Notes
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[1]
Traduction proposée par les auteurs « Place branding refers to the development of brands for geographical locations, such as regions, cities or communities, usually with the aim of triggering positive associations and distinguishing the place from others. »
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[2]
Dans une démarche pédagogique, les auteurs utilisent l’acronyme de SMART : Spécifique, Mesurable, Activable, Réaliste, opporTun.
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[3]
Le projet Autour du Louvre Lens (ALL) vise à proposer, pour les territoires avoisinant le musée, une véritable stratégie de développement touristique à 10-15 ans. L’objectif est de faire de ces territoires une nouvelle destination touristique à vocation nationale et internationale.
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[4]
La forme juridique retenue dans un premier temps pour la Principauté est l’association Loi 1901, dont les statuts ont été publiés au journal officiel en 2014. Elle permet de fédérer les acteurs mobilisés autour d’un projet de redynamisation du territoire.
Introduction
1« I love NY », marque territoriale lancée en 1977 (Maynadier 2009), fait figure d’exemple tout autant que de point de départ de la réflexion sur le marketing territorial. Le marketing territorial pratiqué par les collectivités territoriales connaît aujourd’hui une évolution radicale puisque ses objectifs ont été réorientés, repensés en profondeur, allant jusqu’à s’afficher dans les organigrammes de ces organisations. Certains auteurs parlant même « d’invasion » de la vie privée et publique par le branding (Van Ham 2002). Aussi, depuis la fin des années 1990, les recherches académiques initialement focalisées sur des variables de marketing opérationnel, ont vocation de plus en plus à s’intéresser au processus de transformation visé par les démarches de marketing territorial récentes. Comme l’indique Vuignier (2016), il existe un « flou conceptuel, des définitions divergentes et de faibles assises théoriques » autour du marketing territorial et de ses mises en œuvre. Il paraît essentiel aujourd’hui d’asseoir ce champ de pratiques sur des fondements plus robustes afin d’en faire un objet de recherches académiques légitime. Ainsi, après avoir défini la démarche de marketing territorial et circonscrit ses domaines d’application à la lumière des travaux de recherche récents (partie i), nous présentons la théorie de l’activité comme socle théorique permettant d’évaluer la transformation du territoire occasionnée par le marketing territorial (partie ii). Enfin, nous proposons un outil d’évaluation de cette transformation : le Cube d’Évaluation et d’Analyse de la Transformation Territoriale (CEATT). Ce dernier synthétise l’impact d’une démarche de marketing sur le territoire étudié par le biais d’une évaluation multidimensionnelle (partie iii).
1 – Le marketing territorial : mutation d’une approche empirique à une conception scientifiquement fondée
2Si la marque créée pour la ville de New York dans les années 1970 fait figure de pionnière, la recherche académique en marketing territorial commence seulement à se structurer depuis les trois dernières décennies. Après être revenu sur la confusion qui caractérise fréquemment les définitions consacrées au marketing territorial, nous préciserons notre conception de cette démarche, établie sur la base de la littérature pluridisciplinaire existante. Enfin, nous insisterons sur la nécessaire logique transformationnelle qu’intègre le marketing territorial aujourd’hui tant d’un point de vue académique qu’opérationnel. En effet, l’évaluation d’une démarche de marketing territorial consiste à mesurer les changements vécus par le territoire à courts, moyens et longs termes sous l’impulsion de ce processus volontaire, collectif, et doté d’objectifs prédéterminés.
1.1 – Le marketing territorial : une « cacophonie » ?
3Ce qualificatif emprunté à Giovanardi et al. (2013) traduit avec justesse l’impression couramment ressentie par les chercheurs en matière de marketing territorial. Le sentiment de flou, voire de désordre scientifique, s’explique par trois éléments majeurs : une difficulté sémantique, une absence de cadre conceptuel robuste et une variété extrême des cas étudiés.
4Dans le contexte franco-français du marketing territorial, l’association des termes « marketing » et « territorial » engendre le scepticisme de nombreux auteurs et praticiens. En effet, faire du territoire un objet, fusse-t-il spécifique, de pratique marketing renvoie à l’idée qu’un bien, par nature collectif et co-construit, puisse être à commercialiser au bénéfice d’un petit nombre d’acteurs. L’utilisation des termes « marketing territorial » s’accompagne bien souvent de notions d’attractivité, d’hospitalité, de compétitivité, dans l’optique de préciser davantage le sens à privilégier à une telle démarche.
5Dans la littérature anglo-saxonne, malgré des distinctions classiques entre branding et marketing, les vocables « place marketing » (Gertner 2011a ; 2011b) et « place branding » (Skinner 2008) sont désormais utilisés pour faire référence à la démarche de marketing territorial. Néanmoins, comme le rapporte Vuignier (2016) dans son méticuleux travail de synthèse, les termes « place branding » ont supplanté progressivement ceux de « place marketing » dans les titres des articles académiques consacrés au domaine entre 2005 et 2015. S’agit-il d’une simple modification sémantique ou bien alors d’un changement profond de l’objet d’étude, passant du marketing au seul branding ? Vraisemblablement, un peu les deux à la fois. Sur le plan sémantique, la notion de branding est devenue plus employée parce qu’elle recouvre, au sens anglo-saxon du terme, une conception plus large que la seule stratégie de marque. De plus, au regard de l’objet scientifique même, bon nombre de travaux se sont focalisés sur des enjeux liés au branding (Braun 2008 ; Kavaratzis et Asworth 2005) plus que sur ceux liés au marketing. Il est à noter que dans cette volonté de recherche de sens, la notion de territoire est absente des débats sémantiques. « Place » n’évoque-telle aucune spécificité, ni ne soulève-t-elle aucune ambiguïté ? Il semblerait plutôt que la définition du territoire ne fasse pas consensus parmi les chercheurs, qu’elle soit très teintée culturellement alors même que ce concept constitue un réel apport à la compréhension de ce qu’est le marketing territorial. C’est la raison pour laquelle nous reviendrons sur cette définition, sur la base des travaux de géographes, afin de saisir la pertinence du territoire en tant qu’un objet d’évaluation.
6Plusieurs revues de littérature (Gertner 2011 ; Lucarelli et Berg 2011 ; Lucarelli et Brorström 2013 ; Chan et Marafa 2013 ; Andersson 2014, Chamard et al. 2014 ; Oguztimur et Akturan 2015 ; Acharya et Rahman 2016) ont été réalisées, aboutissant au constat d’une véritable confusion conceptuelle au sein du domaine scientifique que constitue le marketing territorial. En 2016, Vuignier poursuit cette même quête par une revue systématique des 1 172 articles en anglais portant sur le sujet. Sa contribution remarquable par son exhaustivité met également en lumière les nécessités de clarifier conceptuellement ce qu’est le marketing territorial, tant d’un point de vue scientifique qu’empirique. Les principaux thèmes étudiés par les chercheurs en marketing territorial s’articulent autour de l’image des territoires, l’identité, les effets de la marque territoriale, le rôle des parties prenantes, les réseaux sociaux et les événements (Vuignier 2016). Ce qui fait défaut au cœur de la démarche de marketing territorial est bien une assise conceptuelle telle qu’il en existe habituellement dans les recherches en marketing.
7Ces états de l’art semblent bien être caractérisés par l’extrême diversité des approches, des terrains d’études, allant jusqu’à donner l’impression d’un assemblage de cas particuliers, voire « d’anecdotes » et réclamant la mise en évidence d’une théorie intégrée (Vuignier 2016). Les méthodologies qualitatives utilisées, le plus souvent des études de cas, ne permettent pas d’accéder à une validité externe des résultats obtenus. Une succession de cas cliniques menés sur des territoires d’échelles variées (quartier, ville, département, région, pays…) accroît la perception du manque d’un cadre conceptuel, mais également celle d’une confusion sémantique, les réalités décrites étant tellement diverses.
1.2 – Le marketing territorial : la confluence entre deux paradigmes
8De toute évidence le marketing territorial doit encore circonscrire les contours de ses domaines d’application. Il ne parvient pas réellement aujourd’hui à dire qui il est, à quoi il sert, et comment il peut être pratiqué de manière méthodique pour engendrer une véritable transformation territoriale. En guise de synthèse, et en vue d’approfondir notre compréhension du sens à donner au marketing territorial, nous identifions deux termes récurrents dans la littérature : place branding et place marketing.
9« Le branding territorial fait référence au développement de marques pour des territoires, tels que des régions, des villes ou autres collectivités, dans l’optique de provoquer des associations positives et distinctives par rapport aux autres territoires » (Eshuis et Klijn 2012) [1]. Dans ce prolongement, « Les marques territoriales sont des constructions symboliques visant à ajouter du sens et de la valeur aux territoires. Les marques constituent des signes qui identifient les territoires et suscitent des associations dotées d’une portée culturelle. » (Braun 2008, p. 43).
10Comme nous l’avons évoqué précédemment, le terme de « Place » ne semble pas faire débat. En effet, depuis les premiers écrits anglo-saxons en marketing territorial (Kotler 1993), le paradigme dominant a été celui du marketing traditionnel, intégrant le territoire comme un objet d’application parmi d’autres. Dans cette optique, la mission du marketing territorial consiste à adapter les outils de marketing de grande consommation à un univers particulier, celui des « villes, des États ou des Nations » (Kotler 1993). Cette traduction du marketing territorial semble réductrice au regard de la complexité de ce terrain d’application du marketing qu’est le territoire.
11L’origine étymologique du mot, « terre » (terra qui a donné territorium), confère une réalité physique à ce que nous appelons « territoire ». Au-delà de cette signification élémentaire, le territoire est défini par trois dimensions complémentaires (Laganier, Villalba et Zuindeau 2002) : matérielle (propriétés naturelles, réseaux urbains), organisationnelle (acteurs sociaux et institutionnels), et identitaire (nom, patrimoine, histoire, représentations collectives). Ainsi, la notion de territoire est polysémique et multidimensionnelle.
12Il apparaît également que le territoire est un objet en mouvement perpétuel, façonné par ses utilisateurs et bénéficiaires. « Le territoire est une œuvre humaine. Il est un espace approprié […] : propre à soi et propre à quelque chose » affirmait Brunet (1991). Pour Di Méo (1996) le territoire est « une appropriation à la fois économique, idéologique et politique (sociale, donc) de l’espace par des groupes qui se donnent une représentation particulière d’eux-mêmes, de leur histoire ».
13Dans une lecture dynamique et historique de la conception du territoire, Pourtier (2005) met en relation les groupes humains à l’espace pour décliner l’évolution qui accompagne la prise en compte du territoire. Cette conception paraît tout à fait pertinente au regard des territoires communautaires qui sont créés au-delà des territoires physiques et naturels traditionnellement considérés. Le territoire entre en interaction avec une multitude de partenaires, de territoires voisins ou lointains, afin de s’enrichir et de s’insérer dans un éco-système qu’il juge profitable à son propre développement. Ainsi, Zardet et Noguera (2013) considèrent qu’« en gestion, la notion de territoire est un périmètre de vie, de production ou de consommation, représentant une certaine cohésion géographique, sociale, économique et culturelle. C’est un espace vécu par des acteurs individuels et collectifs, publics, privés et associatifs caractérisés par des statuts multiples et avec des enjeux variés et des rationalités différentes. Ces acteurs locaux […] envisagent de développer des coopérations multipartenaires et de créer des synergies visant à mettre en œuvre des projets de développement du territoire ».
14Dans le paradigme dominant en France, le territoire est perçu comme un bien commun co-construit par différents acteurs et usagers du lieu. Le territoire est alors défini comme un système complexe (Moine, 2006), associant un sous-système de représentations mentales, un sous-système d’acteurs et un sous-système spatial. Le territoire constitue donc à la fois l’objet et le sujet du développement.
15Fruit mixé d’une conception anglo-saxone du marketing-branding et d’un paradigme du territoire à la française, le marketing territorial peut être représenté par un balancier qui irait de droite à gauche, tantôt positionné sur une borne « branding/marketing », tantôt attiré vers l’extrémité « territoire » opposée. Ainsi, dans les priorités qui sont données, plutôt focalisées sur la valorisation des atouts du lieu ou bien plutôt sur la compréhension de ce qu’est précisément le territoire, le point d’équilibre est rarement atteint tant il est dépendant des opérateurs de la démarche entreprise.
1.3 – Le marketing territorial : au-delà d’une méthode, un processus accéléré de transformation
16Le territoire, quelle que soit sa localisation sur le globe, évolue sans cesse. Il connaît des transformations naturelles et physiques comme des évolutions provoquées par les pouvoirs publics. Cette mutation se produit, avec ou sans marketing territorial. Pourquoi donc s’intéresser à cette pratique si son intérêt n’est pas démontré ? Pourquoi prôner son utilité alors que certains territoires, pourtant développés, en seraient étrangers ?
17Même s’il existe quelques contre-exemples comme les cas de Montpellier (Rozemberg 2000) et de Rennes (Houllier-Guibert 2008), les démarches de marketing territorial émergent dans des contextes de vulnérabilité ressentie par les acteurs. Ainsi, les sous-systèmes du territoire, acteurs, espaces et représentations mentales, sont affectés par une dégradation qui justifie la mise en place d’une action corrective, érigée en politique. Les exemples de reconversion industrielle qui débouchent sur la définition d’une politique de marketing territorial sont nombreux : Detroit, aux États-Unis, ou Lens et Saint-Étienne en France sont emblématiques.
18Le marketing territorial peut donc être défini comme un processus itératif et piloté de transformation accéléré du territoire visant à accroître l’attractivité et l’hospitalité de ce dernier en vue de poursuivre un développement territorial harmonieux aux yeux de l’ensemble des parties prenantes. Pour parvenir à une mise en œuvre, le cycle décrit ci-dessous la démarche à suivre.
19Le marketing territorial rassemble plusieurs caractéristiques qui font de lui un processus de transformation d’une part, complexe d’autre part. Ce processus comporte de nombreuses spécificités liées à la diversité des acteurs en présence, à la nature non marchande de certains échanges, à la complexité de ce que constitue un territoire ou encore à la nécessaire mais délicate implication de la population dans la démarche menée. Par conséquent, la démarche de marketing territorial exige de prendre en compte ces éléments pour se structurer.
20Plusieurs auteurs se sont intéressés à l’élaboration d’une méthodologie de la démarche de marketing territorial. Ainsi, Houllier-Guibert (2012) propose une progression en 3 étapes : phase analytique, puis stratégique et enfin opérationnelle. Rochette (2012) et Pecqueur (2005) se focalisent quant à eux sur la notion de ressources en vue d’analyser la trajectoire des territoires étudiés sous l’angle de la variation du volume de ces ressources, de leur nature et de leur organisation. Afin de compléter ces approches, nous proposons une progression en deux phases et en cinq étapes.
21La première phase, dite amont, se compose de toutes les étapes qui précèdent la mise en œuvre à proprement parler du marketing territorial. Dans notre contexte, elle se révèle particulièrement longue et parfois fastidieuse mais elle revêt un rôle essentiel dans la démarche globale puisque toutes les décisions fondamentales, souvent irréversibles, seront prises au cours de cette phase.
22Plus précisément, trois étapes se succèdent : dresser un état de l’existant, faire émerger un projet partagé et élaborer une stratégie territoriale dotée d’un pilotage.
La démarche de marketing territorial : un processus itératif et piloté
La démarche de marketing territorial : un processus itératif et piloté
23Le territoire existait bien avant que la démarche de marketing soit entreprise à son sujet. Il est donc nécessaire d’établir un diagnostic, d’inventorier tout ce qui forme le territoire vécu. De cet état des lieux, et grâce à l’analyse dont il fait l’objet, émane un projet partagé. En effet, les éléments collectés doivent être confrontés aux publics du territoire pour être validés, contredis, pondérés, exclus. Lors de cette étape, des allers-retours fréquents sont opérés et un cycle vertueux état des lieux-projet partagé s’installe jusqu’à ce qu’une stabilisation s’opère et que le consensus émerge. À ce stade, le projet partagé regroupe toutes les facettes du territoire, et comporte encore des éléments abstraits ou généraux. C’est pourquoi, l’élaboration d’une stratégie territoriale conduit à transformer le projet partagé en décision, déterminant la nature du pilotage ainsi les axes prioritaires et l’allocation de ressources de la manière la plus pertinente possible au regard des contraintes du projet. À ce stade seront décrites de manière formelle, les orientations de la stratégie territoriale à mettre en œuvre dans la phase aval. Cette phase amont est donc le temps de la réflexion, la discussion, la mobilisation, la décision et la formulation.
24La deuxième phase, dite aval, conduit à piloter la mise en œuvre du projet de marketing territorial. Elle consiste à décliner l’offre territoriale et à évaluer la transformation territoriale engendrée. L’offre territoriale regroupe tout ce que le territoire et ses acteurs proposent en matière de biens et de services aux publics bénéficiaires. La vocation de la démarche entreprise étant d’accroître l’attractivité et l’hospitalité du territoire, il est nécessaire de procéder régulièrement à l’évaluation d’un tel projet. Mise en œuvre, action, adhésion, évaluation apparaissent comme les maîtres mots de cette phase aval.
25Le territoire n’est donc pas un espace figé, objet d’une campagne marketing éphémère, mais un système social dynamique qui, en tant que sujet, conditionne toute tentative de marketing territorial. Par ailleurs, la réussite d’une démarche ne se trouve pas dans la campagne marketing menée mais dans la nature et l’ampleur de la transformation territoriale occasionnée. Les preuves de cette transformation ne sont pas toujours directement observables, et requirent la mise en place de métriques d’évaluation à plusieurs niveaux. C’est ce que nous nous proposons de développer en mobilisant la théorie de l’activité, similaire en certains points à l’approche systémique de Moine (2006), tout en intégrant le processus de transformation comme clef d’analyse.
2 – Un cadre conceptuel pour l’analyse de la transformation territoriale : la théorie de l’activité
26Comme nous l’avons indiqué précédemment, les travaux en marketing territorial se caractérisent par une succession d’études de cas et par une très grande hétérogénéité de ces dernières. Par conséquent, il nous semblait pertinent de mobiliser la théorie de l’activité (Vugoski 1985 ; Engeström 1987) afin de tenir compte du contexte et de l’interaction collective omniprésents dans la mise en œuvre et l’analyse des démarches de marketing territorial.
2.1 – Du bien-fondé de la théorie de l’activité pour analyser les systèmes complexes
27La théorie de l’activité s’intéresse tout particulièrement aux systèmes complexes de coopération. Le territoire, tel que décrit par Moine (2006), correspond précisément à cette conception. Dans ce travail, Moine argumente la nécessité d’analyser les « territoires de vie » afin de comprendre la complexité de leur construction historique autour du social, de la politique et du psychologique. Il affirme que le territoire est avant tout un processus d’appropriation, conditionné à la fois par la nature d’un espace géographique, par un système de représentations de cet espace, et par un système d’acteurs qui agissent dans cet espace.
28La théorie de l’activité a été définie comme étant un « cadre pluri-disciplinaire pour étudier comment les individus transforment intentionnellement la société… » (Roth et alii 2012). L’objectif poursuivi est de cerner l’activité de transformation collective sous l’impulsion des différentes parties prenantes du territoire. Les travaux de Vygotsky (1978), popularisés par Engeström (2007), offrent une perspective pluri-disciplinaire pour analyser les diverses pratiques humaines comme un processus de développement dans lequel les individus et la société sont interdépendants. Aussi appelée la théorie historico-culturelle de l’activité, ce cadre conceptuel suggère que la transformation s’appuie sur trois principes majeurs : les individus agissent collectivement par le biais de pratiques, et communiquent socialement par leurs actions ; les individus inventent, utilisent et assimilent différentes technologies pour apprendre et communiquer ; la communauté est centrale à la fois dans le processus de transformation et de connotation du sens.
29Dans l’analyse de la transformation territoriale, deux aspects essentiels sont à considérer. Tout d’abord, le cadre d’analyse tient compte du fait que les politiques publiques, notamment économiques, s’appuient sur les technologies existantes. Le terme « technologie » ici s’entend au sens large, comportant l’ensemble des outils (artefacts) qui facilitent l’appropriation, l’organisation, et la transformation de l’espace social. Ces outils influent progressivement sur les interactions entre les acteurs et leur territoire, ils se modifient dans le temps avec l’accumulation d’expérience. Ces interactions sont par leur nature multi-dimensionnelles, car elles modifient progressivement le territoire et les perceptions du territoire.
30De plus, le développement économique et social d’un territoire ne peut être considéré comme une observation objective, mais plutôt comme le résultat d’une méthodologie de recherche donnée (Engström et alii 1999). Il en est de même pour le développement territorial qui est subjectif tant dans sa réalité perçue que dans sa mesure. Loin d’être la promotion d’un état des lieux ou d’une photographie d’un espace donné, une initiative territoriale est avant tout « un moment d’une mise en capacité d’agir des acteurs du territoire ». Une campagne de marketing territorial est donc une « mise en tension » des multiples acteurs du système. (Lardon et Pivoteau 2005). Une évaluation de cette transformation annoncée, accélérée par la démarche de marketing territorial est à juste titre attendue.
31Si la théorie de l’activité est prometteuse pour l’analyse du processus de transformation territorial, il s’avère qu’aucun outil opérationnel n’en découle. Par conséquent, le décideur territorial, même convaincu par l’apport de ce nouveau cadre conceptuel pourrait se sentir démuni face à l’ampleur de la tâche, celle d’évaluer l’impact du marketing territorial dans son propre contexte. C’est pourquoi, nous proposons de bâtir une grille d’analyse fondée à la fois sur les apports de l’état de la littérature précédemment exposé, et sur les fondements qu’offre la théorie de l’activité. Notre objectif étant de mettre au point un outil d’évaluation capable de rendre compte de la transformation territoriale vécue lors de la mise en place d’une démarche de marketing territorial.
2.2 – Les défis de l’évaluation en marketing territorial
32Construire une grille d’analyse et d’évaluation d’une démarche de marketing territorial représente à la fois en enjeu majeur pour le praticien mais également un défi empirique pour tenir compte de la complexité de l’objet étudié, le territoire. Plusieurs auteurs se sont penchés sur les précautions à prendre en matière d’évaluation d’un projet territorial.
33Tout d’abord, comme le souligne Burghard (2012), le succès de tout projet de marketing territorial présuppose un plan stratégique dans lequel l’envergure, la finalité et les moyens du projet sont clairement identifiés.
34De plus, les buts opérationnels du marketing territorial doivent être élaborés en fonction du contexte politique, économique et historique de chaque collectivité. La vision, les attentes, et la mission du projet aux yeux du maître d’ouvrage méritent d’être clairement définis et communiqués. Enfin, chaque objectif du projet peut être qualifié de spécifique, mesurable, actionnable, réaliste et opportun [2]. Les travaux de Pride (2008) sur les indicateurs clés de la performance pour Visit Wales constituent un exemple rare de projet dans lequel ces critères d’évaluation ont été établis au moment de l’élaboration de l’initiative.
35Une troisième observation apparaît dans la difficulté à déterminer la nature de l’évaluation des projets de marketing territorial. L’objectif de la transformation territoriale doit être explicite et mesurable. La démarche de marketing territorial peut être conçue pour influer sur les opinions des usagers, conférer une fierté d’appartenance, ou inciter les investissements en infrastructure. Les preuves de réussite peuvent être captées au niveau de l’individu, de la collectivité ou de l’opinion des cibles externes au projet. Le succès ou l’échec du projet peut être mesuré en termes d’efficacité (calcul coûts-bénéfices), d’efficience (qualité des relations entre la collectivité et ses usagers) ou d’innovation (la mise en place des scénarios d’usages nouveaux). Groves et Go (2009) insistent sur la nécessité de distinguer entre la production, les résultats et l’impact des projets de marketing territorial.
36Les facteurs politiques et administratifs externes au projet doivent également être pris en compte. La répartition du territoire en communes, communautés, départements ou autres ne correspond que rarement aux régions socio-économiques ciblées par la démarche marketing. Les visions, les agendas et les évènements politiques conditionnent la valeur perçue et la portée de chaque campagne. Face à la nature compétitive et souvent conflictuelle des mandats électoraux, la question de la propriété intellectuelle de la marque peut amplifier ou compromettre sa pertinence et sa longévité. À l’appui d’une étude du contenu de la promotion de la région de Romagna, Lucarelli et Giovanardi (2014) démontrent ainsi comment différents acteurs politiques influencent le processus de mise en place d’une marque à travers leur appropriation, la contestation et la négociation de chaque projet. En effet, derrière les démarches de construction de marque territoriale se situe de manière sous-jacente un enjeu de légitimité des multiples acteurs en présence.
37Le calendrier budgétaire influe également sur les possibilités de réussite d’une démarche de marketing territorial. Si l’impact d’un projet est mesuré dans le changement des attitudes et des comportements des différentes parties prenantes du projet, les échéances budgétaires de la fonction publique sont souvent en conflit avec le temps nécessaire pour constater ces changements. Boisen (2015) note qu’un grand nombre de facteurs qui influent sur la perception globale d’une collectivité sont souvent non maîtrisables par les collectivités elles-mêmes. Belloso (2011) ajoute de son côté, que le temps nécessaire pour mener une politique de conduite de changement n’est malheureusement pas compatible avec les processus de financement public.
38Pour toutes ces raisons, l’impact du marketing territorial sur le développement économique et social d’une collectivité reste difficile à mesurer. La causalité entre les moyens mis en œuvre par le projet et les résultats économiques et sociétaux est conditionnée par le contexte, l’administration et la vision politique de la collectivité dans le temps. Le lien entre la perspective subjective des consommateurs de la marque et les indicateurs objectifs de performance sont difficiles à établir. Les comparaisons des projets dans le temps, et entre les collectivités requièrent l’élaboration de nouveaux cadres conceptuels et de métriques externes aux projets.
39Pour faire face à ces différents défis, en nous basant sur la théorie de l’activité, nous proposons de construire un outil d’évaluation et d’analyse de la transformation territoriale.
3 – Résultats : construction du Cube d’Évaluation et d’Analyse de la Transformation Territoriale (CEATT)
40Malgré la quantité de contributions de ces dernières années, traitant le marketing territorial, il n’existe que peu d’analyses portant sur le rôle que ces projets ont joué dans la transformation des collectivités publiques et de leur environnement socio-économique. Cette omission est encore plus remarquable lorsque l’on considère que ces démarches sont souvent entreprises avec un objectif explicite : accompagner et accélérer la transformation de la collectivité ciblée. Dans un premier temps, nous présentons un nouvel outil d’évaluation de la transformation territoriale puis nous en préciserons les usages à l’aide d’un exemple : celui de la Principauté de Laàs.
3.1 – Les dimensions de l’évaluation en marketing territorial
41La question de l’évaluation en marketing territorial se pose en deux temps successifs : quelles sont les dimensions sur lesquelles porte la transformation territoriale ? Puis, quels sont les indicateurs pertinents pour mesurer l’ampleur de cette transformation ?
42Il existe quatre dimensions dans la transformation territoriale : le territoire lui-même, les infrastructures, les représentations à l’égard du territoire et les pratiques observées au sein du territoire.
43Le premier aspect évalué de la transformation est le territoire lui-même, considéré comme un bien commun co-construit par différents acteurs et usagers du lieu. Le territoire, considéré comme l’objet de la transformation, regroupe ses caractéristiques naturelles et ses contours physiques.
44Les infrastructures regroupent des plateformes qui créent des relations de proximité entre les fournisseurs et les consommateurs de services. La notion d’infrastructures déployées sur un territoire pour le transformer fait référence à la fois à des équipements physiques tels que des routes, des écoles ou des usines mais également à des installations permettant des usages dématérialisés, comme le développement de la fibre optique par exemple. Le marketing territorial peut faciliter la création de nouvelles infrastructures : routières, sanitaires, scolaires, informatiques, etc. qui accentuent la proximité entre les consommateurs et les producteurs de ressources territoriales. C’est pourquoi, bon nombre de démarches de marketing territorial intègrent la création d’une communauté d’ambassadeurs ayant pour but principal de faire connaître les ressources territoriales disponibles : produits locaux, infrastructures disponibles, compétences accessibles, fonciers mobilisables pour des investissements.
45La notion de représentations couvre les différentes formes d’engagement communautaire sur le territoire. Les usagers partagent, dans une certaine mesure, des perceptions communes par rapport à la représentation du territoire. Cet état d’esprit conditionne leur participation aux processus décisionnels et leurs actions encouragent ou handicapent certaines formes d’action politique. Sur cette troisième dimension, le marketing territorial peut transformer les perceptions individuelles et collectives du rôle qu’a le citoyen dans la politique locale, l’économie et la société. Ainsi, l’un des impacts positifs observé dans les démarches de marketing territorial reste l’accroissement de l’appropriation au lieu voire l’émergence d’une véritable fierté d’appartenance. Après avoir mis en lumière des atouts du lieu, une démarche de marketing territorial peut modifier les représentations mentales liées au territoire et déclencher les comportements d’ambassadeurs performants.
46Enfin, les pratiques font référence aux activités qui caractérisent la production sociale et économique sur un territoire donné. Elles représentent les domaines dans lesquels le territoire est perçu comme singulier ou spécifique, doté d’atouts uniques. Ces pratiques territoriales déterminent les normes et les usages de proximité, la source de valeur ajoutée et une mesure de son apport à la collectivité. L’impact du marketing territorial se reconnaît ici dans le degré d’innovation des moyens locaux de production ou dans la recomposition de ses forces productrices. Le cas du Louvre Lens [3] illustre bien cette capacité qu’un projet de redynamisation territoriale peut apporter au-delà de son périmètre d’action immédiat. Adoptant comme point de départ la création d’un musée, de très nombreuses activités périphériques ont été développées ensuite autour de la gastronomie, du design ou du carnaval.
47Les quatre dimensions de la transformation territoriale ayant été exposées, la littérature nous propose quatre approches de l’évaluation en marketing territorial : les indicateurs clés de la performance, la veille concurrentielle (benchmarking), l’opinion à l’égard du territoire et le suivi en temps réel.
48Il est possible d’accéder à l’évaluation de l’impact d’une démarche de marketing territorial, intégrant ou non la création d’une marque territoriale, grâce à l’élaboration des indicateurs clés de la performance. Un indicateur clé de la performance est une valeur mesurable qui démontre à quel point une campagne atteint ses objectifs. La question cruciale qui se pose concerne la pertinence des indicateurs à retenir pour bâtir un outil adapté à des situations très diverses, tant par leur contexte que par les parties prenantes impliquées, et pour rendre compte de la transformation territoriale suivie.
49Dans son travail pour Visit Wales, Pride (2008) proposait de mesurer les facteurs clés de succès : la reconnaissance de la région et de la démarche, la proximité émotionnelle de la population cible, son engagement à visiter le lieu, sa réponse à la démarche marketing, l’efficience marketing et la valeur marketing. S’il est vrai que ces métriques démontrent plutôt des corrélations que des liens de causalité entre le marketing territorial et l’attractivité de la région, les indicateurs clés de la performance constituent néanmoins une base pour évaluer son impact. Diniie (2017) souligne que les porteurs du projet devraient systématiquement définir leurs objectifs, mettre en œuvre les moyens nécessaires, puis évaluer que ces objectifs ont été atteints. D’après le Place Brand Observer, les références les plus connues comprennent l’identification de la marque, sa reconnaissance par le public ciblé, et son attractivité par les usagers et les publics internationaux.
50La veille concurrentielle (benchmarking) constitue un deuxième moyen d’évaluation. Les techniques de veille font référence à l’observation et à l’analyse des pratiques marketing utilisées et des performances atteintes par d’autres collectivités. Plutôt que de se fier uniquement aux métriques internes d’un projet, la veille concurrentielle permet la prise en compte à la fois des meilleures pratiques d’autres collectivités mais aussi des influences macro-économiques des événements nationaux voire internationaux. Dans le cas du marketing territorial, le benchmarking implique l’évaluation de l’impact des initiatives sur des objectifs sociétaux ou économiques. Aujourd’hui, les professionnels du marketing territorial disposent de suffisamment de recul sur certaines expériences menées en France comme à l’étranger pour tirer profit d’une veille concurrentielle. À titre d’exemple, le Place Marketing Forum présente chaque année de nombreux cas de marketing territorial, constituant un observatoire des pratiques actuelles les plus avancées à l’échelle mondiale.
51L’analyse de l’opinion vis-à-vis du territoire fournit une troisième approche à l’évaluation. L’analyse des sentiments fait référence au processus d’identification et de catégorisation des opinions afin de détecter et d’analyser comment différentes parties prenantes réagissent vis-à-vis d’un territoire. Ainsi, des entretiens, des sondages et des études de médias sociaux peuvent être engagés dans le but de mieux comprendre comment le public cible appréhende, apprécie et évalue les résultats d’une démarche de marketing territorial dans le temps. Grandi et Nehri (2014) utilisent cette approche dans leur analyse des perceptions de la marque de la ville de Bologne à travers le Web. Dans la conclusion de leur contribution, ils suggèrent que l’analyse des sentiments démontre la diversité des perceptions face à une campagne de marketing territorial, et la nécessité d’intégrer une pluralité d’approches à la fois dans sa mise en œuvre et dans son évaluation.
52Enfin, le suivi en temps-réel (tracking) offre une approche complémentaire d’évaluation pour détecter le comportement des usagers (Sevin, 2011). Ce suivi implique l’utilisation des ensembles de données qui sont agrégées et analysées tout au long du projet. La disponibilité généralisée des techniques d’analyse de données fournit une abondance de données quantitatives et qualitatives aux collectivités sur les motivations, les objectifs et les actions de leurs publics cibles. La mise en œuvre des stratégies multicanales utilisant conjointement des sites Web, des applications mobiles et des médias sociaux offre la possibilité de structurer et d’influencer les perceptions des usagers du territoire. Zenker et Martin (2011) suggèrent que le suivi des données clés puisse aider les spécialistes du marketing territorial à comprendre le contexte et la complexité des concepts tels que le capital client et la satisfaction du consommateur. Il en est de même pour le capital territoire, tel que défini par Chamard et alii (2013). Même si les données en temps réel sont nécessairement imparfaites, les résultats peuvent être ajustés et corrigés quand des données plus fiables deviennent disponibles.
53Nous pouvons ainsi synthétiser ces quatre dimensions de la transformation territoriale et ces quatre approches de l’évaluation sous une forme matricielle. Lorsqu’une démarche marketing voit le jour, il est donc nécessaire d’appliquer à chaque projet une évaluation puis une analyse relative aux quatre niveaux d’évaluation : territoire, représentations, infrastructures et pratiques. Puis, chacun de ces quatre objets sera évalué selon l’une des quatre approches précédemment indiquées : la veille concurrentielle, les indicateurs clés de performance, le suivi en temps réel, et l’analyse d’opinion.
Le Cube d’Evaluation et d’Analyse de la Transformation Territoriale (CEATT)
Le Cube d’Evaluation et d’Analyse de la Transformation Territoriale (CEATT)
54Cette matrice fournit une grille d’évaluation permettant à tout acteur impliqué dans une démarche de marketing territorial d’analyser la transformation observable sur le territoire. Ce cube représente une évaluation complète d’une transformation territoriale, chaque brique constitutive correspondant à une dimension du territoire évaluée selon l’une des modalités présentées. En effet, dans cette configuration, nous constatons que tous les projets donnent lieu à une évaluation sur les quatre dimensions du territoire et selon toutes les modalités de l’évaluation. Si cette situation paraît idéale, il convient de préciser qu’elle ne représente qu’exceptionnellement la réalité vécue par les professionnels du marketing territorial. Le CEATT se construit progressivement au cours d’une démarche marketing, au fur et à mesure que les projets émergent et qu’ils sont menés à leur terme. Les briques vont donc être assemblées tout au long de la démarche en vue d’obtenir le cube le plus complet possible. Nous proposons une application de cet outil dans la partie suivante.
3.2 – Les usages du CEATT
55Le CEATT se construit en trois étapes. Dans un premier temps, les projets qui s’intègrent dans la démarche de marketing territorial sont inventoriés afin d’être évalués dans le cadre de la mesure de la transformation territoriale. Puis, les dimensions du territoire susceptibles d’être modifiées par le projet sont identifiées. Enfin, les modalités d’évaluation sont choisies au regard de leur pertinence vis-à-vis de la nature du projet entrepris. Un tel processus s’entend comme un suivi longitudinal. La configuration du cube évoluera donc au fil du temps, puisque des projets s’agrégeront (ou seront arrêtés), des dimensions du territoire transformé ou des indicateurs d’évaluation s’ajouteront. In fine, le CEATT synthétise l’ensemble des évaluations de la transformation territoriale dans le but de faciliter l’analyse de cette évolution.
56Sur la base de quatre objets d’analyse de la transformation territoriale et des quatre approches de l’évaluation, nous pouvons appliquer cette grille d’analyse à tout type de territoire.
57Nous présentons ci-dessous un exemple d’utilisation de cet outil à la lumière d’un cas pratique de marketing territorial particulièrement original et ambitieux : la création d’une Principauté au sein d’une commune du sud-ouest de la France.
58En 2011, le village de Laàs, 130 habitants, a choisi de devenir une principauté [4]. L’objectif central est la valorisation et la dynamisation territoriales, dans le souhait de limiter l’exode rural des petits villages à la population vieillissante, d’encourager la création d’emplois par de nouveaux projets, devenir une destination touristique à part entière en augmentant la capacité d’accueil et les points d’intérêts, renforcer l’identité locale autour de ses ressources : architecture, nature, terroir, artisanat de qualité, agriculture en circuits courts, et fédérer les acteurs du territoire en devenant une structure d’accompagnement. Il s’agit d’un projet à long terme. Pour cela, la création de la Principauté constitue une expérimentation de transformation territoriale, permettant de tester le CEATT.
59Dès 2014, l’association nouvellement créée et dotée d’un conseil d’administration joue le rôle d’un comité de pilotage de la démarche de marketing territorial. Nous avons accompagné cette initiative depuis le départ, c’est pourquoi nous pouvons proposer une synthèse de l’avancée de ce projet notamment en termes d’évaluation de la transformation territoriale.
60Le tableau 1 rassemble les dimensions du territoire mobilisées pour évaluer la transformation territoriale de Laàs ainsi que des exemples d’indicateurs pertinents pour mesurer cette mutation. Le tableau 2 contient certaines données déjà enregistrées dans le cadre de la démarche de la Principauté de Laàs. Certaines cases du tableau restent vides puisque le projet est encore en cours et que l’évaluation suivra son cours tout au long de l’année 2018.
Le CEATT appliqué au cas de la Principauté de Laàs
Le CEATT appliqué au cas de la Principauté de Laàs
Pour une meilleure lisibilité, nous présentons nos résultats sous la forme de tableaux. Ces derniers pourront être transformés en une figure à trois dimensions de forme cubique.Évaluation de la transformation territoriale de la Principauté de Laàs
Évaluation de la transformation territoriale de la Principauté de Laàs
Pour une meilleure lisibilité, nous présentons nos résultats sous la forme de tableaux. Ces derniers pourront être transformés en une figure à trois dimensions de forme cubique, en cohérence avec le CEATT.61Comme de nombreuses démarches de marketing territorial, l’initiative de la Principauté de Làas rassemble différents projets présentés dans la première colonne intitulée « projets évalués ». Dans un premier temps, il s’agit d’établir une liste selon la dimension du territoire qu’ils affecteront. Par exemple, Laàs a été modifié par deux initiatives : la création d’une principauté votée en conseil municipal et la mise en place de cabanes douanières disposées aux entrées du village. La dimension infrastructures est également évaluée sur la base de deux projets : le choix de confier la gestion du château et de son parc de 12 hectares à un délégataire de service public et l’intégration dans la rue principale du village, le Laàs Vegas boulevard, de 35 étoiles à l’effigie de chanteurs renommés ayant participé au festival de chanson annuel de la Principauté. Quant aux représentations du territoire, elles sont véhiculées par deux moyens : un réseau d’ambassadeurs présents dans 15 pays du monde munis de passeport de la Principauté. Ces deux vecteurs, ambassadeurs et passeports, présentent les valeurs et les atouts du territoire sur leur zone d’influence. Enfin, en ce qui concerne les pratiques, le rachat par un investisseur d’une fabrique de bérets dans le village et l’organisation du festival « Les transhumances musicales » de Laàs constituent deux projets qui fonderont l’évaluation de la transformation territoriale.
62Une fois les projets identifiés, les quatre dimensions de l’évaluation peuvent être scrutées afin de déterminer le mode le plus pertinent pour rendre compte de la transformation territoriale vécue. Par exemple, nous suivons le nombre de manifestations organisées au sein du château, le nombre de visiteurs, l’évolution des recettes de manière longitudinale, et nous collectons l’opinion des visiteurs grâce à un livre d’or disposé à la sortie du château et sur une application mobile. Toutes ces informations sont reportées dans une matrice unique afin de constituer progressivement le CEATT.
63Ainsi, concernant la transformation du village de Laàs en Principauté dans le cadre d’une démarche de Marketing territorial, chaque dimension est évaluée à intervalle régulier afin de suivre à la fois l’évolution du projet et l’ampleur de la mutation territoriale. Chaque projet, chaque « activité », pour reprendre l’unité de base de la théorie de Vygotski (1985), s’intègre dans une œuvre collective, souvent qualifiée de projet de territoire par les marketeurs territoriaux. Selon l’ampleur de la démarche de marketing territorial menée, il sera parfois impossible de disposer de tous les éléments d’évaluation dans un premier temps. Il conviendra donc de réunir progressivement l’ensemble de ces dimensions afin de bâtir une évaluation complète, autorisant une analyse plus pertinente de la transformation territoriale étudiée.
64La dernière étape, plus analytique que descriptive, revient à caractériser la transformation territoriale enregistrée. En fonction du degré d’exhaustivité des informations obtenues, il est possible de déterminer quelles sont les dimensions du territoire les plus impactées par les projets inclus dans la démarche de marketing territorial. Au regard d’objectifs initiaux, le CEATT conduit à identifier d’éventuels écarts avec la transformation mesurée en cours ou en fin de projet (Schéma 3). À ce stade du projet de Principauté de Laàs, à peine 3 ans après son lancement, la dimension « territoire » a été la première impactée chronologiquement. L’importante couverture médiatique a largement contribué à transformer le territoire vécu mais également sa perception. Aujourd’hui, les dimensions « infrastructures » et « pratiques » sont les plus emblématiques de la transformation territoriale puisque les résultats, et notamment les indicateurs clés de performance, révèlent une redynamisation de l’activité dans le périmètre de la Principauté. La dimension « représentations » n’enregistre pas encore une véritable mutation suite aux projets qui ont été lancés mais il s’agit de démarches de long terme qui ne porteront leurs fruits qu’ultérieurement.
Le CEATT appliqué au cas de la Principauté de Laàs
Le CEATT appliqué au cas de la Principauté de Laàs
Les préférences d’évaluation des porteurs de chaque projet sont indiquées selon l’intensité de la couleur bleue.65L’apport de telles matrices est donc triple. Tout d’abord, compléter cet outil permet d’élucider la spécificité d’un territoire et de son contexte. L’intégration de l’ensemble de ces éléments donne une vision globale et approfondie du territoire observé. Le CEATT a également vocation à suivre une évolution de façon longitudinale. En effet, les démarches de marketing territorial étant généralement lourdes à mettre en œuvre, seule une évaluation à moyen et long terme permettra de capter réellement la transformation territoriale. Enfin, une utilisation comparative entre plusieurs collectivités territoriales de cette matrice conduit à relever les principales zones de concurrence ou de complémentarité entre territoires.
Conclusion
66Les démarches de marketing territorial sont aujourd’hui omniprésentes au sein des collectivités territoriales. Elles s’accompagnent d’une montée en puissance des fonctions de pilotage, d’analyse et d’évaluation de ces démarches. Nous avons bâti le CEATT, un outil d’aide à ces opérations afin que les décideurs puissent appréhender de la manière la plus complète possible les transformations territoriales provoquées par la mise en œuvre d’une démarche de marketing territorial. La matrice présentée conduit à adopter une vision holistique, nécessaire pour cerner les dynamiques du système complexe que constitue un territoire. Le CEATT permet de faire ressortir le territoire en tant que sujet (dynamique) qui conditionne les projets de marketing territorial. Il permet une meilleure réponse aux questions sur la représentativité de la marque, de ses objectifs, de métriques appropriées, des enjeux politiques et budgétaires. Enfin, il permet une analyse comparative de l’impact des projets dans une région cible, ou à travers un ensemble de territoires.
67Les perspectives de diffusion du CEATT sont nombreuses et ce, pour deux raisons principales. Basé sur la théorie de l’activité, cet outil permettrait en premier lieu d’obtenir des résultats probants lors de la confrontation avec des terrains d’application divers. En second lieu, les professionnels engagés dans des démarches ambitieuses, ont besoin d’avoir recours à des outils d’analyse et d’évaluation adaptés à ce domaine d’expertise spécifique qu’est le marketing territorial. Le nombre et la variété des usages du CEATT permettront peut-être d’accroître l’efficacité des démarches de marketing territorial menées ?
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Notes
-
[1]
Traduction proposée par les auteurs « Place branding refers to the development of brands for geographical locations, such as regions, cities or communities, usually with the aim of triggering positive associations and distinguishing the place from others. »
-
[2]
Dans une démarche pédagogique, les auteurs utilisent l’acronyme de SMART : Spécifique, Mesurable, Activable, Réaliste, opporTun.
-
[3]
Le projet Autour du Louvre Lens (ALL) vise à proposer, pour les territoires avoisinant le musée, une véritable stratégie de développement touristique à 10-15 ans. L’objectif est de faire de ces territoires une nouvelle destination touristique à vocation nationale et internationale.
-
[4]
La forme juridique retenue dans un premier temps pour la Principauté est l’association Loi 1901, dont les statuts ont été publiés au journal officiel en 2014. Elle permet de fédérer les acteurs mobilisés autour d’un projet de redynamisation du territoire.