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Article de revue

"Personal Shopper" : le conseiller en luxe

Pages 67 à 73

1Géoéconomie – Quelles sont les caractéristiques de la profession de personal shopper et comment se décline-t-elle avec la culture du luxe ? Qu’est-ce qui caractérise votre activité en termes de service et de conseil ?

2Isabelle Dubern – Le personal shopper est un expert qui offre des services de conseil à ses clients et les accompagne dans le choix de leurs achats en fonction de leur style et de leurs goûts : mode, mobilier, cadeaux, tourisme et loisirs. Le métier de personal shopper commence à être bien identifié et médiatisé car toutes les maisons de luxe cherchent de nouveaux moyens de recruter des clients.

310 Vendôme, la société que je dirige, est née de l’envie de donner à des clients internationaux les clés d’un Paris raffiné et confidentiel : accès à des grandes maisons de luxe comme à des artisans d’art, aux maisons privées et aux hôtels particuliers cachés, à des rencontres d’exception… Le personal shopping est l’une des activités de la société mais le conseil représente l’essentiel du chiffre d’affaires.

4Grâce à son expertise indépendante et à la singularité de son approche, 10 Vandôme a noué un partenariat avec le Bon Marché. Ce magasin mythique, propriété de LVMH, offre deux services de conseil en mode, pour les femmes et pour les hommes, et, depuis quelques semaines, un service de décoration.

5Avec une conception du service absolu : des stylistes de mode reconnus et des décorateurs établis conseillent les clients du Bon Marché à des honoraires fixes et accessibles. 10 Vendôme a conçu ces services et sélectionné les intervenants que nous gérons toute l’année. Notre référence : les palaces d’aujourd’hui, chaleureux, imaginatifs et la volonté toute simple de faire plaisir aux clients… Enfin, le Bon Marché externalise auprès de 10 Vendôme ses services de conciergerie offerts à l’ensemble de sa clientèle.

6G. – Observez-vous une évolution de la nature du luxe ? Existe-t-il un véritable luxe (intemporel, universel) ? Comment interprétez-vous dès lors les phénomènes de « masstige » ?

7I. D. – Le luxe a connu différentes évolutions dont les déclinaisons sont intimement liées aux phénomènes sociaux et économiques. Très tôt, certains États ont su affirmer leur savoir-faire et leur spécificité, notamment l’Italie, et bien sûr la France, où le concept de luxe à la française a été défini par Louis XIV dans l’optique d’établir un artisanat de grande qualité pour contrer les productions italiennes. Ces pays ont développé une véritable culture de luxe qui leur est propre. Il s’agit bien sûr d’une richesse nationale, mais également d’un moyen pour se distinguer et affirmer sa propre culture. Toutefois, à chaque époque, le luxe a connu des excès comme nous venons de le vivre au cours des dernières années.

8Celles-ci ont été marquées par l’accélération du processus de mondialisation économique et culturelle. La forte intégration des nouveaux marchés a certes généré des avantages en termes de concurrence et d’accessibilité, avec des répercussions importantes sur la production de luxe de chaque pays.

9Le génie des maisons de luxe a été de rendre accessible à tous la part de rêve induite dans toute production, grâce à un marketing aussi imaginatif que les nouveaux produits mis sur le marché, et en même temps de satisfaire cette tendance dans le respect de la vraie nature du luxe, spécifique et universelle à la fois.

10G. – Quel est le profil de vos clientes ? Quelles sont leurs constances ? Quelle est selon vous la part de leur imaginaire et celle de leurs besoins réels en tant que consommatrices de produits de luxe ?

11I. D. – Les clients qui normalement bénéficient du service de personal shopper appartiennent souvent aux classes aisées voire fortunées. Ils font souvent partie du monde de la mode et du spectacle. Généralement, il s’agit d’une clientèle qui a peu de temps à consacrer à ce type d’achats qui nécessitent quelques recherches. En outre, il convient de remarquer que ces dernières années les grandes entreprises multinationales ont souvent confié aux personal shoppers la mission de sélectionner les fournisseurs les plus qualifiés pour la création de services de haute gamme. Cette personnalisation du service est motivée par la quête de l’excellence du savoir-faire, le soin du détail ainsi que la valeur qualitative des produits.

12En ce qui concerne 10 Vendôme, le profil des clients est très varié. Il s’agit de la Parisienne qui a pour habitude de se rendre au Bon Marché, gestionnaire de fonds ou avocate d’affaires dont le dress code est contraignant. Son indépendance financière lui offre la possibilité d’assumer une garde-robe féminine et séduisante et d’avoir recours à une professionnelle pour rester au fait des toutes dernières tendances. Les clientes du Moyen-Orient, princesses des émirats ou d’Arabie Saoudite ont recours à nos services et se comportent comme des stars américaines pour avoir toute l’année leur personal stylist. Nous nous appliquons à leur proposer des pièces exclusives et un regard très parisien avec une certaine idée de l’allure et du goût français.

13D’autres nous demandent de leur offrir un Paris rêvé : création d’un bijou en commande spéciale avec Victoire de Castellane chez Dior ou d’un parfum conçu avec le nez de Cartier. Il y a quelques semaines, nous avons organisé l’anniversaire d’une jeune Kazakhe qui a reçu une centaine de ses amis du monde entier au château de Fontainebleau sur le thème de Marie-Antoinette. Nous avons mis à son service tout notre carnet d’adresses pour être à la hauteur de son rêve.

14Enfin, un tiers de notre activité est dédié à l’accueil et au traitement des clients privilégiés des grandes sociétés bancaires, industrielles, pétrolières : dîners dans des lieux privés, accès à des lieux confidentiels, rencontres d’exception… Tous nos clients ont le même désir d’attention, de professionnalisme et de services pour que l’expérience de l’achat du produit de luxe, quel que soit son prix, soit unique et durable.

15G. – Au regard de votre expérience, quels sont les secteurs du luxe où les consommateurs sont les plus actifs ? Pourquoi ? Quels sont selon vous, les types d’achats les « plus risqués » ?

16I. D. – Les secteurs du luxe liés au métier de personal shopper sont très variés. On y retrouve la haute couture, le secteur des cadeaux, l’ameublement, les séjours professionnels et touristiques, les loisirs, la décoration, etc. Toutefois les secteurs les plus impliqués restent la mode, le cadeau et l’organisation d’événements privés ou professionnels de luxe. Les clients ont des besoins liés à leur image mais ils recherchent également le plaisir d’un style raffiné, personnalisé et unique, et entendent profiter du savoir-faire artisanal et de la qualité garantie de produits et de services, étudiés, soignés, ciblés et sûrs.

17Pourtant certains achats sont risqués. Laissez-moi vous donner un exemple. Nous avons décidé de reporter l’ouverture d’un bureau à Moscou afin de nous laisser le temps de connaître le marché russe pour offrir une qualité de conseil unique et adaptée. Tout est allé trop vite en Russie. Les grandes marques se sont précipitées sans vraiment connaître le marché russe et ses attentes. C’est la raison pour laquelle nous voulons aujourd’hui les aider à comprendre qui sont les nouvelles fortunes russes, leur vision du luxe pour ensuite gagner en solidité et en confiance.

18Les marchés chinois et russe sont en fait très loin d’être saturés. Il faut que les grandes maisons profitent des chiffres de croissance impressionnants de ces dernières années même si la conjoncture actuelle invite à la prudence. C’est à travers notre activité qu’elles ont l’opportunité de bien comprendre les spécificités des différents marchés et les attentes de ces clients, et d’investir sur la qualité des produits et des services, trop souvent négligée ces dernières années.

19G. – Dans le cadre de vos dialogues avec les maisons de luxe, percevez-vous la volonté de défendre une certaine idée du luxe à la française ? Si oui, quelles stratégies sont mises en place pour contrer la montée des nouveaux acteurs internationaux et lutter contre la contrefaçon ?

20I. D. – Le luxe se décline selon le pays ciblé. Pourtant, j’ai le sentiment qu’en France chaque Français se sent un peu propriétaire du luxe national et je pense que nos grandes marques de luxe sont les meilleurs ambassadeurs de la France à l’étranger. Chacun veut voir derrière un sac de Chanel ou un Birkin d’Hermès un atelier d’artisanat. C’est ce savoir-faire qu’il faut absolument valoriser et surinvestir, fort des résultats de récentes études qui démontrent que les marques françaises détiennent le tiers du marché du luxe mondial.

21Les maisons françaises arrivent par exemple à faire face à la délocalisation massive des emplois industriels en évitant d’acheter les modèles fabriqués à l’étranger. Elles cherchent ainsi à favoriser le savoir-faire national dans des secteurs comme la joaillerie, la parfumerie ou la maroquinerie, en produisant à domicile et en vendant à de nouveaux milliardaires des pays émergents, une sorte de « délocalisation à l’envers ».

22Les grands groupes comme PPR, LVMH ou Chanel soutiennent naturellement l’idée d’un luxe à la française, notamment exprimée par la création de diverses organisations, comme le comité Colbert qui regroupe aujourd’hui 70 maisons de luxe françaises et dont le but est de promouvoir le savoir-faire français au niveau national et international.

23L’idée d’un luxe à la française se retrouve également en matière de lutte contre la contrefaçon des produits de luxe. Les grandes maisons françaises se battent depuis longtemps contre ce phénomène, qui, grâce à ce capital de sympathie et ce sentiment d’orgueil national, est encore plus connu que la contrefaçon des médicaments ou des armes. Les stratégies mises en place pour lutter contre la contrefaçon sont nombreuses. Elles peuvent être développées au niveau national ou international, en créant par exemple des instruments communautaires qui se déclinent au niveau industriel, juridique ou des investissements financiers et qui visent à la sauvegarde du made in. Qu’il s’agisse d’initiatives de la communauté européenne, de regroupement de différentes marques ou du renforcement de maisons spécifiques, le but recherché est la défense de la propriété intellectuelle et la mise en place de stratégies de protection du savoir-faire et de l’unicité du luxe, quelle que soit son origine.

24Reste que certaines petites maisons françaises n’auront pas les moyens d’attendre la fin de la crise et qu’elles vont disparaître avec leur savoir-faire. Pour contrer la montée des nouveaux acteurs internationaux et lutter contre la contrefaçon, il est donc aujourd’hui plus que jamais essentiel de sensibiliser les consommateurs à la valeur de la provenance et de la qualité des produits et des services qu’ils recherchent. Enfin, si nous sommes les héritiers de siècles de création, nous avons de gros progrès à faire pour améliorer la qualité des services…

25G. – Percevez-vous, suite à la crise, des nouveaux actes de consommation ? Le luxe ne serait-il pas une valeur refuge ?

26I. D. – Pour moi, l’un des bénéfices et des espoirs de cette crise, c’est que le client, même très fortuné, va pouvoir exiger des maisons de luxe une qualité et un service irréprochable avec un prix juste. Je suis certaine que des maisons comme Chanel, Hermès ou Cartier peuvent représenter plus que toutes autres des valeurs refuges si elles tiennent leurs promesses de qualité extrême et de production européenne.

27Le consommateur de produits et de services de luxe, comme il le ferait pour des achats alimentaires, va consommer moins mais mieux avec une très grande exigence quelle que soit sa fortune. Même si une nouvelle typologie de consommation liée à la recherche d’accessibilité des prix est en train de voir le jour, les achats sur Internet sont d’ailleurs une manifestation de ces comportements, il importe dans une période difficile comme celle que nous traversons de ne pas trahir la confiance des clients. Ceux-ci renoncent à des achats fréquents, mais ils ne renonceront jamais à l’excellence du service ni à la qualité du produit.

28Aujourd’hui le luxe est devenu plus accessible grâce à une concurrence plus ouverte entre les différents acteurs du secteur au niveau national et surtout international. Le noyau d’une clientèle de niche très fortunée constitue encore un petit monde plus à l’abri des effets de la crise. Nous pouvons donc parler d’un luxe qui semble se diriger vers une offre binaire : le « grand luxe » se développe en parallèle d’un « luxe abordable », tout en sauvegardant la nature du premier perçu comme un refuge.

29G. – Si vous deviez imaginer l’évolution de votre profession d’ici 2020, comment se définirait-elle par rapport aux tendances actuelles ? Comment imaginez-vous 10 Vendôme dans un avenir proche ?

30I. D. – Nous sommes une toute petite société et je considère mon activité comme relevant de l’artisanat de haut niveau. J’espère conserver les différentes composantes de la société qui ont fait notre succès : une vraie liberté d’expression face aux maisons de luxe, une approche indépendante issue de l’expertise indéniable de chaque collaborateur de 10 Vendôme et d’un savoir-faire unique qui s’adapte aux exigences de nos clients.

31Le succès de notre service continuera à être garanti par la recherche du meilleur équilibre entre les goûts, les désirs, et les attentes des clients. Nous allons développer nos activités auprès d’une clientèle privée internationale pour lui offrir l’accès privilégié à un Paris ultra-raffiné qui va d’une visite d’atelier de joaillerie à un dîner avec un antiquaire renommé ou un défilé de haute couture. Dans le cadre d’un service de luxe plus général, notre intérêt est aussi celui de faire découvrir et apprécier le luxe et l’art de vivre à la française, au cœur de la ville qui en est le symbole pour le monde entier.

32Conseiller les maisons de luxe est aussi un objectif : études des attentes des nouvelles fortunes dans le monde en échappant aux poncifs du marketing. Il s’agit d’un service de plus en plus demandé pour lequel nous mettons le même enthousiasme que celui que nous offrons aux particuliers afin que ces maisons puissent satisfaire les besoins d’une clientèle de plus en plus exigeante.

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