Que sait ce temps d’un autre.
Avant que ma sœur ne s’ôte la vie à New York ou, si l’on en croit les naïfs, avant qu’elle n’y meure par hasard, j’ai toujours eu la même image d’elle en tête.
Jusqu’à ce que j’apprenne son suicide, je voyais, quand je pensais à elle, ma sœur le soir sortir du pavillon où elle avait vécu ces dernières années avec son mari et ses enfants. De lourds sacs plastique dans chaque main, elle sort du pavillon, il fait nuit, il pleut, elle passe le portail pour déposer les sacs dans la rue, contre la grille. Malgré la pluie elle reste un moment, ne rentre pas tout de suite, jette un regard sur la forêt bordée d’une file de maisons. Quelques minutes à peine, puis elle fait lentement demi-tour, sans rentrer la tête dans les épaules, traverse le jardin et retourne dans la maison. Il ne reste que l’image des sacs laissés dans l’obscurité, de la pluie, forte et régulière.
Des années durant, immuable, cette image qui semble tout contenir. Et qui maintenant s’éloigne, avec le ciel du nord et ses monotones teintes nocturnes, d’où se détache le corps de ma sœur. Frêle, pensive.
Tandis qu’une autre image s’y substitue.
Au lieu de séparer les choses de l’existence entre bonheur et malheur, comme la plupart des gens, je n’ai jamais fait qu’une seule différence : un événement se produit, ou bien il règne la plus parfaite absence d’événement.
Enfant, j’avais souvent le sentiment d’être née trop tard, d’être la toute dernière même…