Couverture de GFP_2005

Article de revue

La gestion de la fiscalité locale

Pages 32 à 40

Notes

  • [1]
    Cet article est issu d’une communication au séminaire organisé par la Société Française de Finances Publiques à Perpignan le 7 février 2020 sur le thème de « L’avenir de la réforme locale : les enjeux et les transformations de la fiscalité ». Elle a été publiée avec les actes du séminaire sous le tire « L’administration de la fiscalité locale » par le Bulletin juridique des collectivités locales n° 2-20, p.4. Nous remercions son rédacteur en chef, le Professeur Bernard Poujade d’en avoir autorisé la reprise.
  • [2]
    Par exemple : L’autonomie financière des collectivités territoriales, dir. Marc Leroy, Economica, 2017 et dossier du n° 2-2017 de G&FP, notamment Eric Oliva, La conception de l’autonomie financière locale, quel contenu ? quelle effectivité ? ; D.Catteau : Le mythe de l’autonomie fiscale et financière, vers une responsabilisation ? G&FP, n° 2020-2, p. 13.
  • [3]
    C’est pourquoi, on se référera largement à la documentation administrative, par exemple, aux « Fiches sur la fiscalité locale à l’attention des agents des collectivités locales et des établissements publics locaux », https://www.collectiviteslocales.gouv.fr/files/files/finances_locales/fiscalite_locale/vademecum_fiscalite_directe_locale_collectivites.pdf ou la « Brochure pratique Impôts locaux 2019 » https://www.impots.gouv.fr/portail/www2/fichiers/documentation/brochure/idl/idl_2019.pdf.
  • [4]
    « La gestion de la fiscalité locale par la DGFiP », Cour des comptes, janvier 2017,https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20170201-rapport-gestion-fiscalite-directe-locale-dgfip.pdf
  • [5]
    Voir cependant : La gestion de la fiscalité locale, Revue française de finances publiques, n° 50,1995 et La renationalisation de la fiscalité locale, Vincent Dussart, Revue européenne et internationale de droit fiscal, n° 2019-1.
  • [6]
    Ordonnance n°59-108 du 7 janvier 1959 portant réforme des impositions perçues au profit des collectivités locales et de divers organismes ; loi n° 80-10 du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale
  • [7]
    Loi n°2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.
  • [8]
    « En effet, il n’existe pas d’administration fiscale locale… » Vincent Dussart, art. précité.
  • [9]
    Rapport d’activité de la DGFiP pour 2019.
  • [10]
  • [11]
  • [12]
    Art. précité.
  • [13]
    Présidées par le Maire ou son délégué, ces commissions sont composées de contribuables choisis par le directeur départemental des services fiscaux sur une liste présentée par le conseil municipal. L’administration y participe en principe. Ces commissions, au vu d’un état fourni par l’administration (listes 41) mettent à jour les bases en intégrant les changements de consistance des immeubles et en procédant à certaines actualisations et revalorisations. Elles sont consultées sur les évaluations des locaux types et même sur les questions de fait soulevées par les réclamations.
  • [14]
    Délibération n°97-074 Ville d’Orléans : « …cette faculté (la communication des bases des impôts locaux) ne saurait être mise en œuvre dans des conditions telles que l’administration municipale exercerait des pouvoirs la faisant participer aux travaux de contrôle individuel qui relèvent de la compétence exclusive de l’administration fiscale ».
  • [15]
    Norme simplifiée n°45 adoptée par délibération n°2004-083 du 4 novembre 2004, https://www.legifrance.gouv.fr/affichCnil.do?oldAction=rechExpCnil&id=CNILTEXT000017653184&fastReqId=1889154164&fastPos=1
  • [16]
    Renseigner les contribuables sur leur situation fiscale, procéder à des études sur la répartition et l’évolution des impôts locaux, réaliser des simulations sur des éventuelles modifications du taux des impôts ou même des analyses sur la situation économique des entreprises.
  • [17]
    CE, sect. 21 mars 2011, Krupa, n° 306225, Lebon p.230 ; CE22 avril 2012,n° 337802 ; CE 16 juillet 2014 n° 361570.
  • [18]
    Valeur vénale qui est largement utilisée pour le calcul des droits d’enregistrement et pour l’imposition des plus-values. Les taxes daménagement sont calculées sur la base d’une valeur du M2 appliqué à une « surface corrigée ».
  • [19]
    Article 34 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 modifié par l’article 48 de la loi n°2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.
  • [20]
    Loi n°2013-1279 du 29 décembre 2013, art.74
  • [21]
    Voici quelques autres exemples de « bizarreries » : La taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui est un impôt, est considérée statistiquement comme une redevance ; la taxe sur les pylônes, qui s’apparente à un impôt immobilier, est gérée comme la TVA ; la redevance des mines, qui est un impôt indirect, est déclarée à « l’ingénieur en chef des mines » et recouvrée par voie de rôles, comme une contribution directe. ; la taxe de balayage, facultative et qui a été instaurée dans cinq communes dont Paris, était gérée par les communes sauf naturellement pour le recouvrement assuré « comme en matière de contributions directes » ; la taxe forfaitaire sur les cessions de terrains nus devenus terrains à bâtir (facultative) est gérées par les services de publicité foncière bien qu’elle ne soit pas un droit d’enregistrement mais une imposition des plus-values ; la surtaxe sur les eaux minérales est gérée par l’administration des douanes ; la taxe d’aménagement, gérée par les directions départementales des territoires, est payable à la caisse des directions départementales des finances publiques ; la taxe sur les conventions d’assurances est auto-liquidée par les assureurs et payée directement sur le compte du Trésor à la Banque de France.
  • [22]
    La taxe de balayage a été transformée en redevance par la loi de finances pour 2019. La Loi de finances pour 2020 a supprimé la taxe sur les permis de conduire.
  • [23]
    Les politiques des finances locales, transformations des relations financières central/ local en France (1970-2010) Janvier 2017 Thèse de Camille Allé.
  • [24]
    CESE, Pour une réforme globale de la fiscalité locale, avis 2018-11, avril 2018 ; A. Richard et D. Bur, Mission finances locales, Rapport sur la refonte de la fiscalité locale, mai 2018.
  • [25]
    L’enjeu n’est pas mince : 450 M€ en 2018 sur le territoire de 73 % des communes. Les progrès réalisés dans les obligations d’information et de déclarations incombant aux plateformes vont leur faciliter la tâche mais la fraude non sanctionnée reste importante. Une commune balnéaire de l’Hérault estime ses pertes de recettes à 25 ou 30 %.
  • [26]
    La réforme du stationnement payant, un cas de modernisation de la gestion publique, Philippe Dufresnoy, G&FP n° 2-2018 ; Rapport du Défenseur des droits : La défaillance du forfait post-stationnement, rétablir les droits des usagers, 14 janvier 2010 https://defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2020/01/la-defaillance-du-forfait-de-post-stationnement-retablir-les-droits-des-usagers. Après la décentralisation du stationnement payant, une partie importante des recommandations du Défenseur des droits s’adressent au ministre de l’action et des comptes publics et il recommande la recréation d’une mission interministérielle de pilotage !
  • [27]
  • [28]
    Par exemple, la réponse ministérielle au sénateur Mathieu JO Sénat 1 mars 2000.
  • [29]
  • [30]
    Pour une vision plus optimiste et plus volontariste, Marc et Olivier Wolf : La réforme de la taxe d’habitation, une première étape, G&FP n° 2-2020 mars-avril 2020, p.85.

L’État assume l’essentiel de la charge de la gestion de la fiscalité locale qui est complexe et archaïque. Les collectivités locales y participent diversement selon les impôts mais restent très dépendantes de l’État. Cette répartition inégale des tâches n’est pas contestée mais reste fragile et en contradiction avec la volonté de renforcer l’autonomie des collectivités.

1Ce sujet paraît, au premier abord, simple et d’un intérêt limité. Il est ainsi résumé dans le manuel de M.Bouvier, M.-C. Esclassaan et J-P.Lassalle : « Ce sont les services de l’État qui gèrent l’impôt local. La DGFiP assure à cet effet les missions d’assiette, de contrôle, d’information et de recouvrement ». Mais, le sujet est plus vaste que celui des impôts directs gérés par la DGFiP et il est aussi plus chargé de sens que prévu !

2Le domaine de l’administration de la fiscalité locale est aussi vaste que celui de la fiscalité locale dont il existe plusieurs définitions : par ses bénéficiaires, par ses décideurs, par son assiette territorialisée. On retiendra ici un critère cumulatif : sont considérés comme « locaux », les impôts qui bénéficient aux collectivités locales, qui sont territorialisés et sur lesquels elles ont une part de pouvoir de décision. D’ailleurs, la plupart des impôts locaux sont en réalité « mixtes » avec une gradation du « très local » (par exemple, la taxe de séjour) au « peu local » (par exemple, la plupart des impôts transférés telle que la taxe intérieure de consommation des produits énergétiques). Seuls les transferts du produit d’impôts d’État (par exemple le transfert de TVA aux régions) seront exclus de cette étude bien qu’elles soient qualifiées de ressources propres par le Conseil constitutionnel. Leur administration, en amont de l’opération de transfert des recettes, incombe entièrement à l’État. Il s’agit d’une simple affectation de ressources préexistantes qui, au niveau des collectivités, relève exclusivement d’une analyse budgétaire et non du domaine fiscal.

3Le thème de « la gestion » ou de « l’administration » de la fiscalité n’est pas moins large. Dans une première approche, le sujet est simple. Il n’existe pas d’administration de la fiscalité locale au sens organique du terme. Néanmoins, cette fiscalité nécessite l’accomplissement de nombreuses tâches administratives qui motivent l’intervention de plusieurs services, principalement-mais pas seulement-ceux de la DGFiP. Nous retiendrons donc une approche matérielle ou fonctionnelle de la gestion qui recouvre tout ce qui est nécessaire à la mise en œuvre de cette fiscalité : la conception de la fiscalité locale, la détermination de son assiette, son recouvrement, son contrôle, son contentieux et l’information des contribuables.

4Il est assez surprenant que ce sujet, à la fois vaste et très concret, soit passé sous les radars des débats politiques ou des études universitaires. C’est un sujet assez peu traité dans les manuels de finances publiques, et encore moins dans la littérature des sciences administratives. Dans le débat public, on évoque fréquemment différentes formes d’autonomie des collectivités territoriales (autonomie financière, autonomie fiscale, autonomie de gestion (c’est-à-dire des dépenses…) [2] mais ces notions n’intègrent jamais l’autonomie administrative en matière de fiscalité locale [3]. Il a cependant fait l’objet d’un rapport de la Cour des comptes, à la demande de la Commission des finances de l’Assemblée nationale, rendu public en janvier 2017 [4].

5Cette discrétion peut avoir plusieurs raisons : D’abord, d’autres sujets relatifs à la fiscalité locale ont des enjeux bien plus importants alors que la question de l’administration de la fiscalité est plutôt subalterne et se prête mal à des déclarations de principe ou à des études universitaires. Ensuite, le sujet est difficile à saisir. Son champ est large et, à l’intérieur de ce périmètre indéterminé, on trouve une grande variété de situations qui sont difficiles à synthétiser [5].

6La discrétion sur ce sujet pourrait venir aussi du fait que la situation est satisfaisante. Or, nous verrons qu’il n’en est rien. Bien au contraire, et c’est tout l’intérêt du sujet, la gestion de la fiscalité locale, est un parfait révélateur des déséquilibres institutionnels entre l’État et les collectivités territoriales, déséquilibres qu’elle contribue à perpétuer et à amplifier.

7Elle se caractérise par un partage très inégal des compétences à la charge de l’État (1) qui induit un système de dépendance au détriment des collectivités territoriales (2)

1 – L’administration de la fiscalité locale : un partage inégal des compétences

8Bien que dominé par les impôts directs locaux, il s’agit d’un ensemble vaste et hétérogène (A), dont la gestion est essentiellement à la charge de l’État (B), ce qui représente des enjeux et une charge considérables (C).

A – L’administration de la fiscalité locale : un vaste domaine hétérogène

9Les modalités de gestion de la fiscalité locale sont très diverses selon les impositions. La distinction principale sépare les impôts directs des autres impôts

a – L’établissement des impôts directs structure l’ensemble du dispositif. Les impôts directs se répartissent entre les impôts ménages et les impôts économiques

10Il s’agit en premier lieu des impôts directs locaux issus de la Révolution et de leurs taxes annexes, ou du moins ce qu’il en reste après la disparition de l’impôt sur les portes et fenêtres en 1926, de la taxe professionnelle en 2011 et de la suppression programmée de la taxe d’habitation sur les résidences principales. Le mode d’administration de ces impôts, qui représentent encore la moitié des ressources fiscales des collectivités, a profondément structuré toute l’administration de la fiscalité locale.

11Les « quatre vieilles » ont été créées en 1790-1791 comme impôts d’État auxquels s’ajoutaient des centimes additionnels au profit des communes. Elles étaient administrées localement par des élus émanant de la collectivité des contribuables. À partir de 1798, leur administration a été confiée à une administration professionnalisée qui est devenue la régie des contributions directes, administration de l’État. Lors de la création de l’impôt sur le revenu en 1917, ces taxes sont devenues des impôts exclusivement locaux sous forme de centimes additionnels aux principaux fictifs remplaçant les anciens impôts d’État. Le précédent d’une gestion étatique des impositions locales était établi. Il ne sera pas remis en cause par la réforme de ces impôts en 1959 et en 1980 [6]. Les taxes annexes ont suivi, comme la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui suit le régime de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Tout récemment, la taxe GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) a fait l’objet de débats quant à la compétence des communes ou des intercommunalités mais son administration a naturellement été confiée aux services de l’État.

12Une autre grande catégorie d’impôts directs locaux qui relève d’un système d’administration particulier est celle des impositions des entreprises issues de la réforme de la taxe professionnelle [7] dont la caractéristique principale a été de substituer à une imposition territorialisée des impositions dont l’essentiel des règles d’assiette et de taux sont fixées au niveau national : la contribution foncière des entreprises, la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, l’imposition forfaitaire des entreprises de réseau. Leur administration suit pour l’essentiel le sort des autres impôts sur les entreprises (impôts sur les sociétés et TVA) et a naturellement été confiée aux services de l’État chargés des impôts des entreprises. Ceux-ci ont récupéré l’administration d’autres impôts économiques, préexistants ou postérieurs à la réforme de la taxe professionnelle et, notamment, la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) créée en 1972 et réformée en 2009.

b – Les autres impôts locaux, droits d’enregistrement, taxes d’urbanisme et impôts indirects constituent un ensemble hétérogène

13Les droits d’enregistrement partagés entre l’État et les collectivités locales sont administrés par les services de l’État compétents (services fonciers, bureaux de l’enregistrement) : droits de mutation à titre onéreux sur les ventes d’immeubles, taxe de publicité foncière, taxes additionnelles aux droits de mutation sur les fonds de commerce, le droit au bail…. La taxe forfaitaire sur les terrains nus devenus constructibles, qui suit le même régime, est en fait un impôt sur certaines plus-values.

14Il en est de même d’une autre catégorie d’impôts qui sont liées à la réalisation d’opérations d’urbanismes : taxes d’aménagement (regroupée par la loi de finances pour 2010) et administrée par les directions départementales du territoire à l’occasion de la délivrance des autorisations du droit des sols, redevances pour la création de bureaux en Ile-de-France.

15Les impôts indirects, impôts nationaux transférés aux collectivités (taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques, TICPE, la taxe sur les conventions d’assurance (TSCA), taxe sur les permis de conduire, taxe sur les cartes grises) ou impôts locaux facultatifs (surtaxe sur les eaux minérales, taxe sur la publicité, taxe communale et départementale sur les remontées mécaniques, taxe communale ou départementale sur la consommation finale d’électricité, produits des jeux dans les casinos, taxe de séjour) sont encaissés par un comptable public mais les autres volets de leur administration relève soit d’administrations spécialisées (par exemple les directions du territoire pour les taxes d’urbanisme ou les douanes pour la TICPE), soit des collectivités elles-mêmes (ex. taxe de séjour).

B – La gestion de la fiscalité locale est assurée principalement par l’État

16Il n’y a pas d’administration de la fiscalité locale au sens organique du terme [8]. Un parcours des organigrammes actuels des services ne met en évidence que peu de services dédiés exclusivement à la fiscalité locale dans l’administration d’État, même à la DGFiP, aussi bien au niveau central que sur le terrain.

17a) Au niveau de la conception, aucun service ne dispose d’une vue d’ensemble.

18On trouve un bureau de la fiscalité locale à la sous-direction des finances locales et des affaires économiques de la direction générale des collectivités locales (DGCL) du ministère de l’intérieur. Mais, le vrai pouvoir réside à Bercy. À la direction du budget le bureau 5BCL est intitulé « collectivités locales » mais ne s’occupe pas ou peu de la mise en œuvre de la fiscalité locale.

19À la DGFiP, il existe un service des collectivités locales, mais il ne s’occupe pas du tout de fiscalité ! Ce domaine est resté dans les subdivisions fiscales héritées de l’ancienne direction générale des impôts mais il est dispersé car la partie fiscale de la DGFiP est organisée en fonction de la nature des contribuables. À la direction de la législation fiscale comme au service de la gestion fiscale, les compétences en matière de fiscalité locale sont réparties entre les sous-directions chargées de la fiscalité des entreprises, de la fiscalité des personnes ou de la fiscalité des transactions ou du patrimoine, qu’il s’agisse des impôts d’État ou des impôts locaux.

20La fiscalité locale est donc une affaire de spécialistes dont ce n’est pas la fonction principale. Il n’est donc pas étonnant que la Cour des comptes critique dans son rapport sur la gestion de la fiscalité locale par la DGFiP : « … la moindre priorité attachée à la fiscalité directe locale prise globalement par rapport à l’attention apportée à l’établissement et à la perception d’autres catégories de recettes ».

21Il en est probablement de même au comité des finances locales qui s’occupe davantage des questions de dotations que des impôts. Au Parlement, les vrais spécialistes sont également très peu nombreux.

22Cette absence de vue d’ensemble est sans aucun doute une des raisons de la difficulté à réformer un système qui fait l’objet de nombreuses adaptations chaque année et dont la complexité ne fait que s’amplifier.

23b) Sur le terrain, on constate une même dissémination des compétences. Dans les directions régionales et départementales des finances publiques, il existe cependant des services de la fiscalité directe locale (SFDL). Ils assurent les liaisons avec les collectivités locales (réception des délibérations, notification des bases), des missions de conseil (par exemple des simulations) et une assistance au contrôle de légalité.

24Mais, dans les services de gestion, les responsabilités sont éclatées. Les services d’imposition des particuliers s’occupent de l’assiette et du contentieux des taxes d’habitation et des taxes foncières en liaison avec les centres des impôts fonciers, anciens services du cadastre, qui recensent les terrains, les constructions et les propriétaires et procède à l’évaluation des valeurs locatives. Les services d’impositions des entreprises suivent l’assiette des impôts économiques (contribution foncière des entreprises et contribution sur la valeur ajoutée des entreprises, taxe sur les surfaces commerciales qui sont des impôts autoliquidés par les contribuables) et en assure le contrôle et le contentieux. Les services de la publicité foncière s’occupent de droits de mutation, de la taxe de publicité foncière, de la taxe sur les terrains nus devenus constructibles.

25Le recouvrement, qui, depuis la fusion de 2008, est assuré par les mêmes services que l’assiette, s’est progressivement simplifié et modernisé. Les contribuables se sont longtemps plaints de l’illisibilité des avis d’imposition et les percepteurs de l’archaïsme de leurs logiciels informatiques. La modernisation est en cours et la synergie avec les autres impositions permet d’améliorer l’efficacité du recouvrement qui reste une charge très lourde. La dématérialisation des paiements y est très inférieure à celle des impôts d’État pour les ménages (En 2018, 64,7 % pour la taxe d’habitation, 65,8 % pour la taxe foncière contre 84,7 % pour l’impôt sur le revenu).Elle est quasi-totale pour les impôts locaux des entreprises. Les taux de recouvrement sont plus faibles que pour les impôts d’État.

26Le contrôle est important au niveau de l’identification des contribuables et des obligations déclaratives mais il reste assez limité pour le contrôle a posteriori. Les droits nets notifiés dans le cadre du contrôle fiscal externe au titre de 2018 s’élèvent à 533 M€ sur 13 Md€ de droit notifiés [9]. La Cour a relevé en 2017 que seulement 10 % des dossiers de contrôle fiscal externe comportaient une observation sur la fiscalité locale.

27En revanche, le contentieux des impôts locaux (terme qui pour l’administration recouvre le contentieux proprement dit portant sur l’application des textes et les demandes gracieuses qui sont motivées par des difficultés de paiement) est particulièrement lourd : plus de 2 millions de réclamations chaque année (dont 1,2 M pour la taxe d’habitation, 380 000 pour les taxes foncières et 312 500 pour les impôts économiques) sur un total de 3,7 millions de réclamations reçues par les services, tous impôts confondus.

28Compte tenu de la complexité du dispositif, les missions de relations avec les contribuables, d’information et d’assistance sont importantes et incombent aux services de base sans qu’ils disposent d’un appui national équivalent aux moyens mobilisés pour la campagne de déclaration des revenus.

29L’intervention de multiples services spécialisés a réduit l’importance du percepteur polyvalent, au niveau cantonal, qui confectionnait les budgets des communes de son ressort, prenait en charge les rôles d’impôts directs correspondants et assurait le recouvrement auprès des contribuables qu’il connaissait souvent personnellement. S’il était adapté à un système reposant principalement sur les impôts fonciers et mobiliers, il est devenu inadapté à la complexité actuelle. L’enjeu de la réforme du réseau lancée en 2019 est de réorganiser les fonctions de proximité, d’informations et renseignements des contribuables et les missions de conseils aux collectivités en améliorant les qualifications des équipes sans trop perdre de proximité.

C – Des enjeux considérables

30Ils peuvent s’exprimer en enjeu financier ou en charges de travail

31a) Les enjeux financiers de ces différentes ressources fiscales sont considérables. La fiscalité locale représente, en 2017, 140 Md€ (à comparer aux 334 Md€ d’impôts d’État et aux 1038 Md€ de prélèvements obligatoires) [10]. Ils assurent près de 70 % des recettes de fonctionnement (200Md€) des collectivités locales.

32Les impôts directs locaux s’élèvent à 90 Md€ (ménages : 62,7Md€ et entreprises : 27,5Md€).

33Les autres impôts s’élèvent à 50 Md€ dont les trois plus importants sont : les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) pour 14Md€, la taxe intérieure de consommation de produits énergétiques (TICPE) (11Md€), la taxe sur les conventions d’assurance (TSCA) (7Md€).

34À elle seule, la DGFiP collecte 115,5 Md€ de recettes fiscales pour les collectivités (couvrant la moitié de leurs recettes de fonctionnement), ce qui représente 15 % des recettes encaissées par la DGFiP. Ils se répartissent en : 65,5 Md€ pour la TH et la TF ; 12,2 Md€ pour les impôts économiques ; 27,7 Md€ pour les droits d’enregistrement et 3,6 Md€ de divers) (s’y ajoutent 60, 5 Md€ de recettes non fiscales) [11]. C’est pour elle une mission annexe mais qui mobilise beaucoup de moyens.

35b) En effet, la gestion de la fiscalité locale nécessite de très nombreuses opérations. Les impôts directs reposent sur 73 millions d’articles et provoquent l’envoi de plus de 65 millions d’avis d’imposition. Les services d’assiette gèrent plus de 100 millions de parcelles ; plus de 50 millions de locaux ; 38 millions de propriétaires ; plus de 3 millions de changement par an…

36Les taux d’intervention (rapport entre les coûts et le rendement des impôts) sont plus élevés pour les impôts directs locaux (2,5 pour la TH et 1,2 pour la TF) que pour l’ensemble des impôts (0,86) alors que, selon la Cour des comptes, la fiscalité locale n’offre pas de gisement massif d’économies.

37Dans son rapport de 2017, la Cour des comptes évalue les coûts directs, hors compensation des dégrèvements législatifs, exonérations et abattements à 4Md€. Elle estime que les impôts directs locaux mobilisent 14 % des effectifs de la DGFiP (14.800ETP) et 17 % de son budget. La charge est donc très lourde pour l’État, surtout en période de réduction d’effectifs.

38Pourquoi l’État assume-t-il sans sourciller une telle charge ? L’explication historique et la difficulté de réformer un tel ensemble aussi hétérogène et aussi sensible sont évidentes. Peut-être aussi que la situation de dépendance qui résulte d’un tel système a créée une « addiction » dont il est difficile de se passer.

2 – L’administration de la fiscalité locale : un facteur de dépendance des collectivités locales à l’égard de l’État

39L’État assume donc de lourdes charges qui pourraient, ou devraient, relever logiquement des responsabilités locales. Cette inégale et illogique répartition des tâches traduit les caractères actuels de la fiscalité locale : Des compétences très encadrées pour les collectivités territoriales (A), un archaïsme et une complexité certaines (B), une relation de dépendance à laquelle il est difficile de renoncer(C).

A – Des compétences très limitées pour les collectivités locales

40a) Les collectivités territoriales disposent de compétences très diverses selon les impôts. Leurs compétences s’inscrivent dans le cadre fixé par la Constitution qui, selon l’article 34, réserve à la loi « la fixation des règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures », exclusivité atténuée en 2003 par l’article 72-2 qui prévoit que la loi peut autoriser les collectivités territoriales à « fixer l’assiette et le taux dans les limites qu’elle détermine ». Le domaine de la fiscalité locale est un bel exemple de compétences normatives partagées et de « différenciation » organisée.

41Les délibérations des collectivités peuvent porter sur des sujets variés. Les collectivités peuvent décider d’instituer ou de supprimer les taxes facultatives (taxe d’enlèvement des ordures ménagères ou redevance, taxe GEMAPI, impôts indirects sur le séjour, l’électricité, les remontées mécaniques…). Dans certains cas, elles votent un produit global (impôts directs locaux, taxe GEMAPI) ou disposent d’un certain pouvoir de taux qui est généralement encadré (impôts directs sur les ménages ; contribution foncière des entreprises ; taxe sur les conventions d’assurance des régions ; droits de mutation des départements ; coefficients multiplicateur de la taxe sur la consommation finale d’électricité et de la Tascom ; modulation régionale de la TICPE sur les carburants…)

42Elles peuvent aussi intervenir au niveau de l’assiette, soit pour imposer une base minimum (taxes foncières), pour réduire la charge (abattements de taxe d’habitation à la base et pour charges de familles ; abattements à la taxe de séjour) ou l’augmenter (ex. majoration de la valeur des terrains constructibles à la taxe foncière des propriétés non bâties). Elles peuvent décider d’exonérations temporaires (constructions nouvelles pour la taxe foncière) ou d’exonérations liées à certaines activités (exonération de contribution foncière des entreprises au profit des activités culturelles, artisanales, agricoles, sociales abattements, exonérations des droits de mutation par les départements).

43Au total, le catalogue de délibérations mises à jour chaque année par la DGFIP contient 110 types de délibérations spécifiques que l’administration de l’État devra prendre en compte pour établir les impositions.

44Le calendrier est très contraint. En général, les délibérations doivent être prises avant le 1er octobre pour pouvoir être prises en compte dans le calcul des impôts de l’année suivante.

45Les administrations les intègrent dans les logiciels spécifiques et doivent être en mesure de notifier les produits fiscaux avant le 15 mars ainsi que de nombreuses autres données pour le vote du budget de l’année, qui doit intervenir avant le 15 avril. Après vérification et intégration des données issues des délibérations votées, les avis d’imposition individuels des impôts perçus par voie de rôle seront adressés aux contribuables à l’automne.

46Ces délais sont évidemment impératifs et sont très courts eu égard à la diversité et au volume des taches à accomplir.

47b) Si elles peuvent avoir un certain pouvoir dans la création, l’assiette et le taux de certains impôts, les collectivités sont en revanche totalement exclues de la mise en œuvre des impositions qui relèvent de la DGFiP. Comme le souligne Vincent Dussart : « La fiscalité locale n’a jamais été véritablement décentralisée » [12].

48L’article 350 terdécies de l’annexe III au CGI fixe le principe de la compétence exclusive des agents de la DGFiP pour établir les impositions. L’administration s’est toujours montrée réticente au partage du pouvoir, et même de l’information, avec les collectivités au nom des principes de neutralité, du secret professionnel (article L 103 du LPF) et du secret statistique.

49L’association des contribuables à travers les commissions communales ou intercommunales des impôts directs (art.1650 et 1650A du CGI) constitue une exception traditionnelle et remarquable à cette compétence exclusive de l’administration de l’État [13]. Cette participation indirecte des citoyens à l’exercice d’une fonction régalienne est tout-à-fait originale et vient de l’époque révolutionnaire où le produit des impôts direct était réparti sous le contrôle des citoyens. Mais ce système est de moins en moins efficace, notamment en milieu urbain et péri-urbain, et l’administration n’est plus guère présente dans les commissions, même en milieu rural.

50Une certaine collaboration a peu à peu été acceptée et organisée. L’article 135 B du LPF dispose que « Les collectivités locales et l’administration fiscale peuvent s’échanger mutuellement les informations nécessaires au recensement des bases d’imposition des impôts directs locaux.. ». Ces informations restent couvertes par le secret professionnel. L’administration fiscale rappelle, dans sa documentation, que la CNIL encadre très strictement l’utilisation des informations recueillies. Dans un premier temps, la CNIL a en effet été plutôt méfiante [14] mais la norme simplifiée n° 45 adoptée en 2004 [15] autorise l’exploitation informatique par les communes des fichiers relatifs aux impôts directs locaux et transmis par l’administration pour des usages assez larges [16].

51L’administration communique donc aux collectivités un certain nombre d’informations sur les bases des impôts futurs et sur les produits attendus. Parmi les plus importants : les états 1253 et 1259 sur les bases prévisionnelles des taxes directes, la copie des rôles définitifs des impôts directs, l’état des résidences secondaires et des logements vacants pour la TH, le fichier des entreprises imposées l’année précédente à la CVAE, le fichier des « établissements dominants » à la CVAE, le fichier des entreprises imposables à la TASCOM, une estimation de la CVAE de l’année suivante… L’administration met bien sûr à la disposition des collectivités la totalité de la documentation cadastrale.

52Les collectivités semblent se satisfaire d’un tel système. Toutefois, les villes ont souvent protesté contre les retards dans la mise à jour des bases qui leur faisait perdre de précieuses ressources, par exemple, après la construction d’un nouveau quartier ou l’implantation de nouvelles usines ou immeubles de bureau. On note même quelques cas de recours en responsabilité contre l’État pour faute simple du service des impôts ayant entraîné une perte de recettes fiscales. [17] Certaines grandes collectivités ont constitués des services spécifiques, des observatoires de la fiscalité locale ou ont eu recours à des sous-traitants pour proposer à l’administration des mises à jour « clés en mains » des bases d’imposition. Ces initiatives ont permis d’optimiser les moyens, d’améliorer la qualité des bases et font l’objet désormais de conventions de partenariats qui définissent aussi les axes d’une politique concertée de recouvrement. Elles s’inscrivent dans une convention-cadre signée en 2014 avec les associations d’élus et sont vivement encouragées par la Cour des comptes.

53Le système propre aux impôts directs locaux, qui garde les traces de ses origines révolutionnaires, apparaît de plus en plus archaïque et, inutilement complexe

B – Un ensemble archaïque et complexe

54Les bizarreries et les archaÏsmes de la gestion de la fiscalité locale sont bien connus. Mais leur modernisation n’est pas à l’ordre du jour.

55a) Le système des valeurs locatives cadastrales, qui sert de base aux impôts directs locaux (taxe foncière, taxe d’habitation tant qu’elle subsiste, taxe d’enlèvement des ordures ménagères, taxe sur les friches commerciales, taxe GEMAPI, contribution foncière des entreprises) est de plus en plus difficile à gérer.

56Cette valeur est différente de la valeur de marché [18] : c’est le loyer théorique annuel que l’immeuble serait susceptible de produire s’il était donné en location dans des conditions normales de marché. Son calcul est effectué à l’occasion de révisions périodiques reposant sur un tarif fixé pour chaque catégorie d’immeubles en fonction de la valeur du mètre carré de locaux-types selon un zonage prédéterminé. Les valeurs sont ensuite revalorisées forfaitairement.

57Ce système présente de nombreux inconvénients. Il est très lourd et très coûteux en moyens. En second lieu, chaque révision fait apparaître des transferts entre catégories de contribuables dès lors que les critères de valorisation des immeubles ont évolué. Un mécanisme complexe et très lent de transition entre les anciennes bases et les nouvelles doit être organisé. Le système entraîne des inégalités injustifiées entre contribuables et génère un contentieux important. Il en résulte que le pouvoir politique est très réticent pour engager, ou même pour tirer les conséquences, des opérations de revalorisation. Ainsi, les valeurs locatives actuellement utilisées sont celles de la révision de 1961 pour les terrains et de 1970 pour les immeubles d’habitation. La révision de 1990 a mobilisé de gros moyens mais n’a pas été intégrée dans les bases d’imposition.

58Une révision des valeurs locatives des locaux professionnels a été réalisée sur le fondement de loi de finances rectificative du 29 décembre 2010 [19] et appliquée depuis le 1er janvier 2017. La révision des valeurs des locaux d’habitation qui devait suivre [20] a fait l’objet d’une expérimentation puis a été reportée à 2026 par la dernière loi de finances.

59On peut se demander si la méthode n’est pas elle-même critiquable. Même si la dernière révision des locaux professionnels a prévu un mécanisme d’actualisation plus efficace que celui des révisions précédentes, elle reste très complexe et fondée sur une procédure particulière de zonage et d’évaluation de locaux-types. C’est probablement la référence à la valeur locative cadastrale qui sera un jour, enfin, remise en cause au profit d’assiettes plus simples et plus représentatives des capacités contributives telle que la valeur vénale.

60On pourrait souligner de nombreux autres archaïsmes, complexités ou diversités inexpliquées dans l’administration de la fiscalité locale. Voici quelques exemples : Les règles spécifiques de la CVAE diffèrent de celles de la TVA alors que leurs assiettes sont proches. La taxe foncière des entreprises est considérée dans les statistiques comme un impôt sur les ménages. [21] La taxe GEMAPI, a été créée par la loi Maptam du 27 janvier 2014 sur le modèle de la fiscalité révolutionnaire ; c’est un impôt de répartition dont le taux est calculé par l’administration fiscale à partir des bases individuelles de taxe d’habitation et des taxes foncières.

61Il subsiste encore de nombreuses « petites taxes » : Dans son rapport sur les taxes à faible rendement, de février 2014, l’Inspection générale des finances a identifié 41 taxes bénéficiant aux collectivités territoriales et rapportant au total 1,179 Md€. Elle a proposé d’en supprimer 7 dont la taxe de balayage, la surtaxe sur les eaux minérales, la taxe sur les friches commerciales, la taxe sur les remontées mécaniques. [22]

62b) On imagine facilement des simplifications, des regroupements… La Cour des comptes dans son rapport de 2017 a formulé 13 recommandations relatives aux systèmes d’information, à l’identification des redevables, à un renforcement du pilotage et des contrôles internes au sein de la DGFiP, à un plan d’amélioration de l’organisation, au renforcement de la coopération entre l’administration et les collectivités locales. En conclusion de leurs travaux, les rapporteurs indiquent qu’à terme, des transformations profondes seront nécessaires et devront s’inscrire dans une réflexion d’ensemble sur les missions et l’organisation de la DGFiP. Mais, le système se caractérise par une très grande inertie. Même si les orientations de réformes plus radicales sont connues, on préfère différer celles-ci, procéder à des adaptations mineures et provisoires en attendant le moment propice. La grande difficulté de réforme la taxe professionnelle a été très bien décrite [23]. Cette réforme et celle, en cours de la taxe d’habitation, n’ont pas donné lieu à une réflexion sur la gestion des impôts locaux subsistant. Ni le rapport du Conseil économique, social et environnemental d’avril 2018, ni le rapport Bur-Richard de mai 2018, relatifs à la réforme de la fiscalité locale [24], n’abordent les questions de gestion. Les réformes de la DGFiP en 1999 et 2008 et la démarche stratégique de 2012 ne se sont pas non plus intéressées à cette mission.

63Les collectivités ne sont d’ailleurs pas très enclines à accepter de nouvelles responsabilités dans la gestion de la fiscalité locale comme le montrent plusieurs exemples : le peu d’attractivité de la redevance d’enlèvement des ordures ménagères s’explique en partie parce qu’elle implique un transfert de la responsabilité de sa gestion à la collectivité alors que ce système, beaucoup plus efficace économiquement et écologiquement que la taxe, finira par s’imposer. Les difficultés de contrôle de la taxe de séjour montrent comment les collectivités, même les grandes, sont relativement démunies face aux opérateurs économiques tel que le réseau Airbnb ou à une multitude de particuliers. [25] Le transfert aux collectivités locales de la gestion du stationnement payant, qui a été souvent sous-traitée, a donné lieu à des abus dénoncés par le Défenseur des droits [26]. Dans un autre domaine, le peu d’empressement des collectivités à répondre à l’appel à candidature pour la création d’agences comptables montre leur réticence à se saisir de nouvelles responsabilités administratives.

64Il est vrai que le dispositif présente un autre avantage décisif pour les collectivités : la garantie de recettes, avantage qui n’est pas sans contreparties.

C – La garantie du produit et des avances de trésoreries et leurs contreparties

65Plusieurs mouvements financiers entre l’État et les collectivités, en sens contraire, sont liés à l’administration de la fiscalité locale. On ne parle pas ici des transferts prévus par le législateur pour atténuer les disparités d’assiette ou équilibrer les budgets locaux : dotations de péréquation ou de fonctionnement qui ne sont pas liées directement aux impositions.

66a) L’administration de l’État compense une partie importante des allègements d’impôts. En 2017, il prend à sa charge 13 Md€ d’impôts soit 10 % des recettes fiscales des collectivités territoriales. Avec la compensation de la première tranche de suppression de la taxe d’habitation, ce transfert se monte à 23 Md€. La partie la plus importante compense les allégements décidés par la loi qui viennent atténuer pour les contribuables les transferts de charge issus des réformes et que l’État prend en charge pour en neutraliser les effets sur les budgets locaux (dégrèvement général de contribution sur la valeur ajoutée des entreprises de moins de 500 000 euros de chiffre d’affaires par an ; compensation de la suppression partielle de la taxe d’habitation). Ces dégrèvements législatifs (11,2 Md€ en 2017) [27], bien que s’apparentant à des dotations de l’État, ne sont pas complètement déconnectés de l’établissement de l’impôt auxquels ils se substituent et sont calculés par la DGFiP (services centraux et services FDL des directions régionales et départementales).

67Par ailleurs, l’État garantit le produit des impôts directs locaux en prenant à sa charge les allègements qui interviennent après l’établissement de l’impôt : dégrèvements administratifs (par exemple, en cas d’erreur), remises gracieuses, créances irrécouvrables donnant lieu à des admissions en non-valeur. Là encore, c’est un héritage des anciens impôts de répartition lorsque la collectivité votait non pas un taux mais un produit global attendu qui était en suite réparti entre les contribuables en fonction de leurs capacités contributives. Il en coûte environ 2Md€ au budget de l’État en 2017.

68En contrepartie, l’État prélève sur la produit des impôts destinés aux collectivités locales des frais de gestion qui se répartissent en frais de dégrèvement et de non-valeurs, d’une part, et frais d’assiette et de recouvrement, d’autre part. Ils ont été longtemps fixés à 8 % du montant des impositions : 3,6 % pour les dégrèvements et non-valeurs et 4,4 % pour l’assiette et le recouvrement. Ils inquiétaient particulièrement les sénateurs [28] mais l’État a renoncé à une partie de ces prélèvements sous forme de réductions des taux ou de rétrocession des produits aux départements et aux régions à l’occasion de diverses redistributions de fiscalité entre collectivités. Les tarifs actuels de l’ensemble de ces frais de gestion sont variables : 1 % pour la taxe d’habitation des habitations principales ; 3 % pour les taxes foncières : 8 % pour la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, 9 % pour la taxe sur les logements vacants… Ils sont très inférieurs aux dépenses exposées par l’État pour le compte des collectivités puisqu’en 2014, ces prélèvements pour frais de gestion s’élevaient à 2,16 Md€ soit 18,8 % de l’ensemble des seuls dégrèvements et admission en non-valeur. La Cour évalue le montant résiduel de ces prélèvements pour frais de gestion en 2017 à 1 Md€ pour un coût direct de gestion de 4 Md€.

69b) En outre, l’État fait l’avance de ces recettes. Pour éviter aux collectivités de subir l’effet des délais de perception, il fait chaque mois (le 20 du mois) l’avance du produit des impositions directes sur les ménages par l’intermédiaire d’un compte spécial du Trésor appartenant à la catégorie des comptes de concours financiers : le compte d’avances des impositions aux communes, départements et régions, programme 833, dont le responsable est le directeur général de la DGFiP et qui, en 2020, est doté de 105 Md€ à cet effet. Par ailleurs, le produit des impôts économiques est versé en deux fois au cours de l’année. Ce système s’intègre dans le dispositif plus général de gestion de la trésorerie des collectivités territoriales qui, en vertu du principe de l’unité de caisse, s’effectue dans les écritures du Trésor public et par l’intermédiaire des comptables publics. Comme l’indique Michel Bouvier et al. : « L’État s’est constitué en quelque sorte comme fermier général des collectivités locales ».

70La question de savoir si les prélèvements de l’État compensaient les bénéfices retirés par les collectivités de la garantie de recettes et des avances de trésorerie a été longtemps controversée. Un rapport du Sénateur Loridant n° 24 2003/2004 [29] avait conclu à un léger bénéfice global pour l’État. Si on tient compte de la considérable réduction des prélèvements de l’État pour frais de gestion, il est probable qu’aujourd’hui, l’État n’est pas financièrement gagnant dans les échanges financiers liés à sa gestion des impôts locaux. D’ailleurs, les revendications d’élus ou du Sénat sur ce sujet ont disparu.

71Au contraire, les collectivités tirent beaucoup davantage à cette dépendance de l’État. Comme toutes les dépendances, elle suppose pour perdurer une certaine complicité entre le dominant et le dominé et il est difficile d’en sortir.

Perspectives

72Le système de gestion de la fiscalité locale est complexe. Il est générateur d’archaïsme. L’évolution du dispositif ne se fait que par adaptations successives de peur de perdre la maîtrise de l’équilibre d’ensemble. En définitive, il renforce le lien de dépendance des collectivités territoriales à l’égard de l’État.

73Pourtant, il n’est pas contesté par les élus et, encore moins, par leurs associations. En dehors de quelques récriminations ponctuelles sur les retards d’actualisation des bases, les élus ne critiquent pas ce système dont les avantages sont évidents : il dispense les collectivités de recruter des équipes spécialisées, de constituer des fichiers, d’assumer l’impopularité des missions fiscales et leur garantit de percevoir le produit voté avec un risque limité de moins-values fiscales.….

74De son côté, malgré les lourdes charges qu’il subit, notamment en effectifs de la DGFiP, l’État n’a jamais menacé de mettre fin à tout ou partie de ce dispositif hérité de l’histoire.

75Ce consensus tacite, et même caché, pour un statut quo, alors qu’il fait peser de très lourdes charges indues sur le budget de l’État et qu’il maintient les collectivités territoriales dans la dépendance, peut-il perdurer ?

76Il est possible que la pression s’accentue pour plusieurs raisons. La réduction du poids des impôts directs locaux avec la suppression programmée de la taxe d’habitation sur les résidences principales va faire perdre de l’intérêt au très lourd dispositif d’évaluation et d’actualisation des valeurs locatives. Par ailleurs, la pression des associations d’élus pour se voir reconnaître une « vraie autonomie fiscale » pourrait finir par donner des idées d’une meilleure répartition des charges et, surtout, comme l’a indiqué le Président de la République, le souhait d’une meilleure répartition des responsabilités. Enfin, la réduction des effectifs de la DGFiP (moins 20 000 emplois en 10 ans et moins 5 000 prévus d’ici à 2022) va inciter à optimiser la charge de travail.

77Il est probable que l’administration de la fiscalité locale sera dans l’avenir proche soumise, comme l’ensemble de la fiscalité locale, à la tension entre deux modèles : l’autonomie fiscale complète, qui supposerait le transfert aux collectivités de l’administration de la fiscalité locale, ou la disparition de la fiscalité locale autonome remplacée par des transferts forfaitaires de ressources étatiques, ce qui éliminerait le problème.

78Un bouleversement, qui verrait le triomphe rapide d’un des deux modèles, est peu probable compte tenu des implications difficiles à maîtriser sur l’équilibre des relations entre l’État et les collectivités territoriales, d’une part, et, plus encore, sur la répartition de la charge fiscale entre les citoyens, d’autre part.

79En revanche, la poursuite d’un lent glissement vers un modèle d’intégration étatique est l’hypothèse est prévisible. [30] Le véritable « château de cartes » de l’administration de la fiscalité locale s’écroulera-t-il un jour ?

Notes

  • [1]
    Cet article est issu d’une communication au séminaire organisé par la Société Française de Finances Publiques à Perpignan le 7 février 2020 sur le thème de « L’avenir de la réforme locale : les enjeux et les transformations de la fiscalité ». Elle a été publiée avec les actes du séminaire sous le tire « L’administration de la fiscalité locale » par le Bulletin juridique des collectivités locales n° 2-20, p.4. Nous remercions son rédacteur en chef, le Professeur Bernard Poujade d’en avoir autorisé la reprise.
  • [2]
    Par exemple : L’autonomie financière des collectivités territoriales, dir. Marc Leroy, Economica, 2017 et dossier du n° 2-2017 de G&FP, notamment Eric Oliva, La conception de l’autonomie financière locale, quel contenu ? quelle effectivité ? ; D.Catteau : Le mythe de l’autonomie fiscale et financière, vers une responsabilisation ? G&FP, n° 2020-2, p. 13.
  • [3]
    C’est pourquoi, on se référera largement à la documentation administrative, par exemple, aux « Fiches sur la fiscalité locale à l’attention des agents des collectivités locales et des établissements publics locaux », https://www.collectiviteslocales.gouv.fr/files/files/finances_locales/fiscalite_locale/vademecum_fiscalite_directe_locale_collectivites.pdf ou la « Brochure pratique Impôts locaux 2019 » https://www.impots.gouv.fr/portail/www2/fichiers/documentation/brochure/idl/idl_2019.pdf.
  • [4]
    « La gestion de la fiscalité locale par la DGFiP », Cour des comptes, janvier 2017,https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/20170201-rapport-gestion-fiscalite-directe-locale-dgfip.pdf
  • [5]
    Voir cependant : La gestion de la fiscalité locale, Revue française de finances publiques, n° 50,1995 et La renationalisation de la fiscalité locale, Vincent Dussart, Revue européenne et internationale de droit fiscal, n° 2019-1.
  • [6]
    Ordonnance n°59-108 du 7 janvier 1959 portant réforme des impositions perçues au profit des collectivités locales et de divers organismes ; loi n° 80-10 du 10 janvier 1980 portant aménagement de la fiscalité directe locale
  • [7]
    Loi n°2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.
  • [8]
    « En effet, il n’existe pas d’administration fiscale locale… » Vincent Dussart, art. précité.
  • [9]
    Rapport d’activité de la DGFiP pour 2019.
  • [10]
  • [11]
  • [12]
    Art. précité.
  • [13]
    Présidées par le Maire ou son délégué, ces commissions sont composées de contribuables choisis par le directeur départemental des services fiscaux sur une liste présentée par le conseil municipal. L’administration y participe en principe. Ces commissions, au vu d’un état fourni par l’administration (listes 41) mettent à jour les bases en intégrant les changements de consistance des immeubles et en procédant à certaines actualisations et revalorisations. Elles sont consultées sur les évaluations des locaux types et même sur les questions de fait soulevées par les réclamations.
  • [14]
    Délibération n°97-074 Ville d’Orléans : « …cette faculté (la communication des bases des impôts locaux) ne saurait être mise en œuvre dans des conditions telles que l’administration municipale exercerait des pouvoirs la faisant participer aux travaux de contrôle individuel qui relèvent de la compétence exclusive de l’administration fiscale ».
  • [15]
    Norme simplifiée n°45 adoptée par délibération n°2004-083 du 4 novembre 2004, https://www.legifrance.gouv.fr/affichCnil.do?oldAction=rechExpCnil&id=CNILTEXT000017653184&fastReqId=1889154164&fastPos=1
  • [16]
    Renseigner les contribuables sur leur situation fiscale, procéder à des études sur la répartition et l’évolution des impôts locaux, réaliser des simulations sur des éventuelles modifications du taux des impôts ou même des analyses sur la situation économique des entreprises.
  • [17]
    CE, sect. 21 mars 2011, Krupa, n° 306225, Lebon p.230 ; CE22 avril 2012,n° 337802 ; CE 16 juillet 2014 n° 361570.
  • [18]
    Valeur vénale qui est largement utilisée pour le calcul des droits d’enregistrement et pour l’imposition des plus-values. Les taxes daménagement sont calculées sur la base d’une valeur du M2 appliqué à une « surface corrigée ».
  • [19]
    Article 34 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 modifié par l’article 48 de la loi n°2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.
  • [20]
    Loi n°2013-1279 du 29 décembre 2013, art.74
  • [21]
    Voici quelques autres exemples de « bizarreries » : La taxe d’enlèvement des ordures ménagères, qui est un impôt, est considérée statistiquement comme une redevance ; la taxe sur les pylônes, qui s’apparente à un impôt immobilier, est gérée comme la TVA ; la redevance des mines, qui est un impôt indirect, est déclarée à « l’ingénieur en chef des mines » et recouvrée par voie de rôles, comme une contribution directe. ; la taxe de balayage, facultative et qui a été instaurée dans cinq communes dont Paris, était gérée par les communes sauf naturellement pour le recouvrement assuré « comme en matière de contributions directes » ; la taxe forfaitaire sur les cessions de terrains nus devenus terrains à bâtir (facultative) est gérées par les services de publicité foncière bien qu’elle ne soit pas un droit d’enregistrement mais une imposition des plus-values ; la surtaxe sur les eaux minérales est gérée par l’administration des douanes ; la taxe d’aménagement, gérée par les directions départementales des territoires, est payable à la caisse des directions départementales des finances publiques ; la taxe sur les conventions d’assurances est auto-liquidée par les assureurs et payée directement sur le compte du Trésor à la Banque de France.
  • [22]
    La taxe de balayage a été transformée en redevance par la loi de finances pour 2019. La Loi de finances pour 2020 a supprimé la taxe sur les permis de conduire.
  • [23]
    Les politiques des finances locales, transformations des relations financières central/ local en France (1970-2010) Janvier 2017 Thèse de Camille Allé.
  • [24]
    CESE, Pour une réforme globale de la fiscalité locale, avis 2018-11, avril 2018 ; A. Richard et D. Bur, Mission finances locales, Rapport sur la refonte de la fiscalité locale, mai 2018.
  • [25]
    L’enjeu n’est pas mince : 450 M€ en 2018 sur le territoire de 73 % des communes. Les progrès réalisés dans les obligations d’information et de déclarations incombant aux plateformes vont leur faciliter la tâche mais la fraude non sanctionnée reste importante. Une commune balnéaire de l’Hérault estime ses pertes de recettes à 25 ou 30 %.
  • [26]
    La réforme du stationnement payant, un cas de modernisation de la gestion publique, Philippe Dufresnoy, G&FP n° 2-2018 ; Rapport du Défenseur des droits : La défaillance du forfait post-stationnement, rétablir les droits des usagers, 14 janvier 2010 https://defenseurdesdroits.fr/fr/rapports/2020/01/la-defaillance-du-forfait-de-post-stationnement-retablir-les-droits-des-usagers. Après la décentralisation du stationnement payant, une partie importante des recommandations du Défenseur des droits s’adressent au ministre de l’action et des comptes publics et il recommande la recréation d’une mission interministérielle de pilotage !
  • [27]
  • [28]
    Par exemple, la réponse ministérielle au sénateur Mathieu JO Sénat 1 mars 2000.
  • [29]
  • [30]
    Pour une vision plus optimiste et plus volontariste, Marc et Olivier Wolf : La réforme de la taxe d’habitation, une première étape, G&FP n° 2-2020 mars-avril 2020, p.85.
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