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Article de revue

Et si la France gagnait la bataille de la mondialisation...

Pages 151 à 164

Notes

  • [1]
    En moyenne sur le 3ème trimestre 2013, le taux de chômage au sens du BIT, une fois neutralisé l’effet lié à la rénovation du questionnaire 2013, s’élève à 10,9 % de la population active de la France, y compris dans les DOM. En France métropolitaine, le taux de chômage atteint 10,5 %, en hausse de 0,1 point par rapport au 2ème trimestre 2013. Sur un an la hausse est de 0,6 point (Source : INSEE, Enquête emploi - IR. déc 2013).
  • [2]
    http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/PISA-2012.
  • [3]
    INSEE, France, Portait social – Éditions 2013, novembre 2013.
  • [4]
    Cf. A. Montebourg, Votez pour la mondialisation, Flammarion, Paris, 2011 ; ou encore J. Sapir, La démondialisation, Le Seuil, Paris, 2011.
  • [5]
    Émilie Levêque fait observer un paradoxe chez les Français qui se singularisent des autres citoyens des pays occidentaux par leur défiance persistante à l’égard de la mondialisation, qu’ils diabolisent à l’envie.
  • [6]
    Cf. Minc-Montebourg : deux visions du monde, Challenges.fr, 25 septembre 2011. En réalité, l’émergence de la Chine dans les échanges internationaux est plus ancienne. L’économiste et sinologue Françoise Lemoine fait observer que la montée de la Chine dans les échanges internationaux s’est amorcée dès 1979. Les échanges chinois ont progressé trois fois plus vite que le commerce mondial ; ses exportations comme ses importations ont augmenté de 15 % par an, et les échanges mondiaux de 5,5 % par an.
  • [7]
    N. Fert, Pourquoi les Français ont-ils peur de la mondialisation ?, 17 avril 2012.
  • [8]
    Pour N. Fert, alors que les Français pensaient encore en majorité faire partie des bénéficiaires de celle-ci en 2007, cette perception s’est inversée en 2012 : 50 % des Français estimaient ainsi en janvier 2012 que la mondialisation de l’économie profite avant tout aux pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil, seuls 16 % pensant qu’elle profite avant tout aux pays occidentaux et 13 % à tous les pays et deux Français sur trois (61 %) voient l’économie française être rattrapée d’ici 50 ans par des pays comme le Mexique, la Thaïlande ou le Nigéria, alors même que les écarts de niveau de vie restent aujourd’hui très importants. 29 % estiment même que l’économie de la France sera dépassée par celles de ces pays.
  • [9]
    S. Lauer, Le monde, et d’après une étude réalisée par Price Waterhouse Coupers (PWC), 14 mai 2010.
  • [10]
    M. Chevalier, Alternatives Économiques, n°301, avril 2011.
  • [11]
    Le Figaro, 18 mars 2013.
  • [12]
    Déclaration du Premier Ministre le 3 décembre 2013, source AFP.
  • [13]
    J.-C. Beaujour, « Anglais à l’Université : allez jusqu’au bout ! », Les Échos, 12 juin 2013.
  • [14]
    P. Pierre, « Les usines à brevets pour relancer la compétitivité de l’innovation », Les Échos, 30 juillet 2013.

1Au terme de six années d’une crise économique et sociale d’une violence sans précédent, la France s’interroge, se cherche et ne va pas bien du tout. Le chômage bat tous les records [1] en dépit de quelques signes de ralentissement pour une partie de la population des demandeurs d’emploi, les entreprises continuent à supprimer des emplois, le niveau de la fiscalité est insupportable et même sa politique d’éducation est montrée du doigt par le tout dernier rapport PISA de l’OCDE [2]. D’ailleurs, l’INSEE dans son « portrait social » de la France du 13 novembre 2013 relève une aggravation du chômage et une détérioration du climat social [3]. Pour prendre toute la mesure de ce mal-être social, il faut garder à l’esprit qu’en 2011 pas moins de 8,7 millions de Français – soit 14,3 % de la population – vivaient en dessous du seuil de pauvreté monétaire, c’est-à-dire avec moins de 977 euros par mois.

2Que la France aille mal est une réalité navrante. Pire, à l’évidence elle ne parvient pas à retrouver un cap avec des objectifs lui donnant confiance dans sa capacité à retrouver durablement le chemin de la croissance.

3Certains ont accusé l’Europe et la mondialisation d’être à l’origine de tous les maux. Ceux par qui tous les malheurs de la France sont arrivés et se poursuivent seraient, d’un côté la Commission de Bruxelles, de l’autre les concurrents non européens, États-Unis, Chine, et d’une manière générale les pays émergents. En d’autres termes la mondialisation, puisque c’est d’elle dont il s’agit, serait la source de toutes les difficultés de la société française, au point d’avoir été l’un des thèmes de campagne en 2011 lors des primaires du parti socialiste. À cette occasion, il a même été suggéré que l’on « démondialise » la France [4].

4Certes il est vrai que la France, dans le contexte international et européen actuel, rencontre des difficultés ; loin de là l’idée de dire que la mondialisation, telle que les Français la vivent et parfois la subissent, est un système parfait. L’essai Et si la France gagnait la bataille de la mondialisation…, se veut une analyse de la réalité des faits sur la question de la mondialisation pour mieux imaginer ce que la France, ses entreprises et les Français pourraient améliorer ou même simplement faire pour retrouver le chemin de la croissance. À ce sujet, il a été démontré un véritable paradoxe : les Français affichent cette peur de la mondialisation alors que la France reste le sixième pays exportateur et le quatrième destinataire des investissements étrangers [5].

5L’ouvrage part du constat que la mondialisation est une réalité ancienne et actuelle, qui s’impose au pays et à nos concitoyens. Aussi, plutôt que de convaincre chaque Français que la crise prendra fin avec la « démondialisation », nous nous sommes attachés à imaginer les pistes de réflexion pour ne pas subir cette mondialisation. Et si la France gagnait la bataille de la mondialisation… n’est pas un ouvrage d’économie mais une analyse pragmatique par un acteur de terrain qui accompagne et voit réussir les entreprises grandes ou petites dans leur développement à l’international.

L’histoire de France intimement liée aux échanges commerciaux internationaux

6On entend très fréquemment que la mondialisation a commencé en 2001 avec l’adhésion de la Chine à l’OMC. Or, l’Histoire n’est pas là pour démontrer que la mondialisation est bien plus ancienne [6]. Le commerce de l’Europe et celui de la France du fait de la situation géopolitique de notre pays, ont toujours prospéré dans un contexte international, et mieux la mondialisation se poursuit ainsi.

Une histoire bien ancienne

7La route de la Soie, qui est le réseau ancien des routes commerciales entre l’Europe et l’Asie, a vu le jour vers le début de l’ère chrétienne, période où les Romains deviennent les grands amateurs de soie après en avoir acquis le goût et le besoin auprès des Parthes, premiers organisateurs de ce commerce. Les caravanes traversaient l’Asie depuis les rives de la Méditerranée jusqu’au centre de la Chine. Devenue dangereuse et coûteuse, la route de la Soie sera peu à peu abandonnée au profit des routes maritimes des épices, également appelées « routes des parfums ». Ces dernières sont, en réalité, les voies maritimes utilisées par les navires marchands pour rapporter des épices vers l’Occident. C’est d’ailleurs le commerce des épices, comparable à celui de l’or et des pierres précieuses, qui a fait la fortune des navigateurs Marco Polo, Christophe Colomb ou encore Fernand de Magellan, sans compter évidemment celle de leurs reines et rois.

8Ce sont aussi des motivations commerciales qui sont à l’origine de la découverte des Indes orientales à partir du XVe siècle. Au XVIIIe siècle, les conflits maritimes de l’époque ont bien pour principal objet de bloquer les échanges et de s’approprier les îles sucrières.

9Et c’est tout l’histoire de France et celle de l’Europe en général qui sont intimement liées aux échanges commerciaux et internationaux.

10En 1624, Richelieu signe le traité de Compiègne avec les Provinces-Unies (aujourd’hui les Pays-Bas). Il reconnaît la liberté du commerce vers les « Indes occidentales et orientales » et relance l’activité des Français en direction de l’Asie, avec comme importante mission de dynamiser les activités commerciales du royaume. Par la suite, l’Ordonnance royale de 1629 appelée Code Michau encourage les Français à créer des compagnies de commerce, à l’image de ce que pratiquent les Hollandais et les Anglais. Enfin, la Compagnie d’Orient est créée en 1642 avec un monopole de 15 ans sur Madagascar et les îles environnantes. Et c’est en 1664 que la Compagnie française des Indes orientales voit le jour sous Colbert. Son but est de doter la France d’un outil de commerce international avec l’Asie et de concurrencer les puissantes compagnies occidentales. C’est toute l’histoire de la France et de l’Europe en général qui sont intimement liées aux échanges commerciaux internationaux.

11On le voit bien, la puissance de la France s’est faite tout au long des siècles passés sur sa capacité à se développer hors de ses frontières naturelles. Les exemples relevés traduisent bien une volonté des gouvernants français des siècles passés d’asseoir la France comme grande puissance économique internationale. Faut-il préciser que si, pour notre sujet, nous nous limiterons à la dimension économique de la croissance internationale de la France, il ne faut pas oublier que, grâce à son déploiement international, notre pays a acquis dans le même temps le statut de grande puissance à travers la planète, dotée d’une sphère d’influence géostratégique qui se révélera essentielle à bien des moments de son histoire.

Une histoire qui se poursuit

12La perception ou le ressenti sur certains sujets ont à ce point la vie dure que l’on peut avoir du mal à faire entendre raison. En effet, la crainte manifestée par les Français au regard de la mondialisation résulte davantage de la mauvaise perception qu’ils en ont que d’informations concrètes sur ce qu’elle apporte et rapporte réellement à la France et aux Français. Pour Nicolas Fert, cette peur des Français pour la mondialisation s’expliquerait pour deux raisons [7].

13Tout d’abord par le fait que le concept de mondialisation, arrivé récemment dans le vocabulaire français, est passé d’un phénomène rejeté par les mouvements et partis de gauche à la caractérisation d’un véritable fléau suscitant le rejet d’une une large majorité des Français. Identifiée comme la première cause du chômage, la mondialisation légitimerait du même coup un certain discours protectionniste des responsables politiques.

14Ensuite, Nicolas Fert note un lien entre la peur qu’ont les Français du déclassement et leur perceptions des véritables bénéficiaires de la mondialisation. Plus précisément, le basculement d’une majorité de l’opinion publique française dans le rejet de la mondialisation économique serait dû à une rapide évolution de la « perception » qu’ils ont des véritables bénéficiaires de la mondialisation [8].

15Et pourtant, une réalité positive de la mondialisation est invisible ou inaudible pour une majorité de Français. En effet, la crise a occulté certains bénéfices de la mondialisation. Au plus fort de la crise en 2010, l’économie française stagnait. En revanche, dès le 1er trimestre de 2011, l’activité des entreprises du CAC 40, était repartie de l’avant. Leur chiffre d’affaires global a même progressé de 5,43 % au cours des trois premiers mois de 2010 par rapport à la même période de 2009 [9]. Un autre auteur faisait le constat que deux ans après que la crise financière se fut propagée à l’économie réelle, le CAC 40 avait presque oublié cette mauvaise passe : cumulés, les profits des 40 plus grosses entreprises françaises cotées ont atteint 83 milliards d’euros pour l’exercice 2010, soit un bond de 85 % par rapport à 2009 [10]. Marc Chevalier explique la santé « insolente » de ces poids lourds, alors que le contexte économique reste très morose en France et en Europe, avant tout par leur internationalisation. Il précise que le CAC 40 réalise les trois quarts de son chiffre d’affaires hors de l’Hexagone et que la part des revenus qu’il tire des pays émergents est passée en dix ans de 17 à 28 % et qu’elle dépasse d’ores et déjà les 50 % pour certains fleurons comme Lafarge ou Danone ; ces dernières vont toutes chercher la croissance là où elle est, c’est-à-dire dans les pays émergents.

16Si ces tendances macro-économiques ne peuvent convaincre la majorité de ceux qui se méfient de la mondialisation, il est un secteur qui illustre à lui seul à la fois l’intérêt de l’appartenance de la France à l’Union européenne et notre dynamisme international, c’est bien le secteur de l’industrie aéronautique. En effet, seule une alliance industrielle à l’échelle européenne dans l’activité de construction d’avions permet de concurrencer sérieusement le principal acteur américain Boeing. Seules, la France et l’Allemagne ou encore la Grande-Bretagne n’y seraient jamais parvenues. La réussite commune en est l’illustration. C’est ainsi qu’en mars 2013 Airbus a signé un contrat de 234 appareils de type A320 avec la compagnie indonésienne Lion Air, remplissant son carnet de commandes pour plus de 9 ans de production. Cette commande représente également plus de 5 000 emplois en France sur dix ans pour l’ensemble de la filière [11]. Au salon de l’aviation de Dubaï de novembre 2013, Airbus a également signé avec la compagnie Emirates un contrat portant sur plus de 50 Airbus A380 avec autant de milliers d’emplois à la clé.

17Ce marché gagné par Airbus illustre bien les atouts de la France, acteur dans la mondialisation. Or, on peut regretter que des succès commerciaux de cette nature marquent moins les esprits que toutes les critiques des détracteurs de la mondialisation.

Une mondialisation à notre portée

18Pour que la France affronte dans de meilleures conditions la concurrence internationale, quatre chantiers majeurs doivent être engagés en matière de formation, de recherche et développement, de tourisme et d’utilisation de nos régions et populations du bout du monde.

Une formation et une éducation adaptées aux besoins du marché

19Le rapport PISA 2013, qui a fait l’effet d’une bombe dans notre pays le 2 décembre dernier, est l’illustration d’un système éducatif qui coûte très cher au contribuable français tout en étant loin d’être le meilleur et, ce qui est encore plus grave, qui s’apparente de plus en plus à une machine à fabriquer des chômeurs. Depuis plusieurs années, la France est mal placée dans ce rapport, mais cette année le Premier ministre Jean-Marc Ayrault déclarait que le rapport PISA devait servir d’électrochoc [12].

20Il est intéressant de noter que cette étude menée par l’OCDE compare les compétences des élèves de 15 ans (l’équivalent de jeunes en classe de seconde). Des compétences qui sont appréciées non pas au regard des seules connaissances, mais de l’utilisation qui peut en être faite. De ce point de vue, notre classement est en déclin chaque année au point que nous ne sommes aujourd’hui qu’en 25ème position.

21Pire, l’école française n’est ni égalitaire ni équitable. En effet, entre 2003 et 2012 le nombre d’élèves en échec scolaire a considérablement augmenté, particulièrement dans les classes sociales défavorisées. En matière de résultats scolaires, les pays d’Asie tels que la Chine, Singapour ou encore le Japon et la Corée du Sud sont dans le peloton de tête.

22Il n’est pas acceptable que le budget consacré à l’Éducation, les multiples réformes entreprises et les moyens dont nous disposons conduisent à un tel échec. La politique de l’Éducation en France est à l’évidence un échec, puisqu’elle n’est capable de renforcer qu’une petite élite tout en étant incapable d’entraîner le plus grand nombre.

23Ensuite, un tel échec met en péril le pacte social sur lequel ont longtemps reposé nos modèles et notre croissance. L’éducation est dans la plupart des systèmes un moyen d’ascension sociale. Accepter le décrochage des milieux modestes ou celui des enfants issus de l’immigration, c’est participer à l’explosion sociale et, à terme, à une véritable scission de la société française. On le voit bien, l’absence de formation est la porte ouverte au chômage et à la misère sociale et morale. D’une manière générale c’est la porte ouverte à tous les maux dont souffre notre économie. Enfin, comment imaginer notre présence dans la concurrence européenne et internationale si les jeunes Français n’ont pas les éléments qui seuls leur permettront d’avoir une formation répondant aux nouveaux enjeux des offres d’emplois. C’est précisément parce que la France a une forte proportion de jeunes mal formés qu’elle est incapable de faire face à la mondialisation.

24Ceci explique qu’il est peut-être temps d’imaginer une politique éducative qui ne soit pas seulement fondée sur la capacité d’accumuler du savoir mais qui porte de l’intérêt à l’utilisation de tels savoirs, en d’autres termes à l’effectivité démontrée, et ajustée lorsque nécessaire, du système éducatif national.

25Le dispositif d’enseignement et de formation français doit, plus que jamais, coller à la réalité des besoins du marché de l’emploi et préparer les jeunes Français à la globalisation des échanges. Plusieurs pistes sont possibles.

26Dans un contexte européen, il est souhaitable que les salariés français soient capables de travailler correctement dans au moins une langue étrangère, ce qui est loin d’être le cas. Ainsi nous avons indiqué qu’il est préférable que les jeunes Français apprennent moins de langues, mais qu’ils maîtrisent parfaitement au moins l’une d’entre elles [13], tant c’est une condition pour que demain ils soient mobiles et répondent aux besoins des entreprises. Par ailleurs, nous devons développer l’apprentissage en entreprise qui favorise l’intégration progressive des étudiants dans le monde du travail.

27Enfin, permettre au plus grand nombre de jeunes d’être impliqué dans un projet international (association humanitaire, structure culturelle) afin d’acquérir une véritable « culture internationale » doit être un objectif. Aujourd’hui, cette « culture internationale » profite aux seuls « très diplômés » de notre système (Erasmus, V.I.E., etc.). Or, c’est en généralisant cette culture internationale chez tous les jeunes professionnels qui exercent dans les métiers du primaire au secondaire que nous parviendrons à mettre notre pays en ordre de marche internationale.

Recherche et développement

28L’idée suivant laquelle la mondialisation serait la cause des délocalisations des entreprises françaises, partant celle de la perte de nombreux emplois, est particulièrement répandue. Et pourtant selon Elie Cohen, les délocalisations stricto sensu – transfert d’usines de la France vers l’étranger assorti d’une réimportation de leurs productions dans notre pays – n’expliqueraient que 3 % à 10 % des suppressions d’emplois dans nos ateliers. L’économiste insiste en soulignant que si la question des délocalisations est très sensible, son importance numérique est relativement faible. En tout cas, la délocalisation stricto sensu n’explique qu’une part très faible des destructions d’emploi industriel.

29En effet, la valeur ajoutée des pays occidentaux, dans un contexte désormais global, repose sur sa capacité à cultiver une excellence technologique certaine. Par voie de conséquence notre capacité à nous projeter vers l’avenir est essentielle. C’est pourquoi la recherche et le développement industriel (R&D) doivent être considérablement renforcés. À ce sujet, il est souhaitable que notre pays et nos entreprises soient plus attentifs à la gestion des dépôts de brevets comme au développement de centres de recherche qui doivent être significatifs dans leur organisation et capacités ; les brevets et la R&D d’aujourd’hui forment le creuset de nos emplois de demain. Certains spécialistes préconisent des usines à brevets qui permettront de sécuriser le retour sur investissement de manière à relancer la compétitivité de l’innovation, à l’instar de ce qui se fait en Corée du Sud [14].

30Enfin, nous devons arrêter le saupoudrage de crédits et revoir notre stratégie de R&D en réduisant le nombre de pôles de compétitivité qui est aujourd’hui de 71 et en faisant porter un effort significatif sur les plus importants.

La mondialisation commence chez nous

31La mondialisation peut se jouer en France car il est possible de renforcer l’attractivité de notre pays. La France, pays de destination apprécié pour les investissements étrangers, peut renforcer son attractivité de manière à accueillir encore plus d’entreprises qui souhaiteraient s’implanter dans l’Ouest européen ; pour cela elle a besoin d’être dans une culture de plus forte « attractivité internationale ».

32Une action conjointe de lobbying doit être menée par des acteurs publics et par les entreprises auprès des entreprises étrangères pour les inciter à venir s’installer en France. La France comme destination d’investissement souffre, aujourd’hui, d’une image par trop dégradée et fragile.

33Ensuite, une industrie trop souvent ignorée, alors qu’elle peut être pourvoyeuse d’emplois non délocalisables, doit être mise au centre de notre action transnationale ; il s’agit de l’industrie du tourisme. Un petit calcul nous a conduit au décompte suivant. Si tous les étrangers qui pénètrent dans l’Hexagone dépensaient en moyenne autant que les touristes qui voyagent aux États-Unis, le chiffre d’affaires de notre industrie touristique serait de l’ordre de 132 milliards de dollars par an soit l’équivalent de la construction de 164 paquebots de croisières géants comme ceux que sortent les chantiers de Saint-Nazaire. On imagine aisément les milliers d’emplois à la clé et le bienfait pour notre économie surtout en région. Et pourtant nous ne parvenons pas à mettre en place une grande politique touristique à la hauteur des enjeux que représente ce secteur d’activité.

34Une fois encore, on retrouve ce paradoxe français. Alors que notre pays est champion des weekends longs, ces fameux « ponts » ou encore « viaducs », il est surprenant de constater que l’industrie du loisir est à ce point négligée.

Utiliser le réseau des Français de l’étranger et les régions ultramarines

35S’appuyer sur l’expérience des Français expatriés est indispensable lorsqu’on dénombre dans le monde pas moins de 2 millions de nos concitoyens (les « expats ») qui renforcent significativement notre présence à l’étranger.

36Regardons nos différents « voisins ». Les Chinois, les Libanais et aujourd’hui les Indiens s’appuient sur leurs diasporas pour construire ou renforcer leur redéploiement à l’étranger. Il faut cesser de considérer un jeune qui s’en va à l’étranger est comme perdu pour le pays. En réalité il représente un relais pour la communauté nationale expatriée.

37Nos territoires d’Outre-mer doivent eux-aussi être les éléments d’un dispositif stratégique. Rappelons que ces territoires accueillent nos bases militaires qui servent à assurer la sécurité de notre territoire et de nos approvisionnements. Par exemple, il ne faut pas oublier que des centaines de porte-conteneurs et des dizaines de pétroliers en provenance du Golfe arabo-persique empruntent le détroit de Bal-el-Mandeb. Ce sont près des deux tiers de l’approvisionnement en or noir de l’Europe qui y transitent. Cette présence française en Outre-mer permet de protéger nos approvisionnements ainsi qu’une grande partie de notre commerce extérieur maritime de la piraterie à laquelle se livrent volontiers les Chebabs (islamistes africains), ceux-là même qui sont à l’origine de l’attentat perpétré en septembre 2013 à Nairobi.

38Par ailleurs, l’addition des côtes des régions d’Outre-mer à celles de l’Hexagone font de notre pays la deuxième puissance maritime mondiale, lui donnant une capacité à être présente en Amérique latine, dans l’océan Indien ou encore dans le Pacifique. Or, force est de constater qu’un tel atout n’est pas correctement exploité.

39Les rapports avec nos partenaires ont changé, au point que ceux-ci attendent que leurs interlocuteurs soient très présents dans les relations que les premiers entretiennent avec les seconds. C’est en ce sens que la France doit jouer, par exemple, de sa proximité avec le Brésil avec lequel elle a la plus grande frontière terrestre au travers de la Guyane, pour entretenir une relation privilégiée avec ce grand pays. De même la France doit savoir investir sur la diversité de sa population pour bâtir une nouvelle stratégie d’influence.

40Il est donc certain que la nouvelle diplomatie économique ne peut se faire qu’avec des hommes et des territoires, et il semble bien que nous ayons les deux.

Conclusion

41Le débat sur la mondialisation, loin d’être achevé, doit être remis sur la table car pour l’instant il a essentiellement servi d’épouvantail. Pourtant, la perception communément admise est que nous pouvons faire l’économie d’un tel débat. Quoi que fasse la France et quoi que décident les Français dans leurs choix électoraux futurs, nous devrons composer avec des puissances dites émergentes que l’on appelle aujourd’hui Chine, Inde, Brésil notamment mais qui se nommeront aussi demain, en plus de celles que nous venons de citer, Indonésie, Turquie, Colombie, Nigéria. La tendance ne s’inversera pas, bien au contraire. Plus la France attendra, plus elle aura des difficultés à s’adapter à ce nouvel ordre mondial.

42Nous devons aussi réfléchir aux moyens d’accéder aux nouveaux marchés ou encore aux logiques complexes de market access : adaptation de notre production à la demande internationale, lobbying affiché comme savent le faire certains de nos concurrents, présence massive sur les marchés cibles ou encore actions concertées des acteurs – grands groupes, PME, experts – pour que s’installe une véritable dynamique de déploiement à l’international. Sans oublier bien sûr d’intégrer les enjeux de gouvernance et d’éthique qui sont essentiels dans un environnement où la réputation et l’image sont devenues des éléments critiques dans la valorisation de nos entreprises.


Date de mise en ligne : 04/07/2014

https://doi.org/10.3917/geoec.069.0151

Notes

  • [1]
    En moyenne sur le 3ème trimestre 2013, le taux de chômage au sens du BIT, une fois neutralisé l’effet lié à la rénovation du questionnaire 2013, s’élève à 10,9 % de la population active de la France, y compris dans les DOM. En France métropolitaine, le taux de chômage atteint 10,5 %, en hausse de 0,1 point par rapport au 2ème trimestre 2013. Sur un an la hausse est de 0,6 point (Source : INSEE, Enquête emploi - IR. déc 2013).
  • [2]
    http://www.oecd.org/pisa/keyfindings/PISA-2012.
  • [3]
    INSEE, France, Portait social – Éditions 2013, novembre 2013.
  • [4]
    Cf. A. Montebourg, Votez pour la mondialisation, Flammarion, Paris, 2011 ; ou encore J. Sapir, La démondialisation, Le Seuil, Paris, 2011.
  • [5]
    Émilie Levêque fait observer un paradoxe chez les Français qui se singularisent des autres citoyens des pays occidentaux par leur défiance persistante à l’égard de la mondialisation, qu’ils diabolisent à l’envie.
  • [6]
    Cf. Minc-Montebourg : deux visions du monde, Challenges.fr, 25 septembre 2011. En réalité, l’émergence de la Chine dans les échanges internationaux est plus ancienne. L’économiste et sinologue Françoise Lemoine fait observer que la montée de la Chine dans les échanges internationaux s’est amorcée dès 1979. Les échanges chinois ont progressé trois fois plus vite que le commerce mondial ; ses exportations comme ses importations ont augmenté de 15 % par an, et les échanges mondiaux de 5,5 % par an.
  • [7]
    N. Fert, Pourquoi les Français ont-ils peur de la mondialisation ?, 17 avril 2012.
  • [8]
    Pour N. Fert, alors que les Français pensaient encore en majorité faire partie des bénéficiaires de celle-ci en 2007, cette perception s’est inversée en 2012 : 50 % des Français estimaient ainsi en janvier 2012 que la mondialisation de l’économie profite avant tout aux pays émergents comme la Chine, l’Inde et le Brésil, seuls 16 % pensant qu’elle profite avant tout aux pays occidentaux et 13 % à tous les pays et deux Français sur trois (61 %) voient l’économie française être rattrapée d’ici 50 ans par des pays comme le Mexique, la Thaïlande ou le Nigéria, alors même que les écarts de niveau de vie restent aujourd’hui très importants. 29 % estiment même que l’économie de la France sera dépassée par celles de ces pays.
  • [9]
    S. Lauer, Le monde, et d’après une étude réalisée par Price Waterhouse Coupers (PWC), 14 mai 2010.
  • [10]
    M. Chevalier, Alternatives Économiques, n°301, avril 2011.
  • [11]
    Le Figaro, 18 mars 2013.
  • [12]
    Déclaration du Premier Ministre le 3 décembre 2013, source AFP.
  • [13]
    J.-C. Beaujour, « Anglais à l’Université : allez jusqu’au bout ! », Les Échos, 12 juin 2013.
  • [14]
    P. Pierre, « Les usines à brevets pour relancer la compétitivité de l’innovation », Les Échos, 30 juillet 2013.

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