Gestalt 2014/1 n° 44

Couverture de GEST_044

Article de revue

Devenir gestalt-thérapeute

Construire des savoirs professionnels dans et par la pratique du métier

Pages 20 à 35

Notes

  • [1]
    Institut de Gestalt de Grenoble.
  • [2]
    Institut Français de Gestalt-Thérapie.
  • [3]
    Gestalt-thérapie REcherche FORmation.
  • [4]
    Favorisée par la pédagogie de l’IFGT invitant à s’approprier les concepts plutôt qu’à adopter une définition unique.
  • [5]
    Pierre Vermercsh, 2007.
  • [6]
    Philippe Perrenoud, 1996.
  • [7]
    Marie-José Avenier & al., 2007, Jean-Marie Barbier, 1996, Dominique Bucheton, 2009, Anne Jorro, 2006, Philippe Perrenoud, & al., 2008.
  • [8]
    Dominique Bucheton, 2009.
  • [9]
    Frédéric Brissaud, 2012.
  • [10]
    Georges Jobert, 1999.
  • [11]
    Pour plus de détails voir Frédéric Brissaud, 2012.
  • [12]
    La formation se déroule sur plus de six ans en séminaires de deux, trois ou quatre jours selon quatre cycles : premier et deuxième cycles, cinquante-quatre jours sur vingt-un mois. Troisième cycle, cinquante jours sur vingt-un mois. Et quatrième cycle, quinze jours sur seize mois. Cycle de psychopathologie, dix-huit jours sur dix-huit mois. (cf. F. Brissaud 2012).
  • [13]
    Le troisième cycle invite à démarrer une activité de gestalt-thérapeute, selon un rythme dépendant de la maturation de chaque stagiaire.
  • [14]
    Frédéric Brissaud, 2011.
  • [15]
    C’est le projet poursuivi par le groupe de recherche PRAGMA (PRAxéologie Gestalt-thérapie MAïeutique) Frédéric Brissaud & al., 2014.
  • [16]
    Jacques Blaize, 1996.
  • [17]
    La réglementation du titre de psychothérapeute en témoigne.
  • [18]
    Lucie Mandeville, 2004.
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1 Que l’activité du gestalt-thérapeute soit considérée comme l’exercice d’un métier ou d’un art, celui de l’artiste ou celui de l’artisan, la nécessité d’une formation pour conduire cette activité ne fait pas débat. Être gestalt-thérapeute n’est pas inné, mais s’acquiert par une formation initiale professionnalisante et se maintient par une supervision régulière et une formation continue.

2 Exercer un métier ou un art requiert la réalisation de gestes, manuels ou cognitifs, manifestant des compétences dont l’acquisition est l’enjeu de la formation professionnelle initiale au travers de dispositifs pédagogiques adaptés à la nature de l’activité.

3 Cet article présente les éléments-clefs de la formation dispensée par l’institut GREFOR.

Orientation pédagogique et biographie institutionnelle

4 Quelques éléments de notre histoire institutionnelle permettent de situer notre orientation pédagogique.

5 En 2002, six gestalt-thérapeutes rejoignent Agnès Pin-Delacroix et Jean-Marie Delacroix afin de poursuivre l’activité de l’IGG [1]. Tous ont fait un troisième cycle de l’IFGT [2] et la plupart un premier et un deuxième cycle à l’IGG. Dès le début, l’organisation est pleinement collégiale et après des mois d’hésitations l’institut GREFOR [3] est créé en mai 2003 offrant une formation complète de gestalt-thérapeute. Débute alors un renouvellement du cursus de formation appuyé sur l’expérience de l’IGG, de l’IFGT et sur les expériences de vie, les cursus professionnels et les réflexions des membres de l’équipe.

6 Dans les premières années, bien que tous formés ou formateurs à l’IFGT, la diversité de nos interprétations de la théorie du self [4] laisse présager l’absence d’un socle suffisamment commun pour être transmis. En revanche, malgré la variété de nos discours au sujet de nos pratiques, la multiplication des co-animations cliniques nous montre la grande proximité de nos pratiques. Cette pratique partagée est alors retenue pour constituer le cœur du cursus de formation et en assurer la cohérence pédagogique. Les discours et les théorisations à son sujet offrent aux stagiaires la richesse de différents éclairages.

7 En six ans, près de 90 % du cursus initial de formation hérité de l’IGG et de l’IFGT a été renouvelé par ce projet pédagogique de transmettre notre posture et notre pratique.

8 Cette transformation du cursus s’est faite selon un schéma itératif par touches successives réalisées tantôt dans le vif de la pratique pédagogique, tantôt dans la réflexion didactique d’après-coup, interpellées ensuite par un retour d’expérience. Depuis peu nous disposons de repérages conceptuels permettant de théoriser en partie le dispositif pédagogique construit illustrant les propos de Pierre Vermersch : la pratique précède toujours la théorisation qui peut-être en rendra compte un jour [5].

Quelle pratique et quelle posture cliniques ?

9 Elle peut être décrite comme la poursuite de trois directions souvent concomitantes :

10 Rencontre humaine : le gestalt-thérapeute est impacté par le patient qui lui donne à penser, à imaginer, à ressentir, à éprouver, etc. Dans la rencontre avec le patient, il s’implique dans son humanité, dans son être même, et non dans sa seule technique.

11 Conscience et sens : le gestalt-thérapeute contribue à développer la capacité de présence du patient en le sollicitant pour qu’il conscientise des aspects non conscients de son vécu présent et en mettant au travail la sémantisation de son vécu.

12 Liens investis : la situation clinique exacerbe les sentiments se développant dans toute relation de sorte que le patient tisse, largement à son insu, des liens affectifs et fantasmatiques souvent fortement investis avec le gestalt-thérapeute.

13 La poursuite de ces trois directions est guidée par le choix éthique de non-directivité qui détermine la posture clinique : le gestalt-thérapeute renonce à former un projet pour le patient. Il ne fixe pas de changement à obtenir, d’objectif à atteindre ni d’étape à franchir. Il reconnaît en revanche son influence sur la situation présente et sur le cheminement du patient par son implication dans la rencontre, par le travail de conscientisation, les liens investis tissés.

14 Dans un monde en perpétuel changement et dans la perspective d’un développement psychique désormais conçu comme se prolongeant tout au long de la vie, une telle pratique vise une transformation globale du patient. Elle favorise son développement et accompagne son cheminement existentiel dans le respect de la singularité de chacun et de sa trajectoire sociohistorique. Les symptômes d’un éventuel trouble psychique sont aussi transformés dans cette évolution globale de la personne, mais la guérison n’est pas visée directement, sa survenue est « l’effet de surcroît » des psychanalystes.

15 La visée de cette pratique est radicalement différente de l’orientation des pratiques de soin habituelles, médicales ou non, et des pratiques de développement personnel, lesquelles fixent initialement des objectifs – santé, bien-être, capacité, changement, solution – et ouvrent à l’évaluation de leur efficacité à atteindre l’objectif fixé.

16 Impliqué dans la situation présente, le gestalt-thérapeute est lui-même son outil de travail, sa professionnalité et son humanité œuvrant à la transformation du patient. Il est notamment impliqué dans ses dimensions cognitives, affectives, émotionnelles, corporelles, biographiques etc. à la fois conscientes et non-conscientes.

17 L’inconnu et l’imprévu sont au cœur de la situation clinique gestaltiste et sont acceptés comme tels : le praticien travaille avec ce qui se présente, il « agit dans l’urgence et décide dans l’incertitude » [6]. Cette caractéristique du métier requiert que le gestalt-thérapeute ait développé une compétence de praticien réflexif, qu’il soit capable dans le direct d’une rencontre impliquante de mener une réflexion au sujet de la pratique qu’il est en train de conduire.

18 Suivant les travaux récents menés en psychologie du travail, en ergonomie et en sciences de l’éducation [7], l’activité du gestalt-thérapeute est abordée comme la mobilisation coordonnée et ajustée à la situation présente d’un système intégré de savoirs professionnels [8] largement non-conscients, constitués de savoirs déclaratifs (les connaissances empiriques ou savantes), de savoirs procéduraux (les savoir-faire) et de savoirs conditionnels (liant conditionnellement les deux) [9]. Être gestalt-thérapeute ne relève cependant pas de techniques qu’il suffirait de maîtriser : il y a en permanence une intelligence au travail qui tente de comprendre la complexité des situations et de guider l’action. Comme toute activité de haut niveau, l’activité du gestalt-thérapeute passe par un jugement et un raisonnement professionnel, une intelligence en situation[10].

19 Plusieurs compétences et capacités se dégagent de ce système intégré de savoirs professionnels [11] :

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  • Compétences : 1. Accueil et écoute, 2. Conscientisation-sémantisation, 3. Maniement des investissements, 4. Dévoilement du praticien, 5. Présence au cheminement, 6. Mise en œuvre du cadre,
  • Capacités : 1. Intelligence clinique, 2. Mobilisation attentionnelle, 3. Disposition humaniste, 4. Questionnement éthique, 5. Sécurité intérieure.

21 Former au métier de gestalt-thérapeute, c’est donc permettre aux stagiaires de construire les compétences nécessaires à cette activité : c’est leur permettre de construire un système intégré de savoirs professionnels largement non-conscients requis pour conduire, dans la rencontre avec les patients, la pratique esquissée plus haut. Les savoirs déclaratifs réellement mobilisés dans la pratique peuvent être en partie décrits et formalisés, autrement dit, théorisés, mais aucune théorie ne peut prétendre en rendre compte en totalité.

Andragogie : prégnance du déjà-là

22 Être gestalt-thérapeute est une activité de seconde moitié de vie pour au moins deux raisons.

23 Un travail en gestalt-thérapie court souvent sur plusieurs années pendant lesquelles sont évoquées différentes facettes de la vie présente et passée du patient. La diversité des personnalités, des âges, des motivations, des situations, des histoires, des questionnements, des épreuves traversées par les patients nécessite que le gestalt-thérapeute ait lui-même une expérience de vie suffisante pour se sentir capable de les accompagner. Traverser avec eux les vicissitudes de leur vécu dans le dialogue clinique, d’instant en instant, et les aléas de son chemin de vie, pendant le temps de l’accompagnement, ne peut pas être l’affaire d’un jeune adulte.

24 Exercer le métier de gestalt-thérapeute requiert d’avoir suivi une psychothérapie, notamment en Gestalt-thérapie, pour plusieurs raisons :

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  • Toute rencontre est l’occasion de phénomènes d’influence largement non-conscients. Limiter leur manifestation dans la rencontre clinique requiert que le gestalt-thérapeute ait développé la conscience de son vécu et soit largement dégagé de ses façons habituelles d’influencer.
  • Toute relation inscrite dans la durée peut être l’occasion d’investissements. La situation clinique et la posture du gestalt-thérapeute favorisent ceux du patient. Avoir fait l’expérience des affects et des émois liés à ces investissements permet d’accompagner le patient dans leur traversée.
  • Avoir vécu le processus de transformation psychique produit par un tel accompagnement contribue à la sécurité intérieure du gestalt-thérapeute lui permettant de tolérer les moments de déstabilisation, de doute et d’inquiétude qu’il aura lui-même à traverser en face de ses patients.
  • Une démarche en gestalt-thérapie développe chez le patient une qualité de présence à son vécu, à son environnement et à l’interaction qui constitue une compétence essentielle à l’exercice du métier de gestalt-thérapeute.

26 Enfin, le contact prolongé et approfondi avec un gestalt-thérapeute conduit le patient à intégrer non-consciemment des savoirs professionnels – déclaratifs, procéduraux, conditionnels – relatifs à la pratique du métier de gestalt-thérapeute.

27 Les stagiaires s’engageant dans un cursus de formation de gestalt-thérapeute ne peuvent donc pas être regardés comme des pages blanches, ils ont derrière eux, mais surtout « en eux », les traces intégrées de leur vie personnelle, professionnelle et de leur expérience de la psychothérapie. Dans le repérage esquissé, ils disposent d’un système intégré de savoirs largement non conscient qui a pour lui le poids de la validation par l’expérience vécue et qui sera mobilisé par la situation clinique.

28 L’expérience montre que lorsque ce déjà-là préalable à la formation est mis entre parenthèses par le stagiaire ou insuffisamment travaillé par les dispositifs pédagogiques, il ressurgit dans la rencontre avec les patients en écartant les acquis de la formation qui n’ont pas encore le poids expérientiel de ce déjà-là.

29 Le dispositif pédagogique doit donc prendre en compte le déjà-là, et le mettre au travail en vue de son intégration avec les constructions en cours dans la formation. Cette caractéristique didactique est particulièrement importante pour un métier de la relation humaine auquel on se forme en seconde moitié de vie.

Transmettre la pratique

30 L’orientation didactique retenue pour permettre aux stagiaires de construire les compétences requises pour exercer le métier de gestalt-thérapeute consiste à apprendre au contact de la pratique, dans et par la pratique, d’abord en regardant faire, puis en expérimentant dans des dispositifs protégés et enfin en pratiquant en situation réelle.

31 Dans le début du premier cycle [12], le dispositif didactique principal consiste à regarder les formateurs conduire, en place de gestalt-thérapeute, des pièces de travail clinique avec des stagiaires et à mener ensuite une réflexion mettant au travail le déjà-là et ouvrant aux premiers apports didactiques à partir de la pratique.

32 Pendant les deuxièmes et troisièmes cycles, le dispositif didactique principal est le practicum[13]. Son objectif est de découvrir, d’expérimenter ou d’approfondir une compétence par l’expérience de la pratique réalisée dans une situation protégée. Il est le plus souvent conduit à trois, entre membres du groupe de formation et à des places de patient, d’apprenti gestalt-thérapeute et d’observateur. Chaque stagiaire occupe plusieurs fois la place d’apprenti à chaque séminaire.

33 Le practicum comporte trois étapes : cadrage, expérimentation et élucidation.

34 Le cadrage fixe les directives de l’expérimentation construite pour apprendre en faisant. La phase d’élucidation de l’expérimentation est conduite individuellement avec chaque stagiaire pour lui permettre de construire du sens à son expérience, d’en tirer des éléments de réflexion et de travailler à la conscientisation d’aspects du vécu à l’œuvre à son insu. Cette phase ouvre à des éclairages portés par le formateur à partir de ses propres savoirs professionnels mobilisés dans sa pratique clinique. Ils viennent s’inscrire dans la trace encore vive de l’expérience vécue par le stagiaire. Les savoirs déjà-là du stagiaire sont mobilisés par l’expérimentation puis mis au travail dans la phase d’élucidation impliquant le stagiaire dans son être même et contribuant à des transformations psychiques.

35 La centration sur les savoirs professionnels effectivement mobilisés dans la pratique, tant par le stagiaire que par le formateur, s’enrichit d’un questionnement complémentaire à partir des réflexions de différents penseurs, gestaltistes ou non.

36 Le practicum permet aux stagiaires de construire des savoirs déclaratifs, procéduraux et conditionnels intégrés y compris dans leur dimension non-consciente comme c’est le cas dans tout apprentissage expérientiel.

37 En début de troisième cycle, un séminaire permet à chaque stagiaire de réaliser trois séances consécutives avec un stagiaire inconnu, lui-même en début de deuxième cycle, en présence d’un formateur, assurant une supervision en direct. Il constitue un pas entre les practicums et la situation réelle ainsi qu’un observatoire de la construction de la posture clinique et du développement des compétences.

Formation en alternance dans et par l’exercice réel du métier

38 La situation d’exercice réel du gestalt-thérapeute diffère de la situation protégée du practicum en plusieurs points :

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  • Les stagiaires se connaissent bien et connaissent une partie de leurs environnements réels de vie. En revanche, un patient est, lors de la première rencontre, toujours inconnu et son environnement est accessible seulement indirectement, à travers ce qu’il dit de la représentation qu’il s’en fait.
  • Les practicums ne permettent pas d’expérimenter l’accompagnement d’un patient au long cours, ni les imprévus de la transformation du patient, ni les aléas de la relation dans la durée.
  • Les practicums permettent difficilement de faire l’expérience des investissements qui se produisent dans les liens que tissent les patients avec le gestalt-thérapeute.
  • Dans la situation réelle le gestalt-thérapeute est seul, impliqué dans la rencontre, sans possibilités d’aide extérieure, sans regard tiers, sans retour immédiat après la séance.
  • Le cadre restreint du groupe n’offre pas la diversité des patients, des demandes, des événements de rencontre dans la situation clinique, des situations de vie traversées, des cheminements cliniques, que le stagiaire rencontrera dans la situation réelle.
  • La compétence de présence du patient à la situation actuelle constitue un des outils du gestalt-thérapeute [14]. Les practicums ne permettent pas de confronter les stagiaires à des patients n’ayant pas encore développé cette compétence ni au travail requis pour son développement puisqu’ils l’ont eux-mêmes développé au cours de leur cheminement.

40 Ces différences significatives limitent le transfert de compétences des practicums à l’exercice réel du métier. La formation initiale de gestalt-thérapeute devant permettre aux stagiaires de construire les compétences suffisantes pour exercer en situation réelle, il importe qu’un dispositif didactique complète les acquis des practicums par un apprentissage du métier dans et par l’expérience de la pratique en situation réelle.

41 Le cycle de professionnalisation (quatrième cycle) s’apparente à un dispositif de formation en alternance tenant compte de la spécificité de la situation clinique d’être un huis clos que la présence directe d’un tiers, formateur ou observateur, perturberait de façon excessive. Le prérequis à ce cycle est d’être en cours d’accompagnement de patients. Pendant près d’une année, avec un souci permanent de respect du patient et de son cheminement, les stagiaires enregistrent régulièrement des séances réelles et les retranscrivent en enrichissant le verbatim avec des souvenirs de leur vécu au cours de l’entretien. Ces verbatim enrichis sont ensuite commentés par un formateur et ouvrent à des compléments de formation ad hoc construits à partir des constats réalisés sur la base des verbatim. Comme dans les années antérieures, ce travail sollicite le stagiaire dans son être même et produit incidemment des transformations psychiques.

42 Dans un second temps de quelques mois, les stagiaires élaborent un mémoire professionnel, synthèse réflexive de leur travail à partir de la pratique.

43 L’expérience montre que ce dispositif très confrontant pour les stagiaires remplit plusieurs fonctions :

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  • Il permet d’approcher de façon méthodique la réalité de la pratique et d’en construire un témoignage fiabilisé.
  • C’est un dispositif pédagogique puissant qui fait évoluer la pratique en profondeur.
  • Il apporte un soutien significatif aux jeunes praticiens souvent confrontés à la solitude du métier.
  • Il complète la supervision sans la remplacer en donnant accès à des aspects difficilement perceptibles en supervision.
  • C’est un observatoire privilégié de la pratique réelle et donc un dispositif de validation des compétences acquises.
  • Observatoire des effets des premières années de la formation, il permet d’améliorer les dispositifs pédagogiques des cycles antérieurs.

45 Quelques gestalt-thérapeutes expérimentés ayant pris le risque de s’engager dans ce dispositif témoignent d’une transformation significative de leur pratique.

Quid de la théorie ?

46 Le choix de former dans et par la pratique soulève trois questions.

Transmettons-nous encore une théorie ?

47 Si on accepte que les savoirs déclaratifs – connaissances empiriques ou savantes – réellement mobilisés par les praticiens expérimentés forment une théorie, alors nous transmettons de la théorie. Si une théorie est un ensemble limité de concepts dont la définition est disponible dans des livres, alors nous transmettons des bribes de théorie. Quoiqu’il en soit, il importe de garder à l’esprit que les savoirs réellement mobilisés dans l’activité sont largement plus étendus que les théories existantes ou à venir. Une théorisation même fiable de la pratique [15] ne rendra jamais compte que d’une partie réduite des savoirs réellement mobilisés. De plus, les développements précédents montrent que le simple apprentissage d’une telle théorie ne permet pas l’acquisition des autres savoirs – procéduraux et conditionnels – , encore moins leur construction intégrée, et ne conduit pas à la construction des compétences requises pour l’exercice du métier de gestalt-thérapeute.

Sur quelle théorie les stagiaires s’appuient-ils pour pratiquer ?

48 Cette question banale est aussi insidieuse que celle traitée par Jacques Blaize [16] : Que faites-vous de l’inconscient en Gestalt-thérapie ? Cette dernière s’appuie sur l’implicite que l’inconscient existe et qu’une psychothérapie digne de ce nom se doit d’en faire quelque chose. L’article cité y apporte une réponse éclairante. La question qui nous occupe repose sur l’évidence que toute pratique est fondée sur une théorie et qu’un praticien digne de ce nom doit être capable de l’exhiber.

49 Mais demande-t-on au pilote de ligne, à l’assistante sociale, au guide de haute montagne, à l’enseignant, au chirurgien, sur quelle théorie il s’appuie pour exercer son métier ?

50 La représentation selon laquelle la théorie fonde la pratique a pris de l’importance en psychothérapie sans doute à cause de la difficulté de décrire la pratique psychothérapique lorsqu’elle ne peut pas être codifiée dans un protocole. Sans doute aussi notre culture, dans laquelle un praticien est souvent a priori moins légitime qu’un penseur ou un théoricien [17], n’est-elle pas étrangère à l’importance de cette représentation. Dès lors présenter une théorie sur laquelle on prétend, souvent de bonne foi, fonder sa pratique est source de sentiment de légitimité pour le praticien et de compréhension voire de réassurance pour l’interlocuteur… même si de nombreuses études ont montré que la pratique est éloignée des théories de références et des théories professées [18]. Une conséquence délétère de cette représentation est qu’elle peut conduire à penser que devenir gestalt-thérapeute pourrait revenir, in fine, à apprendre une théorie, dès lors transmissible via des cours magistraux voire par correspondance.

51 Répondre à la question de la théorie sur laquelle les stagiaires s’appuient pour pratiquer suppose de se dégager de son implicite : comme tout professionnel, les stagiaires pratiquent en mobilisant de façon coordonnée et ajustée à la situation présente un système intégré de savoirs professionnels – déclaratifs, procéduraux, conditionnels – largement non-conscients construit dans la formation. Ces savoirs professionnels sont individualisés, mais il est sans doute possible, par un travail méthodique de mise à jour et d’articulation, de les théoriser.

En quoi s’agit-il encore d’une formation de gestalt-thérapeute ?

52 La pédagogie est centrée sur la construction d’un système intégré de savoirs professionnels à partir de la pratique effective des gestalt-thérapeutes que sont les formateurs. Laissant à l’arrière plan les textes gestaltistes traditionnels ou plus récents s’agit-il encore d’une formation de gestalt-thérapeute ?

53 Si une formation de gestalt-thérapeute doit nécessairement se référer aux textes gestaltistes, même si les formateurs ne mobilisent pas les repères qu’ils proposent dans la réalité de leur pratique, alors il ne s’agit pas d’une formation de gestalt-thérapeutes.

54 Cependant, tous les formateurs de l’institut GREFOR ont été formés à la gestalt-thérapie, se revendiquent de cette approche et sont agréés par le CEG-t. Viser à transmettre leur pratique reconnue comme celle de gestalt-thérapeutes nous semble suffisante pour considérer qu’il s’agit bien d’une formation de gestalt-thérapeute.

55 Ce point questionne donc la nécessité de se référer aux repérages gestaltistes habituels, notamment à la théorie du self, pour être gestalt-thérapeute aujourd’hui.

Deux inconforts

56 Transmettre une pratique et une posture dans et par la pratique du métier conduit les stagiaires à construire un système intégré de savoirs professionnels leur permettant d’être gestalt-thérapeutes, mais le caractère largement non-conscient de ces savoirs induit deux zones d’inconfort.

57 Le grand pas que constitue l’accueil du premier patient et le démarrage d’une pratique réelle est habituellement anxiogène et soulève des questions de légitimité, de sécurité intérieure, de compétences. Dans cette étape, les stagiaires imaginent qu’il pourrait être rassurant de disposer d’une théorie, au sens d’un ensemble limité de concepts définis susceptible d’être considéré comme partagé par une communauté et fondant la pratique. Et ce d’autant plus qu’ils n’ont pas encore fait l’expérience en situation réelle de l’efficience des savoirs professionnels dont ils disposent déjà mais largement à leur insu.

58 Hors situation clinique, l’espace social de la rencontre, par exemple avec des gestalt-thérapeutes ou d’autres professionnels de la relation, est largement orienté par la représentation que la pratique est fondée sur la théorie. Disposer d’une théorie montrable constitue alors un moyen de se sentir légitime ainsi qu’un moyen aisé d’exister dans l’espace social et peu importe alors son degré de mobilisation réel dans la pratique professionnelle. Son absence et la difficulté à verbaliser des savoirs professionnels acquis mais largement non-conscients ne facilitent pas la socialisation des stagiaires. Le quatrième cycle pallie en partie cette difficulté en accompagnant la construction d’un témoignage fiable de la pratique.

Ouverture éthique et implication personnelle

59 La pratique et la posture que nous visons à transmettre forment la cohérence de l’orientation pédagogique de l’institut GREFOR, mais les gestalt-thérapeutes mettent en œuvre des pratiques et des postures très diverses.

60 Le métier de gestalt-thérapeute engage le praticien dans son être même dans le vif de la rencontre avec les patients. Sa posture et sa pratique ne sont pas de simples techniques, elles témoignent de ses valeurs, de ses représentations, de ses choix d’orientation dans sa façon d’accompagner les patients. Il est indispensable de favoriser la réflexion et le cheminement de chaque stagiaire dans la construction de sa propre posture, au contact de la nôtre et donc influencée par cette dernière, mais sans lui imposer de la rejoindre.

61 Cette ouverture éthique est tenue tout au long des six années de la formation.

62 Bien qu’il s’agisse d’une formation professionnalisante, la formation de gestalt-thérapeute comporte tout le long du cursus la nécessité d’une implication personnelle du stagiaire dans son être même qui ouvre à des moments de travail s’apparentant à des moments de thérapie. En particulier, la nécessité tout au long du cursus de mettre au travail le déjà-là ouvre à de tels moments. Toutefois, cette formation professionnalisante qui nécessite compte tenu du métier visé des moments de travail personnel des stagiaires dans la visée didactique de construction de compétences professionnelles ne peut pas être assimilée à une psychothérapie laquelle n’a aucune intention didactique ni professionnelle et vise seulement un travail personnel du patient.

Conclusion

63 Le cursus et les dispositifs didactiques d’une formation professionnalisante sont dictés par la nature et la spécificité du métier visé. On ne forme pas de la même façon un physicien, un guide de haute montagne, un architecte, un menuisier, un psychologue, un pilote de ligne, un médecin, un botaniste, etc.

64 La construction des compétences nécessaires à l’exercice d’un métier ne peut en aucun cas être réalisée par une simple mémorisation d’une description de ces compétences ou des théories supposées les fonder. Elle requiert toujours un apprentissage dans et par la pratique de ce métier dans des situations didactiques de complexité croissante jusqu’à la situation réelle ou quasi réelle.

65 La spécificité du métier de gestalt-thérapeute est d’être un métier de seconde moitié de vie et d’impliquer le praticien dans son être même, dans ses dimensions cognitives, affectives, émotionnelles, biographiques, tant conscientes que non-conscientes, et ce dans une rencontre dans laquelle il doit « agir dans l’urgence et décider dans l’incertitude ». Cette spécificité nécessite une mise au travail du stagiaire dans son être même, d’une part dans une démarche thérapeutique préalable à la formation, et d’autre part tout au long de la formation comme partie intégrante de la didactique.

Bibliographie

Bibliographie

  • AVENIER M.-J., SCHMITT C. : La construction de savoirs pour l’action, Éditions L’Harmattan, 2007.
  • BARBIER J.-M. : Savoirs théoriques et savoirs d’action, Éditions PUF Éducation et formation, 1996.
  • BLAIZE J. : L’inconscient et la non-conscience de, revue Cahiers de Gestalt-thérapie, CEG-t, n° 0, 1996.
  • BRISSAUD F. : Construire des récits de psychothérapie, TheBookEdition, 2007. – Pour un renouveau de la psychothérapie, Mutations, Éditions L’Harmattan, 2010. – Fondement d’une pratique de gestalt-thérapeute, la Revue Gestalt n°40, SFG. – Approches du métier de gestalt-thérapeute, Orientation maïeutique, compétences, formation, évaluation, La Pensée Vagabonde, 2012.
  • BRISSAUD F., BAILLE V., RADULESCU F., JIMENEZ R. et AUDIGÉ N. : Cadre pour une recherche descriptive en gestalt-thérapie, revue Praxiques, Journal du groupe PRAGMA, n° 1, 2014.
  • BUCHETON D. : L’agir enseignant : des gestes professionnels ajustés, Octares Éditions, 2009.
  • JORRO A. : L’agir professionnel de l’enseignant, Séminaire de recherche du Centre de Recherche sur la Formation, CNAM Paris, 2006.
  • MANDEVILLE L. : Pour que la formation rejoigne la pratique, Apprendre autrement, Pourquoi et comment, sous la direction de L. MANDEVILLE, Presses de l’Université du Québec, Sainte Foy, 2004.
  • PERRENOUD P. : (1996) Enseigner : agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude, Savoirs et compétences dans un métier complexe, Paris, ESF deuxième édition, 1999.
  • PERRENOUD P., ALTET M., LESSARD C. et PAQUAY L. : Conflits de savoirs en formation des enseignants, Entre savoirs issus de la recherche et savoirs issus de l’expérience, Éditions De Boeck, 2008.
  • VERMERSCH P. : Approche des effets perlocutoires, Différentes causalités perlocutoires : demander, convaincre, induire, revue Expliciter, Journal du GREX, n°71, 2007.

Notes

  • [1]
    Institut de Gestalt de Grenoble.
  • [2]
    Institut Français de Gestalt-Thérapie.
  • [3]
    Gestalt-thérapie REcherche FORmation.
  • [4]
    Favorisée par la pédagogie de l’IFGT invitant à s’approprier les concepts plutôt qu’à adopter une définition unique.
  • [5]
    Pierre Vermercsh, 2007.
  • [6]
    Philippe Perrenoud, 1996.
  • [7]
    Marie-José Avenier & al., 2007, Jean-Marie Barbier, 1996, Dominique Bucheton, 2009, Anne Jorro, 2006, Philippe Perrenoud, & al., 2008.
  • [8]
    Dominique Bucheton, 2009.
  • [9]
    Frédéric Brissaud, 2012.
  • [10]
    Georges Jobert, 1999.
  • [11]
    Pour plus de détails voir Frédéric Brissaud, 2012.
  • [12]
    La formation se déroule sur plus de six ans en séminaires de deux, trois ou quatre jours selon quatre cycles : premier et deuxième cycles, cinquante-quatre jours sur vingt-un mois. Troisième cycle, cinquante jours sur vingt-un mois. Et quatrième cycle, quinze jours sur seize mois. Cycle de psychopathologie, dix-huit jours sur dix-huit mois. (cf. F. Brissaud 2012).
  • [13]
    Le troisième cycle invite à démarrer une activité de gestalt-thérapeute, selon un rythme dépendant de la maturation de chaque stagiaire.
  • [14]
    Frédéric Brissaud, 2011.
  • [15]
    C’est le projet poursuivi par le groupe de recherche PRAGMA (PRAxéologie Gestalt-thérapie MAïeutique) Frédéric Brissaud & al., 2014.
  • [16]
    Jacques Blaize, 1996.
  • [17]
    La réglementation du titre de psychothérapeute en témoigne.
  • [18]
    Lucie Mandeville, 2004.
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