Gestalt 2003/2 no 25

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Article de revue

Lectures

Pages 189 à 198

Notes

  • [1]
    PSYCHOTHERAPIE ou psychothérapies ? Prolégomène à une analyse comparative, Delachaux et Niestlé, Neuchatel et Paris, 1994.
  • [2]
    Le contexte socio-historique dans lequel a émergé la méthode - les concepts théoriques fondateurs - santé et pathologie psychiques - objectif thérapeutique, processus thérapeutique et techniques - le rôle du psychothérapeute - récit d’une psychothérapie - indications et contre-indications - modifications de la méthode - son institutionnalisation - recherche sur le processus et les effets de la psychothérapie - formation - avenir de la méthode.
English version

Traité de Psychothérapie comparée Sous la direction de Nicolas Duruz et Michèle Gennart Ed. Médecine et Hygiène, Genève 2002. Note de lecture de Claude R. JULIER.

1Alors que dans tous les secteurs d’activité de nos sociétés modernes, le morcellement de la pensée et des pratiques pollue notre capacité à penser multiple, et que dans le domaine de la psychothérapie un vif débat est engagé pour sa reconnaissance et sa réglementation, ce traité de psycho-thérapie comparée me paraît tout à fait opportun, dans la mesure où il permet une réelle confrontation « sans rien ajouter, faire émerger un plus qualitatif de la confrontation des orientations psychothérapeutiques existantes ». Le pari me paraît réussi.

2Il faut dire que N. Duruz n’en est pas à son premier essai. En 1994, il nous proposait déjà  (1) une réflexion serrée sur deux questions :

  • En quoi consiste une thérapie ? Peut-on dire autre chose que V. Raimy « la psychothérapie est une technique indéfinie, appliquée à des cas non spécifiques avec des résultats imprédictibles. Pour cette technique, un training rigoureux est requis ?»
  • La convivialité est-elle possible entre les différentes orientations psychothérapeutiques ?

3Dans l’ouvrage présenté ici, Duruz et Gennart ont demandé à 14 psychothérapeutes, de décrire la méthode thérapeutique qu’ils pratiquaient selon une grille  (2) de traitement commune permettant une étude comparée.

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  • Les méthodes retenues :
  • La psychanalyse selon Freud
  • La psychologie analytique de Jung
  • La psychologie individuelle d’après Adler
  • Psychiatrie phénoménologique et Daseinanalyse
  • L’analyse du destin selon Szondi
  • La psychothérapie intégrative selon Baudouin
  • De l’analyse bioénergétique aux thérapies psycho-corporelles analytiques
  • La Gestalt-thérapie
  • L’analyse transactionnelle
  • La psychothérapie selon l’approche centrées sur la personne de Rogers
  • L’approche cognitive et comportementale en psychothérapie
  • La thérapie d’orientation systémique
  • L’hypnose
  • La programmation Neuro-Linguistique (P.N.L.)

5Impossible de résumer ces présentations : toutes sont décrites avec clarté et sans langue de bois. Si la plupart sont bien connues, d’autres, tel l’analyse du destin de Szondi, la psychothérapie intégrative de Baudouin ou la Daseinanalyse méritent notre attention. Chacune, dans son originalité et sa spécificité nous renvoie à notre propre orientation pour découvrir divergence et convergences, emprunts et création, filiations et perspectives.

6Le but de cet ouvrage ne se limite toute-fois pas à cette description comparative. Les commentaires de Nicolas Duruz au fil des présentations, comme la postface de François Roustang sont des repères pour nous aider à comparer.

7Dans l’introduction, N. Duruz distingue quatre grands courants :

  1. L’éclectisme : « choisir parmi plusieurs orientations de pensée ou de pratique, leur meilleurs éléments ». Il semblerait que 40 à 60% des psychothérapeutes américains et européens se reconnaissent dans cette orientation.
  2. L’intégration : réagissant à l’insuffisance de l’éclectisme, chercher « à définir un modèle général de la psychothérapie ».
  3. La pensée d’école : antithétique à l’éclectisme, ses partisans veulent s’en tenir à un seul modèle.
  4. L’articulation épistémologique différentielle, voie privilégiée par N. Duruz et M. Gennart, que l’on pourrait résumer ainsi :

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  • chaque modèle est une construction basée sur un ensemble d’hypothèses ou de prémisses se validant elles-mêmes (Bateson). Le rôle des présupposés est donc capital dans cette construction comme dans son application
  • « chaque méthode, en fonction de ses présupposés conceptualise et actualise pour le client et son thérapeute une manière d’expérimenter le dysfonctionnement psychique et sa transformation, une manière d’être en relation thérapeutique, une manière de faire partie de la société, etc. qui lui sont propres » (p. 7).
  • Conséquence : « le réel dialogue entre psychothérapeutes repose selon nous sur le repérage de leurs présupposés compatibles et incompatibles, grâce auquel chacun est censé pouvoir situer sa méthode dans une articulation épistémologique à celles des autres » (p. 7).

9Pour le lecteur qui se fatiguerait en cours de route, qu’il n’hésite pas à sauter tel ou tel chapitre, mais ATTENTION à ne pas rater la postface de François Roustang !

10Et pourquoi donc ? Un petit extrait en avant-goût :

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« Nous nous comportons en spectateur et nous ne voyons pas comment nous pourrions connaître quelque chose si nous n’en étions pas, non seulement distincts, mais séparés. Tout cela ne fait aucun doute. Il existe pourtant une autre manière d’appréhender les objets, les êtres et l’environnement… c’est l’appréhension du fond par rapport à la figure, du contexte par rapport à la phrase…. » (p. 407)
« La relation, celle qui transforme, n’est ni objective ni subjective. Comme elle est toujours les deux à la fois, elle n’est ni l’une ni l’autre. Elle est la mise en oeuvre de la singularité du patient. Mais comment s’opère cette apparition ? Encore une fois par la prise en compte de la totalité de la personne… » (p. 411).
« Elle (la théorie) ne pourra s’élaborer que dans la mesure où les thérapeutes auront le souci de dire les certitudes informulées qui président à leur travail… chaque thérapeute y reconnaîtra des évidences. Il verra qu’il ne s’agit ni de sa personnalité, ni de ses caractéristiques propres, mais des dimensions humaines qu’il incarne : l’attente qui est provocation, le non pouvoir qui est puissance, le vide de soi qui ouvre à la plénitude, la force de l’existence dépouillée, l’indifférence au succès ou à l’échec. Car c’est cela sans doute le fondement du non spécifique qui soigne. Il restera aux thérapeutes à confronter ces expériences personnelles le plus souvent méconnues et oubliées. Ainsi sera manifestée, non pas une théorie, mais la rigueur d’une intelligence de la pratique. C’était le but recherché par ce livre »(p. 413).

12But atteint avec efficacité !

13PS : lisez les chapitres sur la Gestalt, richement décrite, d’un côté par Alexis Burger et de l’autre par Serge Ginger : si la comparaison entre méthodes peut être instructive, ce qui se dit – au sein d’un même modèle – l’est tout autant.

A quel Psy se vouer ? Psychanalyses, psychothérapies : les principales approches Sous la direction de Mony Elkaïm Couleur Psy, Seuil, Paris, 2003. Note de lecture de Claude R. JULIER.

14Il s’agit d’un ouvrage d’une toute autre facture que le précédent, et sans doute d’une autre ambition.

15Lu après celui de Duruz et Gennart, j’ai eu quelque peine à y trouver de l’intérêt. La répétition peut-être, ma proximité géographique et culturelle avec les premiers sans doute expliquent partiellement ce sentiment. Mais il y a aussi quelque chose dans l’objectif annoncé qui pourrait avoir piégé le projet. Dans son excellente introduction M. Elkaim - partant du constat que « s’épanouir » est devenu un droit ajouté à la liste traditionnelle des droits de l’homme, et que de ce fait la demande « psy » a vu son domaine s’élargir considérablement - précise « Aussi avons-nous voulu que ce livre vise le lectorat le plus large possible, et qu’ils soit une source d’informations pour ceux qui sont spécialistes aussi bien que pour ceux qui ne le sont pas » (p. 14). Amon avis, c’est raté ! Mais peut-on réussir une telle entreprise ? Avouloir s’adresser à tout le monde, s’adresse-t-on à quelqu’un ?

16Si j’essaie de me placer du point de vue du non-spécialiste, je me trouve face à une quantité de données, inégales d’un chapitre à l’autre, traitées dans un ordre pas toujours compréhensible et qui rend difficile la comparaison (si les auteurs ont reçu des consignes c’est peu lisible). Si plusieurs auteurs ont centré leur propos sur leur méthode, il en est d’autres qui paraissent plus préoccupés à parler de leur voisin qu’à décrire leur origine et leur pratique. Je ne vois pas comment un néophyte trouvera dans ces 400 pages une réponse à la question de départ « à quel psy se vouer ?»

17Pour le spécialiste que je crois être, je sors de cette lecture troublé par un sentiment que loin de clarifier la situation, cet ouvrage participe d’une sorte de guéguerre plus ou moins larvée entre diverses chapelles. Et pourtant, l’intention annoncée par M. Elkaim était précise : permettre aux thérapeutes d’obédience différente de se rencontrer. Se sont-ils rencontrés ? J’en doute. La lecture du débat qui clôt l’ouvrage laisse songeur : on assiste certes à un débat mais qui me fait plus penser aux débats politiques que l’on nous propose à la TV, qu’à une rencontre de personnalités curieuses de ce que l’autre peut leur apporter. Dommage.

18Cette insatisfaction ne tient pas à la qualité des présentations que j’ai trouvé dans l’ensemble bien documentées mais d’une part, à la grande difficulté de pouvoir faire des comparaisons, et d’autre part et à un certain ton polémique introduit dans la première présentation « l’approche freudienne de Lacan » et que l’on retrouve dans le débat final.

19J’aurais souhaité que Mony Elkaim ne se contente pas de réunir des textes et des auteurs, ( 13 méthodes sélectionnée, sensiblement les mêmes que dans l’ouvrage précédent) mais en assure la direction.

20Peut-être suis-je victime de mon provincialisme, mais je ne peux m’empêcher d’observer une radicale différence dans la rigueur et la sérennité du propos entre ce qui nous est présenté là et l’entreprise de Duruz et Gennart. Au Traité de psychothérapie comparée s’oppose A quel psy se vouer ?. D’un côté un travail comparatif sur des méthodes, de l’autre une question pressante pour savoir à quel compère ou à quelle commère je vais pouvoir remettre mon salut. Il est sans doute heureux que la réponse ne nous soit pas donnée !

Un psychanalyste sur le divan Juan-David Nasio Payot, 2002. Lecture de Patrice RANJARD.

21C’est une interview dans Réel qui m’a donné envie de lire ce livre : un psychanalyste qui travaille dans le champ et en mode moyen, il fallait aller y voir de plus près !

22Je découvre sur la page « DU MÊME AUTEUR » que l’auteur a déjà publié une bonne douzaine d’ouvrages depuis 1980, dont cinq édités en Poche. Celui-ci est un livre de vulgarisation : le psychanalyste répond aux questions (fort bien conduites) d’un étudiant en psychologie. Cela donne un texte aimable, qui passe en revue quantité de problèmes intéressants pour tout psychothérapeute. Au passage de nombreuses vignettes cliniques et des vues inhabituelles sur le psychanalyste et la psychanalyse. Par exemple le concept d’aimance (amour + tendance) qui réhabilite le besoin d’attachement et de dépendance.

23L’élément vraiment surprenant pour un gestaltiste est la conception qu’expose Nasio de l’inconscient, et que les gestaltistes reformuleraient en termes d’awareness, contact, mode moyen et champ, voire, pour ceux que les théories de G. Delisle intéressent, « d’identification projective » :

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« L’inconscient n’existe pas à tout instant » (p. 175).
« L’inconscient n’est jamais là, tout prêt, préexistant à l’acte, mais intrinsèque à l’acte » (p.176).
« Contrairement à une idée reçue, l’inconscient n’est pas le réservoir de l’âme, mais bien une étincelle qui jaillit aux instants cruciaux du dialogue analytique » (p. 176).
« (…) l’analyste perçoit en lui-même, dans son propre psychisme, les émotions refoulées de son analysant. Pour cette raison, j’affirme que l’inconscient n’est pas individuel, mais commun aux partenaires de l’analyse. Il n’y a pas un inconscient propre au psychanalyste et un autre propre à l’analysant, mais un seul et unique inconscient qui, produit au cours de la séance, incarne l’entre-deux de la rencontre analytique » (p. 176).
« Lorsqu’un analyste perçoit avec son inconscient l’émotion refoulée du patient et la traduit en mots, il est tellement immergé dans le psychisme de son analysant que la frontière entre l’inconscient de l’un et l’inconscient de l’autre s’estompe. En définitive, l’inconscient est, d’après moi, une instance événementielle et coproduite par les protagonistes du dialogue analytique » (p. 177).
(Les italiques sont de J-D. Nasio).

25On est là bien loin de la théorie classique où l’analyste, neutre et non engagé dans le contact, décrypte les mouvements de l’inconscient refoulé du patient et lui communique ses interprétations. Sympathique liberté de pensée ! On ne sera pas surpris d’apprendre que Nasio a dirigé une Introduction aux œuvres de Freud, Ferenczi, Groddeck, Klein, Winnicott, Dolto, et Lacan (Payot, 1994).

26Peut-être verrons-nous le temps où, Freud enfin désacralisé par les historiens à mesure qu’ils auront accès aux documents mis sous clef, on pourra voir se construire des théories unifiantes dont les auteurs n’auront plus besoin de se rattacher quand même àLa Psychanalyse et d’en conserver quand même le vocabulaire historique.

Le syndrome des faux souvenirs Ces psys qui manipulent la mémoire Orig. The myth of repressed memory. 1994. Elizabeth Loftus, Katherine Ketcham Editions Exergue. 1997. Note de lecture de Patrice RANJARD.

27J’avais entendu parler de l’expérience « perdu dans un centre commercial », mais sans en connaître l’origine. C’est un plaignant dans une affaire de déontologie qui me l’a révélée : j’ai lu d’une traite les 350 pages de cet ouvrage passionnant.

28Plus que la mémoire, l’objet du livre est un phénomène social de ceux dont le pays du maccarthysme et du lynchage semble coutumier. Une idéologie qu’on peut résumer ainsi : l’inceste est épidémique, le souvenir en est « refoulé », on guérit en retrouvant le souvenir refoulé. Des psychothérapeutes se spécialisent dans la thérapie des « survivantes d’inceste » et écrivent des livres. Ils publient des listes de symptômes, mais telles que n’importe qui peut s’y retrouver. A toute cliente qui vient chercher une aide, on pose la question : « Avez-vous subi un abus sexuel dans votre enfance ? ». Cela peut même se passer par téléphone (p. 222), voire en réponse à un courrier du cœur (p. 144) ! Celles qui répondent non sont informées que cela ne prouve rien et que le souvenir peut revenir. Des techniques sont proposées pour retrouver les souvenirs. La plus puissante étant la participation à un groupe de « survivantes », groupe chaleureux et aimant, où il est impossible de survivre longtemps sans retrouver des souvenirs… qui vous rendent digne de l’intérêt des autres et du psycho-thérapeute.

29Les choses se corsent quand les clientes sont ensuite poussées à faire des procès à leurs parents et que des pères sexagénaires se retrouvent, stupéfaits, en butte à l’horrible et incroyable accusation d’avoir violé leurs filles durant toute leur enfance avec la complicité de leur épouse ! Condamnés et emprisonnés. Leur vie détruite, même dans les cas où une Cour d’Appel les a innocentés.

30Elizabeth Loftus, en tant que spécialiste renommée de la mémoire, est intervenue comme expert dans beaucoup de procès. Elle a pu avoir connaissance de témoignages détaillés qui lui permettent, à elle et à sa co-auteure, de narrer par le menu comment peu à peu sont « retrouvés » les fameux souvenirs. Beaucoup de ces récits sont proprement insoutenables parce que la malheureuse cliente est soumise à une manipulation qui relève du film d’épouvante, mais surtout parce que, si la manipulation psychologique est évidente, en même temps la bonne foi des manipulateurs (les psychothérapeutes) est tout aussi évidente. Pas étonnant que tant de chapitres soient précédés d’une citation des Sorcières de Salem…

31La patiente qui nie s’entend dire que c’est normal : elle est « dans le déni ». Les patientes sont averties que leurs parents « seront dans le déni ». Et toute personne qui met en doute, si peu que ce soit, la véracité historique des souvenirs retrouvés, est accusée d’être « anti-enfants », « antifemmes », et de vouloir le retour à l’âge du machisme triomphant et sans limite. (Ne nous moquons pas trop vite : en France nous ne sommes pas si différents et déjà beaucoup d’institutrices en maternelle ont renoncé à faire des bisous aux enfants et à les prendre sur leurs genoux).

32Pour ses travaux sur la mémoire, E.Loftus subit des attaques d’une incroyable violence. Et pourtant… Elle raconte (p. 133) une enquête qui n’a rien à voir avec tout cela : en 1986, le lendemain matin de l’explosion de la navette Challenger, un psychologue, Ulric Neisser, posa à quarante-quatre étudiants la question : « Dans quelles conditions avez-vous entendu parler pour la première fois de la catastrophe de Challenger ?». Puis il conserva leurs réponses écrites. Deux ans et demi plus tard, il leur reposa la même question. Tous les souvenirs avaient changé et un tiers était « follement inexact ». Citons Loftus-Ketcham :

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« Ce qui est encore plus surprenant que ces modifications dans les souvenirs originels, ce sont les réactions éberluées des étudiants lorsqu’ils furent confrontées à leurs écrits originaux . Ils ne pouvaient pas croire que leurs souvenirs révisés étaient erronés ; même après avoir lu et relu les questionnaires qu’ils avaient remplis le len-demain de l’explosion, les étudiants étaient certains que leurs souvenirs modifiés étaient plus exacts et “réels”. “C’est bien mon écriture, donc ce doit être vrai, expliqua un étudiant, mais je me rappelle encore que tout s’est passé comme je viens de vous le dire (deux ans et demi plus tard). Je ne peux rien y faire”. » (p. 134)

34Quant à l’expérimentation perdu dans un centre commercial, l’auteure raconte comment elle a été peu à peu mise au point avec ses étudiants et soumise au comité de déontologie de l’université. Expérimentation astucieuse et convaincante : la mémoire, décidément, n’est pas un archivage. C’est un travail, créatif et structurant, et qui se fait à notre insu. « En fin de compte (écrit Michael Nash en 92), nous (les praticiens) ne pouvons pas faire la différence entre des fantasmes pris pour des réalités, et des souvenirs fiables du passé. Il se peut même qu’il n’y ait pas de différence structurelle entre les deux » (p. 221). Cela est évidemment inacceptable pour tous ceux qui veulent des certitudes dans un monde simple, avec des bons et des méchants clairement identifiés.

35J’ai trouvé à ce livre un triple intérêt. Comme lecteur, sa construction, sa progression dramatique, l’intensité de beaucoup de récits m’ont captivé. Comme citoyen, l’image de la société “étatsunienne“ qui transparaît, avec ses intolérances, ses fanatismes religieux et cette insupportable conviction d’être « les bons », m’a effrayé. Enfin, comme psychothérapeute, j’ai appris sur la mémoire et donc sur le fonctionnement psychique.

36Car toutes ces controverses soulèvent le problème de la nature du refoulement, considéré par les psychothérapeutes chasseurs de souvenirs comme un fait avéré. Un fait qui relèverait de la mécanique. Il semble bien (l’auteure le répète et cite des cas, mais ne semble pas avoir enquêté sur ce point) que les incestes réels, les viols, les abus sexuels caractérisés ne soient jamais oubliés. Pour Freud, en tout cas, le refoulement ne portait pas sur des faits, mais sur des émotions, des pensées, des fantasmes. Le désir, le fantasme, normal chez une fillette, d’être la femme de son papa, est, normalement aussi, refoulé. Mais si le père passe à l’acte, alors le souvenir de cet acte reste toute la vie présent et destructeur.

37Finalement je vois dans toute cette histoire un bon exemple de notre difficulté à tenir une pensée conflictuelle. Freud commence par dire : il y a eu des FAITS sexuels. Puis, remarquant qu’il est incroyable qu’il y en ait eu en si grand nombre, il dit : ce qui est universel, ce ne sont pas les faits sexuels mais les désirs et les fantasmes. Après quoi « La Psychanalyse » tient la position : il n’y a PAS eu de faits sexuels, il n’y a QUE des fantasmes. Comme les faits réels existent quand même, un mouvement se développe aux Etats-Unis sur la position inverse : il y a des faits sexuels, beaucoup de faits sexuels, énormément de faits sexuels, parler de fantasmes c’est protéger les auteurs de faits sexuels.

38Ces positions simplifiantes évacuent deux aspects de la réalité : les faits non sexuels et la co-existence interdépendante des faits et des fantasmes. Sans aucun abus sexuel, une personnalité devient névrosée, son estime de soi sabotée, ses liens aux autres faussés… Cela se fait dans l’interaction entre des sujets, dont les uns sont parents et l’autre bébé, puis enfant. Parfois, mais pas toujours, il y aurait des faits observables de « mauvais amour » des parents, mais, même dans ces cas, c’est la façon dont l’enfant vit cela qui fait de lui (ou non) un névrosé.

39Plus tard, lorsque la psychothérapie intervient, ce n’est jamais pour « retrouver« le passé dans la mémoire. Même lorsque l’interaction présente est interprétée par le thérapeute comme un « transfert » qui « reproduit » le passé, c’est en définitive l’interaction présente qui seule est accessible à l’intervention thérapeutique.

Le livre des Sagesses Sous la direction de Frédéric Lenoir et Ysé Tardan-Masquelier. Ed. Bayard, Paris 2002,1949 pages. Lecture d’Auriane BIGNON

40C’est une superbe fresque de l’unité et de la diversité des quêtes spirituelles de l’humanité que nous offre ce beau livre, de près de 2000 pages !

41Plus de 50 auteurs ont travaillé pendant près de 3 ans, pour nous permettre de faire un voyage unique, sur environ cinq millénaires, dans le cœur des hommes travaillés par l’Absolu. Ces chiffres impressionnants sont là pour nous alerter : Attention… grand livre !

42Il semble, et c’est là l’originalité de cette œuvre, que les auteurs aient voulu insister sur le fait que, même si l’expérience de l’Absolu est directe et radicale, elle est d’abord existentielle, vivante, et s’appuie sur des questionnement récurrents et universels : Pourquoi la souffrance ? Qu’est-ce que la mort, l’au-delà ? Peut-on calmer son esprit ? Comment être heureux ?… Convergence des questionnements.

43Il ressort de ces 2000 pages que la Sagesse n’est pas une fuite du réel ou un combat contre lui, mais s’appuie sur lui à chaque instant. En fait, elle permet d’expérimenter en quoi le réel peut être facteur d’éveil.

44La première partie consiste en une série de portraits de nombreux témoins spirituels, sages, saints, mystiques, philosophes, prophètes… (plus d’une centaine), présentés soit seuls, soit, le cas échéant, avec leur école. Par exemple, aussi bien « Confucius », « Thérèse de Lisieux » que « Bodhidarma et les maîtres chinois du Chan », ou encore « le Baal Shem Tov et les maîtres du Hassidisme ». Pour chaque personne ou groupe de personnes, une image les évoquant, une citation particulièrement frappante (par exemple : « C’est Toi qui me ravis et non ma prière » de Hallâj) ; puis une biographie concise, pour situer avec clarté le contexte culturel et historique dans lequel cet être a vécu.

45La deuxième partie, traitée par thèmes, nous montre plus concrètement quel type d’expérience ont fait ces maîtres spirituels. Elle nous offre, en effet, un bref aperçu de leurs paroles, de leurs chants ou de leurs prières. Ces trésors sont suivis pour chacun d’un petit commentaire fait par un spécialiste, et qui ne nous les rend pas moins émouvants, mais les resitue dans l’ensemble de leur vie ou de leur enseignement… Alors, parlent à notre cœur aussi bien Epictète que Milarepa ou que Christian de Chergé, moine de Thibirine, mort en 1996.

46Pour ce voyage unique, il faut des outils; et c’est ce que nous offre la troisième partie de cette anthologie, sous la forme de réflexions sur chacune des grandes traditions spirituelles de l’humanité, depuis la Mésopotamie en passant par la spiritualité de l’Afrique Noire, jusqu’à celle des Sioux d’Amérique du Nord. Ces réflexions synthétiques sont suivies de repères précis sous forme de chronologies détaillées, avec les dates les plus marquantes sur le plan culturel et politique pour chaque tradition.

47Cet ouvrage ne prétend pas être exhaustif, mais il mérite vraiment de figurer dans chacune de nos bibliothèques, car il déploie magnifiquement pour nous le patrimoine spirituel et notre humanité ! De plus, il nous est offert à une époque où nous faisons plutôt table rase de tous les dogmatismes, les certitudes toutes faites, pour tenter de trouver une réponse personnelle, vivante, proche de nos préoccupations les plus concrètes.

48Les auteurs de ce grand livre avouent avoir été eux-mêmes « surpris » par la richesse, la beauté et la profondeur de cette aventure spirituelle. Laissons-nous surprendre à notre tour…

Notes

  • [1]
    PSYCHOTHERAPIE ou psychothérapies ? Prolégomène à une analyse comparative, Delachaux et Niestlé, Neuchatel et Paris, 1994.
  • [2]
    Le contexte socio-historique dans lequel a émergé la méthode - les concepts théoriques fondateurs - santé et pathologie psychiques - objectif thérapeutique, processus thérapeutique et techniques - le rôle du psychothérapeute - récit d’une psychothérapie - indications et contre-indications - modifications de la méthode - son institutionnalisation - recherche sur le processus et les effets de la psychothérapie - formation - avenir de la méthode.
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