Notes
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[1]
Ministère de la transition écologique et solidaire
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[2]
En français « pas derrière chez moi », néologisme pour exprimer le rejet des projets porteurs de nuisances éventuelles à proximité des résidences
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[3]
Notons également que le coût d’opportunité à utiliser ces terres pour produire de l’alimentation augmente avec les rémunérations liées à la production énergétique, ce qui fait s’inquiéter certains sur la quantité de nourriture disponible à terme pour nourrir la population.
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[4]
La campagne d’entretiens (entièrement retranscrits) a été menée auprès de quatorze interlocuteurs territoriaux (Chambre d’Agriculture, ADEME, etc.), onze riverains de projets de méthanisation collective, six associations (pro et anti-méthanisation), huit entreprises (porteur de projet et partie prenante), sept élus (maire, président de communauté de communes et député) et sept agriculteurs (porteur de projet et partie prenante).
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[5]
Notre zone d’étude s’étend sur trois régions administratives françaises, à savoir la Normandie, la Bretagne et les Pays de la Loire. Depuis 2004, 91 projets de méthanisation collective avec une valorisation exclusive ou partielle de déchets issus de la biomasse ont émergé dans le Grand-Ouest français au 1er Juillet 2018. Les projets sur lesquels des entretiens semi-directifs ont été menés : Agrigaz Vire à Vire-Normandie (14), Géotexia au Mené (22) Biogaz de Gaillon à Gaillon (27), Percy Biogaz à Percy en-Normandie (50), le Lycée agricole à Coutances (50), Fertiwatt à Fougerolles du Plessis (53), Agrimaine Méthanisation à Charchigné (53), Oudon Biogaz à Livré la Touche (53) et Méthamaine à Meslay du Maine (53).
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[6]
Ce cycle de Conférences annuelle des 14 et 15 septembre 2012 a fait suite au Grenelle 2 de l’Environnement organisé en 2010.
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[7]
Notons que plusieurs travaux utilisant des Analyses de Cycle de Vie insistent sur les conséquences écologiques à la fois positives mais aussi négatives de la méthanisation, celles-ci variant beaucoup en fonction du contexte environnemental (Aissani et al., 2013 ; Laurent F., 2015).
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[8]
À la faveur de l’amélioration de la qualité des engrais du fumier, à la réduction considérable des odeurs et à l’inactivation des agents pathogènes et, enfin et surtout, à la production de biogaz, une énergie renouvelable
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[9]
Comme des démarches Territoire à Énergie POStitive (TEPOS), Territoire à Énergie Positive pour la Croissance Verte (TEPCV), Projet d’Aménagement et de Développement Durable, Plans régionaux de gestion des déchets, etc.
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[10]
Syndicat mixte de traitement et de valorisation des déchets ménagers de la Région Ouest Calvados.
Introduction
1La transition énergétique est aujourd’hui considérée par les institutions nationales, européennes et internationales comme incontournable (ONU, 2018). Dans son dernier rapport sur la Cohésion économique, sociale et territoriale, la Commission européenne (2017) insiste sur la nécessité de lutter contre le changement climatique et opérer la transition environnementale par le biais notamment du développement des énergies renouvelables. Parallèlement, la Stratégie Europe 2020 fixe des objectifs précis : (i) réduire de 20 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 1990, (ii) faire passer la part des sources d’énergie renouvelable à 20 % et (iii) accroître de 20 % l’efficacité énergétique par rapport à la consommation projetée d’énergie en 2020. En France, le ministère de la transition écologique et solidaire pousse vers une accélération de la transition énergétique tout en insistant sur la méthanisation comme solution durable, locale et circulaire (MTES [1], 2018).
2Ceci rejoint l’idée développée par un nombre croissant de chercheurs selon laquelle la stratégie d’affranchissement des énergies fossiles repose en partie sur une intensification de l’effort de recherche dans les biotechnologies sur la méthanisation (Zerrouki et al., 2017). Dans le cadre du mix énergétique souhaité par la France et compte tenu de la volonté d’un nombre croissant de territoires d’arriver à une autonomie énergétique locale, la valorisation des résidus organiques (générés par l’élevage, les cultures, et les déchets verts produits et/ou collectés par les collectivités territoriales) semble donc être une réponse adéquate. L’orientation vers une plus grande autonomie énergétique est d’autant plus cruciale que les collectivités locales sont aujourd’hui confrontées à des contraintes budgétaires fortes (Torre et Bourdin, 2015) et à une gestion des déchets toujours plus onéreuse et difficile à organiser.
3D’un point de vue académique, alors que l’on recense une multiplication très significative des articles en sciences de l’ingénieur sur cette technologie verte, côté sciences humaines et sociales, la littérature est encore relativement pauvre à ce sujet. Pourtant, identifier et comprendre (i) les enjeux organisationnels ainsi que sociaux du développement des bioénergies et (ii) les processus d’ancrage local ainsi que les impacts socio-économiques et environnementaux de la valorisation des déchets verts, semble nécessaire. À ce jour, nous ne recensons que quelques travaux sur les systèmes énergétiques territoriaux (Barthe, 2009 et Tritz, 2012 sur la valorisation du bois ; Fléty, 2014 sur la mise en place d’un observatoire pour la territorialisation de l’énergie) mais pas spécifiquement sur la méthanisation. Pourtant, cette dernière permet (i) une production et une consommation locale de l’énergie à partir de ressources du territoire et (ii) de constituer une forme de production décentralisée d’énergie durable, et ce, à plus ou moins grande échelle : exploitation individuelle de type « à la ferme » avec un méthaniseur intégré à l’exploitation agricole, projet de dimension industrielle porté par des coopératives agricoles ou des entreprises de l’énergie.
4Pour autant, ces projets de méthanisation ne sont pas sans poser quelques controverses. À l’inverse des projets « à la ferme », les unités de méthanisation de dimension industrielle suscitent souvent des craintes de la part des riverains et de l’opinion publique locale (Zemo et al., 2019). En effet, si la population locale interrogée est bien souvent d’accord sur le principe de la nécessité de lutter contre le changement climatique au niveau local (écologisation des pratiques), cette dernière n’est souvent pas prête à accueillir sur son territoire des installations destinées à y parvenir (territorialisation de la transition énergétique), encore moins lorsqu’elles sont situées à proximité de chez elle. Le rejet exprimé par les populations locales et des associations de riverains des territoires accueillants les projets de méthanisation s’articule le plus souvent autour de questions relatives aux nuisances olfactives et sonores et sur le possible encombrement des routes par les camions pour acheminer les matières premières jusqu’au méthaniseur. Le risque de dépréciation du prix des valeurs immobilières situées en proximité fait aussi partie des craintes et pousse les riverains à réagir contre les projets. Une étude récente sur l’implantation des projets de méthaniseurs en milieu rural au Danemark (Zemo et al., op.cit.) a montré, qu’au-delà des phénomènes de NIMBY (not in my back yard [2]), les impacts négatifs sur la valeur immobilière de plus de onze mille transactions de résidences sont davantage causés par la taille des projets que par la localisation de ces derniers : les grandes installations de production de méthanisation ont un impact négatif et significatif sur la valeur des propriétés résidentielles rurales, tandis que les installations de production de méthanisation à la ferme ont un impact positif et significatif. Tous ces arguments peuvent jouer en faveur de certaines discussions et de pressions mises sur les élus locaux pour retarder, voire rejeter, les projets d’installations sur leur territoire. Il en résulte parfois que le maire, qui était favorable au projet, finalement ne le soutienne plus du fait d’associations de riverains qui rejettent le projet. On retrouve ici le phénomène NIMEY (not in my electoral year). En outre, il existe aussi un certain nombre d’autres controverses qui ne concernent pas directement le phénomène NIMBY. Par exemple, la méthanisation n’est pas sans poser des problèmes de pollutions liées au digestat (Aissani et al., 2013 ; Nkoa, 2014) et, avec les changements d’utilisation des sols à des fins de production énergétique, cela produit une altération sur la teneur en carbone organique des sols et des émissions de gaz à effets de serre ou de particules fines. Toutefois, les impacts réels directs et indirects sont encore difficilement mesurables (Harris et al., 2015). Une autre controverse concerne la question de la concurrence pour les ressources entre les méthaniseurs ou avec d’autres filières – en particulier l’industrie agroalimentaire – avec une production de matières premières agricoles dédiée exclusivement aux méthaniseurs (Wilkinson, 2011 ; Srirangan et al., 2012). Or, une étude met en lumière une augmentation des prix du foncier pour ces terres arables utilisées pour la production énergétique et alimentaire (Rathmann et al, 2010) [3]. D’un autre côté, les défenseurs des cultures énergétiques expliquent que ce sont des terres marginales qui doivent être utilisées, trop pauvres et inappropriées pour la culture alimentaire, voire pas encore défrichées dans certains pays du sud (Shortall et al. 2019).
5Dans un contexte où la méthanisation est loin de faire l’unanimité, il n’est pas étonnant que 20 % à 30 % des projets de méthanisation (ADEME 2014) soient abandonnés en raison des difficultés à mettre sur pied une stratégie permettant de lever les problèmes soulevés dans les controverses. D’autres obstacles peuvent également expliquer la lenteur du déploiement des projets tels que le manque d’adhésion, les problèmes de coordination entre acteurs et de mise en œuvre de dispositifs de gouvernance territoriale adéquats. Dès lors, on peut s’interroger sur la place que pourrait jouer les collectivités locales pour favoriser le développement de la méthanisation en France. Aussi, notre proposition vise à analyser dans quelle mesure les collectivités locales favorisent-elles le développement de la méthanisation. Nous faisons l’hypothèse de la capacité des collectivités locales à changer les manières de penser et à infléchir des conduites sociales liées à la méthanisation (écologisation des pratiques) en se plaçant comme véritables acteurs intermédiaires. Nous émettons également l’hypothèse qu’elles facilitent l’ancrage territorial de la filière en mobilisant des déchets issus de la biomasse (territorialisation de la transition énergétique). De ce fait, nous interrogerons à la fois les freins et les leviers à son ancrage local et son déploiement sur les territoires en mobilisant la grille de lecture des proximités territoriales (Torre et Beuret, 2012).
6Pour ce faire, nous avons procédé à la réalisation d’entretiens semi-directifs auprès de 53 parties prenantes [4] de projets ou d’unités existantes de méthanisation ayant accepté de répondre à notre étude, à l’échelle territoriale du Grand-Ouest français [5] entre juillet 2016 et mars 2018. Le protocole d’entretien a reposé sur une trentaine de questions, regroupées autour de trois grandes thématiques, axées sur (i) les freins et leviers au projet, (ii) les questions de proximité entre les acteurs et les collaborations entre eux (iii) et la perception de l’économie circulaire et de la transition énergétique et de ses enjeux.
7Notre article présente tout d’abord le cadre théorique et empirique mobilisé pour répondre à notre problématique, puis la seconde partie présente les principaux résultats autour de la place et du rôle de la collectivité comme acteur intermédiaire favorisant le déploiement de la méthanisation sur les territoires.
1 – La méthanisation : entre changements des pratiques et ancrage local
8Dans une première partie, il est mis en évidence en quoi la biomasse constitue une ressource territoriale à valoriser dans le contexte de la transition énergétique. Puis, il est présenté le rôle de la collectivité comme acteur intermédiaire pour le déploiement de la méthanisation sur les territoires.
1.1 – La biomasse comme ressource territoriale pour la transition énergétique
1.1.1 – Des intérêts de mobiliser la biomasse
9L’interdépendance des processus territoriaux et énergétiques incite à un changement de paradigme et à la considération du contexte territorial (Fléty, 2014). Le discours dominant – et par ailleurs assez récent – indique notamment que la transition énergétique passe par le développement et la mise en œuvre de l’écologie industrielle et territoriale (Buclet, 2013 ; Brullot et al., 2017) et de l’économie circulaire dans les territoires (Brullot et Gobert, 2014). En France, les intervenants de la Conférence environnementale sur le Développement Durable de 2012 [6] insistaient sur la nécessité de réfléchir à une réforme des modes de production et de consommation de l’énergie afin de promouvoir les énergies renouvelables et les dynamiques d’innovation qui leur sont associées.
10Dans ce cadre, les territoires et les industries sont amenés à réfléchir à des solutions technologiques permettant (i) un traitement plus économe et plus efficace des déchets, (ii) ainsi que de produire de l’énergie par et pour le territoire. Parmi les technologies actuelles, nous nous intéresserons plus spécifiquement à la méthanisation comme source de développement économique et territorial qui permet également une protection environnementale. Comme le souligne Barthe (2009), les espaces ruraux peuvent être considérés comme des « générateurs de bioressources ». Ils constituent des facteurs de maintien, de relance ou de création d’activités pour les dynamiser. Lambert et Georgeault (2014) rappellent à cet effet que la problématique de la gestion des ressources n’est plus cantonnée à un public d’écologistes et d’académiques. Elle a maintenant des répercussions au niveau économique et ses impacts sont particulièrement concrets. L’État, la recherche, les entreprises, les citoyens et les décideurs politiques perçoivent l’importance du sujet et les enjeux environnementaux, économiques et sociétaux qu’il induit. On comprend dès lors pourquoi le MTES (2018) s’y intéresse plus particulièrement en ce moment, et ce malgré les controverses présentées dans l’introduction de l’article.
11Pour les collectivités territoriales, les avantages sont multiples : (i) réalisation d’économies, (ii) création de nouvelles filières énergétiques durables et (iii) développement d’emplois locaux (ADEME, 2015). Par exemple, Guenther-Lübbers et al. (2016) analysent les effets de l’augmentation de la production de biogaz sur l’emploi et la valeur ajoutée dans les zones rurales en Basse-Saxe et identifient un impact positif et significatif de la méthanisation sur les territoires étudiés. Il souligne qu’il s’agit d’une manière efficace d’associer la recherche et l’innovation sociale en créant de la valeur ajoutée dans le respect de l’environnement, de transformer et de valoriser les déchets, de créer une nouvelle source d’énergie et de limiter la consommation d’énergies fossiles au profit d’énergies vertes alternatives.
12Pour les agriculteurs, faire de la biomasse une bioressource signifie d’une part, une réduction de la dépendance énergétique – puisque la cogénération et l’injection permettent d’alimenter l’exploitation ou le réseau en électricité, en chaleur et en gaz – et d’autre part, une diminution de la dépendance aux engrais minéraux car il est possible d’utiliser le digestat comme fertilisant pour les sols agricoles. Ainsi, cette énergie renouvelable est particulièrement intéressante à analyser car elle est par nature ancrée localement et peut-être considérée, de ce point de vue, comme une forme de système productif local, constitué par la mobilisation de ressources spécifiques et la mise en synergies d’acteurs locaux autour d’un projet de dimension territoriale.
1.1.2 – Mobiliser la biomasse par la mise en place d’un système énergétique territorial
13La littérature scientifique sur la concentration spatiale d’unités productives spécialisées dans un secteur d’activité (districts industriels, clusters et autres systèmes productifs) est abondante. Plus spécifiquement, de nombreux chercheurs se sont attachés à étudier les Systèmes Productifs Locaux (SPL) comme des formes organisationnelles ancrées localement (Pecqueur, 1989 ; Courlet et Pecqueur, 1993 ; Colletis et al., 1999 ; Courlet, 2002 et 2013) et répondant à une logique territoriale de proximité. Plus récemment encore, des travaux ont abordé ces questions sous l’angle de l’énergie (Tritz, 2012 ; Fléty, 2014) menant à l’apparition du concept de Système Énergétique Territorial (SET). Nous pouvons définir ce dernier comme un système pluri-acteurs et multifonctionnel ancré localement et destiné à produire de l’énergie à partir de différents types de ressources (y compris des bioressources). Ce SET va alors chercher à mobiliser les ressources territoriales pour mettre en œuvre la transition énergétique au niveau local. L’installation de digesteurs anaérobie permettra ensuite de les utiliser comme une ressource offrant plusieurs avantages environnementaux [7], agricoles et socio-économiques [8] (Holm-Nielsen et al., 2009 ; Tritz, 2013). La notion de ressource territoriale s’est développée au travers de la recherche de solutions à la crise du modèle fordiste. On part alors de l’idée que les handicaps (apparents ou pointés) des territoires – en particulier les plus en difficultés (ruraux, périphériques, de montagne, …) – pouvaient développer des projets à partir de leur milieu et des ressources spécifiques (Lamara, 2009). D’un point de vue économique, les ressources identifiées, fruits au final des interactions sociales entre acteurs, constituent ainsi de nouvelles forces et atouts qu’il faut ensuite réussir à valoriser : la ressource territoriale apparaît comme « une caractéristique construite d’un territoire spécifique et ce, dans une optique de développement. » (Pecqueur et Gumuchian, 2007). La reconnaissance du territoire comme objet économique permet d’en faire ressortir les ressources qui vont le rendre alors spécifique. Aujourd’hui, l’injonction du développement durable et d’éco-responsabilité des projets de développement, impose une réflexion et des synergies entre acteurs pour la valorisation des ressources à l’échelle locale et de leur apport dans la chaîne de valeur des systèmes productifs.
14La question de l’utilisation de déchets pour en faire des ressources territoriales locales par la mise en œuvre d’un SET fait ainsi explicitement référence au concept praxéologique d’économie circulaire dont l’appropriation et la discussion d’un point de vue académique est récente (Arnsperger et Bourg, 2016). On est là dans la rencontre de la ressource (matières premières par exemple, ou résidu de matières) avec un système de production (Kebir, 2006). L’économie circulaire est présentée comme un nouveau modèle économique permettant de concilier croissance économique et protection de l’environnement (Zhu et al., 2011 ; ADEME, 2014 ; Sauvé et al., 2016). Elle vise à optimiser l’usage des ressources territoriales, la réduction des déchets et l’amélioration de la qualité de vie des populations (Yuan et Moriguichi, 2006 ; Zhijun et Nailing, 2007 ; Esposito et al., 2015). De ce point de vue, nous pouvons considérer la méthanisation comme une forme d’économie circulaire dans le sens où les déchets verts suivent un cycle et sont utilisés in fine comme une ressource à vocation économique et écologique.
15Comme le remarquent Durand et al. (2012), depuis les années 1990, la gestion des déchets a changé et l’on cherche désormais à minimiser leurs flux en cherchant à imposer le principe de proximité. Ce dernier rejoint les principes de l’économie circulaire qui met en avant le cadre territorial local (Bahers et al., 2017). Pourtant, dans sa définition, le concept d’économie circulaire n’intègre guère une dimension spatiale. Aussi, dans notre article, nous avons souhaité interroger l’importance que les parties prenantes de la méthanisation accordaient à la notion de proximité dans la mise en place des projets, qu’elle soit géographique (dimension spatiale faisant référence à la distance et donc à la territorialisation de cette énergie renouvelable) ou organisée (dimension relationnelle faisant référence à la capacité d’une organisation à faire interagir ses membres au service d’un projet et donc aux pratiques d’acteurs par rapport à cette énergie verte). Plus spécifiquement, nous avons analysé quelle place occupaient les collectivités territoriales pour favoriser les proximités géographiques et organisées et dans quelle mesure elles favorisaient l’intermédiation territoriale (Nadou, 2013), autrement dit, comment elles endosseraient le rôle de facilitatrices des projets de méthanisation et de territorialisation des pratiques d’écologisation des territoires.
1.2 – L’intermédiation comme facteur de territorialisation de la méthanisation et d’écologisation des pratiques
1.2.1 – Créer des proximités géographiques et organisées pour développer la méthanisation
16La question de la proximité est très prégnante dans les projets de méthanisation car la valorisation de la biomasse implique nécessairement un ancrage territorial local fort, conduisant à des relations entre acteurs d’ordre géographique (plus ou moins proches, de manière contrainte ou non) et organisationnels (existence de rapports conventionnels, institutionnels, formalisés ou non). Aussi, nous pensons que la grille théorique et méthodologique de la Proximité (Rallet et Torre, 1999 ; Pecqueur et Zimmerman, 2004 ; Torre et Rallet, 2005) tant dans ses dimensions géographiques (Torre, 2009) que de son activation par la gouvernance territoriale (Torre, 2014) est pertinente pour caractériser l’émergence d’un Système Énergétique Territorial et en comprendre le fonctionnement.
17Dans ce cadre, les travaux sur la proximité ont donné lieu à de nombreuses définitions et déclinaisons, aussi bien sur des questions économiques et d’innovation, que concernant d’autres champs disciplinaires (aménagement, sociologie, sciences de gestion). On distingue deux grandes catégories que sont la proximité géographique et la proximité organisée (Torre, 2009). Le croisement de ces deux types de proximité aboutit au concept de proximités territoriales (Torre et Beuret, 2012). L’analyse de ces dernières est en particulier mobilisée lorsqu’il s’agit d’aborder les conflits d’usage des espaces, permettant ainsi de cristalliser les difficultés dans les rapports de coordination entre acteurs. Les projets de méthanisation concentrent ces aspects où les dimensions spatiales et d’acceptation sociale jouent un rôle fondamental dans les relations entre les parties prenantes des projets. Le conflit met au cœur des discussions et des décisions des acteurs qui ne sont pas toujours inclues initialement et peuvent rebattre les cartes des proximités et des relations entre les acteurs territoriaux (Nadou et Demazière, 2018) intéressés par le projet.
1.2.2 – Entre proximité géographique choisie et subie
18Même si la notion de proximité géographique révèle avant tout un rapport de distance entre individus ou activités et s’attache à en étudier les ressorts, elle peut recouvrir aussi des analyses sur cherchant à analyser si cette proximité est choisie/recherchée ou subie (Torre, 2009). De ce point de vue, lorsque les acteurs souhaitent volontairement s’éloigner ou se rapprocher, on peut parler de proximité géographique choisie. Elle correspond à la volonté de la part de certains acteurs de chercher à se rapprocher ou se mettre à distance d’autres acteurs, de ressources, de lieux spécifiques ou d’objets techniques. À l’inverse, la proximité géographique peut être vécue comme subie dès lors que les individus se trouvent confrontés dans leur espace proche à une infrastructure, à un lieu, à un autre acteur pour lequel ils ne souhaitent pas être localisés à proximité. Le cas s’est fréquemment posé dans des territoires où le développement des éoliennes terrestres proches d’habitations ou maritimes proches du littoral a entraîné des conflits. L’infrastructure porte alors atteinte, selon les opposants, à la quiétude des lieux (nuisances sonores des pales et turbines), à la beauté des paysages ou encore à la baisse de la valeur immobilière des habitations. La perception d’une proximité géographique subie varie en fonction de dimensions sociales telles que l’âge, le genre, la profession, l’environnement de la personne, etc.
19Notons qu’à côté de ces deux modes de proximité géographique dite « permanente », on relève aussi un autre type de proximité appelée « temporaire ». La nécessité d’une proximité géographique temporaire n’exige pas une délocalisation des activités car elle peut être satisfaite par une mobilité de durée variable. Par exemple, dans le cadre d’un processus de mise en place d’une démarche participative pour le développement d’un projet de méthanisation, les acteurs du territoire peuvent être amenés à se déplacer en un même lieu pour, le temps d’une réunion publique, échanger ensemble sur le projet ; on parlera alors d’activation ponctuelle et simultanée de la proximité géographique et de la proximité organisée.
1.2.3 – La proximité organisée comme levier de la gouvernance territoriale des projets de méthanisation
20En dehors du rapport géographique, la proximité apparaît aussi comme organisée entre les acteurs et repose sur deux logiques que sont l’appartenance et la similitude (Torre, 2010 ; Torre et Beuret, 2012). L’appartenance décrit le fait que les acteurs appartiennent au même réseau de relations, qu’il soit professionnel ou bien personnel comme au sein de clubs, d’associations culturelles et sportives ou bien de réseaux sociaux divers. Ces relations peuvent se faire de manière directe ou être facilitées par un intermédiaire. La proximité organisée sera ainsi plus ou moins grande selon le degré de connexion des acteurs entre eux, celui-ci pouvant varier dans le temps. L’autre logique sur laquelle repose la proximité organisée est celle de la similitude. Elle exprime le fait que les acteurs se reconnaissent dans des projets partagés et adhèrent à des valeurs et des normes communes et/ou un langage commun. On insiste alors sur les relations cognitives entre les individus qui peuvent également s’établir sur des communications ou liens plus tacites, mais qui s’appuient sur des références similaires. Ces deux logiques d’appartenance et de similitude s’inscrivent dans un mouvement perpétuel en fonction des adhésions de chacun et des rencontres et relations qui se construisent et se décomposent dans le temps et dans l’espace. Ce sont bien les socles cognitifs de partage qui unissent les acteurs qui constituent des opportunités à la construction des coordinations et des proximités. Ces socles peuvent évoluer en fonction du temps et du rythme auquel se rencontrent les individus. L’émergence d’un projet (Torre et Wallet, 2011) peut tout aussi bien constituer une base de partage tout comme être une source de conflits. Dans un premier temps, des freins à la construction de coordinations peuvent apparaître. Par exemple, si le projet est conçu à partir d’une perception des parties prenantes d’un manque de concertation et de consultation, alors le sentiment d’une proximité géographique subie face au projet augmente ; et ce sentiment s’accroît d’autant plus qu’il n’existe aucune logique de similitude. Par exemple, des néo-ruraux, parce qu’ils n’ont pas la même perception de la campagne que les ruraux d’origine, seront moins enclins à voir se construire proche de leur habitation une unité de méthanisation portée par des agriculteurs par défaut de systèmes de représentations cognitifs de l’espace rural communs. Mais d’un autre côté, le conflit d’usage peut aussi participer à une dynamique locale positive contribuant à l’expression de revendication et à une meilleure structuration des liens et rapports sociaux entre acteurs d’un territoire (Torre et Caron, 2005).
1.2.4 – Une intermédiation territoriale à construire
21Le rapprochement d’acteurs, à la fois géographique et organisé, que nécessitent les projets de méthanisation, tant dans la gestion et l’usage de l’espace que du développement économique des projets proprement, cristallise et met à l’épreuve les mécanismes de coordination. Les enjeux de faisabilité, voire de rentabilité financière, d’externalités positives et négatives, sont autant de paramètres qui vont influencer la gouvernance des projets et les relations sur le territoire. Ainsi, dans la conduite, le montage et le suivi des projets, il semble nécessaire qu’un acteur puisse être facilitateur de cette coordination du système et de l’adhésion au projet. De ce point de vue, le territoire en tant qu’espace de relations, de constructions et de représentations sociales entre individus, sert d’intermédiation (Lacour et Nadou, 2018). Lorsque l’on parle de territoire de nombreux acteurs qui le composent peuvent apparaître, publics et privés. Dans la perspective d’une volonté, d’une stratégie ou d’une politique de territorialisation des pratiques liées à la méthanisation, on émet l’hypothèse que l’acteur intermédiaire qui peut prendre en charge cette fonction de facilitation est la collectivité locale qui accueille sur son territoire les projets. Celle-ci est en capacité de mettre en relation les acteurs et parties prenantes et faciliter leur communication, la diffusion des informations et mettre en place des dispositifs d’accompagnement au service du projet. La fonction d’intermédiaire consiste aussi parfois à sélectionner et à introduire des partenaires susceptibles de fournir, à la fois, des connaissances et des ressources inexistantes sur un territoire donné (Leroux et al., 2014). Une grande attention a été accordée aux intermédiaires dans la littérature sur l’analyse des réseaux sociaux (voir notamment Howell, 2006 ou Burt, 2009). Plus spécifiquement, en science régionale, de nombreuses études ont été menées sur les réseaux d’innovation et le rôle spécifique des brokers comme acteurs transférant des connaissances entre des organisations/acteurs qui ne sont pas directement lié(e)s (Nooteboom, 2003). Ces intermédiaires peuvent favoriser (i) la mise en lien d’acteurs, (ii) la communication et de la reconnaissance mutuelle entre des groupes autrement largement isolés/oubliés (Diani, 2003). L’établissement de ces liens entre les parties prenantes du projet peuvent avoir une incidence sur les litiges environnementaux locaux (Devine-Wright, 2012). La référence à l’intermédiation territoriale est à mettre en relation avec celles de proximités. En effet, elle peut être définie comme la médiation d’acteurs dans le but de favoriser les proximités pour mener à bien un projet ayant une dimension territoriale. Ces acteurs intermédiaires ont la particularité d’avoir une légitimité qui est d’ailleurs indispensable à la mise en œuvre d’une quelconque gouvernance pour développer des projets de développement territorial (Joyal et Nadou, 2018)
2 – La collectivité locale comme acteur de l’écologisation des pratiques et de la territorialisation de la transition énergétique
22Au travers de l’analyse de nos entretiens semi-directifs et de deux cas d’étude, il a été analysé la place et le rôle que la collectivité jouait en tant que mobilisateur des ressources sur son territoire mais également d’acteur intermédiaire entre les porteurs de projet, les apporteurs de déchets et les riverains des unités. Notre étude permet de dégager plusieurs fonctions qu’assurent les collectivités locales en tant qu’acteur intermédiaire (facilitateur, acteur neutre et pédagogue) pour enclencher une dynamique de proximité territoriale et favoriser la réussite des projets.
2.1 – La collectivité comme mobilisateur des ressources locales
23La méthanisation confère à la collectivité deux principaux rôles afin de répondre aux objectifs de transition énergétique sur son territoire : un apporteur de ressources primaires et un apporteur de ressources financières. Pour développer nos propos, nous nous appuierons principalement sur deux exemples de projets d’unités de méthanisation collective (Gaillon et Vire-Normandie) parmi les neuf que nous avons étudiés.
24Premièrement, la collectivité peut inciter les acteurs de son territoire à développer un ou plusieurs projets de méthanisation collective par l’apport de ses déchets méthanisables (tontes de pelouse, restes de repas, etc.). Cette écologisation des pratiques, encouragée par la législation et les politiques publiques de développement durable au niveau local, régional ou national [9], incite en retour les acteurs territoriaux (agriculteurs, entreprises, industries) à valoriser leurs déchets en biogaz. Dans le cadre du projet de méthanisation collective à Gaillon dans le département de l’Eure (figure 1), c’est la communauté de communes qui a initié et piloté le projet. En 2012, cette dernière avait deux enjeux environnementaux à solutionner : l’agrandissement de la station d’épuration et celui du centre aquatique intercommunal dans une démarche de développement durable. Le choix de la méthanisation s’est donc imposé car elle permet, d’une part, de traiter et valoriser les boues de station d’épuration (STEP) et, d’autre part, de chauffer l’eau d’un bassin aquatique via la construction d’un réseau de chaleur. Par la suite, c’est un industriel Victoria Group, dont le siège social est situé dans une commune proche de Gaillon, qui a été choisi par la collectivité pour exploiter l’unité via son entreprise Biogaz de Gaillon mais aussi gérer le transport des déchets via son autre entreprise SAS Maillot. Les boues de station d’épuration (49 % de la totalité des intrants), les déchets industriels et ménagers (30 % des intrants) et les effluents d’élevage d’agriculteurs locaux (21 % des intrants) sont traités et valorisés en biogaz, et sont également transformés (i) en électricité via la cogénération et revendue à EDF, ainsi (ii) qu’en chaleur, servant à chauffer la piscine extérieure du centre aquatique et le collège voisin. La proximité géographique des parties prenantes et les bonnes relations (décrites par les personnes interviewées avec un sentiment de coopération et de confiance constante) qu’ont su entretenir les différents acteurs ont largement facilité cette synergie.
Économie circulaire et acteurs territoriaux du projet de méthanisation collective de Gaillon
Économie circulaire et acteurs territoriaux du projet de méthanisation collective de Gaillon
25La collectivité peut également contribuer financièrement à un projet de méthanisation. Elle peut le faire de manière directe comme certaines Régions ou certains Départements qui proposent de subventionner des projets de méthanisation collective sur dossier (Conseil régional de Bretagne, Conseil département de la Mayenne, etc.) ; mais aussi de manière indirecte : par exemple, dans le cadre du projet de méthanisation à Vire-Normandie dans le département du Calvados (figure 2), la commune – dans la perspective de créer une nouvelle déchèterie – a décidé de construire un Pôle Environnement (avec le SEROC [10]) en regroupant sur un même site la déchèterie, une plate-forme de compostage et un quai de transfert des déchets. La collectivité a proposé aux porteurs de projet de l’unité de méthanisation collective Agrigaz Vire, laquelle regroupe un collectif d’une quarantaine d’agriculteurs plusieurs industriels locaux, de localiser leur usine au sein du futur Pôle Environnement afin de répondre à leurs difficultés de trouver un terrain adéquat pour leur projet (à proximité d’un réseau de distribution de gaz pour l’injection de biogaz, éloigné des premières habitations, etc.). Le terrain désiré – appartenant à un lycée agricole – a été acheté par la commune en contrepartie de la vente de terres humides lui appartenant, prisées par ledit lycée. Cette mutualisation des coûts a donc permis aux porteurs de projet de se libérer d’un achat de terrain et d’aménagements annexes beaucoup plus coûteux que s’ils avaient été seuls.
Économie circulaire et acteurs territoriaux du projet de méthanisation collective de Vire-Normandie
Économie circulaire et acteurs territoriaux du projet de méthanisation collective de Vire-Normandie
2.2 – La collectivité comme acteur intermédiaire : une proximité géographique nécessaire mais non suffisante
26La collectivité locale joue également le rôle d’acteur intermédiaire dans certaines situations. En effet, la collectivité a pour mission d’appliquer des politiques de développement local sur son territoire et est donc, par définition, un acteur de proximité auprès des habitants et pour les projets initiés. Au regard des différents projets analysés dans notre étude, la collectivité joue pleinement son rôle d’acteur intermédiaire en favorisant la conjonction entre les proximités géographique et organisée afin de faciliter le développement et l’acceptabilité des projets de méthanisation au sein de la population locale. À partir de verbatim issus de notre campagne d’entretiens semi-directifs auprès des acteurs de la méthanisation et en mobilisant le cadre d’analyse des proximités, nous pouvons dégager plusieurs situations d’intermédiation organisées par les collectivités, à savoir le rôle de facilitateur, d’acteur neutre, de pédagogue.
27Une première consiste à jouer le rôle de facilitateur en organisant les proximités cognitives. L’objectif est alors d’associer un maximum de personnes au projet pour le légitimer (associations environnementales, financeurs, riverains, etc.). Les élus sont bien souvent très connus localement et disposent d’un réseau qui leur permet de mettre en relation les porteurs de projets avec les « bonnes » personnes. Or, lorsque ceux-ci ne sont pas issus du territoire, ils ont un besoin important en intermédiation pour connaître les parties prenantes locales avec lesquelles ils devront travailler par la suite. Cette aide peut être également cruciale dans la recherche de partenaires en amont de la filière (apporteurs de matières premières de type biomasse) qu’en aval (consommateurs potentiels d’électricité, de chaleur et/ou de biogaz). Par ailleurs, dans la plupart des cas, les collectivités locales jouent ce rôle de facilitateur, aussi bien dans la mise en relation avec les acteurs du territoire que dans la mise à disposition et l’appui à l’ingénierie des projets, notamment d’un point de vue cadastral et urbanistique. Ils accompagnent également les porteurs dans la recherche d’un terrain propice à accueillir un digesteur (mobilisation de ressources territoriales) ou encore les aident dans les démarches administratives.
« Je me suis dévoué pour faire la paperasse […] Parfois ils se font des nœuds à la tête quand même quand ils nous pondent tous ces documents à remplir et à fournir ! »
29Deuxièmement, l’étude approfondie des interviews met en lumière la difficulté de la mise en œuvre des projets de méthanisation, en particulier lors ce qu’il est question d’acceptabilité sociale. On retrouve ici le phénomène NIMBY qui a déjà été montré dans la littérature (ADEME, 2002 ; Maillebouis, 2003) dans le contexte de la construction d’éoliennes terrestres ou off-shore par exemple. En particulier, sur plusieurs territoires d’étude, on identifie une forme de proximité géographique subie.
« J’étais là avant eux […] On n’a jamais demandé à avoir une usine comme ça à côté de nous, c’est pas juste »
« Ça sent beaucoup ! c’est ça le bémol… mais c’est par moments, selon le sens du vent en fait ! »
32De fait, les habitants situés à proximité immédiate d’une unité de méthanisation peuvent se sentir lésés, avec un sentiment de ne pas avoir été consultés avant pour décider de la localisation. Ce sentiment d’injustice renvoie à la perception subjective d’équité dans le processus de mise en place des usines de biogaz. Elle est liée à des aspects tels que le choix du site (sa localisation) et la procédure de permis, les possibilités de démarches participatives, la quantité d’informations disponibles, etc. Les perceptions de justice et d’équité sont inhérentes au bien-être d’une communauté locale. Des situations perçues comme inéquitables peuvent mener à des protestations et à des conflits entre acteurs, en particulier lorsque des décisions semblent avantager certains acteurs aux dépens d’autres. Ce fut le cas sur plusieurs de nos terrains d’études comme à Craon (Mayenne) ou encore à Percy-en-Normandie (Manche) où les projets ont été abandonnés. Ainsi, si les communautés locales perçoivent que des intérêts extérieurs monopolisent la plupart des bénéfices de l’énergie générée ou si elles ne sont pas impliquées dans les processus de développement, elles pourraient nourrir le sentiment d’être injustement traitées et prendre part à un activisme d’opposition. Or, lorsque l’on compare les projets subissant une forte opposition locale ou, au contraire, n’ayant pas connu de pressions de la part des riverains notamment, on remarque que la consultation de la population a fait la différence. Dans ces cas-ci, la collectivité locale a participé activement à l’information et à la communication (permanence en mairie, publicité, organisation de réunions publiques, etc.). Lorsque la proximité organisée n’est pas mobilisée ou bien trop tardivement, autrement dit quand les parties prenantes du projet n’ont pas été associées dans sa construction, les projets font l’objet de problèmes avec les habitants. Nos résultats rejoignent les travaux de Soland et al. (2013) qui montrent qu’un déficit d’informations et d’un manque de démocratie participative pouvait expliquer les hostilités locales.
« Le dossier était presque fini quand, nous, on en a entendu parler ! On ne pouvait pas se laisser faire »
34À l’inverse, plusieurs projets ont eu l’adhésion des riverains et des autres acteurs locaux car ils ont fait l’objet d’un large processus de concertation, de communication et d’explication. En particulier, dans ces situations, l’accompagnement de la collectivité locale dans ce processus a souvent été décisif.
« C’est pour ça que l’on a joué la carte de la transparence dès le départ, en expliquant les choses, en allant voir les gens, leur disant ce qui allait se passer, et cetera. On a organisé des visites d’unités situées sur d’autres territoires […] Enfin, il y a plein de choses qui ont été faites en termes d’information, de sensibilisation ».
« On a donc pris la compétence « réseau de chaleur comme il y avait deux clients à proximité de l’unité de méthanisation : la piscine et le collège ».
37Il ressort de manière très explicite dans nos entretiens que l’information (entendue comme les connaissances sur le projet, leur degré d’expertise et leur fiabilité) est au cœur de la controverse. Les processus d’interprétation par lesquels les acteurs concernés tentent de comprendre leur situation sont fortement tributaires des connaissances, de l’information et de leur degré d’expertise. Les processus de concertation peuvent jouer un rôle crucial dans la diffusion d’informations fiables, y compris des preuves et des données à l’appui. Dans les cas étudiés où le projet a abouti, la collectivité a joué un rôle essentiel en fournissant aux habitants des informations (inaccessibles au public) sur les risques prévalents ou à venir, l’expertise nécessaire pour agir et en formulant les questions environnementales d’une manière qui légitime les préoccupations locales et politise les perspectives locales. En l’espèce, bien souvent, l’élu rappelait à ses concitoyens l’intérêt de la construction d’un digesteur afin d’atteindre les objectifs stratégiques fixés par les documents de planification en termes d’objectifs de développement durable et de transition énergétique.
38Troisièmement, en tant qu’acteur intermédiaire, les collectivités ont également soutenu les communautés locales en représentant parfois les populations affectées directement par l’installation d’une unité de méthanisation et en défendant leurs revendications auprès des porteurs de projet. Ainsi, tout en restant neutre, la collectivité peut proposer des pistes d’exploration d’évolution du projet, notamment en cas d’opposition. Dans nos entretiens, on remarque souvent que certains élus faisaient remonter les interrogations des habitants et arrivaient ainsi à négocier des modifications dans le projet. Le porteur de projet était, en général, enclin à proposer des améliorations pour le bien-être des habitants. Cela lui évitait ainsi la constitution d’une association anti-méthanisation (proximité géographique subie) si les riverains n’avaient pas eu le sentiment d’avoir été entendus lors des réunions publiques (proximité géographique temporaire).
39Quatrièmement, la circulation d’informations sur les actions litigieuses et les problèmes liés au biogaz dans d’autres territoires peuvent modifier la perception qu’ont les riverains de la menace et des opportunités liées à la méthanisation. Or, ceci peut influencer à la fois l’apparition et le mode d’action des habitants vis-à-vis de cette énergie. En particulier, cette connaissance (parfois pointue, parfois erronée de manière volontaire ou involontaire) peut être essentielle pour mobiliser la controverse. De fait, de nombreuses collectivités ont organisé de la proximité géographique temporaire via des visites de digesteurs en fonctionnement localisés sur d’autres territoires afin de « rassurer » les riverains et leur délivrer une information juste. Il n’est pas rare qu’elles mobilisent des experts faisant autorité et jouant un rôle crucial dans la « certification » de l’information. Lors de ce type d’actions, la collectivité joue le rôle de pédagogue en tant qu’acteur intermédiaire territorial. L’information doit être validée pour être crédible tant au sein des communautés affectées (riverains en particulier) qu’aux yeux du grand public, étant donné que les litiges en matière d’environnement dépendent fortement d’« experts neutres » ou de personnalités publiques influentes pour interpréter les questions en jeu d’une manière crédible.
40Dans les neuf cas d’étude (projets ou unités existantes enquêtés), on relève le rôle joué par la collectivité comme créateur de confiance et de transparence. Lorsqu’elle est à l’initiative ou quand elle accompagne de manière active le porteur du projet, les projets semblent faire l’objet de moins voire aucune opposition majeure pouvant entraîner l’arrêt définitif du projet. De ce point de vue, on considère que la collectivité joue le rôle d’acteur neutre, et bien souvent permet de rassurer les citoyens car il y a un portage politique fort et une confiance dans l’élu qui appuie le projet.
41Au regard de l’analyse des différents entretiens, nous avons identifié différentes formes d’intermédiation (tableau 1) que peuvent offrir les collectivités qui visent à favoriser le déploiement de la méthanisation collective sur les territoires. Plus spécifiquement, il a été relevé les rôles de facilitateur, d’acteur neutre et de pédagogue pour favoriser les proximités et ainsi faciliter l’émergence de projets.
Les différentes formes d’intermédiation territoriale dans un projet
Les différentes formes d’intermédiation territoriale dans un projet
Conclusion
42Dans le cadre systémique qui caractérise les sociétés actuelles, les institutions et nombre de chercheurs identifient la transition énergétique comme l’unique voie permettant de faire coexister croissance économique, équité sociale et préservation environnementale. Aussi, la méthanisation constitue un moyen pour les territoires de travailler à leur transition et leur autonomie énergétique ainsi qu’à leur résilience. Du fait qu’elle utilise des ressources territoriales locales, elle permet de mettre en place les conditions d’un ancrage local des activités (proximité géographique). Pourtant, elle fait l’objet de revendications, notamment des populations locales qui adoptent un principe de NIMBY. Bien souvent, ces dernières ne sont pas contre les projets visant à développer les énergies renouvelables mais contre la localisation des installations (proximité géographique subie). Dès lors, nous nous sommes interrogés sur le rôle que pouvaient jouer les collectivités territoriales dans le dialogue et la confiance entre les différentes parties prenantes, ainsi que dans l’organisation de proximités relationnelles favorables à l’acceptabilité sociale des projets de méthanisation (proximité organisée).
43Nos résultats montrent que le rôle d’acteur intermédiaire qu’occupent les collectivités locales est déterminant dans la réussite des projets. Cette intermédiation se caractérise par différents rôles : facilitateur, acteur neutre, pédagogue. Ainsi, les acteurs intermédiaires territoriaux permettent (i) d’être garant des proximités géographiques, (ii) d’installer une confiance avec les acteurs locaux en étant garant des proximités organisées et (iii) d’avoir un rôle d’incitateur (et donc d’écologisation des pratiques) car cela pérennise les approvisionnements et l’achat des outputs (énergie).
44Une enquête plus large à destination des populations (connaître leurs trajectoires et mobilités résidentielles, recueil de données socio-économiques, etc.) permettrait d’identifier un éventuel différentiel entre les urbains et les ruraux à propos de l’acceptation des projets, notamment chez les néo-ruraux qui ont quitté la ville pour fuir ses nuisances (sonore, visuelle, etc.). L’hypothèse d’une perception d’une proximité géographique subie qui varie selon la dimension sociale (âge, genre, profession, etc.) pourrait être également étudiée dans des travaux futurs.
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Notes
-
[1]
Ministère de la transition écologique et solidaire
-
[2]
En français « pas derrière chez moi », néologisme pour exprimer le rejet des projets porteurs de nuisances éventuelles à proximité des résidences
-
[3]
Notons également que le coût d’opportunité à utiliser ces terres pour produire de l’alimentation augmente avec les rémunérations liées à la production énergétique, ce qui fait s’inquiéter certains sur la quantité de nourriture disponible à terme pour nourrir la population.
-
[4]
La campagne d’entretiens (entièrement retranscrits) a été menée auprès de quatorze interlocuteurs territoriaux (Chambre d’Agriculture, ADEME, etc.), onze riverains de projets de méthanisation collective, six associations (pro et anti-méthanisation), huit entreprises (porteur de projet et partie prenante), sept élus (maire, président de communauté de communes et député) et sept agriculteurs (porteur de projet et partie prenante).
-
[5]
Notre zone d’étude s’étend sur trois régions administratives françaises, à savoir la Normandie, la Bretagne et les Pays de la Loire. Depuis 2004, 91 projets de méthanisation collective avec une valorisation exclusive ou partielle de déchets issus de la biomasse ont émergé dans le Grand-Ouest français au 1er Juillet 2018. Les projets sur lesquels des entretiens semi-directifs ont été menés : Agrigaz Vire à Vire-Normandie (14), Géotexia au Mené (22) Biogaz de Gaillon à Gaillon (27), Percy Biogaz à Percy en-Normandie (50), le Lycée agricole à Coutances (50), Fertiwatt à Fougerolles du Plessis (53), Agrimaine Méthanisation à Charchigné (53), Oudon Biogaz à Livré la Touche (53) et Méthamaine à Meslay du Maine (53).
-
[6]
Ce cycle de Conférences annuelle des 14 et 15 septembre 2012 a fait suite au Grenelle 2 de l’Environnement organisé en 2010.
-
[7]
Notons que plusieurs travaux utilisant des Analyses de Cycle de Vie insistent sur les conséquences écologiques à la fois positives mais aussi négatives de la méthanisation, celles-ci variant beaucoup en fonction du contexte environnemental (Aissani et al., 2013 ; Laurent F., 2015).
-
[8]
À la faveur de l’amélioration de la qualité des engrais du fumier, à la réduction considérable des odeurs et à l’inactivation des agents pathogènes et, enfin et surtout, à la production de biogaz, une énergie renouvelable
-
[9]
Comme des démarches Territoire à Énergie POStitive (TEPOS), Territoire à Énergie Positive pour la Croissance Verte (TEPCV), Projet d’Aménagement et de Développement Durable, Plans régionaux de gestion des déchets, etc.
-
[10]
Syndicat mixte de traitement et de valorisation des déchets ménagers de la Région Ouest Calvados.