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Article de revue

Fragile Irlande du Nord

Pages 6 à 9

« Vous entrez dans Derry Libre », fresque peinte à l'entrée du quartier du Bogside, à Derry-Londonderry

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« Vous entrez dans Derry Libre », fresque peinte à l'entrée du quartier du Bogside, à Derry-Londonderry

Free Derry était une enclave nationaliste, composée des quartiers catholiques du Bogside et de Creggan, autoproclamée autonome, entre 1969 et 1972. En arrière plan, on distingue une fresque murale rappelant la période des Troubles (1968-1998).
© Shutterstock

1 Le jeudi 18 avril 2019, Lyra McKee, une jeune journaliste de 29 ans, a été tuée, un soir d’émeutes qu’elle était en train d’observer, dans le quartier catholique de Creggan, dans la ville nord-irlandaise de Derry-Londonderry. Ce meurtre a été immédiatement qualifié de terroriste par les autorités. Il a été reconnu quelques jours plus tard par la New IRA, un groupe de dissidents républicains qui poursuit la lutte armée pour la réunification de l’île d’Irlande.

2 Les épisodes de violence urbaine sont relativement courants en Irlande du Nord. Ils sont en général liés aux tensions intercommunautaires qui continuent d’empoisonner la société nord-irlandaise. La raison pour laquelle cet événement tragique revêt cette foisci une importance particulière est le contexte dans lequel il s’est produit. La présence aux obsèques de la jeune femme de nombreux responsables politiques – les Premiers ministres britannique et irlandais et les dirigeants de tous les partis politiques nordirlandais, unionistes et républicains – ne trompe pas. Et pour cause : le processus de paix en Irlande du Nord semble plus que jamais menacé et les incertitudes dues au Brexit y contribuent singulièrement. Derry-Londonderry est également une ville symbolique puisque c’est là qu’ont débuté les Troubles à la fin des années 1960. C’est aussi à Derry-Londonderry que l’armée britannique a ouvert le feu sur des manifestants le 30 janvier 1972, tuant quatorze personnes. Plus près de nous, la New IRA y avait revendiqué un attentat à la voiture piégée en janvier 2018.

Quartier catholique du Bogside, à Derry-Londonderry, pris depuis les remparts du centre-ville en 2014

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Quartier catholique du Bogside, à Derry-Londonderry, pris depuis les remparts du centre-ville en 2014

On y distingue les inscriptions IRA (Irish Republican Army - Armée républicaine irlandaise), le drapeau irlandais et des fresques murales qui rappellent la période des Troubles (1968-1998).
Photo F. Jeannier, 2014

Un autre mural de Derry, mettant en avant les défenseurs de droits civiques

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Un autre mural de Derry, mettant en avant les défenseurs de droits civiques

Un reportage sur ces murals est visible ici : https://traveladdicts.net/troubles-murals-derry-northern-ireland.
© Traveladdict

3 Le fragile équilibre politique nord-irlandais repose sur le partage obligatoire du pouvoir entre les partis dominants unioniste et républicain. Depuis janvier 2017 et la démission du vice Premier ministre républicain Martin McGuinness, il n’y a plus d’exécutif à la tête de l’Irlande du Nord et son parlement décentralisé est bloqué. Cette instabilité politique est exacerbée par la perspective du Brexit. L’Union européenne a en effet joué un rôle considérable dans le processus de paix depuis la signature des accords du Vendredi Saint en 1998 mettant fin aux Troubles. De très nombreuses et indispensables initiatives de réconciliation entre les communautés catholique et protestante, qui impliquent également et sont soutenues par la République d’Irlande, ont été financées par l’Union européenne. Dans un monde post-Brexit, ces financements – et donc la pérennité du processus de paix – sont a priori garantis par Londres. Mais pour combien de temps ?

Pont de la Paix à Derry-Londonderry. Inauguré en 2011, sa construction a été largement financée par l'Union européenne

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Pont de la Paix à Derry-Londonderry. Inauguré en 2011, sa construction a été largement financée par l'Union européenne

Fabien Jeannier 2014

4 Les incertitudes liées au retour d’une frontière entre République d’Irlande et Irlande du Nord exacerbent également les tensions intercommunautaires. Le retour d’une frontière physique s’opposerait aux termes de l’accord du Vendredi saint et réactiverait le traumatisme dévastateur des Troubles et de la partition de l’Irlande de 1921. C’est impensable, aussi bien chez les unionistes que chez les républicains. Pourtant, aucune solution satisfaisante n’a émergé jusqu’à présent.

5 Il est très vraisemblable que le retour d’une frontière aura un impact négatif sur l’économie nord-irlandaise. Dans ce cas, la partie la plus vulnérable économiquement de la société nord-irlandaise risque fort d’être la plus touchée. Cette partie de la population était également la plus susceptible de participer à la violence intercommunautaire pendant les Troubles. Le tragique événement du 18 avril, en pleine impasse du Brexit, met donc une fois encore en relief le fragile équilibre social et politique nord-irlandais. Et il ne manque pas de raviver la menace, toujours très redoutée, du retour des violences paramilitaires.


Date de mise en ligne : 30/09/2022

https://doi.org/10.3917/geo.1573.0006

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