui peuvent y être associées pour enrichir les modalités de débat autour de thématiques d’intérêt général.

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Mots-clés éditeurs : emploi, association, travail aux frontières (boundary work), management public collaboratif, organisation-frontière (boundary organization), acteur plate-forme

Mise en ligne 23/03/2021

https://doi.org/10.3917/gmp.081.0009

Notes

  • [1]
    Notre traduction.
  • [2]
    Notre traduction.
  • [3]
    D’autant plus que certaines associations trouvent une partie de leurs financements auprès d’eux, et peuvent même s’y substituer pour certaines missions, ce qui pose la question de leur instrumentalisation.
  • [4]
    Notre traduction.
  • [5]
    Notre traduction.
  • [6]
    Notre traduction.
  • [7]
    Notre traduction.
  • [8]
    Notre traduction.
  • [9]
    En novembre 2019, NQT affiche sur son site web plus de 48 000 jeunes accompagnés et déclare que « 70 % des jeunes diplômés accompagnés trouvent un emploi en 6 mois en moyenne ».
  • [10]
    Cette remise s’est déroulée au Palais de l’Élysée le 21 octobre 2015. Le livre blanc s’intitule « Relançons l’ascenseur social », édité par l’association NQT, publié en 2015.
  • [11]
    À savoir favoriser l’accès à l’emploi des jeunes issus de quartiers sensibles et/ou d’un milieu social défavorisé.
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