1Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour gagner la bataille de l’emploi. Face à 60 milliards d’euros de déficit extérieur, et pour remplir l’objectif gouvernemental ambitieux d’équilibre de la balance commerciale (hors énergie) en 2017, la diplomatie doit naturellement être mise au service de ce combat, qui se mène à l’intérieur comme à l’extérieur. La philosophie de cette nouvelle priorité est d’aller chercher la croissance là où elle se trouve, aujourd’hui principalement dans le monde émergent : en 2030 les pays émergents, moteurs de la croissance, représenteront 60 % du PIB mondial.
Une mobilisation indispensable du réseau diplomatique au service de la croissance
2La volonté politique est là : mettre notre outil diplomatique au service de l’économie française. La France déploie le troisième réseau diplomatique au monde, qui est un atout formidable, un réseau universel, géographiquement et fonctionnellement (combinant des missions de chancellerie diplomatique, d’action économique, d’action culturelle, et d’action consulaire). Ce réseau doit être mis au service de notre objectif politique de redressement économique. L’idée n’est certes pas nouvelle, mais elle a désormais un nom, la « diplomatie économique » et des outils : « représentants spéciaux » avec les pays-clé, direction des entreprises au Quai d’Orsay, « conseils économiques » auprès des ambassadeurs, mêlant acteurs publics et privés, et, surtout, dans chaque poste diplomatique, plan d’action avec objectifs chiffrés en matière économique.
3Le réseau diplomatique français a été mis sous « tension » au service de la croissance économique. C’est une révolution copernicienne qui s’est opérée sans bruit, mais qui a infusé, peu à peu, une nouvelle culture et de nouvelles modalités d’action. Cette démarche touche d’ailleurs aussi les opérateurs de notre aide au développement. Lorsque l’Agence française de développement intervient dans un pays émergent sur des projets de développement durable, il faut que nos entreprises, performantes dans le domaine de l’eau ou des déchets, par exemple, puissent se positionner ultérieurement sur les marchés correspondants. La même logique doit prévaloir en matière d’expertise internationale. C’est clairement une nouvelle approche : le « réflexe économique », s’il était présent, n’était pas dominant à l’origine dans l’« ADN » de nos diplomates et de nos différents opérateurs. Il le devient peu à peu. Nous voyons émerger d’ailleurs des ambassadeurs avec un profil plus diversifié. Certains jeunes ambassadeurs ont aussi fait une école de commerce, ils sont très sensibilisés et mobilisés sur les enjeux économiques.
4Il s’agit, au fond, de mieux combiner notre politique étrangère et la promotion de nos intérêts économiques. Loin d’être un renoncement, je le vois plutôt comme un alignement sur un nouveau cap : notre diplomatie, mobilisée traditionnellement par la gestion de crises internationales multiples, doit intégrer davantage les enjeux économiques. Le rattachement des portefeuilles du commerce extérieur et du tourisme au Quai d’Orsay, ne peut qu’œuvrer en ce sens.
Une priorité partagée par tous les acteurs de la diplomatie au sens large
5On connait l’action résolue du ministre des A aires étrangères, pour une cause qu’il porte personnellement, avec énergie et conviction, depuis sa nomination en 2012. Des outils nouveaux ont été mis en place, toute une « ingénierie » de la diplomatie économique, articulée autour de la nouvelle direction des entreprises du Quai d’Orsay. L’ambassadeur est, dans les postes, le « chef d’équipe » qui fédère tous les instruments et tous les acteurs (Ubifrance, services économiques, etc.). Au-delà des mots, c’est vraiment, aujourd’hui, une priorité au quotidien. Nous le constatons à chaque déplacement dans les postes diplomatiques. J’observe un changement progressif de culture : les entreprises perçoivent désormais que le réseau diplomatique, de la base au sommet de la pyramide, est aussi là pour faire avancer leurs dossiers. Les portes du Quai d’Orsay et des ambassades sont désormais ouvertes aux chefs d’entreprise.
6Les visites officielles des ministres à l’étranger ciblent davantage désormais les « proto émergents », États en phase de décollage économique où les opportunités sont les plus importantes : déplacement du Premier ministre en Asie du Sud-Est, de Laurent Fabius en Mongolie ou en Amérique latine, zones où les ministres des A aires étrangères français avaient jusqu’à présent rarement coutume de se rendre. Les visites officielles intègrent systématiquement un volet de soutien à nos exportations.
7Les représentants spéciaux (parmi lesquels plusieurs sénateurs appartenant à la commission que je préside, comme Jean-Pierre Raffarin pour l’Algérie ou Jean-Pierre Chevènement pour la Russie) ont vocation à fluidifier et à dynamiser les courants d’affaire, par l’établissement d’un contact politique soutenu et de haut niveau. Dans nombre de ces pays, les marchés publics sont fermés et les barrières non tarifaires aux échanges perdurent. En plus des négociations dans le cadre de l’OMC, ou des accords de libre-échange négociés par l’Union européenne, il faut se montrer plus présent auprès des administrations et des institutions concernées pour défendre nos dossiers. Il ne faut pas avoir peur d’affirmer qu’un dialogue politique bilatéral nourri peut être centré sur nos intérêts au sens large, diplomatiques, mais aussi économiques.
8Les parlementaires sont eux aussi mobilisés sur cet objectif : au sein de la Commission des A aires étrangères et de la défense du Sénat, nous avons choisi cette année de nous focaliser sur le Pacifique, nouveau barycentre – notamment économique – de la géopolitique mondiale. En regardant du côté des États-Unis, d’abord, dont les effets des évolutions de la politique étrangère, mais aussi de la croissance repartie, de la réindustrialisation et de l’indépendance énergétique retrouvées, doivent être pleinement mesurés dans leurs conséquences pour les Européens. Nous conduisons aussi une réflexion sur « La France face à l’émergence du Sud-Est asiatique », dans laquelle la dimension économique est centrale. Dans une Asie qui « fabrique » plus de la moitié de la croissance mondiale, nous n’avons parfois que 1,5 % de part de marché… Nous pouvons faire mieux, et nous le devons. Nous travaillons naturellement à essayer d’y augmenter notre rayonnement, notamment commercial. Des pays comme l’Indonésie ou la Malaisie, en dehors de Singapour, notre partenaire privilégié sur le plan commercial en Asie du Sud-Est, présentent des opportunités importantes. Mais la concurrence est féroce ; il faut être présents, patients et pugnaces. Les entreprises françaises, parfois balayées d’Asie par la crise de 1997-1998, peinent à reprendre pied dans certains pays du Sud-Est asiatique. Il faut les y inciter, – faute de rater un tournant stratégique. Le risque est de « sortir des radars » dans une zone où l’intégration régionale toujours plus poussée sur le plan économique, autour de l’émergence chinoise, risque de se faire au détriment des Européens.
9Ailleurs dans le monde, je pense au Mexique, à l’Afrique du Sud, à la Chine bien sûr, mais aussi au Nigéria, au Ghana, à l’Éthiopie, de nouvelles opportunités doivent être saisies. Dans un rapport au titre éloquent, en 2013, (« L’Afrique est notre avenir ») le Sénat a mis en lumière les potentialités économiques immenses offertes par les émergents d’Afrique anglophone, et participé à une prise de conscience qui n’a fait qu’accélérer le sommet de l’Élysée de décembre dernier. Lors de sa visite officielle en Turquie, le président de la République a récemment fixé comme objectif de passer de 12 milliards d’euros d’échanges à 20 milliards d’euros dans quatre ans.
10Nous avons d’autres outils d’attractivité et d’influence, qui doivent être mobilisés au service de l’objectif du redressement économique et industriel : je pense aux plus de deux millions de Français établis hors de France, qui peuvent servir d’ambassadeurs pour notre économie et notre culture, ainsi qu’à nos 490 établissements d’enseignement français à l’étranger, dans 130 pays, qui scolarisent 300 000 élèves. Les systèmes de bourses ou les programmes de personnalités d’avenir doivent venir au service d’une stratégie globale d’influence et de mise en réseau des futurs décideurs. Notre diplomatie culturelle et notre langue, parlée par 250 millions de personnes, qui seront 750 millions dans trente ans, compte tenu du développement de l’Afrique, contribuent à notre rayonnement.
Mieux tirer parti des opportunités offertes par la mondialisation
Passer à l’offensive au lieu de subir
11La mondialisation n’est pas qu’une machine à détruire l’emploi industriel et à favoriser les délocalisations et le dumping environnemental et social. Plutôt que de la subir, la nouvelle approche offensive de la diplomatie économique nous invite à mieux tirer parti de cette donne économique. Il nous faut en quelque sorte « domestiquer » la mondialisation.
12La géométrie des puissances mondiales bascule vers un « nouveau monde » multipolaire, dans lequel les BRICS portent la croissance mondiale. Cette émergence économique de nouveaux acteurs, si elle a pu nous fragiliser, ne le nions pas, nous offre aussi de nouvelles perspectives. Face à la montée de classes moyennes de plus en plus nombreuses en Asie et en Afrique, qui veulent accéder au mode de consommation occidental, les entreprises françaises ont beaucoup d’atouts à faire valoir.
13Au-delà du luxe, de l’agroalimentaire et de l’aéronautique, traditionnels points forts de notre commerce extérieur, nos entreprises doivent se positionner sur des secteurs aussi essentiels que le développement urbain, l’énergie, les transports, les infrastructures : des secteurs d’excellence pour l’économie française, qui correspondent aussi à des besoins immenses en infrastructures dans les pays émergents. On peut y ajouter le spatial, la gestion des réseaux, le bâtiment, la santé, la chimie, le tourisme, la culture, l’art de vivre… Sans parler des défis à relever en matière d’urbanisation exponentielle et d’aménagement urbain, des besoins alimentaires, voire des conséquences du vieillissement (comme en Chine). Je n’oublie naturellement pas le secteur des exportations d’armement : la France, cinquiéme exportateur mondial, a d’excellents atouts en la matière, et doit aller chercher à l’extérieur des contrats que le gel voire le reflux des budgets de défense ne lui offrent plus guère en Europe.
14Il y a donc un « moment » à saisir, pour tirer un meilleur profit de la nouvelle donne géoéconomique, pour mieux s’y insérer, pour mieux bénéficier des nouvelles potentialités offertes par la globalisation de l’économie. À nous de nous mobiliser.
15À nous de savoir aussi défendre nos intérêts dans les instances de négociation internationale : sachons exiger la réciprocité, au rebours d’une vision ultra libérale qui a pu par le passé faire l’impasse de la défense de certains intérêts stratégiques européens. L’Europe ouverte, oui, l’Europe offerte, non. Est-ce notre intérêt qu’aujourd’hui le taux moyen des droits de douane soit de 3 % en Europe contre 8 % en Asie ? Que le montant des marchés publics attribués à des entreprises extérieures soit de 312 milliards d’euros dans l’Union européenne contre 34 milliards aux États-Unis ?
Des redéploiements de nos moyens publics à parachever
16Insuffler un « esprit de conquête » économique dans le réseau diplomatique ne suffira pas. Certaines évolutions, entamées, doivent être parachevées. Le lent redéploiement de nos moyens diplomatiques, d’un réseau d’héritage, présent surtout en Europe et en Afrique francophone, vers un réseau d’avenir, en Asie et dans les grands émergents, doit être poursuivi avec détermination. Certes, la Chine, l’Inde et le Brésil, sont (enfin) entrés dans le top 10 des plus gros postes diplomatiques français. Mais est-ce servir nos intérêts économiques que d’avoir aujourd’hui encore plus d’agents au Sénégal qu’en Inde, à Madagascar qu’au Brésil ? Le ministre des Affaires étrangères conduit une action résolue en la matière, qui doit être soutenue, car elle n’est pas facile à mener : opérer un tel redéploiement tout en supprimant, pour l’ensemble du ministère, 600 emplois en trois ans pour participer au nécessaire redressement des comptes publics, nécessite un certain courage.
17La question de la délivrance des visas n’est pas qu’un simple enjeu de gestion interne au ministère des Affaires étrangères. C’est aussi un enjeu d’attractivité : l’exemple devenu célèbre de la délivrance des visas à Shanghai est emblématique. Faute de moyens consulaires, l’engorgement était tel que, dans cette région qui concentre le quart du PIB chinois, les délais d’obtention de visa Schengen pour les touristes chinois désirant se rendre en France, dissuasifs (plusieurs semaines), les conduisaient à privilégier comme porte d’entrée européenne… nos voisins, qui encaissaient à notre place les recettes touristiques (vol vers l’Europe pour leurs compagnies aériennes, puis dépenses d’hôtel, de restauration, emplettes sur place…etc.). Conscient des enjeux économiques de cette question, qui n’est pas mineure, le ministère des Affaires étrangères s’engage désormais sur une délivrance des visas en Chine en 48 heures, sans affecter naturellement la qualité du contrôle régalien qui doit s’exercer en la matière. C’est cette réactivité, cette capacité à s’adapter aux enjeux, qui doit devenir de plus en plus la marque de fabrique de notre réseau. Le ministre des Affaires étrangères a coutume d’illustrer l’aspect multiforme de son action en faveur de la diplomatie économique en ces termes : « Nous avons aujourd’hui 1,4 million de touristes chinois. Chacun d’entre eux dépense en moyenne 1 600 euros lorsqu’il est en France. On estime qu’il y aura dans les années qui viennent, 200 millions de Chinois qui voyageront. Si nous passons de 1,4 à 5 millions, nous aurons réduit le déficit extérieur de la France de 10 %. »
La dispersion des dispositifs : un sujet récurrent ?
18Ne soyons pas naïfs : le sujet de la diplomatie économique est aussi le terrain d’une lutte d’influence entre Bercy et le Quai d’Orsay. Comme on peut le voir traditionnellement en matière d’aide au développement (autre sujet « partagé » entre ces deux puissants ministères), ces guerres de tranchées administratives et ministérielles dont notre pays a le secret font des ravages et phagocytent en vain des moyens pourtant désormais comptés. La rationaliation des portefeuilles dans le nouveau gouvernement va dans le bon sens.
19En matière de soutien à l’export, le diagnostic est posé depuis de nombreuses années, mais la rationalisation et la mise en cohérence interministérielle de nos moyens est encore devant nous. Ainsi en est-il de la fusion d’Ubifrance, l’agence publique chargée d’accompagner les PME à l’exportation, avec l’Agence française des investissements internationaux (Afii), annoncée par le président de la République lors d’un récent Conseil stratégique de l’attractivité. Harmonisation des statuts, rapprochement des directions, mutualisation des réseaux, la mise en œuvre concrète reste à accomplir. Avec 1 400 collaborateurs, Ubifrance compte 80 bureaux dans 70 pays. L’Afii compte environ 150 salariés en France et dans 22 pays étrangers. Cette fusion, qui répond à une logique d’efficacité et d’économie, doit être saluée.
20Idéalement, elle devrait être un premier pas vers une meilleure articulation de tous les acteurs en jeu, je pense notamment aux chambres de commerce et aux différents bureaux d’expansion économique des régions présents à l’étranger, mais aussi à la Banque publique d’investissement. Il nous faut mieux rassembler et coordonner nos efforts. Mettre la « pression » sur les ambassadeurs était un premier stade, sans doute indispensable. Les mettre en situation d’agir efficacement, avec des outils rationalisés, cohérents et bien articulés, ne pourra que renforcer l’effectivité de la nouvelle priorité donnée à l’économie.
La compétitivité des entreprises françaises : le vrai facteur-clé du redressement
Le « pacte de responsabilité » pour agir à la racine
21Nous le savons bien, les dispositifs de soutien à l’export les plus efficaces et la meilleure volonté politique du monde ne suffiront pas à eux seuls à redresser notre balance commerciale. Dans la grande compétition mondiale, c’est surtout la compétitivité prix et hors prix de nos entreprises qui est en question. C’est aussi la vitalité de notre tissu de PME et d’entreprises de taille intermédiaire. C’est également la capacité d’innovation de nos grands groupes. Il faut, avant tout, restaurer notre compétitivité. La France a beaucoup de savoir-faire et d’atouts. Ce capital, nous devons mieux le faire fructifier, par un environnement juridique et fiscal plus favorable à nos entreprises, et en particulier à notre industrie. Car c’est si elles sont fortes à l’intérieur que nos entreprises pourront être conquérantes à l’extérieur. C’est tout l’enjeu du « pacte de responsabilité » que va mettre en œuvre l’action gouvernementale dans les mois à venir.
Amener les PME à l’export : un défi à relever
22Le constat est bien connu, les PME françaises sont plus petites et moins performantes à l’export que celles de nos voisins. Or, ce sont elles qui créent de l’emploi, qui innovent. Les grands groupes se débrouillent tous seuls pour aller à l’international. Ce sont les PME que nous devons soutenir en priorité. Avec des outils simples et modernes, comme la « carte interactive » des déplacements des ministres, le Quai d’Orsay devient accessible aux PME. Toutes les entreprises sont informées à l’avance des déplacements ministériels ayant une dimension « diplomatie économique » et peuvent candidater par Internet pour y participer, ou proposer la visite de leurs locaux.
Attirer les investissements étrangers au service de la réindustrialisation de notre pays
23L’autre volet de la diplomatie économique, c’est d’attirer les investisseurs étrangers. Aujourd’hui ils emploient 13 % de la masse salariale française. 20 000 entreprises étrangères produisent en France. À l’heure de la compétition mondiale et européenne, je préfère voir les investissements se faire sur le sol français, au bénéfice de la création d’emplois, en particulier dans l’industrie. Le réseau diplomatique français peut être un formidable outil de promotion de l’attractivité française. Y compris d’ailleurs auprès de fonds étrangers, souverains ou non : l’action diplomatique prend alors tout son sens. Au Mexique, l’action de notre représentant spécial a permis de lever un fonds de 500 millions de dollars qui prend des participations dans de moyennes entreprises de l’aéronautique française. L’objectif, ambitieux est d’atteindre la barre des 1 000 investissements étrangers en France par an, au lieu des 700 investissements actuels.
La France, puissance globale à vocation mondiale, ne saurait limiter l’horizon de sa politique étrangère aux seuls enjeux économiques
La France a une diplomatie à vocation globale, elle porte une parole qui dépasse le cadre strict de ses intérêts mercantiles
24La priorité à l’économie fait aujourd’hui consensus. Pour autant, l’économie ne saurait être le seul horizon de notre diplomatie. Car c’est la grandeur de notre pays sur la scène internationale que de porter une parole qui dépasse le cercle strict de ses intérêts propres. La France a une diplomatie à vocation globale. Membre permanent du Conseil de sécurité, la France est une des rares puissances à vision mondiale. On l’a bien vu sur le Mali ou sur la République Centrafricaine : la voix de notre pays porte. On l’a vu sur la Syrie, sur l’Iran, sur l’Ukraine, notre pays, à l’origine, avec les Britanniques, de près de la moitié des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, demeure au centre et au cœur de la résolution des crises dont le monde contemporain n’est pas avare. Revoir le centre de gravité du réseau diplomatique entre ses trois grandes missions (politique, culture, économie), oui. Réduire notre diplomatie au seul cercle de nos intérêts mercantiles, non. Nous devons naturellement avoir une ambition plus large.
25Lorsqu’il s’agit de lutter, comme au Mali, contre l’enkystement terroriste au Sahel qui menace l’Europe et déstabilise toute une région, des confins du Maghreb à l’Afrique de l’Ouest, où vivent des centaines de milliers de nos ressortissants, lorsqu’il s’agit d’arrêter une spirale de violence et d’atrocités et de stabiliser un pays au bord du génocide, comme en RCA, il n’est pas question de raisonner à la seule aune des marchés que nous pourrions récolter ou des intérêts économiques que nous pourrions avoir.
26Dans ces circonstances, comme dans celle des violations patentes du droit international (en Crimée par exemple), la diplomatie française se détermine sur des critères politiques, au sens le plus noble du terme.
27Notre politique étrangère s’honore aussi de poursuivre des buts élevés comme la préservation des biens publics mondiaux, la lutte contre le dérèglement climatique ou la défense et la promotion d’un modèle de croissance plus durable : un des grands enjeux des mois à venir sera la conférence Climat organisée à Paris en 2015.
28D’ailleurs notre offre économique peut, à l’inverse, servir nos objectifs diplomatiques. Je pense, justement, à l’approche de cette conférence Climat de 2015, à « l’économie verte » : les entreprises françaises spécialistes du développement durable, sont parmi les meilleures du monde et peuvent être des « vaisseaux-amiraux » au service de nos objectifs diplomatiques, de même que l’Agence française de développement, dont la « croissance verte » devient le leitmotiv.
29Pour autant, sans développement économique, ce sont les fondements même de notre puissance qui seront fragilisés sur la scène internationale
30Avec la fin des grandes idéologies, la nouvelle géopolitique mondiale se recompose largement autour de critères économiques. Tout se passe comme si l’économie était la principale grille de lecture de la nouvelle hiérarchie de la puissance dans les relations internationales. Ne nous voilons pas la face : le poids de la France dans le monde se mesure aussi à l’aune de son PIB, de sa balance commerciale, de sa santé budgétaire, de son attractivité pour les investisseurs.
31Une raison de plus pour mettre notre outil diplomatique au service de notre développement économique. Je ne vois pas cela comme une contradiction avec les principes fondateurs de notre politique étrangère, au contraire : la croissance, c’est aussi pour nous une question de souveraineté, et d’influence. Car l’économie est indéniablement l’un des attributs de la puissance – si ce n’est le premier d’entre eux. On le voit dans le cas de l’Allemagne, ou de la Chine.
32Dans la compétition mondiale, il faut aujourd’hui courir pour ne pas être distancé. Qu’on le veuille ou non, l’enjeu économique est donc aussi un enjeu de puissance et d’influence. Ce qui fait aujourd’hui que la voix de la France porte au-delà de son seul poids dans la démographie mondiale, c’est, bien sûr, la qualité de son outil de défense, son statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, c’est sa capacité à penser « mondial », à se projeter, y compris militairement, en dehors de ses frontières. Mais c’est aussi, osons le reconnaître, sa puissance économique et commerciale, sa capacité technologique, la force de rayonnement de sa langue et de sa culture. Sans croissance économique, ces facteurs sont condamnés à l’attrition et à l’essoufflement. Comment maintenir une dissuasion nucléaire crédible sans crédits budgétaires ? Comment garder une crédibilité militaire opérationnelle de haut niveau, celle qui a suscité le respect de tous lors de l’opération Serval au Mali, sans crédits d’entrainement, sans renouvellement de nos équipements militaires, sans comblement de nos lacunes capacitaires ? C’est toute la difficulté de l’exercice auquel la commission que je préside s’est livrée lors de la discussion de la loi de programmation militaire 2014-2019 en décembre dernier. Il nous fallait trouver un point d’équilibre entre la nécessité de préserver notre outil de défense, et celle, en ce contexte de crise, de restaurer notre souveraineté budgétaire. Cet équilibre a été garanti par un arbitrage du président de la République, auquel je veux rendre hommage, de stabilisation à 31,4 milliards d’euros des crédits consacrés à la défense. Mais nous sommes sur une ligne de crête, ténue. Pour desserrer l’étau, et faire mentir les scénario catastrophe dépeints par les « déclinologues » en tout genre, nous devons retrouver un nouvel élan, retrouver de la croissance, créer de l’emploi.
33C’est précisément l’objectif de la diplomatie économique, nouvel horizon de notre politique étrangère. Le « juge de paix » de cette action sera notre croissance retrouvée et notre balance commerciale redressée.