1Notre grand ami David vient de nous quitter le 20 juin 2020 dans sa quatre-vingt-dixième année. Il était né à Beckenham, dans le Kent, le 2 octobre 1930, et a eu un parcours vraiment atypique. Après ses études secondaires à Londres et à Blundell’s dans le Devon, il avait travaillé trois ans comme agent de bourse à la Lloyds of London, avant de passer successivement un an à Milan et un à Cordoue. Il avait obtenu son premier diplôme en littérature comparée à l’université McGill, à Montréal, il y avait suivi un cours sur Shakespeare, puis s’était orienté vers des études latino-américaines à Stanford, en Californie, où il a enseigné à l’Institute of Hispanic American and Luso-Brazilian Studies. Ces deux doctorats ont été présentés successivement à l’université de Toulouse sur la crise espagnole de 1936, et il développa son sujet, pour son PhD soutenu en 1968 à Stanford (Californie) : Conjecture, propaganda, and deceit and the Spanish Civil War : the international crisis over Spain, 1936-1939, as seen in the French Press. Au cours de ses séjours en France, il avait eu l’occasion de rencontrer des Républicains espagnols en exil comme Jorge Semprun et ces contacts l’ont amené à décrire, dans de nombreux ouvrages leur périple d’Espagne vers la France, et de Mauthausen aux camps de Staline.
2David W. Pike est en fait l’auteur d’une trentaine d’ouvrages portant sur la Seconde Guerre mondiale et sur l’Espagne de la guerre civile. Il avait abordé dès 1969 le sujet des républicains espagnols dans sa première publication en espagnol, Vae victis : Los republicanos españoles. Cet ouvrage remarquable, tiré de sa thèse, fut traduit en français en 1975 sous le titre Français et la Guerre d’Espagne (CR de J.-M. d’Hoop, dans le numéro 108/1977 de la Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale) puis en anglais. Les intérêts de David W. Pike dépassaient de loin cette spécialisation principale. Mais c’est son séjour à l’Université de Toulouse qui l’a orienté vers des études portant sur la Seconde Guerre mondiale. Il avait été marqué, dans son enfance, par le Blitz sur Londres !
3Il était le membre le plus actif de Guerres mondiales et conflits contemporains dans la mesure – mais pas uniquement – où tous les numéros passaient entre ses mains, puisqu’il en corrigeait minutieusement les abstracts. Son activité au sein de la revue remonte au début des années 1980. En 1980, on trouve trace d’un compte rendu sur le livre d’Angel Viñas La Alemania nazi y el 18 de julio et surtout un important article (no 124, 1981) sur « la Défense nationale de la France et l’Espagne à la veille de la Seconde Guerre mondiale ». Les articles qu’il a publiés par la suite dans notre revue portent sur la même période et présentent la particularité d’être très originaux et de renouveler bien souvent la question comme « Les photographes de Mauthausen : aspects nouveaux d’une affaire célèbre », en 2005, no 218, « Aspects nouveaux de la Guerre d’Espagne : sept causes célèbres qui s’entremêlent », 2012, no 245, « L’Église et la guerre d’Espagne. Apports nouveaux », 2012, no 246 ; tout un dossier, paru en deux articles, et rédigé avec une de ses collaboratrices Anne Farache, en 2015 et 2016 sur « Les îles anglo-normandes sous l’occupation allemande et la singularité des Républicains espagnols en captivité ». En février dernier, il nous proposait encore des articles ou des comptes rendus sur des sujets touchant soit à l’Espagne soit à la Seconde Guerre mondiale. Parmi eux, on peut signaler ses derniers articles sur les projets de destruction de la capitale française par Hitler à la fin de la guerre et ses notices fouillées sur de nouvelles recherches comme la dernière publiée en 2019, sur les derniers travaux de Sir Paul Preston, Une guerre d’extermination, Espagne 1931-1945. Il prévoyait également de faire un film sur « Les Républicains espagnols au camp de Mauthausen », il n’a pas pu en voir la réalisation.
4David avait un vrai souci de justice et il s’appliqua toute son existence à traquer les falsifications de l’Histoire et à remettre sur le devant de la scène, les oubliés. Comme il l’avait fait en 2015 devant le monument de la FEDIP, aux Espagnols morts pour la liberté. Nous tenons aussi à saluer l’exemplarité de ses recherches, l’honnêteté qui l’anima toujours dans ses travaux, il était toujours prêt à reconnaître et à rectifier s’il se trompait. Il n’avait de cesse que d’affirmer que l’Histoire se dévoile à tâtons, sans être une science exacte et qu’il fallait donc rester humble face à elle.
5Les travaux de David ont été distingués très tôt par ses pairs. En 1968, David donnait des conférences à bord d’une croisière à travers l’Europe, une activité qu’il a reprise après sa retraite. Lors d’un trajet en taxi à travers Paris, il a été remarqué par le président fondateur de l’Université américaine de Paris, Lloyd Delamater, qui l’a immédiatement recruté. Le doyen Carol Maddison lui a confié la création du programme d’histoire et de la division des Sciences sociales, mission qu’il a fidèlement accomplie au fil des ans. David est resté un pilier des programmes d’histoire et de politique de cette université et un partisan indéfectible des sciences humaines. Très apprécié par ses étudiants, il suivait leur cursus avec beaucoup d’attention et d’affection et a publié avec eux des articles. Devenu l’historien officiel de l’UAP, il a reçu en 1993 le titre de Dinstinguished Professor avant d’être élevé lors de sa retraite en 2000 à l’éméritat. En prenant sa retraite, il avait déclaré à ses collègues qu’il était « plein d’énergie et d’ambition » et avait huit autres livres en lui. Pour lui la retraite n’était qu’un long congé sabbatique perpétuel.
6David était aussi un pianiste de talent et nous avons eu l’occasion et le plaisir immense toutes les trois d’être invitées à ses concerts sur Chopin à la cathédrale américaine de Paris. Il avait défendu, au cours de ses dernières années, le retour de la musique sous la forme d’une série de concerts dans la tradition des musiciens-musicologues du campus de l’université américaine, Edmund Pendleton, Caroline Flament et Randall Blatt.
7Enfin nous avons tous été marqués, à la Revue, par sa curiosité, son enthousiasme et son humour. En attestent les nombreux messages reçus des membres du Comité scientifique en apprenant son décès. Comme l’a écrit l’un d’entre eux, nous avons rarement connu un homme aussi charmant et curieux de tout. Ses remarques avisées et son sourire malicieux nous manqueront lors de nos prochaines réunions.