Couverture de GFP_1702

Article de revue

Chronique de jurisprudence financière

Pages 141 à 159

Notes

  • [1]
    C.C. 2 mai 1996, Commune de Royal, Rec. p. 55.
  • [2]
    Voir également Damarey S., obs. publiées à l’AJDA 2016. 2336.

Sont à l’étude, dans le cadre de cette chronique, les décisions de juillet à octobre 2016 rendues par la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil d’État, la Cour des comptes et la Cour de discipline budgétaire et financière. Pour des raisons de logique intellectuelle, nous y ajouterons la décision QPC rendue par le Conseil constitutionnel le 2 décembre 2016 sur un renvoi opéré pendant la période sous revue.
Rare décision de la Cour EDH qui, en l’occurrence, porte sur une affaire dont elle avait déjà eu à connaître concernant l’association communale du personnel de Noisy-le-Grand. Un véritable feuilleton entamé en 1995 qui trouve un point de ponctuation supplémentaire avec cette décision par laquelle la Cour EDH remet de nouveau en cause l’impartialité de la Cour des comptes.
Sur cette période, le Conseil d’État a également rendu cinq arrêts. Trois concernent la Cour des comptes, avec deux cassations prononcées et une décision « sauvée » au moyen d’une substitution de motif. Deux concernent la CDBF dont une question prioritaire de constitutionnalité portant sur des dispositions du titre III du Code des juridictions financières (CDBF).
C’est ensuite la Cour des comptes qui a, sur la période sous revue, précisé encore la notion de préjudice financier, identifié les manquements imputables à l’agent comptable et rappelé certains éléments de procédure.
Dans le même temps, la CDBF n’a rendu qu’un arrêt concernant le dispositif d’agrément dérogatoire donné à une opération de défiscalisation relevant de la loi Girardin.

Cour européenne des droits de l’homme

CEDH, 5e section, 6 octobre 2016, Christian Beausoleil c./ France, req. n° 63979/11

1Beausoleil, ce nom est familier aux lecteurs des arrêts de la Cour des comptes – s’agissant d’une affaire qui a, pendant plusieurs années, monopolisé le prétoire de cette juridiction ainsi que celui du Conseil d’État. Il est question de comptabilité de fait et de préjugement : ces mots ainsi associés évoquent, immédiatement, la décision Labor-Metal.

2La décision de la CEDH constitue ainsi l’épilogue d’une époque au cours de laquelle la Cour des comptes s’est trouvée contrainte de gérer le déroulement de ses procédures juridictionnelles et non juridictionnelles en ce que ces dernières pouvaient avoir une influence sur la procédure pour gestion de fait engagée devant le juge des comptes.

3Brièvement rappelés, les faits de l’espèce nous ramènent en 1995 lorsque dans son rapport public annuel, la Cour des comptes a mis en évidence un dispositif associatif ayant permis d’extraire de la caisse de la commune de Noisy-le-Grand, plusieurs millions d’euros permettant de verser à des agents communaux, une prime dite de treizième mois. Dans son rapport, la Cour des comptes avait dénoncé ces opérations comme irrégulières et désordonnées. Une association présidée par le maire de la commune (Mme Richard) et dont M. Beausoleil était le trésorier.

4C’est au terme de l’examen des comptes de la commune, que la chambre régionale des comptes d’Île-de-France décida d’étendre son contrôle aux comptes de l’association et d’ouvrir une procédure pour gestion de fait.

5La déclaration définitive de gestion de fait fut confirmée par la Cour des comptes par un arrêt du 16 janvier 1997 (conjointement avec le maire et l’association), de même que la fixation de la ligne de compte et la mise en débet de M. Beausoleil et de Mme Richard (C. comptes, 30 mai 2002, Commune de Noisy-le-Grand – association du personnel de la commune, Rev. Trésor 2003. 387).

6En parallèle, il faut rappeler que la Cour EDH était alors intervenue à la demande de Mme Richard qui contestait, notamment, la durée de la procédure (en l’occurrence, du jugement déclarant provisoirement le maire comptable de fait en décembre 1994 à la cassation de l’arrêt d’appel rejetant la demande d’annulation du jugement fixant la ligne de compte provisoire en décembre 2003, s’étaient écoulées 9 années… et comme on le comprend, la procédure n’était pas encore terminée). Par une décision du 1er juin 2004, la Cour EDH avait alors déjà jugé que la France que la durée de la procédure avait excédé le délai raisonnable et accordé 12 000 € de dédommagement pour réparation du préjudice moral subi par la requérante (CEDH 1er juin 2004, Richard-Dubarry c./ France, req. 53929/00, Rev. Trésor 2004. 530).

7Si la fixation de la ligne de compte et la mise en débet de M. Beausoleil ont été confirmées par la Cour des comptes (arrêt du 30 mai 2002), elles furent annulées par le Conseil d’État au motif de la composition irrégulière de la chambre régionale des comptes (CE 30 décembre 2003, Beausoleil et Richard, n° 251120 et 251233, Rev. Trésor 2004. 312, RFDA 2004. 365, concl. Guyomar et note Couttant ; AJDA 2004. 13302, note Rollin). En revanche, le Conseil d’État rejeta le moyen tiré du défaut d’impartialité de la Cour des comptes :

8« Considérant en l’espèce, que si la Cour des comptes a dans le chapitre 14 de son rapport public pour 1995 consacré à la commune de Noisy-le-Grand, mentionné et qualifié certaines dépenses de l’association du personnel (…), préjugeant en cela l’existence d’opérations de gestions de fait, ces mentions ne révèlent aucun préjugement de l’appréciation qu’il incombe à la cour de porter, une fois le périmètre de la gestion de fait définitivement fixé, au stade de la fixation de la ligne de compte de cette gestion de fait ; (…) ».

9L’affaire fut renvoyée devant la Cour des comptes. Statuant définitivement, cette dernière annula les jugements provisoires (des 7 avril 1998 et 25 mai 1999) ainsi que le jugement définitif (du 16 décembre 1999) de la chambre régionale des comptes en raison de l’irrégularité de la composition de sa formation de jugement (C. comptes, 12 juillet 2006, n° 47079). Statuant provisoirement, la Cour des comptes fixa la ligne de compte et demanda au président de l’association et au trésorier de justifier du reversement dans la caisse de la commune, des sommes irrégulièrement extraites ou de produire toutes autres justifications à décharge (C. comptes, 12 juillet 2006, n° 47083).

10C’est ensuite par un arrêt du 28 mai 2008 que la Cour des comptes fixa définitivement la ligne de compte et prononça une mise en débet solidaire à l’encontre de l’association, du président et du trésorier de l’association (C. comptes, ch. Réunies, 28 mai 2008, Association du personnel de la commune de Noisy-le-Grand, n° 51919, Rev. Trésor 2009. 600).

11De nouveau saisi, le Conseil d’État rejeta le moyen tiré de l’impartialité de la Cour des comptes (CE Sect. 21 mars 2011, n° 318825 et 318951) :

12« (…) Considérant que, comme il a d’ailleurs déjà été indiqué par la décision du 30 décembre 2003 du Conseil d’État statuant sur les pourvois des mêmes requérants contre le premier arrêt de la Cour des comptes fixant la ligne de compte de la gestion de fait, la mention dans le rapport public de la Cour des comptes pour 1995 de ce que certaines dépenses engagées par l’association du personnel de Noisy-le-Grand étaient susceptibles de caractériser des gestions de fait n’a pas constitué un préjugement de l’appréciation qu’il incombe à la Cour de porter, une fois le périmètre de la gestion de fait définitivement fixé, au stade de la fixation de la ligne de compte de cette gestion de fait ; qu’ainsi, M. C. n’est pas fondé à soutenir que la Cour des comptes était structurellement disqualifiée pour statuer, après renvoi du Conseil d’État, sur la fixation de la ligne de compte ; (…) ».

13Le débet ainsi confirmé, M. Beausoleil sollicita le ministre du budget aux fins d’obtenir remise gracieuse des sommes laissées à sa charge. Une demande rejetée par le ministre – avec un contentieux pendant devant le Conseil d’État… M. Beausoleil a, en effet, contesté ce refus devant le juge administratif – une requêté successivement rejetée par le tribunal administratif puis par la cour administrative d’appel. Le requérant entendait obtenir gain de cause en se prévalant de l’illégalité de l’avis du conseil municipal – alors que le décret n° 2008-228 du 5 mars 2008 relatif à la constatation et à l’apurement des débets des comptables publics et assimilés, subordonne à l’avis favorable du conseil municipal toute remise gracieuse au profit du comptable de fait.

14En parallèle, la Cour. EDH a été saisie de la question de l’impartialité de la Cour des comptes. Par un arrêt du 6 octobre 2016, la CEDH a considéré qu’il existait une différence d’objet entre la phase de détermination de l’existence d’une gestion de fait et la phase de fixation de la ligne de compte – alors que ce dernier dispose, lors de cette deuxième phase, d’éléments dont il n’avait pas connaissance au moment de la publication du rapport public. Cette différence ne s’oppose pas à ce que, dans les circonstances particulières d’une espèce, les mentions figurant dans le rapport public puissent être d’une nature telle qu’elles constituent un préjugement de la fixation de la ligne de compte. Or, en l’espèce, la Cour des comptes avait précédemment fait état, en des termes explicites et détaillés, des opérations irrégulières de l’association dont le requérant était le trésorier.

15Selon la CEDH, l’ensemble de ces éléments suffit pour considérer que les mentions faites au rapport ont pu faire naître auprès du requérant des craintes objectivement justifiées d’un défaut d’impartialité de la Cour des comptes lors de la fixation de la ligne de compte.

16Dès lors, la Cour des comptes ne présentait pas, au stade de la détermination de la ligne de compte, les garanties d’impartialité exigées par l’article 6 § 1 de la Convention EDH.

17Comme il a été rappelé en introduisant ce commentaire, l’affaire rappelle la décision Labor-Metal par laquelle le Conseil d’État avait estimé « qu’eu égard à la nature des pouvoirs du juge des comptes et aux conséquences de ses décisions pour les intéressés, tant le principe d’impartialité que celui des droits de la défense font obstacle à ce qu’une décision juridictionnelle prononçant la gestion de fait soit régulièrement rendue par la Cour des comptes alors que celle-ci a précédemment évoqué cette affaire dans un rapport public en relevant l’irrégularité des faits » (CE 23 février 2000, Labor Métal, Lebon 83 ; RFD adm. 2000. 435, concl. Seban ; AJDA 2000. 404, chron. M. Guyomar et P. Colin ; DA 2000 n° 61, obs. H.M. Crucis ; LPA 22 juin 2000, n° 124, p. 12 ; RA 2001, p. 30, note A. Haudry ; RD publ. 2000. 323, note X. Prétot ; Rec. C. comptes 119 ; Revue du Trésor 2000. 682, note M. Lascombe et X. Vandendriessche).

18Ouvrant ainsi une brèche dans laquelle de nombreux requérants – et leurs conseils – se sont engouffrés. En l’espèce, le Conseil d’État avait alors retenu que la Cour des comptes, qui avait fait état dans son rapport 1996, « dans des termes suffisamment précis pour permettre le rapprochement avec l’affaire en cours » de « détournement des procédures d’achat au sein du commissariat de l’armée de terre ».

19C’est également la procédure même de jugement d’une comptabilité de fait qui est remise en cause. En effet, par son arrêt du 21 mars 2011, le Conseil d’État avait clairement préservé les trois étapes qui successivement, identifie le périmètre de la gestion de fait, fixent la ligne de compte et éventuellement l’amende pour gestion de fait. Ceci implique qu’il ne soit pas possible de contester, au stade de la fixation de la ligne de compte, la qualité de gestionnaire de fait reconnue à l’occasion de la détermination du périmètre de la gestion de fait. Selon cette logique, le Conseil d’État avait donc rejeté les prétentions de M. Beausoleil qui entendait s’appuyer, au stade de la fixation de la ligne de compte, sur le préjugement constitué par la mention dans le rapport public annuel de la Cour des comptes.

20Nous nous étions déjà posés la question de la compatibilité de ce système, finalement très particulier, avec le respect des droits de la défense. En effet, une fois la phase de déclaration de gestion de fait définitivement close (décision juridictionnelle passée en force de chose jugée), il n’est plus possible au requérant de contester la “qualité” qui lui a ainsi été reconnue ; il ne pourra plus intervenir, pour ainsi dire, qu’à la marge, c’est-à-dire essentiellement pour la fixation de la ligne de compte et la détermination du montant de l’éventuelle amende. Le Conseil d’État, dans son arrêt du 21 mars 2011 précité, rappelle fermement cette règle en indiquant que les requérants ne peuvent remettre en cause, au stade de la fixation de la ligne de compte, le jugement définitif de déclaration de gestion de fait. Et la Cour, dans la présente espèce, ne dit pas autre chose lorsqu’elle refuse d’accueillir l’exception d’illégalité soulevée par la requérante contre la déclaration de gestion de fait, celle-ci étant devenue définitive. On est loin d’une procédure unique et, en tout état de cause, au cœur d’une procédure particulièrement complexe et peu lisible pour le justiciable. Et la situation se complique encore dans la mise en œuvre du double degré de juridiction ; que l’on en juge : un jugement de Chambre régionale des comptes qui a déclaré une personne comptable de fait peut faire l’objet d’un appel devant la Cour des comptes ; cet appel n’est pas suspensif, pas plus d’ailleurs qu’un éventuel pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. Par suite, la procédure peut tout à fait se poursuivre devant la juridiction initialement saisie qui pourra ainsi en passer au stade de la fixation de la ligne de compte. Le requérant risque alors de vivre une sorte de dédoublement de la personnalité puisqu’il va, simultanément, contester en appel sa qualité de comptable de fait tout en étant conduit, en première instance, à discuter de la fixation du compte d’une gestion de fait dont il conteste être l’auteur …

21La difficulté est bien réelle et a même justifié une question prioritaire de constitutionnalité posée par la chambre territoriale des comptes de Polynésie française (jugement n° 2010-0001 du 24 novembre 2010), au sujet de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 272-35 CJF ; en l’espèce, le requérant avait été déclaré comptable de fait par un arrêt de la Cour des comptes contre lequel il s’était pourvu en cassation ; sur le fondement des dispositions de l’article L. 272-35 CJF, la chambre territoriale des comptes de Polynésie française lui avait enjoint de produire ses comptes dans un délai de deux mois. Il soutenait que les dispositions de l’article L. 272-35 qui imposent aux personnes que la chambre territoriale des comptes a déclarées comptables de fait de lui produire leurs comptes dans le délai qu’elle leur impartit seraient notamment contraires aux principes, énoncés respectivement par les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, de la présomption d’innocence et du respect des droits de la défense, en ce qu’elles s’appliquent y compris dans le cas où l’intéressé a formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la Cour des comptes le déclarant comptable de fait. Après avoir rappelé que la question posée “est soulevée au cours d’une procédure unique de jugement des comptes de personnes déclarées comptables de fait”, le Conseil d’État va refuser de transmettre la question au Conseil constitutionnel :

22« Considérant que l’obligation procédurale que posent les dispositions de l’article L. 272-35 du code des juridictions financières est la conséquence du caractère exécutoire des arrêts déclarant la personne comptable de fait, nonobstant l’exercice d’un pourvoi en cassation, à l’occasion duquel l’auteur du pourvoi dispose à tout moment de la possibilité de demander le sursis à exécution de l’arrêt ; qu’une telle obligation n’est pas de nature à faire obstacle au droit de l’intéressé de contester la déclaration de gestion de fait prononcée à son égard ; que la simple obligation de produire les comptes ne porte pas atteinte à la possibilité pour la personne déclarée comptable de fait de se défendre au titre de la fixation de la ligne de compte par le juge ; qu’il résulte ainsi tant de l’objet que de la portée des dispositions de l’article L. 272-35 du code des juridictions financières qu’elles n’affectent ni, en tout état de cause, le principe de présomption d’innocence ni l’exigence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties, garantis par les articles 9 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; que, par suite, la question soulevée, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée » (CE 4 mars 2011, n° 344766).

23Le Conseil d’État avait ainsi confirmé son orientation jurisprudentielle en réaffirmant tout à la fois l’unicité de la procédure de gestion de fait et sa décomposition en plusieurs phases, indépendantes les unes des autres… Il faut reconnaître que la simplicité – de même que la logique – sont loin d’être au rendez-vous…

24À ce sujet, la lecture de l’arrêt de la Cour EDH révèle toute l’ambiguïté avec laquelle la procédure de jugement pour gestion de fait peut être perçue :

25« À titre liminaire, la Cour observe que le requérant ne remet pas en cause, in abstracto, l’impartialité structurelle de la Cour des comptes, notamment en ce qui concerne la coexistence de ses fonctions contentieuses et de ses attributions administratives. De même, le requérant n’avance pas que les signataires du rapport public auraient participé à la formation de jugement chargée de fixer la ligne des comptes. Dès lors, la Cour examinera en l’espèce le seul point de savoir si les mentions contenues dans le rapport de 1995 constituaient un préjugement de la fixation de la ligne de compte. Elle relève qu’il n’est pas contesté par le Gouvernement que le contenu du rapport public et les questions soumises lors de l’opération de la fixation de la ligne de compte « peuvent passer pour la même affaire » ou la « même décision » (mutatis mutandis, Kleyn et autres, précité, § 200 ; Sacilor-Lormines, précité, § 73 ; Union fédérale des consommateurs Que choisir de Côte-d’Or c. France (déc.), n° 39699/03, 30 juin 2009). Cette opération impliquerait cependant, selon lui, d’aborder cette « même affaire » sous un angle différent, le juge des comptes disposant d’éléments non connus au moment de la publication du rapport, de sorte que ce dernier ne révélerait aucun préjugement sur la ligne de compte.

26La Cour observe en l’espèce que le Conseil d’État, dans sa décision du 30 décembre 2003, tout en reconnaissant l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention à chaque étape de la procédure de gestion de fait, a indiqué que la phase de la fixation de la ligne de compte ne pouvait pas, en principe, être viciée par un préjugement résultant d’un rapport public antérieur. Il a considéré que tel était bien le cas du rapport pour 1995, ses mentions ne révélant aucun préjugement de l’appréciation qu’il incombait à la Cour des comptes de porter au stade de la fixation de la ligne de compte de la gestion de fait (…). Il est parvenu à une conclusion similaire dans sa décision du 21 mars 2011 (…). La Cour est consciente de la spécificité de la procédure litigieuse et de la différence d’objet des phases de détermination de l’existence d’une gestion de fait et de la fixation de la ligne de compte, le juge disposant lors de cette deuxième phase d’éléments dont il n’avait pas connaissance au moment de la publication du rapport public (…). Elle estime néanmoins que cette différence ne s’oppose pas à ce que, dans les circonstances particulières d’une espèce, les mentions figurant dans le rapport public puissent être d’une nature telle qu’elles constituent un préjugement de la fixation de la ligne de compte. Le Conseil d’État ne l’a d’ailleurs pas exclu ; en utilisant la formule « en principe » dans sa décision de 2003, il laissait entendre que des mentions faites au rapport public pouvaient constituer un préjugement de la fixation de la ligne de compte (…). La Cour doit donc examiner si, comme l’affirme le requérant, le principe d’impartialité faisait obstacle à ce que la décision fixant la ligne de compte, et non celle le déclarant comptable de fait qui n’est pas en cause en l’espèce, soit rendue par la Cour des comptes alors qu’elle avait précédemment fait état, en des termes explicites et détaillés, des opérations irrégulières de l’association dont il était le trésorier.

27À cet égard, la Cour observe tout d’abord que le rapport public, en décrivant des mouvements illégaux de fonds opérés à Noisy-le-Grand, aborde l’affaire dans son ensemble et ne distingue pas la qualification de la gestion de fait de l’évaluation des sommes irrégulièrement décaissées qu’il mentionne. Elle constate également que l’association est explicitement citée dans le rapport, ainsi que les sommes mises en cause, avec une évaluation chiffrée. Les dépenses sont précisément identifiées, à l’image de la « prime de technicité » versée aux agents, qui « ne pouvaient réglementairement bénéficier d’un tel avantage », ou de la prime « de libéralité » attribuée discrétionnairement. Le rapport souligne en particulier que la prime de technicité constituait en 1993 une dépense de 556 300 FRF, et que la dépense annuelle pour la prime dite de « libéralité » était de l’ordre de 220 000 FRF. Si le requérant n’est pas expressément cité dans le rapport, il était désigné comme « allocataire le mieux rétribué (…) qui signait les chèques dont il était bénéficiaire », ce qui le rendait identifiable pour ceux qui connaissaient le fonctionnement de l’association et par ceux qui pouvaient vouloir mener des investigations sur ce fonctionnement. Enfin, le rapport évoque des « conséquences très dommageables », portant ainsi une appréciation sur la gravité des faits et l’ampleur des sommes en cause. L’ensemble de ces éléments suffit à la Cour pour considérer que les mentions faites au rapport ont pu faire naître dans le chef du requérant des craintes objectivement justifiées d’un défaut d’impartialité de la Cour des comptes lors de la fixation de la ligne de compte. Elle note d’ailleurs à cet égard que la jurisprudence du Conseil d’État postérieure à l’arrêt du 30 décembre 2003 a mentionné des limites au-delà desquelles le rapport public révélerait une prise de position ne permettant plus que la Cour des comptes fixe la ligne des comptes et inflige une amende aux personnes mises en cause (voir la décision du Conseil d’État du 10 mai 2004).

2842. En conclusion, dans la présente espèce, la Cour des comptes ne présentait pas, au stade de la détermination de la ligne de compte, les garanties d’impartialité exigées par l’article 6 § 1 de la Convention. Partant, il y a violation de cette disposition ».

29Ici encore une fois, à tort ou à raison, ce sont les apparences qui s’avèrent être essentielles. La Cour EDH ne s’en cache pas :

30« La Cour rappelle que l’impartialité, au sens de l’article 6 § 1, revêt deux aspects. Il faut d’abord que le tribunal ne manifeste subjectivement aucun parti pris ni préjugé personnel. Ensuite, le tribunal doit être objectivement impartial, c’est-à-dire offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à cet égard. Dans le cadre de la démarche objective, seule en cause en l’espèce, il s’agit de se demander si, indépendamment de la conduite personnelle des juges, certains faits vérifiables autorisent à suspecter l’impartialité de ces derniers. En la matière, même les apparences peuvent revêtir de l’importance. Il y va de la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer aux justiciables, à commencer par les parties à la procédure (Kleyn et autres c. Pays-Bas [GC], n° 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, § 191, CEDH 2003-VI ; Morice c. France [GC], n° 29369/10, §§ 73 et 78, 23 avril 2015).

31Il convient de garder à l’esprit que pour se prononcer sur l’existence, dans une espèce donnée, d’une raison légitime de craindre d’une juridiction un défaut d’impartialité, le point de vue du ou des intéressés entre en ligne de compte mais ne joue pas un rôle décisif. L’élément déterminant consiste à savoir si les appréhensions de ceux-ci peuvent passer pour objectivement justifiées (Sacilor-Lormines c. France, n° 65411/01, § 63, CEDH 2006-XIII ; Morice, précité, § 76) ».

32L’essentiel est dit…

33On ajoutera que cet arrêt de la Cour EDH, bien que concernant l’ancienne procédure avec ses phases provisoires et définitives est parfaitement transposable dans le cadre de la procédure actuelle. Dès lors, une question se pose : la gestion de fait a-t-elle encore un avenir ? Certes, les questions de pré-jugement, depuis l’affaire « Labor Métal », ne se posent plus guère. Les juridictions des comptes édulcorent (voire aseptisent) leurs différents rapports. Mais en toute hypothèse, comme nous venons de le montrer, la procédure de gestion de fait est trop complexe. Et ceci est vrai tant de la procédure juridictionnelle elle-même que de la phase de reconnaissance de l’utilité publique de la dépense. Sa complexité est telle que, si l’on observe bien la jurisprudence, il faut constater que les CRTC ne l’enclenchent plus que rarement et que la Cour elle-même n’a plus guère à en connaître que dans le cadre de l’appel de décisions fort anciennes (en témoignent les arrêts rendus dans les affaires concernant la Polynésie française). Nous n’avons pas connaissance que la Cour ait récemment engagé une procédure de gestion de fait des deniers de l’État et, sauf à démontrer que cette abstinence est le résultat d’un accroissement particulièrement sensible de la prise de conscience des gestionnaires publics des illégalités constitutives de gestion de fait, on aura tendance à croire que, compte tenu de la complexité que nous venons de décrire et pour reprendre une expression commune, « le jeu n’en vaut pas la chandelle ». Il en découle, mais nous l’avons déjà tellement dit qu’elle nous semble être atteinte de quelques maladies dégénératives, que les gestionnaires publics autres que les comptables, ne craignant ni la CDBF ni la gestion de fait, vivent dans le havre tranquille d’une absence quasi totale de responsabilité du fait de leur gestion.

Conseil d’État et Conseil constitutionnel

34Sur les cinq arrêts du Conseil d’État, trois ont concerné la Cour des comptes, deux la CDBF. Pour l’un de ces derniers, il s’agissait d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise, pour partie, au Conseil constitutionnel (CE 14 septembre 2016, Office national de l’eau et des milieux aquatiques, n° 400864). Cette décision ayant été rendue, nous la commentons également ici.

35S’agissant de la Cour des comptes, sur les trois arrêts rendus, l’un a été préservé au moyen d’une substitution de motif (CE 28 septembre 2016, Groupement de coopération sanitaire des urgences de la Côte fleurie, n° 385903), les deux autres ont été cassés et un renvoi a été opéré devant la Cour des comptes (CE 27 juillet 2016, Commune du Cannet, n° 387031 et CE 5 octobre 2016, Service des impôts des entreprises du Pornic, n° 386605). Il y est question d’intérêt à agir, de débet administratif, de préjudice financier mais également de gestion de fait…

CE 27 juillet 2016, Commune du Cannet, n° 387031

36L’agent comptable de la commune du Cannet avait été mis en débet par la chambre régionale des comptes au motif du paiement irrégulier d’indemnités forfaitaires pour travaux supplémentaires et de primes de rendement et de fin d’année (C. comptes, 13 novembre 2014, n° 71194). En appel, la Cour des comptes avait toutefois annulé le jugement. C’est en l’état que le Conseil d’État a été saisi.

37L’appel avait été interjeté par la commune. À ce propos, le Procureur général avait estimé qu’elle était dépourvue d’intérêt à agir au regard de « cette règle d’ordre public, valable en procédure civile comme en contentieux administratif (…) qui trouve également à s’appliquer devant les juridictions financières » selon laquelle le droit d’appel appartient à toute partie qui y a intérêt. Or, pour l’espèce le parquet estimait la requête irrecevable dès lors que le jugement de la CRC ne remettait pas en cause le dispositif indemnitaire instauré par l’ordonnateur et alors que le comptable avait procédé aux paiements d’indemnités sans disposer des pièces justificatives requises. Un argument rejeté par la Cour des comptes qui a retenu que :

38« la commune pouvait valablement interpréter le jugement susvisé comme mettant en cause la nature et la régularité du régime indemnitaire des collaborateurs du cabinet du maire, défini par ses organes compétents ; qu’ainsi la commune du Cannet peut être considérée comme ayant intérêt à agir ; qu’il en résulte qu’il y a lieu de déclarer recevable la requête de cette commune ».

39À ce sujet, il est étonnant que le parquet se soit engagé sur une telle argumentation. En effet, il est de jurisprudence constante que l’appelant justifiant d’un intérêt à agir, voit sa requête déclarée recevable. Ainsi en est-il lorsque la requête tend au prononcé, par le juge d’appel, de charges levées par le premier juge (C. comptes, 17 mai 2011, Centre hospitalier André Bouron – Centre hospitalier de l’Ouest Guyanais Franck Joly, Gestion et fin. publ. 2012 n° 7 p. 87. Également C. comptes, 26 janvier 2012, Centre hospitalier intercommunal du bassin de Thau, Gestion et fin. publ. 2014 n° 3/4, p. 103).

40Dans ses conclusions sur l’espèce CH Bouron, le parquet avait certes relevé que, s’agissant de l’intérêt à agir, la jurisprudence financière avait renforcé ses exigences au cours de la période récente – renvoyant à ce sujet à ses conclusions sur la gestion de fait des deniers concernant la commune de Noisy-le Grand (2010). L’intérêt à agir doit ainsi être apprécié « à la lumière de la teneur de la décision attaquée ». Il faut supposer que cette perception a conduit le parquet à apprécier de manière restrictive cet intérêt à agir. Pourtant, en d’autres espèces, le Parquet a pu retenir une conception similaire à celle retenue par la Cour des comptes rappelant que « l’intérêt pour agir de la collectivité s’apprécie en principe au regard du dispositif de la décision attaquée » qui conduit à apprécier s’il profite ou non à la collectivité concernée. Il peut également se déduire du fait que le jugement de la chambre régionale des comptes a mis en cause divers actes de gestion de l’ordonnateur et l’exercice de ses attributions par la collectivité [1] (concl. Sur C. comptes, 9 juin 2011, Gestion de fait des deniers du département de la Martinique, n° 61375, Gestion et fin. publ. 2012, n° 10 p. 92).

41En ce sens, les modalités de l’appel devant le juge financier présentent de réelles spécificités qui expliquent qu’il ne soit pas possible de raisonner par analogie et de chercher à lui transposer les règles applicables devant les juges judiciaire et administratif. Il faut se rappeler qu’il a été, tout autant, admis que l’ordonnateur puisse agir, non pour assurer la défense des intérêts de la collectivité ou de l’établissement dont il a la responsabilité, mais pour prendre fait et cause pour « son » comptable (C. comptes, 19 juin 2008, Ecole nationale supérieure de chimie de Rennes, Gestion et fin. publ. 2010, p. 82).

42Si ce point est écarté par le Conseil d’État, c’est en revanche sur l’appréciation du préjudice financier que le jugement de la chambre régionale des comptes est annulé. Cette dernière avait mis en débet le comptable public sur le fondement de pièces justificatives contradictoires, estimant que le manquement reproché à l’agent comptable avait conduit à faire supporter une charge patrimoniale indue à la commune. Le montant du débet s’élevait à 51 485,29 €. En appel, la Cour des comptes avait contesté l’appréciation du préjudice financier opérée par le juge de première instance et ramené le débet à 3 242,07 € (correspondant aux seules primes de fin d’année).

43Pour ce faire, la Cour des comptes avait justifié l’annulation du jugement de la chambre régionale des comptes pour défaut de motivation, cette dernière n’ayant pas démontré « concrètement l’existence du préjudice allégué » autrement qu’en affirmant que « la charge patrimoniale indument supportée par la commune » constituait « pour elle un préjudice financier ». C’est ce raisonnement que le Conseil d’État remet en cause :

44« que tout paiement indu est constitutif d’un préjudice financier pour l’organisme public concerné ; qu’ainsi, en estimant que ce jugement qui, après avoir caractérisé de façon suffisamment précise le manquement du comptable, qualifiait le préjudice financier subi par la commune au regard du caractère indu du paiement, n’était pas suffisamment motivé en ce qu’il ne démontrait pas concrètement l’existence du préjudice allégué, la Cour des comptes a entaché son arrêt d’une erreur de droit ».

45L’identification du préjudice financier constitue la difficulté majeure du nouveau régime de responsabilité des comptables publics. Nos précédentes chroniques ont déjà pu mettre en évidence les problématiques liées à cette question. Cet arrêt du Conseil d’État ajoute à ce panorama en limitant la marge d’appréciation dont aurait pu disposer le juge des comptes en la matière. Livrant un mode d’emploi résumé en une phrase : « tout paiement indu est constitutif d’un préjudice financier » – son usage pourra toutefois être malaisé. En effet, les circonstances peuvent justifier une analyse plus fine à laquelle s’est déjà livré le juge des comptes et qui donne véritablement à la réforme du régime de responsabilité des comptables publics, toute sa raison d’être. Or, avec une formulation aussi restrictive, le Conseil d’État limite l’office du juge des comptes et lui impose un mode d’emploi qui peut se révéler inadapté.

46Plus largement, cela renvoie à nos observations concernant l’intérêt même de ce nouveau régime de responsabilité qui avait notamment pour but de mettre un terme aux débets sans préjudice et à l’inadaptation de celui-ci.

CE 14 septembre 2016, Office national de l’eau et des milieux aquatiques, n° 400864 (QPC) et Cons. const. 2 déc. 2016, Sandrine A., n° 2016-599 QPC

47C’est une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité portant sur deux dispositions du livre III du Code des juridictions financières [décision de la CDBF en date du 21 juin 2016 (n° 209-730-I)] qui était soumise au Conseil d’État.

48S’agissant de l’art. L. 314-18 CJF, la question concernait la portée de ces dispositions au regard de l’application de la règle non bis in idem. Le Conseil d’État apporte ici une réponse en deux temps.

49Tout d’abord il constate que le Conseil constitutionnel a déjà déclaré conforme à la Constitution (Cons. const. 1er juill. 2016, Stéphane R. n° 2016-550 QPC : voir à ce sujet, la précédente chronique) le cumul de poursuites devant la Cour et d’une l’action pénale. La demande de renvoi est donc sans objet.

50S’agissant du cumul des poursuites devant la Cour et d’une action disciplinaire, le Conseil d’État refuse également de renvoyer, estimant que :

51« les dispositions contestées de l’article L. 314-18 du code des juridictions financières permettent qu’une personne poursuivie devant la Cour de discipline budgétaire et financière pour l’une des infractions édictées par les articles L. 313-1 à L. 313-8 du même code, fasse également l’objet d’une action disciplinaire ; que si ces dispositions n’instituent pas, par elles-mêmes, un mécanisme de double poursuite et de double sanction, elles le rendent toutefois possible ; qu’il résulte de la jurisprudence du Conseil constitutionnel que ces cumuls éventuels de poursuites et de sanctions doivent, en tout état de cause, respecter le principe de nécessité des délits et des peines, qui implique qu’une même personne ne puisse faire l’objet de poursuites différentes conduisant à des sanctions de même nature pour les mêmes faits, en application de corps de règles protégeant les mêmes intérêts sociaux ; que les sanctions susceptibles d’être infligées ne sont pas de même nature, la Cour de discipline budgétaire et financière prononçant des amendes, tandis que les sanctions disciplinaires susceptibles d’être prononcées à l’encontre d’un agent public ne comprennent pas l’amende ; qu’en outre, les sanctions disciplinaires visent à assurer le respect par les fonctionnaires de leurs obligations statutaires, tandis que les sanctions prononcées par la Cour de discipline budgétaire et financière ont pour objet d’assurer le respect des règles applicables à la dépense publique et de protéger les deniers publics ; qu’ainsi, les sanctions en cause ne sont pas prises en application de corps de règles visant à protéger les mêmes intérêts sociaux, mais répondent à des intérêts sociaux distincts ; qu’il suit de là que le grief, en tant qu’il concerne les sanctions disciplinaires, est dépourvu de caractère sérieux ».

52La question concernant l’art. L. 312-1 CJF n’avait, en revanche, pas encore été posée. Les dispositions de cet article énumèrent les personnes justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière – ou, plus singulièrement présentées, les personnes qui, par exception, ne sont pas justiciables de la CDBF. La liste en est fort longue…

53S’agissant de dispositions applicables au litige et non encore déclarées conformes à la Constitution, le Conseil d’État a retenu :

54« Considérant qu’il est soutenu que cet article méconnaît le principe d’égalité résultant de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en ce qu’il distingue certains élus des autres citoyens et agents publics dans les possibilités de poursuite, pour des agissements susceptibles d’être sanctionnés qui sont pourtant identiques ; que le grief tiré de ce que les dispositions de l’article L. 312-1 du code des juridictions financières portent ainsi atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d’égalité, soulève une question, qui n’est pas nouvelle, mais présente un caractère sérieux ».

55Il est ainsi possible de résumer le champ de compétences de la CDBF en indiquant que, par principe, tout ordonnateur relève de sa compétence mais que, par exception, certains d’entre eux n’en sont pas justiciables. C’est notamment le cas des membres du gouvernement et des élus locaux (Voir pour plus de précisions, Damarey, La CDBF, Répertoire de contentieux administratif, Dalloz, mars 2015).

56Plus précisément, pour ces derniers, les dispositions applicables limitent la compétence de la CDBF à trois hypothèses (art. L. 312-2 CJF) :

  • en cas d’inexécution totale, partielle ou tardive d’une décision de justice entraînant la condamnation de la personne morale de droit public au paiement d’une astreinte ;
  • en cas d’inexécution d’une décision de justice condamnant une personne morale de droit public au paiement d’une somme d’argent ;
  • lorsqu’à l’occasion de l’exercice de son pouvoir de réquisition sur le comptable public, l’ordonnateur procure à autrui un avantage injustifié.

57Il n’y a aucune explication permettant de justifier ces exonérations de responsabilité. Le Président Descheemaeker l’a très clairement souligné en relevant que ces exonérations ne trouvaient « guère d’explication que dans la composition des assemblées parlementaires qui votent les lois » (La Cour des comptes, 3e éd. 2005, Doc. fr. p. 191).

58D’ailleurs et plus largement, il faut se rappeler que le projet de réforme des juridictions financières de l’automne 2009, tel que remanié lors de son passage en Commission des lois devant l’Assemblée nationale (Sept. 2010) prévoyait, comme pour les membres du gouvernement, une évolution du champ de compétences de la CDBF. Il est singulier de relever qu’ainsi « lesté » de cette proposition d’extension du champ des justiciables, le projet de réforme a, concernant la CDBF, atterri dans une impasse, disparu dans les oubliettes parlementaires… (Damarey, La réforme des juridictions financières, un goût d’inachevé, JCP Adm. 2012, étude n° 2032 ; L’acte (II) manqué de la réforme des juridictions financières, AJDA 2012. 317).

59Outre l’éventuelle violation du principe d’égalité expressément mentionné par la décision de renvoi, la requérante estimait également que cet article méconnaissait le droit, pour chaque citoyen, de demander compte à tout agent public de son administration, qui découle de l’art. 15 DDHC. Le Conseil constitutionnel ne devait pourtant retenir aucun de ces deux griefs.

60• S’agissant de l’égalité devant la loi, il a estimé l’art. L. 312-1 CJF conforme à la Constitution.

61Il a tout d’abord estimé que les membres du Gouvernement étant collectivement responsables devant le Parlement (art. 49 et 50 Const.) et les maires, les présidents de conseil départemental ou de conseil régional et les présidents de groupements de collectivités territoriales agissant sous le contrôle de l’organe délibérant de la collectivité ou du groupement au sein duquel ils ont été élus ou sur délégation de cet organe, ces autorités sont donc placées, eu égard à la nature du contrôle auquel elles sont soumises, dans une situation différente de celle des justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière.

62Par ailleurs, Le Conseil constitutionnel a rappelé qu’en application des art. L. 313-9 et L. 313-10 CJF, les personnes justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ne sont passibles d’aucune sanction si elles peuvent exciper d’un ordre écrit de leur supérieur hiérarchique ou, le cas échéant, du ministre ou de l’élu local compétent. Or, une telle exemption de responsabilité n’est pas envisageable pour les membres du Gouvernement ou les élus locaux, qui ne sont pas soumis à un pouvoir hiérarchique. Par ailleurs, l’exemption de poursuites dont bénéficient les membres du Gouvernement et les élus locaux est limitée aux actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions ou à l’occasion d’activités accessoires à ces fonctions. Enfin, en application de l’art. L. 312-2 CJF, les élus locaux peuvent être poursuivis devant la Cour de discipline budgétaire et financière dans trois cas : lorsqu’ils ont engagé leur responsabilité propre par un acte de réquisition d’un comptable public et ont conféré un avantage à autrui ; lorsqu’ils ont refusé d’acquitter une somme exigée par la justice ; lorsque leur refus d’exécuter une décision de justice a conduit à la condamnation d’une personne morale de droit public ou d’un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public.

63Le Conseil en conclut que la différence de traitement qui résulte des dispositions contestées est justifiée par une différence de situation. Elle est en rapport direct avec l’objet de la loi, qui est d’instaurer des sanctions de nature disciplinaire pour les manquements aux règles des finances publiques.

64• S’agissant du droit, pour chaque citoyen, de demander compte à tout agent public de son administration, le Conseil devait également déclarer la disposition conforme.

65La décision lui permettait par ailleurs de préciser le champ d’application et la portée de l’art. 15 DDHC dont le Conseil avait déjà reconnu qu’il contient un principe appartenant à la catégorie des droits et libertés que la Constitution garantit et qu’il est donc invocable en QPC (Cons. const. 29 mai 2015, Nathalie K.-M., n° 2015-471 QPC).

66Le Conseil constitutionnel a d’une part précisé que les exigences découlant de cet article s’appliquent aux membres du Gouvernement et aux élus locaux dans l’exercice de leurs fonctions d’administration auxquelles se rattache leur rôle d’ordonnateur. D’autre part, il a indiqué que compte tenu des contrôles ou des obligations politiques, administratives ou pénales pesant par ailleurs sur eux dans ce cadre, le législateur n’a pas méconnu ledit article en exemptant les membres du Gouvernement et les élus locaux (sauf dans les cas prévus à l’article L. 312-2 CJF) des poursuites devant cette Cour pour manquements aux règles des finances publiques. Il faut donc en déduire que cet article n’impose pas un type particulier de responsabilité – en l’espèce la responsabilité disciplinaire devant la CDBF – mais peut se satisfaire des mécanismes généraux de responsabilité. Qu’il nous soit permis de ne pas partager cette conception tant la responsabilité politique apparaît de peu de poids – faisant appel à l’électeur qui témoigne parfois, pour l’occasion, de la mémoire d’un poisson rouge.

CE 28 septembre 2016, Groupement de coopération sanitaire (GCS) des urgences de la côte fleurie, n° 385903 [2]

67La création du groupement de coopération sanitaire des urgences de la Côte fleurie a occasionné une gestion de fait, sanctionnée par le juge des comptes (C. comptes, 24 septembre 2014, n° 70449). En l’espèce, les représentants de ce groupement ainsi que le directeur de l’Agence régionale de santé avaient été condamnés à remettre, sous un délai de trois mois, le compte de la gestion de fait et toutes justifications sur la nature et la matérialité des recettes et dépenses réalisées dans l’intérêt du GCS. Ils avaient également à justifier du reversement des reliquats dans la caisse du groupement – en tenant compte de la reconnaissance d’utilité publique accordée par l’autorité compétente.

68Saisi, le Conseil d’État avait à se prononcer sur la compétence de la Cour des comptes pour se prononcer sur la gestion de ce groupement. Les protagonistes espéraient, en effet, échapper à la gestion de fait en excipant de l’incompétence de la Cour de comptes à leur égard. Pour ce faire, ils invoquaient l’illégalité de l’acte instituant le groupement – illégalité dont le juge administratif avait d’ailleurs été saisi.

69Ce moyen, déjà invoqué devant la Cour des comptes, avait été écarté par cette dernière au motif qu’elle ne pouvait, sauf exception, se faire juge de la légalité d’une décision administrative qui affecte l’exercice de sa juridiction.

70Saisi, le Conseil d’État a rappelé qu’« il appartient au juge des comptes d’apprécier la légalité des actes administratifs et de les interpréter lorsque cette question conditionne son office ».

71Cette solution n’est en rien étonnante. Elle est du reste en accord avec les précédentes orientations jurisprudentielles de la Cour des comptes (C. comptes, 28 juin 1927, Régie d’électricité de la Garde-Freinet et du Plan de la Tour, Rec. Ccomptes 6. C. comptes 23 février 1930, Office scientifique et technique des pêches maritimes, Rec. Ccomptes 35).

72Ainsi, dans la première affaire, la Cour des comptes s’était déclarée incompétente pour statuer sur les comptes d’une régie d’électricité se rattachant à un syndicat intercommunal. Pour ce faire, elle avait constaté que le décret portant création de cette personne morale et confiant les opérations de recettes et de dépenses à des caissiers relevant directement de la Cour des comptes, était illégal et qu’elle ne pouvait donc intervenir.

73Dans l’espèce soumise au Conseil d’État, la Cour des comptes avait donc fait preuve d’une certaine frilosité en refusant de se prononcer explicitement sur son champ de compétences et en se retranchant derrière les décisions à venir du juge administratif.

74Pour autant, l’arrêt est préservé au moyen d’une substitution de motif. Pour justifier la compétence de la Cour des comptes, le Conseil d’État s’est appuyé sur les dispositions de l’art. L. 6133-1 CSS consacré aux groupements de coopération sanitaire. Selon ces dernières combinées à celles de l’art. R. 6133-1 du même code, un tel groupement jouit de la personnalité morale à compter de la date de publication de l’acte d’approbation de la convention constitutive par le directeur de l’agence régionale d’hospitalisation. Le Conseil d’État en a déduit que ce groupement disposait de cette personnalité dès lors que l’acte approuvant sa convention constitutive avait été publié et de poursuivre, en précisant « que ni la légalité de l’acte d’approbation ni la validité de la convention constitutive ainsi approuvée n’ont d’incidence sur l’acquisition de la personnalité juridique par le groupement ».

CE 5 octobre 2016, Service des impôts des entreprises de Pornic, n° 386605

75La responsabilité de l’agent comptable du service des impôts des entreprises de Pornic avait été mise en cause par décision du directeur régional des finances publiques des Pays-de-la-Loire en date du 2 avril 2012 – soit antérieurement au 1er juillet 2012, date à laquelle les modifications apportées à l’art. 60 de la loi du 23 février 1963 de finances pour 1963 par l’art. 90-II de la loi du 28 décembre 2011 sont entrées en vigueur. Responsabilité engagée pour créance d’impôt (TVA) non recouvrée.

76C’est ensuite par une décision du 13 février 2013 que ce même directeur a décidé d’accorder une remise gracieuse du débet prononcé – décision fondée sur l’absence de préjudice financier constaté alors que les intérêts du Trésor n’ont pas été lésés.

77Loin de s’achever, cette procédure s’est ensuite déplacée devant le juge des comptes qui a ainsi justifié sa compétence :

78« Considérant (…) que ni les ordres de versement, ni les arrêtés ministériels de débet, ni les décisions de remise gracieuse ne sauraient faire obstacle à l’exercice des attributions conférées au juge des comptes, la procédure de mise en jeu de la responsabilité du comptable public par le ministre, ne pouvant comme l’a maintes fois souligné le Conseil d’État, « paralyser l’action du juge des comptes ».

79La possibilité qu’a le ministre, de se prononcer comme le juge des comptes, sur la responsabilité des agents comptables avait, en effet, nécessité l’intervention du Conseil d’État qui avait arbitré dans l’exercice des compétences en présence en faveur du juge des comptes. Quel que soit le cas de figure, c’est l’autorité de la chose jugée qui doit l’emporter sur l’autorité de la chose décidée (CE 17 juillet 1816, Laurence, Lebon 87. CE 27 octobre 1944, Veuve Artaud, Lebon 272 ; S. 1945. III. 38).

80Ainsi, si la Cour des comptes donne quitus ou décharge au comptable, sa décision juridictionnelle s’impose au ministre, lequel ne pourra prononcer de débet administratif (CE 7 juillet 1853, Guibert, Lebon 680. CE 3 juillet 1885, De Bonardi, De Grandelos et Vavin, Lebon 634).

81De même, le juge des comptes ne saurait être lié par un débet administratif (outre les jurisprudences Laurence et Veuve Artaud, V. CE 13 mars 1957, Mahieux Barbier, Lebon 166. C. comptes 25 janvier 1932, Sieur Domergue, régisseur comptable du Mont de Piété de Haïphong, Rec. C. comptes 80).

82Dans l’arrêt soumis au juge du Palais Royal, la Cour a constaté que le manquement du comptable pour défaut de déclaration au passif d’une société redevable d’une somme de 127 133 € de TVA et ce alors que l’état de reddition des comptes du liquidateur de cette société a révélé le paiement de créances privilégiées, a causé un préjudice financier à l’État. Elle a, en conséquence, mis en débet l’agent comptable à hauteur de 20383,99 € - correspondant au montant que le Trésor aurait pu obtenir lors de la répartition du fait de la supériorité de son privilège sur celui des autres créanciers (C. comptes, 27 octobre 2014, n° 70527).

83Le Conseil d’État annule l’arrêt au motif que les modifications apportées au régime de responsabilité des comptables publics par la loi du 28 décembre 2011 ne sont applicables « qu’aux manquements ayant fait l’objet d’un premier acte de mise en jeu de la responsabilité du comptable par le ministre dont il relève, le ministre chargé du budget ou par le juge des comptes, à compter du 1er juillet 2012 ». Le Conseil d’État envisage ainsi, dans une globalité, les modalités de mise en œuvre du régime de responsabilité des comptables publics sans distinguer les procédures administrative et contentieuse – alors qu’au contraire, la Cour des comptes supposait pouvoir faire application du nouveau régime de responsabilité à une procédure engagée, devant elle, par un réquisitoire introductif d’instance du 17 juillet 2013.

CE 17 octobre 2016, Parquet général près la Cour des comptes, n° 393519

84C’est également d’une question prioritaire de constitutionnalité dont a été saisi le Conseil d’État avec cette espèce, question concernant les dispositions de l’article L. 313-1 du Code des juridictions financières. Une question que le Conseil d’État s’est refusé à transmettre au Conseil constitutionnel dès lors que ce dernier s’était déjà prononcé sur la constitutionnalité de celle-ci dans une décision du 24 octobre 2014 (2014-423 QPC).

85Parallèlement, le pourvoi visait à contester la décision de la CDBF en ce qu’elle a fait le choix de ne pas infliger d’amende aux anciens directeurs généraux et à l’ancien comptable de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille. 0ce sujet, le Conseil d’État a rappelé :

86Considérant que le législateur a institué, à l’article L. 311-1 du code des juridictions financières, une Cour de discipline budgétaire et financière qui a pour mission d’assurer le respect des règles applicables à la dépense publique et de protéger les deniers publics ; qu’il appartient à la Cour de discipline budgétaire et financière de se prononcer d’abord sur la matérialité de l’infraction dont elle est saisie, sur sa qualification juridique et sur son imputabilité à la personne mise en cause ; que, lorsqu’elle constate la commission d’une infraction imputable à la personne mise en cause, la Cour détermine, dans un second temps, la peine qu’il y a lieu de prononcer à son encontre ; qu’à ce titre, les dispositions du code des juridictions financières citées ci-dessus fixant le montant minimal de l’amende dont sont passibles les personnes justiciables de la Cour ne font pas obstacle à ce que cette juridiction décide, compte tenu notamment des circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise et des qualités de gestionnaire de la personne mise en cause, de ne pas lui infliger d’amende ;

87Le Conseil d’État en tire la conclusion qu’alors même que la CDBF a constaté le versement d’indemnités dépourvues de fondement juridique à certains agents de l’Assistance publique – Hôpitaux de Marseille constitutif des infractions mentionnées aux articles L. 313-3 (engagement d’une dépense sans en avoir le pouvoir), L. 313-4 (non respect des règles relatives à l’exécution des opérations de dépenses et de recettes) et L. 313-6 (avantage injustifié procuré à autrui) du code des juridictions financières, la CDBF pouvait « compte tenu des circonstances de l’espèce, qu’elle a souverainement appréciées, (…) ne pas infliger d’amende aux intéressés ». Pour l’un des protagonistes, la CDBF avait tenu compte de ses qualités de gestionnaire, pour l’agent comptable, de ce qu’il avait été mis en débet par la CRC PACA, en sa qualité de comptable de l’établissement. Dans ce dernier cas, le Conseil d’État a d’ailleurs souligné qu’était sans incidence, la circonstance que ce débet avait été prononcé à raison des indemnités versées au titre de la seule année 2008 – alors que l’infraction examinée par la CDBF s’étalait de mai 2007 à août 2010.

Cour des comptes

Procédure

Appel

88Contester, par la voie de l’appel, un jugement rendu par une chambre régionale des comptes, suppose le respect de quelques règles procédurales. À défaut, la Cour des comptes pourra estimer la requête irrecevable. Il résulte, notamment, des dispositions

89« du second alinéa de l’article R. 242-17 du code des juridictions financières, (que) la requête en appel doit contenir, à peine de nullité, l’exposé des faits et moyens, ainsi que les conclusions du requérant ; qu’elle doit être accompagnée des documents sur lesquels elle s’appuie et d’une copie du jugement ou de l’ordonnance attaquée ». Ainsi alors « que la requête de (l’agent comptable) n’expose pas de moyen et ne formule pas de conclusions ; que, de surcroît, elle n’est pas accompagnée d’une copie du jugement attaqué ;

90(…) la requête ne remplit pas les conditions fixées par les dispositions précitées du code des juridictions financières ; que dès lors, elle doit être déclarée irrecevable en appel » (C. comptes, 7 juillet 2016, Centre hospitalier de Sainte-Foy-la-Grande, n° S 2016-2020. Egalement C. comptes, 14 janvier 2016, Centre communal d’action sociale d’Evian-les-Bains, Gestion et fin. publ. 2016 n° 4 p. 149. C. comptes, 18 février 2016, Centre communal d’action sociale d’Hirson, Gestion et fin. publ. 2016 n° 4, p. 149).

91Il faut se rappeler que la Cour des comptes a pu admettre la recevabilité d’une requête dont le mémoire n’était pas accompagné du jugement attaqué dès lors que les moyens sont présentés (C. comptes, 7 octobre 1993, Commune de Cayenne, Rev. Trésor 1994. 112 ; RFFP 1994 n 47, p. 178) mais lorsque les conditions d’irrecevabilité se cumulent, comme en l’espèce – dépourvue de moyens et de conclusions -, il devient impossible de passer outre. Est ainsi rejetée une requête dépourvue de l’exposé des moyens et alors que le jugement manque également (C. comptes, 30 mars 2000, Association du Comité social en faveur du personnel communal de la Ville de Villers-les-Nancy, Rev. Trésor 2001. 33. Egalement C. comptes, 31 janvier 2002, Communes et établissement de la réunion de Bourg-Madame, Rev. Trésor 2003. 228). Il en va de même, pour une requête ne comportant l’exposé d’aucun moyen, ni d’aucune conclusion (C. comptes 6 novembre 2003, Commune de Mons, Rev. Trésor 2004. 709).

92Dans l’espèce rapportée, la Cour des comptes constate tout d’abord qu’elle n’a « été saisie, ni par la requête en appel, ni par un appel incident qui aurait pu être formé par l’ordonnateur ou le ministère public, ni d’aucune contestation de l’absence de préjudice financier résultant du manquement et visant à l’infirmation du jugement entrepris sur ce point ». Dès lors, et puisqu’elle ne relève « aucun moyen d’ordre public susceptible de motiver l’annulation » du jugement de la chambre régionale des comptes, le Cour, constatant « qu’elle ne peut se prononcer en appel que sur la contestation dont elle a été saisie par le requérant [et] que ce dernier n’a pas soulevé la question de l’existence ou non d’un préjudice financier causé par son manquement », « ne peut donner suite à l’invitation du procureur général » qui, dans ses conclusions, avait estimé que la chambre des comptes avait commis une erreur de droit en jugeant que le manquement du comptable n’avait pas causé de préjudice financier et avait invité la Cour à examiner la question (C. comptes, 13 octobre 2016, Commune de Montesquieu-Lauragais, n° S 2016-3153).

Remise gracieuse accordée au contribuable

93La Cour des comptes rappelle qu’une demande de remise gracieuse adressée par des contribuables au ministre chargé du budget ne saurait avoir d’incidence sur son office : « (…) la décision que pourraient prendre à cet égard les services ministériels est insusceptible d’affecter le sens de la décision du juge (des comptes, celui-ci) ayant seulement à apprécier l’étendue des diligences des comptables successifs dans le recouvrement de créances fiscales légalement et définitivement établies » (C. comptes, 29 octobre 2016, Direction départementale des finances publiques de l’Yonne, n° 2 2016-3182).

Influence de la jurisprudence

94Alors que l’agent comptable entend obtenir du juge des comptes, la prise en considération d’une décision rendue, en l’espèce par le juge judiciaire, en ce qu’elle est susceptible d’influencer le juge des comptes, encore faut-il que cette décision lui soit produite ou, à tout le moins, que la référence lui en soit communiquée. En l’espèce, la Cour des comptes relève « que ni le texte de l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles invoqué au cours des débats, ni sa référence n’ont été communiquées à la Cour », « il s’ensuit qu’à supposer qu’une règle générale de droit positif puisse être tirée de ce jugement, la Cour des comptes ne peut utilement se prononcer sur son applicabilité au cas d’espèce » (C. comptes, 28 juillet 2016, DRFIP des Yvelines, Service des impôts des entreprises (SIE) de Saint-Quentin-Est et de Saint-Quentin-Ouest, n° S 2016-2373).

Manquements constatés

95Les arrêts de la période sous revue sont illustratifs des principaux manquements reprochés aux agents comptables – avec les récurrences concernant l’attribution d’indemnités en l’absence de texte l’autorisant et le versement de subventions à des organismes sans but lucratif en méconnaissance des dispositions de la convention de versement, voire en l’absence d’une telle convention…

96Des manquements dont les agents comptables doivent répondre devant le juge des comptes sans qu’il leur soit possible d’ « être délié(s) de (leurs) obligations au motif qu’il(s) aurai(en)t reçu des instructions du ministre chargé des finances ou du ministre chargé du budget » (C. comptes, 6 septembre 2016, Trésorerie générale et DRFIP de Picardie et du département de la Somme, n° S 2016-2855).

Paiement en l’absence de crédits disponibles

97Alors que l’agent comptable a procédé au paiement de dépenses de personnel pour un montant supérieur aux crédits ouverts sur le chapitre « Charges de personnel et frais assimilés », sa responsabilité se trouve engagée pour paiement en excès des crédits disponibles et ce d’autant plus que l’agent comptable reconnaît avoir accepté, en toute connaissance de cause, de payer ces dépenses en dépassement des crédits disponibles (C. comptes, 13 octobre 2016, Commune de Montesquieu-Lauragais, n° S 2016-3153). La responsabilité de l’agent comptable est engagée sans qu’il lui soit possible de prétexter qu’une décision modificative (postérieure) a permis de régulariser la situation (C. comptes, 13 octobre 2016, Arrêtés conservatoires de débet – Institut français de recherche en Iran, n° S 2016-3199).

Attribution d’indemnités en l’absence de texte l’autorisant

98Le comptable qui produit à l’appui de son recours, une délibération du conseil municipal - non transmise à la chambre régionale des comptes dans le cadre de la procédure contradictoire suivie en première instance – portant attribution d’une prime au secrétaire général de la mairie conforme aux textes en vigueur et qui permet de s’assurer que ce conseil a clairement exprimé sa volonté de fixer le montant de cette prime – obtient du juge d’appel, l’annulation de sa mise en débet. En l’espèce, la Cour des comptes a admis l’argumentation du comptable qui soutenait avoir détenu cette pièce au moment du paiement et retenu que cette délibération était « exécutoire et que rien

99dans le dossier de l’appel ne permet(tait) d’affirmer qu’elle aurait été rapportée, annulée ou modifiée depuis son adoption. Dans ces conditions, « il y a lieu de considérer que le comptable disposait, au moment des paiements incriminés, d’une délibération de l’assemblée délibérante répondant aux conditions posées (…) par la nomenclature applicable aux pièces justificatives des dépenses des communes » et d’estimer que c’est « à tort que la chambre régionale des comptes, qui ignorait l’existence de (cette) délibération (…) l’a constitué débiteur du montant desdits paiements » (C. comptes, 7 juillet 2016, Commune de Chantepie, n° S 2016-2021).

100Dans une espèce plus complexe, le comptable avait procédé au paiement de sommes correspondant aux loyers concernant neuf comptables sur les départements de Haute-Corse et de Corse du Sud alors que l’État n’était pas partie aux contrats de location. Des paiements réalisés sur la base d’une décision du ministre chargé du budget permettait de déroger au principe de l’occupation d’un logement de fonction et autorisait ces chefs de poste à prendre à bail un logement à titre personnel et la direction de la comptabilité publique à rembourser intégralement aux comptables concernés les loyers payés dès lors que ces derniers pouvaient s’établir dans la moyenne des coûts de loyers constatés sur le site. Le comptable qui avait procédé au paiement de sommes correspondant, produisait un bail de location qui, selon lui, constituait la pièce permettant de justifier la dépense. Cependant, la Cour des comptes indiquait que la nomenclature des pièces justificatives applicable au moment des faits, exigeait la production du contrat de bail (ou de sa copie) signé par l’État preneur et le bailleur et non, comme en l’espèce, des baux conclus entre un bailleur et un preneur intervenant l’un et l’autre à titre personnel.

101La Cour des comptes estimait encore que l’agent comptable ne pouvait se prévaloir de ce que la somme versée correspondait en fait à une indemnité. En effet, la Cour constatait l’absence de décision d’attribution et d’état liquidatif et nominatif faisant référence au texte institutif de l’indemnité et à l’arrêté fixant le(s) taux en vigueur, la décision ministérielle ne pouvant en tenir lieu. Or, il est de « jurisprudence constante, (qu’)un comptable commet un manquement en procédant à un paiement d’indemnités sans référence à un texte instituant valablement une indemnité lui permettant de vérifier la validité de la créance et l’exactitude des calculs de liquidation » (C. comptes, 28 juillet 2016, DRFIP de Corse et du département de la Corse-du-Sud, n° S 2016-2278).

102À ce sujet, la Cour des comptes a clairement rappelé les obligations du comptable :

103« Attendu que s’il n’appartient pas aux comptables publics de se faire juges de la légalité des décisions administratives sur lesquelles sont fondés les paiements d’indemnités, ils doivent en revanche vérifier la référence, comme le prévoit la nomenclature, à des textes de nature à justifier le paiement desdites indemnités, ainsi que les conditions d’application desdits textes » (C. comptes, 6 septembre 2016, Trésorerie générale et DRFIP de Picardie et du département de la Somme, n° S 2016-2855).

Marchés publics

104Est engagée la responsabilité de l’agent comptable qui a procédé au paiement de mandats insusceptibles de se rattacher à un marché, dont la convention n’est pas produite (C. comptes, 27 septembre 2016, Centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Rennes, n° S 2016-3023).

Service fait

105L’agent comptable ne peut procéder au paiement d’une dépense que s’il dispose de la justification du service fait. Les procédures applicables exigent que la signature de l’ordonnateur soit accompagnée de la mention « pour valoir certification du service fait et ordre de payer » sur le bordereau d’émission des ordres de dépenses – qui vaut ordre de payer et certification du service fait.

106La responsabilité du comptable public s’appréciant, en matière de dépenses, au moment du paiement, le comptable a manqué à ses obligations de contrôle de la validité de la créance lorsqu’il procède au paiement en l’absence d’un tel certificat (C. comptes, 30 septembre 2016, Chambre départementale d’agriculture de la Meuse, n° S 2016-3095).

Production des pièces justificatives

107À propos du paiement à une association de trois subventions pour un montant total de 27 300 €, le juge des comptes a retenu le manquement du comptable public qui n’a pas respecté les stipulations de ces conventions lesquelles prévoyaient la présentation d’une demande écrite du bénéficiaire. À ce sujet, la Cour des comptes a rappelé :

108« Attendu (…) qu’en application de l’article 1134 du code civil (…), les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; que dès lors, lorsqu’une convention stipule qu’un paiement est précédé de la présentation d’une pièce déterminée, la somme ne devient exigible pour le prestataire qu’après qu’il a adressé au débiteur ladite pièce ; qu’il revient donc au comptable de s’assurer de la présence de cette pièce, sauf à manquer, sur le fond, au contrôle de l’exigibilité de la créance et, quant à la forme, à la complétude des justificatives ; qu’en l’espèce, les demandes de paiement prévues par lesdites conventions n’ont pas été produites à l’appui des paiements ;

109Attendu que de ce fait, les pièces justificatives des trois paiements étaient incomplètes ; que, le comptable a ainsi manqué à ses obligations en matière de contrôle de la validité des créances ; qu’ainsi il y a lieu de mettre en jeu sa responsabilité personnelle et pécuniaire à raison des paiements irréguliers » (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charge n° II-21).

110Même cause, même effet à propos du paiement d’une subvention réalisé sur la base d’une convention incomplète et dont les dispositions n’ont pas été respectées :

111« Attendu que le paiement de 50 000 € était appuyé d’une convention à laquelle il manquait deux pages, dont la dernière qui aurait dû porter la signature des cocontractants ; que ladite convention subordonnait le versement de la subvention prévue à la production de six pièces en l’occurrence une lettre de demande de subvention chiffrée, le bilan provisoire des activités réalisées (sur l’année écoulée), le budget prévisionnel de l’année en cours signé par le président et approuvé par le conseil d’administration, le programme d’activités (de l’année en cours), l’état des ressources (de l’année en cours) et la copie des attestations annuelles des organismes chargés du recouvrement des cotisations sociales, ces deux dernières pièces se trouvant mentionnées sur la première des deux pages manquantes de la convention ; qu’aucune de ces pièces n’a été produite à l’appui du paiement » (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charge n° II-22).

112Comme l’indique le Ministère public (concl. n° 357 du 30 mai 2016, p. 20) la présence de ces pièces résulte « sinon d’une exigence directe de la nomenclature, du moins d’une exigence contractuelle prévue par un acte de la nomenclature ». Il faut en effet concevoir que ces pièces exigées, telles que résultant de la lecture de la convention applicable, doivent être produites au comptable avant tout paiement.

Eléments de liquidation

113Sur la base des pièces justificatives produites, l’agent comptable doit pouvoir vérifier les éléments de liquidation avant de procéder au paiement. Lorsque les éléments fournis s’avèrent être insuffisants pour ce faire, l’agent comptable est tenu de suspendre le paiement. Ainsi, à propos de factures établies en vue du paiement d’une réception, la Cour a jugé que :

114« Attendu que la facture à l’appui du paiement n’indiquait ni les prix unitaires, ni les quantités fournies, c’est-à-dire les éléments de liquidation dont le comptable devait exiger la production ; que, de ce fait, la facture était incomplète et n’était pas conforme aux prescriptions de la nomenclature des pièces justificatives des dépenses de l’État ; que, par voie de conséquence, en payant la dépense au vu d’une pièce justificative incomplète et irrégulière, le comptable a manqué à ses obligations en matière de contrôle de la validité de la créance ; qu’ainsi, il y lieu de mettre en jeu sa responsabilité personnelle et pécuniaire à raison du paiement irrégulier » (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charge n° II-23).

115V ; également dans la rubrique « Attribution d’indemnités en l’absence de texte l’autorisant » : C. comptes, 28 juillet 2016, DRFIP de Corse et du département de la Corse-du-Sud, n° S 2016-2278

Dématérialisation des pièces justificatives

116Les démarches de dématérialisation entreprises au sein des agences comptables doivent permettre de réduire le volume des pièces justificatives (version papier) nécessaire à l’exécution des opérations de dépenses. Ces pièces existent toujours mais il faut, pour les consulter, utiliser la voie informatique. Il faut donc concevoir qu’à sa suite, le juge des comptes soit obligé de suivre la même voie, pour vérifier que les pièces justificatives étaient bien celles permettant au comptable de procéder au paiement. On peut donc s’étonner d’une décision aussi intransigeante de la Cour des comptes à propos de paiements (529 paiements au total) réalisés « au vu d’un simple listing informatique auquel les autres pièces justificatives des dépenses n’étaient pas jointes ». Pour s’en justifier, l’agent comptable avait indiqué « que la dématérialisation des états de frais de déplacement était mise en œuvre et que les services procédaient aux vérifications nécessaires à partir des factures dématérialisées et consultables directement dans l’application Chorus ; que ces pièces justificatives n’avaient pas été « rematérialisées » ni jointes au compte, en considération du coût financier de cette opération, du volume des pièces et du faible montant unitaire de chaque dépense ; que toutefois, elles avaient été transmises au rapporteur à sa demande ».

117Le juge des comptes a pourtant estimé :

118« Attendu qu’il résulte des faits et de la réponse de (l’agent comptable) que les paiements faits n’étaient appuyées d’aucune pièce justificative que le listing précité ; que, par voie de conséquence, en payant les dépenses sans disposer des justifications, le comptable a manqué à ses obligations en matière de contrôle de la validité des créances ; qu’il y a donc lieu d’engager sa responsabilité à ce titre » (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charge n° II-26).

119Il faut cependant relever que dans la suite de la décision, le juge des comptes retient :

120« Attendu que les pièces manquantes ont été transmises lors de l’instruction ; qu’il n’apparaît pas que les liquidations auraient été erronées ; que ces paiements n’ont ainsi pas causé de préjudice financier à l’État ; qu’eu égard aux circonstances en l’espèce, notamment au caractère dématérialisé de la gestion, dans l’application Chorus, des pièces justificatives des frais de déplacement, il n’y a pas lieu d’obliger (l’agent comptable) à s’acquitter d’une somme non rémissible à raison du manquement constaté ».

121Même rugosité à la lecture des conclusions du parquet : « Il s’agit certes de 529 menues dépenses, vraisemblablement de frais de déplacement, totalisant 14 756,92 euros, dont l’absence de justification n’est pas expliquée autrement que par l’embarras d’avoir à re-matérialiser ou à joindre au compte les pièces justificatives. Cette explication n’est ni convaincante, ni satisfaisante : l’absence totale de justification et l’impossibilité de vérifier les calculs de liquidation ne peut que conduire la Cour à prononcer un débet à concurrence des sommes versées » (Concl. n° 357 du 30 mai 2016, p. 21).

122La question de la dématérialisation des pièces justificatives prend ainsi et désormais une importance cruciale dans la détermination de la responsabilité de l’agent comptable. C’est ainsi déjà que la Cour des comptes s’était prononcée en défaveur de l’agent s’agissant de frais de déplacement pour lesquels elle ne pouvait constater l’apposition de la mention de « service fait » sur le mandat de paiement et la présence d’une signature électronique (Cour des comptes, 23 avril 2014, TPG des Landes, n° 69504). Les processus de dématérialisation semblent donc témoigner d’un décalage réel avec les attentes exprimées par le juge des comptes et les insuffisances constatées engagent la responsabilité des agents comptables concernés. C’est en ce sens que la Cour des comptes a engagé la responsabilité du contrôleur budgétaire et comptable placé auprès du ministre de l’écologie qui avait procédé au paiement de mandats sans avoir exercé un contrôle de la qualité de l’ordonnateur. En l’espèce, la mise en place d’un service en mode facturier s’était accompagné de la possibilité d’émettre un ordre de payer dématérialisé pour lequel la Cour des comptes a constaté « qu’il n’y avait pas toujours coïncidence entre les personnes habilitées à effectuer la transaction de certification dans l’outil informatique et les autorités ayant reçu délégation de signature du ministre pour engager les deniers publics » (C. comptes, 10 mars 2014, Service du contrôle budgétaire et comptable placé auprès du ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat, n° 69152).

123La Cour des comptes entrevoit toutefois la possibilité que ces problèmes liés aux démarches entreprises en vue de la dématérialisation de la chaîne de la dépense puissent, dans une certaine mesure, être pris en compte dans la détermination du niveau de responsabilité de l’agent comptable (dans l’hypothèse toutefois où le manquement reproché n’a pas causé de préjudice financier et emporte le prononcé d’une somme non rémissible) :

124« Considérant qu’il revient, dans l’appréciation des circonstances de l’espèce, de tenir compte du contexte dans lequel les dépenses de l’État ont été exécutées (…) marqué par la dématérialisation et par la réorganisation profonde de la chaîne de la dépense ; que la principale responsabilité d’une situation où le contrôle hiérarchisé de la dépense et l’application informatique faisaient agir le comptable en contradiction avec les textes, et où ces contrôles visant à éviter l’intervention de tiers non habilités dans la procédure de dépense n’étaient pas définis, incombe à l’administration centrale ; que, même dans ce contexte, le comptable devait mener des actions visant à s’assurer de la sécurité des habilitations dans l’application informatique ;

125Attendu qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en fixant le montant de la somme non rémissible à 200 € » - pour un montant possible de 1 021,50 € (C. comptes, 27 octobre 2014, TPG du Doubs, n° 70529).

Titres de recettes

126En matière de recettes, la responsabilité de l’agent comptable est le plus souvent engagée pour insuffisance des diligences. La Cour des comptes a également souligné « que la responsabilité du comptable ne (pouvait) être engagée pour la production trop tardive de créances dont il n’avait pas connaissance » (C. comptes, 28 juillet 2016, DDFIP des Yvelines – Service des impôts des entreprises de Versailles-Nord, n° S 2016-2377). Mais de manière exceptionnelle, le juge des comptes peut accepter de ne pas engager la responsabilité de l’agent comptable « au regard de la modestie des enjeux financiers » (C. comptes, 28 octobre 2016, Institut supérieur des sciences agronomiques, agroalimentaires, horticoles et du paysage (Agrocampus Ouest), n° S 2016-3318, charge n° 11).

Diligences du comptable

127L’agent comptable a fait preuve de diligences suffisantes en adressant, par lettre recommandé avec avis de réception, une mise en demeure au président du conseil général, de mandater et de régler, en urgence, une série de titres de recettes émis à l’encontre du département. Dans la liste jointe à cette mise en demeure, les titres étaient identifiés par leur numéro, leur date d’émission, leur objet et leur montant. Cette démarche a eu pour effet d’interrompre la prescription de ces titres de recettes et ainsi de préserver les intérêts de la caisse publique (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charge n° I-1 également charge n° II-10). En revanche, si l’agent comptable se trouve dans l’impossibilité de prouver que les réclamations de créance de l’État ont été reçues par l’organisme débiteur avant l’expiration du délai de prescription, sa responsabilité est engagée (même décision, charge n° I-3).

128Bien évidemment « lorsque l’exercice d’une diligence est subordonné à l’autorisation de l’autorité hiérarchique, le comptable public dégage sa responsabilité à cet égard en demandant cette autorisation, indépendamment des chances de succès de celle-ci ou du sens de la décision de l’autorité supérieure » (C. comptes, 28 juillet 2016, DRFIP des Yvelines, Service des impôts des entreprises (SIE) de Saint-Quentin-Est et de Saint-Quentin-Ouest, n° S 2016-2373).

129À l’inverse, n’a pas fait preuve de diligences suffisantes, l’agent comptable qui « reconnaît ne pas avoir consulté le BODDAC lors de la mise en liquidation judiciaire de la société (…), ne pas avoir adressé une déclaration de créance au liquidateur judiciaire et ne pas avoir demandé un relevé de forclusion », qui « ne s’est pas inquiété de savoir si le débiteur faisait ou non l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire » alors que « deux courriers de relance (n’ont) jamais été retirés » et qui invoque « l’effet de surprise de la procédure de mise en liquidation judiciaire » (C. comptes, 27 septembre 2016, Agence française de lutte contre le dopage, n° S 2016-2943).

Délai de prescription

130Les délais de prescription applicables au recouvrement de recettes publiques varient en fonction de la nature de ces dernières. C’est ce que rappelle la Cour des comptes à propos de fonds de concours :

131« Attendu que les fonds de concours n’ont pas le caractère de recettes fiscales ; que les délais de prescription à retenir sont ceux de droit commun prévus par le code civil, trentenaire, puis quinquennal ; qu’ainsi, à la sortie de fonctions de (l’agent comptable), le délai de recouvrement des créances (n’avait pas encore expiré) ; que les créances en cause ne se trouvaient donc pas atteintes par la prescription ; que, dès lors, il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire de ce comptable à ces motifs » (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charge n° II-12).

Admission en non-valeur

132L’admission en non valeur sollicitée par l’agent comptable, peut être justifiée par « le coût et la difficulté des procédures existantes, exequatur ou recours à une société spécialisée de recouvrement (s’agissant d’une créance détenue sur un redevable étranger) » mais, même en de telles circonstances, la Cour des comptes rappelle que « l’admission en non-valeur n’est pas de nature à exonérer le comptable de sa responsabilité à raison de l’absence ou de l’insuffisance des diligences qu’il lui appartient d’effectuer en matière de recouvrement ». En l’espèce, toutefois, la Cour retient que l’agent comptable « n’est pas resté inactif ; que l’instruction a montré que la solution retenue par l’établissement ne résulte pas du désintérêt du comptable pour le recouvrement de la créance mais d’un choix justifié par l’examen des conditions de recouvrement, notamment de la comparaison entre le montant à recouvrer et le coût de mise en place d’une procédure de recouvrement contentieux à l’étranger ; que, compte tenu des circonstances de l’espèce, l’agent comptable n’a pas manqué à ses obligations » (C. comptes, 28 octobre 2016, Institut supérieur des sciences agronomiques, agroalimentaires, horticoles et du paysage (Agrocampus Ouest), n° S 2016-3318).

133Si l’agent comptable a la possibilité de justifier auprès du juge des comptes de l’admission en non-valeur de certaines recettes encore faut-il qu’il puisse produire les pièces le justifiant … sauf si les services de la Cour l’autorise à les détruire. En l’espèce, la Cour des comptes a relevé que « par une note du 2 octobre 2014, le chef du greffe de la Cour des comptes a donné son accord à la destruction des pièces justificatives relatives aux dites dépenses ; que, par voie de conséquence, les justifications des admissions en non-valeur de l’exercice (…) ont été détruites ; qu’ainsi le comptable ni ne peut justifier les opérations litigieuses, ni ne peut être tenu pour responsable de cette impossibilité ; que dès lors, il n’y a pas lieu de mettre en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire de (l’agent) à ces motifs » (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charge n° I-4).

134Nous découvrons, à la lecture de cette espèce, que le chef du greffe a ainsi la possibilité de donner son accord à la destruction de pièces justificatives…

Réserves formulées par l’agent comptable

135La jurisprudence est des plus classiques : « Faute d’avoir émis des réserves sur les comptes de son prédécesseur, la responsabilité pécuniaire (de l’agent comptable) s’étend à toutes les opérations du poste comptable qu’il dirige depuis la date de son installation » mais encore faut-il que l’agent comptable émette ces réserves et fasse ainsi la preuve du sérieux qui s’impose dans l’exercice de telles fonctions (C. comptes, 28 octobre 2016, Institut national d’enseignement supérieur et de recherche agronomique et agroalimentaire de Rennes (agrocampus Rennes) Ille-et-Vilaine, n° 2016-3316).

136Lors de sa prise de fonctions, un agent comptable a, en effet, la possibilité de formuler des réserves sur la gestion de son (ses) prédécesseur(s). Lorsqu’elles sont précises et motivées, ces réserves sont de nature à l’exonérer de sa responsabilité. Sont considérées comme précises et motivées, les réserves portant « sur l’ensemble des opérations composant le solde à la remise de service, s’agissant d’écritures comptables relevant de la responsabilité des comptables précédents ; que la liste des opérations formant le solde du compte et, pour chacune, leur détail faisaient l’objet d’une annexe auxdites réserves ; (…) qu’à son entrée en fonctions, (l’agent comptable) s’était aperçu que le compte (…) comportait des montants non régularisés ; qu’avant de formuler ses réserves, il avait diligenté une enquête dans ses services à l’issue de laquelle il était apparu qu’aucune régularisation n’était possible ; que ce constat l’avait conduit à émettre une réserve sur la totalité des opérations formant le solde du compte » (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charge n° II-1).

Circonstances de force majeure

137La Cour des comptes rappelle « qu’un événement doit être imprévisible, irrésistible et extérieur pour constituer une circonstance de force majeure ». Ainsi, au constat de diligences insuffisantes dans le recouvrement de titres de recettes, la Cour de comptes relève « qu’en l’espèce, la grève a pu par sa durée, être une cause de désorganisation du service comptable ; qu’il n’est pas démontré, cependant, qu’en raison de ces difficultés, l’agent comptable a été dans l’impossibilité, pendant l’événement, d’agir autrement qu’il ne l’a fait ; qu’à cet égard, il y a lieu de considérer que le défaut de diligences dans le recouvrement des factures en cause résulte des priorités que l’agent comptable a lui-même fixées ; qu’au surplus, la circonstance que ces choix aient pu être opérés dans l’intérêt du fonctionnement du port est sans effet sur l’office du juge des comptes » (C. comptes, 30 septembre 2016, Port autonome de la Guadeloupe, n° S 2016-2766).

138Les difficultés d’exercice de la fonction comptable, de même que l’implantation d’un nouveau logiciel informatique ou les « contraintes de personnel » récurrentes ainsi que l’impossibilité matérielle de prendre une décision budgétaire modificative ne sauraient être qualifiées comme étant de force majeure (C. comptes, 13 octobre 2016, Commune de Montesquieu-Lauragais, n° S 2016-3153).

139Alors que des heures supplémentaires ont été payées par l’agent comptable sans que celui-ci dispose de toutes les pièces justificatives prévues par la réglementation, la chambre régionale des comptes retient, en raison de la maladie de ce dernier, des circonstances constitutives de force majeure justifiant que sa responsabilité ne soit pas mise en jeu.

140Jugement dont le procureur financier près cette chambre décide de faire appel, estimant que « la chambre régionale des comptes a soulevé d’office à tort le moyen de fond de force majeure en l’extrapolant des termes de la réponse du comptable (…) qui s’était contenté de mentionner de graves problèmes de santé tout en assumant sa responsabilité ; que sa décision s’est trouvée ainsi viciée, le juge ayant statué ultra petita ».

141Saisie, la Cour des comptes a rappelé qu’en application des dispositions de l’art. 60 de la loi de 1963, lorsque le juge des comptes constate l’existence de circonstances constitutives de la force majeure, il ne met pas en jeu la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable public. Elle en déduit « que dès lors, en application de la loi, il appartient au juge de constater ou non cette existence à partir des éléments de fait portés à sa connaissance ». « Le jugement entrepris ne saurait donc être considéré comme irrégulier pour le motif soulevé par le Procureur général ».

142Mais le Procureur contestait également la décision de la CRC au motif qu’elle n’avait pas « établi que la maladie du comptable était, en l’espèce, une circonstance de force majeure », rappelant « qu’un événement, pour être considéré comme de force majeure, doit posséder trois caractéristiques, à savoir être extérieur, imprévisible et irrésistible ; qu’il relève que le jugement ne se prononce ni sur l’extériorité, ni sur l’imprévisibilité mais seulement sur l’irrésistibilité », contestant d’ailleurs ce dernier… Une argumentation accueillie par la Cour des comptes qui a retenu « que les congés pour maladie ou pour longue maladie octroyés au comptable n’ont pas interrompu le fonctionnement du poste comptable ; que sa hiérarchie n’a désigné un intérimaire que près de quatre mois après le début de son congé pour longue maladie ; qu’ainsi le caractère d’irrésistibilité n’est, en fait, pas établi ; que par conséquent, il n’y a pas lieu de constater, en droit, l’existence de circonstances constitutives de force majeure exonératoires de responsabilité » (C. comptes, 21 juillet 2016, Commune de Rauville-La-Rigot, n° S 2016-2434).

Identification du préjudice financier

143L’identification du préjudice financier constitue, indéniablement, la difficulté essentielle du nouveau régime de responsabilité des comptables publics. Selon qu’il y a ou non préjudice, le niveau de responsabilité encouru par l’agent comptable va différer significativement.

144L’analyse jurisprudentielle dévoile des principes au moyen desquels le juge des comptes entend désormais identifier ce préjudice financier – à la manière d’un tableau d’analyse fixant un cadre général, un mode d’emploi en fonction duquel la jurisprudence financière a vocation à s’ordonner :

145- « Attendu que le défaut de recouvrement d’une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique créancière ; que le préjudice n’est absent que dans l’hypothèse où la collectivité publique créancière n’aurait pas pu être désintéressée, quand bien même le comptable aurait satisfait à ses obligations en matière de recouvrement de la créance » (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charge n° I-3. Egalement C. comptes, 28 juillet 2016, DDFIP du Val-de-Marne, Service des impôts des entreprises (SIE) de Choisy-le-Roy, n° S 2016-2442. C. comptes, 19 octobre 2016, Direction des résidents à l’étranger et des services généraux, n° S 2016-3183) ;

146- « Attendu qu’un manquant en monnaie ou en valeurs est constitutif d’un préjudice financier au détriment de la personne publique concernée » (C. comptes, 6 septembre 2016, Trésorerie générale et DRFIP de Picardie et du département de la Somme, n° S 2016-2855) ;

147- « Attendu que les paiements d’indemnités au-delà des montants prévus par les textes sont indus et par conséquent constitutifs d’un préjudice financier au détriment de la personne publique concernée » (C. comptes, 6 septembre 2016, Trésorerie générale et DRFIP de Picardie et du département de la Somme, n° S 2016-2855) ;

148- « Attendu que les paiements en l’absence de crédits disponibles sont des paiements sans autorisation de l’autorité budgétaire, qu’ils sont donc indus » (C. comptes, 13 octobre 2016, Arrêtés conservatoires de débet – Institut français de recherche en Iran, n° S 2016-3199) ;

149- « Attendu que l’annulation non justifiée de titre de recettes (…) est constitutive d’un préjudice » (C. comptes, 28 octobre 2016, Institut supérieur des sciences agronomiques, agroalimentaires, horticoles et du paysage (Agrocampus Ouest), n° S 2016-3318).

150Mais derrière ces « théorèmes financiers », les difficultés auxquelles sont confrontés les juges des comptes s’avèrent être importantes et l’analyse doit se faire nuancée. Ainsi « le paiement sur la base de photocopies de facture ne suffit pas à conférer un caractère indu à la dépense » (C. comptes, 13 octobre 2016, Arrêté conservatoire de débet Centre culturel français de Bagdad, n° S 2016-3174, charges n° 2, 6 et 8).

151L’illustration est d’autant plus patente lorsque le juge des comptes et son ministère public portent, sur le manquement reproché, une appréciation différente, l’un retenant un préjudice financier là où l’autre l’a écarté… Choc frontal dont la Cour des comptes peut être amenée à connaître lorsque le procureur financier près une chambre régionale des comptes vient contester, devant elle, le jugement rendu. C’est d’un tel choc dont la Cour des comptes a eu à connaître dans l’affaire « Commune de Lamentin ». Saisie par le procureur financier près la chambre régionale des comptes qui lui demandait, notamment, d’annuler le jugement au motif qu’il était insuffisamment motivé en ce qu’il ne discutait pas des moyens du ministère public, la Cour qui a estimé :

152« Attendu que si le jugement entrepris cite (au dernier paragraphe de sa page 6 et au premier paragraphe de sa page 7) les conclusions du procureur financier relatives au préjudice financier causé à la commune par le manquement des comptables, il ne les examine pas, ni ne les discute ; qu’il se borne, sur la base de dispositions du code civil, à tirer de l’ancienneté des faits, le caractère non établi du préjudice ;

153Attendu que le simple exposé des arguments n’est pas de nature, en l’absence de leur discussion, à répondre aux conditions de motivation posées par les textes, en particulier l’article R. 242-10 du code des juridictions financières (…) ; qu’il y a lieu en conséquence de retenir le moyen du procureur financier et d’annuler le jugement entrepris de la chambre régionale des comptes de Guadeloupe, dans ses dispositions statuant sur la présomption de charges n° 2 pour la rémunération de cinq agents en l’absence d’actes d’engagement et mettant à la charge (des agents comptables concernés) une somme irrémissible de 150 € chacun » (C. comptes, 7 juillet 2016, Commune de Lamentin, n° S 2016-2018).

154Le suspens n’est toutefois pas totalement levé car la Cour des comptes a refusé d’évoquer l’affaire estimant que « faute d’éléments suffisants dans le dossier de l’appel sur les rémunérations litigieuses des cinq agents concernés », elle ne se trouve « pas en état de statuer » et décide donc de renvoyer l’affaire devant la chambre régionale des comptes. À suivre donc…

155Cette espèce témoigne ainsi de la rigueur avec laquelle les juges des comptes sont tenus de motiver leurs décisions. Sur ce point, les conclusions du ministère public sont éclairantes :

156« La jurisprudence d’appel est exigeante en matière de motivation. Avant même l’introduction dans le code de la disposition devenue l’actuel article R. 242-10, par le décret du 19 décembre 2008, la Cour, si elle admettait une motivation sommaire des jugements, exigeaient que ceux-ci répondissent aux éléments de fait et de droit présentées par les parties, y compris le ministère public (CC 24 janvier 2008, Centre hospitalier de Thiers, Rec. P. 6). Cette motivation peut être implicite dès lors qu’elle est dépourvue d’ambiguïté (CC 16 janvier 1997, Département des Bouches-du-Rhône – Association pour le développement des études et techniques départementales des Bouches-du-Rhône (Adeted), rec. p. 4).

157La jurisprudence applicable aux instances postérieures à 2008 confirme « qu’un jugement qui omet de discuter, fût-ce succinctement, une observation présentée, est entaché d’irrégularité » (CC 26 janvier 2012, Communauté de communes des côtes de Combrailles, GFP n° 3-4/2014, p. 109 ; 24 octobre 2013, Commune de Brue-Auriac, Rec. p. 163). A cet égard, le simple exposé d’un argument qui n’est ensuite pas discuté, le juge se contentant de se référer à son seul raisonnement, n’est pas de nature à répondre aux conditions de motivation posées par les textes, sous peine de priver de toute portée l’article R. 241-41.

158La Cour pourra considérer qu’en l’espèce, si le jugement est précisément motivé, il n’assure pas une contradiction parfaite en ne répondant pas aux arguments du ministère public. Elle serait fondée à en prononcer l’annulation » (Concl. n° 310 du 12 mai 2016, Appel d’un jugement de la chambre des comptes de Guadeloupe – Commune du Lamentin).

159C’est une demande similaire qui est faite par le procureur financier près la chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur à la suite d’un jugement par lequel cette chambre a prononcé une somme non rémissible à l’encontre de l’agent comptable ayant pris en charge un mandat d’annulation d’un titre de recettes en l’absence des pièces justificatives requises. De la même manière, le procureur financier appelant demandait « à la Cour d’annuler le jugement entrepris, en premier lieu en invoquant une insuffisance de motivation, la chambre régionale des comptes ayant omis de citer et discuter certains de ses arguments, puis en tant qu’il n’a pas considéré que le mandat d’annulation d’un titre de recette n’avait pas du fait des manquements du comptable à ses obligations de contrôle, conduit à un préjudice financier pour la commune de Risoul » (C. comptes, 21 juillet 2016, Commune de Risoul, n° S 2016-2429).

160Sur l’insuffisance de motivation, les prétentions du procureur financier sont, cette fois, rejetées par la Cour des comptes :

161« Attendu que si la chambre régionale affirme dans son jugement que la responsabilité du comptable est mise en jeu « sans ambiguïté » sur le fondement d’une dépense qui aurait été irrégulièrement payée et non pas pour une recette qui n’aurait pas été recouvrée, il ne saurait être conclu à une insuffisance de motivation, dès lors que la chambre justifie les raisons pour lesquelles elle est amenée à considérer que l’opération en cause doit s’analyser en une transaction et non en une annulation de titre, répondant ainsi aux conclusions du ministère public qui ne prenaient pas position sur la solution à retenir ; qu’en effet, le jugement précise « que le mandat qu’on lui reproche d’avoir pris en charge n’a pas fait l’objet d’un paiement mais d’une opération d’ordre car en contrepartie de sa prise en charge au début d’un compte budgétaire, il n’y a pas eu décaissement mais apurement du compte de tiers où figurait le reste à recouvrer ; que, cependant, l’opération en cause ne correspond pas à une annulation de titre mais à une compensation légale effectuée entre un paiement qui devait être fait à la contrepartie pour acquérir ses matériels et un encaissement lui permettant de solder sa dette (…) ; que cette opération devait être autorisée par le conseil municipal car elle découlait d’une transaction « ; qu’en l’état de cette motivation, il ne saurait être reproché à la chambre une argumentation insuffisante en réponse aux fondements juridiques exposés dans le réquisitoire et les conclusions du ministère public, de nature à pouvoir engager la responsabilité personnelle et pécuniaire du comptable ;

162Attendu qu’en outre, l’appelant considère que la chambre a omis de discuter l’un de ses arguments relatifs à l’existence d’un préjudice financier ; que le procureur financier avançait en effet qu’une transaction obligeant à des concessions réciproques, la commune ne pouvait logiquement être indemnisée de la totalité du montant dû ;

163Attendu que si l’élément susmentionné n’a pas été formellement exposé par la chambre lors du rappel des conclusions du ministère public, le jugement souligne que si elle est équitable, une transaction ne crée pas a priori de préjudice ; que cette mention, certes succincte, constitue bien un rejet de l’argument invoqué par le ministère public ;

164Attendu que l’obligation de motivation n’exige pas la reprise littérale de chacun des éléments présentés par le ministère public ; que le jugement s’est attaché à présenter et à discuter l’ensemble des éléments contenus dans les conclusions du ministère public ; qu’il ne saurait ainsi lui être reproché de manquer en motivation ; que par suite, ce moyen est à écarter ».

165Sur l’appréciation du préjudice financier subi, la Cour indique :

166« Attendu que la chambre ayant décidé d’analyser la responsabilité du comptable, à partir de la pièce produite à l’appui du mandat litigieux, soit la transaction, ainsi que l’envisageait aussi le ministère public dans son réquisitoire, l’appelant considère que l’absence de délibération du conseil municipal autorisant « la transaction » qui constitue le manquement retenu par le jugement entrepris, invalidait cette « transaction » et que la perte de recette résultant de la « transaction » constituait un préjudice financier pour la commune, appauvrie par la perte de créance ; qu’il ajoute que la transaction ne précisait, ni ne valorisait le matériel remis en contrepartie de l’extinction de la créance ; qu’enfin, selon le procureur financier, une transaction impliquant par nature des concessions réciproques, emporte intrinsèquement l’existence d’un préjudice financier ;

167Attendu que la chambre régionale des comptes a jugé que le préjudice financier n’était pas certain dès lors que la perte de recette aux dépens de la commune était compensée par du matériel d’animation ; que le comptable fait valoir également, dans son mémoire en défense susvisé, que le préjudice financier qu’aurait causé à la commune l’absence de délibération à l’appui de la transaction jointe au mandat présente un caractère incertain puisque la perte de recette aux dépens de la commune a été compensée par du matériel d’animation ;

168Attendu cependant qu’en l’absence de décision prise par l’assemblée délibérante de la commune, seule autorité compétente pour autoriser la transaction, à défaut de délégation de compétence à l’ordonnateur en ce domaine, celle-ci était dépourvue de base juridique ; qu’en conséquence, la dépense en résultant présente un caractère irrégulier et indu et doit être regardée comme préjudiciable à la collectivité ; que dès lors la chambre a commis une erreur de droit en considérant qu’il n’a pas été causé de préjudice financier à la commune de Risoul ; que par suite, le moyen de l’appelant doit être accueilli et le jugement entrepris infirmé en tant qu’il a mis à la charge du comptable une somme non rémissible ».

169À ce sujet, le ministère public a d’ailleurs été particulièrement acerbe quant à l’appréciation portée par les premiers juges :

170« Plus généralement, toute l’argumentation du jugement pour démontrer l’absence de préjudice repose sur des hypothèses, voire des supputations comme le montre l’usage du conditionnel ou les expressions qui montrent que le juge a renoncé à établir la matérialité des faits et la qualification qui en découle. Alors que le ministère public s’était attaché à démontrer, à la lumière de l’état actuel de la jurisprudence, l’existence d’un préjudice, aussi bien dans le cas où l’on considère que l’opération doit être regardée comme une annulation de titre que s’il s’agit d’une transaction, le jugement procède par affirmation et par présomption, sans prouver, comme il lui incombe, l’absence de préjudice » (Concl. n° 434 du 30 juin 2016, Appel d’un jugement de la chambre des comptes de Provence-Alpes-Côte d’azur – Commune de Risoul, p. 5).

171Evoquant l’affaire, la Cour des comptes a retenu le caractère indu du paiement et mis le comptable en débet…

Non recouvrement de titres de recettes

172Aux termes d’un attendu qui résume parfaitement la perception du préjudice financier qui doit résulter du non recouvrement d’une recette, la Cour des comptes souligne :

173« Attendu que le défaut de recouvrement d’une créance cause par principe un préjudice financier à la collectivité publique créancière ; que le préjudice n’est absent que dans l’hypothèse où la collectivité publique créancière n’aurait pas pu être désintéressée, quand bien même le comptable aurait satisfait à ses obligations » (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charge n° I-3. Egalement C. comptes, 28 juillet 2016, DDFIP du Val-de-Marne, Service des impôts des entreprises (SIE) de Choisy-le-Roy, n° S 2016-2442).

174En particulier, la preuve que la collectivité publique créancière n’a pas pu être désintéressée ne peut être apportée alors que la qualité du débiteur témoigne de sa solvabilité. C’est ce que l’on peut déduire de la suite de cet attendu bien que selon la formulation retenue (caractère public du créancier qui doit être compris comme caractère public du débiteur - une erreur de plume vraisemblablement), l’interprétation apparaissait malaisée :

175« Que, toutefois, au cas d’espèce, cette preuve n’est pas apportée ; qu’au contraire, le caractère public du créancier témoigne de sa solvabilité ; que dès lors le manquement de (l’agent comptable) à ses obligations en matière de recouvrement des recettes a causé à l’État un préjudice dont le montant est égal à celui de la recette non recouvrée ».

176Egalement responsables « les comptables successifs (qui) n’ont jamais demandé l’émission d’un titre en vue du recouvrement (d’une) somme indue ; que, par cette inaction (…), la créance s’est trouvée prescrite (…) ; que s’agissant d’une créance détenue sur une collectivité publique solvable, et dont la prescription pouvait être interrompue par l’émission d’un simple titre et la preuve de sa réception, il y a lieu de considérer que la perte de la créance est imputable à (l’agent comptable) qui pouvait encore utilement agir » (C. comptes, 6 septembre 2016, Trésorerie générale et DRFIP de Picardie et du département de la Somme, n° S 2016-2855).

177Même conséquence tirée par la Cour des comptes alors qu’ « il ressort du dossier que l’existence d’un patrimoine détenu en propre par le dirigeant de la société aurait pu permettre, le cas échéant, de désintéresser au moins partiellement le Trésor ; que le fait que la procédure collective portant sur la société ait été close pour insuffisance d’actif est indifférent à cet égard, même à supposer qu’aucun créancier n’ait été désintéressé à cette occasion, s’agissant d’un manquement concernant une absence de proposition de poursuite du dirigeant et non de la société elle-même » (C. comptes, 28 juillet 2016, DRFIP des Yvelines, Service des impôts des entreprises (SIE) de Poissy-Nord, n° S 2016-2335).

178Bien évidemment, la preuve n’est pas apportée lorsqu’ « il ressort du dossier que l’existence d’un patrimoine détenu en propre par le dirigeant (d’une) société (en raison d’impôts non payés) aurait pu permettre de désintéresser, ne serait-ce que partiellement le Trésor » (C. comptes, 28 juillet 2016, DRFIP des Yvelines, Service des impôts des entreprises (SIE) de Saint-Quentin-Est et de Saint-Quentin-Ouest, n° S 2016-2373).

179De même, alors qu’une procédure de conciliation a été engagée à la demande de la société qui a obtenu une remise partielle de 76,76 % du passif public octroyée en application de l’article L. 626-6 C. commerce et que l’agent comptable « en déduit que si les créances en cause avaient été incluses dans cette conciliation, seul un recouvrement très partiel aurait pu être obtenu », la Cour des comptes retient « que rien ne permet de déterminer quels auraient été les termes de la conciliation accordée par le tribunal (…), notamment quelle remise aurait pu être faite sur le passif si le comptable avait préservé le recouvrement de la créance litigieuse ; que devant l’impossibilité de déterminer à quelle hauteur l’État aurait alors été désintéressé, il y a lieu de considérer que le préjudice correspond à l’intégralité de la créance non recouvrée » (C. comptes, 28 juillet 2016, DDFIP du Val-de-Marne, Service des impôts des entreprises (SIE) de Choisy-le-Roi, n° S 2016-2442).

180En revanche, la Cour des comptes rappelle (inspirée en cela par son juge de cassation), que la circonstance « qu’à la date du manquement, la recette était irrécouvrable en raison notamment de l’insolvabilité de la personne qui en était redevable (…) peut être établie par tous documents, y compris postérieurs au manquement » (C. comptes, 27 septembre 2016, Agence française de lutte contre le dopage, n° S 2016-2943). Ainsi, et en l’espèce, alors qu’il est établi « qu’aucun créancier déclaré n’a pu recouvrer sa créance en l’absence d’actif ; que cela est confirmé par l’état de reddition des comptes de la société transmis par le liquidateur judiciaire » et alors « que, dans ses conclusions, le Procureur général fait valoir que les informations communiquées, postérieurement au manquement, par le liquidateur, fournissent un indice suffisant de l’impécuniosité de la procédure de liquidation ».

Paiement et ordonnateur incompétent

181Une dépense engagée par un ordonnateur incompétent doit conduire l’agent comptable à en refuser le paiement. À défaut, sa responsabilité est engagée et mise en cause au moyen d’un débet, la dépense étant nécessairement, dans ces conditions, indue :

182« Attendu qu’ayant été engagées par un ordonnateur nécessairement incompétent, les dépenses en cause ne constituent donc pas des dettes de l’organisme et que leur paiement était indu » (C. comptes, 30 septembre 2016, Chambre départementale d’agriculture de la Meuse, n° S 2016-3095).

183La question se pose toutefois de la prise en considération de la volonté exprimée de l’ordonnateur compétent. Avec cette même espèce, la Cour des comptes a retenu :

184« que l’attestation de l’ordonnateur, postérieure à la date du paiement, est sans incidence sur cette situation et ne peut justifier valablement de la volonté de l’ordonnateur avant le paiement ;

185Attendu ainsi, que le manquement du comptable a causé un préjudice à la chambre d’agriculture ».

186Déjà en chambres réunies, la Cour des comptes avait retenu :

187« Attendu que le paiement d’un mandat en l’absence d’un ordre de payer signé par un ordonnateur habilité constitue en principe une dépense indue ; que ne figure au dossier aucune preuve qui attesterait de la volonté expresse de l’ordonnateur compétent de l’époque d’ordonnancer la dépense » (C. comptes, ch. Réunies, 26 mai 2016, Direction régionale des finances publiques de Rhône-Alpes et du département du Rhône, n° S 2016-1602, charge n° 10).

188Comme le souligne le parquet dans ses conclusions sur l’espèce Chambre d’agriculture de la Meuse :

189« Le défaut de contrôle, au stade de l’ordonnancement, de la qualité de l’ordonnateur est ainsi constitutif d’un manquement avec préjudice financier sauf à ce que figure au dossier une pièce qui attesterait la volonté de l’ordonnateur d’ordonnancer la dépense ». Le parquet souligne toutefois que « l’arrêt (des chambres réunies du 26 mai 2016) n’indique pas si cette pièce doit être antérieure au paiement. Cependant, cette exigence paraît pouvoir se déduire du sens général de la jurisprudence sur la prise en compte de la volonté de la personne publique depuis l’arrêt Communauté de communes du Saint-Affricain. Là encore la solution est aisément transposable à la signature de l’acte d’engagement par une personne incompétente.

190En l’espèce, un certificat de l’ordonnateur compétent au moment des faits a été produit. Dans le respect de la jurisprudence suscitée et du principe selon lequel, en dépenses, le manquement comme le préjudice s’apprécient au moment du paiement (quoi qu’il soit loisible à l’agent comptable de produire des éléments à décharge à tout moment de l’instance), il conviendrait d’écarter l’attestation du président de la chambre départementale d’agriculture comme postérieure aux faits et ne pouvant donc justifier valablement une volonté de l’ordonnateur préexistant au paiement » (Concl. n° 472 du 8 juillet 2016, Chambre départementale d’agriculture de la Meuse, p. 11) – ce qu’a fait la Cour des comptes en procédant à la mise en débet de l’agent comptable.

191L’antériorité apparaît ainsi nécessaire lorsqu’il s’agit de prouver la volonté de l’ordonnateur. C’est ainsi qu’est engagée la responsabilité de l’agent comptable qui n’a pas pu apporter « la preuve que la volonté du conseil municipal de remettre les pénalités » avait « été exprimée antérieurement aux paiements litigieux » (C. comptes, 16 octobre 2014, Commune de Saint-Sulpice, n° 71017, Gestion et fin. publ. 2015, n° 11-12, p. 148 - L’identification du préjudice financier dans le cadre du nouveau régime de responsabilité des comptables publics).

Paiement d’une subvention en l’absence de convention

192La règle est connue : le paiement d’une subvention versée à une association suppose la production d’une convention dès lors que son montant dépasse les 23 000 € (C. comptes, 6 septembre 2016, Trésorerie général et DRFIP de Picardie et du département de la Somme, n° S 2016-2855). Plus délicate est l’identification du préjudice financier alors que le paiement a eu lieu en l’absence de cette convention.

193Les orientations jurisprudentielles s’avèrent être discordantes à ce sujet. À ce propos, la Cour des comptes avait retenu qu’en pareille hypothèse, le manquement avait occasionné un préjudice financier justifiant la mise en débet de l’agent comptable (C. comptes, 7e ch., 10 mars 2014, Grand port maritime de Dunkerque, n° 69134. Egalement C. comptes, 27 juin 2014, Syndicat mixte du pays de Saintonge romane, n° 70 147 - alors que le comptable n’a pu établir la volonté expresse de l’organe délibérant). En sens inverse, la 1re chambre de la Cour des comptes a pu retenir que le versement d’une telle subvention à une association, en l’absence de cette convention, n’avait pas causé de préjudice financier, estimant que l’instruction n’avait pas permis de révéler ni que ces paiements étaient indus, ni qu’ils avaient, de quelque autre manière, causé un préjudice financier à l’État (C. comptes, 1re ch., 22 juillet 2015, Direction régionale des finances publiques d’Aquitaine et du département de la Gironde, n° 72551, charge n° 6).

194La Cour des comptes a sommairement évoqué le sujet dans son rapport public annuel (févr. 2016, p. 43) en indiquant que « dans la plupart des cas, la Cour juge que l’absence de convention (est) justiciable d’une simple somme non rémissible ; en revanche, elle (estime) la dépense indue (et prononce) des débets lorsque le comptable n’établit pas la volonté expresse de l’organe délibérant de voir attribuer une subvention à tel ou tel bénéficiaire ». C’est dans ce cadre que s’inscrit l’espèce DRFIP de Picardie à l’occasion de laquelle la Cour des comptes a estimé que « la volonté de l’ordonnateur d’octroyer les subventions » était établie et qu’ainsi, les paiements n’avaient pas causé de préjudice financier à l’État (C. comptes, 6 septembre 2016, Trésorerie générale et DRFIP de Picardie et du département de la Somme, n° S 2016-2855).

Appréciation du service fait

195La Cour des comptes a déjà jugé qu’un paiement réalisé sans que la preuve du service fait soit apportée, constitue un indu (notamment C. comptes, 26 mai 2016, DRFIP de Rhône-Alpes, Gestion et fin. publ. 2016, n° 6 p. 159).

196Mais alors qu’un paiement a été réalisé « au vu d’une facture sur laquelle la mention certifiant le service fait, n’était pas signée ; que le bon de commande produit à l’appui de la dépense, établi à une date postérieure à celle de la facture, portait la mention certifiant le service fait mais que ladite mention avait été signée par une personne non habilitée par l’ordonnateur », le préjudice financier n’est pas avéré dès lors que « la réalité des prestations n’est pas contestée ; qu’il ressort du dossier que les paiements ne sont pas, en l’espèce, indus ; qu’il y a lieu de considérer que le manquement n’a pas causé de préjudice financier » (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charges n° II-16, II-17). Même chose lorsque « la volonté de l’ordonnateur compétent d’ordonnancer la dépense est (…) établie » (C. comptes 19 juillet 2016, Trésorier payeur général puis Directeur régional des finances publiques de Guadeloupe, n° S 2016-2313, charge n° II-18).

197Même logique dans l’espèce Chambre départementale d’agriculture de la Meuse alors que « les documents produits lors de l’instruction, notamment les factures relatives au remboursement des analyses par les éleveurs, le marché d’entretien d’un photocopieur joint aux mandats, les attestations relatives à des fournitures administratives, les factures jointes aux mandats relatifs à des frais de réception, attestent de la réalité des prestations, que dès lors la dépense ne revêt pas un caractère indu, qu’en conséquence les manquements ne sont pas constitutifs d’un préjudice financier pour la chambre d’agriculture » (C. comptes, 30 septembre 2016, Chambre départementale d’agriculture de la Meuse, n° S 2016-3095).

198Alors que des indemnités sont payées par l’agent comptable sans qu’il dispose de toutes les justifications prévues par la réglementation, la Cour des comptes retient, très logiquement, un manquement engageant sa responsabilité. Il convient ensuite de déterminer si ce manquement a ou non causé un préjudice financier – ce qui constitue une réelle problématique lorsque les indemnités sont versées en contrepartie d’heures supplémentaires qui ont été réalisées. S’il y a bien eu service fait, le juge des comptes se refuse toutefois à en conclure qu’il n’y pas eu de préjudice financier :

199« Attendu que le conseil municipal est seul compétent pour instituer un régime indemnitaire au profit d’agents communaux et plus particulièrement, fixer la liste des emplois pour lesquels le paiement d’indemnités horaires pour travaux supplémentaires est autorisé ; qu’à défaut d’une telle délibération, aucune indemnité horaire pour travaux supplémentaires n’était due par la commune ;

200Attendu que le comptable et le maire de la commune ont fait valoir que les paiements litigieux n’avaient pas causé de préjudice financier à la commune au motif qu’elle avait préféré demander à un agent communal de faire des heures supplémentaires, à raison d’un alourdissement inhabituel de sa charge de travail, plutôt que de recruter un nouvel agent ;

201Attendu que le service fait en contrepartie des indemnités allouées n’est pas contesté ; que toutefois, si le service est une condition nécessaire pour qu’un paiement soit dû, ce n’est pas une condition suffisante ;

202Attendu par ailleurs que l’existence d’un préjudice financier causé par un manquement du comptable, relève de la seule appréciation du juge financier ; que si, au regard du caractère contradictoire de la procédure, il doit tenir compte pour ce faire des dires du comptable ou de l’ordonnateur, il n’est pas tenu par eux ; il n’est pas davantage tenu par un acte de l’organe délibérant postérieur au manquement ;

203Attendu qu’il y a lieu, dans ces conditions, de considérer que le paiement par le comptable de sommes non dues par la commune lui a causé un préjudice financier » (C. comptes, 21 juillet 2016, Commune de Rauville-la-Bigot, n° S 2016-2434).

Résurgence des débets sans préjudice

204Cette rubrique constitue indéniablement une intruse dans l’étude du nouveau régime de responsabilité des comptables publics. Une rubrique qui témoigne de l’inadaptation de ce régime à ce que devrait être la responsabilité des comptables publics. Les précédentes chroniques ont déjà illustré le propos au travers d’espèces pour lesquelles on pouvait légitimement se poser la question de la pertinence du débet prononcé alors que manifestement, il était difficile d’identifier un réel préjudice financier au détriment de la caisse publique.

205L’espèce DRFIP de Corse en est une illustration supplémentaire alors que l’agent comptable a été mis en débet pour avoir payé les loyers des logements d’agents publics sur la base de baux signés, non pas avec l’État comme cela aurait dû être, mais avec chacun des agents concernés (voir précédemment sur le manquement reproché au comptable – C. comptes, 26 juillet 2016, Direction régionale des finances publiques de Corse et du département de la Corse du Sud, n° S 2016-2278). Rappelons qu’en l’espèce, les paiements ont été réalisés sur le fondement d’une décision ministérielle qui avait « explicitement autorisé, à titre dérogatoire, les chefs de poste du Trésor public en Corse à prendre à bail un logement à titre personnel, les loyers payés leur étant intégralement remboursés par l’État ; que du fait d’attentats perpétrés sur des installations du Trésor public, ce dispositif d’exception relèverait de la force majeure, évoquée dans le guide de janvier 2008 sur les logements de fonction au Trésor public ». Alors certes, on peut comprendre que la Cour des comptes soit pointilleuse sur les pièces justificatives à produire afin d’éviter des précédents et surtout la perception qui pourrait se répandre parmi les agents comptables, d’une approche relative des nomenclatures applicables mais il faut concevoir qu’en certaines espèces – comme celles déjà évoquées à l’occasion de nos précédentes chroniques – le juge des comptes puisse être plus nuancé dans ses approches et considérer, comme c’est le cas en l’espèce, que la mise en débet de l’agent comptable conduit au prononcé d’un débet sans préjudice – alors que par ailleurs, ces agents ont bien bénéficiée d’une prestation de location.

206Plus largement, il faut comprendre – et ce à la décharge du juge des comptes – que la frontière peut être difficile à déterminer. C’est ce qui nous a amené à constater qu’au delà de l’identification du préjudice financier, c’était surtout le régime même de responsabilité du comptable public nouvellement mis en place, qui devait être questionné. Notre position est désormais bien affirmée, le NRPP livre de potentielles limites qui militent en faveur d’un régime revisité conduisant à envisager, pour tous les manquements constatés, qu’ils aient ou non occasionné un préjudice financier, la possibilité de sanctionner le comptable au moyen d’une somme non rémissible (Voir pour ces précisions, Gestion et fin. publ. 2016 n° 6, p. 159 et s.).

207Même impression avec l’espèce Port autonome de la Guadeloupe (C. comptes, 30 septembre 2016, n° S 2016-2766) alors que des prestations supplémentaires dans le cadre d’un marché public ont été réalisées. L’agent comptable arguait « du fait que le marché en prévoyait le principe, pour considérer que le port n’a pas subi de préjudice financier ». À l’inverse, la Cour des comptes a retenu « que le service fait est, certes, un élément important qui peut être pris en considération ; qu’il n’est cependant pas le seul ; qu’ainsi, en l’absence d’engagement sur le prix des prestations complémentaires, le règlement des factures a nécessairement causé un préjudice financier à l’établissement public » - dès lors que le paiement des factures a été réalisé sur la base des prix unitaires établis par la seule société (précision apportée par les conclusions du ministère public, Concl. n° 231 du 5 avril 2016, Port autonome de la Guadeloupe, p. 5).

208Cette espèce illustre parfaitement la difficulté dans laquelle se trouve le juge des comptes pour se prononcer sur la responsabilité du comptable public alors qu’un service fait peut être constaté… Relevons bien que dans l’un comme l’autre cas, la solution n’est pas satisfaisante car l’on peut très bien considérer que le manquement commis par le comptable public a, en l’espèce, occasionné un préjudice financier. Mais ce sont les conséquences à en tirer, au niveau du juge, qui suscitent la réflexion. Comme nous l’avons déjà indiqué – et comme nous ne cesserons de le répéter en pareille occasion… -, pour éviter que le juge ne se trouve ainsi en difficulté, il faudrait envisager son office en deux temps avec la possibilité tout à la fois, pour un même manquement, de prononcer un débet laissé à l’appréciation du ministre en termes de remise gracieuse et une somme non rémissible visant à sanctionner le manquement reproché. Il reviendrait, en définitive, au ministre de décider s’il y a lieu que la caisse publique prenne en charge le préjudice occasionné. Alors certes, le juge des comptes aurait toujours à se prononcer sur le préjudice financier subi mais l’essentiel de sa décision se concentrerait sur la somme laissée à charge.

Débet

209Le juge des comptes l’a rappelé, « la responsabilité des comptables en dépenses s’apprécie au moment des paiements ; qu’ainsi les répétitions d’indus ultérieures n’exonèrent pas les comptables de leur responsabilité ». Relevant « que les paiements d’indemnités à des personnes non visées par la loi ou le règlement qui les institue sont indus et par conséquent constitutifs d’un préjudice financier au détriment de la personne publique concernée », la Cour des comptes procède à la mise en débet des agents concernés. Relevant toutefois que les services comptables ont procédé au recouvrement d’indus, le juge des comptes en conclut « qu’il y a lieu de déduire ces sommes des montants indûment versés » (C. comptes, 6 septembre 2016, Trésorerie générale et DRFIP de Picardie et du département de la Somme, n° S 2016-2855).

210Cette espèce témoigne indéniablement de la marge de manœuvre que le juge des comptes peut se reconnaître alors même qu’un préjudice financier est constaté. Cette marge pourrait être transposée aux hypothèses au terme desquelles le débet accompagnant la reconnaissance du préjudice financier, soit nuancé dans son montant en tenant compte de l’avantage qu’en a retiré la caisse publique…

Somme non rémissible

Circonstances de l’espèce

211Les circonstances de l’espèce peuvent influer sur le montant de la somme non rémissible laissée à la charge de l’agent comptable. Ainsi :

212« Compte tenu de la gravité et du caractère répété du manquement, la Cour fera une bonne appréciation des circonstances de l’espèce en fixant le montant de la somme non rémissible à son niveau maximum » (Concl. n° 472 du 8 juillet 2016, Chambre départementale d’agriculture de la Meuse, p. 6). Proposition suivie par la Cour des comptes (C. comptes, 30 septembre 2016, Chambre départementale d’agriculture de la Meuse, n° S 2016-3095, charge n° 3).

213Soulignons que les circonstances de l’espèce doivent se distinguer des circonstances de force majeure – dans leur portée juridique. Si ces dernières peuvent être prises en compte pour identifier le manquement du comptable, les circonstances de l’espèce ne peuvent, quant à elles, avoir d’incidence que sur le montant de la somme non rémissible laissée à la charge de l’agent comptable en l’absence de préjudice financier.

214C’est ce que rappelle le ministère public : « Le régime de responsabilité personnelle et pécuniaire issu de la loi de finances pour 2011 prévoit certes que le juge des comptes peut tenir compte des circonstances de l’espèce dans l’évaluation du montant de la somme non rémissible mise à la charge de l’agent comptable. Il ne l’autorise en rien à prendre en considération ces mêmes circonstances dans la détermination de l’existence même du manquement » (Concl. n° 231 du 5 avril 2016, Port autonome de la Guadeloupe, p. 3).

Nombre de sommes prononcées

215Dans le prononcé des sommes non rémissibles, le juge des comptes et le ministère chargé du budget ont développé une appréciation divergente à laquelle il n’a été mis un terme que par une décision du Conseil d’État (CE 21 mai 2014, Ministre de l’économie et des finances, AJDA 2014. 1063, concl. De Lesquen ; Gestion et fin. publ. 2014 n° 7/8 p. 11 et CE 27 mai 2015, Trésorier-payeur général des Bouches-du-Rhône, Gestion et fin. publ. 2015 n° 11/12 p. 78, obs. Damarey) consacrant l’application du texte telle que l’avait envisagé le juge des comptes.

216C’est dans ce cadre que s’inscrit l’espèce CROUS de Rennes à l’occasion de laquelle le juge des comptes a relevé :

217« Attendu cependant qu’au titre des exercices 2011 et 2012, les irrégularités constatées sont de même nature que celles relevées au titre de la présomption de charge n° 2 ayant fait l’objet de sommes non rémissibles ; qu’il convient de considérer, pour chacune d’elles, qu’il s’agit des mêmes manquements intervenus au cours des mêmes exercices de gestion du même comptable ; qu’il n’y a donc pas lieu d’assortir ces manquements d’une somme non rémissible au titre de la présomption de charge n° 4 compte tenu des sommes déjà mises à sa charge au titre de la présomption de charge n° 2 » (C. comptes, 27 septembre 2016, Centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Rennes, n° S 2016-3023).

218En l’espèce, la Cour des comptes avait condamné le comptable au paiement d’une somme non rémissible pour avoir procédé au paiement de mandats au profit de sociétés de travail intérimaire pour différentes mises à disposition de personnel sans disposer des justifications nécessaires (charge n° 2). Un manquement que l’on retrouve avec la charge n° 4 alors qu’est reproché à l’agent comptable d’avoir procédé au paiement de mandats en l’absence des pièces justificatives nécessaires (mandats relatifs à des frais de déplacement – les mandatements n’étaient pas accompagnés de la production de bons de commande, comme le prévoyait l’article 3 du cahier des clauses particulières du marché).

219Suivant en cela les conclusions de son ministère public qui avait préconisé :

220« La Cour pourrait être tentée de considérer, comme la jurisprudence Conservatoire national du littoral lui en laisse la possibilité, que l’ensemble constitue un ensemble de manquements identiques, relevant du prononcé d’une unique sanction par exercice » (Concl. n° 857 du 24 décembre 2015, Centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Rennes, p. 7).

221Il semble, en effet, judicieux que le nombre de sommes non rémissibles soit adapté aux manquements reprochés. Mais la question se pose néanmoins du champ des possibles. En effet, avec l’espèce Crous de Rennes, dans les deux cas, était reproché au comptable d’avoir procédé au paiement de mandats en l’absence des pièces justificatives nécessaires – respectivement 58 et 46 mandatements soit 73 975,47 € et 5 150,29 €. Pour le manquement commis, il est condamné à payer 294 € pour l’exercice 2011 et un montant identique pour l’exercice 2012.

222Indéniablement, cette décision est à l’avantage du comptable dont la responsabilité ne sera pas appréciée par charge mais distinguée selon les manquements qui lui sont reprochés. Il semble logique que le juge des comptes cherche à regrouper les manquements pour les sanctionner au moyen d’une somme non rémissible. Mais pour conserver tout son office au juge des comptes, il serait préférable de rassembler ces mandats en tenant compte de leur objet (exécution de contrat, remboursement de frais de déplacement, versement d’indemnités, etc…) et d’identifier, en fonction des nomenclatures applicables, dans quelle mesure l’agent comptable a méconnu les obligations qui s’imposaient à lui dans l’appréciation des pièces justificatives qui lui ont été produites.

Remise gracieuse

223Alors que la Cour des comptes a mis en débet, un comptable décédé, elle rappelle qu’il appartient « à ses héritiers de faire valoir devant le ministre, à l’appui d’une demande de remise gracieuse, les circonstances liées à l’état de santé de (l’agent comptable) puis à son décès » (C. comptes, 28 juillet 2016, DRFIP des Yvelines, Service des impôts des entreprises (SIE) de Saint-Quentin-Est et de Saint-Quentin-Ouest, n° S 2016-2373).

224Rappelons, en effet, que le décès de l’agent comptable n’écarte pas la compétence du juge des comptes à l’égard des héritiers qui sont tenus de compter (C. comptes, 9 novembre 2015, CNFPT, N° 72737). Déjà dans le cadre du précédent régime de responsabilité des comptables publics, les héritiers pouvaient obtenir du ministre une remise gracieuse du débet prononcé, en principal et intérêts (C. comptes, 8 novembre 1999, TPG du Nord, n° 24560, Rev. Trésor 2001, 204). Il faut concevoir qu’avec le nouveau régime de responsabilité des comptables publics, les héritiers ont tout intérêt à ce que le juge des comptes constate un préjudice financier résultant des manquements reprochés au défunt – le texte prévoit, en effet, que le ministre conserve toute compétence pour prononcer une remise gracieuse totale du débet prononcé en cas de décès de l’agent comptable. En revanche, en l’absence d’un tel préjudice et alors qu’une somme non rémissible a été laissée à la charge de l’agent comptable, les héritiers auront à en supporter le règlement. Certes, les sommes à verser sont en général assez faibles, mais il n’en reste pas moins que la logique du mécanisme échappe. Reste au juge financier à se fonder sur les cir-constances de l’espèce pour ne pas prononcer de sommes à la charge des héritiers, mais dans ce cas, c’est incontestablement étendre largement la notion de « circonstances de l’espèce ».

Plan de contrôle sélectif

225Avec son espèce Commune de Risoul, la Cour des comptes indique très clairement l’étendue de son office dans l’identification des plans de contrôle sélectif applicables aux faits de l’espèce :

226« Attendu qu’en application de l’article 60 modifié de la loi n° 63-156 du 23 février 1963, le juge des comptes doit se prononcer sur le respect du contrôle sélectif de la dépense qui peut constituer une cause de remise gracieuse totale du ministre au comptable ; ».

227En l’espèce, « attendu que pour les communes émettant par an entre 500 et 5 000 mandats, (..) le contrôle des dépenses du référentiel indicatif se fait par sondage : 100 % des dépenses supérieures à 1 000 € et 5 % des dépenses inférieures à ce seuil ;

228Attendu que l’extraction Hélios figurant au dossier concernant le mandat litigieux comporte un marquage négatif ; que le comptable n’a pas été en mesure d’expliquer ce marquage alors même que le mandat aurait dû être visé ; que dès lors les dispositions du plan de contrôle hiérarchisé de la dépense n’ont pas été respectées » (C. comptes, 21 juillet 2016, Commune de Risoul, n° S 2016-2429).

229Une appréciation qui rejaillit sur l’étendue des compétences du ministre chargé du budget en matière de remise gracieuse, ainsi que le rappelle le ministère public (à propos d’heures supplémentaires payées sans les pièces justificatives requises) :

230« Le magistrat-rapporteur de la chambre régionale des comptes (…) mentionne dans son rapport que les indemnités horaires pour travaux supplémentaires ne sont pas incluses explicitement dans le périmètre du plan de contrôle sélectif des dépenses. Il y a dès lors lieu de considérer que le contrôle (…) devait être mensuel et exhaustif.

231Le manquement de (l’agent comptable) révèle donc l’absence de respect du plan de contrôle sélectif des dépenses. En conséquence, en application de l’article 60 paragraphe IX alinéa 2, aucune remise gracieuse totale ne pourrait lui être accordée » (Concl. n° 437 du 30 juin 2016, Appel du jugement n° 2015-008 du 9 juillet 2015 de la chambre rgionale des comptes de Basse-Normandie, Haute-Normandie – Commune de Rauville-La-Bigot).

232Un mode d’emploi que l’on retrouve avec l’espèce « Arrêtés conservatoires de débet, Institut français de recherche en Iran » – (C. comptes, 13 octobre 2016, n° S 2016-3199) :

233« Attendu qu’aucun contrôle hiérarchisé de la dépense n’a été institué (…) ;

234Attendu que le montant du cautionnement (du poste comptable) a été fixé à 9 100 € ;

235Attendu par conséquent qu’au cas où (l’agent comptable) demanderait au ministre chargé du budget remise gracieuse des sommes mises à sa charge, ce dernier, en application de la loi de 1963 et du décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 pris pour son application, serait tenu de laisser à sa charge une somme d’au moins trois millièmes de son cautionnement, soit 27,30 € par exercice »…

Cour de discipline budgétaire et financière

236Durant la période sous revue, la CDBF s’est penchée sur l’agrément dérogatoire donné à une opération de défiscalisation relevant de la loi du 23 juillet 2003 dite « Loi Girardin » (n° 210-722). Ce dispositif permet aux sociétés de bénéficier de réduction d’impôts sur certaines acquisitions réalisées – sous réserve toutefois d’en avoir obtenu l’agrément auprès des services administratifs compétents.

237C’est dans ce cadre que la société INFI a déposé une demande d’agrément au profit de la Compagnie d’aviation Air Caraïbes Atlantique en vue d’obtenir le bénéfice de réductions d’impôt pour l’acquisition d’un avion Airbus destiné à être exploité sur la ligne Paris-Cayenne.

238Après une première demande rejetée en mai 2007, la société a obtenu qu’un agrément lui soit accordé en 2008 – se fondant sur une déclaration du Chef de l’État en date du 11 février 2008 visant à développer l’exploitation de cette voie aérienne. Un agrément exceptionnellement accordé avec approbation personnelle du ministre chargé du budget (décision du 10 septembre 2008).

239En novembre 2008, la Société INFI a souhaité répartir cet avantage sur les deux phases de collecte (collecte principale en 2008 et complémentaire en 2009). Demande acceptée par le directeur du cabinet du ministre et son conseiller technique, responsable de la cellule fiscale.

240Tels sont les faits qui ont été transmis à la CDBF par la Cour des comptes.

241Pour apprécier la responsabilité des protagonistes, la CDBF a rappelé que la réduction d’impôt est subordonnée à l’acquisition du bien productif et ne peut être obtenue qu’au titre de l’année d’acquisition. Or, en l’espèce, la Société INFI avait obtenu un étalement sur deux années de ce bénéfice.

242La CDBF a ainsi retenu « que l’octroi d’un agrément reconnaissant le possibilité d’admettre au bénéfice sur deux exercices de la réduction d’impôt liée à l’acquisition de l’Airbus A 330-300 constituait une décision autonome, ne pouvant être regardée comme le prolongement de l’agrément délivré par le ministre le 10 septembre 2008 qui ne prévoyait pas un tel étalement ».

243Cette logique implacable a conduit la CDBF à reconnaître que l’octroi d’un agrément fiscal en méconnaissance des conditions posées par le CGI constituait une infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et dépenses de l’État (art. L. 313-4 CJF).

244Pour compléter le panorama, la CDBF a relevé un problème de délégation de signature et a, dès lors, reproché l’engagement d’une dépense fiscale réalisé en l’absence d’une telle délégation (art. L. 313-3 CJF).

245Très logiquement, l’agrément délivré en de telles circonstances, pouvait laisser supposer un préjudice à constater au détriment du Trésor et partant, un avantage non justifié accordé à la société qui auraient pu être sanctionnés au titre des dispositions de l’art. L. 313-6 CJF.

246Cela n’a pas été le cas. En effet, dans la lettre du 10 septembre 2008, le montant limite de l’aide fiscale allouée, avait été fixée à 57 435 000 € et l’agrément définitif accordé par lettre du 27 avril 2009 avait fixé à 56 270 165 € le montant total pouvant ouvrir droit à réduction d’impôt. L’étalement accordé à la société et donc, comme l’indique la CDBF « les conditions de réalisation de cette opération » n’ont pas « entraîné un préjudice pour le Trésor ; (…) l’infraction définie par l’article L. 313-6 CJF n’est pas constituée ».

247Cette absence de préjudice, couplé à « l’attention particulière portée à l’ouverture d’une liaison aérienne Paris-Cayenne par le Président de la République, comme la survenance d’une conjoncture économique et financière difficile et l’accord donné par le ministre au projet de 2008 ont pu constituer un contexte spécifique à la prise de décision », ont conduit la CDBF à prononcer une amende de 500 € à l’égard du directeur de cabinet ministériel et une amende de 150 € à l’encontre du conseiller technique.

248Une décision dont la CDBF a décidé la publication au Journal officiel.

Notes

  • [1]
    C.C. 2 mai 1996, Commune de Royal, Rec. p. 55.
  • [2]
    Voir également Damarey S., obs. publiées à l’AJDA 2016. 2336.
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