Notes
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[*]
Jean-Paul Maréchal est maître de conférences en science économique à l’université Rennes 2 Haute Bretagne et rédacteur en chef adjoint de la revue Géoéconomie. Ce texte est initialement paru, sous une forme légèrement différente, dans Perspectives Chinoises (n° 1, 2007) dans le cadre d’un dossier intitulé : « Réchauffement climatique : l’enjeu chinois ».
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[1]
CMED, Notre avenir à tous, Montréal, Les Éditions du Fleuve, 1988 (première édition anglaise 1987).
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[2]
Sur l’histoire du développement durable, voir Jean-Paul Maréchal, « De la religion de la croissance à l’exigence de développement durable », Géoéconomie, n° 31, automne 2004, pp. 151-177.
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[3]
CMED, Notre avenir à tous, op. cit., p. XXIII.
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[4]
Ibid., pp. 10-11.
-
[5]
Cécile Renouard, La responsabilité éthique des multinationales, PUF, Paris, 2007, p. 39.
-
[6]
CIA, Le Rapport de la CIA. Comment sera le monde en 2020 ?, Robert Laffont, Paris, 2005, p. 90. On lira également le rapport au Pentagone rédigé par Peter Schwartz et Doug Rendall, « An Abrupt Climate Change Scenario and Its Implications for United States National Security », Global Business Network, octobre 2003, consultable sur Internet.
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[7]
Voir Jean-Paul Maréchal, « L’éthique économique de la Bible », L’Économie politique, n° 27, juillet 2005, pp. 66-81 et « L’éthique écologique de la Bible », Écologie & Politique, n° 33, 2006, pp. 187-200.
-
[8]
Joseph E. Stiglitz, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, Fayard, Paris, 2006, p. 364.
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[9]
Georges Bernanos, La liberté pour quoi faire ?, Gallimard, Paris, 1953.
« Il ne manque vraiment que la volonté politique »
1Il y a tout juste vingt ans, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED) publiait un rapport destiné à faire date. Intitulé Notre avenir à tous – mais plus communément désigné depuis sous le nom de Rapport Brundtland en référence à son auteur, Gro Harlem Brundtland alors Premier ministre de Norvège – ce document [1] allait lancer dans le débat public une notion appelée à un brillant avenir : le développement durable [2].
2Né du constat que le mode de fonctionnement de la sphère économique risque de compromettre à plus ou moins brève échéance l’habitabilité de la Terre, la notion de développement durable vise à fonder une pratique écologiquement et socialement responsable de la vie économique. Ainsi, selon le Rapport Brundtland – qui affiche pour ambition de « formuler une approche intégrée et interdisciplinaire de nos problèmes globaux et de notre avenir à tous » [3] en vue d’améliorer le sort des êtres humains nés ou à venir –, un processus de développement est dit « durable » lorsqu’il permet de « répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs ». Plus précisément, le développement durable est « un processus de changement dans lequel l’exploitation des ressources, le choix des investissements, l’orientation du développement technique ainsi que le changement institutionnel sont déterminés en fonction des besoins tant actuels qu’à venir » [4]. Un tel programme, au contenu éthique évident, appelle la mise en œuvre d’une double solidarité intra générationnelle (notamment en direction des plus démunis) et intergénérationnelle (à l’égard des générations futures).
3En fait, l’intérêt du développement durable ne réside pas dans une nouvelle théorie que cette expression désignerait (les débats d’interprétation sont nombreux et parfois rudes) mais dans le fait d’avoir, depuis maintenant vingt ans, constitué l’étendard sous lequel a été entreprise et conduite une réflexion globale sur les finalités ultimes de la vie et de la pensée économiques. Le développement durable constitue en fait l’un de ces thèmes fédérateurs, l’une de ces « utopies fécondes » qui permettent « de maintenir un avenir sensé pour la collectivité » [5], autour desquels peuvent se retrouver chercheurs et militants, élus et décideurs économiques, experts et citoyens.
4Certes, une telle expression peut faire l’objet de récupérations intéressées, servir de paravent à la poursuite sans états d’âme d’intérêts particuliers. Mais n’en va-t-il pas de même de toute notion à dimension morale ? Renoncer à un idéal en raison des dévoiements dont il peut être l’objet ne revient-il pas à se condamner au statu quo tant on sait, depuis les travaux d’Albert Hirschman, que pointer systématiquement les effets négatifs de toute mesure progressiste constitue l’une des figures de la « rhétorique réactionnaire » ? Des massacres ont été commis par des systèmes qui se prétendaient dépositaires de l’idéal d’égalité. Faut-il pour autant renoncer à la poursuite d’une aspiration aussi fondamentale de l’être humain ? D’autres ont asservi leurs citoyens en s’autoproclamant défenseurs de la liberté. Cela fait-il de cette dernière une valeur intrinsèquement dangereuse ? Seuls les doctrinaires, les cyniques (les deux allant parfois de pair) et les naïfs qui confondent préférence affichée et préférence révélée peuvent soutenir de telles aberrations.
5Qui peut honnêtement affirmer que depuis le Sommet de la Terre tenu à Rio en 1992, c’est-à-dire depuis le moment où le développement durable a acquis une notoriété véritablement planétaire, les choses n’ont pas (un peu) évolué dans le bon sens ? Si tout angélisme doit être banni dans des domaines où les intérêts et les convictions s’entrechoquent, il n’en est pas moins impossible de nier que, certes, avec des résultats mitigés et une lenteur regrettable, la question de la « durabilité » sociale et environnementale du mode de fonctionnement de nos économies est désormais inscrite au cœur du débat public et sur l’agenda politique tant au niveau national qu’international.
6La fécondité de la notion de développement durable est donc, si on voulait le dire rapidement, non seulement de permettre de décrire des faits (un mode de fonctionnement d’une économie donnée peut être qualifié ou non de durable à l’aune de certains indicateurs) mais encore de produire des effets (modifier les représentations des acteurs et donc influer sur leurs décisions). Or, c’est cette dimension « performative » du discours sur le développement durable qui nous paraît être sous-estimée par nombre de ses détracteurs.
7Un rapport prospectif de la CIA paru en 2005 ne mentionnait-il pas : « Au cours des 15 prochaines années, la place de plus en plus centrale des questions éthiques, anciennes ou nouvelles, aura le potentiel de diviser les opinions mondiales et de mettre à l’épreuve le rôle dirigeant des États-Unis. Ces questions concernent l’environnement et le changement climatique, la sphère de la vie privée, le clonage et les biotechnologies, les droits de l’homme, les règles internationales de régulation des conflits et le rôle des institutions multilatérales » [6] ?
8Certes, tenir compte de l’homme et de la nature dans nos décisions n’est pas une idée neuve [7] mais, comme le dit Joseph Stiglitz à propos d’une des mesures qu’il propose pour humaniser la mondialisation, c’est sans doute une idée dont « l’heure est venue » [8].
9Il faut donc se féliciter que la Constitution de la Ve République comporte, depuis 2004, une Charte de l’environnement qui rappelle notamment que « la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles » et qui proclame, par son article 6, que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable » et, qu’à cet effet, elles doivent concilier « la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement et le progrès social ». C’est dans ce sens que s’est conclu le 25 octobre dernier le « Grenelle de l’environnement » lancé par le nouveau président de la République juste après son élection. Le terme « Grenelle » renvoyant aux accords signés en mai 1968, c’est-à-dire à une rencontre multipartite, il s’est agit de faire débattre des représentants de l’État, des collectivités locales, des ONG, des employeurs et des salariés autour de six thèmes allant de la lutte contre les changements climatiques à la construction d’une démocratie écologique en passant par l’adoption de modes de production et de consommation durables afin de fixer un nouveau cap à la politique d’environnement et de développement durable de la France. Un certain nombre de mesures ont été annoncées dans les domaines de la fiscalité écologique, de l’agriculture, de la biodiversité, des OGM, des transports, de la santé, de l’énergie et du bâtiment. Mais pour que le développement durable devienne véritablement un facteur structurant de la politique économique nationale, encore faudra-t-il trouver des financements à la hauteur des enjeux. Les prochains mois nous apprendront si ce défi sera relevé. On ne peut que le souhaiter. Le jour même où s’achevait le « Grenelle de l’environnement », le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) publiait à New York son rapport quadriennal (« Geo 4 ») sur l’avenir de la planète. Celui-ci insiste sur la gravité de la situation et souligne que notre avenir écologique est suspendu à un certain nombre de décisions politiques. Il montre notamment que le recours à la logique du marché serait le pire des scénarios pour l’avenir de la biosphère.
10En matière de développement durable toute exhaustivité étant hors de portée, nous avons décidé, dans le cadre de ce dossier, de donner quelques coups de projecteur sur certaines dimensions essentielles de l’exigence de « durabilité ». Un premier article (Benjamin Dessus) examine les pistes de solution envisageables pour éviter une catastrophe climatique liée à une consommation abusive d’énergie. On voit ensuite (Jean-François Huchet et Jean-Paul Maréchal) comment l’examen de la croissance économique chinoise peut aider à penser l’articulation entre éthique et modèle de développement. Puis c’est la stratégie communautaire de lutte contre les changements climatiques et les négociations en vue de l’« après-Kyoto » qui est analysée (Béatrice Quenault). Mais le développement durable concerne également les aspects purement sociaux de la vie économique. D’où un article (Cécile Renouard) consacré à la responsabilité sociale des entreprises et en particulier à celle des multinationales déployant une partie de leurs activités dans les pays du Sud. Enfin, l’équité dans le commerce international est également un thème de toute première importance. C’est l’objet de la contribution finale (Anna Lipchitz et Thierry Pouch) sur les mutations des marchés mondiaux du café et du cacao.
11Nous espérons que ces articles aideront le lecteur à mieux saisir certains des enjeux essentiels pour les habitants de notre planète. Qu’ils le convaincront que dans de nombreux domaines l’urgence de l’action s’impose et, aussi, qu’il n’existe aucune fatalité.
12Comme l’écrivait Bernanos [9] au milieu d’un « court XXe siècle » riche tout à la fois en promesses et en désillusions, on ne doit pas attendre l’avenir « comme on attend le train ». « L’avenir est quelque chose qui se surmonte. On ne subit pas l’avenir. On le fait. »
Notes
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Jean-Paul Maréchal est maître de conférences en science économique à l’université Rennes 2 Haute Bretagne et rédacteur en chef adjoint de la revue Géoéconomie. Ce texte est initialement paru, sous une forme légèrement différente, dans Perspectives Chinoises (n° 1, 2007) dans le cadre d’un dossier intitulé : « Réchauffement climatique : l’enjeu chinois ».
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[1]
CMED, Notre avenir à tous, Montréal, Les Éditions du Fleuve, 1988 (première édition anglaise 1987).
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[2]
Sur l’histoire du développement durable, voir Jean-Paul Maréchal, « De la religion de la croissance à l’exigence de développement durable », Géoéconomie, n° 31, automne 2004, pp. 151-177.
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[3]
CMED, Notre avenir à tous, op. cit., p. XXIII.
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[4]
Ibid., pp. 10-11.
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[5]
Cécile Renouard, La responsabilité éthique des multinationales, PUF, Paris, 2007, p. 39.
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[6]
CIA, Le Rapport de la CIA. Comment sera le monde en 2020 ?, Robert Laffont, Paris, 2005, p. 90. On lira également le rapport au Pentagone rédigé par Peter Schwartz et Doug Rendall, « An Abrupt Climate Change Scenario and Its Implications for United States National Security », Global Business Network, octobre 2003, consultable sur Internet.
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[7]
Voir Jean-Paul Maréchal, « L’éthique économique de la Bible », L’Économie politique, n° 27, juillet 2005, pp. 66-81 et « L’éthique écologique de la Bible », Écologie & Politique, n° 33, 2006, pp. 187-200.
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[8]
Joseph E. Stiglitz, Un autre monde. Contre le fanatisme du marché, Fayard, Paris, 2006, p. 364.
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[9]
Georges Bernanos, La liberté pour quoi faire ?, Gallimard, Paris, 1953.