Gestalt 2003/2 no 25

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Article de revue

Racines européennes de la Gestalt-thérapie

Pages 143 à 154

Notes

  • [*]
    Texte de la conférence sur « Les racines européennes de la Gestalt-thérapie », organisée à l’EPG par le Gestalt International Study Center (mars 2003)»

1Que nous ayons eu telle ou telle formation, que nous ayonsdécouvert la Gestalt récemment ou il y a vingt ans, que nous venions d’Europe, des Etats-Unis ou d’ailleurs, nous ne nous référons pas aux mêmes racines de la Gestalt. Cette notion varie beaucoup selon les personnes. D’où le double intérêt à nous interroger sur ce que nous appelons les racines de la Gestalt : d’une part approfondir la connaissance que nous avons sur le sujet et d’autre part faciliter les échanges en comprenant mieux les trajectoires professionnelles des uns et des autres.

2Je traiterai ce sujet en m’inspirant de l’avis que des praticiens suisse-romands ont donné à froid sur la question, en répondant à un questionnaire portant sur les racines les plus communément admises de la Gestalt : la psychanalyse, la Gestalt psychologie, la phénoménologie et l’existentialisme. J’aborderai ensuite la motivation à faire ce retour aux sources avant d’explorer ces différentes racines sous l’angle de l’influence que chacune d’entre elles a eu sur le développement de la Gestalt.

LES RACINES CONCERNENT-ELLES LES PRATICIENS ACTUELS ?

Le questionnaire

3Pour amorcer cette réflexion, j’ai voulu me faire une idée de ce que les praticiens de la Société Suisse Romande de Gestaltthérapie (SSRGT) pensaient de la pertinence des ces racines pour leur travail de thérapeutes. J’ai distribué un questionnaire portant sur les principales racines de la Gestalt ainsi que sur différentes personnalités ayant joué un rôle significatif quant à son développement. Des réponses reçues en retour, il n’est pas question de faire une analyse statistique. J’ai reçu 15 réponses. De la lecture de ces réponses émerge quelques impressions que je souhaite vous proposer. L’humour et la modestie se dégagent souvent des réponses. Ils semble que pour la moitié des collègues, ces thèmes sont connus pour avoir été étudiés à un moment ou à un autre de leur formation ou de leur vie. Pour une autre moitié, ces thèmes sont inconnus ou très peu connus. Pour l’énorme majorité, ces thèmes ne sont pas actuels en tant qu’objet d’étude mais plus ou moins intégré dans une pratique ou une théorie.

4Voyons comment sont évoqués :

  • La psychanalyse : « Freud, Jung, Klein... ne me concernent pas dans ma pratique », « je m’appuie dessus parfois sans le savoir, parfois en le sachant », « j’ai fait une thérapie analytique, ça éclaire le champ », « une autre manière d’aller vers ou en soi », « j’ai fait une thérapie jungienne », « très important pour ma propre pensée », « envahissante », « un peu »...
  • La Gestalt psychologie : notion de « ici et maintenant », « la conscience du monde et celui du patient en arrière fond », « laisser la forme émerger », « rapport forme-fond », « je sais vaguement de quoi il s’agit », « j’ai étudié une fois mais çà n’est pas intégré à ma pratique », « un peu », « permet de mieux connaître le fonctionnement des clients »
  • La phénoménologie : « une base », un « regard dans l’ici et maintenant », « une ligne directrice », « une trame du tissu de la relation », « j’en ai entendu parler », « je connais mal », « être en empathie ».
  • L’existentialisme : « l’idée du ici et maintenant », « j’ai lu Sartre dans ma jeunesse (avant tout intérêt pour la thérapie), notion de liberté et d’engagement », « déterminant dans mon choix de faire de la Gestalt-thérapie », « une ouverture au monde, depuis mon adolescence », « je ne l’utilise pas dans mon travail », « j’ai baigné dans une époque et un milieu imprégné d’existentialisme », « une référence », « un regard plus large, notion de contrainte existentielle ».
  • Concernant les auteurs Husserl, Merlau-Ponty et Lewin, ce sont des noms connus d’auteurs que l’on a pas ou peu lu mais sur qui on a lu des choses. Sartre sort du lot ainsi que Freud mais en raison de leur présence dans la culture générale autant sinon plus qu’en rapport avec la profession de Gestaltthérapie…

5Je retire de ce sondage que les racines de la Gestalt-thérapie sur lesquelles nous travaillons ici sont des références pour les praticiens sans pour autant être connues en tant que telles. On dirait qu’elles représentent des évidences, des « valeurs » tellement sûres qu’on n’a pas à s’en occuper plus. On semble avoir tiré de ces disciplines ce qu’il nous faut pour travailler et c’est assez.

6Peu de traces dans tout ça de la valeur des racines en tant qu’elles indiquent une appartenance explicite à un mouvement intellectuel, philosophique, culturel et professionnel plus large, composé de tendances multiples avec qui développer un dialogue.

La motivation

7Mais... pourquoi donc approfondir ces domaines ? Cherchons-nous les racines de la Gestalt pour retrouver une profondeur temporelle que la Gestalt d’Esalen a scotomisé ? Cherchons-nous à comprendre ces racines pour ce qu’elles ont représenté ? Ou encore, cherchons-nous à créer des liens avec d’autres praticiens qui actuellement se réfèrent à ces notions de base ?

8En ce qui me concerne, ma motivation est celle d’exister, ni plus ni moins, en tant que psychothérapeute gestaltiste, dans une période caractérisée par un bouleversement des pratiques de la psychothérapie. Et nous pourrions dans la discussion nous questionner sur ce que nous appelons « exister ».

9Face à l’incertitude qui me semble caractériser nos professions, je ressens le besoin de revisiter l’histoire de l’orientation psychothérapeutique à laquelle j’appartiens. Le but de cette exploration est sans doute d’acquérir la capacité de dialoguer avec l’ensemble des composantes du mouvement psycho-thérapeutique sans retrait ni dilution, dans l’idée qu’il existe une foule de pratiques qui partagent peut-être les mêmes prémisses que moi et qui font face aux mêmes défis. Pendant trop longtemps, le dialogue s’est borné à une lutte de territoires, de personnes, de pouvoir. Actuellement, ce type de différentiation ne mène plus à rien. Le vrai défi c’est à la fois l’augmentation des besoins dans la population et le développement d’approches de la souffrance psychique qui privilégient les neurosciences ou le comportement au détriment de la rencontre intersubjective.

10Connaître nos racines, notre histoire, c’est aussi s’ouvrir à l’échange avec des praticiens qui se réfèrent aux mêmes sources.

11Ace titre, il est significatif de constater que la psychiatrie phénoménologique et la Gestalt-thérapie n’aient pas de liens alors même que ces deux approches se fondent sur des racines très semblables, en particulier quant à leur vision de la rencontre intersubjective. La psychiatrie d’inspiration phénoménologique pourrait nous intéresser à divers titres. Rencontrer des praticiens riches d’une grande expérience clinique qui partagent avec la Gestalt une référence commune est en soi intéressant. Par ailleurs ces praticiens se sont occupé des pathologies les plus lourdes et ont été confronté à un défi que la Gestalt rencontre elle aussi : celui du diagnostic. Peut-on à la fois se référer à la valeur de la rencontre intersubjective et à une grille diagnostic ? Je suis persuadé que oui et l’expérience accumulée par la psychiatrie phénoménologique me confirme dans cette conviction.

12Pour développer de tels rapprochements, je crois qu’il est nécessaire de parvenir à formuler nos prémisses, formuler les évidences auxquelles nous ne pensons même plus, tant elles sont intégrées dans nos pratiques.

LES RACINES DE LA GESTALT-THÉRAPIE

13Quelques mots pour traiter des racines reconnues de la Gestalt-thérapie sous deux angles : comment elles ont influencé la Gestalt-thérapie et ce qu’elles ont transmis. A ce propos, il convient de préciser que ce découpage est personnel.

La psychanalyse

14Par quelle voie a-t-elle influencé la Gestalt-thérapie ?

15L’influence de la psychanalyse sur la Gestalt-thérapie en gestation s’est faite par le biais de l’expérience personnelle des fondateurs. Dès 1926 F. Perls est en analyse avec K. Horney puis avec C. Happel et avec W. Reich. Les Perls en ont eu une expérience concrète puisqu’ils l’ont vécue comme patients puis comme analystes. La relation de Perls avec la psychanalyse est passée par une phase d’engagement jusqu’à la rupture de 1936, lors du congrès de l’association internationale de psychanalyse de Marienbad.

16Lorsque F. et L. Perls ont pratiqué la psychanalyse, en tant que patients, celle-ci était animée par un débat intense débouchant parfois sur des dissidences brutales. W. Reich, parmi d’autres fut un de ces dissidents, important pour la Gestaltthérapie en raison des liens qui le liait à Perls; mais à l’époque où F. Perls travaillait avec lui, Reich faisait partie du sérail et jouissait de la réputation d’être un « proche » de Freud. Il est intéressant de revenir sur la dissidence reichienne; ce sont les idées de Reich sur l’articulation entre politique et psychanalyse qui l’ont éloigné de Freud. Celui-ci cherchait à développer une approche « scientifique » et n’appréciait pas que Reich relie névrose et oppression sociale, déplaçant l’étiologie des névroses dans le champ de la lutte des classes. Par contre, l’immense apport de Reich à la technique psychanalytique était reconnu comme brillant. Reich était responsable du séminaire de technique psychanalytique et a développé le concept d’analyse des résistances (résistances psychiques puis résistances corporelles).

17En ce qui a concerné Perls, ce n’est qu’en 36 qu’il a pris distance avec la psychanalyse officielle. Le très mauvais accueil que le congrès international de psychanalyse de Marienbad a réservé à sa communication sur « les défenses orales » a marqué le début de sa rupture avec ce courant après plus de dix ans de participation à ce mouvement. Dès lors, il a poursuivi son travail sans plus chercher à réintégrer la psychanalyse officielle.

18Qu’a-t-elle transmis ?

19L’apport de la psychanalyse à la Gestalt inclut notamment la notion de psychisme, de souffrance psychique, ainsi que la certitude qu’au travers d’une relation interpersonnelle appropriée il est possible de soigner ces troubles. Il reste aussi certaines valeurs éthiques : la Gestalt comme la psychanalyse voit la psychothérapie comme une recherche de sens et développe un respect de la symptomatologie psychique qu’elle considère comme digne d’être prise en compte.

20Comme d’autres approches psychothérapeutiques la Gestaltthérapie semble avoir participé d’un mouvement bien plus large que la psychanalyse officielle, qui, elle, était une institution sous contrôle serré. Ce large mouvement était animé par des chercheurs qui tentaient depuis le début du siècle une délicate opération : aborder le fonctionnement humain de façon rigoureuse sans pour autant donner dans le scientisme réifiant. Dans ce large courrant, la psychanalyse institutionnelle a tenté avec un certain succès de prendre le leadership... Mais l’existence constante, tout au long du 20eme siècle de « dissidences » montre qu’en fait la psychanalyse était une institution plus constituée que d’autres dans un vaste mouvement de recherche sur la façon de traiter la souffrance psychique (on pourrait faire un historique des dissidents : je pense à Groddeck, Jung, Reich, Ferenczi, Adler, Szondi, Alexander, French, Horney, etc… ).

21Il me semble erroné de concevoir le développement de la psychothérapie comme une opposition entre psychanalyse et les autres. Au sein même de la psychanalyse ont d’ailleurs existé de nombreux courants complémentaires ou conflictuels.

La Gestalt psychologie

22Par quelle voie influence-t-elle la Gestalt-thérapie ?

23Là encore on peut penser que l’influence de la Gestalt psychologie sur la Gestalt-thérapie est passée par des contacts personnels, des Perls avec Goldstein à Francfort où ce dernier dispensait un enseignement suivi par Fritz et Laura Perls ainsi que par les contacts de Perls avec Wertheimer et Köhler à Berlin.

24Qu’a-t-elle transmis ?

25L’apport de la Gestalt psychologie porte sur la compréhension de la perception comme un processus complexe, en perpétuelle émergence, résultant du fonctionnement des organes d’une part et d’autre part de l’action d’un facteur supplémentaire, subjectif, décrit de différentes manières par les Gestalt psychologues. L’usage des illusions d’optique, fréquent lorsqu’on évoque la Gestalt psychologie, a pour but de mettre en évidence ce facteur supplémentaire. Dans le cas de la vision, l’illusion d’optique montre que la formation d’une image qui a du sens ne se réduit pas à l’activité des cellules de la rétine. Il faut quelque chose de plus qui oriente la perception.

26La subjectivité ainsi approchée par la Gestalt psychologie a été comprise par la Gestalt-thérapie comme le besoin. Grâce à la Gestalt psychologie il devenait concevable d’approcher la perception des choses tout en respectant à la fois la description scientifique, médicale, physiologique du processus et la subjectivité de la personne. Cet apport fondamental a permis à la Gestalt-thérapie de larguer les amarres d’avec la théorie freudienne qui, elle, cherchait la subjectivité tout à fait ailleurs.

27Une fois acquis le rôle central de la subjectivité dans le processus de perception, il devenait possible de concevoir que l’attention est soumise à l’intention. Voilà une autre implication fondamentale pour la Gestalt-thérapie : l’intentionnalité de la perception. Ceci est un point central qui se retrouve d’ailleurs lorsqu’on s’intéresse à la phénoménologie et à l’existentialisme.

28L’idée d’une participation à la perception… non pas « être conscient de » mais « être attentif à » correspond à l’opposition des mots anglais « conscious » et « aware ».

29La Gestalt psychologie est à l’origine du concept de « champ », concept qui occupe beaucoup les gestaltistes qui cherchent à sortir du paradigme individualiste pour appréhender l’autre comme un être en relation.

La phénoménologie et l’existentialisme

30Par quelle voie influencent-t-ils la Gestalt-thérapie ?

31La phénoménologie est un courant de la philosophie qui s’intéresse à la question de l’acquisition des connaissances. En d’autres termes, elle tente de répondre à la question suivante : comment en arrivons-nous à connaître quelque chose ou quelqu’un ? Une idée de base de la phénoménologie est celle-ci : pour approcher de la réalité de notre objet d’étude, nous devons mettre entre parenthèses toutes nos préconceptions nos jugements, nos connaissances préalables concernant cet objet d’étude. C’est la « réduction phénoménologique ». Appliquée à la psychothérapie, la phénoménologie nous incite à nous mettre en situation de disponibilité maximale lorsque nous rencontrons nos patients.

32L’existentialisme lui, souligne particulièrement le statut de la liberté et de la responsabilité humaine. Il constate que l’humain, contrairement à d’autres formes de vie, n’a pas d’identité préétablie. C’est au travers de sa rencontre avec le monde, de son immersion dans le monde, que peu à peu son identité se forme. Ce contact avec le monde, Sartre le nomme « engagement ». Ainsi l’existentialisme donne une vision très peu romantique de la liberté. La liberté n’est pas un produit de consommation de luxe pour jouir des bonnes choses de la vie. Non. Chez Sartre, la liberté est une obligation, la liberté est lourde, parfois angoissante et l’humain a la responsabilité d’en faire usage.

33A ma connaissance, la transmission de ces très riches courants philosophiques aux fondateurs de la Gestalt-thérapie n’a pas été une transmission formelle comme dans les deux cas précédents. La phénoménologie et l’existentialisme étaient des courants philosophiques qui imprégnaient la culture de l’époque, non pas la culture dominante, peut-être, mais celle d’une certaine intelligentsia. Il est difficile avec le recul d’imaginer ce que vivaient des psychothérapeutes passionnés par leur recherches sur l’humain dans un pays où se développaient massivement des idéologies refusant toute liberté de pensée à l’individu. Face à la montée conflictuelle des idéologies totalitaires et antisémites, du nazisme et du stalinisme, des approches culturelles et philosophiques défendant la liberté et la responsabilité individuelle ont profondément marqué Friedrich et Laura Perls. Que ce soit la phénoménologie ou l’existentialisme, ces références sont constantes dans la Gestalt et donnent en quelque sorte le terreau sur lequel a poussé le travail de ces auteurs. On peut imaginer, c’est une hypothèse, que l’adhésion à ces idées a été d’une part le fait de leur intérêt en soi et d’autre part une réaction à des modes de pensées idéologiques.

34Qu’ont-ils transmis ?

35Donnée comme la « science de l’expérience de la conscience », par Hegel, la phénoménologie voit cette expérience comme celle de la conscience intentionnelle, considérée sous ses multiples formes. Cette notion d’« intention » renvoie à la Gestalt psychologie mais aussi à Brentano que Husserl voyait comme un précurseur qui a aussi marqué les origines de la Gestalt psychologie.

36« Aller aux choses mêmes » serait l’encouragement à tous les chercheurs qui veulent connaître les phénomènes pour ce qu’ils sont en dépouillant la démarche de connaissance de tous les artifices qui pourraient l’entraver. Il s’agit d’une démarche rigoureuse, ouverte, en devenir. On voit d’emblée que cette démarche est inconciliable avec toute interprétation a priori et d’autant plus avec une idéologie qui conditionnerait au départ la formulation des découvertes. C’est sans doute cette exigence, cet engagement, cette ouverture d’esprit qui constitue ce que la phénoménologie a transmis à la Gestalt-thérapie. La « réduction phénoménologique » comme mise entre parenthèses des a priori idéologiques ou personnels fonde par extension un aspect de la qualité de relation thérapeutique que la Gestalt-thérapie tend à développer.

37L’engagement est aussi au coeur de l’existentialisme : pour les gestaltistes, cet engagement se vit dans la relation, comme une forme spécifique d’implication. Il fonde également une vision concrète de la responsabilité que l’on reconnaît aux patients, suivant Sartre lorsqu’il dit « je ne suis pas responsable de ce que je suis mais de ce que je fais de ce que je suis ». Cette idée non romantique de la liberté, comme l’obligation que j’ai de me créer par mon engagement, se retrouve dans la notion de « frontièrecontact ». La Gestalt conçoit que l’humain se constitue, s’organise, là où il vit le contact, par ce frottement avec l’autre, avec l’inconnu, vision géniale développée dans Gestalt Therapy, par Perls, Goodman et Hefferline en 1951. C’est par le frottement avec l’extérieur de soi que nous évoluons et la santé ici serait de s’autoriser ce frottement de façon optimale. Ni trop, ce qui nous expose au risque de la perte d’identité, ni trop peu, ce qui nous expose au risque de l’isolement sclérosant.

38Mais la phénoménologie a plus à apporter à la Gestaltthérapie. Elle tente d’approcher les choses, au plus près, sans jamais parvenir à saisir la chose même une fois pour toute. Elle implique donc une notion de la réalité (bien loin du principe de réalité freudien) dont on peut s’approcher, sans pouvoir la saisir complètement. Il y a donc forcément de la subjectivité dans la démarche rigoureuse du chercheur. La phénoménologie donne une articulation entre subjectivité et rigueur, articulation précieuse dont on l’a vu la Gestalt psychologie parlait déjà. Ce point est important. La science du 20eme siècle n’a pas réellement résolu cette équation même si d’éminents scientifiques comme Heisenberg ont fait beaucoup pour proposer une démarche scientifique qui laisse sa place à la subjectivité du scientifique. En d’autres termes pour suivre Lyotard, l’objectivité véritable réside non pas dans la saisie totale de l’objet étudié mais dans la relation établie avec lui.

CONCLUSION

39Les racines européennes de la Gestalt sont de mieux en mieux reconnues dans la communauté gestaltiste. Elles suscitent plus d’intérêt qu’auparavant ce qui va de pair avec un intérêt renouvelé pour la théorie en Gestalt. Par contre, elles sont peu connues en tant que telles. Elles semblent tellement bien intégrées dans la pratique, comme des valeurs, que le besoin de les approcher en soi ne se fait pas sentir. Ceci s’explique peut-être aussi par le fait que ces disciplines (psychanalyse des années 30, la Gestalt psychologie, l’existentialisme et la phénoménologie) ont beaucoup évolué depuis l’époque où elles ont marqué la Gestalt, prenant parfois des formes qui sont difficiles à appréhender pour les profanes.

40L’intérêt porté à ces racines redonne à la Gestalt une profondeur historique qui peut modifier l’image que nous avons du développement de la psychothérapie au siècle passé. Il apparaît ainsi que la psychothérapie s’est développée dès le début du vingtième siècle sous forme de courants multiples, parfois violemment opposés entre eux.

41Actuellement, l’heure n’est plus à la polémique entre ces divers courants. C’est plutôt l’existence de la psychothérapie face aux approches réifiantes de l’humain qui est en question. Connaître nos racines, connaître notre histoire et notre filiation devraient permettre plus de convergence entre la Gestalt et d’autres courants qui partagent les mêmes prémisses qu’elle.

BIBLIOGRAPHIE

  • N. K. SALATHÉ : Psychothérapie existentielle, une perspective gestaltiste. Ed. Amers ed. Paris 1992.
  • R. CELIS ET P. BOVET : « Psychiatrie phénoménologique et Daseinanalyse » in Traité de psychothérapie comparée. N. Duruz et M. Génard. Ed Médecine et Hygiène, Genève, 2002.
  • A. BURGER : « La Gestalt-thérapie », in Traité de psychothérapie comparée, N. Duruz et M. Génard. Ed Médecine et Hygiène, Genève, 2002.
  • J.-F. LYOTARD : La phénoménologie. Ed PUF, Paris 1954.
  • J.-P. SARTRE : L’existentialisme est un humanisme. Ed Nagel, Paris 1946.

Date de mise en ligne : 01/01/2006

https://doi.org/10.3917/gest.025.0143

Notes

  • [*]
    Texte de la conférence sur « Les racines européennes de la Gestalt-thérapie », organisée à l’EPG par le Gestalt International Study Center (mars 2003)»

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