1Notre métier, accompagner des personnes dans un cheminement, relève parfois du défi. Les fluctuations de la vie, la posture que nous avons choisie, être dans le vif de l’interaction, ne pas vouloir pour l’autre, ne pas savoir sur lui ou pour lui, ne nous sécurisent pas. Quelle est la réalité de notre pratique ? Ce livre se propose d’éclairer de façon pragmatique ce qu’il en est. Le travail thérapeutique décrit est orienté sur la connaissance de soi centrée sur la conscientisation et la sémantisation. Il vise la globalité du vécu dans la rencontre, développe capacité et qualité de présence à celui-ci. Le constat de cette description pragmatique établit qu’une partie de l’accompagnement nous échappe.
2Cet ouvrage est le fruit de 15 ans d’observation méthodique de la pratique d’accompagnements menés par l’auteur, aidé depuis 5 ans de son groupe de recherche PRAGMA. Il la décrit telle qu’elle est mise en œuvre par les formateurs de l’institut GREFOR. D’une grande proximité avec la Gestalt-thérapie, des praticiens d’autres courants thérapeutiques peuvent s’y reconnaître. Il la qualifie d’attitude psynodique, c’est-à-dire renonçant à fixer une finalité à l’accompagnement, respectant la singularité de la personne et l’imprévisibilité de son devenir et de son développement.
3Dans un premier temps, Frédéric Brissaud aborde l’importance des principes éthiques qui infléchissent la façon de faire du praticien.
4Puis il met en mots ce que ce professionnel fait réellement dans sa pratique d’accompagnement. L’auteur dégage 6 compétences qui sont mobilisées et forment le plan de l’ouvrage :
- l’accueil, l’écoute et l’empathie ;
- la présence à l’autre, à soi-même, à la situation ;
- les liens investis affectivement et l’engagement dans le lien ;
- l’implication et l’authenticité dans la rencontre ;
- la conscientisation par la personne de son vécu ;
- la mise en œuvre du cadre du travail professionnel.
5La description de ces compétences est illustrée par des transcriptions d’entretien permettant de mieux comprendre la dimension sensible et humaniste de ces rencontres. Elle donne le point de vue de l’auteur concernant cette posture. La précision de son écriture soutient clairement son propos.
6La force de Frédéric Brissaud est de distinguer l’accompagnement psynodique du traitement thérapeutique habituel. Dans le premier cas, cheminer auprès du patient se fait selon une posture maïeutique, sans objectif précis. Les moments d’incertitude sont au premier plan et il montre comment les aborder. Dans le deuxième cas, l’intervention identifie un problème, définit des objectifs, détermine des actions pour atteindre un but. Cette dernière posture vise à contenir ou réduire les symptômes psychopathologiques identifiés. Nous pouvons mesurer combien l’attitude psynodique est éloignée du traitement thérapeutique et pourrait être difficile à tenir dans l’immédiateté de l’entretien. Nous pouvons également toucher combien, pour les professionnels de la psychothérapie, cette description méthodique peut être un apport concret afin de les aider à affiner leur posture non directive.
7Accompagner la personne dans le respect de l’imprévisibilité de son devenir pose l’imprévu et l’inconnu au cœur de l’entretien. L’incertitude est permanente et il importe d’agir dans le vif de la rencontre sans avoir un guide des bonnes pratiques. Ainsi, la liberté et la responsabilité du praticien sont interpellées. Les choix qu’il fait dépendent grandement de sa capacité réflexive et de sa dimension éthique. On comprend encore mieux combien l’auteur se démarque d’une vision de la santé traditionnelle et normative.
8Le narrateur évoque aussi l’intelligence clinique qui dépasse et englobe la réflexivité et tente de comprendre la complexité des situations et de guider l’action. Il serait irréaliste de considérer que dans l’instantanéité de la rencontre, l’entretien pourrait être entièrement pensé consciemment et déterminé volontairement par le clinicien à partir de savoirs. Il conclut sur le fait qu’il est largement agi à son insu par des phénomènes qui lui échappent et ce, quel que soit le travail qu’il a pu faire sur lui, les formations qu’il a pu suivre.
9En dernier point des compétences évoquées, l’auteur aborde la sécurité ontologique, indispensable dans cette posture, même si elle ne nous met pas à l’abri de l’inconfort, du doute voire de l’angoisse. Éclairer l’existence et cultiver la croissance signifie ici devenir plus conscient de son vécu dans ses différentes dimensions. Il nous invite à exercer cette boussole de l’existence, l’attention, qui constitue de la conscience et donne à notre présence cette qualité si particulière à chaque instant.
10La vie est imprévisible, quelles que soient nos tentatives pour la maîtriser, l’accompagnement d’une personne dans son cheminement le serait-il aussi ? Sans aucun doute. C’est pourquoi il nous faut une bonne dose de curiosité et de foi alliée à une formation professionnelle qui prenne en compte cet aspect-là. Être au plus près de sa pratique, c’est aussi profondément accepter que quelque chose nous échappera toujours. L’incertitude ontologique au cœur de cette approche est un vécu incontournable. C’est ce qui rend probablement notre métier inventif et créatif.
11Cette démarche descriptive est un apport certain pour la Gestalt-thérapie qui pratique dans cette direction-là.
12Ce livre est le premier d’une trilogie. Le tome II détaillera le cursus pédagogique mis en œuvre. Le tome III jettera les bases d’une recherche descriptive visant à valider et enrichir la description présentée dans le tome I.
13Cet ouvrage concret et rigoureux est une pépite permettant de préciser et de lever un peu le voile entre ce que nous croyons faire et ce que nous faisons réellement dans notre pratique thérapeutique. Un faisceau de lumière face à l’opacité, l’incertitude !!!