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Article de revue

Le rôle de l' « hypothèse Suisse » dans la défaite de 1940 ou comment une simple possibilité théorique a pu affecter la réalité

Pages 59 à 70

Notes

  • [1]
    Cette question est abordée à de nombreuses reprises par le général Gamelin dans ses mémoires (publiés sous le titre Servir) et tout particulièrement le tome III. Il en attribue l’entière responsabilité au général Georges, commandant en chef du théâtre d’opération Nord-Est.
  • [2]
    Sur les enjeux politiques et diplomatiques des relations franco-suisses, voir J.-C. Allain, « La France et les neutralités helvétique et espagnole en 1939-1940 », dans Colloque international des Universités de Neuchâtel et Berne, Les États neutres européens et la Seconde Guerre mondiale, Neuchâtel, Éditions de La Baconnière, 1985, p. 337-356 ; et plus largement : H.-U. Jost, Le salaire des Neutres. Suisse, 1938-1948, Denoël, 1999.
  • [3]
    Voir, dans cette perspective, P. Garraud, « Le rôle de la “doctrine défensive” dans la défaite de 1940 : une explication trop simple et partielle », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 214, avril-juin 2004, p. 97-123 ; et « L’idéologie de la défensive et ses effets stratégiques : le rôle de la dimension cognitive dans la défaite de 1940 », Revue française de science politique, vol. 54 (5), octobre 2004, p. 781-810.
  • [4]
    Voir, à ce propos, général B. Chaix, Fallait-il entrer en Belgique ? Décisions stratégiques et plans opérationnels de la campagne de France, Economica, 2000 ; « Les plans opérationnels de 1940 : aller ou non en Belgique ? », dans C. Levisse-Touzé (dir.), La campagne de 1940, Tallandier, 2001, p. 52-62.
  • [5]
    « Dans sa thébaïde de Vincennes, le général Gamelin me fit l’effet d’un savant, combinant en laboratoire les réactions de sa stratégie », écrit le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre après sa rencontre avec lui pour lui annoncer son intention de lui confier le commandement de la 4e DCR dès qu’elle serait constituée (L’appel, t. I, Plon, 1954, rééd. Presses-Pocket, 1980, p. 39).
  • [6]
    En revanche, différentes opérations de plus ou moins grande ampleur de franchissement du Rhin en Alsace ont été étudiées par le groupe d’armées C du général von Leeb : Fall Grün (Plan vert), Fall Braun (Plan brun), Bär (Ours). Voir à cet égard R. Bruge, Histoire de la ligne Maginot, t. 3 : Offensive sur le Rhin. La grande opération amphibie de juin 1940, Fayard, 1977, p. 20-26.
  • [7]
    P. Garraud, « La politique de fortification des frontières de 1925 à 1940 : logiques, contraintes et usages de la “ligne Maginot” », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 226, avril-juin 2007, p. 3-22.
  • [8]
    M. Gamelin, Servir, t. III : La guerre, Plon, 1947, p. 20-23.
  • [9]
    Dès 1936 et le lancement d’un emprunt exceptionnel de défense nationale, l’armée suisse entreprend sa modernisation et son réarmement. Au terme de sa réorganisation de 1938 et de la mise en œuvre du « service actif », l’armée suisse est organisée en trois corps d’armée et comporte neuf divisions à trois régiments chacune, auxquels s’ajoutent trois brigades de montagne autonomes et trois brigades légères. À la mobilisation, elle regroupe alors plus de 430 000 hommes et un quatrième corps d’armée est créé.
  • [10]
    Initialement, elle devait s’accompagner d’études analogues en vue d’une coopération avec l’Allemagne dans l’hypothèse inverse de la violation de la neutralité helvétique par la France, mais qui ne seront jamais réalisées.
  • [11]
    Existe en effet au sein de l’armée un groupe d’officiers germanophiles dont la figure dirigeante est le commandant de corps Wille, fils du précédent général de l’armée suisse en 1914-1918.
  • [12]
    Aujourd’hui, son rôle est plus justement réévalué et, après la défaite de la France, il apparaît clairement que la politique militaire suisse est de plus en plus subordonnée à une politique économique et commerciale fortement marquée par la dépendance à l’égard de l’Allemagne. Voir, à ce domaine, H.-U. Jost, op. cit., p. 96-97 ; W. Gautschi, Le général Guisan : le commandement de l’armée suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, Lausanne, Payot, 1991 ; et les travaux de la Commission indépendante d’experts (CIE) dite commission Bergier, du nom de son président, composée d’historiens et chargée de 1996 à 2002, et à l’initiative de l’Assemblée fédérale, d’étudier le rôle de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale ((((www. uek. ch/ fr/ index. htm),ainsi que les débats et controverses qu’ils ont produits.
  • [13]
    Son journal a été partiellement publié après guerre. Malheureusement, il ne commence que le 11 juin 1940, date à laquelle il devient chef de l’état-major particulier du général Guisan, en remplacement du lieutenant-colonel Gonard, fonction qu’il conservera pendant toute la durée de la guerre, et ne dit mot de son rôle dans les relations entre les hauts commandements français et helvétique (B. Barbey, PC du général. Journal du chef de l’état-major particulier du général Guisan, 1940-1945, Neuchâtel, Éditions de La Baconnière, 1948).
  • [14]
    R. Fontbonne, « Les projets français d’intervention en Suisse, 1939-1940 », Histoire de Guerre, no 56, mars 2005, p. 16-21.
  • [15]
    Seul l’entourage immédiat du général Guisan, très fortement lié à lui par des relations personnelles, est informé : le major Gonard, chef de son état-major particulier, le colonel de Tscharner, lieutenant-colonel de la Légion étrangère, bien introduit dans les milieux militaires français, mais de nationalité suisse. Le colonel Masson, chef du SR de l’EMG, pourtant proche et supérieur direct du capitaine Barbey, n’est même pas dans la confidence (R.-H. Wüst, Alerte en pays neutre. La Suisse en 1940, Lausanne, Payot, 1966, p. 67-69).
  • [16]
    D. Pedrazzi, « Les planifications franco-suisses de 1936 à 1940 », dans C. Levisse-Touzé (dir.), La campagne de 1940, Tallandier, 2001, p. 512.
  • [17]
    Ces opérations étant restées purement virtuelles, il ne paraît pas nécessaire d’entrer trop dans le détail des modalités devant être mises en œuvre.
  • [18]
    L’attitude italienne demeurant incertaine à la mobilisation, la 6e armée se voit affectée à la défense des Alpes, d’où le recours à une nouvelle armée, la 7e, pour l’intervention éventuelle en Suisse. Ce n’est qu’ultérieurement, en octobre 1939, que l’armée des Alpes sera privée de la majorité de ses grandes unités, affectées ailleurs, et réduite à un détachement d’armée, la structure armée (état-major et services) étant alors mise en réserve dans le cadre de la mise en œuvre éventuelle de l’hypothèse suisse (voir plus bas).
  • [19]
    À cette date, l’armée française ne comprend que sept DIM et deux DLM.
  • [20]
    La mobilisation générale est cependant de courte durée et dès la fin de l’année, les effectifs retombent à 281 000 hommes puis à 174 000 hommes en février 1940 (H.-U. Jost, op. cit., 95-96). La mobilisation générale est cependant de nouveau proclamée le 10 mai 1940 et, en mai-juin, des combats aériens opposent l’aviation de chasse suisse à des appareils allemands empruntant l’espace aérien helvétique lors de leur retour de missions en France. Ils se solderont par la perte d’environ dix avions allemands abattus (R.-H. Wüst, op. cit., annexe A, « Les opérations conduites par l’aviation militaire suisse en mai et juin 1940 », p. 141-142).
  • [21]
    R. Fontbonne, art. cité.
  • [22]
    M. Gamelin, Servir, t. III : La guerre, op. cit., p. 340-342.
  • [23]
    « L’action de guerre revêt essentiellement le caractère de la contingence – soulignait le général de Gaulle. Le résultat qu’elle poursuit est relatif à l’ennemi, variable par excellence : l’ennemi peut se présenter d’une infinité de manières ; il dispose de moyens dont on ignore la force exacte ; ses intentions sont susceptibles de suivre bien des voies. D’ailleurs, le terrain n’est jamais constant ; les événements portent l’action dans telle région, puis dans telle autre [...]. Les moyens que l’on commande n’ont aucune valeur absolue : le rendement du matériel, la force morale des troupes varient dans d’énormes limites suivant l’occasion » (Le fil de l’épée, Berger-Levrault, 1944 (2e éd.), p. 1-2).
  • [24]
    F. Guelton, « La bataille des Alpes (2 septembre 1939 - 25 juin 1940) », dans C. Levisse-Touzé (dir.), La campagne de 1940, op. cit., p. 221-239.
  • [25]
    M. Gamelin, op. cit., p. 98-99.
  • [26]
    Pour ce qui est de l’organisation détaillée de l’armée française en mai 1940, voir C. Chapon, « L’armée de terre française : le 2 septembre et le 9 mai 1940 », Revue historique des armées, no 4, 1979, p. 164-192 ; « Ordre de bataille au 10 mai 1940 » : hhhhttp:// france1940. free/ oob/ fr_oob. html ;« Divisions françaises en mai 1940 » : hhhttp:// alain. adam. free. fr/ france. html.
  • [27]
    Son troisième corps d’armée, le 13e CA, qui assure plus au nord la défense de Colmar et Mulhouse avec quatre autres divisions (19e DI d’active et 54e DI de série B, 104e et 105e DIF), un GRCA et un régiment d’artillerie organiques, n’est pas directement concerné à ce stade.
  • [28]
    Qui, au vrai, n’ont de fortifiés que le nom dans la mesure où ils ne comportent aucune véritable fortification type ouvrages CORF (commission d’organisation des régions fortifiées, en activité de 1927 à 1935). Il serait plus juste de parler d’organisation défensive.
  • [29]
    15 divisions en tout et pour tout, dispersées du sud de Sedan à la frontière suisse et dont l’acheminement nécessitait des délais incompatibles avec le rythme des opérations imposé par l’armée allemande et certains de ses généraux.
  • [30]
    Côté allemand, seules les quatre divisions de position (Stellungsdivisionen) de la 7e armée du général Dollmann assurent la défense statique du cours inférieur du Rhin face à l’Alsace au printemps 1940. Ces unités de la série 550 sont de création très récente, très pauvrement équipées et ne disposent que de très peu de moyens de transport et d’aucun char. Ce n’est qu’à la fin du mois de mai, alors que le dispositif français est totalement réorganisé et nouveau témoignage de son inadaptation complète, qu’elles seront renforcées par trois autres divisions de la série 200, en vue du franchissement du Rhin dans le secteur de Marckolsheim, au nord de Colmar, qui interviendra le 15 juin (opération Kleiner Bär, Petit ours). Voir, à ce propos, R. Bruge, op. cit., p. 25-28.
  • [31]
    Les 27e et 28e DI sont affectées à la 6e armée, les 19e, 29e DI et 7e DINA à la 7e armée et la 13e DI et la 5e DIC à la 10e armée. La 8e armée perd également la 19e DI et le 45e CAF ses deux divisions initiales qui sont remplacées par la 67e DI et la 2e DIP (polonaise).
  • [32]
    Leur mise en place a été permise, rappelons-le, par les deux reconnaissances offensives conduites, les 17 et 19 mai, à partir de Laon par le général de Gaulle à la tête de la 4e DCR en direction de Montcornet et de Crécy-sur-Serre. Voir, à cet égard, G. Saint-Martin, « Les combats de la 4e division cuirassée : après le char papier, le char métal », dans Fondation Charles de Gaulle, Charles de Gaulle, 1920-1940. Du militaire au politique, Plon, 2004, p. 180-197.
  • [33]
    A. Doumenc, « Journal du GQG », dans F. Delpla, Les papiers secrets du général Doumenc. Un autre regard sur 39-40, Olivier Orban, 1992, p. 248-256.
  • [34]
    H. Guderian, Souvenirs d’un soldat, Plon, 1954, p. 107-122 ( « La percée vers la frontière suisse » ).
  • [35]
    Voir R.-H. Wüst, op. cit., p. 89-91 ; B. Barbey, op. cit., p. 21-24.
  • [36]
    G. Kreis, Auf die Spuren von La Charité. Die schweizerische Armeeführung im Spannungsfeld des deutsch-französischen Gegensatzes, 1936-1941, Bâle-Stuttgart, Helbing & Lichtenhahn, 1976, cité par D. Pedrazzi, art. cité, p. 512.
  • [37]
    H.-U. Jost, op. cit., p. 343. Selon lui, « après quelques hésitations, les Anglo-Américains publièrent néanmoins ce dossier dérangeant pour la Suisse. Et en 1960 parut à Londres un volume de documents relatifs à la politique étrangère allemande, qui contenait des informations aussi bien sur les négociations du général Guisan avec le commandement français que sur les relations du commandant de corps Wille avec l’ambassade d’Allemagne à Berne ».

1En mai-juin 1940, la France a été très rapidement et sévèrement défaite pour trois raisons principales et complémentaires : d’une part, une stratégie exclusivement défensive laissant entièrement l’initiative et le champ libre à l’Allemagne ; d’autre part, l’incapacité à prévoir et à localiser précisément le point d’effort principal de l’offensive allemande attendue ; enfin, la faiblesse des réserves permettant de faire face à une telle attaque [1]. La question de la capacité française à réagir rapidement à des intentions allemandes incertaines est donc essentielle et constitue un véritable dilemme. Elle a également des conséquences organisationnelles lourdes : comment, dans de telles conditions, organiser et répartir les forces françaises disponibles pour qu’elles soient le plus à même de contrer l’offensive allemande ?

2Le terme d’ « hypothèse suisse » peut servir à désigner l’étude approfondie et la préparation minutieuse par le haut commandement français d’une intervention militaire en soutien à l’armée helvétique en cas de violation de la neutralité de cet État par l’Allemagne [2]. Dès avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la crainte est, en effet, vive de part et d’autre du Jura d’une attaque allemande visant à pénétrer en territoire français depuis le sud de l’Allemagne en empruntant à l’est de Bâle, entre les deux massifs montagneux du Jura et des Alpes, la voie du plateau suisse traversé par le cours de l’Aar, affluent du Rhin, riche en voies de communication orientées vers la France. D’un point de vue stratégique et en coordination ou non avec l’Italie, une telle manœuvre aurait permis à l’armée allemande de déboucher dans la trouée de Belfort pour tenter de prendre à revers la ligne Maginot ou, plus au sud, de faire irruption dans la vallée du Rhône.

3Bien évidemment, cette crainte ne constitue pas la préoccupation première du haut commandement français qui, prisonnier de sa stratégie défensive et attentiste [3], en est réduit à s’efforcer de hiérarchiser les différentes hypothèses d’attaque allemande pour répartir au mieux les forces dont il dispose pour assurer la défense de l’intégrité territoriale de la France. Elle ne vient qu’en troisième et assez modeste rang, loin derrière une invasion de la Belgique, hypothèse privilégiée dans laquelle la manœuvre Dyle-Breda trouve son origine [4] et qui nécessite l’engagement de quatre armées (1re, 7e, 9e armées et British Expeditionary Force), et une attaque frontale de la ligne Maginot dont quatre armées assurent également la défense (2e, 3e, 4e et 5e).

4Pour marginale qu’elle puisse paraître, son étude présente pourtant plusieurs intérêts. Elle est révélatrice tout d’abord du travail technique de planification des états-majors qui s’efforcent de prévoir et d’anticiper différentes éventualités, aussi hypothétiques et incertaines soient-elles, pour y faire face le cas échéant et ne pas être pris au dépourvu. Elle illustre également la stratégie « méthodique » développée par le général Gamelin, chef d’état-major de la défense nationale et commandant en chef des forces terrestres françaises en 1939-1940, et témoigne plus particulièrement de ses a priori et de son caractère hautement spéculatif [5], puisqu’en définitive jamais une telle attaque n’a été sérieusement envisagée et préparée par l’armée allemande durant cette période [6].

5Mais l’hypothèse suisse ne constitue cependant pas seulement un épisode méconnu mais finalement mineur, voire anecdotique de ce conflit. Pour purement théorique et virtuelle qu’elle soit restée, elle n’en a pas moins produit des effets de réalité non négligeables mais ignorés. En mai 1940, l’armée française ne dispose que de fort peu de grandes unités de réserve générale à la disposition du haut commandement pour faire face à une quelconque rupture du front. À l’évidence, l’hypothèse suisse a fixé inutilement et durablement un nombre relativement conséquent de grandes unités réparties en deux armées, qui auraient été beaucoup plus utiles et ont fait défaut ailleurs, là où la bataille de France s’est véritablement jouée en 1940.

6Dans un premier temps, on soulignera la convergence des préoccupations stratégiques à l’origine de la coopération militaire franco-helvétique. Puis on s’intéressera aux différents projets envisagés, de la « manœuvre étendue » à la « manœuvre restreinte ». Enfin, dans une dernière étape, on s’attachera à l’évolution de l’organisation du dispositif français mis effectivement en place.

LA CONVERGENCE DES PRÉOCCUPATIONS STRATÉGIQUES

7La coopération militaire franco-suisse qui conduit à l’élaboration progressive de l’hypothèse suisse découle de la convergence des inquiétudes et des craintes de part et d’autre du Jura : crainte en France d’une possible manœuvre permettant le contournement de la ligne Maginot, élément central de la politique française de défense depuis la fin des années 1920 [7], ou une irruption dans la vallée du Rhône ; inquiétude en Suisse d’une éventuelle violation de sa neutralité, voie de passage obligée dans une telle hypothèse. Il est vrai que les coups de force successifs de la politique allemande récente (réoccupation militaire de la Rhénanie en mars 1936, annexion de l’Autriche et des Sudètes en mars et octobre 1938, invasion de la Bohême-Moravie puis de la Pologne en mars et septembre 1939) justifient largement de telles préoccupations.

La crainte française

8Dès avant la guerre, le général Gamelin s’inquiète d’une possible opération entre le front Nord-Est qui se termine à hauteur de Bâle et le front des Alpes. Le 11 juillet 1938, il rédige une « directive aux généraux commandant les 6e et 8e armées concernant la préparation des travaux à effectuer en territoire national entre Haute-Alsace et Haute-Savoie » : « Parmi les hypothèses de conflit, le commandement doit envisager celle où l’Allemagne et l’Italie, après avoir respecté initialement la neutralité helvétique, profiteraient ultérieurement de l’engagement du gros de nos forces dans le Nord ou le Nord-Est pour déclencher une contre-manœuvre au travers de la Suisse. Pour parer à cette éventualité et compte tenu des organisations déjà réalisées, il est nécessaire de prévoir le développement dès le début du conflit du système défensif destiné à relier le théâtre du Nord-Est à celui des Alpes. » [8] L’annexe jointe à la directive précise déjà les tracés de la position de résistance, des deuxième et troisième positions, et des « bretelles » les reliant.

9Un pas important est franchi avec son instruction générale du 22 mai 1939 qui marque le passage d’une organisation strictement défensive du territoire national en vue de sauvegarder son intégrité à une manœuvre d’intervention sur le territoire helvétique pour aider l’armée suisse à faire face à une attaque allemande. Dans cette perspective, il est déjà prévu d’engager deux armées. Bien qu’à une échelle bien moindre, l’opération est de même nature que l’intervention en Belgique avec laquelle elle a beaucoup d’analogies et présente les mêmes avantages théoriques : d’une part, bénéficier de l’apport de troupes supplémentaires dans la guerre contre l’Allemagne [9] ; d’autre part, faire la guerre au-delà des frontières pour préserver le territoire national.

L’inquiétude suisse

10De son côté, le haut commandement de l’armée helvétique, à l’initiative initiale de son chef d’état-major général, le colonel commandant de corps Labhart, et en accord avec les autorités politiques, se préoccupe également d’une éventuelle violation de la neutralité suisse dès avant la guerre et envisage la signature d’une convention militaire avec la France en cas d’agression allemande [10]. Un groupe d’étude est chargé de définir ses modalités et des officiers sont désignés pour assurer la liaison avec l’armée française. Le général Henri Guisan (1874-1960) joue également un rôle moteur et croissant dans cette coopération. Colonel divisionnaire de 1926 à 1932, colonel commandant de corps (d’armée) de 1932 à 1939, il est élu général, grade attribué uniquement en temps de guerre, et commandant en chef de l’armée par l’Assemblée fédérale le 30 août 1939, fonction qu’il exercera pendant toute la durée du conflit mondial et qu’il ne quitte qu’en août 1945.

11De ce fait, il est devenu le symbole de la défense active de la neutralité suisse, voire de la résistance à l’Allemagne, et un véritable mythe national. Dans un contexte de fortes divisions politiques mais également militaires [11] et en s’appuyant sur un état-major particulier tout dévoué, il a incontestablement mené une politique personnelle et relativement autonome, ne tenant pas toujours informé le Conseil fédéral de ses initiatives [12]. Ainsi, son chef d’état-major particulier, le colonel Petitpierre, rencontre secrètement à Paris les généraux Gamelin et Georges, respectivement commandant en chef des forces terrestres et commandant le théâtre d’opérations Nord-Est, le 31 juillet 1939, pour discuter des procédures de coopération.

12Deux hommes en particulier vont très discrètement assurer la liaison entre les armées helvétique et française : le lieutenant-colonel Garteiser du côté français, représentant le général Georges, et le capitaine Barbey [13], du service de renseignement de l’état-major de l’armée du côté suisse, qui effectuent ensemble de nombreuses missions de reconnaissance sur le terrain en 1939-1940, tant en Suisse qu’en France, pour étudier très concrètement la « soudure » des deux dispositifs. En avril 1940, ce dernier rencontre les généraux Gamelin et Georges mais également les généraux Besson et Daille, commandant respectivement le groupe d’armées no 3 et le corps d’armée installé dans le Jura [14]. On voit donc que les relations militaires s’établissent au plus haut niveau et sont suivies. Elles ont également un caractère secret dans la mesure où la Suisse ne renonce nullement à sa neutralité affichée mais entend seulement organiser sa défense en coopération avec la France en cas éventuel d’offensive allemande et seulement dans cette hypothèse [15].

13On ne saurait donc réduire la coopération franco-suisse au « cruel privilège de servir d’appât et de s’offrir en victime expiatoire de l’aveuglement d’un Gamelin coupable d’un stratagème dépassé – se battre par Suisses interposés – qui, en d’autres temps, s’était révélé profitable », comme l’affirme péremptoirement l’historien militaire suisse D. Pedrazzi [16].

LES DIFFÉRENTS PROJETS ENVISAGÉS : DE LA « MANœUVRE ÉTENDUE » À LA « MANœUVRE RESTREINTE »

14Si l’hypothèse suisse constitue une préoccupation permanente au cours de la seconde moitié des années 1930, ce n’est que progressivement, à partir de l’été 1939 et surtout pendant la « drôle de guerre » et jusqu’au mois d’avril 1940, que se mettent en forme et sont définis l’étendue, les modalités et le calendrier d’une éventuelle intervention française en Suisse [17].

La « manœuvre étendue » initiale

15Partant de l’instruction du général Gamelin du 22 mai, déjà évoquée, le général Georges fixe, en juin 1939, les missions et les objectifs des 8e et 7e armées concernées [18]. Les moyens que l’on compte affecter à cette opération sont importants, puisque constitués de trois échelons successifs regroupant quatre corps d’armée et un total de 12 divisions d’infanterie, dont quatre motorisées (DIM), une division légère mécanique (DLM) et une division de cavalerie [19]. Différents scénarios, liés au degré de résistance de l’armée helvétique, sont envisagés : couverture de Berne, capitale fédérale, « au moins » dans un premier temps, contrôle du secteur Sud de Bâle dans un deuxième temps, avancée « au mieux » sur la rive Sud du Rhin qui, à l’est de Bâle, sépare l’Allemagne du Sud du nord de la Suisse. Mais à ce moment, l’intervention en Suisse est encore conçue par le seul commandement français, a priori et sans concertation et coopération avec l’armée helvétique.

16Après la déclaration de guerre qui voit également la mobilisation générale de l’armée suisse du 3 au 5 septembre [20], la situation évolue rapidement et l’instruction du 8 octobre du général Georges « aux groupes d’armée et à la 8e armée » tient compte des progrès des discussions franco-suisses et envisage les modalités de la « soudure » à effectuer entre les deux dispositifs français et suisse. Une nouvelle étape est franchie en décembre 1939 avec une nouvelle instruction du général Gamelin qui préconise une « manœuvre étendue » encore plus ambitieuse mais sans s’attarder outre mesure sur les moyens nécessaires à une telle option.

L’incertitude des moyens et la « manœuvre restreinte » finale envisagée

17En charge de la conduite de l’opération et de la coordination de l’action des deux armées qui lui sont affectées, le général Besson, commandant du GA 3, adresse en février 1940 au général Georges, son supérieur, une nouvelle étude qui, face à une offensive en force de l’Allemagne en Suisse, préconise une « manœuvre restreinte », beaucoup plus prudente mais nécessitant néanmoins des moyens toujours aussi importants. Il demande, en effet, que lui soient affectés trois corps d’armée, dont un motorisé, neuf ou dix divisions d’infanterie, dont deux motorisées et deux de montagne, neuf ou dix régiments d’artillerie supplémentaires et cinq ou six bataillons de chars.

18En réponse, le général Georges souscrit à cette nouvelle manœuvre mais estime qu’ « il n’est pas possible d’attribuer a priori au GA no 3 les grandes unités estimées nécessaires tant que la situation générale n’aura pas été éclaircie ». En dépit de la coopération militaire franco-helvétique active, on voit donc que bien des incertitudes majeures demeurent, tant en ce qui concerne l’ampleur de l’offensive allemande éventuelle que la capacité de résistance de l’armée suisse et la disponibilité des moyens français ; et ce d’autant plus que l’intervention en Belgique constitue une probabilité beaucoup plus grande qui nécessite des moyens beaucoup plus importants.

19Le général Besson signe alors en avril 1940 une « instruction pour les généraux commandant les 6e et 8e armées sur la manœuvre H », nom de code de l’opération (H pour Helvétie), qui arrête la position de l’armée suisse, les fronts d’intervention en Suisse des 8e et 6e armées françaises concernées, et la position principale de résistance en France (à l’exception du barrage des Rangiers qui, en Suisse, doit barrer le saillant de Porrentruy qui avance en France vers Montbéliard et Belfort) [21]. Un terme est ainsi mis à cette intense activité d’études et de planifications préparatoires qui aura mobilisé beaucoup d’énergies et de temps.

20Dans une lettre au général Gamelin en date du 14 avril, le général Georges, commandant en chef du front Nord-Est, fait état « des besoins nécessaires aux différentes éventualités », et en particulier « pour le groupe d’armées no 3, qui assure la défense du Haut-Rhin et du Jura et est éventuellement chargé de la liaison avec l’armée helvétique, un minimum de neuf divisions, dont : deux de forteresse, deux de série B, trois d’active pour la 8e armée ; deux de série B pour le Jura. En outre, la liaison éventuelle avec l’armée suisse oblige à disposer d’un minimum de trois divisions au titre d’un premier lot » [22].

L’ÉVOLUTION DE L’ORGANISATION DU DISPOSITIF FRANÇAIS

21En mai 1940, l’armée française ne dispose que de réserves très peu nombreuses pour faire face à une rupture du front ou à une surprise stratégique que toute guerre ne manque pas de comporter [23], la plupart d’entre elles étant de surcroît stationnées dans l’est de la France et non au centre du dispositif français. Et ce facteur sera déterminant dans son incapacité à faire face à la percée allemande dans les Ardennes et à ses conséquences : l’encerclement puis la perte du corps de bataille engagé en Belgique.

22En ce domaine, l’hypothèse suisse a joué un rôle non négligeable puisqu’elle a été à l’origine de la constitution d’un groupe d’armées no 3, regroupant les deux armées destinées à être engagées, la 8e armée, stationnée dans le Haut-Rhin, et la 6e armée, ex-armée initiale des Alpes en 1939 et seule armée de réserve à la disposition du haut commandement depuis l’affectation de la 7e armée à la manœuvre Dyle-Breda, destinée à mettre en œuvre les divisions de réserve générale affectées à l’intervention en Suisse et stationnées en arrière de ce front éventuel. Au total, l’hypothèse suisse a mobilisé et immobilisé la valeur de 10 à 13 divisions qui, à l’évidence, auraient été beaucoup plus utiles ailleurs. Et elle ne sera que tardivement abandonnée puisqu’il faudra attendre les 19-20 mai pour que le dispositif français soit profondément réorganisé pour tenter de faire face à la situation désastreuse créée par la percée de Sedan.

Les forces mobilisées

23À la déclaration de guerre et à l’issue de la mobilisation, la 6e armée, commandée par le général Besson, occupe le front des Alpes pour s’opposer à une éventuelle attaque italienne. Elle est alors composée de 11 divisions, la plupart de type alpin, articulées en trois corps d’armée ainsi que de trois secteurs fortifiés (de Savoie, du Dauphiné et des Alpes-Maritimes) de la valeur d’une division chacun, pour un total de 550 000 hommes.

24L’Italie adoptant provisoirement une position de non-belligérance affichée, le dispositif français est alors rapidement remanié et allégé en octobre-décembre 1939. Sept divisions sont progressivement retirées, seules quatre divisions d’infanterie sont maintenues (64e, 65e, 66e DI et 2e DIC sur la côte méditerranéenne) et les effectifs tombent à 250 000 puis 175 000 hommes seulement. La 6e armée cède alors la place à une simple armée des Alpes, sans numérotation, commandée par le général Olry et dont l’état-major est considérablement réduit [24]. Cette nouvelle armée des Alpes constitue plus un détachement d’armée qu’une armée à part entière.

25La 6e armée ne disparaît pas pour autant. Privée d’unités et réduite à une structure de commandement et de services, elle est mise en réserve en arrière du front dans le cadre de l’hypothèse suisse. Complémentairement et dans la même perspective, le général Besson est désigné à la tête d’un nouveau groupe d’armée, le GA 3, dont la mission est de faire face à une éventuelle attaque allemande par la Suisse [25]. Ses composantes sont la 8e armée, stationnée dans le sud de l’Alsace (Haut-Rhin) et qui regroupe sept divisions, ainsi qu’un GRCA (groupe de reconnaissance de corps d’armée) et trois régiments d’artillerie organiques non endivisionnés, le 45e corps d’armée de forteresse stationné dans le Jura et composé de deux divisions [26], ainsi que la 6e armée commandée par le général Touchon, dont le rôle est de se voir attribuer les divisions de réserve générale nécessaires pour une intervention en Suisse.

26Sont donc effectivement mobilisés par l’hypothèse suisse :

27— Deux corps d’armée de la 8e armée sur trois [27] : le 44e corps d’armée de forteresse (CAF) comprenant une division d’infanterie (la 67e DI de série B) et les trois secteurs fortifiés d’Altkirch, de Belfort et de Montbéliard [28] d’une valeur totale d’une division (deux RIF, une demi-brigade de chasseurs pyrénéens et différents groupes d’artillerie) ; le 7e CA comprenant deux DI (les 13e et 27e DI, la première d’active et la seconde de série A, de type alpin) et une brigade de spahis (2e BS) à deux régiments. Soit un total de quatre divisions, auxquelles il faut ajouter les EOCA (éléments organiques de corps d’armée), soit un GRCA, deux régiments supplémentaires d’artillerie, deux bataillons de chars Renault R35 (16e et 17e BCC) et deux autres (18e et 36e BCC) équipés de chars Renault FT17 anciens.

28— Les deux corps d’armée de la 6e armée : le 45e CAF comprenant deux DI (les 57e et 63e DI de série B), le secteur fortifié du Jura central tenu par trois demi-brigades d’infanterie et un régiment d’artillerie organique supplémentaire ; un nouveau corps d’armée intégrant les trois divisions de réserve supplémentaires attribuées à l’intervention en Suisse.

Les réserves attribuées

29En effet, parmi les réserves, pourtant particulièrement peu nombreuses, à la disposition du GQG et des généraux Gamelin et Georges [29], a été défini un « lot suisse » prépositionné à proximité de ce théâtre d’opérations éventuel. Il est composé de cinq divisions d’infanterie : deux divisions de type alpin, les 28e DI (série A) stationnée dans le Jura et 29e DI (active) en Haute-Saône, ainsi que les 5e DIC (série A) en Haute-Saône également, 7e DINA (en formation) dans le Doubs et 2e division d’infanterie polonaise (en formation) dans le Jura. Il est prévu que trois d’entre elles soient attribuées dans un premier temps à la 6e armée.

30Dans le cadre de l’hypothèse d’une intervention en Suisse, il est donc prévu de faire intervenir au minimum la valeur de dix divisions organisées en quatre corps d’armée, auxquelles pourraient éventuellement s’ajouter encore dans une seconde phase, et en fonction de l’ampleur des opérations, un autre corps d’armée regroupant trois autres divisions et des éléments de réserve générale non endivisionnés à la disposition du haut commandement [30].

31Sans être considérables à proprement parler, ces forces mobilisées et immobilisées par l’hypothèse suisse ne sont nullement négligeables pour autant puisqu’elles représentent la valeur moyenne d’une armée à part entière, et environ 10 % des 95 grandes unités constituées et engagées en France en mai 1940. Et ce d’autant plus que la 6e armée constituait également la seule armée en réserve à la disposition du haut commandement, depuis l’attribution de la 7e armée du général Giraud au groupe d’armées no 1 dans le cadre de la manœuvre Dyle-Breda d’intervention en Belgique.

32De toute évidence, l’hypothèse suisse a fixé inutilement un nombre relativement conséquent de grandes unités qui auraient été beaucoup plus utiles et ont fait défaut là où la campagne de France s’est véritablement jouée en 1940.

Conclusion

33On le voit, l’hypothèse suisse a fait l’objet d’une grande attention et a mobilisé beaucoup d’énergies et de temps, y compris de la part des plus hauts responsables de l’armée – les généraux Gamelin, Georges, Besson, Garchery et Touchon – ainsi que de moyens relativement conséquents. Elle ne sera que très tardivement abandonnée puisqu’il faudra attendre les 19-20 mai pour que le dispositif français soit réorganisé en profondeur, et dans la plus grande urgence, pour tenter de faire face à la situation désastreuse créée par la percée de Sedan, preuve supplémentaire de l’inertie du haut commandement.

34À cette date, la plupart des grandes unités concernées changent d’affectation [31], le GA 3 du général Besson, auquel est toujours rattachée la 6e armée du général Touchon [32] ainsi que les nouvelles 7e armée reconstituée et 10e armée, est transféré sur le front Somme-Aisne-Ailette pour tenter de reconstituer un front continu de la mer à la ligne Maginot. Pour leur part, la 8e armée, fortement réduite, ainsi que le 45e CAF du Jura sont rattachés au GA 2 du général Prételat en charge de la défense de la ligne Maginot [33].

35L’hypothèse suisse, simple mais durable spéculation d’état-major dépourvue de tout fondement objectif, s’évanouit définitivement et, le 17 juin, le général Guderian atteint la frontière suisse à Pontarlier dans le Jura à la tête de sa Panzergruppe constituée de quatre Panzerdivisionen et de deux divisions motorisées, mais après avoir rompu le front de l’Aisne le 10 juin [34] et sans avoir emprunté la voie du plateau suisse. Seul le 45e CAF échappera au désastre et à la capture puisque, toujours sous le commandement du général Daille, ses grandes unités (67e DI, 2e BS, 2e DIP), acculées à la frontière, pourront se réfugier en Suisse à partir du 19 juin pour se faire interner [35], dernier avatar et épilogue d’une opération restée totalement virtuelle.

36Lors de son voyage pour rejoindre sa nouvelle affectation, le général Besson dépose à Dijon les archives des opérations envisagées en Suisse, qui seront retrouvées par les Allemands à la Charité-sur-Loire, où elles avaient été évacuées en juin 1940. Transférées en Allemagne, elles seront utilisées au cours de la guerre pour faire pression sur le gouvernement suisse et l’inciter à se montrer plus coopératif, avant de disparaître à la fin de la guerre. Selon certaines sources [36], les archives suisses de cette coopération auraient également disparu à l’initiative des acteurs concernés.

37Leur histoire ne s’arrête pourtant pas nécessairement là puisque, selon d’autres sources, dans les années 1950 « quand les Alliés se proposèrent de publier l’accord de coopération passé par Guisan avec le commandement français en 1940, le Conseil fédéral s’en émut vivement, et Berne tenta de bloquer sa sortie. À cette occasion, le conseiller fédéral Max Petitpierre [il ne s’agit pas du chef d’état-major du futur général Guisan ayant rencontré les généraux Gamelin et Georges le 31 juillet 1939] lança un signe sans équivoque en direction des Américains : il leur fit savoir que de telles conventions militaires pourraient redevenir tout à fait d’actualité, notamment dans le contexte d’une éventuelle collaboration avec l’OTAN, mais à la condition que soit respectée une discrétion absolue, autant sur les accords actuels que sur ceux conclus dans le passé » [37]. Bien après son abandon et dans des contextes bien différents, la coopération militaire provisoire franco-suisse a donc encore servi de ressource et d’argument dans la redéfinition des relations entre la Suisse et d’autres États.


Date de mise en ligne : 01/12/2008

https://doi.org/10.3917/gmcc.230.0059

Notes

  • [1]
    Cette question est abordée à de nombreuses reprises par le général Gamelin dans ses mémoires (publiés sous le titre Servir) et tout particulièrement le tome III. Il en attribue l’entière responsabilité au général Georges, commandant en chef du théâtre d’opération Nord-Est.
  • [2]
    Sur les enjeux politiques et diplomatiques des relations franco-suisses, voir J.-C. Allain, « La France et les neutralités helvétique et espagnole en 1939-1940 », dans Colloque international des Universités de Neuchâtel et Berne, Les États neutres européens et la Seconde Guerre mondiale, Neuchâtel, Éditions de La Baconnière, 1985, p. 337-356 ; et plus largement : H.-U. Jost, Le salaire des Neutres. Suisse, 1938-1948, Denoël, 1999.
  • [3]
    Voir, dans cette perspective, P. Garraud, « Le rôle de la “doctrine défensive” dans la défaite de 1940 : une explication trop simple et partielle », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 214, avril-juin 2004, p. 97-123 ; et « L’idéologie de la défensive et ses effets stratégiques : le rôle de la dimension cognitive dans la défaite de 1940 », Revue française de science politique, vol. 54 (5), octobre 2004, p. 781-810.
  • [4]
    Voir, à ce propos, général B. Chaix, Fallait-il entrer en Belgique ? Décisions stratégiques et plans opérationnels de la campagne de France, Economica, 2000 ; « Les plans opérationnels de 1940 : aller ou non en Belgique ? », dans C. Levisse-Touzé (dir.), La campagne de 1940, Tallandier, 2001, p. 52-62.
  • [5]
    « Dans sa thébaïde de Vincennes, le général Gamelin me fit l’effet d’un savant, combinant en laboratoire les réactions de sa stratégie », écrit le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre après sa rencontre avec lui pour lui annoncer son intention de lui confier le commandement de la 4e DCR dès qu’elle serait constituée (L’appel, t. I, Plon, 1954, rééd. Presses-Pocket, 1980, p. 39).
  • [6]
    En revanche, différentes opérations de plus ou moins grande ampleur de franchissement du Rhin en Alsace ont été étudiées par le groupe d’armées C du général von Leeb : Fall Grün (Plan vert), Fall Braun (Plan brun), Bär (Ours). Voir à cet égard R. Bruge, Histoire de la ligne Maginot, t. 3 : Offensive sur le Rhin. La grande opération amphibie de juin 1940, Fayard, 1977, p. 20-26.
  • [7]
    P. Garraud, « La politique de fortification des frontières de 1925 à 1940 : logiques, contraintes et usages de la “ligne Maginot” », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 226, avril-juin 2007, p. 3-22.
  • [8]
    M. Gamelin, Servir, t. III : La guerre, Plon, 1947, p. 20-23.
  • [9]
    Dès 1936 et le lancement d’un emprunt exceptionnel de défense nationale, l’armée suisse entreprend sa modernisation et son réarmement. Au terme de sa réorganisation de 1938 et de la mise en œuvre du « service actif », l’armée suisse est organisée en trois corps d’armée et comporte neuf divisions à trois régiments chacune, auxquels s’ajoutent trois brigades de montagne autonomes et trois brigades légères. À la mobilisation, elle regroupe alors plus de 430 000 hommes et un quatrième corps d’armée est créé.
  • [10]
    Initialement, elle devait s’accompagner d’études analogues en vue d’une coopération avec l’Allemagne dans l’hypothèse inverse de la violation de la neutralité helvétique par la France, mais qui ne seront jamais réalisées.
  • [11]
    Existe en effet au sein de l’armée un groupe d’officiers germanophiles dont la figure dirigeante est le commandant de corps Wille, fils du précédent général de l’armée suisse en 1914-1918.
  • [12]
    Aujourd’hui, son rôle est plus justement réévalué et, après la défaite de la France, il apparaît clairement que la politique militaire suisse est de plus en plus subordonnée à une politique économique et commerciale fortement marquée par la dépendance à l’égard de l’Allemagne. Voir, à ce domaine, H.-U. Jost, op. cit., p. 96-97 ; W. Gautschi, Le général Guisan : le commandement de l’armée suisse pendant la Seconde Guerre mondiale, Lausanne, Payot, 1991 ; et les travaux de la Commission indépendante d’experts (CIE) dite commission Bergier, du nom de son président, composée d’historiens et chargée de 1996 à 2002, et à l’initiative de l’Assemblée fédérale, d’étudier le rôle de la Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale ((((www. uek. ch/ fr/ index. htm),ainsi que les débats et controverses qu’ils ont produits.
  • [13]
    Son journal a été partiellement publié après guerre. Malheureusement, il ne commence que le 11 juin 1940, date à laquelle il devient chef de l’état-major particulier du général Guisan, en remplacement du lieutenant-colonel Gonard, fonction qu’il conservera pendant toute la durée de la guerre, et ne dit mot de son rôle dans les relations entre les hauts commandements français et helvétique (B. Barbey, PC du général. Journal du chef de l’état-major particulier du général Guisan, 1940-1945, Neuchâtel, Éditions de La Baconnière, 1948).
  • [14]
    R. Fontbonne, « Les projets français d’intervention en Suisse, 1939-1940 », Histoire de Guerre, no 56, mars 2005, p. 16-21.
  • [15]
    Seul l’entourage immédiat du général Guisan, très fortement lié à lui par des relations personnelles, est informé : le major Gonard, chef de son état-major particulier, le colonel de Tscharner, lieutenant-colonel de la Légion étrangère, bien introduit dans les milieux militaires français, mais de nationalité suisse. Le colonel Masson, chef du SR de l’EMG, pourtant proche et supérieur direct du capitaine Barbey, n’est même pas dans la confidence (R.-H. Wüst, Alerte en pays neutre. La Suisse en 1940, Lausanne, Payot, 1966, p. 67-69).
  • [16]
    D. Pedrazzi, « Les planifications franco-suisses de 1936 à 1940 », dans C. Levisse-Touzé (dir.), La campagne de 1940, Tallandier, 2001, p. 512.
  • [17]
    Ces opérations étant restées purement virtuelles, il ne paraît pas nécessaire d’entrer trop dans le détail des modalités devant être mises en œuvre.
  • [18]
    L’attitude italienne demeurant incertaine à la mobilisation, la 6e armée se voit affectée à la défense des Alpes, d’où le recours à une nouvelle armée, la 7e, pour l’intervention éventuelle en Suisse. Ce n’est qu’ultérieurement, en octobre 1939, que l’armée des Alpes sera privée de la majorité de ses grandes unités, affectées ailleurs, et réduite à un détachement d’armée, la structure armée (état-major et services) étant alors mise en réserve dans le cadre de la mise en œuvre éventuelle de l’hypothèse suisse (voir plus bas).
  • [19]
    À cette date, l’armée française ne comprend que sept DIM et deux DLM.
  • [20]
    La mobilisation générale est cependant de courte durée et dès la fin de l’année, les effectifs retombent à 281 000 hommes puis à 174 000 hommes en février 1940 (H.-U. Jost, op. cit., 95-96). La mobilisation générale est cependant de nouveau proclamée le 10 mai 1940 et, en mai-juin, des combats aériens opposent l’aviation de chasse suisse à des appareils allemands empruntant l’espace aérien helvétique lors de leur retour de missions en France. Ils se solderont par la perte d’environ dix avions allemands abattus (R.-H. Wüst, op. cit., annexe A, « Les opérations conduites par l’aviation militaire suisse en mai et juin 1940 », p. 141-142).
  • [21]
    R. Fontbonne, art. cité.
  • [22]
    M. Gamelin, Servir, t. III : La guerre, op. cit., p. 340-342.
  • [23]
    « L’action de guerre revêt essentiellement le caractère de la contingence – soulignait le général de Gaulle. Le résultat qu’elle poursuit est relatif à l’ennemi, variable par excellence : l’ennemi peut se présenter d’une infinité de manières ; il dispose de moyens dont on ignore la force exacte ; ses intentions sont susceptibles de suivre bien des voies. D’ailleurs, le terrain n’est jamais constant ; les événements portent l’action dans telle région, puis dans telle autre [...]. Les moyens que l’on commande n’ont aucune valeur absolue : le rendement du matériel, la force morale des troupes varient dans d’énormes limites suivant l’occasion » (Le fil de l’épée, Berger-Levrault, 1944 (2e éd.), p. 1-2).
  • [24]
    F. Guelton, « La bataille des Alpes (2 septembre 1939 - 25 juin 1940) », dans C. Levisse-Touzé (dir.), La campagne de 1940, op. cit., p. 221-239.
  • [25]
    M. Gamelin, op. cit., p. 98-99.
  • [26]
    Pour ce qui est de l’organisation détaillée de l’armée française en mai 1940, voir C. Chapon, « L’armée de terre française : le 2 septembre et le 9 mai 1940 », Revue historique des armées, no 4, 1979, p. 164-192 ; « Ordre de bataille au 10 mai 1940 » : hhhhttp:// france1940. free/ oob/ fr_oob. html ;« Divisions françaises en mai 1940 » : hhhttp:// alain. adam. free. fr/ france. html.
  • [27]
    Son troisième corps d’armée, le 13e CA, qui assure plus au nord la défense de Colmar et Mulhouse avec quatre autres divisions (19e DI d’active et 54e DI de série B, 104e et 105e DIF), un GRCA et un régiment d’artillerie organiques, n’est pas directement concerné à ce stade.
  • [28]
    Qui, au vrai, n’ont de fortifiés que le nom dans la mesure où ils ne comportent aucune véritable fortification type ouvrages CORF (commission d’organisation des régions fortifiées, en activité de 1927 à 1935). Il serait plus juste de parler d’organisation défensive.
  • [29]
    15 divisions en tout et pour tout, dispersées du sud de Sedan à la frontière suisse et dont l’acheminement nécessitait des délais incompatibles avec le rythme des opérations imposé par l’armée allemande et certains de ses généraux.
  • [30]
    Côté allemand, seules les quatre divisions de position (Stellungsdivisionen) de la 7e armée du général Dollmann assurent la défense statique du cours inférieur du Rhin face à l’Alsace au printemps 1940. Ces unités de la série 550 sont de création très récente, très pauvrement équipées et ne disposent que de très peu de moyens de transport et d’aucun char. Ce n’est qu’à la fin du mois de mai, alors que le dispositif français est totalement réorganisé et nouveau témoignage de son inadaptation complète, qu’elles seront renforcées par trois autres divisions de la série 200, en vue du franchissement du Rhin dans le secteur de Marckolsheim, au nord de Colmar, qui interviendra le 15 juin (opération Kleiner Bär, Petit ours). Voir, à ce propos, R. Bruge, op. cit., p. 25-28.
  • [31]
    Les 27e et 28e DI sont affectées à la 6e armée, les 19e, 29e DI et 7e DINA à la 7e armée et la 13e DI et la 5e DIC à la 10e armée. La 8e armée perd également la 19e DI et le 45e CAF ses deux divisions initiales qui sont remplacées par la 67e DI et la 2e DIP (polonaise).
  • [32]
    Leur mise en place a été permise, rappelons-le, par les deux reconnaissances offensives conduites, les 17 et 19 mai, à partir de Laon par le général de Gaulle à la tête de la 4e DCR en direction de Montcornet et de Crécy-sur-Serre. Voir, à cet égard, G. Saint-Martin, « Les combats de la 4e division cuirassée : après le char papier, le char métal », dans Fondation Charles de Gaulle, Charles de Gaulle, 1920-1940. Du militaire au politique, Plon, 2004, p. 180-197.
  • [33]
    A. Doumenc, « Journal du GQG », dans F. Delpla, Les papiers secrets du général Doumenc. Un autre regard sur 39-40, Olivier Orban, 1992, p. 248-256.
  • [34]
    H. Guderian, Souvenirs d’un soldat, Plon, 1954, p. 107-122 ( « La percée vers la frontière suisse » ).
  • [35]
    Voir R.-H. Wüst, op. cit., p. 89-91 ; B. Barbey, op. cit., p. 21-24.
  • [36]
    G. Kreis, Auf die Spuren von La Charité. Die schweizerische Armeeführung im Spannungsfeld des deutsch-französischen Gegensatzes, 1936-1941, Bâle-Stuttgart, Helbing & Lichtenhahn, 1976, cité par D. Pedrazzi, art. cité, p. 512.
  • [37]
    H.-U. Jost, op. cit., p. 343. Selon lui, « après quelques hésitations, les Anglo-Américains publièrent néanmoins ce dossier dérangeant pour la Suisse. Et en 1960 parut à Londres un volume de documents relatifs à la politique étrangère allemande, qui contenait des informations aussi bien sur les négociations du général Guisan avec le commandement français que sur les relations du commandant de corps Wille avec l’ambassade d’Allemagne à Berne ».

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