Introduction
1Notre recherche trouve son origine dans la crise radicale qui a marqué le modèle des districts du Nord-Est de l’Italie et qui s’est traduite notamment par la délocalisation d’un grand nombre d’entreprises. Dans cet article, nous étudions deux cas représentatifs de cette crise : Montebelluna et Timişoara. Montebelluna (province de Trévise, région de la Vénétie) est l’un des districts les plus importants du Nord-Est de l’Italie et l’un des plus influents et compétitifs dans le domaine de la chaussure et de la mode. Il est emblématique du secteur de la manufacture qui représente la typologie de production des systèmes des districts du Nord-Est de l’Italie. Timişoara (Roumanie), de son côté, a été un territoire pionnier pour les délocalisations. En effet, c’est à Timişoara que ce sont délocalisées un grand nombre d’entreprises de la chaussure italienne en général et de la région de la Vénétie (Nord-Est d’Italie) en particulier (voir les tableaux 1 et 2 en annexe). En 2008 59 % des entreprises de Montebelluna s’étaient délocalisées ; 61 % d’entre elles avaient choisi la Roumanie et 31 % la région de Timişoara.
2Dans ce contexte, notre objectif a été d’analyser, à partir de la situation observée dans le district d’origine, les transformations des proximités géographiques, sociales, organisationnelles, institutionnelles et cognitives dans le territoire de la délocalisation. La proximité est le mot clé grâce auquel nous avons choisi de mettre en lumière la structure relationnelle des districts et les changements subis sous l’effet de la délocalisation. Contrairement aux clusters productifs ou aux simples zones industrielles, les districts industriels fondent leur force sur les proximités, non seulement géographique et organisationnelle, mais aussi sociale et institutionnelle. En d’autres termes, le « district productif » va au-delà d’un simple ensemble d’entreprises ou d’une organisation d’entreprises. Le district est la relation entre les lieux et la production, entre la société et l’économie, entre les institutions locales et le modèle de développement. Dans les définitions du « district », ces relations sont considérées comme positives et vertueuses. Nous nous sommes donc demandé ce qu’il se passait lorsque les districts choisissaient de se délocaliser.
3De quelles façons les territoires de délocalisation, reproduisent-ils les configurations de proximité présentes dans les districts d’origine ? Quels sont les effets de la contamination inévitable entre les acteurs et les territoires d’origine et d’arrivée ?
4Après avoir introduit la problématique, cet article présente le cadre conceptuel dans lequel s’inscrit la relation entre la délocalisation et les districts industriels, et la relation entre les districts industriels et la proximité. Puis sont analysées les caractéristiques du district industriel de Montebelluna et les nombreuses délocalisations qui s’y sont produites vers le territoire de Timişoara. La comparaison montrera tout d’abord que les relations de proximité qui caractérisaient l’organisation du district productif en Italie ne sont pas parvenues protéger ce dernier des crises dues à la globalisation économique. Dans un second temps, sont mises en évidence les nouvelles configurations de proximité qui ont vu le jour sous l’effet de la délocalisation dans les territoires d’arrivée (Timişoara) ainsi que celles qui s’y sont reproduites ou qui ont été perdues. Nous observerons notamment que des traces de la relation identitaire entre acteurs et territoire ont résisté aux transformations alors que d’autres se sont perdues.
1 – Problématique et cadre conceptuel
5L’hypothèse scientifique sur laquelle se fonde ce travail s’inscrit dans le cadre de réflexions qui mettent en relation la délocalisation et les districts productifs en utilisant l’analyse des proximités comme clé de lecture. Le modèle canonique du « district productif du Nord-Est » est marqué par la présence d’une myriade de (très) petites et moyennes entreprises, issues notamment du secteur manufacturier. Fondées le plus souvent à côté, au-dessus ou, parfois même, à l’intérieur des maisons d’habitation, elles sont géographiquement très proches et spatialement concentrées. Le savoir artisanal, très souvent élaboré individuellement, s’intègre, se propage et se consolide à travers le suivi et la comparaison réciproques. La ressource humaine, familiale, est guidée par le chef de famille/patron qui est le moteur de l’entreprise. Famille, propriété et contrôle de l’entreprise sont une même affaire et les règles qui s’appliquent à la famille sont également valables pour l’entreprise (Durante, 2006). Dans ce modèle, les proximités cognitive, organisationnelle et sociale se nourrissent réciproquement dans un rapport apparemment très solide. Ce modèle du district du Nord-Est, tel qu’il se présentait dans les années 1970-1990, a aujourd’hui pratiquement disparu. Il a été éliminé par la contraction espace-temps de la globalisation, dont la délocalisation est un des résultats les plus manifestes, et par la crise économique postérieure à 2008. La prolifération des panneaux « bâtiment à vendre/à louer » dans les zones industrielles de la région en témoigne. La délocalisation peut être interprétée comme une des causes de la disparition de ce modèle, mais aussi comme une des conséquences de ses fragilités internes.
6La délocalisation est l’une des manifestations du phénomène plus ample de « globalisation productive » (Dicken, 2003). En effet, la délocalisation « ne représente qu’une des multiples formes par lesquelles peut s’expliciter le processus de réorganisation des processus économiques d’une entreprise dans une optique internationale » (traduction propre Chiarvesio et al., 2006, p. 140). Dans ce contexte, nous entendons par « délocalisation » la cession (éventuellement progressive) d’un segment de production, voire de la totalité de la structure d’une entreprise, ce qui a pour conséquence la reconstruction du segment ou de l’intégralité de la structure sur un autre territoire, ainsi que l’externalisation de certaines phases d’élaboration des produits (Comitato Economico e Sociale Europeo, 2005 ; Bouba-Olga, 2006 ; Mercier-Suissa et Bouveret-Rivat, 2007 ; Tattara et al., 2006 ; Turato, 2008). Dans les années 90, ce phénomène a été largement observé en Italie. Il est toutefois important de remarquer qu’il a largement concerné les districts productifs qui auraient au contraire dû être protégés et défendus par le système de relations de proximité qui les distingue des regroupements industriels classiques. Ces districts, qui sont largement décrits comme des exemples phare du nouveau régionalisme, peuvent en effet se définir comme une « entité socio-territoriale caractérisée par la présence active d’une communauté de personnes concomitante à une population d’entreprises industrielles dans une aire territoriale circonscrite, déterminée aux plans naturaliste et historique » (Becattini 1989, p. 112). Dans ce contexte, le système productif du district se caractérise par son développement sur un territoire défini, marqué par la présence massive d’entreprises de petites dimensions, par l’existence de liens forts et réciproques entre entreprise et société locale, par la « contamination » entre savoir et savoir-faire inter-entrepreneuriaux porteurs d’innovations et par l’effet d’une dynamique dense de rapports productifs au niveau local (Becattini, 1989, 1998 ; Conti et Julien, 1991 ; Corò et Rullani, 1998 ; Diamanti, 1998 ; Corò et al., 2006 ; Rullani, 2006 ; Tattara et Volpe, 2001 ; Tattara et al., 2006 ; Crestanello et al., 2010). L’analyse des proximités démontre que les acteurs impliqués dans les districts développent entre eux des relations de pouvoir au travers de leur territoire (Raffestin, 1981 ; Sack, 1993 ; Sassen, 2008). La territorialité du district est en effet caractérisée par des relations de proximité entre les lieux (proximité géographique), les individus et les groupes (proximité sociale) et les connaissances (proximité cognitive). Elles concernent les institutions, les normes, les comportements et les habitudes (proximité institutionnelle), ainsi que les modèles organisationnels (Bellet et al., 1998 ; Boschma, 2005). De telles relations peuvent être plus ou moins fréquentes et intenses. Elles peuvent être efficaces ou inefficaces, voulues (et donc recherchées) ou imposées (et donc subies).
7Boschma définit la proximité géographique comme « la distance spatiale ou physique entre des acteurs économiques au sens absolu autant qu’au sens relatif » (2005, p. 69). Le concept de distance relative est ici particulièrement intéressant. C’est la présence d’un savoir-faire de la chaussure développé à Timişoara depuis le XIXe siècle qui a rendu ce lieu familier et proche pour les districts vénitiens au moment où ils choisissaient le lieu de délocalisation de leur industrie. La facilité de communication linguistique a elle aussi joué un rôle prépondérant. L’origine néolatine du roumain a sans aucun doute accru la sensation de proximité : le roumain est plus facile à apprendre pour les entrepreneurs italiens que le slave parlé dans des territoires tout aussi peu éloignés. On voit ici que la proximité cognitive est en lien avec la proximité géographique, bien qu’elle n’en soit pas étroitement dépendante. L’un des principes de référence de la proximité cognitive est la connectivité, c’est-à-dire le fait d’avoir accès à des flux d’information (Allen, 1983 ; Antonelli, 2000). Cependant, l’accès n’est pas suffisant. Pour que le transfert effectif de connaissances ait lieu, il faut qu’il y ait la réceptivité, la compréhension. L’échange de connaissances découle d’un processus de compréhension des informations reçues (Gilly et Torre, 2000 ; Antonelli, 2000 ; Acs et Plummer, 2005) ; c’est le résultat d’une interaction créative et évolutive qui mène à de nouvelles découvertes (Gilly et Torre, 2000). La réceptivité apparaît meilleure dans un contexte riche d’informations et de fortes stimulations. Les districts sont, de ce point de vue, des exemples potentiels de modalités de transfert de connaissances, essentiellement tacites (complexes, incodifiables et contextuels) qui nécessitent une connaissance de base commune, des interactions en « face à face », ainsi qu’une compréhension et une confiance réciproques (Howells, 2002). Certains auteurs observent toutefois que les connaissances peuvent s’acheter sur le marché ou s’acquérir par des réseaux de relations qui ne sont pas nécessairement co-localisées. La proximité géographique n’est ainsi pas une condition obligée pour le transfert de connaissances tacites (ni même codifiées : Grabher, 1993 ; Rallet et Torre, 1999).
8Le concept de proximité sociale (développé en lien avec le niveau d’intégration de l’action économique) est dans ce contexte utile pour comprendre de quelle manière et dans quelle mesure les acteurs économiques (ici les entreprises) dépendent du contexte social spécifique (et évolutif) dans lequel ils se placent (Polanyi, 1967 ; Granovetter, 1998). Granovetter (1973) prend deux aspects en considération : la dimension relationnelle (relations personnelles, directes, microsociales) et la dimension structurelle (interactions d’ensemble, relations macrosociales). La proximité sociale concerne en premier lieu le niveau microsocial, avec ses relations inter-individuelles à l’intérieur d’un petit groupe. L’analyse effectuée par Granovetter distingue deux types de liens interpersonnels : les liens forts et les liens faibles. Les liens forts naissent de relations qui s’inscrivent dans le temps long. Ils sont caractérisés par la confiance et l’empathie. Ce sont les liens qui prévalent à l’intérieur de groupes restreints caractérisés par une grande densité de relations : la famille-entreprise des districts en est un exemple emblématique. Les liens faibles s’inscrivent au contraire plutôt dans le temps court, car ils ne requièrent que peu d’énergie et des contacts relativement brefs dans le temps. Ils se caractérisent en effet par des rencontres limitées et peu d’implication personnelle. En revanche, les liens faibles servent de ponts vers l’extérieur (Granovetter, 1998). Ainsi, moins on a de contacts externes, plus on est limité dans la connaissance du monde et moins on a la possibilité d’intervenir sur le monde. Cette réflexion s’adapte bien aux petites et moyennes entreprises des districts, dont le dynamisme s’affaiblit progressivement du fait de leur perte de capacité graduelle à « jeter des ponts » vers l’extérieur, c’est-à-dire vers de nouvelles technologies, de nouveaux modèles organisationnels et de nouveaux marchés. Or, une proximité sociale efficace doit intégrer des liens forts et des liens faibles. Ce sont, en fait, ces derniers qui consolident les différentes parties du réseau relationnel dans le contexte social, économique et territorial. Les sources les plus communes de liens faibles sont les organisations formelles et les lieux de travail. Torre et Rallet (2005) définissent la proximité organisationnelle comme « l’habilité d’une organisation à faire interagir ses membres » (p. 49). L’appartenance à une organisation (considérée comme la « logique de l’appartenance, ou l’adhésion ») fait que ses membres sont plus « proches » les uns des autres (sans pour autant qu’ils le désirent a priori), en raison des interactions inévitables et du partage de règles et de comportements habituels qui doivent être respectés. Les relations interactives sont a priori plus simples à l’intérieur des organisations, ce qui ne signifie pas qu’elles soient par conséquent plus efficaces, comme le montrent les relations famille/entreprise dans les entreprises du district, par rapport aux relations entre l’organisation elle-même et l’extérieur. Il existe une autre logique qui concerne la proximité organisationnelle : la « logique de la similarité » (Gilly et Torre, 2000 ; Torre et Rallet, 2005). Elle se base sur le fait que les individus qui appartiennent à la même organisation partagent le même système de représentations, de connaissances et de croyances. C’est justement à ce propos que Torre et Rallet parlent de proximité organisationnelle a-territoriale. Elle serait, non pas attachée à la proximité géographique, mais basée sur l’organisation elle-même. C’est certainement le cas des multinationales qui arrivent dans le territoire du Nord-Est et qui ne partagent aucune logique d’ « appartenance ou de similarité » avec le territoire local. Enfin, on trouve le contexte institutionnel qui est à la fois le cadre, le débouché et l’inspiration de ce qui se produit sur le territoire. Parmi les différentes définitions de l’institution, nous reprenons celle de Giddens selon laquelle les institutions sont des séries de règles et de ressources profondément ancrées, qui freinent, facilitent et conditionnent les actions sociales dans le temps et l’espace, de telle sorte que, d’une manière plus ou moins systématique, elles génèrent et reproduisent certains modèles d’actions (Giddens, 1984). Le contexte institutionnel comprend donc les institutions publiques et privées, formelles et informelles : les normes culturelles, les routines, les pratiques habituelles et les usages. Elles peuvent agir comme des facteurs facilitateurs ou contraignants pour les processus territoriaux (Jessop, 2001 ; Niosi, 2002). Et, en effet, dans le Nord-Est, connu pour être « loin de l’État et méfiant face au public » (Diamanti, 2006, p. 168), la relation entre les petits entrepreneurs du district et les organisations publiques est caractérisée par une forte défiance. Le manque de dialogue a été en partie responsable de l’incapacité du territoire à gérer correctement, tout d’abord le développement à long terme des districts, puis leur crise. L’analyse des dynamiques de proximité se révèle être une clé de lecture efficace pour comprendre ce qui s’est produit sur le territoire vénitien et sur celui des délocalisations. Elle permet d’une part d’identifier les éléments forts et les maillons faibles du modèle du Nord-Est et, d’autre part, de comprendre ce qui se produit lorsqu’il est touché par la crise et « transféré » dans un autre contexte.
2 – Méthodologie de la recherche
9Le phénomène des délocalisations en Roumanie a été étudié sous différents angles : économique (Callegari, 2005 ; Corò et Volpe, 2003 ; Rullani, 2006 ; Tattara et al., 2006 ; Pitingaro et Sartor, 2008), politique (Diamanti, 1998 ; Iordache, 2004) et sociologique (Redini, 2007 ; Sacchetto et Gambino, 2007). Cette recherche est la première à analyser la délocalisation d’un point de vue géographique en partant des territorialités construites par les entrepreneurs dans les lieux de la délocalisation puis en les comparant avec celles des lieux de départ des entreprises (Bertoncin et al., 2009).
10L’étude, réalisée entre 2007-2012, essentiellement qualitative, a été conduite au moyen d’enquêtes de terrain approfondies menées par plusieurs équipes de recherche. Différentes catégories d’acteurs ont été interviewées. 57 interviews semi-structurés, ont ainsi été réalisés : 55 % auprès d’entreprises et 45 % auprès d’institutions de gouvernance économique et politique, d’associations ou de centres de recherche et d’universités. 70 % des entreprises étaient de petite taille (avec moins de 15 employés) et 30 % de taille moyenne ou grande. Nous avons contacté des entreprises de différents types. Certaines se sont totalement délocalisées, d’autres ont délocalisé seulement une partie de leurs activités avec un capital italien (PME sous contrat ou grandes marques) ou avec un capital mixte et un accord de joint-venture. En Vénétie, nous avons également interrogé des entreprises qui n’ont pas opéré de délocalisation, que ce soit par choix, ou par impossibilité organisationnelle. Lorsque cela était possible, des ouvriers ont été contactés en plus des entrepreneurs et des techniciens. Les principaux acteurs institutionnels italiens et roumains, les universités et les centres de recherche concernés, les collectivités territoriales et les syndicats ont été identifiés et rencontrés à Montebelluna et à Timişoara. Nous avons aussi interrogé des acteurs d’entreprises qui n’étaient pas directement concernés par le thème de la recherche, comme des banques, des agences de conseil et de comptabilité, des agences immobilières, des entrepôts et des entreprises de transport. Après une série de questions générales communes (les relations du et dans le territoire avant et après la délocalisation), d’autres questions plus spécifiques ont été posées aux entrepreneurs concernant les raisons qui les avaient amenées ou pas à délocaliser, les étapes de la délocalisation, les difficultés rencontrées et les opportunités offertes, la perception du territoire d’arrivée par rapport au territoire de départ et les formes de contact avec les acteurs locaux, l’attitude des entrepreneurs par rapport à la culture locale de travail (Scroccaro, 2012 ; Pasquato, 2010). D’autres questions ont porté de manière plus spécifique sur les produits (le parcours « territorial » de production de la chaussure : lieu du projet, provenance des matières premières et des composants accessoires, lieu d’assemblage, manière et lieu de commercialisation). D’autres questions encore ont eu pour but de détailler le parcours « territorial » des personnes, comme les lieux et temps de déplacement et de séjour (Bertaux, 1997 ; Bertoncin et al., 2011 ; Crang, 2005 ; Sclavi, 2003).
3 – Dans le Nord-Est de l’Italie. Le cas de Montebelluna
11Dans le District de Montebelluna, à la fin des années 90, la réduction progressive de la distance entre local et global met toutefois très vite en crise les points forts du modèle jusqu’à en provoquer l’échec actuel. Arrivent tout d’abord les multinationales qui, attirées par la valeur ajoutée créée par le savoir-faire local, se « jettent » sur le territoire et deviennent rapidement, avec les grandes entreprises déjà existantes, les nouveaux acteurs de la territorialité locale. Parmi les exemples les plus emblématiques on trouve les marques locales Geox, Lotto, Stonefly, Dolomite et Tecnica (qui fusionnent en 1997), Benetton, Nordica (achetée par Tecnica en 2003), Caber, Canstar, Diadora (achetée par Invicta en 1998), ainsi que des multinationales telles que Salomon, Adidas, Rossignol, Quiksilver, Nike, etc. qui, à partir du début des années 90, opèrent entre elles de nombreuses opérations de rachat/revente et, surtout, de délocalisation de leur production, notamment en Roumanie. L’ambiance industrielle décrite dans les années 80 par Becattini change : « le signal de Radio Chaussure est de plus en plus dérangé. On ne sait pas ce que fait notre voisin, parce que notre voisin fait produire les semelles en Chine, les empeignes au Viêt-Nam, les fait assembler en Roumanie et facture le tout directement à la filiale américaine » (Durante, 2006, p. 12). De plus, l’augmentation progressive de la dissymétrie du pouvoir entre les entreprises et les acteurs impliqués stimule fortement la prédominance de stratégies individualistes et compétitives. Les proximités locales entrent ainsi en crise. L’avantage initial de la proximité géographique sur laquelle se greffent les proximités cognitive et organisationnelle, alimentées par la proximité sociale, est perdu. À la veille des délocalisations, le territoire est composé de concurrents : d’un côté les grandes entreprises locales et, de l’autre, les multinationales qui décident des règles du jeu. Pour les petites entreprises, le territoire du district devient répulsif. Le rôle de la « contamination cognitive, organisationnelle et sociale », un des piliers de la logique de district, est sévèrement redimensionné et les nouvelles configurations de proximité qui se dessinent sont complètement différentes de celles du passé. Pour les petits entrepreneurs, le fossé entre, d’une part, les connaissances disponibles (déjà en leur possession) et, d’autre part, les connaissances potentielles (qui peuvent être acquises), relatives aux technologies innovantes, à l’accès au crédit et aux nouveaux marchés, deviennent trop difficile à combler face aux concurrents de grande taille (Becattini, 1993 ; Amin et Wilkinson, 1999 ; Kirat et Lung, 1999). La recherche et l’innovation deviennent l’apanage des grandes entreprises. L’interruption radicale de toute forme d’apprentissage interactif refrène la proximité organisationnelle (interne aux entreprises ou existant entre les entreprises). Le processus d’ « innovation progressive » se dissout, alors même qu’il avait caractérisé la naissance et la mise en œuvre des districts en se développant « en autonomie et empiriquement à l’intérieur des réalités locales » (Durante, 2006, p. 48). En effet, ce processus se basait sur la « flexibilité qui découle de sa petite dimension et permettait de changer, d’expérimenter, de hasarder sans se plier aux procédures fastidieuses qui sont suivies dans les grandes entreprises » (Patto per lo sviluppo del distretto dello Sportsystem montebellunese, 2006, p. 7). Or, ne pouvant plus compter sur une base commune de connaissances et de compétences comme prérequis pour une collaboration entre les entreprises de même taille, ni sur l’apprentissage réciproque, les petites entreprises familiales se trouvent rapidement sans échappatoire. De leur côté, les entreprises internationalisées ne cessent de puiser leurs ressources humaines dans les réservoirs locaux, mais ces ressources aujourd’hui ne s’occupent plus de production. Il leur est en effet de plus en plus demandé de s’occuper de logistique. Les hangars de production étant souvent transformés en entrepôts. La plupart du savoir productif local sont en train de se perdre. On s’approche ainsi d’une proximité cognitive toujours plus a-territoriale. La proximité sociale présente se caractérise par la prédominance des « liens forts » typiques du milieu relationnel des petites entreprises. Ces dernières sont complètement étrangères au jeu des « liens faibles », organisé par les grandes entreprises et les multinationales. Aussi, leur incapacité à se positionner dans les relations de pouvoir asymétrique générées par ces entreprises les ont amenées à se refermer sur elles-mêmes jusqu’à se retrouver « congelées » et immobiles dans un monde de relations multiformes et multimodales (Corò et Rullani, 1998, p. 132). Elles n’ont ainsi pas cherché à l’extérieur les compétences qu’elles ne parvenaient pas toujours à générer au sein de leur famille (comme à leurs débuts) et qui étaient désormais devenues indispensables (compétences en matière de gestion entrepreneuriale non conditionnée par des dynamiques familiales et consciente de la nécessité de développer de nouveaux savoirs créatifs, de marché et de communication). Enfin, pour les petites et les moyennes entreprises qui étaient au fondement du modèle du district, la crise se voit également confirmée dans les liens de proximité institutionnelle. N’ayant pas su gérer le phénomène de l’explosion de la micro industrialisation et des districts industriels, les institutions territoriales ne parviennent pas à faire face à la problématique local-globale ni à protéger les acteurs les plus faibles : les petits entrepreneurs-artisans qui avaient été à l’origine du succès du modèle Nord-Est (Messina, 2008). Ainsi, bon nombre d’entre eux ferment, font faillite ou délocalisent. Il est à noter que, à Montebelluna, la structure formelle de « district » n’a été officiellement fondée qu’en 2003 mais qu’en 2006, seules 70 entreprises sur les 386 du district adhéraient au projet (Osservatorio Socio Economico Montelliano, 2004).
12Aujourd’hui, on ne sait comment réagir face à la perte d’un savoir-faire mûri durant des siècles, qui s’est exporté avec les entreprises qui se sont délocalisées. Les acteurs de référence sont aujourd’hui les entreprises internationalisées. S’il est avéré que, par leur présence, elles ont un contact matériel avec le territoire, elles y tissent néanmoins une économie strictement immatérielle (Rullani, 2006). Cette immatérialité tient de la valeur ajoutée qu’elles obtiennent en termes d’image par leur simple présence sur le territoire et qui renvoie à ce que les districts ont représenté dans le passé. Il s’agit d’un heritage marketing (Montemaggi et Severino, 2007) qui n’a rien d’actuel : le territoire qui est vendu n’existe plus (Pecqueur, 2006). Le nombre de suicides, relaté dans la presse locale, d’entrepreneurs qui font faillite ou qui craignent la fermeture de leurs entreprises de familles dépasse désormais largement la centaine, et ne cesse de s’accroître. Ces morts sont des témoignages de la crise identitaire difficile que traverse le territoire. La redéfinition de l’identité du territoire du Nord-Est reste aujourd’hui une question complètement ouverte.
4 – Sur les territoires de la délocalisation : Le cas de Timişoara
13Les industries du district de Montebelluna ont choisi ce lieu parce qu’il est relativement peu distant de la Vénétie (Timişoara est huit heures de route de Trévise) ; un camion peut ainsi effectuer un aller en un jour, tandis qu’il lui en faudrait trois pour aller jusqu’en Moldavie. Réciproquement, les marchés principaux de Timişoara sont accessibles à des coûts de transport avantageux pour les entrepreneurs autant pour la durée que sur un plan financier. Au-delà de la proximité, le secteur de la chaussure de Montebelluna a été incité à se délocaliser à Timişoara en raison de l’existence de compétences locales qui avaient été développées dans ce secteur bien avant la période communiste, puis consolidées pendant celle-ci. Timişoara était reconnue pour la qualité de ses produits, non seulement en Europe, mais aussi dans le monde (Surubaru, 2008).
14La délocalisation des entreprises du Nord-Est a commencé à la fin des années 80. Elle se caractérise par des formes et des effets différents à travers le temps. On peut identifier deux modalités principales : la première - la plus répandue - est la délocalisation menée par des entreprises dont la délocalisation s’effectue de manière individuelle et non coordonnée, par imitation. La seconde correspond à une délocalisation menée par une entreprise leader (acteur fort) qui entraîne avec elle ses fournisseurs et ses sous-traitants. Invités à la suivre ils délocalisent à leur tour et s’installent autour de ses nouvelles filiales (Callegari, 2005 ; Pitingaro et Sartor, 2008 ; Dicken, 2011 ; Andreff et al., 2001). On observe dans ce cas une fragilité chez les entreprises satellites (les fournisseurs et les sous-traitants) qui dépendent alors de la rationalité territorialisante de l’acteur fort (Turco, 1988). Ce dernier peut juger à tout moment de délocaliser à nouveau. Geox l’a fait en 2008 en quittant Timişoara. Benetton a pour sa part quitté la Tunisie pour Timişoara en 2009, déstabilisant non seulement les nouveaux territoires d’implantation, mais aussi les projets des acteurs qui l’avaient suivie par nécessité et par extension les territoires de départ.
4.1 – Délocalisation à faible contamination entre les différentes territorialités locales
15Sous l’effet des délocalisations, les territoires tendent à se rapprocher. Si la distance géographique relative diminue par l’organisation de réseaux logistiques, productifs et de marché, la distance relationnelle (sociale, cognitive, organisationnelle et institutionnelle), elle, ne se réduit pas entre Vénitiens et Roumains. Elle tend même à s’accroître dès lors qu’ils commencent à mieux se connaître. Ainsi, bien que circulent les idées que « Timişoara est comme la Vénétie » (Redini, 2007), ou que l’on parle parfois de Trévişoara – issue de la contraction entre « Trévise » et « Timişoara » – ou encore que l’ouest de la Roumanie est la quatrième région du Nord-Est (Sarcina, 1997 ; Iordache, 2004), la distance entre les deux territoires, en dehors de leurs aspects fonctionnels, est considérable. Les entreprises sont comme des îles territoriales (Sidaway, 2007 ; Vasudevan et al., 2008). La proximité sociale ne se limite qu’aux seules relations de marché. En Roumanie, s’agissant des premières délocalisations, quelques entrepreneurs admettent que les conditions des ouvriers étaient « inhumaines » (Scroccaro, 2012). Entre les entrepreneurs du même secteur d’activité, la communication est souvent absente, de même que l’échange d’informations utiles pour faire équipe. Il est très courant que les entrepreneurs se volent les ouvriers les uns aux autres pour quelques euros de plus par mois (Scroccaro, 2012). Ce système de surenchères a fini par mettre hors-jeu les très petites entreprises qui avaient misé sur le seul faible coût de la main-d’œuvre roumaine (voir le tableau 3 en annexe).
16Au sein des entreprises, la proximité organisationnelle est portée par les mêmes valeurs que celles qui servaient de référence en Vénétie : le patron entrepreneur-artisan. Le sentiment d’appartenance à l’entreprise (celui de la fidélité à la famille-entreprise) et le partage d’une même culture du travail (celle de l’entrepreneur vénitien) en sont des principes fondamentaux. La proximité cognitive est elle aussi très faible. Il n’y a aucun échange de connaissances entre les entrepreneurs dans les lieux de la délocalisation : la transmission de connaissances qui avait lieu dans le temps entre les techniciens des entreprises et les ouvriers se limite aujourd’hui au strict nécessaire. Aussi, dans le contexte de délocalisation où il est toujours plus difficile de garder son poste de travail en Italie, les techniciens ont tout intérêt à limiter la transmission de leurs savoirs dans l’entreprise délocalisée. C’est pour eux une façon de rester indispensables. L’absence de toute reconnaissance et de considération pour ce que le territoire local et les acteurs savent et sont capables de faire (donc de la territorialité existante) est manifeste chez les entrepreneurs qui n’admettent pas de culture du travail différente de la leur. C’est ainsi qu’ils disent que les travailleurs locaux « n’ont pas la culture du travail » et « ne sont pas en mesure de se fidéliser à l’entreprise » (contrairement au cas italien, où l’on travaillait sans discuter pour la famille-entreprise), ce qui justifie la nécessité d’un contrôle toujours plus étroit et plus asphyxiant. Les équipes des usines de Timişoara travaillent de 7 heures à 15 h 30, avec 20 minutes de pause à 10 heures et 10 autres minutes à 13 heures. Une des raisons avancées par les entreprises fonctionnant ainsi sans roulement est la possibilité d’exercer un meilleur contrôle. Nous sommes ici à la quintessence de la territorialité moderne où le culte des règles est l’unique garantie du bon fonctionnement du contrôle sur le territoire (Sack, 1993). Les ralentissements et les interruptions fréquentes de travail (pour se rendre aux toilettes par exemple) ainsi que les pannes des équipements, les vols de chaussures ou de matières premières, les retards au travail, les absences ou le renouvellement toujours plus fréquent des travailleurs, sont des exemples de tentatives, de la part des acteurs locaux, de rééquilibrer les relations de pouvoirs en jeu en mettant en difficulté autant l’entreprise que son patron. Concernant la proximité institutionnelle, la recherche met en lumière que les organisations d’entrepreneurs et les structures formelles de gouvernement politico-économique n’interviendront qu’ex post (après l’an 2000) pour tenter de remettre de l’ordre, de consolider et, à l’occasion, de justifier ce que les entrepreneurs avaient réalisé sur le terrain de manière autonome, exactement de la même manière qu’en Vénétie (en offrant par ailleurs très souvent des services qui se chevauchent, ce qui désoriente et rend encore plus méfiants les entrepreneurs). Jusqu’alors, les entrepreneurs qui arrivaient à Timişoara dans les années 90 avaient comme point de repère l’ambassade italienne de Bucarest et, à partir de 1980, la banque italo-roumaine, toujours à Bucarest. En 1994, quelques entrepreneurs ouvrent, encore à Bucarest, la chambre de commerce italienne. Ce n’est que dix ans après le début des délocalisations, et seulement en concomitance avec l’arrivée des moyennes et grandes entreprises, que furent créés, à Timişoara, le Consulat italien, l’ICE (Agence pour la promotion et l’internationalisation des entreprises italiennes à l’étranger), la Confindustria Romania (ex-Unimpresa Romania, Union nationale italienne des entreprises de Roumanie, chargée de faciliter les relations avec le gouvernement roumain et les organisations syndicales) et, en 2002, Antenna Veneto (le Centre pour le Développement commercial à l’étranger, des Chambres de Commerce de Vénétie), devenu aujourd’hui « Veneto Promozione ». De nombreux entrepreneurs n’ont jamais contacté, et n’ont aucune intention de le faire, ces bureaux italiens, toujours en raison de la suspicion que les entrepreneurs de Vénétie nourrissent face aux institutions publiques (Diamanti, 2006, p. 168). À Timişoara, de nombreuses personnes interrogées ne savent pas qui est le Consul et n’ont jamais eu non plus de contact avec Unimpresa Romania, l’ICE ou la CCIAT (Chambre de Commerce).
17Les informations disponibles dans ces institutions sont considérées par de nombreuses personnes interviewées comme peu utiles et peu fiables : la lenteur bureaucratique contraste avec la célérité caractéristique des décisions prises dans le monde économique, en particulier concernant ce type de production délocalisée, très sensible aux changements et aux exigences de la mode. De leur côté, ces structures, justement parce qu’elles ne parviennent pas à contacter toutes les entreprises présentes sur place, ne sont pas en mesure de disposer, suivant leurs dires, de données mises à jours et fiables. Ce manque d’informations sûres et actualisées sur les entreprises présentes sur le territoire a aussi posé problème pour notre recherche. C’est une des raisons qui nous ont incités à chercher nous-mêmes et à identifier, voire à dénicher, les entreprises et les entrepreneurs dans le territoire pour tenter de comprendre les dynamiques de la délocalisation de manière approfondie (Scroccaro, 2012).
4.2 – Délocalisations à haute contamination entre territorialités locales différentes
18Ce n’est que dans une phase plus avancée de la délocalisation (après 2003) que nous assistons au transfert de segments qui imposent d’avoir une main-d’œuvre mieux formée : la finition et, plus récemment encore, l’innovation et la recherche. La technologie employée durant ces phases de production est plus coûteuse car il ne s’agit plus simplement d’utiliser les machines (souvent obsolètes et hors normes) qui avaient été importées lors des premières délocalisations. Le personnel doit donc ajouter de nouvelles compétences à celles qu’il possède déjà. Le fait d’avoir besoin de compétences nouvelles génère, d’une part, une augmentation des connaissances tacites transférées (les compétences déjà acquises) et des connaissances codifiées acquises (requises pour utiliser les nouvelles machines) et, d’autre part, un certain effet de débordement préalable à la construction d’un entrepreneuriat local et de territorialité inter-locale. Avec le temps, en effet, certaines formes de contact entre les territoires de départ et les territoires de délocalisations – aiguisées par la bataille globale de la compétitivité – finissent par tisser de nouveaux réseaux et de nouvelles configurations de proximité.
19L’entrée de la Roumanie dans l’Europe (1er janvier 2007) a provoqué le départ des entreprises du Nord-Est qui cherchaient uniquement un avantage financier et une main-d’œuvre bon marché, (Labrianidis, 2008 ; Bioteau et al., 2008). Ces départs qui auraient pu marquer la fin du match pour Timişoara, ont ouvert en réalité de nouveaux scénarios. Aussi Timişoara a réussi, grâce à certains atouts spécifiques, à maintenir une dynamique de développement positive malgré l’entrée de la Roumanie dans l’UE et la crise de 2008 (Scroccaro, 2012, p.190). Au même moment, Timişoara note une croissance de 15 % de sa présence industrielle. En effet, 29 % des entreprises interrogées indiquent y avoir transféré durant cette période l’étape de la construction des modèles, 18 % les étapes de conception et de commercialisation. La proximité géographique de Timişoara, par rapport aux autres pays non-membres de l’UE, compense en grande partie les effets négatifs (pour les entrepreneurs qui délocalisent) de l’entrée de la Roumanie dans l’Europe. Aussi cela permet-il de répondre aux crises les plus récentes. Selon différents techniciens, pour le secteur en question, l’Extrême Orient a comme handicap majeur le transport. Depuis l’Orient, il faut compter 20 jours de transport par bateau tandis que l’avion n’est pas rentable. Comme l’affirme le représentant d’une importante société de transports « Dans le cadre de l’UE, le transport [des chaussures] se fait par la route. Cela n’aurait aucun sens de le faire différemment, autant en termes de coûts qu’en termes de temps » (expéditeur, 14.03.2008).
4.3 – De nouvelles configurations de proximité
20Dans ce nouveau contexte territorial résultant des délocalisations vénitiennes, les configurations de proximité qui se dessinent à Timişoara révèlent l’existence de compétences stratégiques. En effet, ces délocalisations ont généré la création d’une valeur territoriale qui, pour certaines productions et à certaines conditions, dépasse le seul avantage financier qui était à l’origine de l’arrivée des entreprises italiennes. Les entreprises de Timişoara ont par exemple su construire les compétences nécessaires à la production « juste-à-temps » de haute qualité. Cette production saisonnière nécessite en effet des savoir-faire et la capacité de produire dans de brefs délais, en faible quantité et de manière flexible. Elles ont également développé la capacité de renouveler continuellement les produits et de tester les variations des tendances au cours des saisons. Dans ce contexte, la stratégie gagnante pour les entreprises italiennes consiste à rester à Timişoara, proche des marchés européens, là où l’expérience, la compétence et la rapidité, désormais consolidées, sont essentielles. Timişoara est ainsi protégée du risque de perdre des entreprises qui seraient tentées par une délocalisation en Chine par exemple, ou les conditions de production sont moins onéreuses qu’en Roumanie.
21Une autre proximité cognitive intéressante, liée à l’entrée de la Roumanie dans l’UE, est aussi en train de se dessiner. Les flux migratoires, devenus plus aisés, induisent le développement de nouvelles connaissances, ainsi que de nouvelles attentes et opportunités. Les ouvriers des entreprises vénitiennes délocalisées en Roumanie quittent souvent leur pays vers l’Europe, à la recherche de conditions de travail meilleures. Nombreuses sont celles qui se sont trouvées en difficultés en raison du vieillissement et de la raréfaction de l’emploi. À titre indicatif, en 2008 les entreprises ont perdu en moyenne 30 % de leur production à cause de ces migrations (entrepreneur interviewé le 22/03/2008). On observe toutefois aujourd’hui un tout récent phénomène de retour des émigrés. Ayant intégré à leurs compétences de départ celles acquises à l’étranger, ces derniers sont maintenant en mesure de démarrer des activités entrepreneuriales. Ces activités peuvent être de production mais aussi de services à l’attention d’entreprises italiennes ou de pays voisins non-membres de l’Union Européenne (courtage par exemple). Ayant accès à une main onéreuse provenant de pays non-membres voire de Chine, ces entrepreneurs proposent des produits de qualité inférieure, dont ils sont aptes à gérer la production, notamment grâce aux savoir-faire acquis avant migration dans les entreprises vénitiennes de Timişoara. Cette production n’entre pas en concurrence avec celle des entreprises italiennes car elle est orientée vers des marchés différents. Timişoara, une fois encore, apparaît comme un lieu stratégique, car elle fournit le savoir nécessaire pour cette production à coûts réduits et pour la commercialisation vers les nouveaux marchés de l’Europe centrale et orientale (la Russie, l’Ukraine, la Serbie) ainsi que vers les pays du Moyen-Orient. C’est une nouvelle proximité géographique et organisationnelle qui voit ainsi le jour (Scroccaro, 2012 ; Andersen et Christensen, 2004).
Conclusions
22L’article a proposé une analyse de l’évolution de la territorialité du district du Nord-Est de l’Italie au regard des mouvements de délocalisation observés depuis la fin des années 80 et des contacts établis avec les territoires des délocalisations. Il a mis en évidence quelques exemples de configurations de proximités géographiques, sociales, cognitives, organisationnelles et institutionnelles dans les lieux où le modèle du district a grandi (Montebelluna) et dans ceux où bon nombre d’entreprises du modèle se sont délocalisées (Timişoara).
23Le « modèle Nord-Est » a été un des emblèmes du succès de l’approche des districts industriels. La territorialité était fondée sur des relations de proximités géographiques, sociales, cognitives, organisationnelles et institutionnelles très étroites et interconnectées et avec le territoire. Dans ce modèle, les territorialités locales étaient bien plus qu’une toile de fond pour l’espace des flux (Veltz, 2005 ; Pike et al., 2007 ; Pecqueur, 2006). En se déplaçant, la culture du district a porté en elle le modèle de référence qui a eu un impact sur le territoire d’arrivée des entreprises en modifiant ces lieux et en se modifiant elle-même. Dans les relations entre les entreprises et les lieux de production, les marchandises et les travailleurs n’ont pas été les seuls à circuler ; des convictions, des stéréotypes culturels et des discours ont aussi été déplacés, créant ainsi de nouvelles territorialités interlocales (Dematteis, 2008).
24Nous nous sommes posés deux questions. La première servait à comprendre de quelle manière les configurations de proximité propres au modèle vénitien se reproduisaient dans les lieux de délocalisation. Les acteurs qui délocalisent considèrent les nouveaux territoires uniquement comme des atouts sur le « marché des sites » (Pecqueur, 2006 ; Magnaghi, 2000 ; Dematteis, 2001). Ainsi, pendant longtemps (depuis la fin des années 80 jusqu’aux années 2000), les entrepreneurs ont tenté de reproduire, à leur arrivée à Timişoara, les mêmes configurations que celles des territoires de départ. Ceci dans le sens où elles pouvaient fonctionner de la même manière et où, surtout, les territoires d’arrivées ne pouvaient ni ne devaient s’y opposer de quelque manière que ce soit.
25Cette première analyse nous a amenés à la seconde question qui concerne les phénomènes de contamination entre les différentes territorialités locales au travers des relations de proximité qui se développent sur les lieux des délocalisations.
26La recherche montre tout d’abord une contamination superficielle entre les deux territoires. Les relations sont fortement asymétriques ; elles défavorisent les acteurs et les territoires locaux roumains qui sont exclusivement utilisés par les entrepreneurs vénitiens. Elle montre aussi que ce n’est que récemment que se sont dessinées des configurations de proximité qui montrent une plus grande contamination entre les acteurs en jeu. Cependant, même dans ce cas, la territorialité créée par les entreprises vénitiennes se modifie bien peu par rapport à celle des lieux qui ont accueilli la délocalisation et elle conserve une attitude très marquée de défense et de fermeture. Ainsi, alors que, dans le Nord-Est, la globalisation rapide et invasive a remis en question le modèle du district et entraîné une première vague de délocalisation, le nouvel ordre économique imposé par l’entrée de la Roumanie dans l’Union Européenne a provoqué une seconde vague de délocalisation : de Timişoara vers de nouveaux territoires plus intéressants en termes de coût de la main-d’œuvre. Les entreprises ont tout d’abord fui le Nord-Est, puis la Roumanie. Ne résistent que celles qui ont réussi à réaliser de profondes contaminations entre les territorialités de provenance et d’arrivée, portées par la reconfiguration progressive de leurs proximités géographiques, sociales, cognitives et organisationnelles. Aussi, on observe depuis quelques années un retournement de situation dans les relations de pouvoir. À Timişoara, en effet, sous l’effet des délocalisations, les acteurs locaux ont ainsi su sauver leur territoire du déclin dû à la fuite de bon nombre d’entreprises attirées par le low cost en valorisant les spécificités du lieu (position géographique, aisance linguistique et culturelle, etc.). Il s’y développe ainsi un entreprenariat local qui est, d’une part, plus intégré à celui de la Vénétie et, d’autre part, plus autonome et tourné vers de nouveaux marchés. En conclusion, Dematteis et Governa soutiennent que le local « devient stratégique avec la globalisation elle-même, entendue comme la phase dans laquelle tout lieu de la planète peut agir virtuellement avec tout autre » (2005, p. 25). C’est ce qui s’est produit pendant longtemps dans la relation entre la territorialité fermée, aux plans cognitif, organisationnel et social, des entreprises de Vénétie et la territorialité qui, dans les lieux où la délocalisation s’est produite, est obligatoirement exposée aux flux de la globalisation et doit donc se montrer ouverte aux plans cognitif, organisationnel et social (en raison de la forte asymétrie dans les relations de pouvoir entre les acteurs en jeu). La reconnaissance réciproque entre les territorialités locales n’est toutefois pas garantie, ce qui pénalise quelques territoires. Toutefois, les asymétries relationnelles peuvent changer. C’est ce que nous montrent aujourd’hui Timişoara d’un côté et, de l’autre, le district de Montebelluna, qui devra reprendre la voie du dialogue face aux menaces et aux opportunités de la globalisation.
Nombre d’entreprises à capital italien à Timişoara et en Roumanie entre 2002 et 2013
Nombre d’entreprises à capital italien à Timişoara et en Roumanie entre 2002 et 2013
Nombre d’entreprises provenant de Vénétie à Timişoara et en Roumanie
Nombre d’entreprises provenant de Vénétie à Timişoara et en Roumanie
*** En ce qui concerne les entreprises vénitiennes nous ne disposons pas de données avant 2002 ni après 2005 car Antenna Veneto n’a pas réalisé d’enquêtes supplémentaires.Évolution des coûts (en Euros) de l’heure de travail (hors agriculture et PA) en Italie et en Roumanie (pour la période indiquée)
Évolution des coûts (en Euros) de l’heure de travail (hors agriculture et PA) en Italie et en Roumanie (pour la période indiquée)
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