Couverture de GES_221

Article de revue

Gouvernance de l’eau et conflits de qualification en Indonésie. Une lecture institutionnaliste de la loi sur l’eau

Pages 35 à 59

Notes

  • [1]
    Site de la Banque mondiale : https://data.worldbank.org/ [dernière consultation le 18 mars 2020].
  • [2]
    Pluviométrie annuelle moyenne : 2,350 mm (ADB, 2016).
  • [3]
    En 2018, le marché de l’eau embouteillée rapportait 11 392.8 millions de dollars [https://www.statista.com]
  • [4]
    Cela signifie un accès protégé des contaminations animales (JMP, 2017).
  • [5]
    Site de la Banque mondiale (op. cit.).
  • [6]
    https://www.ecolex.org/ [dernière consultation le 30/11/2019].
  • [7]
    Nous avons utilisé le journal indonésien anglophone The Jakarta Post, ainsi que les journaux indonésiens Kompas, Koran Tempo, Bisnis Indonesia, Investor Daily et Media Indonesia, dont les articles sont traduits en anglais sur la plateforme Indonesia Infrastructure Initiative Program (Indii) [http://www.indii.co.id/en/ dernière consultation le 30/11/2017]. Au total, 131 articles publiés entre 2008 et 2018 ont été étudiés.
  • [8]
    En économie publique, une grille, élaborée par Samuelson (1954) et Musgrave (1959), permet de caractériser des biens dont l’existence traduit des défaillances de marché en fonction de deux critères : l’exclusion et la rivalité. L’exclusion signifie que l’accès à un bien n’est pas possible pour tous. La rivalité signifie que la consommation d’un bien par un agent réduit la quantité disponible pour les autres.
  • [9]
    Ils caractérisent six cités reposant chacune sur une philosophie politique : les cités marchandes de Smith, industrielle de Saint Simon, civique de Rousseau, de l’opinion ou du renom de Hobbes, inspirée de Saint Augustin et domestique de Bossuet.
  • [10]
    Avant l’Indépendance, le secteur de l’eau était régi par un système de lois coutumières locales (adat) datant de l’époque des sultanats. Ces lois variaient fortement selon les îles, les régions et les villages, d’où le choix du début de la périodisation en 1945. Les réglementations coloniales se sont superposées à ces lois coutumières et les ont supplantées lorsqu’il y avait des intérêts contradictoires (von Benda-Beckmann, 2007).
  • [11]
    Perusahaan Daerah Air Minum (PDAM) - compagnie publique d’eau potable née sous la colonisation néerlandaise. Il en existe 368 dans le pays.
  • [12]
    La coalition du peuple pour le droit à l’eau - Koalisi Rakyat untuk Hak Atas Air.
  • [13]
    La gestion des eaux souterraines est inscrite dans deux législations promulguées en 2008 et 2012 (loi 43 / 2008 sur les eaux souterraines et réglementation du Ministère des Mines et de l’énergie 15 / 2012 sur l’usage des eaux souterraines).
  • [14]
    L’antenne indonésienne des amis de la terre - Wahana Lingkungan Hidup Indonesia.
  • [15]
    Par exemple, le décret 23/2006 du ministère des Affaires intérieures oblige les opérateurs d’eau (PDAM) à viser le recouvrement aux coûts complets (Hadipuro, 2010).
  • [16]
    L’Ouest de Jakarta est desservi par l’entreprise PALYJA (PT PAM Lyonnaise Jaya, détenue majoritairement par Ondéo, devenue Suez Environnement), tandis que la partie Est a été attribuée à l’opérateur anglais Thames Water (société Aquatico, devenue Aetra). Après la chute de Suharto, les deux opérateurs ont dû s’associer à deux compagnies indonésiennes proches de l’ancien régime.
  • [17]
    Coalition des citoyens contre la privatisation de l’eau de Jakarta – Koalisi Masyarakat Menolak Swastanisasi Air Jakarta. Elle est fondée par KruHa en 2011.
  • [18]
    Ces faibles performances sont aussi dues à la politique du territoire spécial de Jakarta (DKI) qui proscrit le raccordement des populations vivant dans des quartiers informels.
  • [19]
    Les clauses des contrats sont contestées, notamment le fait que les entreprises concessionnaires sont rémunérées par PAM Jaya (l’entreprise municipale propriétaire des réseaux) au coût de revient de l’eau. Ce coût a augmenté régulièrement et plus rapidement que le prix de l’eau payé par les usagers, aggravant l’endettement de PAM Jaya (Zamzami, Ardhanie, 2015).
  • [20]
    Le montant est estimé par les militants de l’Amtra Institute à 35 millions d’euros (561 milliards de roupies) (Zamzani, Ardhanie, 2015).
  • [21]
    The Jakarta Post, “What you need to know about Jakarta’s water privatization”, Jakarta, April, 12, 2018.
  • [22]
    Le marché de l’eau en bouteille n’a cessé de s’accroitre depuis les années 2000, la capacité de production étant passée de 9100 millions de litres en 2004 à 25 000 millions de litres en 2015 (ASPADIN, 2016).
  • [23]
    Cette multinationale contrôle 80% de la vente d’eau potable en bouteille (Selles, 2014).
  • [24]
    Notamment des associations de vendeurs de rue et des organisations islamiques (Lobina et al., 2019).
  • [25]
    Ce contrat a été transformé en un contrat « BOT » (build – operate – transfer) (Lobina et al., 2019).
  • [26]
    Les décrets d’application n’ont pas été publiés à ce jour.
  • [27]
    Le Pancasila est le fondement philosophique de l’État indonésien, avec 5 principes (en sanskrit, Panca signifie cinq et sila principes), dont celui de justice sociale pour l’ensemble du peuple.
  • [28]
    Ceci est cohérent avec la thèse de Bakker (2007) qui distingue une conception collective et une conception individuelle du droit à l’eau. La conception individuelle peut être conciliée avec une participation du secteur privé et un agenda néolibéral, tandis d’une conception collective permet de lutter plus globalement contre l’accaparement des ressources de populations marginalisées par des multinationales.
  • [29]
    Cela représente près de la moitié des sources d’eau brute de l’opérateur. Source : PDAM http://www.pdamsolo.or.id/ [dernière consultation le 13 juin 2019].
  • [30]
    Le directeur technique du PDAM donne les chiffres en 2017 de 140 Rp/m3 (0.009 €), et une taxe de la province de 10 % sur le montant total, contre 20 % lorsque le PDAM de Solo traitait directement avec le département du Klaten.
  • [31]
    Loi 43/2008 sur les eaux souterraines.

Introduction

1Dans cet article, nous proposons d’étudier, sur le long terme, le processus ayant conduit à l’annulation de la loi cadre sur l’eau (loi 7/2004) en Indonésie. Nous privilégions l’analyse des jeux d’acteurs (publics, privés, associatifs) aux intérêts antagonistes qui structurent la société indonésienne, en tenant compte des rapports de pouvoir. Les rapports de pouvoir renvoient à la capacité d’un acteur (ou groupe d’acteurs) à obtenir d’un autre qu’il fasse une action qu’il n’aurait pas faite spontanément ; ils renvoient au domaine du « faire faire » (Boltanski, 2013). Ces rapports de pouvoir sont visibles et peuvent être inscrits dans les règles (Boltanski, 2013).

2Le secteur de l’eau en Indonésie concentre des enjeux et paradoxes importants que l’on considère les ressources en eau ou les services d’eau potable. Néanmoins, les disparités géographiques et socio-économiques d’un pays de plus de 268 millions d’habitants [1] rendent difficile toute généralisation. Tout d’abord, le pays fait face à des manques d’eau, d’un point de vue quantitatif comme qualitatif, malgré une pluviométrie importante [2]. Ces manques d’eau constituent des facteurs de conflits relatifs à l’allocation des ressources entre usagers. Un autre paradoxe explique l’engouement des entreprises privées pour le marché de l’eau indonésien [3]. En effet, alors que les taux d’accès à l’eau sont très élevés (90% de la population a accès à une eau saine [4], JMP, 2017), les embouteilleurs sont les premiers fournisseurs d’eau potable et près d’un tiers de la population recoure à de l’eau en bouteille pour la consommation domestique (Natisti et al., 2017). Un autre constat, paradoxal, a trait à la dépendance du pays vis-à-vis de l’aide internationale, alors que l’Indonésie appartient à la catégorie des pays émergents avec des taux de croissance entre 3 et 6% depuis 1999 [5]. Dans le secteur de l’eau, cela s’est traduit par l’octroi d’un prêt d’ajustement structurel par la Banque mondiale en 1999 « WATSAL » (Water Resources Sector Adjustment Loan), pour un montant de 300 millions de dollars. L’une des conditionnalités a été la refonte du secteur et la rédaction d’une nouvelle loi cadre sur l’eau. Enfin, dernier paradoxe, malgré une autonomie importante des échelles locales dans le cadre des réformes de décentralisation et d’autonomie régionale de 1999, le gouvernement central décide des orientations stratégiques du secteur de l’eau. La mise en œuvre de ces réformes, considérées comme une démocratisation « top-down » (Firman, 2014), a contribué à la fragmentation institutionnelle du pays ce qui rend complexe l’analyse du secteur de l’eau.

3L’identification de ces divers paradoxes permet de cerner les enjeux autour de la loi sur l’eau de 2004 (loi 7/2004) dont le processus d’élaboration puis d’annulation (2015) a été marqué par des conflits. Dans cet article nous cherchons à expliciter, à travers ce cas d’études, les critères de justification relatifs au choix d’un mode de gouvernance de l’eau à certaines périodes de l’histoire. Nous nous demandons plus spécifiquement dans quelle mesure les rapports de pouvoir entre acteurs aux intérêts antagonistes influent sur le processus de construction des règles (leur émergence, leur stabilisation, voire leur rejet) du secteur de l’eau en Indonésie.

4Pour ce faire, nous mettons l’accent sur deux aspects. Tout d’abord, nous rendons compte du changement institutionnel à travers l’analyse des conflits d’acteurs et de valeurs. Le changement institutionnel suppose l’identification des différentes périodes qui ont marqué le processus de construction des règles. Le conflit (d’intérêt, de valeurs) est pensé comme moment du changement institutionnel et d’émergence de nouvelles règles (Dupuy et al., 1989). Par ailleurs, nous proposons de recourir au concept de gouvernance pour analyser la coordination des acteurs dans le secteur de l’eau en fonction des principes de justice qui les guident. Nous analysons la pluralité des registres de qualification de l’eau qui rentrent en tension tout au cours de ce processus ayant conduit à l’annulation de la loi. Ils ont en effet servi de justification aux différents acteurs (privés, bailleurs, coalitions militantes, publics, etc.) pour défendre ou contester un mode de gouvernance spécifique, en fonction de leurs valeurs, mais aussi de la configuration des rapports de pouvoir.

5La méthodologie est basée sur une démarche qualitative. Le processus d’annulation de la loi indonésienne sur l’eau 7/2004 constitue notre étude de cas pour analyser les différents moments de changements de règles. Nous avons étudié onze textes législatifs qui ont marqué le secteur de l’eau (voir annexe). Les traductions anglaises des lois n’étant pas toujours disponibles, nous avons utilisé le site spécialisé juridique Ecolex [6] qui recense les lois sur l’environnement en anglais. Pour les réglementations en indonésien (bahasa), nous avons traduit les articles avec l’aide d’interprètes et d’un juriste, et en nous référant aux sites de traduction en ligne. Nous avons complété ces analyses par vingt-six entretiens qualitatifs semi-directifs avec les acteurs du secteur qui ont influencé les débats (bailleurs de fonds, militants, secteur privé, ministères, universitaires). Ces entretiens ont été menés entre 2016 et 2017 au cours de quatre missions de terrain (d’une durée de 2 à 6 mois). Les données obtenues ont été triangulées avec une analyse des documents opérationnels spécialisés (bilans des entreprises, documents d’information des ONG, communiqués de presse) et de la presse indonésienne anglophone ou traduite en anglais sur des sites spécialisés [7].

6Le cadre théorique à la base de notre grille d’analyse, renvoyant aux concepts de changement institutionnel, gouvernance et qualification, est discuté dans une première partie. Une périodisation de la loi en quatre moments a été retenue dans la deuxième partie en considérant les conflits comme moment de changement. Nous analysons enfin, dans une troisième partie, la nature de ces conflits du point de vue des débats sur la qualification de l’eau et discutons la reconfiguration des modes de gouvernance qui en découle.

1 – Gouvernance de l’eau et qualification dans la dynamique du changement institutionnel: d’une revue de la littérature à la construction d’une grille d’analyse

7La loi sur l’eau indonésienne a connu différentes phases marquées par des ruptures qui informent sur la manière dont les acteurs mobilisent des discours de justification pour qualifier l’eau (bien public, privé, commun, droit) et privilégier un certain mode de gouvernance. Afin de rendre compte, sur le long terme, du processus de construction des règles régissant le secteur de l’eau, nous élaborons, dans cette partie, notre propre grille d’analyse. Elle repose sur deux piliers : (1) la compréhension du changement institutionnel à travers les conflits d’intérêts, de valeurs ; et (2) la relation entre gouvernance et qualification de l’eau.

1.1 – Le conflit comme moment du changement institutionnel

8Le rôle des institutions dans le développement et l’analyse du changement sont au cœur de l’économie institutionnelle. Un certain consensus existe quant à la définition que North propose des institutions, à savoir un ensemble de règles, formelles et informelles, à la fois contraintes et ressources pour l’action (North, 1990). Néanmoins, des clivages existent entre courants institutionnalistes quant à l’analyse des conditions du changement.

9Des travaux d’économistes néo-institutionnalistes sur la gouvernance de l’eau (Ménard, Saleth, 2012 ; Saleth et Dinar, 2004) expliquent la dynamique du changement par des facteurs d’efficacité et de « dépendance au sentier », avec comme objectif de corriger les imperfections du marché. Ce sont les conditions passées qui guident les choix présents. Ces analyses, centrées sur l’efficacité, ne mettent pas au cœur de l’analyse le conflit comme moment du changement. Nous privilégions alors le courant institutionnaliste dit « historique » (Veblen, Commons) car le conflit y est posé comme cristallisation des moments de changement avec l’émergence de nouvelles règles, de nouveaux acteurs clés et de nouvelles configurations entre acteurs. Les règles traduisent un rapport de pouvoir, et la répartition du pouvoir, souvent inégale, influe sur le fonctionnement des institutions. Dans cette acception, les institutions définissent les droits et les devoirs, les possibilités et les contraintes des individus et renvoient à des rapports sociaux plus ou moins juridiquement formalisés, le droit étant fondamentalement issu des - et cristallisant les - rapports de pouvoir. Ces auteurs (Commons, 1934) s’intéressent donc aux institutions en action. Celles-ci sont considérées comme constitutives de l’univers d’action et de coordination (Kartchevsky, Maillefert, 2008). Elles créent de l’ordre et permettent de rendre le système viable par la résolution des conflits d’intérêts et de conserver sa capacité évolutive par la remise en cause possible des règles, d’où l’idée de dynamique et de changement institutionnel. Ainsi, il n’existerait pas une sélection naturelle des institutions en fonction de critères d’efficacité, à la différence des postulats néo-institutionnalistes. Pour ces raisons, ces approches inscrites dans le courant de l’économie institutionnaliste historique nous semblent plus pertinentes pour traiter notre problématique, à savoir identifier les rapports de pouvoir et la nature de la coordination pour comprendre la complexité des arrangements institutionnels sous-jacents à la formulation et à la remise en cause de la loi sur l’eau en Indonésie.

1.2 – La relation entre gouvernance et qualification de l’eau : pour une grille d’interprétation des conflits

10Nous complétons l’approche précédente centrée sur les règles par des analyses qui discutent, de manière critique, le concept de gouvernance ce qui permet d’introduire les jeux d’acteurs et la coordination. Nous allons cependant plus loin en proposant de mettre en relation la nature de la coordination avec les discours de justification relatifs à la qualification de l’eau (comme bien public, privé, commun ou comme droit humain). Les rapports de pouvoir, stabilisés à certains moments, que nous lisons à travers les conflits de qualification de l’eau aboutissent à des modes de gouvernance spécifiques, reflets de choix politiques. Ces choix sont faits en fonction des valeurs qui guident les acteurs, mais aussi de leur capacité à imposer leur vision du monde.

11Nous nous démarquons de travaux normatifs sur la « bonne gouvernance » de l’eau (Akhmouch, Correia, 2016) car ils évacuent les conflits et les rapports de pouvoir entre acteurs. La « bonne gouvernance » a été le mot d’ordre des bailleurs pour promouvoir le désengagement de l’État et impulser les réformes néolibérales des années 1980-1990, notamment dans le secteur de l’eau dans les pays en développement (Baron, 2003). On peut parler d’une « dépolitisation » des enjeux liés aux réformes avec la promotion du consensus comme méthode de prise de décision ou le postulat selon lequel tous les acteurs sont dotés de mêmes ressources pour négocier les règles (Joumard, 2009). Ces approches négligent donc l’existence de rapports de pouvoir entre acteurs lors de l’élaboration et la mise en œuvre des règles.

12D’autres travaux, dans la lignée d’Ostrom (1990), vont porter sur la gouvernance de l’eau en tant que commun. Cette qualification a été largement débattue dans la littérature sur l’eau ces dernières années (Petit et al., 2014). Le travail d’Ostrom (1990) présente l’intérêt d’étudier empiriquement les arrangements institutionnels qui permettent la gestion durable de ressources communes caractérisées par une forte rivalité et une faible exclusion [8]. Son originalité consiste à analyser les règles d’action collective qui instituent une ressource commune en tant que commun (Harribey, 2011). Toutefois, en identifiant des critères de réussite d’une gouvernance durable des communs, Ostrom privilégie une approche normative de la gouvernance, qui n’est pas la démarche que nous retenons. Dans la mesure où cette analyse marginalise le rôle des rapports de pouvoir entre acteurs (Baron et al., 2011), qui est au centre de notre approche, nous ne la mobilisons pas dans cet article.

13Compte tenu de ces limites, nous privilégions les approches qui prennent en compte les conflits et les rapports de pouvoir qui sous-tendent la coordination, comme le font les approches régulationnistes (Baron, 2003 ; Jessop, 1998). Pour Jessop (1998), la coordination s’opère dans le cadre d’organisations disposant d’une autonomie, mais aussi au sein de réseaux d’acteurs interpersonnels basés sur la confiance. La prise en considération de l’emboîtement entre différents niveaux de coordination, qualifiée d’intersystémique, enrichit l’analyse des choix politiques des modes de gouvernance de l’eau.

14Il nous a semblé pertinent de compléter ces approches sur la gouvernance par des travaux en political ecology (Bakker, Kooy, 2011 ; Boelens, 2014 ; Budds, Hinojosa, 2012 ; Swyngedouw, 2009). Bien qu’hétérogènes, ces approches visent toutes à prendre en compte dans leur analyse les rapports de pouvoir. Deux raisons nous ont amenées à les mobiliser. Tout d’abord, elles ciblent plus spécifiquement les problématiques environnementales, notamment l’eau (Boelens, 2014 ; Budds, Hinojosa, 2012 ; Swyngedouw, 2009). Les structures de gouvernance de l’eau sont configurées par des conflits et des luttes qui reflètent et incarnent les intérêts et positions dominants. Par exemple, dans les contextes urbains, Heynen et al. (2006) identifient et distinguent ceux qui ont accès aux ressources (dont l’eau), ceux qui les contrôlent et ceux qui en sont exclus.

15Par ailleurs, ces grilles présentent l’intérêt d’aborder sous un angle original les modalités de qualification d’un objet. La manière de qualifier l’eau (comme ressource, commun, droit ou bien économique) dans les discours comme dans les règles traduit des rapports de pouvoir qui sous-tendent leurs définitions, les modes de gouvernance et qui s’inscrivent dans des dialectiques socio-environnementales. En effet, certains auteurs (Linton, Budds, 2014) considèrent l’eau et, plus globalement, l’environnement, comme des objets socionaturels au cœur d’enjeux de pouvoir liés à leur accaparement. L’eau et la nature sont des construits (Linton, Budds, 2014 ; Swyngedouw, 2004) car elles sont définies par les processus et relations socio-environnementales qui les façonnent. Ces auteurs vont dès lors porter leur regard non plus sur la qualification d’une eau ayant des caractéristiques naturelles, mais sur les rapports de pouvoir et de domination asymétriques qui forgent ces relations socio-environnementales en s’inscrivant dans le temps long (Heynen et al., 2006 ; Swyngedouw, 2009).

16Nous complétons ces analyses en termes de pouvoir par certains courants de l’Économie des conventions (Batifoulier et al., 2002 ; Boltanski, Thévenot, 1991) qui mettent l’accent sur la pluralité des formes de coordination et les discours de justification des acteurs. Si les rapports de pouvoir et les situations de violence ne sont pas au cœur de ces approches (Boltanski, Thévenot, 1991), elles présentent néanmoins l’intérêt de considérer la pluralité des valeurs auxquelles les acteurs se réfèrent pour retenir un mode de gouvernance spécifique. Plus précisément, les acteurs interprètent les règles, par essence incomplètes, en se référant à un niveau d’évaluation supérieur qualifié de « conventions constitutives » (Eymard-Duvernay, 2002) ou de « supérieurs communs » (Boltanski, Thévenot, 1991). Ce « supérieur » normatif permet de juger et d’évaluer la légitimité des modes de coordination selon des critères éthiques ou politiques. Il encadre le processus d’interprétation des règles par les acteurs et permet de coordonner leurs représentations (Batifoulier et al., 2002). Il existe donc une pluralité de modes de coordination, la coordination marchande n’étant qu’une modalité parmi d’autres (Eymard-Duvernay, 2002).

17Au sein du courant des conventions, Boltanski et Thévenot (1991) apportent une réflexion originale sur le processus de qualification et la justification des actions en analysant la manière dont les acteurs s’entendent pour sceller des accords, en mettant à l’épreuve leurs jugements. Lors de ces situations d’épreuves, les acteurs se justifient en recourant à un ou plusieurs registres de qualification pour motiver, à un moment donné, la légitimité d’un mode de gouvernance spécifique. Cette analyse repose sur le postulat d’une pluralité des ordres légitimes de justification, appelés cités [9], visant au « bien » et au « juste », et agencées autour de principes supérieurs communs. Une échelle de valeurs est élaborée à travers l’énonciation d’axiomes communs afin d’asseoir un ordre de légitimité (une cité), celui-ci permettant à son tour de fonder les justifications légitimes auxquelles les acteurs recourront en cas d’épreuves (Boltanski, Thévenot, 1991). Ces approches permettent de décrypter finement à quelles qualifications les acteurs se réfèrent pour ériger certaines règles ou s’y opposer. De plus, cette grille permet de penser la coexistence de plusieurs « supérieurs communs », avec leur possible confrontation ou leur mise en équivalence au cours du temps. Lors de ces confrontations, les acteurs vont rechercher des arguments, des justifications, pour défendre les actions guidées par le principe supérieur commun qu’ils estiment juste. Ainsi, Boltanski et Thévenot offrent une lecture originale des conflits de qualification qui peuvent s’opérer entre plusieurs cités, conflits révélateurs, à un moment donné, de changements de règles.

18Cette revue de la littérature nous a permis de construire une grille d’analyse qui combine plusieurs corpus théoriques pour interpréter, dans la partie suivante, le processus de construction de la loi sur l’eau en Indonésie. Sont pris en considération le conflit et les rapports de pouvoir comme composante du changement institutionnel ; ce changement de règles peut conduire à de nouveaux modes de gouvernance, reflets de choix politiques et de conflits de qualification des eaux. Ces évolutions sont intrinsèquement liées au contexte sociohistorique et aux rapports de pouvoir en perpétuelle reconfiguration au sein de la société étudiée. Ainsi, la périodisation du processus de construction de la loi sur l’eau en Indonésie que nous proposons dans la partie suivante est fondée sur cette grille d’analyse.

2 – L’analyse du changement institutionnel : le processus d’annulation de la loi sur l’eau en Indonésie

19Nous proposons une périodisation de la loi sur l’eau en Indonésie qui retient quatre moments de changement, avec comme point de rupture l’annulation de la loi 7/2004 (voir figure 1).

Figure 1

La périodisation de la loi sur l’eau en Indonésie

Figure 1

La périodisation de la loi sur l’eau en Indonésie

2.1 – Un consensus autour de la qualification de l’eau comme bien social (1945-1998)

20Nous débutons cette périodisation en 1945, date de l’Indépendance de l’Indonésie qui correspond à la formalisation et l’uniformisation de règles de gouvernance des eaux dans des lois nationales [10]. En effet, dans la Constitution de 1945, l’article 33(3) fournit les principes fondamentaux de gestion de l’eau : « la terre, l’eau et les ressources naturelles doivent être sous le contrôle de l’État et utilisées dans le plus grand bénéfice du peuple». Jusqu’à la chute de Suharto en mai 1998, deux réglementations vont structurer le secteur de l’eau, en accord avec cet article 33(3) : la loi agraire 05/1960 et la loi-cadre 11/1974 sur le développement des ressources en eau. La loi agraire est votée suite à des décennies de luttes paysannes et politiques portant sur les droits fonciers (Lucas, Warren, 2003). Elle traduit un compromis obtenu par Sukarno, le « père de l’Indépendance », en faveur des agriculteurs sans terres. Elle prohibe l’accaparement des terres et des ressources naturelles par des étrangers, proclame leur fonction sociale, et révoque les droits fonciers coloniaux. La loi 11/1974 reprend les principes de la loi agraire mais elle est spécifique à l’irrigation et aux ressources en eau.

21Dans ces législations, l’eau renvoie essentiellement aux ressources et elle est qualifiée de bien social. Cette qualification va de pair avec une gestion et un contrôle publics de l’eau, l’État régulant son allocation, son utilisation, son approvisionnement et arbitrant les conflits. L’eau ne peut faire l’objet d’une appropriation, y compris par l’État. Son utilisation est soumise à des droits d’usage précisés par réglementation gouvernementale. Ces deux législations reconnaissent les droits coutumiers traditionnels (adat) de gestion de l’eau présents au niveau local, même s’ils sont conditionnés à l’existence d’une communauté ou à la non-contradiction avec les intérêts nationaux et les lois des administrations régionales et nationales (von Benda-Beckmann, 2007 ; Hauser-Schäublin, 2013). Ainsi, gestion publique (centralisée) et gestion coutumière coexistent.

22Durant le régime autoritaire de Suharto (1966 – 1998), la contestation de ces lois était impossible. Le président les détournera d’ailleurs à son avantage pour accaparer les ressources naturelles en justifiant un « intérêt national » (Lucas, Warren, 2003).

2.2 – La qualification de l’eau comme bien économique lors de la réforme du secteur (1999-2005)

23Une rupture intervient avec la chute de Suharto en 1998 et le processus de décentralisation enclenché en 1999. La décentralisation instaure deux niveaux de gouvernements locaux : les provinces d’un côté, et les départements et les villes de l’autre (figure 2, page suivante). Les opérateurs publics du service d’eau potable, nommés PDAM [11], passent sous la tutelle des villes et départements. Celles-ci se voient aussi conférer des responsabilités en matière de gestion des ressources en eau. Ceci correspond à la première étape dans le processus de construction de la loi.

Figure 2

Schéma institutionnel simplifié

Figure 2

Schéma institutionnel simplifié

24La Banque mondiale a joué le rôle de déclencheur d’une réforme structurelle du secteur de l’eau en octroyant en 1999 le prêt d’ajustement structurel WATSAL à l’Indonésie. L’une des conditionnalités de ce prêt est la rédaction d’une nouvelle loi sur l’eau, qui concerne à la fois les ressources et le service d’eau potable. Le bailleur justifie cette réforme par la décentralisation récente, l’augmentation de la demande en eau, l’insuffisance et l’inadéquation des investissements en matière d’infrastructures, la dégradation de l’environnement et les « problèmes de gouvernance » (World Bank, 1999).

25Dès la rédaction des versions préparatoires (2000-2001), la loi suscite de vives contestations populaires (Hadipuro et al., 2014) qui portent sur le poids hégémonique de la Banque mondiale dans les négociations, l’absence de débat (délais restreints du prêt, mise en place d’une commission parlementaire ad hoc) et le contenu même de la loi (Al’Afgani, 2006). En 2002, la Coalition pro-droit à l’eau, KruHa [12], se forme, rassemblant des ONG et initiatives militantes pour la défense du droit des peuples, du droit à l’eau et l’environnement. Elle véhicule un discours critique sur la marchandisation de l’eau et deviendra le chef de file militant rassemblant les organisations anti-loi non seulement à Jakarta, mais aussi dans les îles lointaines et défavorisées.

26Sur le fond, les points controversés dans la loi concernent, premièrement, la garantie insuffisante d’un droit à l’eau. Même si la loi reconnait le droit à toute personne d’obtenir de l’eau pour ses besoins vitaux (art. 5), aucune référence n’est faite aux articles de la Constitution sur les droits fondamentaux (art. 28). Certains droits sont certes cités dans la loi, mais leur mise en œuvre n’est pas garantie. Par exemple, la responsabilité d’assurer la satisfaction de ces besoins essentiels (art. 16h) revient exclusivement aux villes et départements et non au gouvernement central ou aux provinces. Enfin est pointé le hiatus entre la reconnaissance d’un droit d’accès minimal à l’eau pour les besoins essentiels et les droits accordés aux entreprises et industries lucratives (KruHa, 2012).

27Ceci conduit au deuxième argument qui dénonce les conditions de participation du secteur privé à diverses activités, sans véritable contrôle de l’État. Des acteurs privés peuvent être impliqués dans les activités d’approvisionnement en eau potable (art. 40) et de gestion des ressources en eau, sous des conditions qui restent trop floues. Parmi ces acteurs privés, on peut citer des multinationales de l’eau délégataires du service dans des villes comme Jakarta (Lyonnaise des Eaux) et des firmes de l’agroalimentaire (Danone) présentes sur le marché de l’eau en bouteille. Même si la participation du secteur privé et la mise en place de contrats publics-privés étaient des pratiques préexistant à la réforme, leur inscription officielle dans la loi est un changement contesté par les coalitions militantes. En outre, les licences d’eau commerciales constituent un nouveau dispositif pour faciliter l’accès aux marchés de l’eau à ces acteurs privés. Concrètement, deux types de droits d’usage sont prévus : les droits d’usage domestique non lucratifs qui ne requièrent pas de licences (art. 8(1)) dans la mesure où l’objectif est de subvenir aux besoins essentiels ou de servir à la petite irrigation familiale ; et les droits commerciaux, avec un objectif lucratif, nécessitant l’octroi d’une licence. KruHa dénonce ce système de licences comme une première étape vers une « privatisation de l’eau ». La coalition dénonce aussi la possibilité pour les entreprises souhaitant commercialiser l’eau de passer des arrangements directs avec les propriétaires fonciers pour acheter les terres sur lesquels jaillissent les sources, sans intervention/droit de regard de l’État. Des entreprises privées peuvent décider d’une compensation avec les propriétaires terriens lésés ; ils doivent juste obtenir leur consentement. D’après les militants, ces dispositifs rendent possible un accaparement des ressources naturelles par le privé.

28Les coalitions contestent par ailleurs le principe de recouvrement au coût complet du service (art. 80), et le manque de transparence dans la détermination des prix (Mova Al’Afghani, 2006) ou dans les modalités de répartition du coût de l’eau entre usagers, opérateurs et État.

29Enfin, la loi préconise une gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) (Molle 2008), avec la création de structures de territoires fluviaux, les BBWS, sous la responsabilité du ministère des Travaux publics. Des dispositifs comme des plans et schémas de gestion des eaux de surface sont prévus. Cette reconfiguration institutionnelle renforce l’éclatement de l’action publique : le ministère des Travaux publics gère à la fois les eaux de surface et les infrastructures d’eau potable, celui des Mines s’occupe de la gestion des eaux souterraines [13], alors que le ministère de l’Environnement a en charge la surveillance quantitative et qualitative des ressources en eau. La loi entérine donc une distinction entre eaux de surface et eaux souterraines (art. 1), déjà présente dans la loi de 1974 et la loi agraire. La gestion des eaux souterraines est renvoyée à la réglementation gouvernementale 43/2008, tandis que celle des territoires fluviaux est chapeautée par les autorités administratives décentralisées et les BBWS. Les militants ne contestent pas cet éclatement. En revanche, ils perçoivent la mise en place de la GIRE comme un moyen supplémentaire d’accorder du poids au secteur privé en cohérence avec le principe de l’eau comme bien économique, au fondement de la GIRE.

30Le troisième point de contestation porte sur le rôle conféré aux communautés traditionnelles dans la gestion de l’eau. L’article 6(3) stipule que les droits coutumiers ne sont reconnus que lorsqu’ils existent effectivement et qu’ils sont confirmés par les réglementations décentralisées. Pour les militants, cet article entre en contraction avec la Constitution qui reconnait les droits et l’identité culturelle des communautés traditionnelles.

31Malgré ces oppositions, la version finale de la loi est soumise au Parlement national en octobre 2002 et adoptée, plus de 15 mois après, en février 2004. Dès son adoption, trois acteurs, Walhi [14], KRuHa et la communauté des consommateurs d’eau de Jakarta (Komparta) s’associent pour demander une révision juridique de la loi pour inconstitutionnalité (Hadipuro et al., 2014 ; KruHa, 2012). Ils considèrent que la loi viole l’article 33(3) qui stipule que l’eau doit être contrôlée par l’État pour le plus grand bénéfice du peuple. La cour constitutionnelle rend un avis en 2004 qui valide la constitutionnalité de la loi sur l’eau, suite à un puissant lobbying de certains bailleurs, dont la Banque mondiale (World Bank, 2005). Cependant, fait inédit en Indonésie, elle l’est sous réserve que les législations qui en résultent ainsi que les pratiques suivent son avis. Or, l’avis de la cour est ambivalent. Pour ce qui concerne le droit à l’eau, elle estime que la loi reconnait bien l’eau comme droit humain ainsi que la hiérarchisation des usages, avec une priorité donnée à la satisfaction des besoins essentiels ; elle réaffirme que le gouvernement est garant de ce droit. Elle considère que le texte ne prône pas une privatisation abusive, tout en qualifiant dans le même temps l’eau comme bien public et bien commun (res communis). Elle postule que l’eau ne peut faire l’objet d’une propriété/appropriation, mais maintient le système de licences commerciales et ne remet pas en cause le principe d’arrangements et de compensation financière. Elle réfute le principe du recouvrement aux coûts complets du service d’eau potable, mais ne l’invalide pas. Enfin, elle ne remet pas en cause la limitation des droits coutumiers.

32On constate donc la recherche d’un compromis entre l’eau comme bien économique et comme droit. Ceci ouvre la voie à des interprétations différentes de la loi, en lien avec plusieurs registres de qualification, et rend donc possible les recours.

2.3 – Les controverses autour de l’eau comme bien économique (2005-2015)

33L’avis rendu par la Cour constitutionnelle est peu suivi par le pouvoir central. De nombreuses réglementations dans le cadre de la loi de 2004 renvoient à une qualification de l’eau comme bien économique [15], qu’il s’agisse du service d’eau ou des ressources. En effet, de nombreux gouvernements locaux (villes, départements) nouvellement autonomes recherchent des moyens financiers (Firman, 2014 ; Hadiz, 2004). Ceci se traduit par la multiplication des contrats de délégation du service d’eau à des entreprises privées et l’intensification de l’exploitation des ressources en eau sur leur territoire à travers des licences commerciales.

34Cette période (2005-2015) est marquée par deux cas emblématiques de conflits que nous présentons succinctement.

35Le premier cas traite du service d’eau potable, en particulier dans la ville de Jakarta. Ce cas, très discuté dans la littérature (Bakker, Kooy, 2011 ; Zamzani, Ardhanie, 2015), concerne les contrats de délégation pour la ville de Jakarta signés en 1997 sous le régime de Suharto suite à des négociations opaques avec les entreprises délégataires (Zamzani, Ardhanie, 2015) [16]. KruHa, ainsi que d’autres organisations comme la coalition KMMSAJ [17], le syndicat des travailleurs de l’eau à Jakarta (SPAJ) ou l’Amtra Institute ― qui rassemble des universitaires ― vont dénoncer ces contrats de délégation. Bien que ces contrats ne concernent que Jakarta, le conflit a soulevé des débats au niveau national, voire international, sur la place du secteur privé dans la gouvernance de l’eau et traduit une opposition à la qualification de l’eau comme bien économique.

36Ces organisations dénoncent le décalage entre la hausse du prix de l’eau et la stagnation du service, voire sa dégradation dans certaines zones (taux de performance non respectés, absence de politiques envers les plus pauvres [18]) (Bakker et Kooy, 2011). La corruption et l’opacité du passage de marchés conduisent la coalition KMMSAJ à qualifier d’illégitimes et d’illégaux les contrats de concession conclus avec ces multinationales de l’eau [19]. Elle s’associe à KruHa pour faire un recours auprès de la Commission indonésienne de la transparence (KIP) en demandant à ce que les informations sur les contrats de concession soient rendues publiques, ce qu’ils obtiendront deux ans plus tard (2013). Cela permet de révéler des cas de corruption entre la compagnie d’eau publique (PAM Jaya) et les deux opérateurs privés [20] et va orienter les décideurs dans le choix de modèles de gestion du service (Zamzani, Ardhanie, 2015). Un autre procès, initié par la KMMSAJ à l’encontre de PAM Jaya, du gouvernement et des opérateurs privés, vise l’annulation des contrats de concession et le retour à la gestion publique du service. Ce contexte facilite la prise de position du tribunal central de Jakarta, qui, en mars 2015, annule les contrats au motif que la privatisation n’a pas amélioré le service d’eau en termes de qualité, quantité et continuité du service [21]. Les industriels font appel auprès de la haute Cour de Jakarta. Même si ce cas concerne Jakarta, sa médiatisation et son écho auront une influence importante sur les débats relatifs à la loi sur l’eau 7/2004.

37Le second cas, moins documenté, concerne les ressources en eau, et notamment la remise en cause des activités des embouteilleurs, en particulier étrangers. Ceux-ci exploitent l’eau dans les zones rurales volcaniques grâce au dispositif des licences d’eau commerciales en place depuis la promulgation de la loi 7/2004. Des conflits entre des embouteilleurs, des agriculteurs (petite irrigation) et l’opérateur public d’eau (PDAM) sont régulièrement médiatisés. Il existe plus de 500 entreprises d’embouteilleurs en Indonésie (Selles, 2014), le marché ayant explosé depuis les années 2000 [22]. Cette évolution a un impact négatif sur les populations locales qui n’ont parfois plus accès aux sources ou qui voient leurs puits s’assécher (Al’Afghani, 2006). L’exemple du département du Klaten (Java) a été publicisé suite aux tensions qui ont éclaté, dans les années 2000, entre Danone-Aqua [23], producteur d’eau en bouteille, et les agriculteurs qui accusaient l’entreprise d’être responsable des pénuries d’eau en aval (Lopez et al., 2011). Pour apaiser les conflits, Danone-Aqua a financé des études hydrogéologiques (Selles, 2014) pour démontrer que ses prélèvements d’eau ne sont pas responsables de la pénurie. L’entreprise a par ailleurs soutenu, dans le cadre de sa politique de responsabilité sociale et environnementale (RSE), des activités de protection des ressources en eau dans le Klaten et appuyé financièrement des associations locales.

38Divers acteurs considèrent la loi sur l’eau comme étant à l’origine de ces conflits d’usage. Diverses associations ont manifesté contre les embouteilleurs en soulignant que l’accès minimal à l’eau pour les populations n’était plus garanti au profit d’activités commerciales. La forte mobilisation, dès 2010, d’une organisation politique islamique modérée, Muhammadiyah, a conduit à une rupture. Elle va apporter son soutien aux mouvements de contestation contre les usines d’eau embouteillée, en effectuant un lobbying actif au niveau central (Muhammad et al., 2016). Elle sera ensuite rejointe par des figures militantes et politiques, notamment des membres de la chambre des représentants, l’une des filles du premier Président Sukarno, un ancien ministre, ainsi que diverses organisations populaires [24] (Lobina et al., 2019 ; Muhamad et al., 2016). Alors que KruHa était à l’origine fortement mobilisée contre la loi de 2004, elle se désengage lorsque Muhammadiyah devient le chef de file de la contestation, traduisant l’hétérogénéité de ces organisations militantes et politiques. La médiatisation des conflits locaux conduira à un second recours en justice contre la loi de 2004 auprès de la Cour constitutionnelle en 2013. Des arguments religieux sont avancés, notamment la qualification de l’eau comme don de Dieu (Constitutional Court of the Republic of Indonesia, 2015). Ce recours a conduit à l’annulation de la loi en février 2015, avec pour argument que la loi, en « encourageant et favorisant la privatisation et la commercialisation de l’eau », viole l’article 33 de la Constitution et le droit à l’eau du peuple.

39Ainsi, l’année 2015 voit à la fois l’annulation du contrat de concession de Jakarta et l’annulation de la loi 7/2004. Ceci pourrait être interprété comme un refus de laisser le contrôle du secteur de l’eau à des investisseurs privés étrangers, mais la réalité est plus complexe.

2.4 – Nouveaux débats sur la qualification de l’eau suite à l’annulation de la loi en 2015

40Pour bon nombre d’acteurs, cette décision d’annulation de la loi de 2004 était inattendue car ils anticipaient seulement des amendements sur les articles les plus controversés. La loi 11/1974 est réinstaurée provisoirement, sachant qu’elle n’intégrait pas les principes de Gestion Intégrée des Ressources en Eau (GIRE) et ne reconnaissait pas les entités administratives décentralisées. Le gouvernement invalide toutes les licences commerciales accordées aux embouteilleurs depuis la loi de 2004, et réaffirme l’eau comme bien public.

41Trois points méritent d’être soulignés. Tout d’abord, on assiste à une mobilisation des entreprises privées contre cette décision. Si l’on considère le cas particulier de Jakarta, en 2016, l’entreprise PALYJA gagne l’appel devant la Haute Cour de Jakarta. Mais les militants font à nouveau appel et gagnent définitivement l’annulation unilatérale du contrat de concession devant la Cour Suprême en 2017 [25]. Par ailleurs, les embouteilleurs, représentés par l’association ASPADIN (Indonesian Bottled Business Association), créent un forum d’échanges pour faire des propositions de lois transitoires. Ils organisent des séminaires avec publication d’articles scientifiques, dans le but d’alimenter les débats (Muhamad et al., 2016). Ils font valoir le caractère discriminatoire de la décision car ce retrait des licences commerciales ne concerne que les embouteilleurs, essentiellement des groupes étrangers, et non l’ensemble des industries utilisant l’eau dans un but lucratif (textile, pétrochimie, agriculture…). Ils soulignent enfin les conséquences négatives pour la population d’un arrêt de la production d’eau en bouteille dont la consommation est quasi-généralisée en Indonésie (Muhamad et al., 2016). Le gouvernement leur octroie finalement le droit de conserver les licences, mais ils ne peuvent en obtenir de nouvelles.

42Par ailleurs, deux lois transitoires sont émises en décembre 2015, la loi 121/2015 sur l’utilisation des ressources en eau et celle 122/2015 sur les systèmes d’alimentation en eau potable (SPAM). ASPADIN affirme avoir joué un rôle dans leur rédaction. Elles détaillent les conditions d’attribution, de renouvellement ou d’extension des licences, ainsi que les droits et obligations des acteurs privés. Elles s’inscrivent dans la continuité de la loi de 2004, même si certains changements apparaissent. Plus précisément, la participation du secteur privé pour l’approvisionnement en eau potable comme pour la gestion des ressources est toujours possible, même si elle n’est qu’une option parmi d’autres. Les licences commerciales et non commerciales, qui étaient contestées, sont maintenues. Le principe de gestion par territoires fluviaux, selon les principes de la GIRE, n’est pas non plus remis en cause.

43Pourtant, certains changements sont actés. Ces lois entérinent explicitement le droit à l’eau et le rôle central de l’État dans la gouvernance. Elles stipulent aussi la possibilité d’une gestion communautaire des infrastructures. La satisfaction des besoins essentiels des populations est définie comme prioritaire, l’usage industriel étant en bout de chaine. Enfin, une distinction est opérée entre les activités commerciales dont l’eau est la principale matière première et celles qui nécessitent de l’eau dans le processus de production. Les activités des embouteilleurs sont donc distinctes des autres activités industrielles. D’après ASPADIN, cette spécification pourrait les exposer à des restrictions plus strictes pour l’utilisation de licences commerciales dans le futur.

44La nouvelle loi, en préparation au sein d’une Commission parlementaire ad hoc et en collaboration avec le ministère des Travaux publics, a finalement été votée en septembre 2019, après les élections présidentielles [26]. Elle clarifie certains principes fondamentaux (eau comme droit, comme bien public ne pouvant faire l’objet d’une appropriation). Elle encadre plus strictement les droits d’usage, y compris l’usage non commercial afin de préserver les ressources. Elle reconnait la gestion communautaire et réaffirme une possible délégation au privé pour certaines activités. Enfin, le secteur de l’eau en bouteille est toujours différencié des autres industries. Le principe d’une taxe sur les activités commerciales liées à l’eau n’a en revanche pas été retenu alors qu’il était mentionné dans les versions provisoires.

45Cette périodisation de la loi sur l’eau que nous avons proposée identifie les moments de rupture à partir de l’identification de conflits qui ont donné lieu à la formulation de nouvelles règles. Cette description des enjeux spécifiques à chaque période fournit des éléments pour étayer les points de discussion présentés dans la partie suivante.

3 – Discussion : Conflits de qualification et reconfiguration des modes de gouvernance

46La périodisation proposée, en conformité avec l’approche en termes de changement institutionnel présentée dans la revue de la littérature, nous a permis d’identifier des moments de rupture dans la formulation de la loi sur l’eau en Indonésie. Nous avons établi un parallèle entre ces bifurcations dans la trajectoire de la loi et les conflits.

47Nous proposons trois points de discussion en lien avec notre grille d’analyse. Le premier concerne la nature des conflits, que nous considérons comme des conflits de qualification des eaux. Le deuxième décode les discours de justification contrastés des acteurs impliqués dans la gouvernance du secteur. Ceux-ci agissent en fonction de valeurs, mais aussi d’intérêts stratégiques selon les fenêtres d’opportunité. Cela se traduit par une pluralité de modes de gouvernance. Le troisième point discute la nature politique du choix d’un mode de gouvernance plutôt qu’un autre. Ce choix reflète les rapports de pouvoir qui caractérisent la société indonésienne à un moment donné.

3.1 – De conflits de qualification comme moments de changement institutionnel

48Les conflits d’acteurs identifiés dans le point précédent peuvent être lus comme des conflits de qualification des eaux. Un conflit de qualification a opposé la Cour constitutionnelle, le gouvernement indonésien et les bailleurs de fonds. En effet, la Cour constitutionnelle oscille entre plusieurs qualifications dans son avis rendu en 2004. L’eau y apparait à la fois comme un droit humain fondamental, puis comme un bien public ou social. Elle affirme un peu plus loin que l’eau est aussi un bien commun, puis un « bien public avec des fonctions sociales et économiques » ce qui engendre un certain flou et permet des interprétations diverses de la mise en œuvre de la gestion de l’eau. Ce faisant, elle reste fidèle à la vision de l’État qui prédominait avant la réforme de 2004 et qui privilégiait comme finalité la satisfaction des besoins primaires pour le « bien-être et la prospérité du peuple ». Ceci fait implicitement référence au droit à l’eau, en cohérence avec les principes fondateurs de la société indonésienne, notamment le Pancasila[27]. Pourtant, à partir de 2004, l’État indonésien valide la reconnaissance de l’eau comme bien économique, malgré l’avis mitigé de la Cour constitutionnelle. Ce revirement s’explique par les injonctions des bailleurs et leurs conditionnalités, mais aussi par des arrangements entre l’État et des acteurs privés qui pallient certaines carences du service public. Les bailleurs considèrent que la participation du privé est plus efficace en termes de performance (ADB, 2001). Ceci se traduit par des législations préconisant le recouvrement au coût complet du service et le possible accaparement de sources d’eau par des privés.

49Le conflit le plus explicite a eu lieu entre les coalitions militantes et les privés, et il s’est déroulé sur plusieurs périodes (figure 1). L’analyse des discours de justification des coalitions militantes (comme KruHa) montre l’utilisation indifférenciée d’une qualification de l’eau comme bien social ou public, comme droit humain. Ces qualifications sont proches de celles véhiculées par la Cour constitutionnelle, tandis que l’organisation Muhammadiyah insiste plus sur une qualification de l’eau comme don de Dieu et bien social. On peut souligner que ces acteurs ne se réfèrent pas à la notion de commun, pourtant centrale dans les arènes internationales.

50Cette vision s’oppose à celle des acteurs privés (opérateurs d’eau et embouteilleurs). Les opérateurs d’eau distinguent l’eau comme ressource et service, distinction qui sera actée dans les lois transitoires de 2015. Ceci leur permet de construire un argumentaire qui reconnait le statut de bien commun pour la ressource, seul le service étant marchand et pouvant donner lieu à tarification :

51

Water is a common good, one of the basic public goods. At Suez, we are opposed to the private ownership of water resources precisely because, in our eyes, water is not a commodity. We do not sell a product. We provide a service. (…) It is the price of that service that is billed, not the price of water as raw material.
(Mestrallet, President d’Ondeo/Suez, in KRuHA, 2012)

52Pour les embouteilleurs, l’eau en bouteille est un produit marchand mais aussi un droit, ces deux qualifications ne leur apparaissant pas contradictoires [28]. L’Indonésie se caractérise par un vaste marché d’eau en bouteille, les ménages, même précaires, l’utilisant pour la consommation domestique (Nastiti et al., 2017). Les embouteilleurs considèrent être les seuls fournisseurs d’eau potable face à des opérateurs publics défaillants qui produisent une eau saine mais non potable nécessitant des traitements par les populations (eau filtrée ou bouillie). Selon Danone-Aqua (principal embouteilleur en Indonésie), la satisfaction des besoins essentiels, en accord avec le droit à l’eau, est un principe premier d’où cette association entre bien marchand et droit.

53Les multinationales de l’eau se caractérisent donc par une pluralité de registres de qualification qui entrent en contradiction ou en cohérence, en fonction des périodes, avec ceux des acteurs publics et des militants.

3.2 – Discours de justification et reconfigurations des modes de gouvernance

54Les qualifications de l’eau retenues par les acteurs leur servent de justification pour promouvoir un mode de gouvernance spécifique, en fonction des intérêts et valeurs qu’ils défendent. La Banque mondiale, tout comme d’autres bailleurs de fonds, véhiculent une qualification de l’eau comme bien économique, en cohérence avec la Conférence de Dublin (1992). Cela se traduit par la participation des entreprises privées considérées comme garantes de l’efficacité (World Bank, 1999 ; ADB, 2001). L’endettement des opérateurs d’eau publics (PDAM) est aussi un critère de justification.

55Les coalitions militantes (Kruha, Walhi, Amtra Institute) font un lien systématique entre l’eau qualifiée indistinctement de droit, de bien social et de bien public et une gestion publique qu’elles préconisent. Elles fondent leur argumentaire sur les principes suivants : l’eau n’appartient à personne car c’est un don de Dieu ; l’État doit contrôler les activités relatives à l’eau ; la gestion doit être publique et communautaire, en respect des droits des minorités culturelles. On peut souligner des confusions entre des modes de gouvernance relevant pourtant de principes différents (comme une confusion entre gestion publique et communautaire) et l’absence de discours critique ; par exemple, les militants discutent peu le rôle des autorités publiques dans l’accaparement des ressources. Or, ce sont bien les gouvernements locaux qui décident de la vente des terres, qui autorisent l’implantation des activités industrielles sur leurs territoires et qui sont les principaux interlocuteurs des embouteilleurs.

56Dans le même temps, les coalitions assimilent la qualification de l’eau comme bien économique à une marchandisation et une commercialisation, voire une privatisation, et dénoncent les conséquences négatives d’une gestion privée de l’eau. Selon les périodes et l’orientation des débats, certains militants (KruHa) vont utiliser la distinction entre eau ressource et eau service pour faire valoir cet argumentaire. Par exemple, lors de l’échec de l’annulation de la loi en 2004, ils réorienteront leurs luttes contre la gestion déléguée du service d’eau à Jakarta et non plus contre l’accaparement potentiel des ressources en eau rendu possible par le système de licences d’eau. Leur discours de justification repose sur des arguments concrets, souvent fondés sur leurs propres investigations : manque de transparence de l’opérateur privé, faible qualité du service, faible prise en compte de l’accès pour les plus précaires.

57A d’autres périodes, elles réfutent le discours de justification des embouteilleurs qui jouent sur une supposée compatibilité entre des qualifications de l’eau comme droit humain et comme bien privé pour justifier la participation du secteur privé à la gouvernance du secteur. Ceux-ci (Danone-Aqua, ASPADIN) considèrent qu’ils sont incontournables dans la fourniture d’eau potable. En effet, les ménages considèrent que l’eau du réseau est impropre à la consommation, opinion aussi partagée par l’opérateur public et le gouvernement national, pourtant censés garantir l’approvisionnement en eau saine. Lors de l’annulation de la loi, le lobbying des embouteilleurs n’a pas porté sur l’opposition entre ces qualifications, mais sur la nécessité de maintenir des licences commerciales pour exploiter les ressources en eau et pallier, de leur point de vue, les manques de l’opérateur public dans la fourniture d’eau. Ils considèrent assurer une mission de santé publique, en étant les seuls à fournir une eau potable respectant les normes internationales.

58Nous avons donc montré que si les différents acteurs invoquent, dans leur discours de justification, des arguments liés à la qualification des eaux, ils s’inscrivent en fait dans une vision politique, normative, en présupposant la supériorité d’un mode de gouvernance (public ou privé, sans référence au commun) sur un autre. Une vision que l’on pourrait qualifier de « mécanique » entre qualification et mode de gouvernance n’est pas discutée, et on bascule dans une confrontation binaire entre gouvernance privée et publique, reflet d’un choix politique et d’une vision du monde. Cette vision conduit à privilégier une vision normative, peu critique.

3.3 – Rapports de pouvoir et choix des modes de gouvernance

59Nous avons associé les moments de rupture dans la trajectoire de la loi sur l’eau à des conflits d’acteurs qui reflètent des rapports de pouvoir asymétriques, structurant la société indonésienne. Alors que l’on aurait pu penser que les rapports de pouvoir avaient basculé en faveur des militants pour le droit à l’eau suite à l’annulation de la loi sur l’eau, une analyse fine conduit à relativiser cette interprétation. En effet, si les nouvelles règles élaborées suite à l’annulation de la loi de 2004 auraient pu être interprétées comme l’émergence d’un nouveau modèle, on constate au contraire le maintien du modèle sous-jacent à la loi de 2004.

60L’annulation de la loi aurait pu se traduire par un nouveau modèle fondé sur la qualification de l’eau comme droit humain, avec une gestion publique du service et l’encadrement par l’État des activités commerciales, notamment celles des embouteilleurs, en cohérence avec les requêtes de diverses organisations militantes. L’annulation du contrat de délégation de gestion du service à Suez dans une partie de Jakarta aurait pu être interprétée comme une victoire de ce point de vue. Cependant, dans les faits, l’annulation de la loi a eu des retombées limitées. Les lois transitoires de 2015 sont très proches de la loi de 2004 qui renvoyait à une qualification de l’eau comme bien économique. Le contexte indonésien y est propice, avec une ouverture aux investisseurs étrangers, soutenue par le Président de la République. Ni la participation du secteur privé dans les autres villes que Jakarta ni les licences commerciales ne sont remises en cause. Le principe d’achat des terres par les embouteilleurs n’est pas discuté. En effet, la production d’eau minérale implique l’achat, par les acteurs privés, de grandes superficies autour des points de captage pour s’assurer de la non-contamination des sols et des nappes. Les embouteilleurs, qui se considèrent comme les seuls à fournir une eau de qualité, ont fait basculer le rapport de force en leur faveur, au détriment de l’organisation politique Muhammadiyah. Celle-ci réclamait un contrôle de l’utilisation des eaux de source par les autorités publiques. En outre, les décrets et règlements pris aux échelons décentralisés sont maintenus après l’annulation. Le processus de formulation de la nouvelle loi s’est effectué à huis clos, excluant les militants. Ce manque de transparence a aussi caractérisé la décision de justice d’annulation des contrats de délégation à Jakarta, restée secrète pendant six mois, le temps que les opérateurs privés réorganisent leurs activités. Ainsi, plutôt qu’une victoire des militants, le maintien du modèle inhérent à la loi 2004 traduit un rapport de pouvoir en faveur des acteurs privés et le maintien d’une technocratisation.

61Cette interprétation mérite d’être relativisée, notamment si l’on considère les effets de l’annulation de la loi dans certains territoires. Nous prenons comme exemple le cas du département du Klaten et de la ville de Solo, en étudiant les effets du changement de statut des eaux de source. Jusqu’en 2015, les eaux de source étaient assimilées à des eaux souterraines et gérées par le ministère des Mines, alors que le ministère des Travaux publics contrôlait les eaux de surface. Depuis les lois transitoires, les eaux de source sont considérées comme des eaux de surface. Ces diverses qualifications de l’eau n’ont pas fait l’objet de contestations de la part de coalitions militantes ou d’associations, quelles que soient les périodes, alors qu’elles sont centrales dans l’analyse des rapports de pouvoir. L’utilisation des eaux de source du Klaten fait l’objet de conflits d’usage depuis de nombreuses années. L’opérateur public (PDAM Solo) et le département du Klaten se sont affrontés sur le montant des taxes pour les prélèvements d’eau de source destinés à l’alimentation de la ville de Solo. L’enjeu est important car ces eaux constituent la principale source d’eaux brutes pour l’opérateur public [29]. En 2007, un décret du gouvernement local du Klaten permet l’augmentation des taxes sur l’eau qui quadruplent (entretien PDAM, 2017). Le PDAM, soutenu politiquement par la mairie de Solo, refuse de payer ces nouvelles taxes. En réponse, le Klaten rejette toute demande d’augmentation des prélèvements d’eau faite par le PDAM de Solo et la situation est bloquée depuis 2012. L’opérateur d’eau urbain a alors massivement exploité les eaux souterraines de la ville déjà étant en situation de surexploitation pour desservir les citadins (Valette, 2019).

62Cependant, depuis les lois de 2015, la gestion des eaux de source est régulée non plus par les départements, mais par la province. Ce changement a été favorable au PDAM de Solo car l’opérateur interagit désormais directement avec la province de Jawa Tengah et non plus avec le département du Klaten. D’après nos enquêtes, il paie désormais moins de taxes sur ces eaux de source [30]. Le département du Klaten est toutefois toujours insatisfait du processus de résolution des conflits qui a été mis en œuvre. Cet exemple montre un basculement des rapports de pouvoir dans la gouvernance des eaux de source.

63Pour les embouteilleurs, ce changement de statut des eaux de source en eaux de surface leur serait a priori favorable car les restrictions sur l’utilisation quantitative des eaux concernent essentiellement les eaux souterraines [31]. De plus, les taxes sont plus faibles pour les eaux de surface, et le coût de l’eau brute diminue. Or, les embouteilleurs d’eau minérale utilisaient jusqu’en 2015 principalement les eaux de source avec des permis d’eau souterraine. Ce changement de statut des eaux de source pourrait aussi mettre à mal les arrangements qu’ils établissaient directement avec les départements pour l’achat des terres et, plus généralement, pour l’organisation de leurs activités. En ce sens, ce changement de statut semble être un basculement des rapports de pouvoir en défaveur des embouteilleurs.

64Ainsi, alors que les conflits d’acteurs semblaient illustrer un basculement majeur des rapports de pouvoir au profit de coalitions militantes revendiquant un droit à l’eau, nous avons montré la permanence de rapports de pouvoir antérieurs qui confèrent au secteur privé une place centrale et privilégient une qualification de l’eau comme bien économique. Un ajustement semble cependant s’opérer, par une régulation des activités des embouteilleurs et l’émergence d’un compromis par l’intermédiaire de la province, sans que l’on puisse à ce stade se prononcer sur sa pérennité.

Conclusion

65Cet article a analysé, sur le long terme, la dynamique institutionnelle qui caractérise le secteur de l’eau en Indonésie, en interprétant les points de bifurcation à travers les conflits de qualification et les rapports de pouvoir entre diverses parties prenantes. Une étude de cas a été retenue, à savoir le processus d’annulation de la loi indonésienne sur l’eau 7/2004.

66La grille d’analyse que nous avons élaborée s’inscrit dans le cadre de l’institutionnalisme historique, et a mobilisé les concepts de changement institutionnel, de gouvernance et de qualification. Les approches institutionnalistes du changement institutionnel nous ont permis de proposer une périodisation de la loi sur l’eau en identifiant des points de rupture, des bifurcations correspondant à de nouveaux modes de gouvernance. Les approches régulationnistes de la gouvernance et celles en political ecology ont enrichi notre grille en considérant les rapports de pouvoir sous-jacents au choix politique d’un mode de gouvernance de l’eau. Enfin, le recours à l’économie des conventions nous a conduites à décrypter les qualifications auxquelles les acteurs se réfèrent pour justifier un mode de gouvernance spécifique.

67Plusieurs résultats ont été mis en évidence. Tout d’abord, les conflits d’acteurs à l’origine du changement de règles sont des conflits de qualification des eaux (l’eau comme bien public, bien social, droit, bien économique). Selon leurs intérêts, les acteurs construisent différents discours de justification fondés sur des valeurs différentes.

68Un autre résultat met en évidence le lien, parfois « mécanique », entre qualification et mode de gouvernance considéré comme le plus « juste ». L’analyse des discours de justification des différents acteurs a été proposée pour en rendre compte. Par exemple, le discours de justification des militants consiste à associer mécaniquement la qualification de l’eau comme bien social, bien public et droit à une gestion publique.

69Enfin, nous avons montré que les choix de modes de gouvernance s’opèrent en fonction des rapports de pouvoir qui évoluent en fonction des périodes, d’où l’importance de la contextualisation. Par exemple, même si les embouteilleurs ont dû s’adapter à des changements de règles, nos enquêtes montrent la permanence des rapports de pouvoir antérieurs leur conférant un rôle majeur dans la gouvernance du secteur.

70Cet article montre donc l’importance d’approches qui permettent de décoder la complexité des jeux d’acteurs et les rapports de pouvoir dans une perspective dynamique. Le secteur de l’eau en Indonésie, traversé par des transformations institutionnelles majeures, de forts enjeux économiques (un marché de l’eau en bouteille généralisé), sociaux (relatifs à l’accès aux services d’eau) et environnementaux (surexploitation des eaux de source) en est l’illustration.


Annexes

Lois étudiées

1.Constitutional Court of the Republic of Indonesia. 2015. Decision Number 85/PUU-XI/2013
2.Constitutional Court of the Republic of Indonesia. 2005. Elucidation. The Republic of Indonesia, Law 7 of 2004 on water resources
3.Constitutional Court of the Republic of Indonesia. 2004. Elucidation. The Republic of Indonesia, Law 7 of 2004 on water resources
4.Minister of Mines and Energy. Regulation 15 of 2012 on the Safe Use of Ground Water
5.Republic of Indonesia (the). Government Regulation 121 of 2015 on SPAM
6.Republic of Indonesia (the). Government Regulation 122 of 2015 on utilization of water resources
7.Republic of Indonesia (the). Government Regulation 43 of 2008 on groundwater
8.Republic of Indonesia (the). Law 7 of 2004 on water resources development
9.Republic of Indonesia (the). Law 11 of 1974 on water resources development
10.Republic of Indonesia (the). Basic Agrarian Act 5 of 1960
11.Republic of Indonesia (the). Constitution of the Republic of Indonesia of 1960

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Mots-clés éditeurs : gouvernance de l’eau, qualification, changement institutionnel, rapports de pouvoir, conflits, Indonésie, loi sur l’eau

Date de mise en ligne : 15/07/2020

https://doi.org/10.3166/ges. 2020.0002

Notes

  • [1]
    Site de la Banque mondiale : https://data.worldbank.org/ [dernière consultation le 18 mars 2020].
  • [2]
    Pluviométrie annuelle moyenne : 2,350 mm (ADB, 2016).
  • [3]
    En 2018, le marché de l’eau embouteillée rapportait 11 392.8 millions de dollars [https://www.statista.com]
  • [4]
    Cela signifie un accès protégé des contaminations animales (JMP, 2017).
  • [5]
    Site de la Banque mondiale (op. cit.).
  • [6]
    https://www.ecolex.org/ [dernière consultation le 30/11/2019].
  • [7]
    Nous avons utilisé le journal indonésien anglophone The Jakarta Post, ainsi que les journaux indonésiens Kompas, Koran Tempo, Bisnis Indonesia, Investor Daily et Media Indonesia, dont les articles sont traduits en anglais sur la plateforme Indonesia Infrastructure Initiative Program (Indii) [http://www.indii.co.id/en/ dernière consultation le 30/11/2017]. Au total, 131 articles publiés entre 2008 et 2018 ont été étudiés.
  • [8]
    En économie publique, une grille, élaborée par Samuelson (1954) et Musgrave (1959), permet de caractériser des biens dont l’existence traduit des défaillances de marché en fonction de deux critères : l’exclusion et la rivalité. L’exclusion signifie que l’accès à un bien n’est pas possible pour tous. La rivalité signifie que la consommation d’un bien par un agent réduit la quantité disponible pour les autres.
  • [9]
    Ils caractérisent six cités reposant chacune sur une philosophie politique : les cités marchandes de Smith, industrielle de Saint Simon, civique de Rousseau, de l’opinion ou du renom de Hobbes, inspirée de Saint Augustin et domestique de Bossuet.
  • [10]
    Avant l’Indépendance, le secteur de l’eau était régi par un système de lois coutumières locales (adat) datant de l’époque des sultanats. Ces lois variaient fortement selon les îles, les régions et les villages, d’où le choix du début de la périodisation en 1945. Les réglementations coloniales se sont superposées à ces lois coutumières et les ont supplantées lorsqu’il y avait des intérêts contradictoires (von Benda-Beckmann, 2007).
  • [11]
    Perusahaan Daerah Air Minum (PDAM) - compagnie publique d’eau potable née sous la colonisation néerlandaise. Il en existe 368 dans le pays.
  • [12]
    La coalition du peuple pour le droit à l’eau - Koalisi Rakyat untuk Hak Atas Air.
  • [13]
    La gestion des eaux souterraines est inscrite dans deux législations promulguées en 2008 et 2012 (loi 43 / 2008 sur les eaux souterraines et réglementation du Ministère des Mines et de l’énergie 15 / 2012 sur l’usage des eaux souterraines).
  • [14]
    L’antenne indonésienne des amis de la terre - Wahana Lingkungan Hidup Indonesia.
  • [15]
    Par exemple, le décret 23/2006 du ministère des Affaires intérieures oblige les opérateurs d’eau (PDAM) à viser le recouvrement aux coûts complets (Hadipuro, 2010).
  • [16]
    L’Ouest de Jakarta est desservi par l’entreprise PALYJA (PT PAM Lyonnaise Jaya, détenue majoritairement par Ondéo, devenue Suez Environnement), tandis que la partie Est a été attribuée à l’opérateur anglais Thames Water (société Aquatico, devenue Aetra). Après la chute de Suharto, les deux opérateurs ont dû s’associer à deux compagnies indonésiennes proches de l’ancien régime.
  • [17]
    Coalition des citoyens contre la privatisation de l’eau de Jakarta – Koalisi Masyarakat Menolak Swastanisasi Air Jakarta. Elle est fondée par KruHa en 2011.
  • [18]
    Ces faibles performances sont aussi dues à la politique du territoire spécial de Jakarta (DKI) qui proscrit le raccordement des populations vivant dans des quartiers informels.
  • [19]
    Les clauses des contrats sont contestées, notamment le fait que les entreprises concessionnaires sont rémunérées par PAM Jaya (l’entreprise municipale propriétaire des réseaux) au coût de revient de l’eau. Ce coût a augmenté régulièrement et plus rapidement que le prix de l’eau payé par les usagers, aggravant l’endettement de PAM Jaya (Zamzami, Ardhanie, 2015).
  • [20]
    Le montant est estimé par les militants de l’Amtra Institute à 35 millions d’euros (561 milliards de roupies) (Zamzani, Ardhanie, 2015).
  • [21]
    The Jakarta Post, “What you need to know about Jakarta’s water privatization”, Jakarta, April, 12, 2018.
  • [22]
    Le marché de l’eau en bouteille n’a cessé de s’accroitre depuis les années 2000, la capacité de production étant passée de 9100 millions de litres en 2004 à 25 000 millions de litres en 2015 (ASPADIN, 2016).
  • [23]
    Cette multinationale contrôle 80% de la vente d’eau potable en bouteille (Selles, 2014).
  • [24]
    Notamment des associations de vendeurs de rue et des organisations islamiques (Lobina et al., 2019).
  • [25]
    Ce contrat a été transformé en un contrat « BOT » (build – operate – transfer) (Lobina et al., 2019).
  • [26]
    Les décrets d’application n’ont pas été publiés à ce jour.
  • [27]
    Le Pancasila est le fondement philosophique de l’État indonésien, avec 5 principes (en sanskrit, Panca signifie cinq et sila principes), dont celui de justice sociale pour l’ensemble du peuple.
  • [28]
    Ceci est cohérent avec la thèse de Bakker (2007) qui distingue une conception collective et une conception individuelle du droit à l’eau. La conception individuelle peut être conciliée avec une participation du secteur privé et un agenda néolibéral, tandis d’une conception collective permet de lutter plus globalement contre l’accaparement des ressources de populations marginalisées par des multinationales.
  • [29]
    Cela représente près de la moitié des sources d’eau brute de l’opérateur. Source : PDAM http://www.pdamsolo.or.id/ [dernière consultation le 13 juin 2019].
  • [30]
    Le directeur technique du PDAM donne les chiffres en 2017 de 140 Rp/m3 (0.009 €), et une taxe de la province de 10 % sur le montant total, contre 20 % lorsque le PDAM de Solo traitait directement avec le département du Klaten.
  • [31]
    Loi 43/2008 sur les eaux souterraines.

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