Couverture de GMCC_218

Article de revue

Mai 68 et la réconciliation franco-américaine.

Les vertus diplomatiques d'une crise intérieure

Pages 115 à 131

Notes

  • [1]
    CIA, rapport, Restless Youth, septembre 1968, LBJL, WHCF, Confidential File, 17 [2/2], « FG11-2 CIA ».
  • [2]
    Frank Costigliola met en parallèle les difficultés intérieures qui contrarient les ambitions mondiales de Johnson et de Gaulle en 1968 : France and the United States. The Cold Alliance since World War II, New York, Twayne Publishers, 1992, p. 154-159. André Kaspi définit les spécificités des troubles dans les deux pays : États-Unis 68. L’année des contestations, Bruxelles, Complexe, 1988, p. 73-74.
  • [3]
    Ces sources sont consultables à la Lyndon B. Johnson Library (Austin, Texas) et dans les FRUS.
  • [4]
    Philip Cerny estime qu’un temps « de convergence et de réconciliation » commence dès 1966 : The Politics of Grandeur, Cambridge, CUP, 1980, p. 237. Maurice Vaïsse privilégie trois facteurs de rapprochement : la crise de mai-juin 1968, l’invasion de la Tchécoslovaquie et l’entrée de Nixon à la Maison-Blanche ; La grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969, Paris, Fayard, 1998, p. 408-409. Georges-Henri Soutou révèle l’ampleur de la coopération franco-américaine en matière de défense à partir de 1969 : « Georges Pompidou and the US-European relations », in M. Trachtenberg (éd.), Between Empire and Alliance. America and Europe during the Cold War, Rowman & Littlefield, 2003, p. 157-200.
  • [5]
    DOS, mémorandum, De Gaulle and the North Atlantic Alliance, 4 mai 1965, LBJL, NSF, CF, 171, « France Memos », vol. VI.
  • [6]
    CIA, mémorandum, France and the Atlantic Alliance, 6 octobre 1967, LBJL NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIV.
  • [7]
    DOS, mémorandum, Is De Gaulle bluffing ?, 17 décembre 1964, LBJL, NSF, CF, 173, « France Memos », vol. V ; DOS, mémorandum, De Gaulle and the North Atlantic Alliance, 4 mai 1965.
  • [8]
    Frank Costigliola, « Not “a normal French government” : La réaction américaine au retrait de la France de l’OTAN », M. Vaïsse, P. Mélandri, F. Bozo (dir.), La France et l’OTAN, 1949-1996, Bruxelles, Éd. Complexe, 1996, p. 403-420.
  • [9]
    CIA, mémorandum, France and the Atlantic Alliance, 6 octobre 1967.
  • [10]
    Note, W. Rostow à L. Johnson, 28 juillet 1967, LBJL, NSF, CF, 173, « France Memos », vol. XII.
  • [11]
    Télégramme Paris 1288, 27 juillet 1967, FRUS, 1964-1968, vol. XII, no 76.
  • [12]
    En 1962, la CIA relativise les effets d’un assassinat du Général par l’OAS : lui succéderait un notable de la IVe République, enclin à renouer avec l’atlantisme ; SNIE, Consequences of the Death or Assassination of De Gaulle, 15 septembre 1962, LBJL, NSF, NIE, 5, « 22, France ». Les élections de 1967 suggèrent une étude prudente sur des changements politiques : DOS, mémorandum, The French Elections, 13 mars 1967, LBJL, NSF, CF, 173, « France Memos », vol. XI.
  • [13]
    DOS, copie du télégramme Paris 1725, De Gaulle will take France out of Atlantic Alliance in 1968, 8/8/1967, LBJL, NSF, CF, 173, « France Memos, vol. XII ».
  • [14]
    CIA, mémorandum, France and the Atlantic Alliance, 6 octobre 1967.
  • [15]
    « Lucet gémit en considérant les relations franco-américaines qui sont au point le plus glacé du thermomètre international » (23 décembre 1967) : Hervé Alphand, L’étonnement d’être, Paris, Fayard, 1977, p. 495.
  • [16]
    Télégramme Paris 9453, 23 janvier 1968, FRUS, 1964-1968, vol. XII, no 77.
  • [17]
    Télégramme Paris 10419, 16 février 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII. Johnson renonce à une nouvelle candidature le 31 mars 1968.
  • [18]
    CIA, mémorandum, French Actions in the Recent Gold Crisis, 20 mars 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [19]
    Si les accords Ailleret-Lemnitzer (22 août 1967) « normalisent » les rapports après la décision du 7 mars 1966, les craintes américaines concernant une rupture de la France avec l’Alliance ne s’apaisent jamais totalement avant 1968 ; elles sont entretenues par le discours de Montréal, les débats sur le rapport Harmel, la « dissuasion tous azimuts » ou encore le sentiment que de Gaulle est de plus en plus indifférent aux conseils de la haute administration.
  • [20]
    Pierre Journoud, « La France, les États-Unis et la guerre du Vietnam : l’année 1968 », P. Mélandri, S. Ricard (dir.), Les relations franco-américaines au XXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 169-192.
  • [21]
    DOS, mémorandum, Situation in France, 25 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [22]
    CIA, mémorandum, France’s Student-Labor Crisis : Causes and Consequences, 25 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [23]
    CIA, rapport, Student Dissent and its Techniques in the US, 5 janvier 1968, LBJL, NSF, AF, 9, « CIA », vol. III.
  • [24]
    « The genius of both the Republican and Democratic Parties for absorbing splinter groups and adopting once radical political planks has proved the great strength of our political system for over one hundred years. »
  • [25]
    La CIA a constaté que la dissidence américaine n’avait pas de liens avec l’Est ; Rhodri Jeffrey-Jones, The CIA and American Democracy, New Haven, Yale University Press, 1989, p. 167-168.
  • [26]
    CIA, mémorandum, France’s Student-Labor Crisis : Causes and Consequences, 25 mai 1968.
  • [27]
    Les diplomates observent pourtant la montée des oppositions à Paris (manifestations, désordres durant la visite du vice-président Humphrey en avril 1967).
  • [28]
    Geneviève Dreyfus-Armand, Jacques Portes, « Les interactions internationales de la guerre du Vietnam et Mai 68 », Les Années 68. Le temps de la contestation, Bruxelles, Complexe-IHTP, 2000, p. 49-68 ; Bernard Brillant, Les clercs de 68, Paris, PUF, 2003, p. 106-114.
  • [29]
    L’opposition à la guerre du Vietnam en France est mentionnée tardivement, dans le rapport Restless Youth.
  • [30]
    Télégramme Paris 14672, Last Minute Developments Prior to De Gaulle’s Adress, 24 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [31]
    CIA, mémorandum, The French Crisis, 31 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII. Selon Shriver, la crise pourrait motiver une révision du budget militaire, aux dépens des forces nucléaires et en faveur de l’armée de terre devenue le rempart d’un régime aux abois : télégramme Paris 15521, Situation Report, 4 juin 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII.
  • [32]
    CIA, télégramme, Support for De Gaulle during Current Crisis by Former French Resistance Underground, 20 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII. Il est impossible de vérifier tous les éléments de ce document isolé et caviardé ; les généraux Massu et Bigeard sont présentés à tort comme des anciens de l’OAS. J. Foccart raconte les retrouvailles avec des partisans de l’Algérie française : Foccart parle 1, Paris, le Grand Livre du mois, 1995, p. 356, 415, 461 ; Le Général en Mai, II, Paris, Fayard, 1998, p. 124-129. H. Alphand y fait référence avec inquiétude, op. cit., p. 505.
  • [33]
    N. Katzenbach, mémorandum, Situation in France as of Noon, May 25, 1968, 25 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [34]
    CIA, mémorandum, France : Situation Report, 26 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables ». De Gaulle n’évoque pas les troubles quand Shriver (nommé le 22 avril) lui présente ses lettres de créance le 25 mai.
  • [35]
    Mémorandum, French Situation as of 3 p. m., 26 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [36]
    CIA, télégramme, Aftermath of De Gaulle’s Speech. Reaction to Communist Violence during the Student Demonstrations, 25 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII.
  • [37]
    CIA, mémoranda, France (Situation Report), 26 mai 1968, France (Situation Report), 27 mai 1968, France (Situation Report), 28 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos, vol. XIII ».
  • [38]
    Note, W. Rostow à L. Johnson, 29 mai 1968 et télégramme Paris 15034, 29 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [39]
    DOS, mémorandum, Outlook for France, 29 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [40]
    DOS, mémorandum, The French Elections, 13 mars 1967.
  • [41]
    Télégramme Paris 15114, Possible Effects of Present Crisis on French Foreign Policy, 29 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII.
  • [42]
    Télégramme, R. Helms à L. Johnson, Herewith CIA’s Memorandum of the French Crisis, 31 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [43]
    Ces phrases sont presque celles de F. Mitterrand : Le coup d’État permanent, Paris, Plon, 1964, p. 96.
  • [44]
    Confronté à un double risque (la répression si les troubles persistent, l’alliance avec des partis atlantistes en cas d’alternance), le PCF a intérêt à l’apaisement ; Gaël Moullec, « Mai 1968, le PCF et l’Union soviétique : note des entretiens entre les dirigeants du PCF et l’ambassadeur soviétique en France », Communisme, no 53-54, 1998, p. 151-164.
  • [45]
    CIA, mémorandum, France’s Student-Labor Crisis : Causes and Consequences, 25 mai 1968 ; CIA, mémorandum, Wold-Wide Student Conspiracy ?, 14 juin 1968, LBJL, NSF, AF, 9, « CIA », vol. III [2/2].
  • [46]
    Télégramme State 170648, 30 mai 1968, LBJL, NSF, Files of W. Rostow, 13, « The likelihood of more French-style eruptions ».
  • [47]
    W. Rostow, mémorandum, The Likelihood of More French-Style Eruptions, 13 juin 1968, LBJL, NSF, Files of W. Rostow, 13, « The likelihood of more French-style eruptions ».
  • [48]
    Note, W. Rostow à L. Johnson, 26 mai 1968, NSF, CF, 174, LBJL, « France Memos », vol. XIII.
  • [49]
    Télégramme Paris 14914, Possible Effects of Present Crisis on French Foreign Policy, 28 mai 1968, FRUS, 1964-1968, vol. XII, no 79.
  • [50]
    Télégramme Paris 15521, Situaon (sic) Report Noon June 4 – Department Embassy Telecos, 4 juin 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII. Les gaullistes regardent avec amertume l’affaiblissement de leur diplomatie : M. Debré, Gouverner autrement (1962-1970), Paris, Albin Michel, 1993, p. 228-229.
  • [51]
    Note, W. Rostow à L. Johnson, 26 mai 1968.
  • [52]
    DOS, mémorandum, Outlook for France, 29 mai 1968.
  • [53]
    Note, W. Rostow à L. Johnson, 31 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII.
  • [54]
    W. Rostow, mémorandum, Plans to deal with a Possible Franc-Sterling Monetary Crisis, 7 juin 1968 ; H. Fowler, mémorandum, The Present Crisis in France Offers both a Threat and an Opportunity, transmis le 7 juin 1968, LBJL, NSF, SF, 3, « Balance of payments », vol. V [1/2].
  • [55]
    Télégramme Paris 14914, Possible Effects of Present Crisis on French Foreign Policy, 28 mai 1968.
  • [56]
    Télégramme Paris 20272, French Policy of East-West Détente in Wake of Czech Crisis, 2 septembre 1968, FRUS, 1964-1968, vol. XII, no 83.
  • [57]
    CIA, mémorandum, Possibilities for Accommodation between the US and France, 28 août 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIV.
  • [58]
    DOS, mémorandum, De Gaulle’s Foreign Policy : 1969 Version, 20 décembre 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIV.
  • [59]
    Frédéric Bozo, Deux stratégies pour l’Europe. De Gaulle, les États-Unis et l’Alliance atlantique, 1958-1969, Paris, Plon-Fondation Charles-de-Gaulle, 1996, p. 198-200.
  • [60]
    M. Vaïsse, op. cit., p. 368-369.
  • [61]
    DOS, copie du télégramme Paris 1725, De Gaulle will take France out of Atlantic Alliance in 1968, 8 août 1967.
  • [62]
    CIA, télégramme, Support for De Gaulle during Current Crisis by Former French Resistance Underground, 20 mai 1968.
  • [63]
    CIA, mémorandum, 2 juin 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII.
  • [64]
    Maurice Couve de Murville, Une politique étrangère (1958-1969), Paris, Plon, 1971, p. 153.
  • [65]
    Télégramme Paris 20272, French Policy of East-West Détente in Wake of Czech Crisis.
  • [66]
    Télégramme Paris 22164, Franco-American Relations on Ève of Debré’s Visit to Washington, 10 octobre 1968, FRUS, 1964-1968, vol. XII, no 84.
  • [67]
    Mémorandum de conversation (Johnson-Debré), US-French Relations ; Soviet Intervention in Czechoslovakia ; the Middle East ; and Vietnam, 11 octobre 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIV.
  • [68]
    W. Rostow, mémorandum, 17 novembre 1968, LBJL, NSF, SF, 22, « Monetary crisis », November 68, vol. 1 [2/2].
  • [69]
    W. Rostow, mémorandum, 18 novembre 1968, LBJL, NSF, SF, 22, « Monetary crisis », November 68, vol. 1 [2/2].
  • [70]
    Mémorandum, Meeting with the President, Secretary Fowler’s Briefing on the International Monetary Crisis (11/23/68), 26 novembre 1968, LBJL, NSF, SF, 22, « Monetary crisis », November 68, vol. 1 [1/2].
  • [71]
    DOS, mémorandum de conversation (Charles Lucet - Eugène V. Rostow), Franco-American Relations in the Aftermath of the Monetary Crisis, 25 novembre 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIV.
  • [72]
    DOS, US Policy toward Western Europe, décembre 1968, LBJL, NSF, SF, 50, « Transition PPC Papers » ; CIA, rapport, De Gaulle and the Fifth Republic, 1958-1968, 20 décembre 1968, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIV. La crise aurait dévoilé les forces et les faiblesses du régime : les institutions survivront au Général mais ses successeurs, absorbés par les enjeux intérieurs, seront pragmatiques sur les questions internationales. Ils poursuivront sans doute les politiques définies sous la IVe République (dissuasion nucléaire, amitié franco-allemande, coopération avec les ex-colonies). En revanche, les initiatives gaulliennes devraient être nuancées : la France ne réintégrera pas les structures intégrées de l’OTAN mais coopérera avec elles et évaluera plus positivement l’intégration européenne ou l’adhésion britannique à la CEE.

1« Le ministre de la Culture André Malraux se lamentait récemment auprès d’un fonctionnaire de l’ambassade américaine : “Vos étudiants veulent réformer ; les nôtres ne veulent que détruire. Les vôtres ne sont pas, dans l’ensemble, des nihilistes au sens russe du terme – pas encore, du moins. [...] Notre jeunesse est un problème plus profond et plus sérieux que la vôtre”. » D’après la CIA, Malraux compare avec dépit les troubles endurés par la France et les États-Unis en 1968 [1]. Le rapprochement est opéré outre-Atlantique par Lyndon Johnson et son conseiller à la Sécurité nationale Walt Rostow qui, impressionnés par la coïncidence des révoltes, réclament des études afin d’évaluer la portée de la contestation [2]. La Maison-Blanche centralise donc nombre de documents rédigés par l’ambassadeur à Paris (Charles Bohlen puis Sargent Shriver), le département d’État ou la CIA [3]. Ils prouvent l’attention aux émeutes et aux grèves françaises de dirigeants pourtant accaparés par une succession d’épreuves : combats au Vietnam, agitation sur les campus, assassinat de Martin L. King, révoltes urbaines, meurtre de Robert Kennedy. Les archives américaines permettent ainsi d’envisager Mai 68 dans le champ des relations internationales, de mesurer ses effets sur les rapports houleux entre les États-Unis de Johnson et la France gaullienne. Elles invitent à préciser le moment de la réconciliation situé entre 1966 – après le retrait des structures intégrées de l’OTAN – et 1969 – avec l’arrivée au pouvoir de Nixon et Pompidou [4]. Cette réflexion conduit à examiner l’état des relations bilatérales à la veille de Mai 68, à lire les comptes rendus des fonctionnaires au cours des événements, puis à considérer la qualité des contacts dans les mois qui suivent.

L’ETAT DES RELATIONS FRANCO-AMERICAINES

2Durant la période qui précède Mai 68, les textes du département d’État et de la CIA témoignent des représentations américaines de la France gaullienne. Ils scrutent les déclarations et les décisions du Général, livrent les clés supposées de sa politique étrangère et relèvent deux aspects majeurs du régime : l’originalité de sa diplomatie et une personnalisation qui les amène à identifier la France à son président.

La politique étrangère gaullienne vue de washington

3Les documents analysent les entreprises d’un allié qui bouscule les États-Unis, exaltant l’indépendance nationale et exploitant la détente pour appeler au dépassement de la bipolarité. Les initiatives prennent un tour provocant, en 1966, avec le retrait des structures intégrées de l’OTAN et le discours de Phnom Penh, puis, en 1967, l’abrupte condamnation d’Israël et la déclaration sur le « Québec libre ». Déconcertés par ces coups d’éclat, le département d’État et la CIA tentent de discerner la cohérence du « grand dessein » poursuivi par l’homme du 18 Juin qui, selon eux, entend restaurer le statut de grande puissance de son pays et convaincre ses concitoyens qu’ils gardent la maîtrise de leur destin collectif [5]. Son objectif serait d’« exclure les États-Unis d’une Europe occidentale dominée par la France » puis « la création éventuelle d’une large confédération embrassant à la fois l’Europe occidentale et orientale » [6]. À cette fin, il travaillerait à défaire le réseau d’organisations tissé à l’Ouest et privilégierait les relations bilatérales qui n’impliquent pas une intégration ressentie comme aliénante. Une telle diplomatie s’explique par la quête de la « grandeur » mais aussi, plus profondément, par une pensée qui érige la nation en valeur suprême de l’action politique et en clé d’interprétation des affaires mondiales. Le gaullisme, pour les agences américaines, ne se résume pas à un chauvinisme étroit, il est une appréhension du monde et de ses enjeux dans la longue durée, par-delà les affrontements idéologiques.

4Dans le même temps, les services américains soulignent le pragmatisme d’un dirigeant qui apprécie le champ des possibles et distingue les buts ultimes des manœuvres tactiques : de Gaulle estime la pertinence des liens multilatéraux à l’aune de leurs avantages pour accomplir sa politique nationale. Si l’environnement international le permet (si la détente se confirme), il est probable qu’il mettra en cause la participation de la France à l’OTAN, sans doute dès 1969 [7]. Les spécialistes de la CIA et du département d’État campent ainsi de Gaulle non en imprévisible fanatique, mais en homme d’État adepte d’un réalisme un peu désuet qui croit en l’esprit des nations, en la subordination des contingences de la politique intérieure aux nobles buts de la politique extérieure, aux vertus de relations bilatérales affranchies des alliances. Éclairé par ces analyses, le président américain se résout à adopter une posture aussi patiente que résignée [8]. Les initiatives de De Gaulle sont constamment relativisées afin de ménager l’avenir en évitant toute polémique.

L’aversion américaine envers un régime jugé autocratique

5Cette diplomatie, les services américains l’associent à la nature du régime établi en 1958. Ils observent que la Constitution a confié la politique étrangère et militaire au chef de l’État qui détermine ses orientations en faisant l’économie d’un processus décisionnel complexe associant le Parlement, voire outrepasse les réticences de sa haute fonction publique. L’exercice de ces compétences est amplifié par la singularité d’un chef qui prétend incarner la légitimité nationale depuis un quart de siècle. De fait, concluent les spécialistes, la diplomatie menée par de Gaulle n’est soumise à aucune contrainte interne [9]. Les objectifs qu’il assigne à sa politique excèdent même la réalité de la puissance française et sont moins servis par les ressources du pays que par son propre prestige. Les analystes perçoivent donc la difficulté à distinguer les politiques nationales de la rhétorique employée par un homme.

6Inspirées par cette image presque autocratique du régime, les études américaines se concentrent sur la pensée et les déclarations du Général sans véritablement tenir compte des mutations économiques et sociales qui transforment la France durant les années 1960. Ils donnent à lire des exégèses de la doctrine gaullienne – reconstituée à des fins de prévision – agrémentées de considérations médicales, voire psychologiques. Cette analyse de la posture française en des termes personnels est encore accentuée après le discours de Montréal, le 24 juillet 1967. Rostow adresse à Johnson une note dans laquelle il déplore que « de Gaulle mène une politique étrangère de plus en plus personnelle et non gouvernementale » [10]. Bohlen est plus dur, regrettant la démesure du personnage, son indifférence aux critiques et son anti-américanisme « obsessionnel » qui conduisent à s’interroger sur son aptitude à gouverner [11]. Négligeant les évolutions de la société française, découragés par la liberté d’action que les institutions octroient au président, les analystes en sont réduits à formuler une issue à la question française : le départ ou la mort de De Gaulle [12].

L’apogée de la discorde franco-américaine

7Quel est l’état des relations franco-américaines après la déclaration sur le « Québec libre » et avant Mai 68 ? Maintenus dans une très inconfortable incertitude par de Gaulle, les États-Unis soupçonnent l’imminence de nouveaux défis. Les fonctionnaires, perplexes, tâchent d’affiner leur réflexion prospective en confrontant la doctrine d’indépendance nationale à l’évolution de l’environnement international. Ils préparent les décideurs aux éventualités les plus extrêmes. Un câble de Paris informe Washington, en août 1967, que de Gaulle désire créer des « situations irréversibles » pour accomplir son « grand dessein » [13]. L’Élysée songerait à invoquer l’article 13 du traité de l’Atlantique-Nord, qui autorise le retrait de l’alliance en le notifiant un an à l’avance après une période de vingt ans. Deux mois plus tard, la CIA conteste la sincérité de la position officielle certifiant que la France restera signataire du traité [14]. L’alliance devient un obstacle à la réalisation des objectifs gaulliens – une Europe occidentale affranchie de l’hégémonie américaine pour coopérer avec l’Europe orientale – et le président multiplie les propos qui relativisent la participation de son pays à l’OTAN. Le document tente de préciser les implications d’un départ français qui interviendrait avant le terme du mandat présidentiel, en 1972, et pourrait être annoncé dès avril 1968.

8Plongés dans l’incertitude, les États-Unis restent désabusés quant à la possibilité de renouer des rapports de confiance, et, si aucune provocation n’est lancée durant l’hiver, les relations demeurent très distantes [15]. Bohlen, le 23 janvier, rend compte sans illusion de sa dernière entrevue avec Pompidou [16]. Il déplore la brouille franco-américaine et précise que son gouvernement n’a rien entrepris qui puisse contrarier la France, sauf la guerre au Vietnam dans laquelle elle n’a pas d’intérêt direct ; puis, avant d’évoquer d’autres points de désaccord, il avoue ignorer comment mettre fin à l’incompréhension tant que le gouvernement français restera « obsédé par la puissance des États-Unis ». La dernière phrase de son câble est désenchantée : « Il était intéressant de noter que [Pompidou] ne contredit pas mon affirmation selon laquelle, dans les circonstances actuelles, je n’entrevoyais que très peu de chances pour le moindre changement dans les relations franco-américaines ».

9La suspicion de la Maison-Blanche est entretenue, un mois plus tard, par un message de l’ambassade concernant une « évaluation gaulliste des perspectives électorales aux États-Unis en novembre 1968 » [17]. Les gaullistes pronostiqueraient certes une victoire de Johnson mais aussi des pertes démocrates au Congrès qui contraindraient le président réélu à se consacrer davantage aux affaires intérieures, d’autant que le Vietnam concentrerait ses efforts sur la scène internationale. La conclusion du texte laisse entendre que les partisans du Général prévoient d’exploiter cette nouvelle donne : « Les gaullistes semblent se préparer à votre victoire, en novembre, en créant une situation qui leur permettra de croire qu’une telle victoire n’aura pas de réelle signification pour l’Europe puisque vous serez occupé ailleurs. » Enfin, une étude de la CIA remémore l’originalité de la politique monétaire française et note que Paris a commencé par « attiser les flammes spéculatives » lors de la dévaluation de la livre en novembre 1967 [18].

10À la veille des événements de Mai 68, les services américains soupçonnent l’Élysée de vouloir profiter des épreuves qui attendent les États-Unis lors d’une année ouverte par l’offensive du Têt et le début de la campagne présidentielle. Rien ne prédit une réconciliation entre la France gaullienne et l’administration Johnson qui attend, sans se bercer d’illusions, le prochain coup porté à la cohésion du bloc occidental [19]. Toutefois, la suspension par Johnson des bombardements au nord du 20e parallèle, le 31 mars, autorise une première décrispation. Qui plus est, les États-Unis acceptent Paris, le 3 mai, comme lieu des pourparlers avec les émissaires de Hanoï [20]. L’Élysée peut interpréter ces décisions comme la reconnaissance du bien-fondé des vues exprimées à Phnom Penh. Mais nous sommes alors au printemps ; l’effervescence inquiète déjà les autorités universitaires à Nanterre puis à la Sorbonne.

CHRONIQUES AMERICAINES DU PRINTEMPS FRANÅAIS

11Les événements de mai 1968 surprennent Washington où le sous-secrétaire d’État Katzenbach suit la situation au quotidien [21]. Le secret couvre toujours les documents antérieurs au 20 mai ; néanmoins, à partir de ce jour, la CIA et l’ambassade analysent avec mesure les causes du mouvement, l’attitude du régime, la possibilité d’une alternance et l’éventuelle diffusion de l’agitation.

Les causes de la crise

12Les services américains privilégient une approche interne de la crise française, les questions sociales faisant irruption dans leurs analyses [22]. La CIA relève, en premier lieu, les insuffisances de l’Université dont les structures ne répondent pas à l’explosion des effectifs étudiants. Dans cet environnement tendu, elle observe le militantisme d’une nouvelle gauche que caractérisent à la fois sa sympathie envers les révolutions du Tiers Monde et son aversion pour le PCF. Cette mouvance minoritaire est apte à animer une contestation rassemblant au-delà de ses rangs. La CIA peut opérer des rapprochements avec les mouvements qu’elle surveille aux États-Unis. Un rapport a analysé, cinq mois auparavant, l’opposition étudiante américaine, notant l’inventivité de ses modes d’action mais se gardant de dramatiser [23]. Isolés sur la scène politique intérieure, les contestataires ne bénéficient pas de soutiens étrangers. À la faiblesse des effectifs s’ajoute l’insignifiance des structures qui restent très lâches. La CIA assure donc que l’agitation ne survivra pas à la guerre du Vietnam, envisageant, à terme, l’intégration des jeunes militants dans les grands appareils partisans [24]. Cette connaissance préalable de la dissidence étudiante aux États-Unis peut expliquer la précision et la nuance des analyses produites lors des événements français [25].

13Si les études américaines regardent la contestation étudiante comme le phénomène qui a déclenché la crise à Paris, elles jugent que cette dernière révèle des dysfonctionnements plus profonds, insistant sur l’inflexibilité du pouvoir face aux demandes de la société. Ainsi, le gouvernement n’a pas réorienté ses politiques, ni engagé de réel dialogue social, malgré les résultats honorables obtenus par la gauche aux élections législatives de 1967. Cette impuissance de l’opposition aurait alimenté la frustration et expliquerait en partie la vigueur des grèves après les manifestations étudiantes [26]. Pour la CIA, les vraies causes de Mai 68 sont structurelles : le régime gaullien paraît incapable de rassurer les catégories les plus angoissées par les mutations économiques et sociales.

14Curieusement, les services américains négligent un aspect essentiel de la mobilisation : l’opposition à la guerre que leur pays mène au Vietnam [27]. Celle-ci offre à la gauche française une cause commune qui lui permet de surmonter ses divisions et de préparer des actions collectives de protestation [28]. À cet égard, la création des comités Vietnam est cruciale pour comprendre la mobilisation de la jeunesse, lors du printemps 1968, puisqu’ils vont fournir les structures d’encadrement du mouvement en marge des organisations traditionnelles (partis politiques, syndicats étudiants). Il faut aussi mentionner que les événements du 22 mars suivent une manifestation en faveur d’opposants à la guerre accusés d’avoir détruit le siège parisien de l’American Express [29]. Les fonctionnaires américains mésestiment probablement cet aspect car ils trient les informations en fonction de leurs attentes : leur étude doit alimenter une réflexion prospective concernant la survie politique du Général, thème primordial pour eux qui ont construit une perception très personnalisée de la France gaullienne. En outre, ils peuvent juger que le principal opposant français à la guerre du Vietnam est de Gaulle lui-même, et que l’émoi de la société civile sur ce sujet ne revêt qu’une dimension secondaire.

La brutalité et les manœuvres d’un régime répressif

15Les services américains considèrent, nous l’avons vu, l’autoritarisme du régime comme la cause profonde de la crise. Les documents insistent sur l’action répressive du gouvernement et un rapport de la CIA souligne la brutalité de la police lors des émeutes du 24 mai. Bien que le maintien de l’ordre soit confié à la police, aux CRS et à la gendarmerie, les agents relèvent aussi la mobilisation de l’armée qui fournirait une puissante réserve si la situation devait dégénérer. Shriver affirme, suivant des informations livrées par la CIA, que des unités d’élite ont été déployées autour de la capitale [30]. Un rapport produit par l’agence de renseignement, le 31 mai, certifie que le soutien des forces armées à de Gaulle, vérifié lors de sa rencontre avec le général Massu, est indubitable car la hiérarchie militaire a subi des purges sévères depuis la fin de la guerre d’Algérie et parce que l’anticommunisme des officiers assure leur loyauté au régime [31].

16Les sources américaines ne se contentent pas de mentionner le recours à la police et aux unités militaires mais découvrent l’exploitation de réseaux informels. La CIA consacre ainsi un câble au soutien apporté par d’anciens résistants qui s’étaient éloignés de De Gaulle, voire l’avaient combattu au sein de l’OAS, lors de l’indépendance algérienne. Les informations livrées par ce document sont à manier avec précaution [32]. Elles suggèrent que ces hommes, inquiets du possible avènement d’un gouvernement « prochinois », dressent une liste des sympathisants maoïstes, planifiant « une manifestation qui attirerait les éléments indésirables du mouvement étudiant et ouvrier dans une position où ils pourraient être identifiés et arrêtés par deux régiments parachutistes et des éléments de la Légion étrangère en route de la Corse vers la France ». La rafle serait suivie d’élections au cours desquelles de Gaulle obtiendrait une large majorité en jouant sur la peur d’un complot étranger et en profitant des divisions à gauche...

Journées d’impuissance pour un régime débordé

17Ce régime répressif est enfin décrit comme un régime dépassé. Les services américains évaluent aussi sévèrement que la classe politique française la piètre prestation de De Gaulle le 24 mai. La Maison-Blanche est d’abord ahurie par la violence des affrontements dans la nuit du 24 au 25 [33]. Plusieurs rapports de la CIA remarquent ensuite que les réactions au discours confirment le déclin du Général dont le verbe ne parvient plus à forger l’unité nationale [34]. Les critiques proviennent désormais de son entourage qui s’interroge sur l’aptitude du vieux chef à redresser la situation. Simultanément, les textes rendent compte de l’intense activité du Premier ministre, déterminé à faire cesser les émeutes et soucieux de parvenir à un accord avec les syndicats [35]. Alors que de Gaulle perd en crédibilité, « la cote du Premier ministre Pompidou semble monter progressivement » [36].

18Dans les derniers jours de mai, la CIA confirme la déliquescence du pouvoir français : les salariés en grève refusent les accords de Grenelle, les manifestations se succèdent et la gauche paraît prête à forcer l’issue politique de la crise [37]. Les incertitudes concernant l’avenir du pouvoir gaulliste culminent évidemment le 29 mai. Rostow transmet au président un câble de Shriver qui l’avise du départ de De Gaulle à Colombey et prédit son retrait dès le lendemain ; il promet une note sur les dispositions constitutionnelles en cas de démission [38]. Dans les heures qui suivent, Katzenbach envoie à Johnson un mémorandum qualifiant la situation d’ « explosive » [39]. Selon lui, des élections législatives renverraient les gaullistes dans l’opposition et il serait impensable que de Gaulle cohabite avec un gouvernement dirigé par Mitterrand ou Mendès France. Il invite à une prudente neutralité : une alternance à gauche serait positive, en termes de politique étrangère, et les risques de contagion aux pays voisins sont minimes. Les ressortissants des États-Unis ne devraient être évacués que si la crise dégénérait en guerre civile...

Les bénéfices escomptés d’une alternance à gauche

19À l’apogée de la crise, les services américains attendent l’arrivée au pouvoir de la gauche avec calme et intérêt. Il est vrai que les élections de 1967 leur ont donné l’occasion d’étudier les partis d’opposition, surtout le PCF désormais qualifié de « moins militant, plus bourgeois et moins servile vis-à-vis de Moscou » [40]. Dans la soirée du 29 mai, Shriver fait même preuve d’enthousiasme en adressant à Washington un télégramme qui imagine deux gouvernements d’alternance [41]. Un gouvernement de centre gauche autour de la FGDS et des centristes, auxquels se joindraient certains gaullistes, renouerait avec les États-Unis : la France adhérerait au traité de non-prolifération, réduirait le programme nucléaire et spatial, mènerait une politique étrangère plus discrète, garantirait son intégration aux structures européennes et atlantiques. Shriver note qu’il est malaisé de prévoir la diplomatie d’un gouvernement de « Front populaire » car le PCF et la FGDS auraient à résoudre leurs contradictions sur les questions internationales. Le PCF bloquerait les étapes futures de l’intégration européenne et interdirait tout resserrement des liens avec l’OTAN mais la FGDS veillerait à éviter l’irréparable. Dans tous les cas, un tel gouvernement serait absorbé par les problèmes intérieurs et tâcherait de ne pas envenimer les relations franco-américaines.

20Les fonctionnaires américains regardent logiquement avec bienveillance les alternatives diplomatiques qui découleraient d’une alternance politique. Il est plus étonnant de constater à quel point le ton qu’ils emploient s’apparente parfois au discours de l’opposition française. Le commentaire de la CIA sur l’allocution du 30 mai, adressé par Helms à Johnson, illustre de manière exemplaire cette proximité [42]. D’emblée, il juge sévèrement le maintien de De Gaulle au pouvoir : « En refusant de démissionner, de Gaulle a défié directement les ouvriers et les étudiants. Il a repris ses vieilles habitudes d’autocrate puissant et charismatique. » Il critique la teneur anticommuniste de l’intervention et relaie les craintes du PCF et de Mitterrand, qui dénoncent un appel à la guerre civile, avant d’ajouter que des « heurts sanglants » sont susceptibles d’éclater avec les forces de l’ordre et les réseaux gaullistes (SAC, CDR). Surtout, il renvoie le régime à ses origines, « la subversion et la paralysie de l’État », concluant de manière cinglante sur le thème du « coup d’État permanent » : « Les gaullistes ont violé et perverti leur propre constitution à maintes reprises. Ils ont traité avec dédain et indifférence l’opposition, fût-elle modérée. Dans sa déclaration d’aujourd’hui, de Gaulle a réaffirmé sa détermination à maintenir la domination de la droite en France. » [43] La CIA juge que le risque en France n’est pas la subversion gauchiste mais les pratiques répressives et les discours manichéens du régime. Elle fait écho aux manifestants parisiens : « La chienlit, c’est lui ! »

L’improbable extension de l’agitation française

21La question d’une extension de la crise à d’autres États alarme la Maison-Blanche qui reçoit des études sur les liens que les militants français auraient tissés avec des puissances étrangères. La CIA et le département d’État éliminent vite la thèse de la subversion organisée par le PCF qu’ils considèrent comme un parti institutionnel. Les documents relèvent plutôt le fossé séparant le PCF, qui raille l’effervescence des rejetons de la bourgeoisie, et les manifestants prompts à moquer les « crapules staliniennes » [44]. La CIA balaie également en quelques phrases l’éventualité d’un complot orchestré par la Chine populaire. Enfin, l’agence note la discrétion du bloc soviétique : l’URSS souhaite préserver la qualité de ses relations avec la France et épargner au PCF une situation embarrassante. Pour les services américains, la crise de Mai exprime des tensions proprement nationales et ne fait l’objet d’aucune tentative de récupération [45]. Leur interprétation est plus pertinente que celle de la droite et du pouvoir français qui suspectent une machination étrangère.

22Les États-Unis écartent la thèse de la manipulation mais ne renoncent pas à analyser les répercussions internationales des événements. Dean Rusk demande aux ambassadeurs, le 30 mai, de décrire les relations entre les institutions et la société civile dans leurs pays d’affectation afin d’anticiper des épisodes similaires à la crise française [46]. Les réponses sont adressées à Rostow qui les synthétise pour les transmettre au président [47]. Intitulé The Likelihood of More French-Style Eruptions, le mémorandum souligne que vingt-cinq pays ont connu une contestation étudiante en 1968 mais que ce phénomène est fragmenté et résulte de facteurs très divers (impact du progrès technologique, nécessité de réformes institutionnelles, étroitesse de la base sociale des régimes, désir de reconnaissance des individus, revendication d’un accès général à la prospérité).

23Une nouvelle fois, la priorité est accordée aux paramètres internes pour expliquer l’agitation. Rostow mesure la probabilité de troubles en évaluant les rapports sociaux et l’autorité des appareils étatiques. Une crise est très improbable dans les dictatures comme le Maroc, la Tunisie, l’Espagne franquiste ou la Grèce des colonels. Dans les démocraties, la contestation sera réduite si les étudiants restent isolés socialement et, en particulier, coupés des organisations ouvrières. La révolte des étudiants allemands, par exemple, a beau devenir violente, elle n’en demeure pas moins marginale. Ce tour du monde de la contestation s’avère rassurant et Rostow ne pressent pas l’imminence de crises similaires à celle de Mai 68. La France présente une situation intermédiaire, celle d’un pays démocratique dont l’État est insuffisamment répressif pour étouffer la protestation mais trop intransigeant pour répondre aux attentes d’une société en mutation. Les services américains apaisent donc leurs dirigeants quant à une contagion de la subversion et observent, sans déplaisir, le déclin gaulliste.

LES RETROUVAILLES INATTENDUES DE LA FRANCE ET DES ETATS-UNIS

24Les services américains tirent les leçons de Mai 68 « à chaud », dès la phase finale du mouvement, puis les approfondissent durant l’été et l’automne. L’événement est d’abord considéré dans une perspective française et les fonctionnaires étudient avec intérêt ses effets sur la pérennité du régime. Il est aussi jugé à l’aune de ses conséquences sur les relations entre la France et les États-Unis.

La fin tant espérée de l’exception gaullienne

25Les analystes supposaient, avant 1968, que le président français disposait en politique étrangère de vastes compétences lui permettant d’agir en n’obéissant qu’à ses propres conceptions et aux exigences de la situation internationale, sans avoir à subir le contrôle d’autres institutions. Eux qui s’étaient fait une spécialité de l’exégèse du verbe gaullien constatent que la tourmente ne se contente pas de paralyser le pays mais ébranle la figure du grand homme. Du 24 au 29 mai, le chef de la France libre, le fondateur de la Ve République révèle son impuissance à peser sur les événements et fait mine de déserter le pouvoir. Mai 68 marque donc, pour la diplomatie et le renseignement américains, l’avènement d’une contrainte interne dans la politique extérieure française ; au plus fort des troubles, ils imaginent les transformations causées sur cette dernière par le déclin du Général.

26Après le discours du 24 mai, Rostow juge que, si le chef de l’État et son Premier ministre « s’en sortent », leur « arrogance concernant l’entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun se réduira peut-être » [48]. Le 28 mai, Shriver réévalue toute la politique étrangère française, gageant que le gouvernement se recentrera sur les questions intérieures et reverra ses prétentions mondiales [49]. De Gaulle maintiendra donc la France dans l’OTAN et pèsera moins lourd dans les Conseils européens. Ses attaques contre les communistes lors des émeutes conduiront à atténuer l’ouverture à l’Est tandis que les pertes dues à la désorganisation de l’économie contraindront Paris à réduire son aide au Tiers Monde. Shriver ne cache pas sa satisfaction : « La France [...] pourrait revenir à la réalité ; importante comme il se doit, sans être la fausse France, orgueilleuse et impérieuse, que de Gaulle a essayé de bâtir. » Il ne modifie pas son analyse après le 30 mai [50].

27Les services américains observent vite que le coût de la crise hypothèque la politique de « grandeur ». Selon Rostow, Pompidou n’est pas en mesure de refuser une hausse des salaires et des dépenses publiques qui vont affaiblir le franc, donc contraindre le pays à coopérer sur le plan monétaire [51]. Katzenbach confirme que les accords de Grenelle se traduiront par une importante inflation et un déficit tant du commerce extérieur que de la balance des paiements [52]. Dès lors, le secrétaire au Trésor H. Fowler se prépare à une dévaluation du franc [53]. Les spécialistes se réunissent autour du président le 7 juin. Ils discutent deux rapports de Rostow et Fowler qui indiquent le risque de chaos, si le franc était dévalué et accompagné dans sa dépréciation par la livre, mais jugent que la crise est une aubaine pour renforcer le système monétaire en incitant la RFA à réévaluer le mark et en concevant un plan multilatéral de soutien à la devise britannique [54]. Un front franco-américano-britannique se dessine !

Les interprétations du mouvement par les différents services

28La grandeur de la nation peut-elle survivre au prestige de son président ? Assurément non, répondent les services américains pour qui l’agitation étudiante et les grèves massives sonnent le glas d’une politique étrangère jugée jusqu’alors personnelle. Après Mai 68, la France apparaît ainsi « normalisée » ; elle rejoint une trajectoire historique dont l’origine est antérieure au 13 mai 1958, invitant à repenser l’empreinte du gaullisme. Cette France éprouvée est mieux disposée envers les États-Unis mais, si les analystes s’accordent tous sur l’inéluctabilité d’un rapprochement, les conséquences de la crise sur les relations bilatérales sont diversement appréciées. On peut opposer la promptitude de la CIA et de l’ambassade à tracer les contours d’une nouvelle relation à la circonspection dont fait preuve le département d’État.

29L’ambassade à Paris prévoit, nous l’avons vu, une modification de la politique étrangère et un rapprochement franco-américain au plus fort de la crise. Shriver se félicite que les États-Unis n’aient pas riposté aux provocations et puissent donc se déclarer prêts à la reprise du dialogue [55]. Lucide, il saisit que Mai 68 ouvre des opportunités de coopération et ajoute que nombre de Français, las des années de défiance, désirent un nouveau départ. L’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie, le 21 août, constitue un facteur supplémentaire incitant la France à adopter une posture plus conciliante au sein du bloc occidental : « La crise tchèque renforce les pressions pour une plus grande coopération entre alliés occidentaux et pour le réchauffement de l’atmosphère franco-américaine. Le fait est que la position interne et externe du gouvernement français a été affaiblie par la crise française de mai-juin. ” [56]

30La CIA travaille durant l’été à la possibilité de renouer le dialogue [57]. Dans un mémorandum que Rostow transmet à Johnson, l’agence n’escompte pas de collaboration politique intense entre Paris et Washington. Toutefois, les deux pays seraient bien avisés de devenir plus arrangeants, de multiplier les échanges techniques et économiques. Le texte précise que les États-Unis ont davantage à offrir puis recense les changements espérés par chacun avant de définir des partenariats. La France pourrait ainsi modérer ses déclarations, rejoindre les négociations de désarmement, collaborer plus obligeamment aux Nations Unies et dans l’Alliance atlantique, aider à rééquilibrer la balance américaine des paiements et livrer des informations tant sur sa centrale nucléaire Phénix que sur certains programmes militaires soviétiques. Les États-Unis, quant à eux, satisferaient l’ego français en concédant plus d’autonomie à l’Europe, en reconnaissant l’influence de Paris dans ses anciennes colonies et en l’associant aux discussions sur le Moyen-Orient ou l’Asie du Sud-Est. Ils pourraient aussi se montrer plus souples en matière commerciale et monétaire, et, enfin, autoriser des transferts de technologies sensibles.

31Le département d’État affiche plus de prudence que l’ambassadeur et la CIA. Pour identifier une rupture dans la politique étrangère française, il prend moins en compte l’affaiblissement consécutif à la crise interne que la situation résultant de la répression du « printemps de Prague » [58]. Selon le département d’État, de Gaulle ne bouleversera pas sa diplomatie mais adoptera plutôt des tactiques en phase avec un environnement international moins favorable à la détente [59]. Cette différence d’appréciation mérite une interprétation. La CIA et l’ambassade à Paris entretiennent des relations étroites avec des interlocuteurs français [60] – fonctionnaires, intellectuels, opposants – et déchiffrent donc promptement les incidences de Mai 68 sur la politique étrangère du pays. À Washington, en revanche, le département d’État se livre à des études plus classiques qui se fondent sur la pratique gaullienne de la diplomatie et les soubresauts de l’actualité internationale ; ses fonctionnaires privilégient ainsi l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie comme césure.

LA REPRISE DE LA COOPÉRATION FRANCO-AMÉRICAINE

32Après la crise de Mai, plusieurs cercles français espèrent que l’affaiblissement du régime offrira l’occasion de rompre avec l’isolement au sein du bloc occidental. Une partie de la haute fonction publique souhaite cela depuis des mois [61]. La CIA relate aussi que les anciens de l’Algérie française qui se rallient tentent de poser un rapprochement avec les États-Unis comme une condition à leur soutien [62]. Elle fait état de contacts avec des parlementaires gaullistes également soucieux de travailler à une embellie des relations bilatérales [63]. Pensé immédiatement après Mai 68 dans les milieux dirigeants et les administrations, à Washington comme à Paris, le rapprochement se vérifie sans délai grâce à l’environnement international de l’été et de l’automne. L’occupation de la Tchécoslovaquie ébranle la politique gaullienne d’ouverture à l’Est tandis que la persistance des troubles monétaires prouve la diminution des capacités françaises à mener une politique financière indépendante [64].

33La fin du « printemps de Prague » ruine le projet de dépasser la logique des blocs, encore défendu par de Gaulle lors de son voyage en Roumanie du 14 au 18 mai. Elle motive l’intensification des échanges entre Paris et Washington : « En ce qui concerne l’impact de l’intervention tchécoslovaque (sic) sur les relations franco-américaines, nous restons encouragés par la coopération croissante à tous les niveaux situés en dessous de l’Élysée. » [65] En octobre, Shriver regarde ainsi l’avenir des liens bilatéraux avec confiance : « Que reste-t-il donc des espoirs de juillet en cet été indien d’incertitude politique ? Selon nous, il reste quelque chose d’assez important, bien qu’intangible et peut-être fragile – à savoir, une meilleure atmosphère. » [66] De fait, la rencontre entre Debré et Johnson, le 11 octobre, se déroule dans une ambiance qui tranche avec l’acrimonie des années précédentes [67]. Debré complimente le président pour son action, garantit que la France partage l’analyse américaine de l’affaire tchécoslovaque puis salue les négociations de paix qui se déroulent à Paris. Johnson, quant à lui, se réjouit que les discordes n’aient jamais dégénéré, exprime sa confiance en l’amitié entre les deux pays et loue la « direction politique forte » de De Gaulle. Ce ton nouveau des échanges au niveau politique confirme le regain de coopération à l’échelon administratif.

34Un mois plus tard, une crise éclate sur le marché des changes. Walt Rostow avertit le président qu’une dévaluation française – fixée aux alentours de 25 % – placerait les États-Unis devant un dilemme : soit dévaluer, soit démonétiser l’or [68]. Il formule une troisième option, moins hasardeuse, qui allierait une dévaluation française à une réévaluation allemande et ramènerait la France à la coopération [69]. Le 23 novembre, alors que les dirigeants se confondent en hypothèses à la Maison-Blanche, ils apprennent que Paris renonce à dévaluer unilatéralement, préservant la possibilité d’une solution concertée [70]. Le 25 novembre, Eugene Rostow, sous-secrétaire d’État aux Affaires politiques, et l’ambassadeur Lucet reconnaissent la nécessité d’une collaboration accrue sur les questions monétaires, même si des divergences persistent quant à ses modalités : « En ce qui concerne la crise monétaire, Lucet exprima sa gratitude pour l’action et les déclarations américaines. Il dit que ce fut une bonne semaine pour les relations franco-américaines. » [71]

35La réconciliation franco-américaine n’attend pas l’entrée en fonction de Nixon, élu le 5 novembre, mais commence avant que de Gaulle et Johnson ne quittent le pouvoir. Si l’ouverture des discussions avec Hanoï, l’invasion de la Tchécoslovaquie et les troubles monétaires dessinent un contexte international propice au dialogue, la crise du printemps marque une véritable césure. Mai 68, en effet, révèle à la Maison-Blanche la vulnérabilité inattendue de la diplomatie gaullienne aux développements de la vie politique et sociale française. Les fonctionnaires américains analysent finement les faiblesses et les divisions d’une France qu’ils n’identifient plus invariablement à son chef de l’État, discernant une issue à l’impasse dans laquelle paraissaient enfermés les rapports bilatéraux. Leurs dirigeants, qui se sont abstenus de proférer publiquement des commentaires désobligeants au cours des événements, exploitent ensuite les opportunités de coopération. Les États-Unis ont désormais la certitude que la France va cesser ses attaques contre les organisations qui structurent le bloc occidental mais ils demeurent prudents, car, bien qu’ils préparent l’après-de Gaulle, ils pressentent qu’une partie de sa politique lui survivra [72].

Notes

  • [1]
    CIA, rapport, Restless Youth, septembre 1968, LBJL, WHCF, Confidential File, 17 [2/2], « FG11-2 CIA ».
  • [2]
    Frank Costigliola met en parallèle les difficultés intérieures qui contrarient les ambitions mondiales de Johnson et de Gaulle en 1968 : France and the United States. The Cold Alliance since World War II, New York, Twayne Publishers, 1992, p. 154-159. André Kaspi définit les spécificités des troubles dans les deux pays : États-Unis 68. L’année des contestations, Bruxelles, Complexe, 1988, p. 73-74.
  • [3]
    Ces sources sont consultables à la Lyndon B. Johnson Library (Austin, Texas) et dans les FRUS.
  • [4]
    Philip Cerny estime qu’un temps « de convergence et de réconciliation » commence dès 1966 : The Politics of Grandeur, Cambridge, CUP, 1980, p. 237. Maurice Vaïsse privilégie trois facteurs de rapprochement : la crise de mai-juin 1968, l’invasion de la Tchécoslovaquie et l’entrée de Nixon à la Maison-Blanche ; La grandeur. Politique étrangère du général de Gaulle, 1958-1969, Paris, Fayard, 1998, p. 408-409. Georges-Henri Soutou révèle l’ampleur de la coopération franco-américaine en matière de défense à partir de 1969 : « Georges Pompidou and the US-European relations », in M. Trachtenberg (éd.), Between Empire and Alliance. America and Europe during the Cold War, Rowman & Littlefield, 2003, p. 157-200.
  • [5]
    DOS, mémorandum, De Gaulle and the North Atlantic Alliance, 4 mai 1965, LBJL, NSF, CF, 171, « France Memos », vol. VI.
  • [6]
    CIA, mémorandum, France and the Atlantic Alliance, 6 octobre 1967, LBJL NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIV.
  • [7]
    DOS, mémorandum, Is De Gaulle bluffing ?, 17 décembre 1964, LBJL, NSF, CF, 173, « France Memos », vol. V ; DOS, mémorandum, De Gaulle and the North Atlantic Alliance, 4 mai 1965.
  • [8]
    Frank Costigliola, « Not “a normal French government” : La réaction américaine au retrait de la France de l’OTAN », M. Vaïsse, P. Mélandri, F. Bozo (dir.), La France et l’OTAN, 1949-1996, Bruxelles, Éd. Complexe, 1996, p. 403-420.
  • [9]
    CIA, mémorandum, France and the Atlantic Alliance, 6 octobre 1967.
  • [10]
    Note, W. Rostow à L. Johnson, 28 juillet 1967, LBJL, NSF, CF, 173, « France Memos », vol. XII.
  • [11]
    Télégramme Paris 1288, 27 juillet 1967, FRUS, 1964-1968, vol. XII, no 76.
  • [12]
    En 1962, la CIA relativise les effets d’un assassinat du Général par l’OAS : lui succéderait un notable de la IVe République, enclin à renouer avec l’atlantisme ; SNIE, Consequences of the Death or Assassination of De Gaulle, 15 septembre 1962, LBJL, NSF, NIE, 5, « 22, France ». Les élections de 1967 suggèrent une étude prudente sur des changements politiques : DOS, mémorandum, The French Elections, 13 mars 1967, LBJL, NSF, CF, 173, « France Memos », vol. XI.
  • [13]
    DOS, copie du télégramme Paris 1725, De Gaulle will take France out of Atlantic Alliance in 1968, 8/8/1967, LBJL, NSF, CF, 173, « France Memos, vol. XII ».
  • [14]
    CIA, mémorandum, France and the Atlantic Alliance, 6 octobre 1967.
  • [15]
    « Lucet gémit en considérant les relations franco-américaines qui sont au point le plus glacé du thermomètre international » (23 décembre 1967) : Hervé Alphand, L’étonnement d’être, Paris, Fayard, 1977, p. 495.
  • [16]
    Télégramme Paris 9453, 23 janvier 1968, FRUS, 1964-1968, vol. XII, no 77.
  • [17]
    Télégramme Paris 10419, 16 février 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII. Johnson renonce à une nouvelle candidature le 31 mars 1968.
  • [18]
    CIA, mémorandum, French Actions in the Recent Gold Crisis, 20 mars 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [19]
    Si les accords Ailleret-Lemnitzer (22 août 1967) « normalisent » les rapports après la décision du 7 mars 1966, les craintes américaines concernant une rupture de la France avec l’Alliance ne s’apaisent jamais totalement avant 1968 ; elles sont entretenues par le discours de Montréal, les débats sur le rapport Harmel, la « dissuasion tous azimuts » ou encore le sentiment que de Gaulle est de plus en plus indifférent aux conseils de la haute administration.
  • [20]
    Pierre Journoud, « La France, les États-Unis et la guerre du Vietnam : l’année 1968 », P. Mélandri, S. Ricard (dir.), Les relations franco-américaines au XXe siècle, Paris, L’Harmattan, 2003, p. 169-192.
  • [21]
    DOS, mémorandum, Situation in France, 25 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [22]
    CIA, mémorandum, France’s Student-Labor Crisis : Causes and Consequences, 25 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [23]
    CIA, rapport, Student Dissent and its Techniques in the US, 5 janvier 1968, LBJL, NSF, AF, 9, « CIA », vol. III.
  • [24]
    « The genius of both the Republican and Democratic Parties for absorbing splinter groups and adopting once radical political planks has proved the great strength of our political system for over one hundred years. »
  • [25]
    La CIA a constaté que la dissidence américaine n’avait pas de liens avec l’Est ; Rhodri Jeffrey-Jones, The CIA and American Democracy, New Haven, Yale University Press, 1989, p. 167-168.
  • [26]
    CIA, mémorandum, France’s Student-Labor Crisis : Causes and Consequences, 25 mai 1968.
  • [27]
    Les diplomates observent pourtant la montée des oppositions à Paris (manifestations, désordres durant la visite du vice-président Humphrey en avril 1967).
  • [28]
    Geneviève Dreyfus-Armand, Jacques Portes, « Les interactions internationales de la guerre du Vietnam et Mai 68 », Les Années 68. Le temps de la contestation, Bruxelles, Complexe-IHTP, 2000, p. 49-68 ; Bernard Brillant, Les clercs de 68, Paris, PUF, 2003, p. 106-114.
  • [29]
    L’opposition à la guerre du Vietnam en France est mentionnée tardivement, dans le rapport Restless Youth.
  • [30]
    Télégramme Paris 14672, Last Minute Developments Prior to De Gaulle’s Adress, 24 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [31]
    CIA, mémorandum, The French Crisis, 31 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII. Selon Shriver, la crise pourrait motiver une révision du budget militaire, aux dépens des forces nucléaires et en faveur de l’armée de terre devenue le rempart d’un régime aux abois : télégramme Paris 15521, Situation Report, 4 juin 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII.
  • [32]
    CIA, télégramme, Support for De Gaulle during Current Crisis by Former French Resistance Underground, 20 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII. Il est impossible de vérifier tous les éléments de ce document isolé et caviardé ; les généraux Massu et Bigeard sont présentés à tort comme des anciens de l’OAS. J. Foccart raconte les retrouvailles avec des partisans de l’Algérie française : Foccart parle 1, Paris, le Grand Livre du mois, 1995, p. 356, 415, 461 ; Le Général en Mai, II, Paris, Fayard, 1998, p. 124-129. H. Alphand y fait référence avec inquiétude, op. cit., p. 505.
  • [33]
    N. Katzenbach, mémorandum, Situation in France as of Noon, May 25, 1968, 25 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [34]
    CIA, mémorandum, France : Situation Report, 26 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables ». De Gaulle n’évoque pas les troubles quand Shriver (nommé le 22 avril) lui présente ses lettres de créance le 25 mai.
  • [35]
    Mémorandum, French Situation as of 3 p. m., 26 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [36]
    CIA, télégramme, Aftermath of De Gaulle’s Speech. Reaction to Communist Violence during the Student Demonstrations, 25 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII.
  • [37]
    CIA, mémoranda, France (Situation Report), 26 mai 1968, France (Situation Report), 27 mai 1968, France (Situation Report), 28 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos, vol. XIII ».
  • [38]
    Note, W. Rostow à L. Johnson, 29 mai 1968 et télégramme Paris 15034, 29 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [39]
    DOS, mémorandum, Outlook for France, 29 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [40]
    DOS, mémorandum, The French Elections, 13 mars 1967.
  • [41]
    Télégramme Paris 15114, Possible Effects of Present Crisis on French Foreign Policy, 29 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII.
  • [42]
    Télégramme, R. Helms à L. Johnson, Herewith CIA’s Memorandum of the French Crisis, 31 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIII.
  • [43]
    Ces phrases sont presque celles de F. Mitterrand : Le coup d’État permanent, Paris, Plon, 1964, p. 96.
  • [44]
    Confronté à un double risque (la répression si les troubles persistent, l’alliance avec des partis atlantistes en cas d’alternance), le PCF a intérêt à l’apaisement ; Gaël Moullec, « Mai 1968, le PCF et l’Union soviétique : note des entretiens entre les dirigeants du PCF et l’ambassadeur soviétique en France », Communisme, no 53-54, 1998, p. 151-164.
  • [45]
    CIA, mémorandum, France’s Student-Labor Crisis : Causes and Consequences, 25 mai 1968 ; CIA, mémorandum, Wold-Wide Student Conspiracy ?, 14 juin 1968, LBJL, NSF, AF, 9, « CIA », vol. III [2/2].
  • [46]
    Télégramme State 170648, 30 mai 1968, LBJL, NSF, Files of W. Rostow, 13, « The likelihood of more French-style eruptions ».
  • [47]
    W. Rostow, mémorandum, The Likelihood of More French-Style Eruptions, 13 juin 1968, LBJL, NSF, Files of W. Rostow, 13, « The likelihood of more French-style eruptions ».
  • [48]
    Note, W. Rostow à L. Johnson, 26 mai 1968, NSF, CF, 174, LBJL, « France Memos », vol. XIII.
  • [49]
    Télégramme Paris 14914, Possible Effects of Present Crisis on French Foreign Policy, 28 mai 1968, FRUS, 1964-1968, vol. XII, no 79.
  • [50]
    Télégramme Paris 15521, Situaon (sic) Report Noon June 4 – Department Embassy Telecos, 4 juin 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII. Les gaullistes regardent avec amertume l’affaiblissement de leur diplomatie : M. Debré, Gouverner autrement (1962-1970), Paris, Albin Michel, 1993, p. 228-229.
  • [51]
    Note, W. Rostow à L. Johnson, 26 mai 1968.
  • [52]
    DOS, mémorandum, Outlook for France, 29 mai 1968.
  • [53]
    Note, W. Rostow à L. Johnson, 31 mai 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII.
  • [54]
    W. Rostow, mémorandum, Plans to deal with a Possible Franc-Sterling Monetary Crisis, 7 juin 1968 ; H. Fowler, mémorandum, The Present Crisis in France Offers both a Threat and an Opportunity, transmis le 7 juin 1968, LBJL, NSF, SF, 3, « Balance of payments », vol. V [1/2].
  • [55]
    Télégramme Paris 14914, Possible Effects of Present Crisis on French Foreign Policy, 28 mai 1968.
  • [56]
    Télégramme Paris 20272, French Policy of East-West Détente in Wake of Czech Crisis, 2 septembre 1968, FRUS, 1964-1968, vol. XII, no 83.
  • [57]
    CIA, mémorandum, Possibilities for Accommodation between the US and France, 28 août 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIV.
  • [58]
    DOS, mémorandum, De Gaulle’s Foreign Policy : 1969 Version, 20 décembre 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIV.
  • [59]
    Frédéric Bozo, Deux stratégies pour l’Europe. De Gaulle, les États-Unis et l’Alliance atlantique, 1958-1969, Paris, Plon-Fondation Charles-de-Gaulle, 1996, p. 198-200.
  • [60]
    M. Vaïsse, op. cit., p. 368-369.
  • [61]
    DOS, copie du télégramme Paris 1725, De Gaulle will take France out of Atlantic Alliance in 1968, 8 août 1967.
  • [62]
    CIA, télégramme, Support for De Gaulle during Current Crisis by Former French Resistance Underground, 20 mai 1968.
  • [63]
    CIA, mémorandum, 2 juin 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIII.
  • [64]
    Maurice Couve de Murville, Une politique étrangère (1958-1969), Paris, Plon, 1971, p. 153.
  • [65]
    Télégramme Paris 20272, French Policy of East-West Détente in Wake of Czech Crisis.
  • [66]
    Télégramme Paris 22164, Franco-American Relations on Ève of Debré’s Visit to Washington, 10 octobre 1968, FRUS, 1964-1968, vol. XII, no 84.
  • [67]
    Mémorandum de conversation (Johnson-Debré), US-French Relations ; Soviet Intervention in Czechoslovakia ; the Middle East ; and Vietnam, 11 octobre 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIV.
  • [68]
    W. Rostow, mémorandum, 17 novembre 1968, LBJL, NSF, SF, 22, « Monetary crisis », November 68, vol. 1 [2/2].
  • [69]
    W. Rostow, mémorandum, 18 novembre 1968, LBJL, NSF, SF, 22, « Monetary crisis », November 68, vol. 1 [2/2].
  • [70]
    Mémorandum, Meeting with the President, Secretary Fowler’s Briefing on the International Monetary Crisis (11/23/68), 26 novembre 1968, LBJL, NSF, SF, 22, « Monetary crisis », November 68, vol. 1 [1/2].
  • [71]
    DOS, mémorandum de conversation (Charles Lucet - Eugène V. Rostow), Franco-American Relations in the Aftermath of the Monetary Crisis, 25 novembre 1968, LBJL, NSF, CF, 174, « France Cables », vol. XIV.
  • [72]
    DOS, US Policy toward Western Europe, décembre 1968, LBJL, NSF, SF, 50, « Transition PPC Papers » ; CIA, rapport, De Gaulle and the Fifth Republic, 1958-1968, 20 décembre 1968, NSF, CF, 174, « France Memos », vol. XIV. La crise aurait dévoilé les forces et les faiblesses du régime : les institutions survivront au Général mais ses successeurs, absorbés par les enjeux intérieurs, seront pragmatiques sur les questions internationales. Ils poursuivront sans doute les politiques définies sous la IVe République (dissuasion nucléaire, amitié franco-allemande, coopération avec les ex-colonies). En revanche, les initiatives gaulliennes devraient être nuancées : la France ne réintégrera pas les structures intégrées de l’OTAN mais coopérera avec elles et évaluera plus positivement l’intégration européenne ou l’adhésion britannique à la CEE.
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