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Article de revue

Les budgets participatifs

Pages 32 à 38

L’essor des budgets participatifs en France depuis 2014 conduit à s’interroger sur les causes de ce développement 1). Si le modèle « horizontal » prévaut aujourd’hui (2) grâce au numérique notamment (3), il convient de rappeler que la réussite d’un tel projet nécessite aussi un portage politique fort (4) y compris au niveau national (5), même si, pour certains, ce mode de participation citoyenne présente un intérêt limité (6).

1 – Un développement aux causes diverses

1Dès la fin des années 1990, des villes se sont inspirées de l’expérience de Porto Alegre pour dynamiser leurs instances de démocratie locale. En 2014, une étude internationale comptabilisait entre 1 269 et 2 800 programmes dans le monde. La majorité des expériences européennes est le fruit d’une forte volonté politique venue d’en haut, davantage que d’une demande accrue de participation de la population. (A.Mazeaux, Participer pour quoi faire ? Esquisse d’une sociologie de l’engagement dans les budgets participatifs, Sociologie 2010/3).

2En France, la ville de Grigny, dans le Rhône, a fait figure de pionnière : entre 2005 et 2014, elle a mis en place un budget participatif qui a représenté à la fin de la période quelque 100 % de son budget d’investissement. Les projets étaient discutés et votés à main levée au cours de réunions publiques qui duraient parfois plusieurs heures. L’expérience n’a pas été renouvelée après 2014. La procédure du budget participatif des lycées (BPL) a aussi été mise en œuvre de 2005 à 2012 dans la région Poitou-Charentes, sous la présidence de Ségolène Royal.

3Alors que les dispositifs de participation traditionnels (comités de quartier, concertations) semblent s’essouffler, les budgets participatifs se développent depuis les dernières élections municipales de 2014.

4« Pendant longtemps, on a juste permis aux citoyens locaux de participer à des opérations budgétaires quartier par quartier via des enveloppes, des fonds de participation des habitants.

5Cela se fait encore beaucoup mais cela ne constitue pas une opération de budget participatif. Celui-ci implique de déléguer une partie du pouvoir décisionnel, comme à Paris » (Alice Mazeaud, Courrier des maires, 2/10/2014).

6Le budget participatif permet à des citoyens non élus de participer à la conception ou à la répartition des finances publiques. En France, « le budget participatif peut aujourd’hui se définir comme le montant alloué par la collectivité aux habitants pour proposer et décider de projets d’intérêt général » (Antoine Bezard. Rapport Fondation Jean Jaurès : budgets participatifs : la nouvelle promesse démocratique ?).

7Les budgets participatifs sont considérés par certains chercheurs, comme « l’un des fondements de la reconquête politique du pouvoir d’agir des citoyens. Répartir les richesses, décider des priorités, orienter les ressources vers certains quartiers : c’est bien souvent au cœur des questions budgétaires que se jouent les décisions engageantes pour le territoire » (Elisa Lewis et Romain Slitine, Le coup d’État citoyen, La découverte, 2016).

8« Le budget participatif ne constitue pas une enveloppe supplémentaire, mais un pourcentage d’une enveloppe d’investissement préalablement définie. Les seuls coûts supplémentaires sont ceux de communication et de procédure, mais ils sont très faibles. Et les participants ne sont pas du tout dans une logique de gaspillage, comme l’affirment les opposants aux budgets participatifs. » (A. Mazeaud).Les budgets participatifs représentent autour de 5% du budget d’investissement de la collectivité, c’est à dire 5 % du budget qui finance les projets « en dur », à l’image des écoles, des crèches, des routes ou encore des espaces verts.

9En moyenne, le montant de 11,83 euros en 2016 a chuté à 8,88 euros en 2017 pour passer à 7,47 euros en 2018. Ainsi, le montant par habitant tend à se réduire, avec le risque de faire glisser cet outil de la démocratie participative au marketing politique.

10Pour A. Bezard « au regard des montants engagés, des projets votés ou encore du taux de participation, il ne peut s’agir d’une révolution citoyenne mais bien d’un contrat complémentaire entre élus et citoyens ».

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Source Fondation Jean Jaurès

11Selon A. Mazeaux, à l’heure où les dotations aux collectivités locales baissent et dans contexte de raréfaction des ressources, il est important de permettre aux gens de participer aux décisions publiques. Quand il y a beaucoup d’argent à disposition, on a les moyens de se tromper… Avec moins, le budget participatif est l’un des moyens de s’assurer que l’argent public est bien utilisé et aussi de re-légitimer l’impôt.

12ll n’y avait que 6 budgets participatifs en 2014 contre 80 aujourd’hui. Plus de 6 millions de Français vivent dans une commune engagée dans un budget participatif, soit un français sur 10. La commune type engagée dans un budget participatif compte un peu plus de 25 000 habitants. Il peut s’agir de villes urbaines ou rurales (d’un village de 3200 habitants jusqu’à Paris et ses 2,2 millions d’habitants). En 2017, quarante-sept villes proposaient un budget participatif, pour un montant de « 9 euros en moyenne par habitant ». Paris ou Rennes ont choisi de consacrer 5 % du budget d’investissement de la ville, mais d’autres communes ont des objectifs plus modestes, de 1 à 2 %.

13Le projet parisien est le plus ambitieux, avec une moyenne de 45 euros par habitant, près de 2 000 propositions déposées et 127 880 votants, soit une augmentation de 30,1%. À titre de comparaison, Rennes finance des projets à hauteur de 3,5 millions d’euros, soit 16 euros par habitant. La moyenne n’atteint que 8,90 euros par habitant, et un tiers des villes y consacrent moins de 5 euros par habitant. Le Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis) a conduit la définition de son plan pluriannuel d’investissement avec les habitants. En 2017, Loon-Plage (Nord) a demandé à ses habitants de décider des coupes budgétaires à effectuer pour réaliser 300 000 euros d’économies.

14La concentration la plus forte se situe en Île-de-France avec 29 budgets participatifs, dont 24 dans les territoires du Grand Paris, soit 30 % des communes au plan national et 3,37 millions d’habitants. Deux départements et deux régions qui ont mis en place des budgets participatifs.

15L’aménagement urbain, le cadre de vie, la nature en ville et l’agriculture urbaine sont les thématiques principales. On peut citer également les transports les sports et les loisirs. Dans tous les cas, les projets doivent respecter la légalité et entrer dans les compétences de la ville et répondre à l’intérêt général. Parmi les projets parisiens figurent des équipements pour les personnes sans domicile fixe ou les migrants.

2 – La prévalence du modèle horizontal

16Dans le modèle horizontal qui prévaut aujourd’hui en France, la participation s’ouvre à tous (les moins de 18 ans et les étrangers non européens peuvent aussi participer au budget participatif -à de rares exceptions près mais aussi les « mal-inscrits » sur les listes électorales).

17Les citoyens peuvent s’engager ponctuellement au moment du vote ou au cours d’une année, en s’investissant dans la réalisation d’un projet, de l’idée à sa concrétisation.

18L’un des principes fondamentaux du budget participatif rappelle M. Stéphane Lenfant, chef de projet démocratie locale de la ville de Rennes, « est que ce sont les citoyens qui ont le dernier mot. Bien sûr, il peut y avoir de la concertation, mais il faut que les services, qui ont quelques semaines pour analyser les projets, voient juste et cadrent juridiquement les différents projets ».

19Seules quelques villes s’appuient sur un modèle pyramidal, c’est-à-dire sur les instances de quartier de la démocratie locale (10 % des communes).

20Selon la fondation Jean-Jaurès, dans le modèle horizontal, le budget participatif se déroule en six étapes : (source Fondation Jean Jaurès).

  1. choix d’un montant et de critères de sélection,
  2. appel à projets avec ou sans présélection des habitants,
  3. étude et chiffrage des projets par les services municipaux,
  4. campagne de mobilisation par les porteurs pour valoriser leurs projets,
  5. vote des projets – la collectivité s’engage à les réaliser,
  6. concrétisation des projets lauréats.

3 – L’apport numérique

21La perte de confiance envers les élus et la demande de participation à la décision publique sont les causes principales du développement des budgets participatifs.

22Mais cet essor s’appuie aussi sur le développement des civic tech. En effet, l’existence de plateformes est un atout pour ouvrir la participation. En 2018, 55 % des collectivités sont ainsi équipées de plateformes de participation.

23Avec la technologie, les citoyens peuvent tous participer, tous se rassembler autour de projets s’ils le veulent et, enfin, tous délibérer pour leur concrétisation. Les propositions déposées sur la plateforme sont soit des idées individuelles, soit le fruit d’un travail de réflexion collectif : collectif d’habitants, conseils de quartier, associations…

2437,5 % des communes se tournent vers des solutions numériques basiques. Le dépôt des projets ou le vote peuvent s’effectuer à l’aide de formulaires en ligne sur leur site ou à l’aide d’outils tiers comme Google Forms. À Montreuil le choix a été fait d’utiliser une plateforme mutualisée pour réduire les coûts de l’outil numérique et bénéficier en prime des expériences des autres villes sur la mise en place de fonctionnalités (coût 30 000 euros).

25Dans un peu plus d’un tiers des cas, vote en ligne et vote papier coexistent. Certaines villes ont constaté qu’on ne pouvait pas toujours se contenter d’une plateforme numérique pour communiquer. Ainsi, à Rennes, Stéphane Lenfant évoque un « décrochage et une fracture numérique bien réels des quartiers les plus fragiles et éloignés », d’où l’idée dans cette ville de revenir « au vote papier » et de veiller à communiquer sur le terrain sur le budget participatif (la démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne. Assemblée nationale. 17 avril 2018). À Paris, on peut voter par voie numérique sur le site du budget participatif ou par bulletin papier dans l’une des urnes réparties partout dans Paris.

26Dans tous les cas, selon Marie Colou, sous-directrice à la direction de la démocratie, des citoyens et des territoires (DDCT) de la ville de Paris « il est indispensable de bien nouer la démarche numérique à une démarche physique, absolument du début à la fin, de l’émergence des projets jusqu’au vote. Il faut aussi multiplier les réunions publiques, et mettre à disposition des urnes dans l’espace public, pour que les uns et les autres puissent voter même s’ils n’ont pas d’ordinateur. Ainsi, par exemple, la ville de Paris déploie plus de 100 urnes dans l’espace public pendant les quinze jours du vote ».

27Mme Sylvie Baste-Deshayes, responsable du service démocratie participative de la direction citoyenneté et vie des quartiers de la ville de Montreuil précise en outre « qu’il est nécessaire de disposer d’un outil informatique robuste. Il ne s’agit pas de travailler sur des tableurs Excel. Il faut vraiment un outil spécifique qui permette de suivre au long cours les centaines et les centaines de projets déposés au fil de l’eau par les uns et par les autres et d’en rendre compte aux uns et aux autres ».

28La participation médiane s’établit en 2018 à 3,9 %. Dans 6,5 % des cas, il n’y a pas de vote des habitants, la décision revenant aux instances de démocratie locale.

4 – Un pilotage en général confié aux services de la démocratie locale

2978 % des budgets participatifs sont pilotés par les services de la démocratie locale. 10 % des programmes sont rattachés au cabinet ou à la direction générale. 12 % sont pilotés par la direction de la communication qui en a la charge.

30La gouvernance du projet doit être partagée depuis le début. Il faut un portage politique fort et un comité de suivi ouvert avec des représentants d’habitants qui ont voix au chapitre et un réseau référent dans les services techniques : « il ne faut pas, avec l’expertise d’usage, remettre en cause l’expertise technique des habitants, ni le bien-fondé de la parole des élus et en même temps avoir un comité technique en interne » (S. Lenfant précité).

31Sur le plan politique, plus de 80 % des communes engagées sont dirigées par des exécutifs classés à gauche.

32Cependant, on peut noter une proportion grandissante de villes administrées par des élus de centre droit, issus, par exemple, de l’Union des démocrates et indépendants. L’apparition de budgets participatifs dans des villes dirigées par la droite est plus récente. Selon A Bézard,il semble que le programme des origines, qui revendiquait sa radicalité, soit devenu avant tout progressiste (rapport précité).

33D’une manière générale, selon A. Mazeaux, « le faible intérêt des élus pour les budgets participatifs tient moins d’une réticence à faire participer les citoyens, qu’à une volonté de garder in fine le pouvoir décisionnel, de ne pas le déléguer ». Elle observe que « les entrants, moins professionnalisés, avec une moindre carrière politique derrière eux, sont peut-être plus sensibles à l’idée de participation de la population ».

34Dans tous les cas la volonté politique est une donnée essentielle à la réussite du budget participatif.

35Par ailleurs, pour Marie Colou, sous-directrice à la direction de la démocratie, des citoyennes et des territoires (DDCT) de la ville de Paris, les budgets participatifs ont également un rôle « pédagogique auprès des habitants. Cela permet d’expliciter les règles de l’administration, les coûts des projets qu’ils déposent et le temps dont on a besoin pour les mettre en œuvre ».

36À Paris, « sur l’aspect budgétaire, l’habitude a été prise, pour être aussi transparent que possible, d’expliquer, lors de réunions publiques ou dans le bulletin, comment un budget est bâti, comment distinguer les dépenses d’investissement des dépenses de fonctionnement ».

37Le budget participatif permet aussi de décloisonner le fonctionnement de l’administration. Un autre intérêt du budget participatif est de permettre de« changer » les fonctionnements au sein des services, car souvent les projets ne dépendent pas d’une seule direction. Cela permet un décloisonnement de l’administration territoriale. En outre, sur les projets « sociaux » des partenariats peuvent être noués avec des associations.

38Par ailleurs, Pascal Clouaire, élu de Grenoble considère que « la transition écologique va imposer des changements drastiques, brutaux et importants, et, pour y parvenir de façon efficace, il faut que les citoyens participent eux-mêmes à la décision ».

5 – Un enjeu national ?

39La fondation Jean Jaurès estime que l’Etat pourrait actionner divers leviers afin de démultiplier leur nombre et impulser « une véritable révolution citoyenne ». Emmanuel Macron, quant à lui, avait assuré vouloir développer les budgets participatifs dans les communes.

40Dans ce sens, Antoine Bézard propose des dotations supplémentaires ainsi qu’un fonds national pour abonder les budgets participatifs, susceptibles d’inciter des maires à se lancer, ainsi que l’ouverture d’une Agence nationale pour la démocratie participative apportant un soutien technique aux collectivités dépourvues d’ingénierie. Par ailleurs, Benoît Hamon, pendant la campagne présidentielle, avait proposé un budget participatif d’envergure nationale – doté de 5 milliards d’euros, soit 76 euros par Français. De son côté, le ministère de la transition écologique et solidaire a lancé un budget participatif.

41Pour l’instant, le Portugal est le seul État européen à avoir expérimenté le budget participatif au plan national.

42Le groupe de travail à l’Assemblée nationale sur la la « démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne » envisage, quant à lui, dès 2019 d’associer le public, par le biais de plateformes ou de jurys de citoyens tirés au sort, à l’attribution de crédits versés par l’État aux préfectures de département et de région. Cela concernerait par exemple les aides à la création ou au spectacle vivant (notamment pour les festivals), la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), le fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), etc. En effet, le domaine associatif ne demande pas d’expertise particulière et est largement investi par les citoyens. Au niveau départemental, un jury citoyen pourrait être en charge de répartir les fonds publics entre différents acteurs associatifs, tâche pour l’instant réservée aux députés et aux préfets. La rapporteure du groupe de travail, P. Forteza, quant à elle, propose dans un deuxième temps « la création d’un budget participatif à l’échelle nationale qui permettra aux citoyens de s’impliquer dans la co-construction d’une ou plusieurs politiques publiques. Ce budget participatif pourra se baser sur le modèle portugais qui à ce jour est le seul au monde ». Enfin, il s’agirait « de proposer aux citoyens de se mettre dans la peau des parlementaires et de l’exécutif pour juger les actions budgétaires prioritaires, à travers des outils de simulation budgétaire comme ceux proposés au Canada par l’association Open North ».

43Ainsi, une grande consultation citoyenne pourrait être organisée en utilisant des outils de simulation budgétaire. La moyenne des propositions des participants devant être prise en compte par le Gouvernement et le Parlement pour avis dans un premier temps, puis appliqué directement à un pourcentage du budget national dans un second temps. Ainsi, une partie des crédits répartis par le projet de loi des finances serait allouée directement par les citoyens. Parallèlement, il faut aussi poursuivre l’ouverture des données en matière budgétaire, assurer leur qualité afin de favoriser leur réutilisation, améliorer la compréhension citoyenne du budget de l’Etat et mettre en place des mécanismes ambitieux de participation citoyenne.

44En outre, le groupe de travail sur la démocratie numérique et la participation citoyenne a formulé des propositions d’ordre constitutionnel, notamment l’inscription dans la loi fondamentale du principe de la participation citoyenne, d’un droit de pétition des citoyens auprès des assemblées parlementaires et d’un ordre du jour citoyen.

6 – Un intérêt limité ?

45Quoi qu’il en soit, pour Alice Mazeaux par exemple, les effets du budget participatif local sont relativement limités sur l’action publique. « Si celui-ci permet des changements dans cette dernière, notamment via la formation des agents ou l’émergence de nouveaux acteurs, ces changements sont bien souvent dus à la volonté politique sous-jacente plus qu’aux dispositifs participatifs eux-mêmes. Outils de démocratie citoyenne, ils ne rencontrent pas toujours leur public et prêtent le flanc à des instrumentalisations ».

46D’une manière générale, les dispositifs participatifs ne rencontrent pas le succès attendu. Les dispositifs institutionnels de participation sont canalisés, cadrés, étouffés. Il en est ainsi, par exemple, des conseils citoyens, créés, dans le cadre de la politique de la ville, par la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

47« Ces conseils sont encadrés par un cahier des charges, qui limite l’usage du tirage au sort, et ils n’ont aucun pouvoir. Les élus ne leur donnent pas véritablement de prérogatives et parfois même les délégitiment. Aussi, le dispositif agonise avant même d’avoir pu se développer, les citoyens étant de moins en moins nombreux à accepter d’y participer » (Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’Université Lille II). À Paris, par exemple, il semble que le problème perdure malgré la vaste opération de renouvellement des conseils de quartier engagée après les élections municipales de 2014. « Dans les instances participatives dont les membres sont tirés au sort, le problème serait plus aigu encore : il est parfois difficile de convaincre ceux qui ont été ainsi désignés de remplir leurs fonctions jusqu’au terme de leur mandat ».

48D’une manière générale, la démocratie participative serait affectée des mêmes distorsions sociales que la démocratie représentative. Non seulement elle exclurait, elle aussi, certains publics, mais ces derniers seraient les mêmes que laisse de côté le système institutionnel classique. En outre, le numérique laisse toujours de côté une partie de la population. La « fracture numérique » affecte les plus âgés, les plus pauvres et les moins diplômés, mais aussi les habitants de certains territoires isolés ou mal desservis par les réseaux.

49À l’inverse, « les mécanismes de la démocratie participative peuvent conduire à surreprésenter certaines catégories de la population ou certains acteurs institutionnels. En bonne logique, comme cela a déjà été mis en évidence, les consultations numériques favorisent les jeunes urbains, intéressés par la chose politique et diplômés. Plus largement, les dispositifs participatifs sont investis de préférence par des citoyens qui appartiennent à des catégories socio-professionnelles et ont les connaissances culturelles les plus élevées » (Décider en 2017 : le temps d’une démocratie « coopérative ». Sénat.).

50Quoi qu’il en soit, pour réussir un budget participatif, il faut créer les conditions d’une véritable prise de décision collective. Les informations chiffrées, les contraintes de temps… tous les éléments des projets proposés doivent être connus. Il convient de former les participants et de les informer de manière pédagogique sur les enjeux de la consultation. Informer, former et éduquer les citoyens doit rester une condition pour qu’ils s’expriment en étant « éclairés ». Cette exigence suppose une information de qualité des citoyens, ce qui prend un relief particulier dans un contexte où la circulation de l’information donne lieu à des « fake news ».Il faut aussi fixer les règles du jeu, s’y tenir et réaliser ce qui a été décidé. Car rien ne serait pire que d’avoir « vendu » un projet à la population qui ensuite ne se réalise pas. D’autant qu’il y a peu d’espaces dans la vie locale où l’on discute des choix publics.

51La procédure doit être claire et présenter un intérêt pour les participants : trop souvent les élus restent au milieu du gué et hésitent à donner à la population les moyens de faire des arbitrages. L’élu doit prendre ce risque et être transparent sur ce que la collectivité peut faire.

52L’avis des citoyens doit être entendu et ces derniers doivent avoir le sentiment qu’ils l’ont effectivement été. Il faut lutter la tentation d’une « consultation-caution » ne servant qu’à faire accepter une décision arrêtée d’avance. À Montreuil, par exemple, dans le règlement du budget participatif, une limite est fixée en ce qui concerne les dépenses de fonctionnement : il ne faut pas que les projets génèrent des dépenses de fonctionnement qui ne pourraient être assumées.

53Par ailleurs, les solutions numériques ne peuvent prétendre répondre à toutes les attentes. En d’autres termes, il convient de se garder de tout « solutionnisme technologique » : les face à face et réunions publiques gardent leur place, même dans une époque dominée par le numérique.

54Enfin, il est important de développer la culture de la participation au sein des pouvoirs publics, particulièrement dans l’administration. Ainsi, les acteurs publics doivent être davantage formés à la concertation publique. Pour M. Loïc Blondiaux, professeur de science politique, « le principal obstacle réside dans notre culture politique de la participation : les élites techniciennes et politiques n’ont pas été formées à la participation » d’où la perception d’une « participation citoyenne comme une menace […] ou comme une perte de temps ».

Sur ce sujet, G&FP a déjà publié : Le budget participatif grenoblois, B. Kolytcheff, G&FP n° 5-2017, p. 63.

Bibliographie

Bibliographie

  • Le site d’information : les budgetsparticipatifs.fr
  • Article de Alice Mazeaud, Courrier des maires, 2 avril 2014.
  • Fondation Jean-Jaurès :
    • Budgets participatifs : une révolution citoyenne, Antoine Bézard, Luc Blondiaux, Pauline Véron, 12 avril 2017.
    • Les budgets participatifs : une solution citoyenne pour demain, Antoine Bézard, 20 avril 2017
    • Budgets participatifs : la nouvelle promesse démocratique, Antoine Bézard, 2 octobre 2018
  • Participer pour quoi faire ? Esquisse d’une sociologie de l’engagement dans les budgets participatifs », Alice Mazeaud et Julien Talpin, Sociologie, n° 3, 2010.
  • La démocratie numérique et les nouvelles formes de participation citoyenne, rapport de Paula Forteza, Assemblée nationale, 17 avril 2018.
  • Décider en 2017 : le temps d’une démocratie « coopérative », rapport n° 556 de Philippe Bonnecarrère, 17 mai 2017.
  • Elisa Lewis et Romain Slitine, Le coup d’État citoyen, La découverte, 2016.

Mots-clés éditeurs : finances locales, budgets participatifs

Date de mise en ligne : 12/09/2019.

https://doi.org/10.3166/gfp.2019.3.004

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