Gestalt 2004/1 no 26

Couverture de GEST_026

Article de revue

Planète-awareness

Pages 11 à 22

English version

1Dans mon expérience, l’awareness n’advient pas spontané-ment, elle s’apprend et se construit. Le jeu de l’awareness consiste alors à se rendre sensible à la frontière-contact, à s’éveiller aux informations du dehors et du dedans, à mettre de la conscience sur ce qui nous traverse. Il s’agit en fait de « se rendre aware », ce dont témoigne le choix de la forme active.

2Dans cette disponibilité délibérée à « nous dans le monde » et « au monde autour de nous », portons notre attention sur les sociétés humaines et sur leurs constructions sociales qui composent et décomposent la planète finie qui nous héberge.

3Les psychothérapeutes, opérant dans les espaces feutrés des cabinets de consultation, peuvent facilement oublier le monde qui les entoure. Et pourtant, ce monde constitue une large part du champ, ce qui s’y passe affecte de façon décisive les personnes en thérapie comme les thérapeutes.

UNE HUMANITÉ MODELÉE PAR LE CAPITALISME NÉO-LIBÉRAL

4« Dépenses 1998 en milliards de dollars : Accès à l’eau potable et à l’assainissement pour tous dans le monde, 9 milliards. Consommation de crèmes glacées en Europe, 11 milliards »

5L’accord général sur le commerce des services (AGCS) qui prendra effet en 2005 sous l’égide de l’OMC (et qui concerne directement le type d’activités que nous pratiquons en tant que psychothérapeutes) n’est que le dernier en date des accords mondiaux plaçant sous la coupe de la concurrence, du profit et d’une supposée efficacité l’ensemble des activités humaines. Les liens économiques tendent ainsi à devenir des liens dominants voire exclusifs pour structurer la vie des individus et des sociétés. Le monde en sort-il enrichi ? Que construit et que détruit un tel système ? C’est ce que nous tenterons de mettre en perspective dans les pages qui suivent.

Une mondialisation des flux de production et d’échanges dans une temporalité réduite à l’instantané

6L’autre bout du monde est à notre porte, ce qui arrive là-bas nous affecte ici et tout se passe maintenant. L’irruption du monde bât en brèche le temps de la réflexion, de l’apprivoisement et de l’assimilation.

7À nous croire virtuellement reliés à l’ensemble des humains, nous méconnaissons que nous ne sommes capables d’être proches que d’un petit nombre de personnes. Le mammifère humain a besoin de ses cinq sens pour transformer du contact en lien et de l’information en sollicitude. La mondialisation des flux fabrique de la dépersonnalisation et hystérise des réactions affectives superficielles sur fond d’indifférence passive. L’empathie est nourrie par la présence physique, l’échange de gestes et de mots, la connaissance de l’autre et de ses façons d’être et de vivre. Dans un effort pour créer une unification factice du champ, la publicité et le marketing nivellent la diversité et réduisent les aspirations à des stéréotypes simplificateurs.

8Vague après vague, l’information efface ses propres traces, submerge ceux qui la reçoivent et les désensibilise à force de mélange des genres et d’excès de stimulation. L’immédiateté descontacts possibles avec le « monde entier » annule le temps de préparation à la rencontre, l’attente, la rétroflexion saine du besoin de se déverser chez les autres. Le contact maniaque devient le nouveau standard de l’homme évolué : échanges téléphoniques incessants, à tous moments et en tous lieux, messageries Internet surabondantes, saturation de SMS triviaux, envahissement des espaces et des temps privés. Cette perte de capacité à rester face à soi-même est confortée par la consommation continue d’images et d’informations. Paradoxalement, la solitude de fond augmente mais son impact est défléchi par cette « neuroleptisation » relationnelle, perfusée sans interruption.

9Quand les producteurs ignorent qui sont leurs clients, quand les consommateurs n’ont pas de représentation des contraintes des producteurs, quand les détenteurs de capitaux ne savent pas le nom d’une part des entreprises contrôlées par leurs actions, c’est, avec l’anonymat, la déresponsabilisation qui progresse. Dans cet univers, les échanges sont fondés sur la logique unique de l’accroissement du taux de profit. La conquête des marchés par la réduction des coûts et la prise de contrôle des échanges conduit à uniformiser les produits mais aussi les clients, à détruire des emplois, à déréglementer pour exploiter salariés et petits producteurs, à vendre des produits dangereux, à détériorer l’écosystème, etc.

10Cet ensemble d’effets négatifs est favorisé par l’absence de confrontation des décideurs aux victimes de leurs décisions. Quand un pétrolier, dont l’état devrait interdire la navigation, provoque une marée noire, ceux qui voient leurs plages polluées ont bien du mal à remonter la chaîne des responsabilités et les décideurs ne verront sans doute jamais les plages abîmées par suite de leurs choix. L’anonymat, la distance, la séparation des responsabilités financières, sociales, techniques, écologiques incitent à la déresponsabilisation. Les techniciens zélés du Reich faisaient rouler des trains, ils n’étaient pas acteurs de la « solution finale ». Les techniciens zélés du FMI, des fonds de pension ou des centrales d’achat fabriquent de la croissance et des rendements élevés, ils ne sont pas acteurs de la destruction de groupes humains, de l’exploitation des enfants, etc.

Une substitution de l’économie financière à l’économie réelle

11L’argent, les moyens monétaires sont de moins en moins investis dans la production de biens et de services. La spéculation financière, dans laquelle l’argent s’échange contre de l’argent, sans rien créer comme activité, rapporte plus, et plus vite, que des investissements dans des entreprises concrètes. Oser créer une entreprise, c’est s’exposer à des aléas sociaux, juridiques, techniques, risquer d’être confronté à une concurrence insoutenable, etc., tout cela pour des taux de profit inférieurs à ceux qu’une spéculation bien informée peut obtenir.

12De moyen d’échange et de création d’activité, la monnaie s’est transformée en marchandise en soi. Son retrait partiel de la sphère de l’économie réelle prive trois milliards d’humains des moyens d’entreprendre. Cette rareté de la monnaie est artificiellement créée par les acteurs économiques en position de domination mondiale. Un nombre de plus en plus réduit d’opérateurs peut entreprendre à grande échelle, banques, multinationales, mafias, structures politico-militaires. La concentration continue du capital construit une classe restreinte d’oligarques qui s’échange les actifs de la planète dans un jeu de Monopoly géant d’où ont disparu les humains, leurs rêves, leurs besoins et leurs désirs d’accomplissement.

Un contrôle croissant du politique par l’économique

13La puissance financière des grands groupes économiques est supérieure à celle de la majeure partie des États du monde. La spéculation sur les monnaies constitue un moyen de pression sur les décisions des Pouvoirs Publics et contraint ces derniers à faire des choix qui ménagent ces grands intérêts financiers, quels que soient leur pertinence sociale et même économique.

14L’humanité entière, nous compris, est aujourd’hui instrumentalisée aux plans économique et social pour servir les intérêts stratégiques d’une minorité transnationale qui n’a de comptes à rendre à personne et fixe ses propres règles du jeu dans une indifférence complète aux conséquences pour les humains et pour la planète. Le vertige de toute puissance d’un Néron ou d’un Caligula anime aujourd’hui des individus dont le pouvoir et la capacité d’action sont incommensurablement plus étendus.

Un système absurde de mesure de la richesse

15Le PIB, Produit Intérieur Brut, qui sert à mesurer la « richesse » et la « croissance » des nations, prend en compte les échanges marchands, quelle que soit leur nature, et laisse de côté les échanges non marchands. Sont ainsi valorisés à l’identique et considérés comme création de richesse des coûts de restauration écologique liés à une pollution pétrolière, la construction de logements ou des coûts d’hospitalisation par suite d’accidents de la route. Seuls les flux monétaires sont pris en compte. La valeur humaine et sociale des échanges est ignorée. Paradoxalement, plus les accidents de la route augmentent et plus les dépenses de réparation des véhicules, de soins des blessés, de funérailles augmentent, plus la richesse du pays s’accroît en termes de PIB. Ajoutons à cela que les activités bénévoles, le travail domestique, les systèmes d’échange sans argent ne font l’objet d’aucune valorisation et n’existent donc pas dans la mesure de la richesse et de la croissance nationales.

16Au-delà de ses insuffisances, le PIB pervertit les représentations sociales de la valeur. Dès lors qu’une activité génère un flux monétaire, c’est bon, que cela soit humainement ou écologiquement constructeur ou destructeur. Cette confusion infiltre les raisonnements et les choix de la plupart des acteurs économiques. Seul ce qui est valorisé positivement dans les comptes est considéré comme intéressant. L’absence d’instrument de mesure de la Valeur Sociale Ajoutée est un facteur supplémentaire de déresponsabilisation et de perte de sens.

17Ceci est corroboré par l’évolution comparée du PIB et des indicateurs de qualité de vie. Depuis plus de vingt ans déjà ces indicateurs évoluent en sens inverse. La pseudo-richesse économique augmente, tandis que les conditions de vie des populations se dégradent. Le discours des « trente glorieuses », sur la croissance qui profite à tous, même si ses fruits sont répartis de façon inégale, est contredit par les faits. La croissance économique, telle qu’elle est définie et mesurée, se développe comme un cancer sur un corps social qu’elle parasite et qu’elle détruit.

Des entreprises sans identité et des salariés poussés à l’individualisme

18La gestion des personnels par le mérite, la mise en compétition, l’individualisation des performances et des rémunérations provoque une détérioration des solidarités collectives. La coopération et les communautés de travail se défont. Les salariés s’isolent dans des logiques individualistes de défense de leurs intérêts. Ce n’est pas un hasard si le harcèlement moral, de nature éminemment individuelle, se substitue à la lutte des classes.

19Autre particularité, les entreprises n’ont pas d’existence juridique en tant que telles. Seules les sociétés de capitaux, SA, SARL, etc., ont un statut juridique. Alors que la valeur des entreprises est, de plus en plus, fondée sur de l’immatériel et sur de l’intelligence humaine (brevets, recherche et développement, qualité des services, efficience des méthodes, combinaison des compétences), il n’existe pas d’instrument de mesure de cette valeur ni de statut juridique qui la protège et la stimule.

20Les actionnaires, détenteurs de la valeur financière, ont les mains libres et peuvent méconnaître complètement cette valeur immatérielle et la détruire pour satisfaire des enjeux de concentration de capital et de pouvoir ou d’accroissement à court terme des taux de profit. Et, tant pis, si dans l’aventure des emplois et des existences sont détruits, et si des communautés de travail performantes, qui auraient pu réaliser des avancées significatives pour le développement des humains, sont supprimées.

Un rétrécissement des services publics dans tous les pays développés

21À quelques exceptions près en Europe du nord, les Services Publics voient leurs missions, leurs budgets et leurs effectifs diminuer au profit de la sphère marchande. Le jeu des privatisations et celui du renvoi vers le privé pour la prise en charge d’une partie des missions de Service Public conduit à une réduction significative des activités financées par des moyens redistributifs. Les arguments de plus grande efficacité et de moindre coût invoqués pour réaliser ces privatisations sont démentis par les faits. Les chemins de fer britanniques privatisés sont moins sûrs, moins ponctuels, moins confortables et plus chers. L’électricité, en Californie, a considérablement augmenté ainsi que le nombre de pannes du réseau. Et l’on peut citer de nombreux exemples allant dans le même sens. Les imperfections bureaucratiques des Services Publics sont, en partie, corrigées, mais elles laissent place à des défauts plus graves : prix en forte augmentation, avantages aux gros consommateurs, sécurité en baisse, abandon des services ou des secteurs non rentables.

22Une telle évolution traduit, sur le fond, le besoin du capital de s’accaparer, à des fins spéculatives, les importantes ressources affectées aux Services publics, tout en s’exonérant de la responsabilité sociale attachée aux services à rendre. De ce fait, il existe de moins en moins de contrepoids au marché. Les logiques de profit à court terme, de valorisation du capital, plutôt que de valorisation du service rendu, se substituent à celles d’aménagement du territoire, de réduction des disparités, de droit d’accès à des biens et services fondamentaux, santé, transports, énergie, éducation pour ne citer que les principaux.

23Avec la réduction des Services Publics à la portion congrue, l’investissement dans la construction sociale s’amenuise et retourne vers le bénévolat et la charité qui ne disposent ni des moyens financiers suffisants pour assurer les investissements lourds nécessaires, ni des prérogatives de la Puissance Publique pour arbitrer en fonction de l’intérêt général. Au terme de ce processus, c’est la citoyenneté qui est malmenée. La « main invisible du marché » déséquilibre les rapports sociaux et réduit les échanges à des transactions marchandes où seuls ceux qui peuvent payer ont des droits. Le repli sur l’abstention ou le choix de votes extrémistes traduisent sans doute ce sentiment que les politiques n’ont plus les moyens d’agir en fonction de l’intérêt général et qu’il faut donc soit se retirer du champ politique soit y mandater des milices musclées capables d’arracher au capitalisme le contrôle de l’espace social (ni l’une ni l’autre de ces options ne conduisant à des espoirs de solutions positives).

Des cultures et des civilisations soumises à l’uniformisation et à l’instrumentalisation

24La concentration des firmes, la globalisation du marketing et des produits, la mondialisation des images et des informations conduisent à une uniformisation des modes de consommation et des modes de vie. La même compétition sportive peut être vue, au même moment, sur les télévisions du monde entier, Internet véhicule des musiques de hit parade sous toutes les latitudes. Le bouillon de cultures est plus bouillon que cultures et la diversité, la différence sont annulées dans un brassage syncrétique incessant. On valorise l’exotisme, le terroir, l’authentique, le traditionnel à des fins d’attraction de touristes et de consommateurs de produits. Seuls les pays en guerre sont épargnés par le pillage culturel et touristique. L’industrie du divertissement s’est appropriée les patrimoines des cultures et des civilisations. Les consommations prescrites de coca-cola, de big-mac, de Windows, de jeans, de normes ISO, etc., dénaturent les habitus.

25Ces atteintes aux cultures et aux modes de vie sont des facteurs de perte d’identité et suscitent des ressentis de dépossession et d’intrusion. Combinés aux déséquilibres économiques, ces éléments font naître des mouvements violents de rejet d’un Occident confondu avec le libéralisme. Ils conduisent, en outre, à des replis identitaires radicalisés sur des positions fondamentalistes extrêmes. Il ne faudrait pas croire, d’ailleurs, que le fondamentalisme n’est l’apanage que des peuples économiquement ou culturellement dominés. L’absence de repères, de cadres culturels porteurs de sens, de groupes sociaux unis dans des modes de vie, dans des rituels, dans des visions du monde partagées, crée un besoin impérieux d’appartenance à une « tribu » identifiée. De ce fait, les fondamentalismes prolifèrent, ycompris dans les pays développés et proposent des visions du monde dangereusement simplistes mais rassurantes en terme d’identité retrouvée et partagée.

ET LA PSYCHOTHÉRAPIE, QUELLE PLACE OCCUPE-T-ELLE DANS CET UNIVERS LÀ ?

26Plus occupés à faire advenir de l’être qu’à favoriser de l’accumulation d’avoir, les psychothérapeutes peuvent se sentir loin des sphères dominantes de l’économie néo-libérale. Et pourtant, ils sont à la fois agis et agissants dans cet univers et il est intéressant de voir de quelle façon. C’est ce que nous essaierons d’esquisser dans la suite de cet article.

Quand la psychothérapie participe au marché ém ergent de la production de l’individu

27Au-delà de la marchandisation des biens et de l’extension des services à tous les espaces de la vie humaine, ce sont aujourd’hui le vivant et l’humain comme tels qui constituent la nouvelle frontière de l’économie marchande. Brevets sur le génome humain, clonage, réduction de l’art et des cultures à des produits consommables, marché du corps, marché du cœur, marché du sexe, marché de l’esprit, marché de l’âme composent une partie de cette sphère économique en pleine expansion. Il y a là un saut qualitatif crucial dans lequel les individus deviennent tout autant des produits que des producteurs.

28La production d’un être humain épanoui, à laquelle les psychothérapies participent, appartient à cette économie émergente du bien-être dans laquelle les humains non solvables (environ 4 milliards) sont quantité négligeable, tandis que le pouvoir d’achat des autres est objet de convoitise. Cette production de l’humain a relevé, jusqu’à il y a peu, de l’économie du don, de la gratuité et de l’échange en nature. Sa migration dans l’espace marchand entraîne des effets réducteurs. L’accès au développement de soi est réservé à ceux qui peuvent payer. La transaction en monnaie limite l’échange au strict temps de la prestation. Les espaces communautaires de partage de rituels, de recherche, de travaux au bénéfice de la collectivité ont disparu et avec eux les effets positifs de soutien et d’humanisation qu’ils pouvaient avoir. Une fois encore, le passage au système marchand isole l’individu et les formes actuelles de psychothérapie sont plus individuelles que communautaires, y compris dans les groupes de thérapie.

Quand la psychothérapie participe à la création d’une néo-classe sociale

29Toutes psychothérapies confondues, on voit, petit à petit, émerger une espèce spécifique d’individus « thérapisés » porteurs de caractères spécifiques et susceptibles de constituer une néo-classe sociale dont les caractéristiques distinctives ne sont plus socioprofessionnelles mais socio-comportementales. Il serait intéressant, plutôt que de commander à l’INSERM une étude sur l’efficacité comparée des thérapies, de construire une enquête de grande envergure pour délimiter les contours de cette classe sociale en formation. Qu’en est-il du rapport entretenu par les « thérapisés » avec l’argent, les biens, le travail, le pouvoir, l’expression des émotions, la relation aux autres, le sens de la vie, le matériel et le spirituel, le fondement des choix de vie, etc. ?

30Peut-on imaginer que ce groupe humain tende à remplacer le clergé et les églises dans une nouvelle forme d’incarnation de la recherche multi millénaire d’une transcendance, d’une croissance vers un accomplissement, d’un développement de l’être dans sa double dimension individuelle et communautaire ?

Quand la psychothérapie peut devenir subversive

31En même temps qu’elle comporte un risque de désinvestissement de l’espace social au profit du seul espace de l’intime et de l’interpersonnel, la psychothérapie peut aussi être un instrument de subversion du système libéral. En effet, le travail thérapeutique remet les personnes en contact avec leurs besoins fondamentaux et les rend moins vulnérables à des achats compulsifs, compensatoires de leurs frustrations. La relation créée avec le thérapeute et l’accroissement progressif de la capacité à vivre des relations significatives diminuent la solitude et l’isolement et réduisent, en conséquence, le besoin de combler le vide par la consommation. Le parcours thérapeutique vient aussi questionner le sens de l’existence, le rapport à l’avoir, les voies du bonheur et tend à déplacer la recherche de satisfaction du matériel vers l’immatériel.

32L’ouverture relationnelle et spirituelle qui se réalise souvent au cours de la thérapie conduit aussi les personnes à évoluer de l’individualisme vers la recherche de liens communautaires. Et l’on sait bien qu’être relié, trouver du soutien, réfléchir et agir ensemble rend moins dépendant, plus critique et plus capable d’engagement dans des actions significatives de transformation sociale. Au-delà de son objectif annoncé de protection des consommateurs, la loi de réglementation de la psychothérapie, en cours d’élaboration, contient, peut-être, dans ses « arrièrespensées » une tentative de contrôle de cette possible subversion.

POUR PROVISOIREMENT CONCLURE

33La psychothérapie n’est ni politiquement ni économiquement neutre. L’inscription de la Gestalt, à sa naissance, comme celle de la psychanalyse en son temps, dans des courants de contestation de systèmes socioculturels sclérosants nous invite à nous interroger sur les effets macro-sociaux de nos pratiques. Il serait naïf, et plus encore pour des gestaltistes qui fondent leur compréhension du monde sur une théorie du champ, de croire que ce champ peut être réduit à l’espace d’une relation duelle dans un cabinet confiné.

34Qu’ils veuillent en être conscients ou non, les thérapeutes portent une vision de l’homme et de l’univers qui structure et donne une forme aux liens qu’ils créent avec leurs clients. Et ces clients, lorsqu’ils repartent dans leur vie, emportent avec eux l’empreinte de cette vision qui modifie leur matrice de représentation du champ et leurs interactions à la frontière-contact.

35Peut-être faut-il aussi que les psychothérapeutes sortent de leurs cabinets, (et les enjeux liés à la loi sur la psychothérapie les y pousse), pour participer avec d’autres à penser/panser nos sociétés et à construire des instances locales et internationales d’humanisation de la planète.

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