Couverture de GFP_1806

Article de revue

Chronique de jurisprudence financière

« Mai - Septembre 2018 »

Pages 147 à 160

Gestion patente

Admission en non-valeur

1Les agents comptables qui se sont succédés n’ont pas eu les moyens de poursuivre le recouvrement de l’ordre de recette litigieux, l’ordonnateur n’ayant jamais autorisé l’exécution forcée du recouvrement de la créance ; dès lors, les modalités, régulières en la forme, de son admission en non-valeur, par le directeur de l’École, qui tiraient les conclusions de son refus d’autoriser les poursuites, ne sont pas susceptibles de fonder la mise en jeu de la responsabilité de la comptable [C. comptes, 17 mai 2018, École nationale des ponts et chaussées (ENPC), n° 2018-1365].

Annulations d’ordres de recettes

2La prise en charge d’un titre de recettes par le comptable présume de l’existence de la créance associée à ce titre ; l’annulation d’un titre ne décharge le comptable de sa responsabilité que si elle se fonde sur des pièces attestant de l’inexistence de la créance associée au titre (C. comptes, 28 nov. 2013, SIVU du groupe scolaire de la Plana : n° 68181). Les réductions ou annulations d’ordres de recettes tendent à corriger les erreurs d’assiette ou de liquidation, à constater le caractère indu, total ou partiel, de la créance, telle qu’elle était retracée dans les titres (C. comptes, 12 mai 2004, EP d’aménagement de la ville nouvelle d’Évry, RDT 2005. 191). Ainsi par exemple, une attestation indiquant que les créances n’ont pas de base réglementaire ou conventionnelle et que chacun des titres a été émis par erreur car dépourvu de fondement juridique permet de justifier l’annulation de ces titres (CRC Franche-Comté, 12 juill. 2010, Synd. intercom. de collecte et de traitement des ordures ménagères de la zone de Dôle, no 2010-028 R: RFDA 2011. 1037). L’ordre d’annulation de titres de recettes doit être accompagné de la mention des erreurs commises pour chaque titre ; le comptable doit les exiger (C. comptes, 17 févr. 2010, Ch. dptale d’agriculture de Charente-Maritime, GFP. 2011. 363). Il appartient au comptable de contrôler la régularité du mandat d’annulation sur la base des pièces produites par l’ordonnateur (C. comptes, 11 mars 2015, INPES, n° 71792. C. comptes, 28 avr. 2017, Agrocup Dijon, n° 2017-1462 ; GFP 2017 n° 6 p. 152). Lorsque la situation en cause ne relève pas de l’annulation de titre, le comptable manque à ses obligations de contrôle de la régularité des opérations d’annulation (ou de réduction) de recette s’il l’admet (C. comptes, 27 mai 2015, EPAMSA : n° 72381).

3En l’espèce, la Cour constate, en ce qui concerne les créances pour lesquelles aucune pièce justificative n’a accompagné les mandats d’annulation, que le motif de cette annulation, lié à une absence de fondement, figure sur les fichiers récapitulatifs des créances signés par l’ordonnateur et produits à la Cour au cours de l’instruction ; il n’y a dès lors pas lieu d’engager la responsabilité de l’agent comptable de ce chef. En ce qui concerne les autres créances, il appartenait à l’agent comptable de solliciter auprès de l’ordonnateur l’émission de nouveaux titres ; en outre, figurent parmi les débiteurs des entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire, dont le traitement des titres de recettes aurait nécessité une décision de l’organe délibérant et non de l’ordonnateur de l’IRSN, et alors même que l’ordonnateur avait instauré un dispositif généralisé d’annulations de créances [C. comptes, 15 juin 2018, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), n° 2018-1637].

Circonstances atténuantes ou exonératoires de responsabilité

4Si le comptable invoque l’impossibilité de recouvrer un titre dont le libellé est erroné, la Cour rappelle que les comptables sont responsables du recouvrement des titres dès leur prise en charge ; si le comptable constate une erreur dans le libellé du titre, il lui appartient de se rapprocher de l’ordonnateur en vue d’annuler ce titre et de faire procéder à l’émission d’un titre de recette à l’encontre du débiteur de l’organisme public. Les dispositions de l’avant-dernier alinéa du I de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 aux termes desquelles « hors le cas de mauvaise foi, les comptables publics ne sont pas personnellement et pécuniairement responsables des erreurs commises dans l’assiette et la liquidation des droits qu’ils recouvrent » fondent le principe selon lequel la responsabilité du comptable ne peut pas être mise en cause pour encaissement d’une recette non prévue par un texte ; dès lors, elles ne sont pas applicables aux erreurs commises dans la désignation du débiteur [C. comptes, 15 mai 2018, Régie des eaux de Grenoble, n° 2018-1289].

5Il est relativement fréquent que les comptables invoquent, pour réfuter leur responsabilité personnelle et pécuniaire, leur devoir d’obéissance hiérarchique aux notes, instructions ou autres lettres émanant des services ministériels ; dans la présente espèce, la Cour clarifie la situation au regard de l’applicabilité à cette matière de la jurisprudence Jamart du Conseil d’État du 7 févr. 1936 aux termes de laquelle « même dans le cas où les ministres ne tiennent d’aucune disposition législative un pouvoir réglementaire, il leur appartient, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l’administration placée sous leur autorité ». En matière de comptabilité publique, le ministre chargé des finances sous l’empire du décret du 29 déc. 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique (RGCP) ou le ministre chargé du budget sous l’empire du décret du 7 nov. 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique (décret GBCP) disposent d’une délégation spéciale du pouvoir réglementaire pour pourvoir à l’exécution de ces règlements, par voie d’instructions codificatrices, en ce qui concerne le RGCP, ou sous la forme d’arrêtés ministériels en ce qui concerne le décret GBCP. En toute hypothèse, le pouvoir réglementaire du ministre ne peut avoir pour effet de déroger aux règles fixées par les lois et décrets en vigueur ; le cadre juridique des obligations du comptable en matière de tenue de la comptabilité, de préservation des fonds et valeurs et de recouvrement est fixé par les textes cités ci-dessus ; une instruction ou une absence d’instruction du supérieur hiérarchique du comptable ne pouvait exonérer ce dernier de ses obligations en la matière, lesquelles ne pouvaient se limiter à la comptabilisation des encaissements [C. comptes, 30 juill. 2018, DRFIP de Midi-Pyrénées et du département de Haute-Garonne, n° 2018-2285].

Comptables successifs

6Lorsqu’une créance se trouve prescrite peu après l’entrée en fonctions du comptable successeur, le juge des comptes, nonobstant l’existence ou l’inexistence de réserves, doit apprécier dans quelle mesure le comptable entrant disposait de la possibilité d’agir utilement pour préserver les droits de la collectivité publique ; l’appréciation du juge doit tenir compte de la nature de la créance et du débiteur ; lorsque le débiteur est un particulier, l’inaction du comptable sortant pendant une longue période est de nature à rendre très difficile le recouvrement de la créance atteinte par la prescription dans un court laps de temps après sa sortie de fonctions ; tel était le cas, en l’espèce, le recouvrement de la créance étant gravement compromis à la date de sortie de fonctions du fait de l’inaction continue de ce comptable [C. comptes, 15 mai 2018, Régie des eaux de Grenoble, n° 2018-1339]. [C. comptes, 20 sept. 2018, Commune du Blanc-Mesnil, n° 2018-2232].

7Si le comptable entrant n’a pas émis de réserves sur la créance, elle était irrécouvrable au moment où il a pris ses fonctions ; aucun défaut de diligence dans le cadre de l’action en recouvrement ne peut en conséquence lui être reproché [C. comptes, 5 juill. 2018, Université de Valenciennes, n° 2018-1335]. V. déjà C. comptes, 12 déc. 2011, TPG des créances spéciales du Trésor, GFP oct. 2013, p. 75.

8Lorsque le comptable sortant a envoyé la facture litigieuse, la procédure de liquidation judiciaire était déjà engagée ; ainsi, l’agent comptable n’a pas disposé d’un délai raisonnablement suffisant pour produire la créance au passif de l’association débitrice même en tenant compte du délai pour demander à être relevé de la forclusion ; cette circonstance est de nature à exonérer le comptable entrant de sa responsabilité [C. comptes, 28 sept. 2018, Université Paris V Descartes, n° 2018-2587].

Comptable principal/comptables secondaires

9En application du VI de l’art. 60 de la loi du 23 févr. 1963, la mise en jeu de la responsabilité d’un comptable par voie administrative est réservée aux cas dans lesquels le manquement de ce comptable a causé un préjudice financier à la collectivité considérée ; dès lors que le certificat d’irrécouvrabilité établi par le liquidateur donne une indication sur l’impécuniosité de la procédure collective, le manquement du comptable secondaire n’a pas causé de préjudice financier à l’État. Par suite, il ne peut être reproché au comptable principal de n’avoir pas engagé à ce titre la responsabilité du comptable secondaire [C. comptes, 19 juill. 2018, DDFIP de l’Orne, n° 2018-2011]. Dès lors que le gérant de la SARL était insolvable, le manquement du comptable secondaire n’a été la cause d’aucun préjudice financier pour l’État ; par voie de conséquence, le comptable principal n’aurait pas été fondé à engager la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable secondaire à raison du défaut de recouvrement de la créance en cause [C. comptes, 19 juill. 2018, DRFIP du Nord-Pas-de-Calais et du département du Nord, n° 2018-2161].

10Solution inverse dès lors que le mandataire était revenu sur un premier certificat d’irrécouvrabilité, indiquant qu’il ne lui était pas possible de confirmer l’irrécouvrabilité, en raison d’instances en cours dont l’issue conditionnait le sort de la créance [C. comptes, 19 juill. 2018, DDFIP de Meurthe-et-Moselle, n° 2018-2192].

Contrôle de”légalité”

11Le Conseil d’État a annulé l’arrêt de la Cour des comptes n° 2017-0977 du 27 mars 2017 (GFP 2017-6 p. 150) qui avait mis en débet le comptable de l’École nationale de formation agronomique (ENFA) pour avoir payé des mandats signés par le directeur de celle-ci et correspondant à un marché conclu sans l’autorisation du conseil d’administration, requise par le statut de l’établissement. La haute juridiction considère qu’en application des art. 19 et 20 du décret du 7 novembre 2012 (RGBCP), « au titre du contrôle de la qualité de l’ordonnateur que les comptables sont tenus d’exercer s’agissant des ordres de payer, il leur incombe de s’assurer que le signataire de cet ordre a la qualité d’ordonnateur de la personne morale concernée ou a reçu de ce dernier une délégation lui donnant qualité pour agir en son nom. Ces dispositions ne sauraient, en revanche, être interprétées comme mettant, à ce titre, à la charge des comptables l’obligation de vérifier la compétence de l’autorité ayant pris la décision qui constitue le fondement juridique de la dépense, les comptables n’ayant, d’ailleurs, pas le pouvoir de se faire juges de la légalité de cette décision ». L’autorisation du conseil d’administration de l’ENFA était certes une condition de la légalité du marché. Mais le comptable n’avait pas à contrôler la régularité de ce contrat. Ses obligations se limitaient à s’assurer que les mandats étaient bien signés par le directeur, ordonnateur de l’établissement [CE, 4 mai 2018, Ministre de l’action et des comptes publics, n° 410880 ; AJDA 2018. 948 ; JCP A 2018. 450]. Comme nous avons pu déjà l’exprimer dans cette chronique, cette solution jurisprudentielle est parfaitement conforme à la détermination des missions du comptable public par les textes applicables ; elle n’en est pas moins regrettable dès lors qu’une dépense, largement suspecte d’illégalité, doit être néanmoins payée ; ne pourrait-on songer à la mise en œuvre d’une procédure d’alerte permettant au comptable d’attirer l’attention de l’ordonnateur, voire du juge administratif de droit commun, pour éviter une telle incongruité ?

12S’il n’appartient pas au comptable de s’assurer que le contrôle de légalité a été correctement effectué, il ne peut en revanche arguer d’une absence de déferrement au juge administratif pour se voir exonérer de ses obligations de contrôle quant à l’exactitude des calculs de liquidation et à la production des pièces justificatives ; la délibération litigieuse ne fixait ni la nature, ni les conditions d’attribution, ni le taux moyen des indemnités ; les arrêtés individuels ne faisaient pas référence à des taux applicables, contrairement à ce que prévoit explicitement la nomenclature ; les pièces produites n’étant pas conformes à la nomenclature susvisée, les comptables auraient dû suspendre les paiements et solliciter des pièces plus précises. Par ailleurs, le comptable ne peut se prévaloir de pratiques non conformes à la réglementation pour considérer qu’elles se substitueraient, par l’usage, aux obligations de sa charge [C. comptes, 14 juin 2018, Région Île-de-France, n° 2018-1641].

13Le comptable doit s’assurer de la compétence de l’auteur de l’acte, principe que la Cour applique en l’espèce à une décision d’admission en non-valeur, prise par le bureau d’une chambre d’agriculture par délégation de la session sur le fondement de délibérations qui déléguaient notamment au bureau la compétence pour « se prononcer en ses lieu et place sur toute modification du budget général proposée par le président pendant l’intervalle des sessions » ; le Cour relève que ces délibérations ne donnent aucune compétence au bureau en matière d’admission en non-valeur des créances irrécouvrables. De même, une remise gracieuse pour gêne du débiteur ne peut plus être autorisée que par délibération de l’organe délibérant prise après avis de l’agent comptable (art. 193 RGBCP) ; le comptable engage ainsi sa responsabilité en présence d’une décision de remise prise par l’ordonnateur. [C. comptes, 12 juill. 2018, Chambre départementale d’agriculture des Bouches-du-Rhône, n° 2018-2028].

14Aux termes de l’art. 33 du décret du 7 nov. 2012, les exceptions à la règle selon laquelle le paiement ne peut intervenir avant l’échéance de la dette ou l’exécution du service ne peuvent résulter que d’une loi ou d’un règlement ; les stipulations d’un contrat ne peuvent, sauf exception règlementairement prévue, déroger aux dispositions d’un règlement ; de ce fait, les dispositions de l’art. 11 du cahier des clauses particulières du marché n’étaient pas applicables ; sans que les comptables aient le pouvoir de se faire juges de la légalité des actes administratifs à l’origine des créances, il leur appartient d’en donner une interprétation conforme à la réglementation en vigueur ; il revenait donc à la comptable de constater que les dispositions du cahier des clauses particulières du marché ne pouvaient prendre le pas sur le décret précité et la délier de ses obligation de contrôle [C. comptes, 19 juill. 2018, Union des groupements d’achats publics (Ugap), n° 2018-2055].

Contrôle sélectif de la dépense

15Dès lors que le plan de contrôle sélectif de la dépense ne prévoyait pas de contrôle spécifique de la prime de fonction et de résultats, le juge des comptes ne peut que constater le respect dudit plan s’agissant des paiements incriminés [C. comptes, 15 mai 2018, École supérieure d’art et de design Le Havre-Rouen (ESADHaR), n° 2018-1260].

Diligences

16La Cour a eu l’occasion de se pencher sur l’épineuse question de l’effet d’une procédure de surendettement sur la responsabilité du comptable public. « La question de l’effet de la procédure de surendettement sur les créances nées postérieurement à la phase de recommandation est (…) complexe, dans la mesure où les textes n’apportent pas de précision. Un parallèle avec les procédures collectives prévues par le code de commerce peut cependant être fait puisque les procédures de surendettement sont en quelque sorte la transposition aux dettes personnelles des individus des dispositions propres aux entreprises. Or, les effets des procédures collectives dépendent du fait générateur de la créance. Les créances antérieures au jugement d’ouverture sont incluses dans celle-ci et la prescription est interrompue. Les créances postérieures en revanche doivent être payées à échéance normale et les voies d’exécution restent ouvertes pour les créanciers (…) le ministère public estime que les créances postérieures à la phase de recommandation ne sont pas incluses dans la procédure, qu’elles doivent être payées à l’échéance et qu’elles ne bénéficient pas de l’interruption de prescription ». La Cour va suivre le Parquet en considérant qu’à lui seul, l’engagement d’une procédure de surendettement n’a pas pour effet de suspendre les procédures d’exécution en cours contre le débiteur ; en revanche, la demande par laquelle le débiteur, en cas d’échec de la mission de conciliation, sollicite de la commission qu’elle formule des recommandations, interrompt la prescription et les délais pour agir. Les créances postérieures à la phase de recommandation ne sont pas incluses dans la procédure, elles doivent être payées à l’échéance et elles ne bénéficient pas de l’interruption de prescription [C. comptes, 15 mai 2018, Régie des eaux de Grenoble, n° 2018-1289].

17L’opposition à tiers détenteur a fait apparaître un solde négatif sur le compte bancaire du redevable, et un procès-verbal de perquisition est resté sans résultat, l’adresse du débiteur étant inconnue ; ces circonstances tendent à établir que le recouvrement de la créance était manifestement compromis dès avant la prise de fonction du comptable [C. comptes, 15 mai 2018, Régie des eaux de Grenoble, n° 2018-1339].

18Sur l’appréciation par le juge des comptes des diligences du comptable, V. [C. comptes, 15 juin 2018, Port autonome de Paris, n° 2018-1640, Charges 1 et 2].

19Les démarches contentieuses font partie intégrante de l’action en recouvrement des créances ; vis-à-vis de personnes publiques dont les biens sont insaisissables, il est possible de mettre en œuvre des voies d’exécution administratives et notamment celles de l’inscription et du mandatement d’office d’une dépense obligatoire ; le comptable ne peut s’exonérer de sa responsabilité en indiquant qu’il avait renoncé à utiliser ces voies de droit au motif que les personnes publiques en cause subventionnaient le Groupement [C. comptes, 29 juin 2018, Groupement d’intérêt public - Formation continue et insertion professionnelle (GIP FC-IP) de l’académie de Créteil (Val-de-Marne), n° 2018-1699].

Fondement de la responsabilité du comptable

20La personnalité morale est une fiction juridique permettant de doter de droits et d’obligations une structure dénuée de toute existence matérielle. Cette fiction est largement utilisée dans notre droit et elle constitue un vecteur déterminant, en droit de la comptabilité publique, pour fonder (ou non) la responsabilité du comptable, patent comme de fait. L’arrêt Commune de Niort (14 juin 2018, n° 2018-1602) permet de revenir sur les conséquences que la juridiction financière attache à l’existence ou au défaut de personnalité morale.

21En l’espèce, le comptable avait vu sa responsabilité engagée en 1ère instance au motif qu’il avait versé une subvention du budget général de la commune au budget annexe de la foire exposition de la commune de Niort sur la seule base d’un certificat administratif non signé (CRC Aquitaine, Limousin, Poitou-Charentes, 18 avril 2016, n° 2016-0014 ; GFP 2017-3 p. 145). Cette position de la CRC était en contradiction avec la jurisprudence d’autres chambres qui estimaient que l’octroi par une commune d’une subvention à un service interne constitue une simple écriture de transfert de crédits, du budget principal au budget annexe, composantes du même budget unique de la communauté de communes ; l’absence de décaissement exclut par conséquent toute mise en jeu de la responsabilité du comptable (CRC Auvergne, Rhône-Alpes, 23 juin 2016, Communauté de communes Val Guiers, GFP 2017-3 p. 145). La Cour elle-même rappelait auparavant que la responsabilité personnelle et pécuniaire d’un comptable ne pouvait être engagée que dans des cas, strictement limités et énoncés à l’article 60-IV de la loi de finances du 23 févr. 1963, qui sont un déficit ou un manquant en deniers ou en valeur, un non recouvrement de recette, un paiement irrégulier de dépense et l’indemnisation à raison d’une faute du comptable d’un autre organisme public ou d’un tiers et que des écritures n’ayant qu’une incidence budgétaire ne peuvent être considérés comme des paiements au sens de la comptabilité publique (C. comptes, 28 juin 2007, District de l’agglomération vichyssoise, Rev. Trésor 2008. 783). Sur conclusions contraires du Parquet, c’est le même raisonnement que la Cour reprend en l’espèce en considérant que le service public industriel et commercial dont les recettes et les dépenses sont prévues dans le budget annexe de la foire exposition de la ville de Niort disposait de l’autonomie financière et d’un compte spécifique au Trésor, mais pas d’une personnalité morale distincte de celle de la commune. Le budget principal de la commune et ce budget annexe formaient donc deux composantes d’un unique budget voté par le même organe délibérant et dont l’exécution était retracée dans un unique compte financier, celui de la ville de Niort ; ainsi, le versement litigieux n’était pas assimilable, en ce qui concerne les obligations qui pèsent sur le comptable public, au versement d’une subvention à un organisme disposant d’une personnalité morale distincte.

22Les choses semblent donc claires : dès lors qu’une opération se réalise au sein d’une même personne morale, elle constitue une démarche exclusivement budgétaire qui ne peut avoir de conséquence sur le plan de la responsabilité du comptable public. La réalité contentieuse est toutefois sensiblement plus complexe.

23On relèvera en premier lieu que la compétence de la Cour reste, d’une certaine façon, indifférente à l’existence de la personnalité morale ; elle s’étend en effet à toutes les dépenses et recettes autorisées dans les lois de finances, y compris s’agissant d’un établissement d’enseignement supérieur non doté de la personnalité juridique (C. Comptes, 17 juin 1954, Maubon, École des mines d’Ales : Rec. C. comptes 44). Dans le même ordre d’idées, si les Fonds d’assurance formation (FAF) régionaux constituent un simple service des chambres de métiers auxquels ils sont rattachés et ne disposent donc pas de la personnalité morale, les textes les assujettissent au règlement général sur la comptabilité publique et les dotent d’un agent comptable ; il en résulte, quelle que soit la singularité de cette organisation à laquelle échappent les FAF nationaux, lesquels sont demeurés assujettis aux règles de la comptabilité privée, que la Cour est compétente pour statuer sur les comptes des FAF régionaux et pour examiner leur gestion (C. comptes, 24 nov. 2004, Fonds d’assurance formation constitué au sein de la Chambre régionale de métiers d’Ile-de-France, Rev. Trésor 2006. 219). La même difficulté se retrouve s’agissant de l’organisation comptable des services de l’État : au-delà du principe de l’unité de la personnalité morale de l’État, il existe de nombreux flux financiers entre services de l’État non personnalisés ; la mise en œuvre de la nouvelle nomenclature budgétaire issue de la LOLF a contribué à une plus grande individualisation budgétaire et la complexité de l’organisation de l’État justifie l’existence de nombreux postes comptables différenciés au sein même de la personne morale État. Le Conseil d’État en déduit que si le comptable constate qu’un titre de recettes est atteint par la prescription quadriennale, il doit refuser d’ouvrir sa caisse, même si ce titre émane d’un autre service de l’État (CE, 25 oct. 1967, Min. éco. fin. budget : Rec. CE, p. 393).

24S’agissant de la mise en œuvre du contrôle, le critère de la personnalité morale retrouve toute sa prégnance ; par exemple, engage sa responsabilité l’agent comptable d’une chambre d’agriculture qui prend en charge une dépense pour le compte de structures qui disposent d’une personnalité morale distincte (C. comptes, 19 déc. 2017, Chambre d’agriculture de région du Nord-Pas-de-Calais, n° 2017-4056). De même, la capacité d’interjeter appel d’un jugement de CRC reste une prérogative inhérente à l’existence d’une personne morale (C. comptes, 26 févr. 2009, CCAS de Truyes, GFP 2010. 102, RFDA 2010. 817).

25En matière de gestion de fait, la Cour relève depuis fort longtemps qu’un organisme dépourvu de la personnalité juridique n’a aucune qualité pour recevoir des deniers publics et ses représentants ne sont pas habilités pour donner valablement quittance au receveur des subventions reçues (C. comptes, 28 sept. 1960, Riehl, Comité des fêtes de Schiltighiem : Rec. C. comptes 65 ; GAJF, 4e éd., n° 39. CTC Guadeloupe, 3 juin 1997, Comité de gestion des œuvres sociales de Gourbeyre : RDT 1999. 31). C’est le cas en particulier des associations non déclarées (CRC Champagne-Ardenne, 24 janv. 1991 et 21 mai 1992, Commune de Montcornet, RDT 1993. 127. C. comptes, Ch. Réunies, 7 avril et 19 mai 2004, Commune de Goubeyre : RDT 2005. 48, chron. Lascombe et Vandendriessche ; RFD adm. 2005. 642 et 647). Ainsi, dès lors qu’une association non dotée de la personnalité morale a encaissé des subventions, il y a maniement sans titre pour défaut de personnalité morale. Mais, en revanche, l’association pourra être déclarée comptable de fait, malgré son incapacité juridique ; la Cour considère en effet que ces associations non déclarées, si elles ne peuvent bénéficier de subventions en raison de leur absence de capacité juridique, ont une personnalité juridique suffisante pour être déclarées comptables de fait (C. comptes, 20 déc. 2004 et 20 janv. 2005, Association « Jeunesse et Patrimoine International », RDT 2005. 618, obs. Lascombe et Vandendriessche ; AJDA 2006. 49, note Damarey ; RFD adm. 2006. 808). De même, dès lors que les textes prévoient qu’un groupement ne jouit de la personnalité morale qu’à compter de l’accomplissement de la publication au recueil des actes administratifs de la préfecture et la mention de cette publication au Journal officiel, l’omission partielle de cette double formalité conduit le Parquet à estimer que la Cour serait fondée à tirer toutes les conséquences juridictionnelles de l’absence de personnalité morale de l’organisme en considérant que le maniement des deniers publics retracés est constitutif de gestion de fait et en qualifiant de comptables de fait les ordonnateurs et le comptable du groupement (C. comptes, 9 oct. 2002, GIP « Plate-forme pour l’emploi de la Plaine-Saint-Denis », RDT 2003. 555).

26Au total, comme le notait la Cour en 2007 (C. comptes, 26 sept. 2007, TPG de la Martinique, GFP 2009. 207), il résulte de ce qui précède qu’un doute sérieux subsiste et qu’une clarification serait nécessaire pour éviter toute forme d’incertitude.

Manquant en monnaie ou en valeurs

27La différence en moins sur états de restes à recouvrer qui résulte de la tenue défectueuse de la comptabilité, est constitutive, par nature, d’un manquant en monnaie ou en valeurs [C. comptes, 22 mai 2018, DDFIP du Haut-Rhin, n° 2018-1194].

28Les comptables publics sont responsables de la préservation des actifs financiers des personnes publiques dont ils tiennent les comptes ; il leur appartient à ce titre, sauf à voir leur responsabilité engagée, de comptabiliser fidèlement les droits et de conserver les pièces qui les justifient ; la justification des soldes résulte de leur confrontation avec la situation détaillée des créances prises en charge qui doit être jointe au compte, et des pièces attestant des droits de l’État sur les tiers ; l’absence de ces pièces est réputée constituer un manquant en monnaie ou en valeurs [C. comptes, 26 juin 2018, DDFIP de Seine-et-Marne, n° 2018-1700].

29En revanche, un désordre comptable se traduisant par l’absence de comptabilisation de titres SAFER acquis par la chambre départementale sans que l’agent comptable n’ait attiré l’attention de l’ordonnateur ou l’ait fait sans succès, n’est constitutive ni d’un déficit ni d’un manquant et n’est donc pas susceptible d’engager la responsabilité du comptable [C. comptes, 12 juill. 2018, Chambre départementale d’agriculture des Bouches-du-Rhône, n° 2018-2028].

30De même, les écritures de provision constituent des opérations budgétaires d’ordre réalisées à l’initiative de l’ordonnateur, qui doivent être autorisées et prévues au budget et sont enregistrées à la fois en comptabilité générale et dans celle de l’ordonnateur ; s’il est indispensable de procéder à la totalité des écritures prévues par les instructions afin d’obtenir les régularisations nécessaires des comptes de bilan concernés, la responsabilité personnelle et pécuniaire de l’agent comptable ne saurait être engagée de ce chef [C. comptes, 12 juill. 2018, Chambre départementale d’agriculture de la Charente, n° 2018-1832].

Marchés publics

31Compte tenu des délais de livraison observés, les comptables étaient dans l’obligation de procéder à une vérification de l’existence d’un état liquidatif des pénalités de retard ; si les comptables considèrent les retards comme non significatifs au regard de la durée des marchés, la Cour relève qu’ils ne disposent pas d’un pouvoir d’appréciation subjectif sur la gravité d’un retard qui constitue un manquement aux termes d’un contrat et doivent s’en tenir à la lettre de celui-ci pour l’application de leurs contrôles de l’exactitude des calculs de liquidation ; ils ne peuvent donc arguer du caractère limité d’un dépassement pour justifier l’absence d’application de clauses contractuelles explicites [C. comptes, 14 juin 2018, Région Île-de-France, n° 2018-1641].

32La Cour a eu l’occasion de se prononcer sur l’épineuse question des conséquences de la succession de personnes morales parties à un marché. Elle constate qu’au vu du montant de la dépense litigieuse, celle-ci ne pouvait intervenir qu’en référence à un marché écrit en cours de validité ; le comptable produit une convention passée avec un laboratoire qui était alors un service du département du Calvados en considérant que le GIP était venu aux droits et obligations dudit service lors de sa création. La Cour relève toutefois que la cession de ce contrat au GIP bénéficiaire des paiements nécessitait l’accord préalable et exprès de l’ordonnateur, même si le laboratoire précité avait été intégré dans le GIP ; à cet égard, le comptable ne disposait, au moment du paiement, ni d’un contrat conclu avec le GIP lui-même, ni d’un avenant à la convention prévoyant la cession de celle-ci au GIP, ni de toute autre autorisation de cession, ni plus généralement d’aucun document attestant que les droits et obligations des contrats passés par les organismes prédécesseurs auraient été repris par le GIP ; enfin, n’est produit aucun certificat par lequel l’ordonnateur aurait endossé la responsabilité de l’absence de contrat écrit. On relèvera que le Parquet avait, pour sa part, conclu à la décharge du comptable sur ce point. La Cour atténue toutefois la rigueur de sa décision en considérant que le manquement n’a pas causé de préjudice financier à l’État : le paiement d’une dépense d’un montant égal ou supérieur à 15 000 € en l’absence de contrat écrit cause un préjudice financier à la collectivité publique, sauf si des pièces attestent de la volonté de l’ordonnateur de poursuivre avec le bénéficiaire des paiements les mêmes relations contractuelles que celles régulièrement nouées avec l’organisme prédécesseur ; en l’espèce les pièces produites établissent la volonté de l’État de continuer à entretenir avec le GIP LABEO les mêmes relations contractuelles que celles qu’il avait engagées avec le laboratoire Y ; il doit donc être considéré que le manquement du comptable n’a pas causé de préjudice financier pour l’État [C. comptes, 26 juin 2018, DRFIP de Basse-Normandie et du département du Calvados, n° 2018-1821].

Primes, indemnités, rémunérations accessoires

33Une réponse du pôle national de soutien au réseau de la DGFIP du 12 sept. 2013 indique que l’art. L. 954-2 du Code de l’Éducation confère au conseil d’administration d’une université la possibilité d’instaurer des primes sans référence à un texte réglementaire, dans le cadre d’un dispositif d’intéressement qu’il aura librement défini. Ce sont ces principes que la Cour applique en l’espèce en considérant que l’art. L. 954-2 permet au conseil d’administration d’une université bénéficiant de responsabilités et de compétences élargies d’instaurer un régime d’intéressement pour améliorer la rémunération des personnels ; tel est le cas de l’université de Bourgogne, qui a fait usage de cette possibilité en instaurant un dispositif spécifique au bénéfice de son agent comptable et de son directeur général des services par délibération de son conseil d’administration ; si, comme le relèvent les conclusions du Procureur général, cette délibération « ne donne aucune indication quant aux modalités de calcul et d’attribution de cette prime d’intéressement », se contentant dans une note y annexée d’en préciser les motifs, les bénéficiaires et de fixer un plafond, aucune disposition réglementaire ne l’obligeait à le faire [C. comptes, 17 mai 2018, Université de Bourgogne, n° 2018-1362].

34De par leurs fonctions mêmes, le directeur général des services et l’agent comptable d’un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel doivent être regardés comme respectivement chargés de la conduite de la politique et des actions de formation continue, pour le directeur, et de leur gestion financière et comptable, pour l’agent comptable, sans que ces fonctions puissent apparaître comme étrangères à leur activité principale et à ce titre, justifier un traitement particulier et une gratification complémentaire. Ces agents ne peuvent ainsi bénéficier du versement de l’indemnité pour participation aux travaux de formation continue prévue à l’article D. 714-61 du code de l’éducation [C. comptes, 28 sept. 2018, Université de Toulouse II, n° 2018-2420]. V. déjà C. comptes, 1er févr. 2018, Université de Nice, GFP 2018-4 p. 156.

Pièces justificatives

Contrat

35Dès lors que l’agent exerce ses fonctions dans le cadre d’un détachement sur un emploi de contractuel de droit public, le contrat de travail constitue la pièce justificative sur laquelle devait s’appuyer l’agent comptable pour procéder aux contrôles prévus par les articles 19 et 20 du décret du 7 nov. 2012. Dans la mesure où le contrat ne prévoyait pas l’attribution de l’indemnité litigieuse et précisait que la rémunération contractuelle était exclusive de toute autre indemnité, les paiements litigieux ont présenté un caractère indu et ont donc occasionné un préjudice financier [C. comptes, 26 juin 2018, Agence régionale de santé (ARS) du Limousin, n° 2018-1629]. Une indemnité à verser à un tel agent ne peut donc être créée ni par une décision unilatérale de l’ordonnateur, ni par une note du ministre de tutelle ; l’absence de mention dans les contrats écartant explicitement l’attribution des primes litigieuses ne peut être considérée comme conférant une justification à leur mise en paiement [C. comptes, 26 juin 2018, Agence régionale de santé (ARS) de Poitou-Charentes, n° 2018-1639].

Financement de la vie politique

36C’est, à notre connaissance, la première fois que la Cour a à se prononcer sur plusieurs questions touchant au financement des campagnes électorales. S’agissant des élections politiques, la nomenclature des pièces justificatives des dépenses de l’État renvoie aux notes de service afférentes à chaque consultation

37Des frais de campagne ont été remboursés de manière forfaitaire à des députés élus lors des élections législatives de 2012 ; à l’appui des six mandats de paiement n’étaient pas jointes les justifications du dépôt des déclarations de situation patrimoniale des candidats auprès de la commission pour la transparence financière de la vie politique. La circonstance qu’en application des dispositions du code électoral, les députés sortants réélus étaient dispensés d’établir une déclaration de situation patrimoniale dans les deux mois de leur entrée en fonction, au motif que, dans les six mois précédents, ils avaient dû en établir une, était sans effet sur l’obligation que le comptable public avait d’exiger, à l’appui du remboursement de leurs frais de campagne, la preuve de l’existence de ladite déclaration, puisque cette justification était prévue par la nomenclature applicable. Au surplus, il résulte, implicitement mais nécessairement, de la rédaction de l’article L.52-11-1 du code électoral que le remboursement forfaitaire des frais de campagne est subordonné, entre autres conditions, à l’accomplissement de la formalité consistant en la susdite déclaration de situation patrimoniale. La Cour déduit de ce qui précède un manquement du comptable sans préjudice financier pour l’État [C. comptes, 22 mai 2018, DDFIP du Haut-Rhin, n° 2018-1194]. Dans une espèce similaire (remboursement de frais de campagne en l’absence de la justification du dépôt des déclarations de situation patrimoniale des candidats), la Cour constate que les pièces manquantes ont été produites en cours d’instruction ; les sommes payées étaient effectivement dues. De ce fait le manquement du comptable à ses obligations en matière de dépenses n’a causé aucun préjudice financier à l’État [C. comptes, 26 juin 2018, DDFIP de Seine-et-Marne, n° 2018-1700].

38Les dix mandats en cause ont été remboursés à une société, subrogée dans les droits des candidats à l’élection présidentielle de 2012, en paiement de frais d’apposition des affiches mentionnées à l’article 17 du décret modifié du 8 mars 2001, dont la charge incombait à l’État en application des dispositions de l’article 20 dudit décret. À l’appui des mandats de paiement, n’ont été produits ni les attestations des mandataires locaux des candidats ni l’arrêté fixant le tarif applicable, en l’occurrence l’arrêté du 26 mars 2012 fixant les tarifs maxima de remboursement des frais d’impression des documents électoraux et d’apposition des affiches pour l’élection du Président de la République, publié au Journal Officiel du 29 mars 2012. L’absence de l’attestation écrite, datée et signée des mandataires locaux des candidats indiquant que la quantité d’affiches dont le remboursement était demandé avait bien été reçue localement entraîne la constatation d’un manquement sans préjudice [C. comptes, 22 mai 2018, DDFIP du Haut-Rhin, n° 2018-1194].

Dématérialisation

39L’art. 8 de l’arrêté du 7 oct. 2015 relatif aux conditions d’établissement, de conservation et de transmission sous forme dématérialisée des documents et pièces justificatives des opérations des organismes publics pris en application de l’art. 51 du décret n° 2012-1246 du 7 nov. 2012, autorise le fait que « l’ordonnateur certifie le service fait au moyen d’une transaction dédiée dans le système d’information ou au moyen de la transaction de l’ordre de payer dans le système d’information précité » ; dans ces conditions, « la dématérialisation de la certification du service fait et des pièces justificatives afférentes dispense l’ordonnateur de toute attestation manuscrite sur les pièces justificatives de dépenses prévues par la nomenclature des opérations de dépenses, mentionnée aux articles 50 et 198 du décret du 7 nov. 2012 ». Il ressort de l’examen des documents transmis par le comptable, que le chef de service de l’intéressée a bien validé sa mission dans l’applicatif avant le début du voyage, et que les frais ont été remboursés, ce qui vaut attestation du service fait dans le système mis en place par l’ADEME [C. comptes, 17 mai 2018, Agence de l’environnement et de la maitrise et de l’énergie (Ademe), n° 2018-1372].

40L’existence d’une convention de dématérialisation conclue entre la commune, la DDFIP et la Chambre régionale des comptes ne dispense pas le comptable de s’assurer que la pièce transmise par voie électronique est effectivement exécutoire ; tel n’est pas le cas d’un fichier « PDF » contenant un arrêté municipal n’étant ni signé ni revêtu du cachet du service du contrôle de la légalité de la sous-préfecture [C. comptes, 28 juin 2018, Commune de Gravelines, n° 2018-1840].

41De simples bordereaux de situation qui retracent l’historique des diligences accomplies dans l’application HELIOS ne sont pas de nature à justifier si des actes susceptibles d’interrompre la prescription ont été pris puisqu’ils ne garantissent en rien leur notification effective au redevable [C. comptes, 28 juin 2018, Syndicat intercommunal des collectivités territoriales informatisées des Alpes-Maritimes (Sictiam), n° 2018-1876].

Préjudice financier

Admission en non-valeur

42Engage sa responsabilité le comptable qui accepte des mandats d’admission en non-valeur appuyés de délibérations du bureau de la chambre et non de délibérations de la session ; l’information alléguée de la session sur ces admissions en non-valeur, au motif de l’approbation en son sein du budget et du compte financier tout comme l’intervention de l’ordonnateur sont sans effet sur les obligations de contrôle des comptables publics lors des opérations d’exécution du budget. Dans ses conclusions, le Procureur général fait valoir que les créances admises en non-valeur ont fait l’objet d’un suivi précis et de diligences en vue de leur recouvrement pouvant être considérées comme satisfaisantes ; eu égard à la nature, à l’ancienneté, au montant des créances, aux diligences accomplies et à la situation des débiteurs concernés, le manquement des comptables n’a pas causé de préjudice financier à la chambre départementale d’agriculture [C. comptes, 15 juin 2018, Chambre départementale d’agriculture de la Haute-Loire, n° 2018-1704]. [C. comptes, 12 juill. 2018, Chambre départementale d’agriculture des Vosges, n° 2018-1853].

Annulation d’ordres de recettes

43L’annulation d’un titre de recettes compromet définitivement toute chance de recouvrement ultérieur et cause en principe un préjudice à la collectivité (C. comptes, 13 mars 2014, Cne de Riviere-Pilote, n° 668961 : GAFP 6e éd. n° 36, AJDA 2014. 2518, chron. Michaut et Picard). Est constitutive d’un préjudice financier une perte de recette causée par une réduction ou annulation de titre qui n’est pas fondée sur l’inexistence ou l’inexactitude de la créance, sauf lorsque l’autorité investie du pouvoir de remettre les dettes régulièrement constituées en faveur de l’organisme public s’est expressément prononcée, antérieurement au paiement, sur le principe d’une remise de cette dette ; en l’absence d’une décision explicite de l’assemblée délibérante d’annuler le titre à l’encontre de la société bénéficiaire de la promesse de vente, la seule délibération budgétaire du conseil municipal qui avait inscrit des crédits individualisés destinés à supporter l’annulation de ce titre, ne permet pas d’écarter le fait que le manquement constaté ait entraîné un préjudice financier pour la commune (C. comptes, 14 déc. 2017, Commune de Morcenx, GFP 2018 n° 4 p.156). En l’espèce, la Cour relève qu’un certain nombre des créances concernées n’atteignaient pas le montant de 30 € fixé par les services de l’ordonnateur à titre de seuil pour la mise en recouvrement ; il ne peut, dans ces circonstances, être reproché au comptable de ne pas avoir poursuivi le recouvrement des titres concernés compte tenu de la politique ainsi affichée par l’IRSN [C. comptes, 15 juin 2018, Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), n° 2018-1637].

Caractère libératoire du paiement

44En versant les deux rémunérations du directeur administratif et financier, à sa demande, sur un compte bancaire qui n’était pas ouvert au nom du véritable créancier, le comptable a manqué à l’obligation qui était la sienne de s’assurer du caractère libératoire des paiements ; un paiement non libératoire qui n’est pas remboursé cause en principe un préjudice à la collectivité, la somme demeurant due au véritable créancier ; toutefois, c’est à la demande expresse du directeur administratif et financier lui-même que les rémunérations qui lui étaient dues ont été versées sur un compte bancaire dont il n’était pas le titulaire. Dans ces conditions, l’intéressé ne serait pas fondé à demander un second paiement à l’établissement ; de la sorte, au cas d’espèce, le manquement du comptable n’a pas causé de préjudice financier à l’établissement [C. comptes, 29 mai 2018, Établissement public national d’aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Épareca), n° 2018-1346].

Détermination de la volonté de l’organisme public en cause

45La détermination de l’intention de la personne publique peut s’assimiler à une vérification de la compétence de l’auteur de l’acte ; ainsi, s’agissant du versement d’indemnités horaires pour travaux supplémentaires fondées sur des délibérations imprécises de l’assemblée délibérante, la production d’un certificat de l’ordonnateur affirmant sa volonté de verser les sommes en cause ne suffit pas à faire disparaître le préjudice financier [C. comptes, 15 mai 2018, Communauté de communes de Loire-Semène, n° 2018-1206]. V. déjà C. Comptes, 10 déc. 2015, Commune de Théoule-sur-mer, GFP 2016-4 p. 149 ; 20 juill. 2017, Commune de Massiac, GFP 2018-2 p. 151.

46La production d’une délibération postérieure au paiement d’astreintes ne peut valoir régularisation rétroactive ; si la délibération peut révéler l’intention de la commune, elle ne peut conférer rétroactivement un fondement juridique à la dépense irrégulière [C. comptes, 15 mai 2018, Commune de Frouard, n° 2018-1207]. V. déjà CE, 27 mai 2015, ministre délégué chargé du budget, n° 374708 ; GFP 2015-11 p. 139 ; BJCL concl. De Lesquen X., obs. Girardi J.-L. ; GFP 2015, n° 11/12 p. 78, comm. Damarey.

47Une délibération du conseil municipal, postérieure aux paiements, est constituée d’un article unique ainsi rédigé : « décide de l’absence de préjudice financier à l’occasion du versement d’indemnités horaires pour travaux supplémentaires » ; dans un considérant précédant le dispositif, le conseil municipal indique que les indemnités versées à ces salariées « correspondent à un service fait consécutif à une demande de travail supplémentaire de la part de la municipalité ». La Cour rappelle toutefois que lorsque l’instance est ouverte devant le juge des comptes, le constat de l’existence ou non d’un préjudice financier causé par un manquement du comptable public relève de l’appréciation de ce juge ; si au regard du caractère contradictoire de la procédure, ledit juge doit tenir compte pour cette appréciation des dires et actes éventuels de l’organisme public qui figurent au dossier, il n’est pas lié par une délibération de l’autorité délibérante postérieure au paiement indiquant que l’organisme public n’aurait subi aucun préjudice financier. Au regard du caractère indu du paiement des indemnités litigieuses, la Cour conclut à l’existence d’un préjudice financier [C. comptes, 20 sept. 2018, Commune de Frouard, n° 2018-2206].

48La même solution est retenue s’agissant du paiement de primes de fonction et de résultats en l’absence des arrêtés individuels d’attribution des primes fixant, pour chaque bénéficiaire, le coefficient applicable ; en effet, le manquement des comptables a directement causé un préjudice financier à l’établissement puisque, d’une part, le montant de la prime doit faire l’objet d’un réexamen annuel, en fonction des résultats de l’évaluation de l’agent bénéficiaire et d’autre part, en l’absence de référence à un coefficient propre à chaque agent fixé par l’autorité compétente, investie du pouvoir de nomination de l’agent, la dépense liée à la prime n’était pas due, le comptable ne pouvant en présumer le montant [C. comptes, 15 mai 2018, École supérieure d’art et de design Le Havre-Rouen (ESADHaR), n° 2018-1260].

49La commune intention des parties de contracter pour la réalisation des prestations portées sur la facture est suffisamment établie par le bon de commande produit lors de la phase non contentieuse de l’examen des comptes ; de ce fait, le manquement du comptable en matière de dépenses n’a pas causé de préjudice financier à l’État [C. comptes, 19 juill. 2018, DDFIP de Meurthe-et-Moselle, n° 2018-2192].

Lien de causalité

50Le préjudice résultant du non recouvrement d’une créance admise en non-valeur par une autorité incompétente est sans lien de causalité avec la défaillance du comptable dans ses contrôles au moment de la prise en charge du mandat d’admission en non-valeur au regard des diligences effectuées qui établissent suffisamment que les créances n’étaient plus recouvrables au moment de cette prise en charge [C. comptes, 12 juill. 2018, Chambre départementale d’agriculture des Bouches-du-Rhône, n° 2018-2028].

Marchés publics

51Le règlement de prestations réalisées alors qu’elles ne sont pas ou plus prévues par le marché public auxquelles elles sont censées se rattacher constitue, en principe, un paiement irrégulier causant un préjudice financier à l’organisme public concerné. Il peut, toutefois, en aller différemment si les prestations ont été effectivement fournies à l’organisme public en cause par le titulaire du marché et si les parties ont manifestement entendu qu’elles le soient dans les conditions contractuelles prévues par ledit marché ; la commune intention des parties peut à cet égard résulter, notamment, de la conclusion ultérieure d’un avenant de régularisation, d’un nouveau contrat ou d’une convention de transaction conclus avec le titulaire du marché. En l’espèce, le fait pour l’entreprise titulaire du marché d’avoir assuré les prestations en cause et d’en avoir demandé le paiement et le fait pour la commune d’avoir certifié le service fait et d’avoir réglé les factures permettraient de présumer de cette commune volonté. Toutefois, la volonté clairement exprimée par les deux parties de supprimer les prestations litigieuses dans un avenant en bonne et due forme ne pouvait être valablement contredite par un simple accord verbal qui aurait à lui seul justifié le paiement des prestations malgré tout réalisées. Le parquet abondait en ce sens : « Soutenir qu’aller à l’encontre d’une volonté écrite mutuelle explicite n’est pas préjudiciable à la collectivité dans la mesure où cette volonté aurait été remise en cause par une volonté implicite inverse nous semble introduire une insécurité juridique difficilement admissible ; celle-ci ouvre la porte à tous les abus et ne permet pas de protéger les deniers publics. Ce n’est pas là faire un procès d’intention : on peut admettre l’explication selon laquelle le rétablissement des prestations à la charge de la commune a été oublié. Il n’en reste pas moins que cet oubli est préjudiciable à la commune qui ne devait plus supporter la dépense en cause, non pas de façon tacite mais selon une expression explicite de volonté » [C. comptes, 28 juin 2018, Commune de Cogolin, n° 2018-1809].

Montant du préjudice

52S’agissant d’un paiement indu, le montant du préjudice est égal à la somme non remboursée par le bénéficiaire du paiement indu [C. comptes, 17 mai 2018, Université de Bourgogne, n° 2018-1362].

53S’agissant du versement de primes, le manquement du comptable a constitué un préjudice à hauteur des vacations payées en excédent du plafond applicable [même arrêt].

54S’il n’est pas contesté qu’il appartient au juge des comptes d’évaluer le montant du préjudice subi par la collectivité publique, dans les circonstances de l’espèce, les comptables appelants n’étaient pas, à la date des paiements, en mesure d’effectuer le calcul de liquidation. Il ne leur appartenait pas de se substituer à l’ordonnateur en recalculant des montants maximums de prime à verser sur le fondement de délibérations et d’arrêtés individuels trop imprécis. Au surplus, même s’ils l’avaient entrepris, ils n’auraient pu que constater une contradiction entre les montants maximum rappelés par l’ordonnateur lui-même et les montants effectivement versés ; ils ne pouvaient préjuger des montants à attribuer à chaque bénéficiaire, ni même déterminer le montant minimum attribuable. Ni la chambre régionale des comptes d’Ile-de-France ni la Cour des comptes ne sont a fortiori en capacité d’arrêter ces montants, et de déterminer le préjudice subi par la région ; c’est donc l’intégralité des mandats qui auraient dû faire l’objet d’une suspension et le préjudice doit être à bon droit établi à la hauteur de l’ensemble des sommes versées sans que soit vérifié le calcul de liquidation sur des fondements précis [C. comptes, 14 juin 2018, Région Île-de-France, n° 2018-1641].

Recettes

55Il n’est pas établi que l’annulation de la créance ait causé un préjudice financier à la chambre d’agriculture, dès lors que la créance apparaissait difficilement recouvrable, en l’absence de preuve de l’existence d’un contrat écrit permettant à la chambre de faire valoir ses droits. Il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant de ne pas obliger le comptable à s’acquitter d’une somme irrémissible pour ce manquement, dès lors qu’il existait un doute sérieux sur le fondement même de la créance et que la volonté exprimée par le bureau de la chambre était de procéder à son abandon [C. comptes, 15 juin 2018, Chambre départementale d’agriculture de la Haute-Loire, n° 2018-1704].

Remboursement

56Si la comptable a payé une dépense sans pièces justificatives, aucun préjudice financier n’a été causé à l’organisme, le montant concerné ayant donné lieu à un recouvrement par compensation lors du paiement de l’indemnité due à l’intéressée [C. comptes, 26 juin 2018, Haute autorité de santé (HAS), n° 2018-1892].

Rémunérations

57En matière de primes et d’indemnités instituées sans texte législatif ou réglementaire, le juge de cassation considère que le défaut de fondement juridique confère un caractère indu au paiement constitutif d’un préjudice financier au détriment de l’organisme public concerné : la volonté alléguée de l’organisme ne suffit pas ; encore faut-il qu’il soit démontré que l’organisme pouvait légalement attribuer les rémunérations en cause (CE, 27 mai 2015, ministre délégué chargé du budget, n° 374708 ; 27 juill. 2016, Parquet de la Cour des comptes, n° 387031). La Cour constate logiquement un manquement s’agissant du règlement d’indemnités d’astreinte au profit de cinq agents contractuels de droit public, sans avoir procédé au contrôle de la validité de la dette, et notamment des pièces justificatives déterminant le fondement juridique des indemnités en cause. Toutefois, des avenants de régularisation étaient intervenus après le paiement mais avant l’arrêt de la Cour. Celle-ci considère que l’existence d’un préjudice financier s’apprécie en principe au jour des paiements ; la prise en compte de faits postérieurs n’est envisageable que dans des cas bien spécifiques qui ne concernent pas les conditions de rémunération des personnels contractuels [C. comptes, 26 juin 2018, Agence régionale de santé (ARS) du Limousin, n° 2018-1629]. La Cour avait déjà considéré que la production de documents rétroactifs est sans effet sur l’appréciation, par le juge des comptes, tant du manquement des comptables que de l’existence d’un préjudice financier, les intérêts de la personne publique ne pouvant s’apprécier qu’au moment où intervient le paiement litigieux (C. comptes, 18 sept. 2014, CCAS de Pamproux, GFP 2015-11 p. 139. C. comptes, 22 janv. 2015, Commune de Lure : n° 71638). À l’inverse, la Cour avait indiqué qu’il n’y avait pas de préjudice financier dès lors qu’est intervenue postérieurement une décision d’attribution modifiant la décision initiale et confirmant, pour la période des versements en cause, le montant de l’indemnité de sujétion versée à cet agent au niveau arrêté par les décisions antérieures d’ordonnancement à l’origine du trop versé (C. comptes, 22 juill. 2014, INRAP : n° 70049). L’affirmation péremptoire de la Cour aux termes de laquelle la prise en compte de pièces ultérieures au paiement pour l’appréciation du préjudice financier ne concerne pas les personnels contractuels laisse songeur.

58En effet, dans un arrêt du même jour rendu par la 4ème Chambre, la Cour indique que « faute d’une décision individuelle et d’une mention au contrat complète et précise, la volonté de l’ordonnateur, seul compétent pour désigner les catégories d’agents contractuels pouvant bénéficier des primes, ne saurait être présumée ; elle ne peut se déduire d’un certificat administratif établi à l’occasion de l’instruction de la charge. La 4ème Chambre en déduit l’existence d’un manquement avec préjudice mais on est en droit de s’interroger sur la précision relative à l’expression de la volonté de l’ordonnateur, laquelle ne semblait pas pouvoir être prise en compte en application de l’arrêt ARS du Limousin. [C. comptes, 14 juin 2018, Centre hospitalier Yves Touraine à Pont-de-Beauvoisin (Isère), n° 2018-1634].

Service fait

59Le préjudice financier subi en l’espèce par la commune ne résulte pas de ce que les travaux n’auraient pas été réalisés mais uniquement de l’absence de délibération du conseil municipal autorisant le versement des subventions litigieuses et établissant la validité de la créance ; le contrat n’a été produit ni en première instance, ni dans le cadre du présent appel ; il n’est donc pas possible d’en apprécier la portée éventuelle [C. comptes, 14 juin 2018, Commune de Vireux-Wallerand, n° 2018-1600].

Subvention

60Le paiement d’une subvention en l’absence de la convention prévue par l’article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 n’a pas causé de préjudice financier, la volonté de l’établissement de verser une subvention étant attestée, quant à son principe, par une convention antérieure (ne mentionnant ni les conditions d’utilisation, ni le montant, ni les modalités de règlement de la subvention) reconduite tacitement et, quant à son montant, par la délibération du conseil d’administration à laquelle se réfère l’état liquidatif signé par l’ordonnateur. En revanche, la volonté de l’établissement de verser une autre subvention n’étant attestée ni par une convention, ni par une décision d’attribution, le versement de celle-ci a causé un préjudice financier à l’établissement. En effet, l’état liquidatif signé par l’ordonnateur ne peut valoir décision attributive de subvention, faute de préciser les textes de référence, l’objet, les conditions d’utilisation et les modalités de règlement de la subvention ; il en est de même des deux délibérations du conseil d’administration adoptant les orientations budgétaires auquel cet état se réfère, qui n’attestent que de la volonté de l’université de Bourgogne de prévoir des crédits disponibles pour le paiement éventuel de la subvention, pas de son attribution effective. [C. comptes, 17 mai 2018, Université de Bourgogne, n° 2018-1362].

Prescription

61En vertu de l’art. 2250 du code civil, seule une prescription acquise est susceptible de renonciation ; selon l’art. 2251 du même code, la renonciation tacite résulte de circonstances établissant sans équivoque la volonté de ne pas se prévaloir de la prescription. Faute d’établir sans équivoque la volonté de la société débitrice de ne pas se prévaloir de la prescription, la lettre de demande de délai qui accompagnait le règlement partiel ne peut être interprétée comme une renonciation à la prescription exprimée dans les conditions fixées par l’art. 2251 du code civil [C. comptes, 15 mai 2018, Régie des eaux de Grenoble, n° 2018-1289].

62En revanche, si la somme versée entre les mains de l’huissier n’a pas été créditée au compte de la régie des eaux, faute de provision suffisante, la signature d’un chèque par la débitrice vaut reconnaissance de dette ; ainsi, quand bien même cet acte n’a en aucune façon contribué à solder la dette de l’intéressée, il a tout du moins eu pour effet d’interrompre la prescription [C. comptes, 15 mai 2018, Régie des eaux de Grenoble, n° 2018-1289].

63Le juge des comptes estime que le délai de prescription d’une créance ne peut être regardé comme valablement interrompu lorsque le comptable n’apporte pas la preuve de la réception de l’acte interruptif ; la créance en cause pourrait ainsi être considérée comme prescrite. Toutefois, par la suite, le redevable n’a pas opposé la prescription au comptable et a, au contraire, sollicité et obtenu de ce dernier un échéancier de paiement qui a été suivi d’un certain nombre de versements qui manifestent la volonté du redevable d’honorer sa dette. Il y a donc lieu de considérer en l’espèce que la créance est suivie et que son recouvrement n’est pas gravement compromis [C. comptes, 19 juill. 2018, DDFIP de Meurthe-et-Moselle, n° 2018-2192].

64Nonobstant l’impéritie du centre régional des pensions et des comptables successifs, qui ont versé pendant plus de treize ans des pensions militaires à une personne décédée, il n’y a pas lieu à charge dès lors que l’un des deux titres est aujourd’hui soldé et que l’autre, qui a donné lieu à un certain nombre de paiements, n’est pas prescrit [C. comptes, 30 juill. 2018, DRFIP de La Réunion, n° 2018-2304].

Procédure

Appel

65Un moyen nouveau, non soulevé dans la requête en appel et présenté hors des délais de l’appel est irrecevable et ne saurait être discuté [C. comptes, 28 juin 2018, Commune de Gravelines, n° 2018-1840].

66Contrairement aux dispositions de l’alinéa 2 de l’art. R. 242-22 CJF, la requête ne contient ni l’exposé des faits et moyens, ni les conclusions du requérant ; en conséquence, il y a lieu de la déclarer irrecevable [C. comptes, 20 sept. 2018, Syndicat intercommunal de collecte et de traitement des eaux usées (Sicteu) de la vallée du Paillon, n° 2018-2204]. Comme le rappelle le Parquet, si, pour une requête dont les termes sont énoncés de façon imprécise, le juge peut dans une certaine mesure se substituer au requérant, notamment dans le cas où les moyens se déduisent aisément des termes de la requête (C. comptes, 10 juin 1999, Collège François Villon à Fauville-en-Caux, RDT 2000. 365), il n’en est pas de même lorsque l’objet même de la demande n’est pas précisé, ni aucun motif formulé (C. comptes, 5 nov. 1992, Commune d’Ecquivilly, Rec. C. comptes 116).

Contradictoire

67Pour les nostalgiques de la procédure antérieure à la loi du 28 oct. 2008, on ne peut s’empêcher de citer ici le vibrant plaidoyer de la Cour en faveur de la règle du double arrêt : « Attendu que la règle dite du « double arrêt » constitue précisément une modalité d’exercice de la contradiction, l’arrêt provisoire ayant pour objet d’ouvrir la procédure contradictoire ; que le prononcé de l’arrêt provisoire, loin d’entacher la procédure d’examen d’une gestion de fait d’une violation du principe d’impartialité, a, au contraire, pour objet d’assurer pleinement et par l’intervention d’une décision rendue par des juges le caractère contradictoire de la procédure ; que le respect du principe du caractère contradictoire de la procédure n’implique pas que soit communiqué aux parties, avant l’arrêt provisoire, le rapport établi par le rapporteur préalablement à cet arrêt, lequel, au vu de ce rapport mais sans en retenir nécessairement toutes les propositions, est le seul acte qui détermine les éléments à soumettre au débat contradictoire ; que la procédure du double arrêt permet, après l’arrêt provisoire qui établit les charges, à la défense d’accéder au dossier et de répondre à cet arrêt » [C. comptes, 14 juin 2018, Gestion de fait des deniers de la Collectivité de la Polynésie française, n° 2018-1610].

68Un comptable de fait avait cru pouvoir mettre en cause la régularité du jugement au regard de l’art. 6 Conv. EDH, en arguant de la difficulté d’accès à la jurisprudence des juridictions financières qui constituerait une atteinte à l’égalité des armes dans le débat contradictoire. Si le comptable reconnaissait que la chambre avait présenté des rapports documentés et précis, qu’il avait pu disposer d’une copie de toutes les décisions de jurisprudence auxquelles il souhaitait avoir accès, il demandait un accès à l’ensemble de la jurisprudence « par mots clés ». Le Conseil d’État, dans sa décision du 25 juin 2014 (GFP 2015-7 p. 159 ; M. Collet et G. Eckert, Chronique de droit public financier, RFDA 2014. 1015), avait déjà rejeté ce moyen en constatant la liberté totale d’accès à la jurisprudence et à la doctrine des juridictions financières ainsi que la faculté de demander tout éclairage nécessaire au cours de la procédure et pendant l’audience. On ne peut ainsi que conseiller aux comptables et à leurs conseils de consulter régulièrement la présente Revue [C. comptes, 12 juill., Gestion de fait de l’amicale du personnel communal de Saint-André (La Réunion), n° 2018-2072].

Débet

69S’agissant du versement de primes de fonction et de résultats fondées sur des arrêtés individuels ne précisant pas le coefficient applicable à chaque agent, la Cour fixe le débet à un montant égal aux sommes versées en sus du montant minimum de prime mensuelle fixé par l’organe délibérant [C. comptes, 15 mai 2018, École supérieure d’art et de design Le Havre-Rouen (ESADHaR), n° 2018-1260].

Force majeure

70La Cour estime que la force majeure doit être constatée par le juge à partir des éléments de fait portés à sa connaissance (C. comptes, 21 juill. 2016, Cne de Rauville-La-Bigot, GFP 2017, n° 2 p. 151). Il ressort des termes mêmes de cet arrêt que la Cour, pour écarter le moyen tiré de l’irrégularité du jugement de la chambre régionale des comptes au motif qu’elle aurait soulevé d’office l’existence de la force majeure, a jugé que, en application de ces dispositions, il appartient au juge de se prononcer sur l’existence de circonstances constitutives de la force majeure au regard de l’ensemble des éléments portés à sa connaissance ; en se prononçant ainsi, elle n’a pas jugé qu’il appartenait au juge des comptes de soulever d’office un moyen tiré de l’existence d’un cas de force majeure mais s’est bornée à définir, sans erreur de droit, l’office du juge des comptes en la matière (CE, 21 févr. 2018, Commune de Rauville-la-Bigot (Manche), n° 404892 ; GFP 2018 n° 4 p. 159). La Cour fait une nouvelle application de ces principes [C. comptes, 12 juill. 2018, Syndicat intercommunal d’assainissement de l’agglomération de la Châtre (SIAAC), n° 2018-2032].

Instruction du compte

71Le nombre des titres dont le défaut de recouvrement motivait le réquisitoire n’est pas au nombre des critères au vu desquels doivent être fixés les délais accordés aux comptables pour répondre aux questions posées au cours de l’instruction [C. comptes, 15 mai 2018, Régie des eaux de Grenoble, n° 2018-1339].

Motivation des jugements et arrêts

72Est entaché d’une contradiction de motifs le jugement qui met à la charge du comptable successeur l’intégralité du montant de quatre titres de recette alors que le tableau récapitulatif répartit le montant du débet entre les deux comptables [C. comptes, 15 mai 2018, Régie des eaux de Grenoble, n° 2018-1289].

Réquisitoire du ministère public

73Selon les conclusions du Procureur général, le comptable, sorti de fonctions peu de temps avant que la prescription n’intervienne, est le comptable dont la négligence a causé la perte de la recette ; le ministère public invite la Cour à le constituer débiteur. Toutefois, le principe du contradictoire s’oppose à ce que la Cour retienne à l’encontre de ce comptable, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel, un grief nouveau qui n’aurait pas été discuté préalablement [C. comptes, 15 mai 2018, Régie des eaux de Grenoble, n° 2018-1289].

74La Cour est fondée à statuer sur les opérations citées au réquisitoire, sans égard au fait qu’il s’agisse d’opérations du poste comptable principal ou d’opérations effectuées sous l’autorité ou le contrôle du comptable principal, pour peu que les comptables mis en cause, les exercices concernés et les manquements présumés du comptable assignataire à ses obligations soient les mêmes que ceux figurant au réquisitoire [C. comptes, 22 mai 2018, DDFIP du Haut-Rhin, n° 2018-1194].

75Le juge des comptes est tenu de répondre aux griefs figurant au réquisitoire introductif ; cette obligation s’impose au rapporteur mais également à la formation de jugement, sauf motif d’ordre public ; au cas d’espèce, la charge soulevée à l’encontre du comptable par le procureur financier portait sur l’absence de pièces justificatives suffisantes à l’appui de paiements, grief auquel le jugement ne répond pas ; en soulevant un moyen qui ne pouvait être soulevé d’office, le juge a commis une erreur de droit [C. comptes, 14 juin 2018, Centre hospitalier Yves Touraine à Pont-de-Beauvoisin (Isère), n° 2018-1634].

76Les premiers juges ont dénaturé l’argumentation du ministère public dès lors qu’ils ont attribué au ministère public la position défendue par le rapporteur [C. comptes, 12 juill. 2018, Commune d’Alaincourt, n° 2018-1992].

77La séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement est un principe fondamental de l’organisation des juridictions financières : le ministère public ayant le monopole des poursuites, la saisine de la juridiction est subordonnée à sa décision (CE, 5 avr. 2013, CH intercom. du bassin de Thau, Lebon T. 522; AJDA 2013. 713 ; JCP Adm. 2013. 346 ; Dr. adm. 2013. 52, note Hœpffner ; BJCL 2013. 289, note Girardi ; GFP 2014, no 1-2, p. 54 ; ibid. 2014, no 3-4, p. 103). Dès lors, comme l’indiquait le Parquet, « le périmètre de la saisine [de la Chambre régionale] est bien celui du réquisitoire initial et des éventuels réquisitoires supplétifs pris par le ministère public. Il ne peut être fait grief au jugement de ne pas se prononcer sur des faits aux motifs qu’ils auraient pu faire l’objet d’un réquisitoire supplétif, dès lors que celui-ci n’est pas intervenu ». Ainsi, en tant qu’elle conteste non pas le jugement entrepris qui ne pouvait statuer que dans les limites du réquisitoire du ministère public, mais l’étendue du contrôle juridictionnel réalisé au cours de la phase non contentieuse de la procédure qui a précédé ledit réquisitoire, la requête est irrecevable [C. comptes, 12 juill. 2018, Commune de Sainte-Rose, n° 2018-2044].

78Aux termes de l’art. R. 142-7 CJF, « Le rapporteur consigne son analyse des observations, explications et documents produits par les parties à l’instance et ses propositions de suites à donner dans un rapport à fin d’arrêt, qui est déposé au greffe et communiqué au ministère public dans les conditions prévues à l’article R. 112-10. Les parties à l’instance sont informées du dépôt du rapport qui clôt l’instruction, de celui des conclusions du ministère public ainsi que de la possibilité de consulter ces pièces ». En l’espèce, le rapporteur a proposé un seul débet incluant les deux charges formulées par le réquisitoire, sans présenter son analyse sur la seconde charge ; pour pouvoir se prononcer, la Cour doit disposer de cette analyse qui doit également pouvoir être portée à la connaissance des parties ; il y a donc lieu, avant dire droit, de surseoir à statuer sur l’arrêté conservatoire de débet dans l’attente d’un complément d’instruction [C. comptes, 20 sept. 2018, Institut français de Tanger (Maroc), n° 2018-2196].

Gestion de fait

Amende pour gestion de fait

79La bonne foi supposée des comptables de fait ne figure pas au nombre des critères en fonction desquels le juge des comptes fixe le montant de l’amende pour gestion de fait, laquelle n’ayant ni le même fondement ni la même finalité que les sanctions prévues par le code pénal, n’est pas incompatible avec des poursuites pénales pour d’autres chefs [C. comptes, 14 juin 2018, Gestion de fait des deniers de la Collectivité de la Polynésie française, n° 2018-1610]. La Cour avait ainsi déjà jugé que les appelants ne pouvaient invoquer leur bonne foi et leur ignorance dès lors que leur implication personnelle dans les irrégularités avait été constatée par le juge des comptes, confirmée par la juridiction pénale (C. comptes, 23 sept. 1999, Office régional de la culture et de l’éducation permanente du Nord-Pas-de-Calais (ORCEP), Rev. Trésor 2000. 398). Pourtant, dans d’autres arrêts, la Cour avait jugé que le montant de l’amende tient notamment compte du comportement du comptable de fait durant la procédure et en particulier du fait que le juge des comptes a pu appréhender dans le détail et grâce à un souci de transparence complet de la part des gestionnaires de fait, la totalité des pièces comptables de la gestion de fait ; le montant de l’amende sera également réduit en raison de la bonne foi des comptables de fait (C. comptes 7 avril 1999, SOFREMER, Rev. Trésor 2000. 218. C. comptes, 10 déc. 2001, Association française d’études en population (AFEP) – ORSTOM, Rev. Trésor 2002. 716. C. comptes, 8 juin 2006, Assoc. pour le développement de la rocher génétique moléculaire, Rev. Trésor 2007, p. 167. C. comptes, 25 avril 2013, Commune d’Hénin-Beaumont, GFP 2014-7 p. 168).

80L’art. 60-XI (4ème alinéa) de la loi de finances du 23 février 1963 prévoit que « les comptables de fait pourront, dans le cas où ils n’ont pas fait l’objet de poursuites au titre du délit prévu et réprimé par l’article 433-12 du code pénal, être condamnés aux amendes prévues par la loi ». En l’espèce, le comptable de fait avait fait l’objet d’un réquisitoire le visant nommément au titre du délit prévu et réprimé par l’art. 433-12 du code pénal ; l’ordonnance de renvoi avait toutefois explicitement écarté de l’objet du renvoi du comptable devant le tribunal correctionnel le délit d’immixtion dans l’exercice d’une fonction publique, l’ordonnance mentionnant la « violation de l’obligation de surveillance qui pèse sur la personne dépositaire de l’autorité publique, laquelle violation a indirectement facilité le ou les détournements par des tiers de fonds qui lui avaient été remis en raison de ses fonctions (article 432-16 du code pénal) ». Le Parquet en déduisait fort logiquement que l’exception tirée du 4ème alinéa précité de la loi de 1963 ne pouvait trouver à s’appliquer. La Cour considère en revanche de façon étonnante qu’il y a ainsi lieu de considérer que le comptable de fait a été poursuivi du chef de l’art. 433-12 du code pénal, au sens de l’article 60-XI précité de la loi du 23 février 1963 ; il y a donc lieu d’admettre le moyen et en conséquence d’infirmer l’art. 6 du jugement attaqué [C. comptes, 12 juill., Gestion de fait de l’amicale du personnel communal de Saint-André (La Réunion), n° 2018-2072]. Certes, la Cour avait déjà considéré que le juge des comptes n’a pas la possibilité de prononcer d’amende si le comptable de fait a déjà été poursuivi en vertu de l’art. 433-12 c. pén., que les poursuites aient ou non débouché sur une condamnation (C. comptes, 24 oct. 1952, M. Bazin, ex-maire, M. Colmont, trésorier Comité des fêtes du Pin, Rec. C. comptes 4). Il paraissait toutefois difficile en l’espèce de considérer que le comptable avait fait l’objet de « poursuites ».

Éléments constitutifs de la gestion de fait

81Le Conseil d’État a cassé, l’arrêt de la Cour des comptes du 23 mars 2017 (n°2017-0389, GFP 2017-6 p. 158) qui avait déclaré comptables de fait des deniers de la commune d’Epinal le maire de celle-ci, l’ancien directeur général des services, l’épouse de ce dernier et une société civile immobilière (SCI) appartenant aux deux époux. Cette SCI avait acquis une maison qu’elle louait à la commune, laquelle l’avait attribuée comme logement de fonction par nécessité absolue de service à son directeur général. La Cour des comptes avait confirmé la déclaration de gestion de fait (laquelle, pourtant, avait, il y a quelques années, estimé régulier un mécanisme similaire : C. comptes 19 oct. 2006, n° 46493, AJDA 2007. 1349, chron. N. Groper et C. Michaut). Le Conseil d’État rappelle que l’art. 21 de la loi du 28 nov. 1990 permet aux collectivités territoriales d’attribuer un logement de fonction à l’agent occupant un emploi figurant sur une liste arrêtée par l’organe délibérant. « La circonstance que l’agent serait en mesure de se loger par ses propres moyens ne fait, dès lors, pas obstacle à la concession d’un tel logement. » La Cour avait jugé que l’attribution du logement ne présentait pas un caractère précaire. Mais le seul fait que l’intéressé pourrait se maintenir dans les lieux en qualité de propriétaire n’est pas, pour le Conseil d’État, « de nature à rendre fictive la décision d’attribution d’un logement de fonction ». La haute juridiction estime, enfin, que « les seules circonstances que la SCI bénéficiaire des loyers était transparente, en ce que M. B. en était le gérant et un des associés, et qu’ainsi les sommes en cause devaient être regardées comme lui étant directement versées, ne pouvaient rendre fictifs les mandats adressés au comptable, dès lors qu’il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que la commune louait effectivement le logement à la SCI, que l’avantage consistant en l’attribution d’un logement de fonctions était subordonné à l’exercice des fonctions par l’intéressé et que la cour n’a pas caractérisé un complément de rémunération irrégulier s’ajoutant à cet avantage ». La concession d’un logement de fonction à un agent public qui en est propriétaire n’est pas constitutive d’une gestion de fait [CE, 9 juill. 2018, Gestion de fait des deniers de la commune d’Epinal, n° 410817 ; AJDA 2018. 1856, concl. L. Dutheillet de Lamothe ; JCP A 2018. 644].

Reconnaissance d’utilité publique

82Le juge des comptes peut, par exception, rejeter des dépenses qui ont été reconnues d’utilité publique mais qui, présentant un caractère personnel ou n’étant pas appuyées de justifications, auraient été jugées irrégulières en l’absence de gestion de fait. En l’espèce, des prêts, primes de naissances, primes décès et aides, bien que reconnus d’utilité publique par la commune, ont été exclus de la ligne de compte par le jugement, la chambre régionale des comptes ayant considéré qu’elles n’entraient pas dans l’objet de l’association ; mais, par le jugement, devenu définitif, déclarant la gestion de fait, l’association a été déclarée transparente par rapport à la commune. Les dépenses litigieuses relèvent de prestations d’action sociale au bénéfice des agents publics prévues par l’art. 9 de la loi du 13 juill. 1983 et entrent donc dans les compétences de la commune qui les a déclarées d’utilité publique. Il y a donc lieu de considérer que ces dépenses auraient été régulières si elles avaient été prises en charge directement par la commune ; dès lors la chambre a commis une erreur de droit en excluant, comme n’entrant pas dans l’objet social de l’Amicale, certaines catégories de dépenses, pour fixer la ligne de compte et le manquant [C. comptes, 12 juill. 2018, Gestion de fait de l’amicale du personnel communal de Saint-André (La Réunion), n° 2018-2072].

83La jurisprudence de la Cour est claire et constante s’agissant de l’allocation des dépenses d’une gestion de fait : dès lors que les dépenses n’ont pas été reconnues d’utilité publique par l’instance compétente, il n’est pas possible au juge des comptes de les allouer au compte de la gestion de fait. Les seules exceptions reconnues par la Cour concernent les dépenses qui ont un caractère obligatoire, en vertu par exemple d’une décision de justice, et les dépenses qui ont été la condition même des recettes et ne peuvent en être séparées (C. comptes, 27 nov. 2000, Centre départemental de documentation pédagogique du Tarn à Albi, RDT 2001. 711). Le juge des comptes peut rejeter des dépenses ayant été reconnues d’utilité publique dès lors que ces dépenses sont manifestement étrangères à la gestion de fait (notamment des dépenses personnelles, C. comptes, 17 janv. 1985), non appuyées de pièces justificatives ou intrinsèquement irrégulières (C. comptes, 24 févr. 2000, Association Istres-Promo, RDT 2001. 368) [Concl. Parquet sur C. comptes, 12 juill., Gestion de fait de l’amicale du personnel communal de Saint-André (La Réunion), n° 2018-2072].

Unicité de la procédure

84La procédure à l’issue de laquelle le juge des comptes se prononce sur les comptes des comptables constitue, alors même qu’elle implique nécessairement l’intervention de plusieurs arrêts (déclaration de gestion de fait ; jugement du compte) une procédure unique (CE, 27 juill. 2005, Balkany, req. n° 261819 et 287942 : AJDA 2005. 2016, Concl. Guyomar ; RDT 2006. 38, obs. Lascombe et Vandendriessche). Nonobstant ce principe, les différents éléments qui constituent la procédure de gestion de fait sont indépendants les uns des autres. Dès lors, un comptable de fait n’est pas recevable à contester sa qualité de gestionnaire de fait en appel d’un jugement étant venu le constituer débiteur (CE, sect., 21 mars 2011, Richard-Dubarry et Beausoleil, req. n° 318825 : AJDA 2011. 1037, note Lascombe et Vandendriessche ; RFDA 2011. 1037 ; JCP A 2011. 248. C. comptes, 24 mai 2012, Office de communication et d’information (OCID), GFP 2014, n° 11/12 p. 164. C. comptes, 13 avr. 2017, Gestion de fait de la Cne du Lamentin, GFP 2017 n° 6 p. 158). Ce sont ces principes que la Cour confirme en l’espèce en considérant que les moyens soulevés par un comptable de fait, visant à démontrer la réalité du travail accompli au service de la commune et le fait qu’il n’y ait pas eu de sa part d’enrichissement sans cause, comme ceux soulevés par les autres comptables de fait, tendant à établir leur bonne foi, ne peuvent être accueillis à l’appui d’une contestation du montant du débet mis à leur charge [C. comptes, 14 juin 2018, Gestion de fait des deniers de la Collectivité de la Polynésie française, n° 2018-1610].

CDBF

Amende

85La Cour a renoncé à prononcer une amende en considérant que le projet porté par l’association MP2013 à la suite de la désignation de la ville de Marseille comme capitale européenne de la culture était caractérisé par son ampleur, sa complexité et ses difficultés de réalisation opérationnelle ; ce projet a pu aboutir dans des conditions satisfaisantes et sans aucun débordement budgétaire ; ces faits sont de nature à constituer des circonstances atténuantes de responsabilité [CDBF, 26 juill. 2018, Association Marseille Provence 2013-Capitale européenne de la culture (MP2013), n° 221-776].

86Constituent des circonstances atténuantes de responsabilité la validation par le conseil d’administration de l’AESN de la conversion de l’avance au bénéfice de la société en cause et son approbation implicite par les autorités de tutelle qui n’ont pas fait opposition à la délibération. De même, en accordant de nouvelles aides pour pallier le défaut du débiteur, l’agence a entendu éviter une augmentation du coût de l’eau pour les usagers [CDBF, 4 sept. 2018, Agence de l’eau Seine-Normandie (AESN), n° 222-771].

Fondement de la responsabilité

87L’infraction aux règles d’exécution des recettes et des dépenses (art. L. 313-4) comprend la violation des règles applicables en matière de marchés publics par les ordonnateurs et leurs délégués (CDBF, 22 janv. 2015, EP Campus de Jussieu, n° 197 : AJDA 2016. 2481, chron. Péhau et Hauptmann. CDBF 14 juin 2016, EHPAD de Durtal, n° 208 : AJDA 2016. 2481, chron. Péhau et Hauptmann). La CDBF a eu ainsi déjà fréquemment l’occasion de sanctionner la violation des règles de publicité et de mise en concurrence prévues par le C. marchés (CDBF, 25 nov. 2010, Sté immobilière d’économie mixte de la ville de Paris-SIEMP, no 171: AJDA 2011. 489, chron. Michaut et Groper ; RFDA 2011. 1037. CDBF, 30 déc. 2016, CIPAV, n° 212 : AJDA 2017, chron. Péhau et Hauptmann ; GFP 2017 n° 4 p. 151). Ce sont les mêmes principes que la CDBF applique en l’espèce au sujet du renouvellement, sans formalité préalable, du marché du mandat du commissaire aux comptes conclu par l’association MP2013.

88Aucun doute n’est permis s’agissant de la justiciabilité de l’association en cause et de sa soumission au droit des marchés publics. En effet, l’association MP2013 est un organisme soumis au contrôle de la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur sur le fondement de l’art. L. 211-8 CJF ; à ce titre, le président et le directeur général de l’association sont justiciables de la Cour. Les marchés conclus par l’association MP2013 sont soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, alors applicable, et au décret du 30 déc. 2005 pris pour son application.

89En revanche, le fondement de la mise en jeu de la responsabilité des intimés est ici plus discutable. En effet, la CDBF relève que l’association MP2013 s’est dotée d’un”vade-mecum” « Achat » qui rappelle les obligations issues de l’ordonnance du 6 juin 2005 et de son décret d’application, et institue, en dessous des seuils de procédure formalisée, des procédures adaptées aux spécificités et objectifs de l’association. C’est bien le non-respect de ce vade-mecum qui a entraîné le constat de violation de l’art. L. 313-4 alors même, comme le relève la Cour, que le vade-mecum n’a pas été formellement adopté par les instances de l’association. Dès lors qu’il a été soumis à son comité d’audit, la Cour considère qu’il doit être regardé comme comportant des règles internes s’imposant aux dirigeants et aux agents de l’association.

90Certes, les infractions aux règles d’exécution des dépenses ne se limitent pas à sanctionner le non-respect de règles d’exécution des dépenses et recettes publiques ou de gestion des biens de collectivités publiques ou encore des règles de la comptabilité publique ; elles peuvent également sanctionner les faits soumis à la Cour, qui concernent des agissements commis par des personnes justiciables de la Cour dans le cadre de leurs fonctions au sein de personnes morales soumises au contrôle de la Cour des comptes, quel que soit le statut, public ou privé, des organismes en cause, et indépendamment de la finalité commerciale ou concurrentielle de l’activité desdits organismes, dès lors que ces agissements ont méconnu les règles applicables à la gestion financière de ces organismes ou ont procuré à autrui un avantage injustifié au préjudice de l’organisme (CDBF, 24 févr. 2006, Altus Finance (2e arrêt), no 152: RFDA 2006. 624; AJDA 2006. 1249, chron. Groper et Michaut). La CDBF n’hésite pas ainsi à sanctionner la décision prise par un organe de la personne privée alors que ses statuts fixaient la compétence d’un autre organe (CDBF, 6 mai 2009, Assoc. union interprofession enseignement (UNIPE-PE) et union interprofession insertion professionnelle (UNIPE-IP): no 166: AJDA 2009. 2456, chron. Groper et Michaut ; RFDA 2009. 848). Autrement dit, et par analogie avec les règles applicables aux organismes publics, la Cour s’assure du caractère “exécutoire” de l’acte en cause pour envisager une violation de l’art. L. 313-4. C’est cette vérification qui nous semble faire défaut en l’espèce dès lors que le “vade-mecum” n’avait pas été formellement adopté par les instances de l’association. Il ne pouvait dès lors servir de fondement au constat d’une violation des règles d’exécution des dépenses de l’association MP2013 [CDBF, 26 juill. 2018, Association Marseille Provence 2013-Capitale européenne de la culture (MP2013), n° 221-776].

91Cet arrêt MP2013 laisse d’autant plus songeur après la lecture de l’arrêt Agence de l’eau Seine-Normandie (AESN) rendu quelques jours plus tard ; la CDBF se livre ici à une analyse particulièrement fouillée de la répartition des compétences entre les différents organes de l’Agence, relevant notamment que si la commission permanente des programmes et de la prospective a débattu des cas dans lesquels ces prêts pouvaient être attribués, les orientations retenues n’ont pas le caractère de règles de nature à encadrer le pouvoir de décision du conseil d’administration sur avis conforme de la commission des aides : aucune responsabilité ne pouvait ici être engagée. À l’inverse, la CDBF considère que le conseil d’administration de l’Agence ne pouvait déroger, comme il avait cru pouvoir le faire, à une précédente délibération prise sur avis conforme du comité de bassin. Elle en déduit que la conversion d’aides financières en subventions au-delà des seuils prévus par le programme susvisé constitue une infraction aux règles relatives à l’exécution des dépenses au sens de l’art. L. 313-4 CJF ; ces faits sont également constitutifs d’un avantage injustifié, au sens de l’art. L. 313-6. La Cour s’est ainsi ici montrée particulièrement sourcilleuse pour s’assurer que chaque organe de l’Agence avait correctement exercé ses compétences [CDBF, 4 sept. 2018, Agence de l’eau Seine-Normandie (AESN), n° 222-771].


Date de mise en ligne : 14/04/2019.

https://doi.org/10.3166/gfp.2018.00108

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