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Article de revue

Typologie du sauvetage des juifs dans le département de la Sarthe

Pages 97 à 119

Notes

  • [1]
    Parmi les nombreux ouvrages on peut distinguer entre ceux qui proposent une analyse totale de la politique antisémite de Vichy (Marrus et Paxton, Kaspi, Zucotti, Klarsfeld), ceux qui analysent la politique de persécutions de Vichy, ceux qui proposent une analyse de la Résistance juive (Rayski, Latour, Lazare), et ceux qui analysent un aspect spécifique de la politique d’exclusion de Vichy en mettant l’accent sur la situation des Juifs (Adler, Poznanski, etc.).
    Michaël R. Marrus, Robert Paxton, Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981 ; André Kaspi, Les Juifs pendant l’Occupation, Paris, Le Seuil, 1991 ; Suzan Zuccotti, The Holocaust, the French and the Jews, New York, 1993 ; Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz : le Rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France, 1942-1944, Paris, Fayard, 1983, 2 t. ; Jacques Adler, Face à la persécution. Les organisations juives de Paris de 1940 à 1944, Paris, Calmann-Lévy, 1985 ; Adam Rayski, Le choix des Juifs sous Vichy entre soumission et résistance, Paris, La Découverte, 1992 ; Anny Latour, La Résistance juive en France, Paris, Stock 1970 ; Lucien Lazare, La Résistance juive en France, Paris, Stock, 1987 ; Cohen Asher, Persécutions et sauvetages ; Juifs et Français sous l’Occupation et sous Vichy, Paris, Le Cerf, 1993 ; Renée Poznanski, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Hachette, 1994 ; Simon Schwartzfuchs, Aux prises avec Vichy. Histoire politique des Juifs de France, 1940-1944, Paris, Calmann-Lévy.
    Renée Poznanski, « Vichy et les Juifs des marges de l’histoire au cœur de son écriture », in Jean-Pierre Azéma et François Bédarida (éd.), Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, p. 57-67.
  • [2]
    Asher Cohen, Persécutions et sauvetages, op. cit. Notons que sur les 500 pages de l’ouvrage, seules 100 pages sont consacrées à la question du sauvetage des Juifs.
  • [3]
    Lucien Lazare, Le livre des Justes : histoire du sauvetage des Juifs par des non-Juifs en France, 1940-1944, Paris, Hachette, 1996.
  • [4]
    De ce point de vue notre étude est la seule à proposer une étude globale du sauvetage des Juifs par des chrétiens – laïques ou religieux (Limore Yagil, Chrétiens et Juifs sous Vichy : sauvetage et désobéissance civile, 1940-1944, Paris, Le Cerf, 2005).
  • [5]
    Karine Macarez, Shoah en Sarthe, Cheminements, 2006.
  • [6]
    Le département de la Sarthe appartient aux départements « oubliés de la mémoire » et par conséquent, il existe un nombre limité d’ouvrages le concernant. André Pioger, Le Mans et la Sarthe pendant la Seconde Guerre mondiale, 1976, et Jacques Chesnier et Rémi Mallet, Aspects de la Résistance dans la Sarthe, 1940-1944, Centre départemental de la Sarthe, 1991 ; Gérard Boëldieu, « La Sarthe », p. 177-186, Jean-Marc Berlière et Denis Peschanski (s.d.), La police française, 1930-1950. Entre bouleversements et permanences, IHESI/La Documentation française, 2000 ; André Lévy, La Sarthe, des origines à nos jours, Saint-Jean-d’Angély, Bordessoules, 1983.
  • [7]
    AN 72AJ/184 et 185 ; AJ/41/389 : rapports des préfets sur la Sarthe, 1940-1944.
  • [8]
    Jeanne Dufour, Agricultures et agriculteurs dans la campagne mancelle, Le Mans, 1981.
  • [9]
    CDJC/DLXXXIV-1C ; Rachel Chetrit-Benaudis, Murmures d’enfants dans la nuit. Témoignages Histoire de l’OSE, Le Manuscrit, 2004 ; Sabine Zeitoun, L’œuvre de secours aux enfants (OSE) sous l’Occupation en France, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 35-51 ; Martine Lemalet (s.d.), Au secours des enfants du siècle. Regards croisés sur l’OSE, NIL, 1993.
  • [10]
    CDJC/XXXI-127-132 et CCXV-38A : Note sur les enfants déportés ; L. Gourvitsch, OSE, 1912-1937, Paris, Éd. de l’Union-OSE, 1937.
  • [11]
    Notons que tous les employés d’Amenon (fermiers, gens de maison) se montraient d’une parfaite discrétion pendant la durée de la guerre et assumaient avec courage de pénibles moment lors des visites de la Gestapo.
  • [12]
    Témoignage d’Odette La Ruche, dans Michèle Rotman, Carnets de mémoires. Enfances cachées, 1939-1945, Paris, Ramsay, 2005, p. 40-42.
  • [13]
    AN 72AJ/184 : Sarthe pendant la Seconde guerre : témoignages et documents.
  • [14]
    Liliane Lelaidier-Maitron, « Les enfants juifs de Mme Houssin », dans Enfants cachés, bulletin no 14, mars 1996, p. 6.
  • [15]
    M31/8333. La série M31 concerne les dossiers des Justes à Yad Vashem en Israël. L’auteur a eu l’autorisation d’étudier les nombreux dossiers des Justes ainsi que toute la documentation se trouvant dans les divers dossiers.
  • [16]
    M31/8138.
  • [17]
    Parmi les nombreux villages refuges on peut nommer les suivants : Azire, Lavaré, Ecommoy, Montfort-le-Rotrou, Pont-de-Gennes, Le Lude, Saint-Martin-des-Monts, Cogners, Vibraye (canton), Fresnay-sur-Sarthe, La Flèche, etc.
  • [18]
    Dictionnaire des Justes, Paris, Fayard, 2002 ; Marianne Carbonnier-Burkard, Patrick Cabanel, Une histoire des protestants en France, Paris, Desclée de Brouwer, 1998 ; Christian Maillebouis, La montagne protestante, pratiques chrétiennes et sociales dans la région du Mazet-Saint-Voy, 1920-1940, Lyon, Olivetan, 2005 ; André Encrevé, Jacques Poujol (dir.), Les protestants français pendant la Seconde Guerre mondiale, Actes du Colloque de Paris, Paris, SHPF, 1994.
  • [19]
    M31/6237.
  • [20]
    M31/4280.
  • [21]
    M31/6964.
  • [22]
    M31/8375.
  • [23]
    Mathilde et André Lebas sont reconnus comme Justes le 22 août 2005.
  • [24]
    Jacques Bellanger, Le Lude et son canton, Saint-Cyr-sur-Loire, Éd. Alan Santon, 2000 ; id., Le Lude des années sombres, 1939-1945, Fresnay-sur-Sarthe, 2001, p. 97-100 ; id., Chroniques du Lude, 1900-1920, Saint-Cyr-sur-Loire, A. Sutton, DL, 2007.
  • [25]
    Jacques Bellanger, Le Lude des années sombres, opcit., p. 97-100.
  • [26]
    AN 72AJ/184 et Camille Ballester, Colette Flandrin, Geneviève Crié. Une figure exemplaire de la résistance sarthoise, Saint-Jean-des-Mauvrets, Éd. du Petit Pavé, 2004. Geneviève Crié est née en 1886 à Chasillé dans la Sarthe.
  • [27]
    Reconnu comme Juste parmi les Nations.
  • [28]
    Témoignage de Nelly Scharapan, août 2003, dans Danielle Bailly (s.d.), Traqués, cachés, vivants. Des enfants juifs en France (1940-1945), Paris, L’Harmattan, 2004, p. 141-162 ; Adolphe Renard, Ecommoy et ses environs, Res Universis, 1989.
  • [29]
    M31/3185.
  • [30]
    M31/4599 et Lucien Lazare, Le livre des Justes, op. cit., p. 35-38.
  • [31]
    Charlotte Barillet, « Une Juste parmi les nations n’est plus, Lucienne Clément de l’Épine », Enfants cachés, bulletin no 13, décembre 1995, p. 4 ; et les travaux de Céline Rattier, « Lucienne Clément de l’Épine et le sauvetage des enfants juifs dans le département de la Sarthe, 1939-1945 », Revue d’histoire de la Shoah, CDJC, no 174, janvier-avril 2002, p. 70-106 ; Une résistance humanitaire en Sarthe, le sauvetage des enfants juifs, 1939-1945, mémoire de DEA sous la dir. de Brigitte Waché, Université du Maine, 1997, 173 p. ; « Le sauvetage des Juifs de la Sarthe », La Province du Maine, 99 (1997), p. 339-372 ; « Les femmes et le sauvetage des enfants juifs », Sociétés occidentales en mutation, Cahier, no 4, Le Mans, lhamans, Université du Maine, 2003, p. 123-140.
  • [32]
    Dotée d’une double formation d’institutrice publique et d’infirmière de l’école municipale d’infirmiers et d’infirmières de l’hôpital parisien de la Pitié, Léonie Chaptal s’installa auprès d’un de ses frères, vicaire à Plaisance et collaborateur de l’abbé Soulange-Bodin. Puisant dans sa fortune personnelle, elle ouvrit l’œuvre des logements insalubres de Plaisance (1901-1914), fonda l’Assistance maternelle et infantile de Plaisance (1901-1938), qui participa à la prévention des maladies infantiles, et l’œuvre des tuberculeux adultes (1903-1930). La circulaire du 28 octobre 1902 institua en outre les écoles d’infirmières et permit à Léonie Chaptal de diriger la maison école des infirmières privées, fondée en 1904 à Paris. Elle mit en place un enseignement qu’elle confia aux médecins et aux directeurs des hôpitaux, contribuant ainsi à situer la profession d’infirmière sous la dépendance médicale et administrative.
  • [33]
    CDJC/XXXV, 1c ; Jacqueline Baldran, Claude Bochurberg, David Rapoport. « La Mère et l’Enfant, 36, rue Amelot », Paris, Éd. du CDJC, p. 170-203. Il s’agit de 58 enfants.
  • [34]
    CDJC/DLXXXIV-1c ; Claude Lévy, Paul Tillard, La grande rafle du Vel d’Hiv, Paris, Cercle de bibliophilie, 1969, p. 144-155.
  • [35]
    Le nombre des études concernant l’activité des assistantes sociales est assez limité. On peut citer les études suivantes, qui demanderaient à être complétées par des recherches plus approfondies : Armelle Mabon-Fall, Les assistantes sociales au temps de Vichy, Paris, L’Harmattan, 1995 ; Jean Guilermand, Histoire des infirmières, t. I : Des origines à la naissance de la Croix-Rouge, Paris France-Sélection, 1988 ; Yvonnes Knibiehler, Nous les assistantes sociales. Naissance d’une profession, Paris, Aubier, 1983 ; Cyril Le Tallec, Les assistantes sociales dans la tourmente, 1939-1946, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Philippe-Jean Hesse, Jean-Pierre Le Crom (s.d.), La protection sociale sous le régime de Vichy, Rennes, PUR, 2001.
    Sur l’activité du Secours national et sa politique durant les années 1941-1944 à consulter : AN F60/388-389 ; F60/246 ; 307AP 159 : Papiers Raoul Dautry : dossier « aide aux internés civils et à leurs familles », nos 15 et 16 ; F1A/3660-3661 : organisation du Secours national ; 2AG/458 : bilan de l’activité du Secours national ; 2AG/462 ; 2AG/500 : rapports et notes sur le Secours national, 1941-1943.
  • [36]
    M31/1516 et M31/796.
  • [37]
    José Martinez-Cobo, « La Croix-Rouge suisse au secours des enfants : maternité d’Elne », Républicains espagnols en Midi-Pyrénées. Exil, histoire et mémoire, Toulouse, PU du Mirail, 2004, p. 237-242.
  • [38]
    Cité dans Adam Rayski, Le choix des Juifs sous Vichy. Entre soumission et résistance, Paris, La Découverte, 1992, p. 129.
  • [39]
    Pour une étude détaillée de l’attitude de chacun des évêques en France durant les années 1940-1944, à lire Limore Yagil, Chrétiens et Juifs sous Vichy, op. cit., en particulier le tableau qui démontre que 80 % des prélats étaient pétainistes, anti-allemands et ont sauvé des Juifs, en dépit du silence de la majorité d’entre eux. Seuls six évêques et archevêques ont protesté publiquement en 1942, contre les arrestations des Juifs.
  • [40]
    La Sixième a été un des réseaux clandestins qui s’est mis en place fin 1942. La Sixième établit un grand nombre de contacts, en particulier avec les autres réseaux juifs et avec les divers mouvements de Résistance. Son but essentiel était de soustraire, par tous les moyens, les jeunes juifs, mais aussi des adultes, aux persécutions des nazis.
  • [41]
    Le P. Théomir Devaux, importante personnalité religieuse à Paris, naquit en 1885 dans le Calvados. Depuis son installation à Paris en 1925, il entra en contact avec plusieurs personnalités qui, dans les milieux catholiques, protestants et juifs, avaient commencé un mouvement de rapprochement entre les différentes religions. Le mouvement œcuménique faisait d’ailleurs ses premiers pas en Europe. Pendant l’Occupation, le P. Devaux se consacra à la recherche de faux papiers et de lieux de refuges pour des centaines d’enfants et d’adultes, qui purent ainsi échapper à la déportation. Il se chargea de faciliter leur emplacement dans les institutions religieuses et les familles chrétiennes. Il servait aussi de répondant pour les enfants et d’intermédiaire pour le règlement de pensions aux familles nourricières. En tant que responsable du couvent Notre-Dame de Sion, il mit sa vie en péril et sans doute celle de certains de ses adjoints qui donnaient asile à autant de petits Juifs et en organisant leur lieu de cachette. Au total plusieurs centaines d’enfants juifs (environ 443) furent cachés grâce à l’organisation d’une filière mise sur pied par les Pères de Notre-Dame de Sion à Paris, sous l’autorité du P. Théomir Devaux.
    M31/7245 ; CDJC/DCLXVIII-1 ; Riquet Michel, Chrétiens de France dans l’Europe enchaînée : genèse du Secours catholique, Paris, SOS, 1973, p. 111-115 ; Charles Molette, Prêtres, religieux et religieuses dans la Résistance au nazisme, 1940-1945, Paris, Fayard, 1995 ; Limore Yagil, Chrétiens et Juifs sous Vichy, op. cit., p. 522.
  • [42]
    Pour une étude plus détaillée à consulter notre prochaine publication : Limore Yagil, La France terre de refuge et de désobéissance civile, 1936-1944 : le cas des Juifs, Paris, Le Cerf, 2010.
  • [43]
    Marc-Olivier Baruch, Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997 ; Marc-Olivier Baruch, Vincent Duclert (s.d.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000 ; Maurice Vaisse (s.d.), Les préfets, leur rôle, leur action dans le domaine de la défense, de 1800 à nos jours, Bruxelles, Bruylant, et Paris, LGDJ, 2001 ; Sonia Mazey, Vincent Wright, « Les préfets », in Jean-Pierre Azéma et François Bédarida (s.d.), Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, p. 267-286 ; Bernard Lecornu, Un préfet sous l’occupation allemande, Paris, France-Empire, 1984. Le lecteur trouvera une étude détaillée de l’attitude des préfets dans les différents départements, dans Limore Yagil, Chrétiens et Juifs sous Vichy, op. cit.
  • [44]
    Les 24 articles du texte signé à Rethondes figurent en annexe dans l’ouvrage de Jean Montigny, Toute la vérité sur un mois dramatique de notre histoire, Clermont-Ferrand, Imprimerie Mont-Louis, 1940.
  • [45]
    Né en 1888 à Vernet-la-Varenne, il entra dans l’administration en 1917 en devenant le président du Conseil de l’Ardèche. Entre les dates de 1920 et 1929, il intégra six sous-préfectures.
  • [46]
    AN F1B1/1106 : Picot fut successivement préfet de Belfort du 5 septembre 1940 au 14 novembre 1941, préfet de la Sarthe jusqu’au 8 février 1943, puis préfet de l’Allier.
  • [47]
    AN F1B1/1106.
  • [48]
    AN 72AJ/94 : témoignage de M. Bardot en 1947.
  • [49]
    Archives départementales du Maine-et-Loire : 18W/82.
  • [50]
    AN F1B1/1109 : Jean Porte.
  • [51]
    Hubert Hannoun, L’épopée des Justes de France (1939-1945), Paris, Connaissances et savoirs, 2004.

1Longtemps occultée, l’histoire des Juifs de France pendant la Seconde Guerre mondiale a été amplement traitée au cours des vingt dernières années. Toutefois, certains de ses aspects restent encore dans l’ombre. Les historiens se sont surtout intéressés à l’histoire politique des persécutions d’un point de vue général et les victimes apparaissent souvent comme de simples données statistiques. L’étude de la politique antisémite, la collaboration franco-allemande sont devenues sujet principal de nombreux et importants ouvrages en France et ailleurs [1]. Cependant, mis à part l’étude de l’historien Asher Cohen [2], et celle de Lucien Lazare qui analyse l’attitude des Justes français [3], aucune étude ne s’est penchée sur la question du sauvetage des Juifs en France par des Chrétiens, laïques et croyants. Les historiens français s’intéressent rarement au sauvetage de la grande majorité des Juifs en France (environ 250 000, soit trois quarts des Juifs en France). Pourtant cette situation exceptionnelle de la France par rapport aux autres pays occupés dans l’Europe nazie, mérite que l’on se penche sur les différentes stratégies de sauvetage, sur les modalités, sur la nature, sur les motivations des sauveurs, sur les localités refuge, etc. Dans un contexte où la délation était de rigueur, et où l’antisémitisme fleurit, se pose également la question de savoir pourquoi un nombre significatif de Français (même s’il s’agit d’une minorité) a-t-il choisi d’agir de la sorte, acceptant des risques, parfois même mortels ? Si quelques livres sont publiés sur le sauvetage des enfants cachés en France, aucune étude n’a présenté un travail de synthèse, concernant la typologie des sauveurs, les stratégies du sauvetage, et leur nature [4].

2Si l’histoire de la Haute-Loire et du plateau du Vivarais-sur-Lignon, ou celle des Cévennes est bien connue aujourd’hui, des zones d’ombres, demeurent cependant sur la situation du sauvetage des Juifs dans les départements suivants : Aveyron, Gers, Sarthe, Creuse, Corrèze, Maine-et-Loire, Indre-et-Loire, Vendée, Charente-Maritime, Loir-et-Cher, Seine-et-Oise, Indre-et-Loire, etc. Pourtant, le département du Gers, comme le Lot-et-Garonne, et le Tarn, est devenu pendant la Seconde Guerre mondiale, une véritable terre de refuge pour de nombreux Juifs – adultes et enfants. Comment expliquer ce particularisme ? Il est important de sortir des généralisations, de les nuancer, de prendre en compte les destins individuels et de tenter une nouvelle approche de la réalité historique, parfois même de rectifier des affirmations exprimées par des historiens. Tel est le but de cet article, qui résume une longue recherche effectuée sur le sujet à l’échelle nationale et régionale.

3Le département de la Sarthe appartient aux « départements oubliés » de notre mémoire collective, à ces départements qui sont rarement mentionnés dans les études concernant le sauvetage des Juifs en France. Seul un nombre limité de personnes a été reconnu comme « Justes parmi les nations » par Yad Vashem. Dernièrement, une jeune chercheuse osa même prétendre que le département a connu la « Shoah » [5]. Cet oubli de la vérité historique mérite que l’on se penche sur les différentes modalités de sauvetage des Juifs dans le département de la Sarthe, situé en zone occupée de 1940 à 1944. Pour comprendre le succès du sauvetage des Juifs en France, il faut effectuer une étude minutieuse à l’échelle départementale et régionale, ce que nous avons déjà réalisé dans notre précédent ouvrage Chrétiens et Juifs sous Vichy. En conséquence, on peut constater que le cas de la Sarthe mériterait une attention particulière, à la fois par le nombre impressionnant des villages refuges, où celui des Juifs qui étaient cachés sans être dénoncés, avec la complicité totale de tous les habitants, par le nombre des assistantes sociales qui ont caché des enfants juifs, par le nombre de villageois, généralement assez pauvres, qui acceptèrent d’accueillir des enfants juifs ou des adultes, par le nombre des fonctionnaires – maires, secrétaires de mairies, instituteurs et préfets qui acceptèrent de fournir de faux papiers et de fausses cartes d’alimentation, de truquer les listes des Juifs recensés et d’aider les familles qui acceptèrent de cacher des Juifs. Située dans une région profondément catholique, celle d’Angers, la Sarthe disposa également d’importants réseaux catholiques soutenus par l’évêque du Mans, qui ont caché et secouru des Juifs [6].

PRÉSENTATION DE LA SPÉCIFICITÉ DU DÉPARTEMENT DE LA SARTHE

4La Sarthe [7] était au début du XXe siècle une région essentiellement peuplée de paysans. Avec ses paysages variés alternant collines et plateaux, espaces ouverts et paysages bocagers, avec ses forêts et ses chemins creux, ses plans d’eau et ses vallées encaissées, et ses sites rocheux. La Sarthe est considérée comme une terre de contrastes. Et voici comment la décrit J. Dufour : « Dans l’Ouest beaucoup de gens ont conservé l’habitude de peindre à la chaux une croix au-dessus de leur porte, les calvaires, d’une hauteur inconnue dans le Sud-Est, ont toujours des abords bien fleuris, les églises, plus imposantes, mieux entretenues sont plus fréquentées et le curé est un personnage respecté ; les filles vont encore à l’école libre si elle existe et le châtelain a plus de chances qu’ailleurs d’accéder à la mairie : ce sont les “pays chouans”, dont on sait qu’à chaque scrutin, ils voteront à droite, alors que le Sud-Est, rouge et fortement déchristianisé, portera ses sympathies à gauche, voire à l’extrême gauche. Là, les églises depuis longtemps ne sont plus fréquentées que par quelques vieilles femmes... L’évêché a depuis longtemps abandonné la partie, regroupant les prêtres en quelques paroisses, fermant peu à peu les écoles libres, au demeurant déjà délaissées. » [8]

5Sur le plan politique, la Sarthe a connu une évolution particulière du fait de l’ambiguïté maintenue par le parti radical, lié à Joseph Caillaux sous la IIIe République. Politiquement avancé, le radicalisme sarthois était socialement conservateur, et en 1936, le refus du Front populaire par Caillaux conduira son électorat à voter à droite. Certaines industries anciennes, très liées à des matières premières locales, s’adaptèrent mal aux conditions héritées de la Grande Guerre. C’est le cas du textile. Le département de la Sarthe n’abritait, antérieurement à la décentralisation des usines de guerre, qu’un nombre assez restreint d’établissements industriels. On y comptait quelques tissages de jute, des fabriques de conserves alimentaires, des usines métallurgiques sans importance réelle, mais depuis 1938, diverses firmes parisiennes travaillant pour le ministère de l’Armement, avaient fondé des succursales dans la banlieue du Mans. Ainsi étaient placés au Mans, la Cartoucherie, en 1936, les usines Renault, les explosifs « Alsetex » à Précigné en 1935, les équipements d’aviation Simmonds à Champaissant en 1939.

6Avec l’occupation allemande, l’économie était mise au service de l’Allemagne : l’usine Gnome et Rhône fabriquant des moteurs d’avion, Renault des chenilles, du matériel pour camions, sous la surveillance des soldats allemands.

7Depuis le XIXe siècle, le département de la Sarthe était devenu une terre d’accueil pour de nombreux enfants en provenance de l’Assistance publique du département de la Seine. Ces habitudes d’accueillir des enfants abandonnés, ou orphelins, ont facilité pendant la guerre et l’Occupation, la création d’un réseau permettant de cacher des enfants juifs. Ajoutons que depuis 1939, certains habitants ont accueilli et aidé environ 1 500 réfugiés catalans, en majorité des femmes, enfants et vieillards, qui trouvèrent refuge au fil des mois dans différentes villes et localités de ce département telles que : Le Mans, La Flèche, Mamers, Saint-Calais, Brûlon. Dès l’automne 1939, on vit arriver de nombreux réfugiés, puis ce furent ceux qui fuyaient devant l’offensive allemande du 10 mai 1940. Depuis décembre 1940, les centres d’accueil et d’hébergement se vidèrent et ont été progressivement fermés, mais dans d’autres centres, ce sont des étrangers ramenés par les Allemands des départements côtiers, qui trouvèrent refuge.

8L’appel du maréchal Pétain en faveur de l’œuvre du Secours national a été unanime et hautement apprécié. Il a certainement contribué au succès des quêtes pour les prisonniers au début de ce mois. Le départ des prisonniers retirés des fermes en décembre 1940 et acheminés vers une destination inconnue, a provoqué, dans toute la région, une émotion partagée par de nombreuses municipalités qui, tenues pour responsable de ces évasions, étaient menacées de graves sanctions. L’ordre, assuré par la police française en liaison avec la police allemande, n’a pas été troublé jusqu’en avril 1941, selon les dires du préfet. Dans ce département rural, sans chômage important, qui a très peu souffert de la guerre, la situation dans l’ensemble, est présentée par le préfet comme moins cruelle que dans beaucoup d’autres régions de la zone occupée. L’armée allemande avait occupé, non seulement au Mans mais dans de nombreuses autres communes du département, les établissements d’enseignement publics et privés. Des locaux étant occupés, des écoles publiques fonctionnaient soit dans les écoles voisines, soit dans des locaux aménagés par les communes. Selon l’autorité diocésaine, 14 établissements libres étaient occupés tandis que 159 avaient été rendus à leur destination normale. Dans l’ensemble les habitants de la Sarthe accueillaient favorablement un régime, qui flattait leurs sentiments d’appartenance au monde de la terre. Pétain était perçu comme le garant d’un nouvel ordre rural. Pourtant les familles paysannes n’hésitaient pas à cacher et à héberger des Juifs, enfants et adultes.

9Jusqu’à 1940, la communauté juive dans la Sarthe est particulièrement faible. La majorité des familles juives est installée dans la ville du Mans. Bon nombre de Juifs français naturalisés se convertirent au fil des années, et les autres semblent s’être largement assimilés au mode de vie français. Les Juifs qui s’installèrent dans la Sarthe entre 1911 et 1932 avaient préféré se retirer en province, à proximité de Paris, pour échapper à la concurrence économique écrasante de la capitale. Quelques Juifs réfugiés surtout de Pologne choisirent de s’installer dans ce département dans les années 1930. Après la défaite et l’Occupation, l’ordonnance allemande du 27 septembre 1940, obligea les Juifs de la zone occupée à se déclarer comme Juifs dans les commissariats de police. Tout commerce, dont le propriétaire ou le détenteur est juif, devra être désigné comme « Entreprise juive, par une affiche spéciale en langue allemande et française avant le 31 octobre 1940... ». La loi du 22 juillet 1940 du gouvernement de Vichy s’attaqua aux naturalisations accordées et toucha bon nombre de Juifs étrangers naturalisés. Ainsi, Aron Moszek Lipka, sa femme et ses enfants, Français depuis novembre 1939, sont déchus de la nationalité française. Originaire de Paris, Aron Lipka a résidé à Château-du-Loir de septembre 1939 à juillet 1940, lors des accords prévus par le plan d’évacuation. Il est revenu dans le département à partir d’août 1940 avec sa famille. La 8e ordonnance allemande du 29 mai 1942 interdisait aux Juifs dès l’âge de 6 ans révolus de paraître en public sans porter l’étoile jaune sur la poitrine et limita les sorties en ville des Juifs. La loi du 11 décembre 1942 obligeait les Juifs, français et étrangers, à faire apposer par la police ou la gendarmerie, sur leur carte d’identité, la mention « juif ». Pour être fonctionnaire, employé communal, enseignant... il fallait prouver qu’on n’était pas Juif. Les biens des entreprises juives ont été confiés à des administrateurs provisoires.

10Dès l’automne 1941, l’OSE (l’Œuvre de secours aux enfants) étendit son activité au placement des enfants, pour une période limitée, dans des familles chrétiennes [9]. Ces placements étaient tout à fait officiels et légaux. Ils s’effectuèrent plus particulièrement en milieu rural, loin des grandes agglomérations, dans des départements tels que la Sarthe, la Vendée, et la région de Bretagne. Dans les colonies de vacances comme celles de la commune de Cérans-Foulletourte, plusieurs enfants juifs étaient bien accueillis. Actuellement, les recherches ne permettent pas de savoir combien parmi ces enfants ont eu la vie sauve. Mais ce qui importe à notre sens, c’est le fait que la population locale acceptait les enfants juifs et qu’ils furent rarement dénoncés.

ACCUEIL DES JUIFS DANS LES VILLAGES

11Dans bon nombre de villages de la Sarthe, des troupes d’occupation allemandes étaient implantées. Celles-ci étaient généralement installées dans des châteaux à l’instar de la commune de Montfort-le-Rotrou. Ainsi des enfants, mais aussi des familles d’accueil [10] couraient un danger quasi permanent, d’être arrêtés à tout moment. Les enfants placés chez Alice Guitton côtoyaient quotidiennement ce danger, puisque les Allemands se ravitaillaient en eau à l’angle de la maison des Guitton. Malgré ce risque permanent, jamais ils ne furent inquiétés. Les caves du château d’Amenon, sur Saint-Germain d’Arcé, servaient de refuge à des familles juives, évitant à ces gens l’incarcération et sans doute l’extermination. Par la suite M. et Mme Moral [11], les propriétaires, permettront à de jeunes réfractaires au STO d’échapper aux recherches de la Gestapo. Ils ont assuré discrètement aux pilotes et aux agents de renseignements français, canadiens ou anglais une cachette en France et les ont aidés à regagner ensuite l’Angleterre.

12Selon le témoignage d’Odette La Ruche, en 1943, son frère Marcel a été arrêté à Paris à l’UGIF (Union générale des Israélites de France) et transporté à Drancy. Ses parents décidèrent de sauver leurs sept enfants. Rachel, son petit frère, Robert et Odette ont pris le chemin de la Sarthe, accompagnés par un passeur. Tous furent hébergés par une famille paysanne possédant une petite ferme à 20 km du Mans, et cela jusqu’à la Libération de Paris. Les enfants ont repris le chemin de l’école. Les deux jeunes frères étaient également cachés dans la même région, à 6 km [12]. Le dimanche, les enfants avaient le droit de se retrouver. À la fin de la guerre, les enfants rentrèrent à Paris rejoindre les parents qui entre-temps étaient restés dans la région parisienne en ayant adopté un nom bien français. Deux autres enfants étaient cachés dans la même région à 6 km.

13Sabine Aste, Mme et M. Dangerard cachaient des réfractaires ainsi que plusieurs Juifs [13]. En septembre 1943, ils donnèrent asile à André Lafargue, dit La Flèche, un des responsables nationaux du mouvement Résistance et au lieutenant américain Mac Gorvan abattu au-dessus de la région. Après l’arrestation de Lafargue au Mans le 30 septembre, la Gestapo chercha à arrêter le couple Dangerard. Cependant, Mme Dangerard réussit à sauter par une fenêtre de sa maison et à fuir, tandis que son mari fut arrêté ainsi que Constant Godest. Cet exemple nous démontre les nombreux risques que prenaient ces personnes en cachant des fugitifs.

14À Cérans-Foulletourte, dans l’arrondissement de La Flèche, Mme Houssin habitait le village et tenait une pension de famille. Elle y hébergea une dizaine d’enfants juifs parisiens réfugiés en Sarthe, depuis 1940. Malgré les rappels du maire de déclarer les enfants juifs qu’elle hébergeait à la mairie et de venir chercher les étoiles à la mairie, Mme Houssin trouva les astuces nécessaires pour ne pas faire recenser ses protégés, jusqu’au 14 octobre 1942, date de l’arrestation des enfants par les autorités allemandes [14]. Cependant, Mme Houssin parvint à cacher un enfant juif chez elle, Jacques Kitnis, qu’elle ramène à ses parents à leur domicile à Paris. On peut supposer que Mme Houssin n’était pas la seule à cacher des enfants juifs dans cette localité, mais une recherche devrait s’effectuer sur le sujet.

15En 1942, les époux Gourdin, deux familles tchèque et roumaine, les Lukech et Smid, peut être des Juifs émigrés, se cachèrent à l’hôtel Coudray, situé sur la route de Saumur, pendant plusieurs semaines, avec la complicité des gardes-barrières voisins. Ils se disaient graveurs sur verre et ils ont réussi, semble-t-il, à gagner l’Amérique. À l’autre bout du canton, le presbytère de Pringé donna asile à des Juifs que les habitants avaient aidé à se cacher.

16Aux confins de la Sarthe et du Maine-et-Loire, entre Volandry et Turbilly, fut créé le camp de Beauregard, un camp de prisonniers. Les incarcérés jouissaient d’une certaine liberté, ce qui leur permettait d’aller se ravitailler dans les environs. Des habitants de Savigny se souviennent de ces hommes à l’étoile jaune qui passaient le dimanche dans les fermes pour quémander de la nourriture. Certains s’évadèrent avec la complicité des cultivateurs de la région (près de Thorée) et réussirent à se soustraire aux recherches allemandes.

17C’est par amour et par devoir humain que Gabriel et Angèle Bacle avaient accueilli une petite fille juive. Tout le village connaissait l’origine juive de l’enfant, mais les citoyens solidaires de l’action du couple Bacle savaient garder le secret [15].

18Le maire de Cogners, Auguste Pottier, fournit à la famille Sotenberg, composée de six personnes, tout ce dont elle avait besoin : cartes d’alimentation, eau potable, de la nourriture, des vêtements et évidemment un lieu de refuge [16]. Une fois par semaine son fils Louis venait avec une charrette tirée par un âne leur apporter le nécessaire. Le maire refusa de fournir aux autorités d’occupation la liste des Juifs en 1944. Il prévint les Juifs qu’il connaissait avec l’aide des employés de la mairie, de la sous-préfecture et d’une femme d’origine allemande Mme Fischer. Il réussit ainsi à sauver plusieurs familles cachées chez des habitants de la commune.

L’EXEMPLE DES VILLAGES/LOCALITéS REFUGES [17]

19Dans le département de la Sarthe, on distingue plusieurs villages refuges, où les Juifs ont trouvé refuge sans être dénoncés. Bien que le Chambon-sur-Lignon soit le seul village français qui ait sa place dans le Dictionnaire des Justes, publié par Yad Vashem [18], il convient de reconnaître que le phénomène du village/localité refuge existait dans d’autres régions, et qu’il ne s’agissait pas d’un phénomène spécifique à la communauté protestante en France. La particularité du village refuge émane du fait que tous les habitants savaient garder un secret – la présence des Juifs, et que la majorité des habitants a contribué à leur survie en leur fournissant du travail, des vêtements, de la nourriture et surtout un lieu pour se cacher. Ces localités refuges se trouvaient généralement assez éloignées des grandes villes, souvent situées dans des plateaux de montagnes difficilement accessibles.

20Dans certaines localités il était commode d’utiliser les différentes structures touristiques d’accueil existantes (hôtels, pensions de familles, maisons d’enfants), pour placer de nombreux Juifs sans trop éveiller les soupçons. Le village refuge se conçoit comme un univers clos et s’inscrit dans les mentalités du terroir, voire d’une région. La population était unanimement solidaire de l’action en faveur des Juifs. Les localités refuges où les Juifs pouvaient bénéficier de l’aide de la population locale, ne sont pas identiques à celles qui ont permis aux réfractaires du STO de se cacher.

21Bien que le nombre des villages refuges dépasse largement celui de la Haute-Loire, la Sarthe n’a pas reçu la médaille des Justes au même titre que les villages plateaux du Vivarais-sur-Lignon. Comme dans certaines communes de la Vendée, les habitants refusèrent de collaborer avec les occupants et de leur permettre d’arrêter les enfants. Bien que les habitants ne fussent pas majoritairement des protestants à l’exemple du Chambon-sur-Lignon, ils ont choisi de cacher des Juifs et de les aider à survivre à cette période douloureuse. À Azire, commune de Benet, Angéline Thibaudeau, mère de quatre enfants, et son mari, modestes agriculteurs, cachèrent à partir de 1943 un enfant juif, âgé de 12 ans [19]. Cette fillette, arrivée par le train accompagnée d’un passeur, alors que ses parents étaient déportés, trouva dans sa nouvelle famille amour et amitié. Le maire de la commune fournissait de fausses cartes d’alimentations et durant tout son séjour, l’enfant fut scolarisée sous un faux nom. L’instituteur était aussi dans la confidence. Cependant le 17 juillet 1942, de vastes rafles sont organisées dans cette région.

22Au petit village de Lavaré, les habitants ont fait preuve de désobéissance civile et de bravoure en cachant une centaine de Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. À plusieurs reprises les Allemands vinrent perquisitionner, mais jamais aucune dénonciation n’eut lieu. Les deux frères Zimmermann y trouvèrent refuge, alors que leurs parents avaient été déportés dans les camps. D’autres familles juives vivaient clandestinement dans les nombreuses fermes de la région. Le maire du village avait déclaré un nombre réduit de Juifs sur ses listes, sans jamais les signaler aux autorités. De même, l’institutrice avait régulièrement refusé de déclarer aux autorités les noms des enfants de son école. La région était assez peu pratiquante, ce qui explique que les enfants n’étaient pas tenus d’aller à l’église [20]. Georges et Yvonne Mary habitaient à Lavaré. En 1939, leurs amis, les Liberman, des Juifs polonais qui vivaient à Paris où ils exerçaient le métier de fourreurs, leur demandèrent d’héberger leurs deux plus jeunes enfants. Ils acceptèrent sans hésiter. Après le 10 juin 1940, les Liberman décidèrent de quitter la ville et s’adressèrent une seconde fois à Georges et Yvonne Mary. Le couple n’hésita pas une seconde, et décida même d’envoyer ses enfants chez leurs grands-parents, habitant dans une localité différente, afin de permettre à la famille Liberman de trouver un refuge.

23À Saint-Martin-des-Monts, petite commune rurale qui devait compter à l’époque une cinquantaine de familles soit à peine 200 habitants, située à quelques kilomètres de la Ferté-Bernard, plusieurs juifs qui avaient fui la capitale durant l’été 1942, y trouvèrent refuge. Le maire M. Chapelle était au courant de cette « migration » et l’encourageait. Le séjour des familles juives était possible grâce à la complicité de certains cultivateurs, de quelques instituteurs du village, et du secrétaire de la mairie qui fournissait de vraies fausses cartes d’identité et d’alimentation. La présence des Allemands était peu visible dans la vie courante, mais pas inexistante. Le danger d’une éventuelle dénonciation était toujours possible. La survie des familles juives dépendait en réalité du bon vouloir des citoyens de la commune et surtout des fonctionnaires de la préfecture [21]. L’assistante sociale, Mme Mounier formait des groupes d’enfants traqués qu’elle dispersait ensuite dans les campagnes chez les différents fermiers. Ensuite elle repartait à la recherche d’autres enfants. Après qu’elle fut dénoncée et arrêtée par la Gestapo, d’autres personnes ont pris le relais dans la région [22].

24À Fresnay-sur-Sarthe, le maire fournit de faux papiers aux familles juives qui cherchaient à s’installer dans cette localité. Ce lieu a toujours été un site privilégié et convoité dans l’histoire. En effet, il se trouve sur un patrimoine rocheux en contrebas duquel coule la Sarthe. À partir du début du XVIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle, Fresnay-sur-Sarthe deviendra un haut lieu industriel de la fabrication de toiles en chanvre ou en lin. André Lebas, le pharmacien connaissait beaucoup de monde. Il entra en contact avec des agriculteurs qui acceptèrent d’embaucher certains Juifs, tandis que les enfants étaient scolarisés à l’école Saint-Joseph. Mathilde Lebas obtint grâce à sa présence au conseil municipal des cartes d’alimentation supplémentaires pour nourrir ses protégés. Ce fut le cas pour d’autres habitants de cette localité, qui se transforma en un village refuge pour de nombreux Juifs [23].

LE LUDE ET SON CANTON [24]

25Le tracé du canton du Lude a fixé les frontières de ce canton entre un morceau du Maine (Luché-Pringé), lié de tout temps commercialement avec le chef-lieu, à une partie du nord de l’Anjou tournée traditionnellement dans son extrémité est (La Bruère et Chenu) vers le pôle voisin de Château-du-Loir. Voie longtemps navigable, la rivière a permis le commerce, les échanges et a apporté le travail et un début d’aisance avec les minotiers, les petits métiers liés à l’eau (bateliers, tanneurs, féculiers, roseliers, pêcheurs, lavandières). Il a contribué à la révolution industrielle de la fin du XIXe siècle avec les papeteries, actives jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Voué à la polyculture, le canton connut aussi les multiples facettes des travaux des champs, labours, moissons, battages, vendanges, récoltes de pommes, etc. Dès fin août 1939, les premiers écoliers de la région parisienne arrivèrent au Lude, logés la plupart du temps chez des parents ou des amis. Au fil des mois le nombre des personnes – femmes et enfants – venues se réfugier dans ce canton, augmenta régulièrement. Un couple parisien (peut être juif) rapatria sa petite usine de tissage et de confection de vêtements en rayonne. Pendant quelques mois les machines envoyées en temps record permirent d’employer une quinzaine d’ouvrières. Les greniers de l’hôtel servaient d’entrepôt éphémère. D’autres réfugiés ne travaillant pas étaient entièrement à la charge de la ville.

26Depuis le 20 septembre 1939, des militaires anglais se trouvaient au Lude avec armes et véhicules occupant les bâtiments du Bon Laboureur, sur la route de La Flèche. Le dernier convoi britannique, composé de soldats et de matériel, venu de Vaas, emprunta les rues de Lude en direction de Tours le 9 juin 1940. Comme dans bon nombre de villes, des réfugiés, essentiellement des Belges et Ardennais dans un premier temps s’installèrent dans la ville. À l’extérieur de la ville, les habitations, les fermes les plus proches des routes empruntées étaient submergées par cet afflux de malheureux. Les premiers jours de juin, ce fut l’anarchie totale. Le 19 juin au matin, les Allemands envahirent la ville et les communes voisines. Désormais des pancartes étaient écrites en allemand et en français, des logements furent réquisitionnés pour l’armée allemande, et la Kommandantur s’installa dans l’immeuble au 13, rue de la Boule-d’Or. Au Lude, les « Boches », les « frisés » étaient présents partout et la cohabitation était parfois difficile.

27C’est fin 1938 que Simon Lévy, né le 17 novembre 1872, horloger bijoutier dans le XVIe arrondissement de Paris et son épouse Reine, née le 19 novembre 1879, se sont installés au Lude dans une maison située à la route de Genneteil, se rapprochant ainsi de leurs enfants propriétaires d’un magasin de vêtements à La Flèche. Le couple figure dans un « état des déportés » établi par la mairie de La Flèche où l’arrestation est consignée au Havre le 6 octobre 1942. D’après ce document, Simon Lévy mourut à Drancy en 1943, et Reine sa femme, disparut à Ravensbrück en septembre 1944. Le reste de sa famille fléchoise, le fils et son épouse, leurs deux filles, un gendre et trois petits enfants échappèrent aux rafles antisémites en quittant les bords du Loir avant l’automne 1941.

28Autre famille juive qui se réfugia au Lude : les Feuerman. Originaire d’Europe centrale, Benedict Feuerman, né le 16 juin 1885, s’installa avec son épouse Rosalie, née le 3 août 1893, et leurs trois enfants. Le père y avait fondé une société anonyme de combustibles « Pétrole et Matières premières » et réussit à en conserver la direction jusqu’au moment où les lois d’exception ont interdit aux Juifs toute activité administrative, commerciale ou industrielle. Benedict confia alors la présidence et la direction à un membre de son conseil d’administration. Par la suite, les fonctions de ce subalterne s’étaient tellement élargies qu’il tenta d’évincer complètement le fondateur. Suite à une violente altercation opposant les deux hommes, la Gestapo intervint pour arrêter la famille. Les Lévy et Feuerman ne furent pas les seuls Juifs à séjourner au Lude et leur sort ne fut pas celui des autres personnes [25].

29De nombreux enfants ont discrètement été accueillis dans cette ville. Nora Henneberg, une fillette arrivée par on ne sait quelle filière à l’école Sainte-Anne, y passa les années de guerre dans un total incognito. Ses nouvelles camarades de classe ignoraient sa véritable identité. D’autres enfants juifs ont bénéficié de l’aide de réseaux clandestins. Jenny et Albert Rydelnik, respectivement âgés de 14 et de 8 ans, ont été confiés à Marie-Louise Déré, au Lude, et ont traversé les années d’occupation sans être inquiétés. En 1942, la fille de Marie-Louise Déré, Andrée Chéramy-Déré, dont le mari était prisonnier, habitait la capitale, au 135, rue d’Aboukir. Les Rydelnik, ses voisins d’en face au 128, étaient des Juifs et se cachaient dans le quartier sous différents noms. Le 16 juillet 1942, la Gestapo vint pour les arrêter, posa les scellés sur l’appartement vide et renseignée par des collaborateurs italiens du voisinage, attendait les enfants à la sortie des cours. Avec l’aide du directeur Andrée Chéramy, les deux enfants ont été évacués discrètement et ont été convoyés par le train en direction du Lude. Marie-Louise Déré les accueillit pendant la durée de la guerre avec Pierre, le fils d’Andrée. Jenny a pris le nom de Ginette Déré, et Albert continua d’aller à l’école avec Pierre, sous son propre patronyme.

LE CANTON D’ÉCOMMOY

30Le canton d’Écommoy fut l’un des premiers à s’organiser pour la lutte clandestine dès 1941. Rappelons, que déjà durant la Révolution, la ville d’Écommoy avait été au cœur des combats entre républicains et chouans. On peut supposer qu’il s’agit d’une certaine tradition de lutte pour la liberté, qui caractérisait les habitants de cette localité depuis cette époque. Ainsi, M. Moreau aida de son mieux les nombreux Juifs assignés à résidence à Écommoy. Une lettre anonyme le dénonça et il fut arrêté par la Gestapo. Maurice Loriot, le maire d’Écommoy, qui a certainement apporté le maximum de protection qui était dans son pouvoir aux nombreux fugitifs, refusa de fournir en 1943 à la Milice la liste des Juifs vivant dans cette commune.

31Dès 1941, une importante filière d’évasion se constitua dans la Sarthe sur l’initiative de Geneviève Crié, qui tenait un café place de la République à Écommoy [26]. Geneviève Crié accueillait les prisonniers évadés, les personnes qui se sont échappées des stalags, les aviateurs et d’autres fugitifs. Geneviève Crié les hébergeait, leur procurait des vêtements civils, de l’argent et les dirigea ensuite vers des passeurs qui les aidaient à franchir la ligne de démarcation à Bléré, à La Haye-Descartes ou à Dolus. M. Bourdon, le photographe, lui fournissait les photos d’identité nécessaires, M. Moreau, le garde champêtre, établissait des faux papiers, M. Koel, le cultivateur, procurait du ravitaillement. Mlle Crié recueillait chez elle des centaines de prisonniers. Une chaîne bien organisée les orientait vers sa maison. Combien de Juifs ont été aidés par cette filière, il est difficile, pour l’heure, de le dire. Mais si on considère le patriotisme de Geneviève, son humanité et sa volonté d’aider autrui, on peut supposer qu’elle a aidé bon nombre de Juifs.

32Dans la ferme de Mme Pousse [27], à Écommoy, plusieurs enfants et adultes juifs y trouvèrent successivement refuge. C’était son frère qui allait chercher les enfants à Paris, pour les cacher dans les fermes. Il avait lui-même une grande ferme dans laquelle il hébergea [28] une dizaine de personnes, adultes et enfants. Dans les bois, non loin de la ferme de Mme Pousse, était installée une base allemande et il fallait donc être très vigilant à cause de cette proximité. Jules et Marie Boussard, cultivateurs installés à Mansigné, ont recueilli trois enfants juifs parisiens après l’arrestation du père de famille en 1942. Les deux enfants Anisten, domiciliés à Clignancourt, à Paris, échappèrent à la rafle du Vel d’Hiv et furent pris en charge par les sœurs de Notre-Dame de Sion, qui les placèrent ensuite à Écommoy dans la famille Landeau. Cette famille cacha au total près de 80 enfants juifs.

33Aristide Gasnier, le maire de la commune le Gué-de-Launay, près de Vibraye, protégea les Juifs qui trouvèrent refuge dans ce lieu. Gasnier avait reçu des lettres de dénonciations, mais il refusa d’en tenir compte. Il risqua sa vie et sauva la vie de plus d’une vingtaine de personnes. Aristide Gasnier savait parfaitement que des Juifs avaient trouvé refuge chez des nourrices de la commune. Il n’hésita pas à les protéger en délivrant des cartes d’alimentation, en modifiant légèrement les noms des réfugiés. Au total environ 25 réfugiés juifs furent ainsi sauvés.

L’AIDE DES ASSISTANTES SOCIALES ET DES INFIRMIÈRES

34Engagées dans différents services sociaux (entreprises, mairies, préfectures) qui furent à l’origine d’actions d’aide humanitaire et de secours, les assistantes sociales agissaient souvent au nom de leur conscience et tentaient de conserver une honnêteté professionnelle tout en travaillant pour des organismes issus du gouvernement de Vichy. Par leur fonction, elles étaient bien souvent au courant de la situation des familles et de leur appartenance politique. Le moindre engagement visant à apporter une aide à la résistance ou à la population juive pouvait avoir des conséquences dramatiques. En utilisant leur position officielle, dans les différents services sociaux, il était possible de façon officieuse, de faire des actions clandestines : faire passer la ligne de démarcation, donner de fausses attestations ou de faux papiers, procurer des tickets d’alimentation à des Juifs qui se cachaient, placer un nombre important d’enfants juifs à la campagne sous un faux nom, etc. Assistante sociale à Paris, Marie-Elvire Flament était responsable d’enfants dont les parents ne pouvaient pas s’occuper. Dans le cadre de cette tâche, elle se chargea de leur trouver des foyers d’accueil. Pour cela elle était en contact avec de nombreuses familles de la Nièvre et la Sarthe. L’assistante sociale, alors âgée d’une soixantaine d’années, se consacra tout entière à ces enfants. Elle leur trouva à la campagne des familles prêtes à s’en occuper, parfois même moyennant finance. Elle rendait visite aux enfants pour s’assurer qu’ils étaient bien traités. Au total, elle réussit à cacher environ 60 enfants [29]. Environ 30 communes et petites agglomérations de la Sarthe ont servi de refuge aux enfants juifs de Lucienne Clément de l’Épine [30] ; « Mme Clément » pour les enfants, mère de famille et assistante sociale auprès du service « Enfance » de l’UGIF, œuvra à Paris et aux alentours pendant deux années. Née en mars 1911 à Paris, cette femme, mère d’une enfant, travailla comme couturière. Dès la mise en application des premières mesures antijuives elle s’engagea dans l’action d’entraide. Lucienne Clément fut chargée par l’UGIF de venir chercher les enfants à l’orphelinat, rue Lamarck, pour les placer à la campagne. Elle trouva des « parents adoptifs » pour 150 enfants juifs retirés de plusieurs homes d’enfants. Elle sillonnait les routes dans les départements de la Seine-et-Oise, de l’Orne, de la Sarthe, de l’Ille-et-Vilaine, pour surveiller la scolarité de ses protégés, s’assurer de leur bien-être et entretenir avec les enfants une liaison continue [31]. Le réseau qui l’employait lui procura de fausses cartes d’identité, nécessaires pour placer les enfants et surtout égarer les soupçons. Elle bénéficia de l’aide de certains instituteurs, institutrices, notamment à Montfort-le-Rotrou, à Lavaré et plus particulièrement à Pont-de-Gennes. Comment Lucienne Clément a-t-elle trouvé les familles susceptibles d’héberger les enfants juifs ?

35Il est possible que la Résistance ait donné à titre indicatif ou directif, à l’intention du service familial ou du maire, une liste des familles acquises à cette cause. Il est possible que Mme Clément ait bénéficié des renseignements rassemblés par les maires des communes. Dans ces conditions il a fallu que les maires des communes soient dans le secret du sauvetage des enfants juifs et y participent. Les familles d’accueil recevaient mensuellement une pension afin d’entretenir et de subvenir aux besoins de ces enfants. Lucienne Clément semble avoir profité de tout un réseau de relations qui œuvrait conjointement pour permettre l’évacuation de ces enfants de Paris vers des lieux de refuge. Les enfants suivaient une scolarisation normale auprès des écoles communales de la Sarthe. Dans celles-ci, les nouveaux élèves furent considérés par les autres écoliers comme de simples parisiens fuyant les bombardements de la capitale et ils bénéficiaient généralement de la discrétion des instituteurs et institutrices.

36Sous le couvert d’un organisme officiel et celui d’une action caritative et sociale liée à la Croix-Rouge, des assistantes sociales telles que Léonie Chaptal [32], Yvonne de Hurtado et d’autres, faisaient échapper les enfants juifs aux rafles. Ensuite, ils étaient généralement dispersés dans les départements de la Sarthe, de l’Ille-et-Vilaine, de la Manche et de la Mayenne, certains furent évacués vers la Suisse, ce qui constituait un véritable exploit [33]. La Sarthe était avec la Mayenne, l’Orne et la Manche, parmi les départements où Jeanne Laborde, assistante sociale à la mairie de Créteil à Paris, et son équipe plaçaient les enfants juifs. M. Leroy, membre de la société « Les Amis de Quakers », s’occupait des enfants placés à Versailles, Marie Courbet, assistante à la Colonie scolaire, Robert Conte, fonctionnaire des PTT et militant syndicaliste, faisaient la liaison entre la zone occupée et la zone libre et Mlle Annette Monod, fille du pasteur, était assistante sociale de la Croix-Rouge aux camps de Pithiviers, Beaune-La-Rolande, puis de Drancy [34].

37Ces exemples, parmi d’autres, nous démontrent plusieurs choses. Tout d’abord, dans la Sarthe comme dans la Haute-Loire, et dans la Creuse, des traditions et des structures d’accueil pour enfants existaient bien avant la guerre. Ces structures ont facilité l’accueil des enfants et des adultes dans ce département, sans pour autant qu’il s’agisse d’une région peuplée par des protestants. Ensuite, on remarque que des liens particuliers unissaient les services de l’assistance sociale/publique avec les départements de la Loire : Touraine, Mayenne et Sarthe en particulier. À notre sens, le nombre des assistantes sociales chargées de cacher les enfants juifs est assez important et une recherche reste à faire les concernant [35]. Ajoutons que parmi les assistantes sociales, il y avait également des sœurs de certaines congrégations religieuses, à l’exemple des filles de la Charité de Saint-Vincent-de-Paul, ce qui élargit encore plus l’étendue du réseau des personnes qui cachaient des Juifs. À ce réseau important d’assistantes sociales, il convient d’ajouter également celui des infirmières. Ainsi, Marie-Antoinette Gout était infirmière à Épinal (Vosges), en zone occupée par les Allemands. Les dirigeants de la communauté juive savaient qu’elle était toujours prête à aider les Juifs en détresse. Elle appartenait à une filière d’évasion chargée de conduire des réfugiés de la Sarthe en zone libre, vers Lyon, en passant par les Vosges. Jusqu’à son arrestation Marie-Antoinette Gout fut aidée par Marcel Cahn de Metz et Mendel, avocat au barreau de Metz, tous deux réfugiés à Lyon durant l’Occupation et qui connaissaient les différents réseaux d’aide dans cette région [36]. Mais rappelons-nous que toutes les assistantes sociales et toutes les infirmières n’ont pas eu le courage d’aider des Juifs recherchés par les forces de l’ordre allemandes ou françaises et qu’une telle attitude soulevait un cas de conscience auquel étaient confrontées de nombreuses personnes, comme l’explique Élisabeth Kasser [37], déléguée de la Croix-Rouge suisse à Gurs : « On aurait voulu aider, sauver, cacher des gens, leur montrer le chemin pour s’enfuir. » Elle ne l’a pas fait. Pourquoi ? « Mais j’étais représentante de la Croix-Rouge, c’était impossible, je n’avais pas le droit de faire quoi que ce soit d’illégal. » [38] Seul un nombre limité d’individus a eu le courage de transgresser les lois et d’être en situation d’illégalité pour sauver autrui – un Juif. Cette attitude exceptionnelle mérite que l’on y médite.

LE RÉSEAU DES PERSONNES RELIGIEUSES CATHOLIQUES

38L’évêque du Mans, Georges-Marie Grente, de 1918 à 1959, n’hésita pas à secourir les Juifs et en particulier les enfants, cachés dans ce département. Pourtant l’évêque était connu pour ses prises de positions anti-maçonniques et pour son pétainisme, comme la majorité des évêques et archevêques [39]. Ainsi, Freddy Ménahem, responsable de la Sixième en zone occupée [40], bénéficia du soutien de l’évêque, qu’il connaissait bien avant la guerre. Cette relation lui permit de cacher environ 250 enfants dans ce département, grâce à l’aide de l’évêque et d’un réseau catholique, animé par le P. Théomir Devaux de Notre-Dame de Sion à Paris, par le curé Georges Bugleau et par Gabrielle Morin, directrice de l’école du Sacré-Cœur [41]. La ferme d’Albert et Germaine Guilmin, à 6 km environ de Bonnétable dans la Sarthe, a servi de relais et de refuge à plus d’une centaine de Juifs – adultes et enfants – arrivés de Paris. Le rôle du couple Guilmin consistait à trouver des placements chez des nourrices pour les enfants juifs que l’on présentait généralement comme « des petits parisiens ». Ces réfugiés étaient convoyés jusqu’à la ferme par des assistantes œuvrant au sein de l’organisation juive la WIZO, ainsi que du réseau catholique de Notre-Dame de Sion, animé par le P. Théomir Devaux de Paris. En relation permanente avec l’œuvre de Notre-Dame de Sion, Albert Guilmin se chargea de répartir et de placer ces enfants dans différentes familles d’accueil de Bonnétable et des communes environnantes. Gabrielle Morin n’hésita pas à héberger des jeunes filles juives au sein de son pensionnat. Greffier en chef de Saint-Calais, et président de l’Entraide nationale du maréchal Pétain, le responsable local chargé de la surveillance des enfants fournissait de précieux tampons pour les faux papiers. Par ailleurs, d’autres religieux placèrent des enfants juifs dans le département. Ainsi, Sœur Denise Aguadich de Notre-Dame de Sion, disposait d’un diplôme d’assistante sociale de l’État, et travaillait en étroite collaboration avec Germaine Ribière à Grenoble et le P. Chaillet à Lyon, et depuis novembre 1941 avec l’OSE. Elle a accompagné une quarantaine d’enfants pour les répartir dans la Sarthe chez des paysans, qui ne savaient pas que ces petits Parisiens étaient des Juifs. La prudence recommandait de les disperser le plus possible et ils trouvèrent de nouveaux lieux de refuges, grâce à l’aide des sœurs de Notre-Dame de Sion qui disposaient de leurs réseaux sociaux à travers la France. Nombreux furent les enfants placés dans des familles paysannes, et dans les couvents et monastères de la Sarthe et des autres départements de la région d’Angers.

39À la demande du Dr Jacques Reignier, l’évêque du Mans autorisa l’utilisation des locaux de certaines communautés religieuses pour y abriter les blessés, et parmi eux peut-être des Juifs. Ancien interne des hôpitaux de Paris, le Dr Reignier fut contacté par un étudiant en médecine, qui se présenta de la part du Pr Paul Milliez de Paris, pendant l’hiver 1943-1944. Le Dr Reignier accepta d’héberger et de traiter d’éventuels blessés de la Résistance et tous ceux qui devaient être soustraits aux recherches de la police allemande. Chef du service de Santé nationale de la Résistance, il fit appel à l’aide de l’évêque et des réseaux catholiques nombreux dans le diocèse du Mans et ceux d’Angers et de Tours [42].

ATTITUDE DES PRéFETS DE LA SARTHE, 1940-1944 [43]

40Dès juin 1940, Paris devint le centre de l’administration allemande en territoire occupé. L’article III de la convention d’armistice conforme aux règles du droit de la guerre stipulait : « Dans les régions occupées de la France, le Reich allemand exerce tous les droits de la puissance occupante. Le gouvernement français s’engage à faciliter par tous les moyens les réglementations relatives à l’exercice de ces droits, à leur mise en exécution avec le concours de l’administration française. Le gouvernement français invitera immédiatement toutes les autorités françaises et tous les services administratifs français du territoire occupé à se conformer aux règlements des autorités militaires allemandes, et à collaborer avec ces dernières d’une manière correcte. » [44] Formellement l’administration française se trouva donc engagée dans la collaboration dès le 22 juin 1940. Elle tenait dès l’origine, à faire preuve de professionnalisme et de fair-play : le devoir des fonctionnaires français était de « respecter les droits de la puissance occupante qui s’exerçaient notamment par des ordonnances dont l’exécution ne doit, en aucune manière, être contrariée ». Il leur fallait faire honneur aux engagements pris par le gouvernement. L’administration militaire allemande, elle, tira très vite, dans le sens le plus large et de la façon la plus abusive, la conclusion pratique de cette clause qui obligeait l’administration française à exécuter ses directives. Elle montra rapidement que les termes de la convention ne constituaient à ses yeux qu’une borne minimale des obligations imposées à la France. Les occupants exerçaient une emprise sans faille sur les administrations départementales.

41De fait, le préfet et ses services passèrent aux ordres de la Feldkommandantur. Chaque préfet était en rapport direct avec le Feldkommandant local (FK) et avec le préfet régional auquel il adressait un rapport mensuel. À partir de ces rapports, les préfets régionaux rédigeaient un rapport mensuel de synthèse destiné au préfet délégué par Vichy dans les territoires occupés. À Paris, comme dans le reste de la zone occupée, « les autorités allemandes exercèrent une forme de “régime d’exception” – le terme est de la direction des services – de l’armistice en intervenant de manière massive dans le fonctionnement des services publics, et en limitant fortement les prérogatives et les moyens reconnus aux représentants des pouvoirs publics français ». En effet, dès l’été 1940, l’occupant se mit à considérer les membres de l’administration préfectorale comme des fonctionnaires n’ayant que les ordres à recevoir de lui et non comme des représentants, en zone occupée, du gouvernement français. Des « officiers de liaison » furent placés auprès de chacune des branches de l’administration préfectorale. Il va de soi que dans ce contexte la marge de manœuvre était très étroite. L’attitude des préfets s’avère être cruciale pour la vie des Juifs en France et pour le succès de leur survie et sauvetage. Les préfets sont chargés de mener le recensement des Juifs, de délivrer des sauf-conduits permettant à certains Juifs de circuler. Ils peuvent prendre des initiatives lors des enquêtes de police visant à dévoiler les Juifs qui se cachèrent dans leur département. Quelle était la situation dans le département de la Sarthe ?

42Le premier préfet de la Sarthe nommé par Vichy en septembre 1941 est Jean Dissard [45]. Le 14 novembre 1941, il est remplacé par Marcel Picot, qui siégera à la préfecture de la Sarthe jusqu’au 8 février 1943 [46]. Né en 1897 à Rennes, il étudia le droit et obtint un doctorat [47]. Avocat à la cour d’appel de Rennes, il débuta sa carrière administrative en 1921 à la préfecture des Hautes-Alpes. Il se manifesta comme un soldat courageux lors de la Grande Guerre. Picot a exercé sous l’Occupation les fonctions de sous-préfet d’Épernay, puis de préfet du territoire de Belfort, de la Sarthe (14 novembre 1941 au 8 février 1943) et de l’Allier. Il était considéré comme l’un des meilleurs préfets départementaux, travailleur, et exerçant une ferme autorité sur ses subordonnés. Il avait établi des bons rapports avec le général allemand, qui appartenait lui-même, à une famille d’origine française de protestants contraints d’émigrer à la suite de la révocation de l’édit de Nantes. En conséquence il se montra plus compréhensif. Mais face à la Gestapo, il était nettement plus difficile au préfet, de tenir tête aux exigences allemandes. Le préfet couvrait l’activité de Bertie Albrecht au Commissariat contre le chômage à Vichy : passage de prisonniers évadés d’Allemagne, et plus tard des passages de Juifs [48]. Le préfet était parfaitement informé de la présence de quelques médecins juifs qui exerçaient dans le département de manière illégale à l’exemple du Dr Hérault à Sergié, le Dr Aizentin marié à une juive polonaise, et d’autres, mais il ne fit rien jusqu’à juin 1942, tant que le Conseil de l’ordre des médecins, et autres habitants ne l’exigèrent pas [49]. Selon la correspondance des autorités allemandes, il s’avère que le préfet était loin d’employer un zèle particulier dans l’application des mesures antijuives, ce qui encouragea la population à aider des Juifs à se cacher.

43Il importe de souligner également le rôle particulier que joua la femme du préfet, Marcelle, dans les activités d’aide aux Juifs et aux fugitifs. Marcelle Picot était assistante au laboratoire du Pr Nicolas, à la clinique dermatologique, et à l’hôpital Édouard-Herriot à Lyon, de 1934 à 1938, puis au laboratoire du Pr Maurice Favre son successeur de 1938-1940. Présidente fondatrice d’un corps d’infirmières de l’Air et convoyeuse, dans l’aviation sanitaire et l’aviation populaire, elle refusa d’accepter l’idée de la défaite. Dès juillet 1940, elle s’engagea bénévolement comme conductrice aux Amitiés africaines de Lyon. Elle pouvait ainsi se rendre en zone interdite, en Alsace et même en Allemagne pour ravitailler les prisonniers. Elle effectua plusieurs voyages conduisant elle-même des camions et des ambulances et elle a rapatrié personnellement plus de 500 prisonniers, blessés et malades (coloniaux et métropolitains). À Belfort, elle créa en 1941 dans les commandos de la région de Belfort et Vesoul, en zone interdite, un service de dépistage, qu’elle assura personnellement. Elle a également ramené de zone interdite, quelques Juifs menacés. Pendant ces différents déplacements Mme Picot réussit à rassembler de nombreux renseignements utiles à la Résistance, notamment sur l’emplacement, le mouvement et l’identification des troupes allemandes. Au début, quelques rapports ont été transmis au général Frère, gouverneur militaire de Lyon, qui avait même chargé l’intéressée d’une mission à Strasbourg, mission qui ne réussit pas en raison de l’hostilité de l’Allemand Schmidt, chargé de liquider les biens des Français expulsés. Par la suite, les renseignements furent régulièrement communiqués au retour de chaque voyage au capitaine Farines du Service des renseignements.

44Des résistants et des Juifs lyonnais dont elle avait appris que l’arrestation avait été ordonnée furent avertis à temps. Le médecin polonais Nyka de l’Institut du cancer, assistant du Pr Antoine Lacassagne, évadé de Strasbourg, fut hébergé chez elle en 1943, avant de pouvoir partir en Algérie, puis en Angleterre. Au ministère des Colonies, Mme Picot était admise comme assimilée aux fonctionnaires du Groupe III, avec rang de capitaine. Elle était autorisée à porter l’uniforme du service et les insignes de son grade avec lequel elle s’est constamment déplacée. Dans la région du Sud-Est, elle visitait notamment les foyers, les hôpitaux, les abris, à Marseille, à Saint-Raphaël, à Fréjus et à Nice. Elle visitait également les travailleurs indigènes employés par les Allemands aux fortifications de la Côte, ce qui lui permit de recueillir des renseignements intéressants. En février 1942, elle entra en relations avec le groupe Surcouf, par l’intermédiaire de Louis Langlois, gérant du Château des Brosses à Caluire et avec le délégué régional du mouvement Combat. Elle remit à ces deux groupements divers renseignements, notamment sur ce qui se passait en zone occupée (mouvements des troupes occupantes, moral, effectifs) et contribua à la diffusion des journaux résistants. Mme Picot a pris des risques considérables, et échappa de justesse à son arrestation. Il est évident que dans ces conditions le préfet était parfaitement conscient de la situation des Juifs et des résistants, et qu’il avait fait le nécessaire pour empêcher toute éventuelle arrestation, des uns ou des autres.

45Depuis février 1943, Jean Porte [50], ancien préfet de l’Allier, fut nommé préfet. Il prévenait dans la mesure de ses possibilités, ceux qui étaient menacés d’arrestation, à l’exemple de la marquise de Vésins à Malicorne, de Martin, ancien préfet de la Sarthe, de Mlle Colin, chef de bureau à la préfecture, etc. En ce qui concerne le travail obligatoire en Allemagne, le préfet était confronté, comme bon nombre de ses collègues, au chantage de l’autorité d’occupation, qui menaçait à tout instant d’intervenir elle-même. Les deux chefs successifs du STO, Faribault, chef de division, et Séquié, lieutenant de vaisseau, ont été arrêtés précisément parce qu’ils cherchaient à limiter les envois. En collaboration avec le Dr Delavelle, médecin départemental de la Santé, il fut possible d’obtenir un nombre important d’exemptions. Lorsque M. Busson, le chef de division à la préfecture de la Sarthe, fut menacé par la Gestapo, étant franc-maçon et socialiste, le préfet intervint et obtint son maintien en fonctions malgré les protestations du PPF et du groupe Collaboration. Nous manquons actuellement d’informations pour déterminer si le préfet ainsi que d’autres fonctionnaires, ont joué un rôle important dans le sauvetage des Juifs, mais face au nombre important d’enfants juifs cachés dans le département, il est certain que le préfet joua un rôle majeur ainsi que d’autres fonctionnaires. Il est clair toutefois, que dans la Sarthe comme dans les autres départements de la région d’Angers, que les préfets étaient loin d’être antisémites.

46Dans la Sarthe, on comptait une vingtaine de réseaux, qui peuvent être divisés en quatre groupes : les groupes de renseignements (exemple Kléber), les groupes de résistance administrative (Libération Nord), les groupements armés (les Francs-Tireurs et partisans français), les groupes mobiles franco-anglais (GMFA). Le premier de ces groupes, le groupe Kléber fonctionna dès 1940. Son action était en relation directe avec la région parisienne et la Touraine. Le plus important de ces réseaux porta le nom de Buckmaster. En dehors du travail de renseignements, deux résistants du groupe s’occupaient de faire passer les clandestins en zone libre à Bléré (Indre-et-Loire), puis à Montrichard. À partir de l’année 1941, les actes relatifs à la résistance passive se multiplièrent ainsi que des actions de sabotage. Dès le mois de juillet 1942, l’antenne angevine des services du contre-espionnage des SS, s’installa au Mans. Aussitôt, face à une répression policière française considérée comme « molle » – sans parler des services de gendarmerie suspectés de complicité à l’égard de la population –, la main policière allemande se fit de plus en plus lourde. Nombre d’arrestations se déroulaient à la suite des enquêtes allemandes effectuées à l’insu de la police française qui, le plus souvent, ne recevait aucune précision les concernant.

47L’échec du STO, dès l’été 1943, l’opposition de l’opinion publique (familles, autorités locales, gendarmes) aux réquisitions humaines illustraient le penchant de plus en plus prononcé de la population à résister à l’oppression allemande et d’aider les Juifs. Cependant, pour l’heure, il est difficile de se prononcer sur l’aide apportée par les résistants aux Juifs.

CONCLUSION

48Paradoxalement le manque d’études concernant certains départements a permis à quelques historiens d’avancer la conclusion que le nombre limité des personnes reconnues comme Justes parmi les nations, dans ces départements, signifie que « le sauvetage des Juifs était assez limité ». Ainsi, pour Hubert Hannoun [51], les départements de la Sarthe, la Vendée, le Maine-et-Loire, l’Orne, l’Aveyron, etc., sont classés au 18e et au 20e rang sur l’échelle des départements où des « Justes parmi les nations » étaient actifs. Mais selon notre étude, il est clair que de nombreux Juifs – enfants et adultes – furent sauvés précisément dans ces régions classées souvent dans notre mémoire collective, comme des « zones blanches », des zones traditionnellement conservatrices. Situé à une courte distance de Paris, la fréquence des rafles était minime dans la Sarthe et le nombre des forces de l’Occupation était assez limité. La Sarthe avait accueilli des enfants en provenance de l’Assistance publique du département de la Seine depuis le XIXe siècle. Par conséquent, il n’y avait rien d’exceptionnel à accueillir des enfants juifs, souvent seuls et orphelins. Ils pouvaient poursuivre leur scolarité normalement et furent considérés par les autres écoliers comme de simples parisiens fuyant les bombardements de la capitale. En outre, ils bénéficièrent généralement de la discrétion des instituteurs et institutrices qui connaissaient leur véritable identité et leur situation. Dans la Sarthe, comme dans les départements de la Vendée, de l’Orne, de la Seine-et-Oise, du Loir-et-Cher, de nombreux villages se transformèrent en terre de refuge. Il est vrai que dans cette région peuplée essentiellement de paysans, touchés par la crise économique et aigris par leur marginalisation, la majorité des paysans accueillaient favorablement un régime qui flattait leurs sentiments d’appartenance au monde de la terre. Pétain était perçu comme le garant d’un nouvel ordre rural. Cependant les familles paysannes n’hésitaient pas à cacher et à héberger des Juifs, enfants et adultes. L’étendue des arrestations des Juifs dans le département de la Sarthe était assez limitée et ce département se transforma en une véritable terre d’accueil et de refuge. Il est de notre devoir d’historiens et de citoyens, de rendre hommage à toutes ces personnes qui ont contribué au sauvetage des Juifs – adultes et enfants. Sans leur contribution, il est certain que le sauvetage des Juifs en France n’aurait pas atteint les trois quarts de la population juive (environ 300 000 Juifs français et étrangers), soit un pourcentage assez élevé, par rapport à d’autres pays européens.

49Il n’est rien de plus néfaste que de publier des informations mensongères à l’égard de la situation des Juifs dans ce département, et notre ambition était également de rectifier la vérité historique.

Notes

  • [1]
    Parmi les nombreux ouvrages on peut distinguer entre ceux qui proposent une analyse totale de la politique antisémite de Vichy (Marrus et Paxton, Kaspi, Zucotti, Klarsfeld), ceux qui analysent la politique de persécutions de Vichy, ceux qui proposent une analyse de la Résistance juive (Rayski, Latour, Lazare), et ceux qui analysent un aspect spécifique de la politique d’exclusion de Vichy en mettant l’accent sur la situation des Juifs (Adler, Poznanski, etc.).
    Michaël R. Marrus, Robert Paxton, Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981 ; André Kaspi, Les Juifs pendant l’Occupation, Paris, Le Seuil, 1991 ; Suzan Zuccotti, The Holocaust, the French and the Jews, New York, 1993 ; Serge Klarsfeld, Vichy-Auschwitz : le Rôle de Vichy dans la solution finale de la question juive en France, 1942-1944, Paris, Fayard, 1983, 2 t. ; Jacques Adler, Face à la persécution. Les organisations juives de Paris de 1940 à 1944, Paris, Calmann-Lévy, 1985 ; Adam Rayski, Le choix des Juifs sous Vichy entre soumission et résistance, Paris, La Découverte, 1992 ; Anny Latour, La Résistance juive en France, Paris, Stock 1970 ; Lucien Lazare, La Résistance juive en France, Paris, Stock, 1987 ; Cohen Asher, Persécutions et sauvetages ; Juifs et Français sous l’Occupation et sous Vichy, Paris, Le Cerf, 1993 ; Renée Poznanski, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Hachette, 1994 ; Simon Schwartzfuchs, Aux prises avec Vichy. Histoire politique des Juifs de France, 1940-1944, Paris, Calmann-Lévy.
    Renée Poznanski, « Vichy et les Juifs des marges de l’histoire au cœur de son écriture », in Jean-Pierre Azéma et François Bédarida (éd.), Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, p. 57-67.
  • [2]
    Asher Cohen, Persécutions et sauvetages, op. cit. Notons que sur les 500 pages de l’ouvrage, seules 100 pages sont consacrées à la question du sauvetage des Juifs.
  • [3]
    Lucien Lazare, Le livre des Justes : histoire du sauvetage des Juifs par des non-Juifs en France, 1940-1944, Paris, Hachette, 1996.
  • [4]
    De ce point de vue notre étude est la seule à proposer une étude globale du sauvetage des Juifs par des chrétiens – laïques ou religieux (Limore Yagil, Chrétiens et Juifs sous Vichy : sauvetage et désobéissance civile, 1940-1944, Paris, Le Cerf, 2005).
  • [5]
    Karine Macarez, Shoah en Sarthe, Cheminements, 2006.
  • [6]
    Le département de la Sarthe appartient aux départements « oubliés de la mémoire » et par conséquent, il existe un nombre limité d’ouvrages le concernant. André Pioger, Le Mans et la Sarthe pendant la Seconde Guerre mondiale, 1976, et Jacques Chesnier et Rémi Mallet, Aspects de la Résistance dans la Sarthe, 1940-1944, Centre départemental de la Sarthe, 1991 ; Gérard Boëldieu, « La Sarthe », p. 177-186, Jean-Marc Berlière et Denis Peschanski (s.d.), La police française, 1930-1950. Entre bouleversements et permanences, IHESI/La Documentation française, 2000 ; André Lévy, La Sarthe, des origines à nos jours, Saint-Jean-d’Angély, Bordessoules, 1983.
  • [7]
    AN 72AJ/184 et 185 ; AJ/41/389 : rapports des préfets sur la Sarthe, 1940-1944.
  • [8]
    Jeanne Dufour, Agricultures et agriculteurs dans la campagne mancelle, Le Mans, 1981.
  • [9]
    CDJC/DLXXXIV-1C ; Rachel Chetrit-Benaudis, Murmures d’enfants dans la nuit. Témoignages Histoire de l’OSE, Le Manuscrit, 2004 ; Sabine Zeitoun, L’œuvre de secours aux enfants (OSE) sous l’Occupation en France, Paris, L’Harmattan, 1989, p. 35-51 ; Martine Lemalet (s.d.), Au secours des enfants du siècle. Regards croisés sur l’OSE, NIL, 1993.
  • [10]
    CDJC/XXXI-127-132 et CCXV-38A : Note sur les enfants déportés ; L. Gourvitsch, OSE, 1912-1937, Paris, Éd. de l’Union-OSE, 1937.
  • [11]
    Notons que tous les employés d’Amenon (fermiers, gens de maison) se montraient d’une parfaite discrétion pendant la durée de la guerre et assumaient avec courage de pénibles moment lors des visites de la Gestapo.
  • [12]
    Témoignage d’Odette La Ruche, dans Michèle Rotman, Carnets de mémoires. Enfances cachées, 1939-1945, Paris, Ramsay, 2005, p. 40-42.
  • [13]
    AN 72AJ/184 : Sarthe pendant la Seconde guerre : témoignages et documents.
  • [14]
    Liliane Lelaidier-Maitron, « Les enfants juifs de Mme Houssin », dans Enfants cachés, bulletin no 14, mars 1996, p. 6.
  • [15]
    M31/8333. La série M31 concerne les dossiers des Justes à Yad Vashem en Israël. L’auteur a eu l’autorisation d’étudier les nombreux dossiers des Justes ainsi que toute la documentation se trouvant dans les divers dossiers.
  • [16]
    M31/8138.
  • [17]
    Parmi les nombreux villages refuges on peut nommer les suivants : Azire, Lavaré, Ecommoy, Montfort-le-Rotrou, Pont-de-Gennes, Le Lude, Saint-Martin-des-Monts, Cogners, Vibraye (canton), Fresnay-sur-Sarthe, La Flèche, etc.
  • [18]
    Dictionnaire des Justes, Paris, Fayard, 2002 ; Marianne Carbonnier-Burkard, Patrick Cabanel, Une histoire des protestants en France, Paris, Desclée de Brouwer, 1998 ; Christian Maillebouis, La montagne protestante, pratiques chrétiennes et sociales dans la région du Mazet-Saint-Voy, 1920-1940, Lyon, Olivetan, 2005 ; André Encrevé, Jacques Poujol (dir.), Les protestants français pendant la Seconde Guerre mondiale, Actes du Colloque de Paris, Paris, SHPF, 1994.
  • [19]
    M31/6237.
  • [20]
    M31/4280.
  • [21]
    M31/6964.
  • [22]
    M31/8375.
  • [23]
    Mathilde et André Lebas sont reconnus comme Justes le 22 août 2005.
  • [24]
    Jacques Bellanger, Le Lude et son canton, Saint-Cyr-sur-Loire, Éd. Alan Santon, 2000 ; id., Le Lude des années sombres, 1939-1945, Fresnay-sur-Sarthe, 2001, p. 97-100 ; id., Chroniques du Lude, 1900-1920, Saint-Cyr-sur-Loire, A. Sutton, DL, 2007.
  • [25]
    Jacques Bellanger, Le Lude des années sombres, opcit., p. 97-100.
  • [26]
    AN 72AJ/184 et Camille Ballester, Colette Flandrin, Geneviève Crié. Une figure exemplaire de la résistance sarthoise, Saint-Jean-des-Mauvrets, Éd. du Petit Pavé, 2004. Geneviève Crié est née en 1886 à Chasillé dans la Sarthe.
  • [27]
    Reconnu comme Juste parmi les Nations.
  • [28]
    Témoignage de Nelly Scharapan, août 2003, dans Danielle Bailly (s.d.), Traqués, cachés, vivants. Des enfants juifs en France (1940-1945), Paris, L’Harmattan, 2004, p. 141-162 ; Adolphe Renard, Ecommoy et ses environs, Res Universis, 1989.
  • [29]
    M31/3185.
  • [30]
    M31/4599 et Lucien Lazare, Le livre des Justes, op. cit., p. 35-38.
  • [31]
    Charlotte Barillet, « Une Juste parmi les nations n’est plus, Lucienne Clément de l’Épine », Enfants cachés, bulletin no 13, décembre 1995, p. 4 ; et les travaux de Céline Rattier, « Lucienne Clément de l’Épine et le sauvetage des enfants juifs dans le département de la Sarthe, 1939-1945 », Revue d’histoire de la Shoah, CDJC, no 174, janvier-avril 2002, p. 70-106 ; Une résistance humanitaire en Sarthe, le sauvetage des enfants juifs, 1939-1945, mémoire de DEA sous la dir. de Brigitte Waché, Université du Maine, 1997, 173 p. ; « Le sauvetage des Juifs de la Sarthe », La Province du Maine, 99 (1997), p. 339-372 ; « Les femmes et le sauvetage des enfants juifs », Sociétés occidentales en mutation, Cahier, no 4, Le Mans, lhamans, Université du Maine, 2003, p. 123-140.
  • [32]
    Dotée d’une double formation d’institutrice publique et d’infirmière de l’école municipale d’infirmiers et d’infirmières de l’hôpital parisien de la Pitié, Léonie Chaptal s’installa auprès d’un de ses frères, vicaire à Plaisance et collaborateur de l’abbé Soulange-Bodin. Puisant dans sa fortune personnelle, elle ouvrit l’œuvre des logements insalubres de Plaisance (1901-1914), fonda l’Assistance maternelle et infantile de Plaisance (1901-1938), qui participa à la prévention des maladies infantiles, et l’œuvre des tuberculeux adultes (1903-1930). La circulaire du 28 octobre 1902 institua en outre les écoles d’infirmières et permit à Léonie Chaptal de diriger la maison école des infirmières privées, fondée en 1904 à Paris. Elle mit en place un enseignement qu’elle confia aux médecins et aux directeurs des hôpitaux, contribuant ainsi à situer la profession d’infirmière sous la dépendance médicale et administrative.
  • [33]
    CDJC/XXXV, 1c ; Jacqueline Baldran, Claude Bochurberg, David Rapoport. « La Mère et l’Enfant, 36, rue Amelot », Paris, Éd. du CDJC, p. 170-203. Il s’agit de 58 enfants.
  • [34]
    CDJC/DLXXXIV-1c ; Claude Lévy, Paul Tillard, La grande rafle du Vel d’Hiv, Paris, Cercle de bibliophilie, 1969, p. 144-155.
  • [35]
    Le nombre des études concernant l’activité des assistantes sociales est assez limité. On peut citer les études suivantes, qui demanderaient à être complétées par des recherches plus approfondies : Armelle Mabon-Fall, Les assistantes sociales au temps de Vichy, Paris, L’Harmattan, 1995 ; Jean Guilermand, Histoire des infirmières, t. I : Des origines à la naissance de la Croix-Rouge, Paris France-Sélection, 1988 ; Yvonnes Knibiehler, Nous les assistantes sociales. Naissance d’une profession, Paris, Aubier, 1983 ; Cyril Le Tallec, Les assistantes sociales dans la tourmente, 1939-1946, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Philippe-Jean Hesse, Jean-Pierre Le Crom (s.d.), La protection sociale sous le régime de Vichy, Rennes, PUR, 2001.
    Sur l’activité du Secours national et sa politique durant les années 1941-1944 à consulter : AN F60/388-389 ; F60/246 ; 307AP 159 : Papiers Raoul Dautry : dossier « aide aux internés civils et à leurs familles », nos 15 et 16 ; F1A/3660-3661 : organisation du Secours national ; 2AG/458 : bilan de l’activité du Secours national ; 2AG/462 ; 2AG/500 : rapports et notes sur le Secours national, 1941-1943.
  • [36]
    M31/1516 et M31/796.
  • [37]
    José Martinez-Cobo, « La Croix-Rouge suisse au secours des enfants : maternité d’Elne », Républicains espagnols en Midi-Pyrénées. Exil, histoire et mémoire, Toulouse, PU du Mirail, 2004, p. 237-242.
  • [38]
    Cité dans Adam Rayski, Le choix des Juifs sous Vichy. Entre soumission et résistance, Paris, La Découverte, 1992, p. 129.
  • [39]
    Pour une étude détaillée de l’attitude de chacun des évêques en France durant les années 1940-1944, à lire Limore Yagil, Chrétiens et Juifs sous Vichy, op. cit., en particulier le tableau qui démontre que 80 % des prélats étaient pétainistes, anti-allemands et ont sauvé des Juifs, en dépit du silence de la majorité d’entre eux. Seuls six évêques et archevêques ont protesté publiquement en 1942, contre les arrestations des Juifs.
  • [40]
    La Sixième a été un des réseaux clandestins qui s’est mis en place fin 1942. La Sixième établit un grand nombre de contacts, en particulier avec les autres réseaux juifs et avec les divers mouvements de Résistance. Son but essentiel était de soustraire, par tous les moyens, les jeunes juifs, mais aussi des adultes, aux persécutions des nazis.
  • [41]
    Le P. Théomir Devaux, importante personnalité religieuse à Paris, naquit en 1885 dans le Calvados. Depuis son installation à Paris en 1925, il entra en contact avec plusieurs personnalités qui, dans les milieux catholiques, protestants et juifs, avaient commencé un mouvement de rapprochement entre les différentes religions. Le mouvement œcuménique faisait d’ailleurs ses premiers pas en Europe. Pendant l’Occupation, le P. Devaux se consacra à la recherche de faux papiers et de lieux de refuges pour des centaines d’enfants et d’adultes, qui purent ainsi échapper à la déportation. Il se chargea de faciliter leur emplacement dans les institutions religieuses et les familles chrétiennes. Il servait aussi de répondant pour les enfants et d’intermédiaire pour le règlement de pensions aux familles nourricières. En tant que responsable du couvent Notre-Dame de Sion, il mit sa vie en péril et sans doute celle de certains de ses adjoints qui donnaient asile à autant de petits Juifs et en organisant leur lieu de cachette. Au total plusieurs centaines d’enfants juifs (environ 443) furent cachés grâce à l’organisation d’une filière mise sur pied par les Pères de Notre-Dame de Sion à Paris, sous l’autorité du P. Théomir Devaux.
    M31/7245 ; CDJC/DCLXVIII-1 ; Riquet Michel, Chrétiens de France dans l’Europe enchaînée : genèse du Secours catholique, Paris, SOS, 1973, p. 111-115 ; Charles Molette, Prêtres, religieux et religieuses dans la Résistance au nazisme, 1940-1945, Paris, Fayard, 1995 ; Limore Yagil, Chrétiens et Juifs sous Vichy, op. cit., p. 522.
  • [42]
    Pour une étude plus détaillée à consulter notre prochaine publication : Limore Yagil, La France terre de refuge et de désobéissance civile, 1936-1944 : le cas des Juifs, Paris, Le Cerf, 2010.
  • [43]
    Marc-Olivier Baruch, Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997 ; Marc-Olivier Baruch, Vincent Duclert (s.d.), Serviteurs de l’État. Une histoire politique de l’administration française, 1875-1945, Paris, La Découverte, 2000 ; Maurice Vaisse (s.d.), Les préfets, leur rôle, leur action dans le domaine de la défense, de 1800 à nos jours, Bruxelles, Bruylant, et Paris, LGDJ, 2001 ; Sonia Mazey, Vincent Wright, « Les préfets », in Jean-Pierre Azéma et François Bédarida (s.d.), Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, p. 267-286 ; Bernard Lecornu, Un préfet sous l’occupation allemande, Paris, France-Empire, 1984. Le lecteur trouvera une étude détaillée de l’attitude des préfets dans les différents départements, dans Limore Yagil, Chrétiens et Juifs sous Vichy, op. cit.
  • [44]
    Les 24 articles du texte signé à Rethondes figurent en annexe dans l’ouvrage de Jean Montigny, Toute la vérité sur un mois dramatique de notre histoire, Clermont-Ferrand, Imprimerie Mont-Louis, 1940.
  • [45]
    Né en 1888 à Vernet-la-Varenne, il entra dans l’administration en 1917 en devenant le président du Conseil de l’Ardèche. Entre les dates de 1920 et 1929, il intégra six sous-préfectures.
  • [46]
    AN F1B1/1106 : Picot fut successivement préfet de Belfort du 5 septembre 1940 au 14 novembre 1941, préfet de la Sarthe jusqu’au 8 février 1943, puis préfet de l’Allier.
  • [47]
    AN F1B1/1106.
  • [48]
    AN 72AJ/94 : témoignage de M. Bardot en 1947.
  • [49]
    Archives départementales du Maine-et-Loire : 18W/82.
  • [50]
    AN F1B1/1109 : Jean Porte.
  • [51]
    Hubert Hannoun, L’épopée des Justes de France (1939-1945), Paris, Connaissances et savoirs, 2004.
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