« Dans ce clair-obscur surgissent les monstres », Choses vues au cœur du pouvoir, Pierre Moscovici, 255p., Editions Plon, 2018
1Le livre de Pierre Moscovici est principalement consacré à de grandes questions d’actualité politique : bilan du quinquennat de François Hollande, ascension d’Emmanuel Macron, avenir de la gauche et de la social-démocratie. Il intéressera cependant les professionnels des finances publiques sous deux aspects : Bercy, le Berlaymont. Sur le ministère des Finances, l’ancien ministre ne tarit pas d’éloges : « ministère au cœur de l’action publique, administration d’excellence caractérisée par sa loyauté »… sous les seules réserves que « son inclination spontanée la pousse au conservatisme » et que « le ministre ne doit pas se laisser entortiller par les hauts fonctionnaires ». Sur l’organisation du ministère, l’auteur avoue sa préférence pour un ministre de l’économie et des finances qui dirige et supervise l’ensemble de Bercy : un patron unique assisté d’un ministre délégué au budget et de membres du gouvernement chargés de l’industrie et du commerce extérieur. Sur les missions, il met l’accent sur les fonctions internationales du ministère : participation au G7 finances, au G20, aux programmes de l’OCDE, à la coordination budgétaire européenne. L’administration des finances est « la plus européenne des administrations françaises ». Sur l’Europe, le Commissaire aux affaires économiques et financières et, rattachement nouveau, à la fiscalité, développe trois chantiers qui portent sa marque personnelle : le sauvetage de la Grèce et son maintien dans l’Union ; la fin de l’austérité avec une défense de la politique d’interprétation flexible de l’encadrement budgétaire et une réfutation de la thèse allemande du transfert de la fonction de surveillance à un Fonds monétaire européen à la place de la Commission, « instance politique mais non politisée » et responsable devant le Parlement ; et, enfin, la « révolution de la transparence » avec la généralisation des accords d’échanges automatiques d’informations sur les comptes bancaires et sur les rescrits fiscaux, deux directives de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, la proposition d’assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés, une proposition du lutte contre la fraude à la TVA, les comptes rendus pays par pays imposés aux multinationales, la liste noire des paradis fiscaux, la proposition de directive sur les intermédiaires, sans oublier l’action de Mme Vestager qui requalifie en aides d’État illicite des dispositifs fiscaux trop avantageux. Pour aller plus loin, le Commissaire émet le souhait que les questions fiscales et sociales puissent être tranchées à la majorité qualifiée, ce qui ne nécessite nullement une révision des traités mais un simple vote du Conseil… à l’unanimité.
Philosophie de l’impôt, Philippe Nemo, Presses universitaires de France, 2017
2Malgré son titre, cet ouvrage tient plus du pamphlet que de l’essai philosophique. Il est sans aucun doute salutaire de combattre « l’irréflexion fiscale » ambiante qui pousse à disserter sur les modalités du prélèvement sans réinterroger ses principes de base qui sont en relation avec les conceptions de l’État, de la justice sociale et de la liberté. Selon l’auteur, « il faut remettre entièrement à plat les principes de la fiscalité, il faut s’interroger sur le rôle social réel des impôts et des autres prélèvements, leurs fonctions légitimes, leur volume souhaitable, leur juste répartition, leurs modalités de recouvrement ». Vaste programme !… auquel ne se tient pas l’ouvrage qui se borne à décrypter le système fiscal contemporain à la lumière de l’opposition entre les théories de l’impôt-échange et de l’impôt-solidarité cristallisée à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Il décrit la spoliation des classes moyennes, en s’appuyant sur l’analyse du philosophe allemand Peter Sloderdijk selon lequel : « l’exploitation de l’homme par l’homme d’aujourd’hui est celle… des bourgeois par le fisc et les catégories sociales qui bénéficient d’argent public ». Dès lors que le niveau de l’impôt dépasse celui qui est indispensable pour assurer l’ordre public et pour financer les services collectifs que le marché n’offre pas spontanément, c’est un « tribut unilatéralement imposé à des populations jalousées, minoritaires et politiquement faibles ». Quant à la conception selon laquelle l’impôt pourrait avoir pour objet de réduire les inégalités sociales et pourrait donc toucher les riches sans contreparties, elle a pour corollaire l’absence de limites quantitatives au prélèvement, un système inquisitorial de connaissance des revenus et des patrimoines au profit de l’État, une volonté de changer la société. L’auteur expose puis répond aux « doctrines de l’impôt confiscatoire » ainsi fustigées : le marxisme, la théorie de l’égalité des sacrifices, le solidarisme, le keynésianisme et la « passion d’envie ». Il analyse enfin les conséquences du « socialisme fiscal » sur la rupture du lien social et la déshumanisation de la société. Enfin, s’inspirant de Hayek, il donne quelques éléments d’une fiscalité juste et efficiente dont l’élément principal est le plafonnement des prélèvements obligatoires car « personne ne doit payer plus en impôt que ce qu’il reçoit en prestations ». Au moment où le poids des prélèvements obligatoires est devenu effectivement inquiétant et où le consentement à l’impôt pourrait être menacé (mais il l’est tout autant par la fraude), cette reprise des théories néo-libérales les plus traditionnelles invite sans aucun doute à la réflexion mais ne fournit pas la moindre indication utile pour progresser vers plus de justice fiscale.
Fonction(s) publique(s) : le défi du changement, Coord. par Delphine Espagno-Abadie et Adrien Penerenda, préface d’Olivier Schrameck, 190 p., Presses de l’École des Hautes Études en Santé Publique, 2018
3Ce nouvel ouvrage de l’excellente collection « cadre service public » mêle les regards de praticiens et d’universitaires sur un phénomène devenu indiscutable : le changement dans les administrations publiques. Il est observé à partir de nombreuses études de cas (services déconcentrés de l’État, fonction publique territoriale, hôpital public, sécurité sociale, gendarmerie etc.) et d’éclairages plus transversaux relatifs aux comportements des fonctionnaire face au changement, au rôle des corps d’audit et de contrôle, à la conception européenne des services d’intérêt général, à l’évolution du droit de la fonction publique, à l’appropriation de la révolution numérique… Les contributeurs ne s’attardent guère sur les causes de ces changements devenus permanents : politiques publiques de réforme de l’administration, nouvelles technologies, poids des contraintes budgétaires, nouvelles conceptions de la déconcentration et de la décentralisation, évolution des méthodes managériales… Ils sont assez critiques sur celles-ci : changements imposés par le haut, effets de mode, pertes de repères, soumission aux outils de gestion… Le propos des auteurs est de susciter de la part des cadres une envie de piloter positivement les changements et de réussir les transformations trop souvent subies par les fonctionnaires, autrement dit répondre aux changements du management imposés d’en haut par un management du changement adapté aux contextes. Les réponses sont connues mais bien illustrées : donner du sens, partir de diagnostics justes et partagés, ne pas attendre exclusivement un changement de l’extérieur, faire confiance aux initiatives de la base… Le changement en question concerne l’ensemble « des » fonctions publiques en grande mutation : contractualisation croissante, « travaillisation », c’est-à-dire la constitution progressive d’un droit du travail public qui converge avec le droit privé du travail, formation continue et nouveaux modes de gestion des ressources humaines transforment réellement les carrières et les conditions de travail. C’est aussi la conception même des services publics qui est en cause. Si leurs missions spécifiques et leurs objectifs propres sont opportunément rappelés, la question essentielle du juste équilibre entre ces finalités et les méthodes managériales reste entière. On regrettera à cet égard qu’un des points d’ancrage de cette spécificité du service public, la préoccupation de la qualité du service aux usagers et la participation de ceux-ci, n’ait pas une place encore plus importante dans cet essai instructif et stimulant.