Notes
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[1]
Le Hedjaz sera finalement intégré à l’Arabie Saoudite en 1932.
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[2]
Lawrence s’illustra par son action déterminante au sein des tribus bédouines qu’il engagea dans une politique de guérilla contre les armées turques, à partir de mars 1917, contre notamment la voie ferrée Damas-Médine, seule voie de ravitaillement des Turcs en Arabie. En mai, Lawrence s’empare du port d’Aqaba avec l’aide de la tribu des Houwaytât. L’application de sa tactique de harcèlement et de coups de main contribue largement au retrait des troupes turques d’Arabie, mais aussi de Palestine et de Syrie. Et surtout, il fut un conseiller militaire de Hussein et de son fils l’émir Fayçal (1883-1933), prince et chef des forces arabes du Hedjaz et qui devint roi d’Irak en 1921. On estime même qu’il fut à l’origine des accords secrets conclus entre le résident britannique en Égypte, Sir Henry Mac Mahon, et le chérif Hussein de La Mecque en 1916.
-
[3]
Brémond notait d’ailleurs un proverbe arabe qu’il fit sien dans un de ses ouvrages : « Celui qui compte sur l’appui des Bédouins ressemble à un homme qui voudrait bâtir sa maison sur l’eau » (Brémond, Le Hedjaz dans la Guerre mondiale, Payot, 1931, p. 32).
-
[4]
Voir Pascal Le Pautremat, « La Commission interministérielle des affaires musulmanes (1911-1937) : une institution méconnue », Revue d’histoire diplomatique, no 4, 1999.
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[5]
Il doit être accompli au moins une fois dans une vie et dans les trois derniers mois de l’année musulmane qui compte 354 jours répartis en 12 mois lunaires L’année lunaire compte 12 mois de 29 ou 30 jours chacun, et est plus courte, de 11 jours, que l’année chrétienne. On note les mois suivants : Moharrem (janvier) ; Safar ; Rebiaa El Aouel ; Rebiaa et Tsani (avril) ; Joumada el Aoula ; Joumada et Tsania ; Redjeb ; Chaabane ; Ramadhane ; Chaoual ; Dzou el Kaaba ; Dzou el Hijja (décembre).
-
[6]
Coran, chap. II, verset 193.
-
[7]
Bulletin de renseignements des questions musulmanes du 22 août 1916, SHAT (Vincennes).
-
[8]
Sidi Abdelkader Ben Ghabrit (1868-1954) est né à Sidi bel Abbès le 1er novembre 1868. Il effectue des études d’arabe et de droit musulman, occupe ensuite les fonctions de conseiller en législation musulmane et d’interprète. En septembre 1892, il entre à la légation de France de Tanger, en tant que secrétaire interprète. Plus tard, il est consul à Fès, ministre plénipotentiaire honoraire, recteur de la Mosquée de Paris et directeur de l’Institut musulman de Paris. Il est également chef du protocole du Makhzen marocain et conseiller des sultans alaouites jusqu’à son décès à Paris, le 24 juin 1954.
-
[9]
Lettre, datée du 2 août 1916, du président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, au ministre de la Guerre sur cette mission et le pèlerinage, P.-V. du 3 août 1916, 2 MI 102, 8e vol., fol. 129-131, CAd (Nantes).
-
[10]
Cela répond au vœu de Briand qui souhaitait même que le premier groupe de la mission soit constitué de six membres, à raison de deux pour chacune des possessions françaises d’Afrique du Nord, Maroc, Tunisie et Algérie, et qu’ils soient désignés par le général Lyautey, M. Lutaud et M. Alapetite. Briand propose aussi la nomination, à la tête du premier groupe, de Ben Ghabrit.
-
[11]
Les membres de la mission politique sont Si Kaddour Ben Ghabrit, chef du protocole de Sa Majesté Chérifienne, chef de la mission. Puis viennent les personnalités suivantes : Agha Sarhaoui, délégué algérien ; Chedly Okby, délégué tunisien ; Si Ahmed Ben El Hadj Skiredji, délégué marocain ; Si Abdou Kane, délégué de l’Afrique Occidentale ; Si Mustapha Cherchali, délégué algérien ; Hadj Larbi Ben ech Cheikh, délégué tunisien ; Kessous Mohamed Ben Youssef, secrétaire de la Mission ; Si Ali Malek, secrétaire de la Mission. Cf. P.-V. du 13 novembre 1916, fol. 42, 2 MI 102, 8e vol., CAd (Nantes).
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[12]
Lettre du président du Conseil Briand au ministère des Affaires étrangères, en date du 12 février 1917, 7 N 2140 : État-Major de l’Armée (1916-1918), SHAT (Vincennes). Aristide Briand, au cours de sa carrière politique, fut 23 fois ministre, dont 18 fois aux Affaires étrangères, et 11 fois président du Conseil.
-
[13]
La Société des Habous rassemble divers délégués d’Afrique du Nord. Elle compte 7 membres fondateurs (2 Algériens, 2 Tunisiens, 2 Marocains et 1 délégué de l’AOF) qui remettent les pleins pouvoirs à Si Abdelkader Ben Ghabrit, nommé plus tard Si Kaddour Ben Ghabrit. S’ajoutent à eux, 7 membres honoraires : Le ministre de la Justice du gouvernement chérifien : le cheikh Choaib Doukali ; le Grand Vizir honoraire du gouvernement chérifien : Sid El Hadj Mohammed Ben Abdemlam El Mokri ; le cheikh Sidi Ahmed Beiram (de la Tunisie) ; Le cheikh Sidi Ahmed Chérif Bach, Mufti Malékite à Tunis ; Le cadi de Tlemcen : le cheikh Choaib Abou Bekr Ben Ali Chérif El Djelili ; Le cheikh Mohammed Arezki Ben Ali Ben Nacer, Mufti malékite d’Alger ; Le cheikh Mohammed Errouaz, mufti d’Oran.
-
[14]
Note pour la direction des fonds et de la comptabilité, émanant de la direction des Affaires politiques et commerciales du ministère des Affaires étrangères, en date du 6 janvier 1918, fol. 5 et s., cf. série Guerre 1914-1918 / sous-série Hedjaz, microfilm P 1462, vol. 1710 : Hôtelleries de La Mecque (décembre 1916 - avril 1918), MAE (Paris).
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[15]
Télégramme du ministre des Affaires étrangères au résident général de Rabat pour Ben Ghabrit, le 18 janvier 1917, fol. 12, série Guerre 1914-1918 / sous-série Hedjaz, microfilm P 1462, vol. 1710 : Hôtelleries de La Mecque (décembre 1916 - avril 1918), MAE (Paris).
-
[16]
Télégramme de Defrance au ministre des Affaires étrangères, en date du 21 janvier 1917, fol. 17, ibid.
-
[17]
Exposé de Jean Gout devant la CIAM qu’il préside en tant que ministre plénipotentiaire, sous-directeur des Affaires d’Asie et d’Océanie au ministère des Affaires étrangères, P.-V. du Paris 3 août 1916 (fol. 125-145), 2 MI 102, 8e vol., fol. 127, CAd (Nantes), bulletin de renseignements des questions musulmanes du ministère de la Guerre du 22 août 1916, 7 N 2081, État-Major de l’Armée, Section d’Afrique, SHAT (Vincennes).
-
[18]
Exposé de Gout devant la CIAM, P.-V. du 3 août 1916 (fol. 125-145), 2 MI 102, 8e vol., fol. 127, CAd (Nantes).
-
[19]
Copie de la lettre d’instructions du président du Conseil, ministre des Affaires étrangères Briand, en date du 9 septembre 1916, reçue par Si Kaddour Ben Ghabrit, fol. 8, 7 N 2140 : État-Major de l’Armée (1916-1918) ; mouvement arabe, panarabisme, SHAT (Vincennes).
-
[20]
Ibid.
-
[21]
Lettre, datée du 2 août 1916, du président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, au ministre de la Guerre sur cette mission et le pèlerinage, P.-V. du 3 août 1916, 2 MI 102, 8e vol., CAd (Nantes). Voir aussi le bulletin de renseignements du ministère de la Guerre, en date du 22 août 1916.
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[22]
Lettre no 5 089-9-11 en date du 8 août 1915, du ministre de la Guerre au ministre des Affaires étrangères.
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[23]
Elle se compose des bâtiments suivants : Pothuau, Jaureguiberry, Requin, la 7e escadrille de torpilleurs, la division de patrouille de Syrie et des chalutiers.
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[24]
Il est remplacé le 4 mars 1917 par le contre-amiral Varney.
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[25]
Hussein est en effet battu le 19 octobre 1916.
-
[26]
Cité par Christophe Leclerc, Avec T. E. Lawrence en Arabie. La mission militaire française au Hedjaz, 1916-1920, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 75.
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[27]
P.-V. du 13 novembre 1916, fol. 48, 2 MI 102, 8e vol., CAd (Nantes).
-
[28]
Rapport du 8 novembre 1917, du colonel Brémond envoyé en mission à La Mecque en 1917, P.-V. du 6 décembre 1917, cité., fol. 133-138.
-
[29]
Ibid., fol. 138 et s.
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[30]
Lettre du président du Conseil au ministre de la Marine, en date du 23 janvier 1917.
-
[31]
Voir à ce sujet p. 191-209 : Pascal Le Pautremat, La politique musulmane de la France au XXe siècle. De l’Hexagone aux terres d’Islam. Espoirs, réussites, échecs, préface de Charles-Robert Ageron, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003, 565 p.
-
[32]
Un autre escadron de spahis, le 8e du 4e régiment, perdit ses chevaux au cours d’un naufrage et combattit à pied.
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[33]
Docteur en histoire contemporaine, chargé de cours en histoire et géopolitique dans l’enseignement supérieur. Auteur de La politique musulmane de la France au XXe siècle ; de l’hexagone aux terres d’Islam. Espoirs, réussites et échecs, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003, 564 p.
1Les décennies de transition entre les XIXe et XXe siècles constituent la véritable phase d’envergure coloniale pour la France. Les autorités gouvernementales, face à la concurrence britannique, aspirent à disposer d’une solide assise au Proche-Orient, plus précisément au niveau des Lieux saints de l’Islam. Concrètement, cette perspective répond à plusieurs objectifs : contrecarrer la politique anglaise dans la région, anticiper d’éventuelles actions ottomanes – l’Empire ottoman étant allié à l’Allemagne honnie – et, enfin, contribuer à fortifier l’image d’une France amie de l’Islam ; une image précieuse à partir de la Première Guerre mondiale, pour conforter le pouvoir français dans ses propres possessions coloniales, à forte population musulmane.
2Une analyse approfondie de ces aspects convergents de la politique étrangère de la France pourrait nous amener à nous étendre excessivement. Aussi avons-nous pris le parti de nous intéresser à un cas précis qui, en dépit de son aspect réducteur, témoigne clairement de cette logique d’expansionnisme français. Il s’agit en effet de la mission, politico-religieuse et militaire à la fois, envoyée au Hedjaz en 1916 ; entreprise probante de cette conjoncture où l’anticipation est de mise pour contrebalancer – du moins le croit-on alors – les actions géopolitiques adverses ou concurrentes. Le rôle particulier du colonel Brémond, qui fut à la tête de la mission au Hedjaz, offre aussi l’occasion de montrer combien les Lieux saints constituent un lieu stratégique pour la France qui, année après année, favorise les pèlerinages de musulmans depuis ses possessions territoriales, afin de se montrer « l’amie de l’Islam », selon l’expression employée à l’époque.
3Le Hedjaz constitue un espace clé à l’heure des tensions entre Britanniques et Français, quant à leur capacité respective à s’implanter durablement en terre arabe, mais surtout à mener la guerre contre l’Empire ottoman. Le Hedjaz, de surcroît, abrite les villes saintes de l’islam, Médine et La Mecque, lieu de convergence annuelle de centaines de milliers de pèlerins. D’où l’importance d’être présent d’une manière ou d’une autre dans les Lieux saints pour endiguer toute propagande panislamique susceptible d’influencer les pèlerins issus des territoires français.
4L’année 1916 est déterminante puisqu’elle marque le début de la révolte arabe contre la mainmise ottomane sur le Hedjaz et l’instauration d’un royaume indépendant qui perdure jusqu’en 1926, sous la conduite du chérif Hussein Ibn Ali (1856-1931) devenu chérif de La Mecque en 1908. C’est au début de la Première Guerre mondiale qu’Hussein, dissimulant de moins en moins ses aspirations à une lutte nationaliste contre les Turcs, entre en contact avec les Anglais, en particulier avec Sir Henry McMahon, haut-commissaire britannique en Égypte. En juin 1916, Hussein lance la révolte arabe contre les troupes ottomanes. Bien qu’il se proclame roi des Arabes, les Anglais ne lui reconnaissent que la souveraineté sur le Hedjaz [1]. Dans ce contexte donc, le gouvernement français souhaite agir de manière décisive. En fait, le Hedjaz devient bientôt une zone d’intérêt pour le gouvernement français – sans être pour autant une priorité – suite aux appels de plus en plus prononcés du chérif Hussein, à partir d’août 1916, pour recevoir l’appui et le soutien de la France. Certes, Hussein obtient finances et équipements des Britanniques pour lutter contre les Ottomans. Mais c’est sans doute cette incapacité ou ce refus de Londres d’aller au-delà qui incite Hussein à solliciter le renfort des Français qui, en toute logique, souhaitent profiter de cette opportunité pour réamorcer une représentation nationale significative dans cette région, « aux portes » de la Palestine et de la Syrie ; territoires que Paris souhaite contrôler à terme.
5Et comme à chaque fois en pareil cas, le recours aux militaires est inévitable, phénomène récurrent tout au long de l’épopée coloniale. Les cadres habitués aux missions en territoire extérieur, fins connaisseurs des cultures locales et des hommes, s’avèrent de précieux spécialistes et agents d’intervention. En l’occurrence, le lieutenant-colonel Édouard Brémond (1868-1948) apparaît comme le vecteur central de la mission au Hedjaz en 1916. Une mission dont l’autorité politique attend beaucoup et qui, finalement, souffre plus ou moins largement d’un constat d’échec, à cause justement de ce même pouvoir politique et technocrate, ce qui est d’ailleurs une autre constante dans l’histoire contemporaine française ; rarement, le pouvoir politique, imbu de ses prérogatives, ne se remet en cause.
LE LIEUTENANT-COLONEL BRÉMOND, UN RÔLE PRÉCURSEUR ?
6Le lieutenant-colonel Brémond ne peut être, toutefois, considéré à part entière comme un élément unique impliqué dans une démarche politique sans précédent. En effet, dans le cas de l’Égypte, par exemple, il existe, dès janvier 1915, une mission française installée au Caire et qui, du 13 juin 1915 au 24 août 1917 (date de sa dissolution), est réduite à un seul homme, le lieutenant Doynel de Saint-Quentin. D’autre part, Brémond présente une carrière relativement classique de l’officier français, puisqu’il entre à Saint-Cyr en 1888 et intègre la promotion « Du Grand Triomphe ». En pleine conquête de l’Afrique du Nord, il intervient dans le Sud algérien, au 1er régiment de tirailleurs algériens (RTA), puis à Madagascar avant de retourner, après un passage à l’École supérieure de Guerre (1899-1901), en Algérie où il est affecté à l’état-major de la division de Constantine (1901-1904), avant de servir au 2e régiment de tirailleurs algériens (1904-1907) et de gagner le Maroc. Il y est d’abord responsable de la police des ports marocains (1907-1908), chef adjoint de la mission militaire française au Maroc en 1909, administrateur de la ville de Rabat et sa banlieue (1912-1913), chef du service de renseignements de la colonne Henrys (mars-septembre 1913) aux Beni Mtir et, enfin, commandant d’armes à Kenitra (1913-1914). Avec le début de la Première Guerre mondiale, comme nombre de cadres de l’armée d’Afrique, il est rappelé en métropole en août 1914, et sert respectivement comme chef de corps aux 319e et 64e régiments d’infanterie. Blessé, il fut nommé chef de la mission militaire française en Égypte et au Hedjaz (août 1916 - décembre 1917). Brémond se révèle un homme ouvert, pourtant intégré à une société conservatrice, guère favorable par exemple à l’ouverture des grades d’officiers – du moins au-dessus des grades de lieutenants en général – aux « soldats indigènes », pour reprendre la nomenclature qui prévaut à cette époque. Or, Brémond, prenant acte de l’exemple du lieutenant-colonel Cadi et de l’armée d’Égypte, souhaite le développement de l’accession des musulmans aux grades d’officiers, à titre indigène, dans l’artillerie et dans la cavalerie.
7Brémond constitue aussi l’archétype de l’officier doté d’une solide culture générale et qui, animé d’un esprit patriote, affiche une nette méfiance vis-à-vis des Anglais, en pleine période de « compétition coloniale ». Il va d’ailleurs être confronté, au Hedjaz notamment, à Thomas Edward Lawrence (1888-1935), surnommé plus tard Lawrence d’Arabie [2] et qui, sans cesse, cherche à le placer en position inconfortable. Lawrence ne supporte pas Brémond, officier peu enclin à croire en la révolte arabe [3] et trop marqué, selon le Britannique, par les ambitions françaises en Syrie. Il reste que cet homme, sans avoir certes l’étoffe officielle du diplomate issu du Quai d’Orsay, remplit une fonction précieuse autant que délicate dans une conjoncture où il s’agit d’établir les passerelles qui doivent contribuer ultérieurement à édifier de véritables relations au Hedjaz. Édouard Brémond n’y intervient donc pas par hasard. Sa connaissance de la civilisation musulmane et surtout des mentalités en vigueur en terres d’Islam lui vaut déjà d’être sollicité à maintes reprises par la Commission interministérielle des affaires musulmanes ou CIAM (1911-1937), assemblée consultative dont les apports ont contribué à l’impulsion puis l’affirmation d’une politique musulmane au XXe siècle [4].
8Ainsi donc le Hedjaz représente-t-il un espace capital et sacré, compte tenu de la dimension religieuse du territoire, avec ses deux villes saintes : Médine, où se trouve le tombeau du prophète Mahomet, et La Mecque.
L’IMPORTANCE DES LIEUX SAINTS
9La Mecque et ses territoires environnants constituent un foyer saint, le Haram. La Mecque constitue aussi une véritable plaque tournante pour les échanges commerciaux entre la Syrie, l’Égypte et l’Abyssinie, d’une part, les pays du bassin de l’Euphrate, de la Perse et de l’Inde d’autre part. Elle entretient des relations économiques avec les nations maritimes par son port de Djeddah. Le foyer central de La Mecque est représenté par la Kaaba ou dé, temple de La Mecque et point de convergence, qibla, du monde musulman. La Kaaba, recouverte d’un grand voile noir bordé d’or et d’argent, conserve la pierre noire qui, selon la tradition musulmane, fut apportée par l’ange Gabriel à Abraham, défini comme le fondateur de l’Islam, et qui, transmise à son fils Ismaël, lui permit d’achever, sur ordre de Dieu, la reconstruction de la Kaaba initialement édifiée par Adam mais détruite par le Déluge.
10Le pèlerinage musulman revêt, bien évidemment, une dimension religieuse et est recommandé [5] par le Coran pour sa valeur purificatrice : « Celui qui l’entreprendra devra s’abstenir de femme, des transgressions des préceptes et des rixes. Prenez des provisions pour le voyage ; la meilleure provision est cependant la piété » [6] Le pèlerinage traduit aussi la force, l’unité et la solidarité de l’Islam en affirmant l’importance de la Umma, communauté des musulmans du monde entier, quelle que soit leur origine ethnique et géographique.
11Depuis les possessions françaises, le transport des pèlerins est assuré à partir de la côte sud de la Méditerranée avec escale à Bordeaux ou Marseille. De là, pris en charge par des agents spécialisés, les pèlerins embarquent sur des courriers en partance pour le Levant. D’autres gagnent les Lieux saints depuis un port britannique d’Afrique occidentale. Après une escale aux Canaries, ils touchent Tanger et prennent ensuite des caboteurs qui les conduisent à Alexandrie, Suez et Djeddah, port de La Mecque. Fin XIXe - début XXe siècle, les pèlerins se recrutent le plus souvent dans les classes moyennes et pauvres. Beaucoup s’endettent pour toute leur vie afin de pouvoir accomplir le pèlerinage. Pendant toute cette période sacrée, le pèlerin doit obligatoirement revêtir l’Ihram, pièce d’étoffe d’un seul tenant non cousue. À partir de son arrivée à Djeddah, il le garde soixante-huit jours, jusqu’à la fin des cérémonies à Mina, sans se laver, se raser et en restant chaste. Au terme de cette phase de purification, le pèlerin peut soit se rendre à Médine, pour se recueillir devant la tombe du Prophète, soit rentrer chez lui. Siècle après siècle, le pèlerinage se perpétue ainsi. Confronté à ce phénomène ancestral, les autorités coloniales prennent vite conscience de son caractère obligatoire et sacré.
LA MISSION AU HEDJAZ : DIMENSIONS POLITIQUE, RELIGIEUSE ET MILITAIRE
12En 1916, Hussein, chérif de La Mecque, se révolte contre son suzerain turc et se proclame roi du Hedjaz. La route du Hedjaz redevient libre et le pèlerinage reprend son cours normal. Une fois les Turcs chassés des Lieux saints et le blocus de l’Arabie levé, le gouvernement français autorise la reprise du pèlerinage [7].
13Sur proposition du ministre des Affaires étrangères Aristide Briand, une mission politico-religieuse et militaire française est envoyée à La Mecque en 1916, avant la clôture du pèlerinage, en vue de concilier les bonnes dispositions d’Hussein à l’égard de la France, et de faciliter son émancipation par des subsides. Cette mission, dirigée par le colonel Brémond, s’élabore au moment où il est question d’édifier deux hôtelleries auxquelles on souhaite associer Hussein. Ce rapprochement doit aussi contribuer à éviter à la France d’être évincée de la région par la Grande-Bretagne. Conformément au souhait de Briand, on prévoit la prise en charge par l’État des frais de voyage, jusqu’à Djeddah, de pèlerins destinés à accompagner la délégation officielle. Les pèlerins sont conduits par des notables algériens, tunisiens et marocains qui doivent apporter à l’Émir les félicitations et les cadeaux d’usage, au nom de l’État français, représenté par Si Kaddour Ben Ghabrit [8], mais aussi des populations musulmanes françaises, du bey de Tunis et du sultan du Maroc [9]. Cette mission doit être composée de deux groupes distincts, conformément au souhait de Briand [10]. Le premier groupe rassemble des personnalités musulmanes de la Société des Habous désignées par les représentants français du Maroc et d’Algérie, de Tunisie, de Madagascar et des établissements français de l’Inde [11].
14La réussite de la mission repose en partie sur la toute nouvelle Société des Habous dont l’impulsion revient à Si Kaddour Ben Ghabrit. Son objectif était d’acquérir un immeuble à Djeddah pour y établir un poste français, sous couvert d’hôtelleries, compte tenu de la pratique religieuse des lieux, en assurant soins médicaux et aide administrative aux pèlerins en provenance des possessions françaises qui voudraient s’y rendre. Par ailleurs, la création de la Société des Habous vise à doter des représentants de la communauté musulmane de l’empire colonial français de pouvoirs quasi diplomatiques, voire même d’entreprises. Ce projet fut approuvé par le président du Conseil, Briand, qui le fit même savoir aux résidents généraux à Tunis et à Rabat [12].
LA SOCIÉTÉ DES HABOUS ET L’ACQUISITION D’HÔTELLERIES
15La Société musulmane des Habous des Lieux saints est effectivement constituée, suite à une décision prise le 9 février 1917, l’acte de constitution étant rédigé le 16 février 1917. Son siège est fixé à la Grande Mosquée d’Alger, sous la présidence de Si Kaddour Ben Ghabrit [13]. Elle doit acquérir les deux immeubles, un à La Mecque, l’autre à Médine, constitués en habous, biens religieux inaliénables pour l’hébergement des pèlerins d’Afrique du Nord se rendant dans les Lieux saints. Elle prend ainsi la suite des confréries et des associations musulmanes qui, traditionnellement, s’appliquaient à faciliter le pèlerinage à La Mecque. Régie par le droit musulman, cette société agit pour le compte du sultan du Maroc, du bey de Tunis et du mufti d’Alger. Elle se charge donc de recueillir dans les pays d’Afrique du Nord, l’argent nécessaire pour que les hôtelleries des Lieux saints gardent leur caractère d’œuvre française.
16Bien que la Société des Habous ne soit constituée qu’en février 1917, Ben Ghabrit entreprend, dès la fin de l’année 1916, les démarches pour acheter un immeuble à La Mecque. Il passe un contrat, en vue de l’acquisition d’un immeuble, pour le prix convenu de 125 000 F en monnaie d’or, dont 2 000 sont versés à l’avance à titre d’arrhes. Le propriétaire de l’immeuble n’est autre que le ministre des Finances du Hedjaz, Si Ahmed Effendi Banaja. Mais en décembre 1916, le département des Affaires étrangères fait savoir à Si Ahmed Effendi Banaja que le gouvernement français lève l’option négociée par Ben Ghabrit, et le colonel Brémond est chargé de passer le contrat définitif de vente, par l’entremise du représentant de Ben Ghabrit, et de prendre possession de l’immeuble au nom du gouvernement français [14]. En fait, sous la pression de l’opinion mecquoise, peu favorable à la vente d’un immeuble à un État chrétien, le propriétaire de l’immeuble de La Mecque est prêt à faire jouer la clause du dédit au cas où le paiement des 123 000 F en or ne pourrait être effectué dans ce délai fixé. L’idée de gagner 2 000 F de dédit, tout en faisant œuvre pie, ne lui est pas non plus étrangère. Aussi le président du Conseil et ministre des Affaires étrangères Briand écrit-il au colonel Brémond pour qu’il précise au Chérif que l’immeuble vendu n’est pas destiné à un État chrétien, mais bien à une « société exclusivement musulmane », la Société des Habous [15].
17L’incident est définitivement réglé lorsque, le 21 janvier 1917, le ministre des Finances paie le propriétaire. L’acte de vente est dressé au nom du président de la Société musulmane des Habous des Villes Saintes [16]. Entre 1917 et 1918, l’édification des hôtelleries prend forme et apporte toutes les satisfactions espérées.
L’ÉLÉMENT MILITAIRE DE LA MISSION
18Le second groupe est composé d’officiers français, désignés par le ministère de la Guerre, « de race arabe et de religion musulmane » [17] : le chef d’escadron Cadi du 113e Régiment d’artillerie lourde, le capitaine Reguid Saad du 2e régiment de spahis, le capitaine Raho Mohammed Ould Ali, du même régiment, le capitaine Cousse, du 314e régiment d’infanterie. Auxquels s’associent l’officier interprète de 2e classe Bercher, de la Division d’occupation de Tunisie, l’interprète auxiliaire Cuny et le secrétaire interprète Streitberg.
19Les délégations politico-religieuse et militaire sont placées, on l’a dit, sous l’autorité du colonel Brémond, choisi comme officier rompu à la mentalité arabe, pour contrôler et discipliner l’ensemble, tout en restant en contact avec les délégués de la mission. Celle-ci vise ainsi clairement à offrir au Grand Chérif non seulement « l’assurance que le gouvernement de la République a l’intention de favoriser le pèlerinage et de rechercher les moyens de le faire accomplir dans les meilleures conditions possibles » [18], mais aussi un appui militaire conformément à sa demande. Si Kaddour Ben Ghabrit, qui dirige effectivement la délégation politique, reçoit même des instructions diplomatiques précises de Briand. Il doit éviter de « blesser le Chérif [...]. Si l’on faisait allusion devant vous à la question du khalifat arabe, vous indiqueriez très nettement que les affaires d’obédience religieuse sont considérées par le gouvernement français comme étant du domaine exclusif de la conscience et qu’il est bien résolu à s’en tenir absolument à l’écart. Si vos collègues ne pouvaient éviter de prendre part à des entretiens sur ce sujet, ils devraient observer strictement la même attitude » [19]. Enfin, Briand prie Ben Ghabrit de veiller à ce que « [...] collègues, [...] officiers et tous nos gens soient strictement vêtus à l’arabe » même s’il laisse toute latitude au colonel Brémond. Il doit également faire part à l’Émir de la mise à sa disposition par le gouvernement de la République française d’un subside, comme on l’a vu, de 1 250 000 F en or « afin de lui faciliter les moyens de lutter contre les Turcs » [20].
20Le 2 août 1916, le président du Conseil, Aristide Briand, adresse un courrier au ministre des Affaires étrangères dans lequel il précise que la mission prévue auprès du chérif, composée finalement exclusivement de musulmans tant dans la délégation civile que dans celle des militaires, est destinée, du moins pour la partie militaire, à évaluer les besoins en personnel d’encadrement, armes et munitions et autres matériels de guerre dont le chérif pourrait avoir effectivement besoin et à leur inculquer, en accord avec les délégués anglo-égyptiens, des méthodes de combat calquées sur les leurs. Le groupe doit, en outre, préparer la venue de cadres indigènes capables de « discipliner les contingents chérifiens » [21] et d’étudier, avec les autorités britanniques locales, les questions soulevées par le mouvement arabe.
21La coordination des deux missions est donc assurée par Brémond, la base étant installée à Port-Soudan. Le 5 août est créée la Mission militaire française au Hedjaz dirigée par le colonel Édouard Brémond qui, à partir de Djeddah, pourvoit en consignes les agents français pouvant pénétrer dans le périmètre des Lieux saints (haram) par leur qualité de musulmans. Le 15 août 1916, il est officiellement désigné comme chef de la mission en raison de ses qualités humaines et professionnelles reconnues : « Il se signale surtout par sa connaissance complète de la langue arabe qu’il parle et écrit (il est titulaire du brevet d’arabe) et par sa connaissance des milieux musulmans parmi lesquels il a vécu plusieurs années. Il possède complètement les questions islamiques, il est aussi apte à une mission de politique indigène qu’à une mission militaire. » [22]
22Symbole de l’association entre desseins diplomatiques et militaires, la mission embarque à Marseille le 23 août 1916 et atteint Djeddah le 20 septembre 1916. Des navires de la division navale de Syrie [23], établie le 15 avril 1916 et commandée par le contre-amiral de Spitz [24], sont détachés auprès de la mission militaire du Hedjaz du colonel Brémond : deux bâtiments, le Saint Brieuc, le El Hadj et le croiseur d’escorte d’Estrées. La mission de ce dernier s’achève fin septembre 1916 ; il rentre alors à Djibouti. Par ailleurs, jusqu’à l’armistice, la marine française assure régulièrement l’escorte de la mission française au Hedjaz, de Suez à Djeddah.
23Avec la mission, ce sont près de 700 pèlerins d’Afrique du Nord, dont 290 Algériens – représentants officiels du culte musulman et chefs maraboutiques pour la plupart – accompagnés des dignitaires musulmans, qui participent au premier pèlerinage autorisé officiellement par la France depuis le début de la guerre. Débarqués donc fin septembre, ils demeurent dans les Lieux saints près d’un mois. L’ancien consulat de France de la ville est réoccupé par les Français. La délégation religieuse, avec Si Kadddour Ben Ghabrit et le commandant Cadi, entrent à La Mecque le 28 septembre, en portant l’ihram.
24Les contacts avec le chérif se révèlent fructueux. Le commandant Cadi, pour sa part, se charge précisément de cerner les ambitions du chérif quant à l’utilisation de l’aide militaire française. Il joue ainsi, en quelque sorte, un rôle de conseiller d’Hussein. Il s’applique par ailleurs à rassembler des volontaires syriens implantés au Hedjaz pour les structurer en une unité franche en vue des opérations militaires à venir. De leur côté, les cadres musulmans venus avec Brémond sont répartis dans les troupes arabes qui luttent contre les Ottomans avec une fonction de conseiller militaire. Ainsi, ce sont près de 12 officiers, 48 sous-officiers indigènes de tirailleurs et de spahis, avec deux batteries de canon de 80 mm et 2 400 fusils, qui viennent appuyer les forces chérifiennes. Leurs rapports réguliers permettent ainsi au colonel Brémond, par l’intermédiaire du commandant Cadi, de mesure l’efficacité combattante des combattants arabes sur le terrain. Le 25 octobre 1916, preuve des bonnes relations entretenues avec le chérif de La Mecque, celui-ci est reçu par le capitaine de vaisseau de La Fournière, commandant du croiseur Pothuau.
25Outre cette entreprise pluridimensionnelle engagée au Hedjaz, la France dépêche à Suez une autre force d’intervention qui, en novembre 1916, rassemble 42 cadres, 983 hommes de troupe – tous musulmans – et 396 animaux de bât. Il se compose concrètement de 8 sections de mitrailleuses Hotchkiss, d’une batterie (6 pièces) de 80 de campagne, une batterie (6 pièces) de 80 de montagne, une compagnie du génie, un parc d’artillerie, une section de gestion subsistance et habillement, une boulangerie de campagne et un hôpital de campagne. Cette mission, prête à intervenir au Hedjaz en cas d’urgence, reste ainsi opérationnelle jusqu’en janvier 1917. Puis, suite à l’échec d’un débarquement à Rabegh, ville côtière et lieu de passage indispensable pour les Turcs qui, fin 1916 [25], menacent de reprendre La Mecque, elle est finalement plus ou moins disloquée et ses moyens réaffectés. Occuper Rabegh et y assurer une zone infranchissable était considéré par Brémond comme la situation optimale pour bloquer l’avancée des Turcs, en leur barrant la route de Médine à La Mecque. Mais l’intervention franco-britannique tarde à se mettre en place, faute d’implication claire des Anglais pour dépêcher un volume suffisant en hommes et matériels. Des semaines précieuses sont ainsi perdues. Finalement, Brémond, après entente entre les deux gouvernements, ne débarque, en élément précurseur, à Rabegh que le 14 novembre, rejoint quelques jours plus tard par 8 officiers, dont Cadi, 37 hommes, une section hospitalière avec trois médecins, et deux fours de campagne. Brémond ne cesse alors jusqu’en décembre de demander des moyens conséquents, notamment des batteries de montagne. La situation est tellement préoccupante pour les combattants arabes que Hussein accepte le 9 décembre 1916, l’envoi d’Européens à Rabegh, alors que jusqu’à cette date, il ne s’agissait d’engager que des musulmans sur la terre sainte de l’Islam. Mais, le 11 décembre, Hussein revient sur sa décision, peut-être sous l’influence indirecte de Lawrence foncièrement hostile à la pénétration d’Européens, du fait que la menace d’une attaque turque n’est plus certaine après la victoire britannique d’El Arich, le 20 décembre 1916.
26Pourtant, fin décembre, la situation devient à nouveau très préoccupante, La Mecque est une fois encore sérieusement menacée. Le 7 janvier 1917, les forces françaises de Suez et la 162e brigade britannique renforcée de deux batteries s’apprêtent à débarquer à Rabegh. Reste la condition d’un engagement écrit de Hussein, jugé trop versatile dans ses prises de décision, sur une hypothétique intervention européenne. Mais Hussein ne s’engage pas et laisse planer le doute. Agacé, le gouvernement français finit par faire savoir qu’il renonce à faire intervenir ses soldats.
27Toute cette triste affaire résulte d’une combinaison de points négatifs : les contradictions britanniques en matière de perception de la réalité et des besoins sur le terrain, entre les partisans d’un intervention militaire des Européens et ceux qui y sont opposés, comme Lawrence, plutôt favorable à l’octroi de subsides et d’armes aux Bédouins. Ne négligeons pas non plus la méfiance britannique devant l’impérialisme de la France qui reste malgré tout un concurrent sur le plan colonial. Du côté français justement, les tracasseries administratives et un certain dédain à l’égard d’un théâtre d’opérations bien lointain ont porté un terrible préjudice aux besoins urgents en armes et matériels de guerre, pourtant demandés sans cesse par Brémond.
DES RÉPERCUSSIONS ENTRE RÉUSSITES ET DÉCEPTIONS
28Ainsi la France n’a-t-elle jamais disposé des moyens de la Grande-Bretagne pour influencer le chérif Hussein. D’où un échec partiel que souligne Georges-Picot : « Le colonel Brémond a été envoyé pour assurer la liberté du pèlerinage et aider si possible à l’instruction d’une armée chérifienne. Il a parfaitement réussi dans la première partie de sa tâche ; le succès de la seconde ne dépendait pas de lui. » [26]
29En octobre 1916, la mission politique de Si Kaddour Ben Ghabrit rentre à Paris. Le 13 novembre 1916, elle est reçue par la Commission interministérielle des Affaires musulmanes (CIAM), au ministère des Colonies, sous la présidence du ministre des Colonies, Gaston Doumergue. Celui-ci rappelle alors l’intérêt porté par le gouvernement à l’islam de l’Afrique du Nord et de l’Afrique occidentale et centrale et félicite les collaborateurs de la mission : « Messieurs, vous rapporterez, j’en suis certain, une impression profonde de ce que vous aurez constaté touchant l’affectueuse sollicitude de la France à l’égard de l’Islam. Nos deux civilisations sont semblables à des palmiers jumeaux qui, poussant leurs rameaux vers le ciel libre, le soleil et la clarté, emmêlent leurs palmes de façon à projeter une même ombre bienfaisante. » [27] Ben Ghabrit intervient ensuite, en arabe, sur le but de la mission qui « avait à affirmer aux yeux des Orientaux que les musulmans de l’Ouest ont toute faculté d’exercer librement les prescriptions de leur foi ; elle avait aussi à attester la sollicitude que la France apporte dans les relations avec l’islam de l’Afrique septentrionale et occidentale ». Il réalise par ailleurs que la mission politique a permis de faire barrage aux discours des « ennemis de la France », en montrant la volonté française de respecter croyances, mœurs et coutumes des populations musulmanes.
30Dès lors, le gouvernement français encourage vivement la participation d’importantes délégations maghrébines aux pèlerinages, afin d’affirmer le droit à tous les musulmans d’accéder aux Lieux saints et de manifester les intérêts français en tant que puissance musulmane dans cette région. Le résultat est probant et le chérif est séduit. Les représentants musulmans réitèrent leur attachement à la France qui est sincère, à n’en pas douter justement par l’accueil effectué par Hussein. Ces événements sont synonymes de victoire politique pour le gouvernement. Pourtant, dans les années suivantes, le nombre de pèlerins baisse, compte tenu des difficultés engendrées par les problèmes de circulation dans une Arabie et dans les déserts syriens en proie à l’insécurité. Par ailleurs, le nombre de navires disponibles s’avère insuffisant.
31Malgré cette situation conjoncturelle défavorable, le gouvernement français s’applique à entretenir de bonnes relations avec le chérif, au point même d’envisager de lui remettre une fois encore, en 1917, une somme de près de 1 250 000 F-or, à l’instar de ce qui fut fait en 1916. Finalement, l’idée n’est pas retenue, de crainte qu’un tel versement réitéré soit perçu comme un tribut.
32En 1917, la situation n’est guère satisfaisante, comme tend à le démontrer le colonel Brémond dans l’un de ses rapports [28]. Il y souligne que les Mecquois « ont la mentalité des natifs de Monaco : ils entendent vivre au bénéfice de l’exploitation de leurs visiteurs ». Immobilistes, les gens refusent toute réforme, tout changement. Le service sanitaire est négligé, les sérums, distribués par la mission militaire française, ou par la British Agency, aux médecins de La Mecque, ne sont jamais employés. Du fait de l’ignorance des mesures élémentaires d’hygiène, la moyenne des décès est de 175 par mois à La Mecque. Si Djeddah est mieux lotie au niveau sanitaire, La Mecque, d’après Brémond, reste sale : « La rue où se font les sept courses entre Safa et Merouah est remplie de trente centimètres de poussière où les excréments des hommes, des chiens, les détritus de nourriture de ceux-ci, les chiens et les chats crevés sont abondants. Quand des milliers d’individus parcourent cette rue à toute vitesse et en priant à pleine poitrine, une poussière nauséabonde s’élève, les enveloppant complètement, au point qu’on s’y voit très mal et qu’il y a fréquemment des accidents, jambes cassées, ou autres, par suite de rencontres. » En outre, Brémond critique ouvertement l’efficacité du service quarantenaire du royaume. Pour lui en effet, ce service, dont le siège se situe à Djeddah, est « plus préoccupé de justifier son existence et de percevoir les taxes que d’assurer aux puissances intéressées des garanties sanitaires sérieuses ». Il estime donc indispensable de réformer cette « organisation bureaucratique purement financière » [29].
33Ces aspects religieux semblent occulter la réalité militaire dont le contrôle semble échapper à la France. Brémond donne alors le sentiment d’être démuni de moyens d’action suffisants, face à des Britanniques de plus en plus incisifs à partir de 1917 et qui poursuivent leur conquête territoriale vers la Palestine. Ce n’est qu’à partir d’avril 1917 que le Détachement français de Palestine (DFP) devient réalité. Les autorités françaises souhaitaient que l’engagement de la patrie des Lumières soit représenté aux côtés de leurs alliés britanniques. Elles prévoient aussi que le DFP puisse être requis ultérieurement par le haut commissaire français, là où les intérêts français devront être défendus, qu’ils soient matériels ou moraux [30]. Mais le DFP dispose de moyens et d’effectifs réduits. De surcroît, il est placé sous commandement britannique.
34Le DFP débarque, le 21 avril 1917, à Port-Saïd, qui, depuis mars 1917, constitue la base de rattachement des troupes de Palestine, tout comme de la mission du Hedjaz [31]. Ce petit corps expéditionnaire français, associé aux opérations britanniques et intégré à l’armée alliée avec les contingents italiens et australiens, comprend 2 531 hommes (64 officiers et 2 467 tirailleurs algériens (7e et 9e bataillons du 1er régiment de tirailleurs algériens (RTA) – et fantassins territoriaux (5e bataillon du 115e régiment d’infanterie territoriale), quelques artilleurs et un faible régiment de cavalerie (chef d’escadrons Lebon) composé de deux escadrons du 4e chasseurs d’Afrique (les 15e et 16e commandés respectivement par les capitaines Guichard et Francou) et, à partir de juin 1917, du 4e escadron du 1er spahis algériens (commandé par le capitaine Widolf) [32]. Le DFP est commandé par le lieutenant-colonel Jean Philpin de Piépape (1870-1946), saint-cyrien qui intégra les chasseurs d’Afrique en 1893 et qui venait de prendre part à l’expédition des Dardanelles.
35Quant à Brémond, l’expérience du Hedjaz et ses efforts pour contrecarrer la politique de Lawrence furent jugés sans doute insuffisants. Du 1er janvier 1919 au mois de septembre 1920, il devient administrateur en chef en Arménie puis en Cilicie, ce qui l’éloigne fort des contrées sud-méditerranéennes auxquelles il était tant habitué. Il commande par la suite le 54e régiment d’infanterie à Compiègne et achève sa carrière militaire comme général commandant le 2e groupe de subdivisions de la 17e région à Toulouse (1923-1928). Il meurt en 1948.
Bibliographie
Bibliographie
- Général Édouard Brémond, L’Islam et les questions musulmanes au point de vue français, conférence faite au Centre des hautes études militaires, le 13 avril 1923, Paris, Éd. Charles-Lavauzelle & Cie, 1924, 94 p.
- Général Édouard Brémond, Le Hedjaz dans la guerre mondiale, Paris, Payot, 1931, 352 p.
- Captain Cyril Falls, Major A. F. Becke, Military Operations Egypt and Palestine, London, Majesty’s Stationnery Office, 1930, 394 p.
- Commandant Larcher, « La campagne du général Falkenhayn en Palestine (1917-1918) », Revue militaire française, octobre-décembre 1918, p. 29-53.
- Michel Larès, « L’image de la France et des Français par T. E. Lawrence », Relations internationales, no 14, 1978, p. 159-170.
- Pascal Le Pautremat, La politique musulmane de la France au XXe siècle ; de l’hexagone aux terres d’Islam. Espoirs, réussites et échecs, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003, 564 p.
- Pascal Le Pautremat, « La prise de Naplouse ; entre empreinte politique et défit militaire », 14/18. Le magazine de la Grande Guerre, mars/avril 2004.
- Pierre Megnin, « Le raid de 700 km du 1er régiment de marche mixte de cavalerie en Syrie en 1918 », Revue historique des Armées, 1988.
- Hervé Pierre, L’intervention militaire française au Moyen-Orient (1916-1919), Paris, Éd. des Écrivains, 2002, 242 p.
- EMA-SHAT, Les armées françaises dans la Grande Guerre, t. IX, 1er volume, Paris, Imprimerie nationale, 1935, 230 p.
- Charles Stienon, Les campagnes d’Orient et les intérêts de l’entente, Paris, Payot & Cie, 1918, 328 p.
- Centre des Archives nationales, Fonds Édouard Brémond (594 AP).
- 594AP/1 – Papiers personnels (1886-1950).
- 594AP/2 – Correspondance 1922-1942, Correspondance passive de Mme Brémond et de sa fille Marcelle.
- 594AP/3 et 594AP/4 – Papiers de fonctions Maroc (1901-1913) et Cilicie (1918-1936).
- 594AP/6 à 594AP/13 – Écrits et documentation sur Madagascar, le monde arabe, l’Orient, la Turquie, l’Arabie, le Yémen, le Hedjaz, l’Afrique du Nord, les colonies et les troupes coloniales et l’Allemagne.
- 594AP/14 à 594AP/17 – Cartes postales, photographies et négatifs ; albums contenant des coupures de presse, des illustrations et des photographies.
- 594AP/18 à 594AP/28 – Suppléments divers (livres de la bibliothèque d’É. Brémond, décorations militaires, plaques de verre.
Notes
-
[1]
Le Hedjaz sera finalement intégré à l’Arabie Saoudite en 1932.
-
[2]
Lawrence s’illustra par son action déterminante au sein des tribus bédouines qu’il engagea dans une politique de guérilla contre les armées turques, à partir de mars 1917, contre notamment la voie ferrée Damas-Médine, seule voie de ravitaillement des Turcs en Arabie. En mai, Lawrence s’empare du port d’Aqaba avec l’aide de la tribu des Houwaytât. L’application de sa tactique de harcèlement et de coups de main contribue largement au retrait des troupes turques d’Arabie, mais aussi de Palestine et de Syrie. Et surtout, il fut un conseiller militaire de Hussein et de son fils l’émir Fayçal (1883-1933), prince et chef des forces arabes du Hedjaz et qui devint roi d’Irak en 1921. On estime même qu’il fut à l’origine des accords secrets conclus entre le résident britannique en Égypte, Sir Henry Mac Mahon, et le chérif Hussein de La Mecque en 1916.
-
[3]
Brémond notait d’ailleurs un proverbe arabe qu’il fit sien dans un de ses ouvrages : « Celui qui compte sur l’appui des Bédouins ressemble à un homme qui voudrait bâtir sa maison sur l’eau » (Brémond, Le Hedjaz dans la Guerre mondiale, Payot, 1931, p. 32).
-
[4]
Voir Pascal Le Pautremat, « La Commission interministérielle des affaires musulmanes (1911-1937) : une institution méconnue », Revue d’histoire diplomatique, no 4, 1999.
-
[5]
Il doit être accompli au moins une fois dans une vie et dans les trois derniers mois de l’année musulmane qui compte 354 jours répartis en 12 mois lunaires L’année lunaire compte 12 mois de 29 ou 30 jours chacun, et est plus courte, de 11 jours, que l’année chrétienne. On note les mois suivants : Moharrem (janvier) ; Safar ; Rebiaa El Aouel ; Rebiaa et Tsani (avril) ; Joumada el Aoula ; Joumada et Tsania ; Redjeb ; Chaabane ; Ramadhane ; Chaoual ; Dzou el Kaaba ; Dzou el Hijja (décembre).
-
[6]
Coran, chap. II, verset 193.
-
[7]
Bulletin de renseignements des questions musulmanes du 22 août 1916, SHAT (Vincennes).
-
[8]
Sidi Abdelkader Ben Ghabrit (1868-1954) est né à Sidi bel Abbès le 1er novembre 1868. Il effectue des études d’arabe et de droit musulman, occupe ensuite les fonctions de conseiller en législation musulmane et d’interprète. En septembre 1892, il entre à la légation de France de Tanger, en tant que secrétaire interprète. Plus tard, il est consul à Fès, ministre plénipotentiaire honoraire, recteur de la Mosquée de Paris et directeur de l’Institut musulman de Paris. Il est également chef du protocole du Makhzen marocain et conseiller des sultans alaouites jusqu’à son décès à Paris, le 24 juin 1954.
-
[9]
Lettre, datée du 2 août 1916, du président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, au ministre de la Guerre sur cette mission et le pèlerinage, P.-V. du 3 août 1916, 2 MI 102, 8e vol., fol. 129-131, CAd (Nantes).
-
[10]
Cela répond au vœu de Briand qui souhaitait même que le premier groupe de la mission soit constitué de six membres, à raison de deux pour chacune des possessions françaises d’Afrique du Nord, Maroc, Tunisie et Algérie, et qu’ils soient désignés par le général Lyautey, M. Lutaud et M. Alapetite. Briand propose aussi la nomination, à la tête du premier groupe, de Ben Ghabrit.
-
[11]
Les membres de la mission politique sont Si Kaddour Ben Ghabrit, chef du protocole de Sa Majesté Chérifienne, chef de la mission. Puis viennent les personnalités suivantes : Agha Sarhaoui, délégué algérien ; Chedly Okby, délégué tunisien ; Si Ahmed Ben El Hadj Skiredji, délégué marocain ; Si Abdou Kane, délégué de l’Afrique Occidentale ; Si Mustapha Cherchali, délégué algérien ; Hadj Larbi Ben ech Cheikh, délégué tunisien ; Kessous Mohamed Ben Youssef, secrétaire de la Mission ; Si Ali Malek, secrétaire de la Mission. Cf. P.-V. du 13 novembre 1916, fol. 42, 2 MI 102, 8e vol., CAd (Nantes).
-
[12]
Lettre du président du Conseil Briand au ministère des Affaires étrangères, en date du 12 février 1917, 7 N 2140 : État-Major de l’Armée (1916-1918), SHAT (Vincennes). Aristide Briand, au cours de sa carrière politique, fut 23 fois ministre, dont 18 fois aux Affaires étrangères, et 11 fois président du Conseil.
-
[13]
La Société des Habous rassemble divers délégués d’Afrique du Nord. Elle compte 7 membres fondateurs (2 Algériens, 2 Tunisiens, 2 Marocains et 1 délégué de l’AOF) qui remettent les pleins pouvoirs à Si Abdelkader Ben Ghabrit, nommé plus tard Si Kaddour Ben Ghabrit. S’ajoutent à eux, 7 membres honoraires : Le ministre de la Justice du gouvernement chérifien : le cheikh Choaib Doukali ; le Grand Vizir honoraire du gouvernement chérifien : Sid El Hadj Mohammed Ben Abdemlam El Mokri ; le cheikh Sidi Ahmed Beiram (de la Tunisie) ; Le cheikh Sidi Ahmed Chérif Bach, Mufti Malékite à Tunis ; Le cadi de Tlemcen : le cheikh Choaib Abou Bekr Ben Ali Chérif El Djelili ; Le cheikh Mohammed Arezki Ben Ali Ben Nacer, Mufti malékite d’Alger ; Le cheikh Mohammed Errouaz, mufti d’Oran.
-
[14]
Note pour la direction des fonds et de la comptabilité, émanant de la direction des Affaires politiques et commerciales du ministère des Affaires étrangères, en date du 6 janvier 1918, fol. 5 et s., cf. série Guerre 1914-1918 / sous-série Hedjaz, microfilm P 1462, vol. 1710 : Hôtelleries de La Mecque (décembre 1916 - avril 1918), MAE (Paris).
-
[15]
Télégramme du ministre des Affaires étrangères au résident général de Rabat pour Ben Ghabrit, le 18 janvier 1917, fol. 12, série Guerre 1914-1918 / sous-série Hedjaz, microfilm P 1462, vol. 1710 : Hôtelleries de La Mecque (décembre 1916 - avril 1918), MAE (Paris).
-
[16]
Télégramme de Defrance au ministre des Affaires étrangères, en date du 21 janvier 1917, fol. 17, ibid.
-
[17]
Exposé de Jean Gout devant la CIAM qu’il préside en tant que ministre plénipotentiaire, sous-directeur des Affaires d’Asie et d’Océanie au ministère des Affaires étrangères, P.-V. du Paris 3 août 1916 (fol. 125-145), 2 MI 102, 8e vol., fol. 127, CAd (Nantes), bulletin de renseignements des questions musulmanes du ministère de la Guerre du 22 août 1916, 7 N 2081, État-Major de l’Armée, Section d’Afrique, SHAT (Vincennes).
-
[18]
Exposé de Gout devant la CIAM, P.-V. du 3 août 1916 (fol. 125-145), 2 MI 102, 8e vol., fol. 127, CAd (Nantes).
-
[19]
Copie de la lettre d’instructions du président du Conseil, ministre des Affaires étrangères Briand, en date du 9 septembre 1916, reçue par Si Kaddour Ben Ghabrit, fol. 8, 7 N 2140 : État-Major de l’Armée (1916-1918) ; mouvement arabe, panarabisme, SHAT (Vincennes).
-
[20]
Ibid.
-
[21]
Lettre, datée du 2 août 1916, du président du Conseil, ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, au ministre de la Guerre sur cette mission et le pèlerinage, P.-V. du 3 août 1916, 2 MI 102, 8e vol., CAd (Nantes). Voir aussi le bulletin de renseignements du ministère de la Guerre, en date du 22 août 1916.
-
[22]
Lettre no 5 089-9-11 en date du 8 août 1915, du ministre de la Guerre au ministre des Affaires étrangères.
-
[23]
Elle se compose des bâtiments suivants : Pothuau, Jaureguiberry, Requin, la 7e escadrille de torpilleurs, la division de patrouille de Syrie et des chalutiers.
-
[24]
Il est remplacé le 4 mars 1917 par le contre-amiral Varney.
-
[25]
Hussein est en effet battu le 19 octobre 1916.
-
[26]
Cité par Christophe Leclerc, Avec T. E. Lawrence en Arabie. La mission militaire française au Hedjaz, 1916-1920, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 75.
-
[27]
P.-V. du 13 novembre 1916, fol. 48, 2 MI 102, 8e vol., CAd (Nantes).
-
[28]
Rapport du 8 novembre 1917, du colonel Brémond envoyé en mission à La Mecque en 1917, P.-V. du 6 décembre 1917, cité., fol. 133-138.
-
[29]
Ibid., fol. 138 et s.
-
[30]
Lettre du président du Conseil au ministre de la Marine, en date du 23 janvier 1917.
-
[31]
Voir à ce sujet p. 191-209 : Pascal Le Pautremat, La politique musulmane de la France au XXe siècle. De l’Hexagone aux terres d’Islam. Espoirs, réussites, échecs, préface de Charles-Robert Ageron, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003, 565 p.
-
[32]
Un autre escadron de spahis, le 8e du 4e régiment, perdit ses chevaux au cours d’un naufrage et combattit à pied.
-
[33]
Docteur en histoire contemporaine, chargé de cours en histoire et géopolitique dans l’enseignement supérieur. Auteur de La politique musulmane de la France au XXe siècle ; de l’hexagone aux terres d’Islam. Espoirs, réussites et échecs, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003, 564 p.