Gestalt 2012/2 n° 42

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Article de revue

Le commun à l'instant du rire

Pages 67 à 78

1Julien, face à moi, pleure sa difficulté relationnelle conjugale. Depuis des années, il se sent humilié par les remarques incessantes de sa compagne sur sa capacité à « être un homme ». Il accepte qu’elle rencontre d’autres hommes car il culpabilise de son éjaculation précoce. Les infidélités ne sont pas explicites dans le couple, mais il sait où elle va lorsqu’elle ne rentre à la maison qu’au petit matin. Il gagne bien sa vie, et essaie de jouer le rôle d’homme qu’elle lui demande, en lui offrant des cadeaux, en la sortant au restaurant.

2Petit à petit, dans le travail thérapeutique de Julien, de la colère émerge.

3« Salope ! Grosse pute !... Il y a que le fric et la bite qu’elle aime ».

4Puis, une lumière dans ses yeux. Julien aime beaucoup le cinéma. Le voilà devant moi, imitant Gérard Depardieu, citant une tirade de Tenue de soirée, un film de Bertrand Blier.

5Miou-Miou, mariée à Michel Blanc, l’insulte car il est incapable de subvenir à leurs besoins. Depardieu arrive, la gifle, et lui donne une liasse de billet, qu’elle ramasse avec empressement. Il parle à Michel Blanc : « J’m’appelle Bob, et j’ai un principe dans la vie, c’est qu’un homme doit savoir se faire respecter. D’ailleurs regarde-là, elle moufte plus ! Elle a eu sa baffe et maintenant elle est calmée ! » A elle : « Comment tu t’appelles ? Denise ? Odile ? Monique ? »

6– « Monique ».

7– « Ah, j’en étais sûr, même pas foutue d’avoir un prénom original ! » A lui : « Faut pas t’laisser piétiner la gueule comme ça mon p’tit vieux. Surtout qu’une gueule comme la tienne ça court pas les banlieues, t’es un milliard de fois mieux qu’elle (…) faut pas rester comme ça mon garçon, faut déplier tes ailes ! C’est ta greluche qui t’empêche de t’envoler ? […] »

8Il leur donne de nouveau des liasses de billets.

9– « Comment tu fais pour avoir autant d’argent ? »

10– « J’ai beaucoup d’poches ».

11Je ris beaucoup à le voir en Depardieu, appréciant moi-même ce film que j’ai vu plusieurs fois.

12Tout en écrivant, je me demande naïvement ce que peut vivre une lectrice en lisant l’aspect cru et vulgaire de ce que j’ai choisi de retranscrire. Naïvement, car une lectrice bien sûr ne veut rien dire, il existera autant de ressentis que de lecteurs et lectrices. Pourtant, il me semble avec cette interrogation que nous sommes au cœur de ce que j’appelle « le commun à l’instant du rire » et du lien que l’humour peut entretenir avec la fierté, et la honte.

13Que mettent en effet en commun patient et thérapeute à l’instant du rire ? Lorsqu’un patient utilise l’humour avec son thérapeute, à quels besoins peut répondre cet usage ? Je reviendrai à l’exemple clinique de Julien après avoir précisé ces questionnements.

QUELQUES BESOINS AUXQUELS RÉPOND L’HUMOUR

14Dans leur recherche universitaire, M.P. Mulder et A. Nijholt (2002, p. 3) classent l’humour selon trois formes : le relâchement, l’incongruité, la supériorité.

15Ces formes, puisque nous nous intéressons à l’humour en thérapie, nous pouvons les regarder en termes de besoins, à savoir un besoin de détente, de relâchement lors d’une situation tendue, un besoin de ne pas rester dans l’incongruité, dans la non compréhension d’une situation, ou inversement, comme nous le décrivent les auteurs, un besoin de surprise, d’incongruité, et enfin un besoin de supériorité, ou plus largement, de pouvoir.

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  • Un besoin de relâchement lorsque la tension est élevée. Nous comprenons ce besoin alors que, par exemple, l’humour surgit suite à une maladresse lors d’une cérémonie solennelle. En thérapie, fréquentes sont les situations dans lesquelles un patient, pour temporiser ou modérer des difficultés rencontrées, apporte de l’humour, lui permettant de donner à la situation de l’« acceptable », du « pensable ».
  • Un besoin de résolution congruente d’une situation a priori incongrue, ou, en polarité, un besoin de surprise, d’incongruité. De nombreux thérapeutes familiaux, sans s’y référer directement, se sont penchés sur cette dernière forme. L’humour est une forme de recadrage, c’est-à-dire de « changement d’attribution des sens », ou comment « provoquer un changement dans l’interprétation, la définition, la lecture ou la vision d’un problème », « attribuer d’autres significations aux situations vécues par les patients », et, selon Christophe Panichelli (2006, p. 3), dans un article décrivant les enjeux, les risques et les manières d’utiliser l’humour en thérapie, « élargir leur champ des possibles ».
  • Guy Ausloos, cité par Panichelli (2006, p.10), répond à la demande que font souvent les patients ou leur famille « j’aimerais redevenir comme avant » : « Lorsqu’on me dit cela, je réponds que je suis très ennuyé parce que je ne pourrai pas les faire redevenir comme avant, mais « comme après ». La formule est inhabituelle mais dit bien ce qu’elle veut dire. Le jeu de mots contenu dans la formule, qui la rend surprenante, incongrue, contribue ici au changement de perspective amené par le thérapeute de manière bien plus percutante et joyeuse qu’une longue explication.
  • Un besoin de pouvoir sur la situation que nous vivons. De là, plusieurs lignes se dessinent.
    En faisant de l’humour, nous pouvons chercher à gagner du pouvoir sur nous-même. C’est l’humour du clown, en partie, et c’est l’autodérision. Nous rions de nos ratés, et ceci, seul ou devant un autre. Ce faisant, tout en lucidité, nous devenons plus difficilement attaquable sur nos failles dans la mesure où elles sont ainsi dévoilées et mises à mal par nous-même. Cet humour est « une stratégie d’autoexagération destinée à se protéger à l’avance des exagérations de la société. Je me diabolise volontairement, mais en laissant tout de même entendre que je joue, pour n’être pas traité de fait comme un diable » (Dominique Noguez, 2011, p. 164). Nous asseyons alors notre confiance en nous, devant l’autre, notre confiance en l’autre et en la relation. Jouant d’un pouvoir de séduction qu’engendre l’humour, nous invitons notre auditoire à se rallier à notre cause, en nous présentant tel que nous sommes, affirmant nos fragilités. Nous nous plaçons dans un contact où nos failles mises à nu tendent à se faire accepter, voire aimer.

17L’humour peut aussi nous permettre de gagner un pouvoir direct sur l’autre : la moquerie est un outil que tout le monde connaît, étant utilisé dès l’enfance (combien de moqueries en milieu scolaire !), jusque dans certains milieux professionnels, en passant par de nombreux humoristes. Il est à noter que l’ironie, qui est une forme de moquerie, n’est souvent pas considérée, par nombre d’auteurs, philosophes, psychothérapeutes, écrivains, comme de l’humour véritable, dans la mesure où comme le dit André Comte-Sponville (1995, p.290 et 279), « quand (l’esprit) se moque de ce qu’il déteste ou méprise, c’est de l’ironie. Quand il se moque de ce qu’il aime ou estime, c’est de l’humour. » ; « L’ironie n’est pas une vertu, c’est une arme tournée, presque toujours, contre autrui. C’est le rire mauvais, sarcastique, destructeur, le rire de la moquerie ».

18Toujours est-il que si en tant que thérapeute nous regardons l’humour du patient jouant de la moquerie ou de l’ironie comme un besoin de prendre du pouvoir sur l’autre, que le patient se moque de nous ou d’une tierce personne, le travail thérapeutique trouve un autre axe : une ombre de faiblesse se laisse deviner.

19Enfin, du pouvoir peut se gagner face à un deus ex machina (l’humour à propos de Dieu, de nos contraintes existentielles), comme dans l’humour anglais, regardant l’absurdité du réel, ou encore dans l’humour juif, riant de notre situation sur terre et des difficultés identitaires. Ces formes d’humour se situent dans un positionnement de renforcement du lien entre ceux qui les partagent, face aux conditions même de l’existence.

20Lorsque de l’humour émerge en cabinet, il s’avère souvent fertile de porter notre attention sur ces besoins, et en particulier sur la question du pouvoir : sommes-nous dans de l’humour anglais, dans une recherche de pouvoir face aux contraintes existentielles, dans de l’autodérision face à des parties de soi honnies, ou dans de la moquerie, face à un autre, pour le dévaloriser, car estimé supérieur, ou par simples représailles ?

21Par ces luttes de pouvoir, nous devinons, en polarité, un dévoilement de fragilités, de zones vécues comme ombrageuses et inavouables autrement.

22Ce que nous, thérapeutes, pouvons regarder, devient alors non seulement ces aveux déguisés de fragilités, mais aussi le fait que le patient nous les dévoile sous cette forme et recherche dès lors notre soutien, notre alliance.

23Pourtant, que notre attention se pose sur le besoin de baisse de tension, sur le besoin de pouvoir, ou sur tout autre besoin, apparaît inévitablement la question de la déflexion : l’utilisation de l’humour permet-elle réellement de temporiser les difficultés tout en les regardant avec lucidité, ou de les éviter ?

UNE DÉFLEXION ?

24L’humour en thérapie est souvent entendu comme une déflexion : qu’est ce que le patient cherche à éviter ? Viennent alors « Que se passerait-il si vous disiez cela sans sourire ? » ou « pouvez-vous continuer en amplifiant votre sourire ? »

25Si l’humour est vu en tant que « mode de contacter », le thérapeute gestaltiste envisage généralement, selon la proposition de Serge et Anne Ginger (1987, p.224) d’aller dans le sens de la résistance pour la dévoiler et voir si elle est d’actualité. « La Gestalt-thérapie ne cherche pas à vaincre ou “dépasser” les résistances (…). Le thérapeute cherchera le plus souvent à les souligner afin de les rendre plus explicites. Il est clair que ces “résistances” peuvent être normales et nécessaires à l’équilibre psycho-social (…). Seule leur exacerbation et surtout leur persistance rigidifiée à des moments inappropriés constituent un comportement névrotique ».

26Il me semble cependant important de regarder l’usage que fait le patient de l’humour non seulement comme un possible évitement de ses souffrances, comme un possible évitement d’un plein contact avec son environnement, mais aussi comme une recherche de contact avec le thérapeute, de partage, d’une manière différente d’être au monde. Nous ne cherchons pas à voir uniquement quel contact le patient tend à éviter, mais en premier lieu quel type de contact il cherche à mettre en place. Les besoins évoqués plus haut prennent alors ici leur place.

27Que nous dit le patient lorsqu’il fait de l’humour ?

28Jacques est en profonde dépression. Je lui demande s’il a déjà pensé au suicide.

29« Un jour, j’ai pris ma voiture, et je suis allé à la mer. J’étais sur un rocher, il y avait beaucoup de vagues, beaucoup de courant… »

30Silence

31« Et qu’est-ce qui vous a retenu de sauter ? »

32Il sourit.

33« Je ne sais pas nager ».

34Nous esquissons ensemble un sourire doux.

35J’aime l’humour anglais de Jacques. C’est une force face aux difficultés et à l’absurdité du monde. Bien sûr je ne sais pas si c’est cet humour qui l’a retenu de sauter, mais c’est bien cet humour qu’il choisit dans le partage de son expérience. L’humour anglais n’appelle pas l’éclat de rire. Il appelle un rire intérieur qui nous dit « le monde est absurde, nous allons tous mourir, mais même sur mon lit de mort, je peux faire un pied de nez à la vie, et ce pied de nez me permet de rester lucide tant que je suis vivant, sans sombrer dans l’amertume ».

36Je pense profondément que d’aborder ici l’humour de Jacques comme un évitement aurait été un risque de lui plonger la tête dans l’eau au moment même où il essayait de l’en sortir. De sourire sincèrement avec lui a pu l’aider à se relever et à sortir les épaules.

PASSER DU « POUVOIR SUR » AU « POUVOIR ENSEMBLE »

37Jacques éprouve le besoin de partager avec moi cet humour. Ou plus précisément, il tente de le partager.

38Me vient ici en mémoire la conférence de Ken Evans lors des journées de la SFG sur l’humour en mars 2012. Il nous explique : « Parfois le client amène l’humour. Il est important de permettre au client de nous impacter (…). Le client sent qu’il est efficace, qu’il a un impact sur l’autre ».

39Se laisser impacter par l’humour. Ne pas être dans une retenue engendrée par la suspicion d’une possible déflexion, retenue qui nous éloigne loin des rivages du soutien dont le patient a besoin. Sourire. Lâcher un instant la réflexion thérapeutique. Rire de bon cœur, si le cœur nous en dit bien sûr. Le patient qui tente l’humour envers son thérapeute se pose en demandeur de partage. Je précise ici le mot « tente » : faire de l’humour est un acte ou une parole le plus souvent volontaire, et passe dès lors par la conscience et le désir de souligner le caractère comique, ridicule, absurde ou insolite de certains aspects de la réalité. Celui qui émet une parole humoristique prend le risque de trouver ou de ne pas trouver un écho chez la personne à qui cette parole est destinée.

40Lorsque le patient tente donc l’humour, nous sommes complètement pris à parti. Ne pas rire ni sourire, rester silencieux, voire même interroger le processus, la forme, renvoie un message signifiant « je ne viens pas à l’endroit où tu veux m’emmener, soit parce que je ne comprends pas ton humour ou que ma sensibilité est trop éloignée de la tienne (je comprends cet humour, mais il ne m’amuse pas), soit par refus d’entrer dans ce que j’imagine être un évitement, et je préfère interroger ton éventuel besoin d’éviter ».

41Suspecter la déflexion en priorité, et donc ne pas accepter de partager le moment d’humour, c’est accorder plus d’importance au « qu’évites-tu ? » de Perls qu’au « qu’es-tu en train de faire ? ».

42Lorsque je regarde l’humour d’un patient, comme dit précédemment, comme un aveu déguisé de faiblesse, de la douceur à son égard remplace le calcul thérapeutique découlant de l’idée d’une déflexion. L’humour, étant une forme de dévoilement de fragilités, engendre des enjeux d’intimité, d’empathie, et des risques de rejet, voire de honte. Nous imaginons aisément la honte submergeant une personne qui, alors qu’elle essayait de faire rire une assemblée, ne reçoit en retour que du silence et de vagues toussotements.

43A contrario, alors que le patient tente de sortir d’une situation qui est, ou pourrait devenir honteuse, rire sincèrement (le « sincèrement » est une évidence) avec lui est un signe comme le dit Ken Evans qu’il peut « nous impacter », qu’il reprend du pouvoir là où il se sent blessé ou exclu.

44Serge Tisseron, dans La Honte, psychanalyse d’un lien social (1992, p. 119), mentionne l’humour comme adaptation à la honte : « D’une part l’humour conserve tel quel le sentiment de honte qui n’est pas fui comme dans les autres formes d’adaptation, mais d’autre part il trouve à ce sentiment une expression qui, à la fois, le communique à des tiers et réconcilie le sujet avec lui-même ».

45L’humour devient ici un fort enjeu de narcissisme de celui qui le tente, un enjeu de fierté là où la honte a surgi ou pourrait surgir. Alors que le patient cherche à gagner ou valider du pouvoir auprès du thérapeute, celui-ci se laissant affecter par l’humour lui permet de ne pas le laisser dans le combat douloureux et solitaire du pouvoir sur, en lui offrant le soulagement du pouvoir ensemble.

46« Et qu’est-ce qui vous a retenu de sauter ? »

47Il sourit.

48« Je ne sais pas nager ».

LE DÉVOILEMENT ENGENDRÉ PAR L’HUMOUR

49J’en reviens maintenant au cas clinique de Julien, exposé en début d’article.

50Je me suis fait surprendre par l’humour de Julien dans la mesure où je pouvais voir dans ses mots une vulgarité et une certaine misogynie, que j’acceptais sans jugement aucun pour lui, mais ne pouvais tolérer de moi. Si j’ai totalement accepté mon rire à ce moment, j’ai craint, dans les heures qui ont suivi, d’avoir par ce rire donné à Julien mon assentiment quant à ces tendances.

51Et pourtant, la suite de la thérapie n’est pas allée dans ce sens.

52La conférence de Gérard Rabinovitch, toujours lors des journées de la SFG sur l’humour en mars 2012, permet d’y voir plus clair.

53« Certaines blagues sont une façon tendre de se plaindre. Une façon de dire des choses qui sont la prise en compte des frustrations, des déceptions de l’existence. C’est un des “la” (au sens du diapason) de l’humour réel : au lieu d’être dans le ressentiment, la haine, la vengeance, on le dit en complicité, en partage. Si on en rit, c’est que ça nous parle, c’est qu’on y entend quelque chose. Au niveau éthique, en se racontant ces histoires, on se fait une confidence, indirecte, de déception, sans avoir à sombrer dans l’amertume haineuse ».

54Lorsque le thérapeute se laisse aller à l’humour, il se dévoile. C’est un dévoilement qui n’est pas celui de son histoire personnelle, non, ni une explicitation de ses ressentis ici et maintenant, mais une réelle illustration, une mise en corps de sa présence authentique, congruente, de ses valeurs, de sa corporéité, et éventuellement de certaines de ses fragilités et parties inavouées. Le thérapeute, se laissant regarder dans son plaisir, montre ce qu’il aime, ce qui lui parle, les « frustrations » et « déceptions de l’existence » qu’il comprend si bien.

55Mon rire avec Julien, contrairement à ce que j’ai pu craindre initialement, reflétait bien mes convictions humanistes au regard de ma position d’homme face à lui alors qu’il me parle de ses humiliations vécues avec sa femme. Je ne riais pas d’un rire de moquerie du genre féminin, d’un « rire qui rit du ridicule chez l’autre », comme le disait G. Rabinovitch, « mais du ridicule partagé. […] Un rire qui élève dans le partage de quelque chose, qui est une lucidité sur la condition humaine, sur la frustration, sur les déboires humains. On rit parce qu’on sait qu’on est dans la même galère ». Le commun né à l’instant du rire.

56La frontière entre rire « du ridicule de l’autre », et « du ridicule partagé » est parfois très fine. Qu’est-ce qui distingue la haine de toutes les femmes qui pouvait éventuellement émerger chez Julien, d’une agressivité envers son épouse, exprimée à travers ses insultes et son imitation de Depardieu ? À la frontière-contact entre le thérapeute et le patient prend forme le commun à l’instant du rire, le partagé. Si le rire chargé de colère de Julien était flou et teinté de misogynie alors qu’il tentait de me faire entrer dans son monde, le mien, étant authentique, laissait apparaître la personne que j’étais face à lui. Je ne savais pas précisément de quoi je riais. L’appel de Julien traduisait un besoin de ne pas rester seul dans sa détresse. Je me suis laissé entraîner.

57Silence. Sourires. Regards affectueux. Puis quelques mots échangés. Ces mots, prononcés calmement, parlaient de notre condition d’hommes, dans notre masculinité, dans notre humanité.

58Là a pu naître ce « niveau éthique » dont parle Rabinovitch, à savoir une complicité dénuée « d’amertume haineuse ».

CONCLUSION

59Lorsqu’un patient utilise l’humour, au risque de la honte de ne pas être entendu, il présente ses fragilités et faiblesses, tout en protégeant son narcissisme. Le thérapeute peut choisir d’interroger le processus, voire de le « souligner », afin d’en rendre le patient plus conscient. Mais ce faisant il ne se laisse pas entièrement affecter, et de là se prive d’un accès direct au soutien du patient dans ses besoins, exprimés sous le voile de l’humour.

60Si le thérapeute retarde le questionnement sur le processus en œuvre et accepte de se dévoiler, se laissant impacter dans son corps, dans ses valeurs, et donnant à voir au patient cet impact, il tendra vers un partage d’une intimité renforçant le lien.

61Certes le dévoilement du thérapeute « n’est qu’un outil de travail au service du contact et de sa transformation » (Jean-Marie Robine, 2007, p. 41). Il ne remplace pas le choix thérapeutique de mettre en lumière l’éventualité névrotique de l’humour.

62Mais ce dévoilement est engendré par une « implication intuitive, qui serait une capacité à lâcher prise afin de laisser émerger, vivre et parler son “inconscient” dans l’intérêt du client, en étant également capable de reprendre le contrôle quand je le désire » (Jean-Pol Laplanche, 2005, p.119). Et ce positionnement non suspicieux tend à rencontrer le patient dans une direction plus égalitaire de pouvoir.

figure im1
L’Amour qui fait trois !
p’tits tours et c’est moins lourd !
L’Amour qui fait trois p’tits tours et c’est moins lourd
Quand le désespoir fait son tintamarre,
la tendresse qui se marre et donne un nouveau départ.
Quands olne dtiénsteaspmoairr rfea, i t
la tendresse qui se marre
et donne un nouveau départ.

Bibliographie

  • COMTE-SPONVILLE A. : Petit traité des grandes vertus, PUF, 1995.
  • GINGER S. et A. : La gestalt, une thérapie du contact, Hommes et groupes éditeurs, 1987.
  • LAPLANCHE J.P. : À propos de l’implication contrôlée, Revue Gestalt n°28, Le psychothérapeute est une personne, 2005.
  • MULDER M.P. and NIJHOLT A. : Humour Research, State of the Art, Center for Telematics and Information Technology, University of Twente, The Netherlands, 2002.
  • NOGUEZ D. : Pourquoi rire ? sous la direction de J. BIRNBAUM, Folio essais, 2011.
  • PANICHELLI C. : Le recadrage peut-il être recadrôle ?, Revue Thérapie Familiale n°4, 2006.
  • ROBINE J.M. : Quelle figure dévoiler ?, Revue Gestalt n °33, Se dévoiler, 2007.
  • TISSERON S. : La honte, psychanalyse d’un lien social, Dunod, 1992.

Date de mise en ligne : 18/12/2012.

https://doi.org/10.3917/gest.042.0067

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