Elles se détachent discrètement du fond de l’histoire, prennent peu à peu forme et nous content leur histoire, pour ne plus être femme de…, sœur de…, fille de…, mais sujet autonome. Voix de femmes qui racontent leur version de l’histoire : Séphora femme de Moïse, Antigone fille d’Œdipe et sœur de Polynice, Judith, Brunhild jusqu’à Valerie Solanas, féministe radicale, en passant par des femmes moins connues ou anonymes – une femme dans les ruines de Kiel en mai 1945 ou Leyla, travailleuse immigrée dans le Berlin-Ouest des années 1960.
Avec son roman Histoire de la femme, Feridun Zaimoglu nous présente en dix chapitres autant d’autoportraits fictionnels de femmes, reliés entre eux par des résonances ponctuelles, expériences de la femme à travers les siècles, mais surtout par une même volonté des protagonistes de s’affirmer dans des sociétés qui n’ont pas prévu de leur accorder ni place ni parole. L’exergue qui ouvre ce roman aussi engagé que poétique oppose aux légendes mensongères inventées par les hommes suite à leurs victoires le « Grand Chant » de la femme, effaçant les mensonges de ceux qui transmettaient jusque-là l’histoire : « Dies ist der Große Gesang, der ihre Lügen tilgt. / Es spricht die Frau. / Es beginnt. » Lorsque Christa Wolf écrivait sa Cassandre dans les années 1980, ou Médée une décennie plus tard, c’était, aussi, pour réinterroger la prédominance de la transmission masculine du mythe dans l’histoire littéraire. Avec Feridun Zaimoglu, l’exercice prend de l’ampleur par la variété des destins féminins présentés, et il prend une tournure particulière, délicate peut-être, dans la mesure où c’est, encore, un auteur masculin qui les prend en charge, mais cette fois-ci avec la ferme volonté de faire parler « la femme »…