Genèses 2020/4 n° 121

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Article de revue

Les origines coloniales de la violence

Le cas de l’Organisation armée secrète

Pages 3 à 30

Notes

  • [1]
    Charles-Robert Ageron (2005) indique le chiffre de 1 622 morts et 5 148 blessés.
  • [2]
    Voir notamment les travaux fondateurs de Christopher Browning (2007 [1992]) sur l’extermination des juifs d’Europe de l’Est et plus récemment les travaux sur le génocide tutsi au Rwanda (McDoom 2013).
  • [3]
    La Cour de sûreté de l’État est une juridiction d’exception mise en place par le général de Gaulle en 1963 et qui recourt à des moyens de procédure dérogatoire pour juger les illégalismes politiques (Codaccioni 2015).
  • [4]
    L’organisation est séparée en deux branches : l’OAS-Métropole et l’OAS Algérie-Sahara qui désigne elle-même un ensemble comprenant l’OAS d’Alger, de l’Oranie et du Constantinois.
  • [5]
    La catégorie de « colon » désigne parfois les catégories socio-professionnelles rurales. Nous ne l’utilisons pas ici dans ce sens mais pour différencier les inculpés (dont la plupart sont nés en Algérie) des métropolitains et pour souligner la centralité de la socialisation coloniale dans leurs trajectoires de vie. La catégorie administrative « Européens » est préférée quand il s’agit de restituer les points de vue des acteurs qui n’utilisent pas le terme de colons pour s’auto-définir.
  • [6]
    Ces deux catégories n’épuisent pas la totalité des 62 membres du réseau. Les fonctions de certains inculpés n’ont pas été renseignées en raison de leur acquittement ou d’un manque d’informations à leur propos.
  • [7]
    Mostaganem n’échappe pas au mouvement de nostalgie qui amène des anciens colons à partager leurs souvenirs de l’Algérie (Ruscio 2015). On trouve de nombreux témoignages anonymes à partir d’une simple requête « Mostaganem » sur un moteur de recherche.
  • [8]
    Afin de faciliter la lecture, cette terminologie coloniale, dont nous avons conscience qu’elle est porteuse de multiples assignations raciales problématiques, sera utilisée sans guillemets dans la suite du texte.
  • [9]
    Archives nationales d’outre-mer (désormais ANOM), 1Y/273, Plan d’action communal, 1946.
  • [10]
    Résultats statistiques du dénombrement de la population effectué le 31 octobre 1948, vol. 1 : Population légale ou de résidence habituelle. Répertoire statistique des communes d’Algérie, Alger, Service de statistique générale, n. d.
  • [11]
    ANOM, 1Y/273, Plan d’action communal, 1946.
  • [12]
    ANOM, 1Y/273, Plan d’action communal, 1946.
  • [13]
    Service historique de la Défense, 1H1229, Monographie de Mostaganem, juillet 1959.
  • [14]
    Les sections administratives urbaines (SAU) sont l’équivalent, pour les villes, des sections administratives spécialisées (SAS) des zones rurales. Les autorités ont pris prétexte de la sous-administration du territoire algérien pour mettre en place ces unités dirigées par des militaires et des civils et chargées de contrôler les populations algériennes à travers un mélange d’action sociale, de contrôle militaire et de propagande.
  • [15]
    Archives nationales, 5W 49, Comptes rendus quotidiens de l’armée du 31 juillet 1961 au 18 juin 1962.
  • [16]
    Lettre à la Cour de sûreté de l’État, 28 novembre 1963.
  • [17]
    Marc Ripoll, « Mémoires d’un zougueb », billet de blog du 24 février 2012. URL : http://marcripoll.unblog.fr/tag/mostaganem/.
  • [18]
    Lettre à la Cour de sûreté de l’État, 28 novembre 1963.
  • [19]
    Lettre à la Cour de sûreté de l’État, 28 novembre 1963.
  • [20]
    Voir à ce propos le commentaire que Nicolas Mariot (2003) a proposé de la controverse entre les historiens Christopher Browning et Daniel J. Goldhagen.
  • [21]
    Le Monde, 17 septembre 1960.
  • [22]
    Archives nationales, 5W 49, Comptes rendus quotidiens de l’armée du 31 juillet 1961 au 18 juin 1962.
  • [23]
    On obtient un pourcentage légèrement plus élevé (égal à 0,45 %) si l’on prend en compte les combattants qui ont échappé à la justice. Selon les estimations d’Arnaud Déroulède (1997) le réseau de Mostaganem n’a jamais dépassé les 95 combattants actifs.
  • [24]
    Lettre à la Cour de sûreté de l’État, 28 novembre 1963.
  • [25]
    ANOM, 1Y/273, Plan d’action communal, 1946.
  • [26]
    Résultats statistiques du dénombrement de la population effectué le 31 octobre 1948, vol. 1 : Population légale ou de résidence habituelle. Répertoire statistique des communes d’Algérie, Alger, Service de statistique générale, n. d.
  • [27]
    L’Ain Sefra, mercredi 31 janvier 1962, 79e année, n° 4167.
  • [28]
    Les mots en italique sont soulignés dans le texte. La mise en forme du texte et le niveau de langue ont été maintenus.
« L’un de nos lieux de rencontre habituel était le café des Flots bleus à la Salamandre. Nous n’avions pas besoin de nous dire que nous étions OAS : nous comprenions tous, en nous trouvant, que nous étions prêts à servir dans ou pour le compte de cette organisation ».
(Procès-verbal d’audition, ouvrier soudeur, 28 ans, 23 octobre 1962)
« Je ne me dissimule pas que certaines actions peuvent prêter à critiques et engendrer quelques erreurs regrettables. On ne fait pas la guerre, on ne descend pas dans la rue ni avec des enfants de chœur ni avec des “gens de salon” mais avec des hommes de main courageux et, il faut bien le reconnaître, dépouillés de considérations mondaines ».
(Instructions du général Salan, 2 février 1961, cité dans OAS parle : 170)

1Les « erreurs regrettables » que le général Raoul Salan, fondateur et dirigeant de l’Organisation armée secrète (OAS), mentionnait dans ses instructions datées de février 1961 sont maintenant bien connues des historiens de la guerre d’Algérie. En usant de cet euphémisme, Salan donnait son blanc-seing aux massacres commis dans les derniers mois du conflit et qui provoquèrent la mort de plus d’un millier de personnes [1]. Mais l’hommage que Salan rend à ses « hommes de main » signale aussi sa connaissance spontanée de la sociologie de l’OAS et des jeunes civils sans expérience politique qui forment la base de son organisation. Il n’en est pas de même des chercheurs qui se sont peu intéressés aux colons ordinaires recrutés dans les derniers mois de la guerre. On ne sait rien, en particulier, des raisons qui ont amené ces jeunes hommes à assassiner des Algériens dont certains étaient des voisins ou des collègues qu’ils côtoyaient quotidiennement. On touche ici à un problème déjà largement abordé dans les travaux sur les violences extrêmes [2] mais, de manière surprenante, jamais soulevé à propos d’une guerre dont les historiens s’accordent pourtant à reconnaître qu’elle a profondément « gangréné » l’histoire contemporaine de la France et ses relations avec son ancienne colonie (Stora 2005).

2Les archives de la répression menée au sortir de la guerre par la Cour de sûreté de l’État [3] qui a jugé les crimes de l’OAS offrent au chercheur un accès privilégié à ces agents ordinaires de la violence. L’analyse qui suit ne vise pas à dresser un portrait type des combattants passés par les cours de justice d’exception ; une telle opération typologique conférerait une cohérence artificielle à une organisation fonctionnant en réseaux décentralisés selon des logiques territoriales différentes [4]. Il s’agit plutôt de comprendre comment les parcours combattants s’ancrent dans les structures coloniales des villes algériennes et les transformations qu’elles connaissent avec la guerre d’indépendance. L’« affaire Mostaganem » constitue un objet qui se prête particulièrement bien à ce type d’analyse « par cas » (Passeron et Revel 2005) des passages à la violence. Les magistrats ont désigné par ce nom le démantèlement puis le procès d’un réseau terroriste dont 62 membres furent jugés par la Cour de sûreté de l’État en décembre 1963, et condamnés à des verdicts allant de l’acquittement à la peine de mort. Les quelque huit mille pages de procédure qu’a laissées cette affaire judiciaire (Encadré) contiennent des données précieuses pour expliquer les logiques qui ont mené une minorité de colons de cette ville de 70 000 habitants, à tuer, en l’espace de deux mois et demi, 129 personnes, dont des femmes, des enfants et des personnes âgées.

3L’enquête monographique permet d’établir que les combattants ont pris des rôles de vigies des frontières coloniales. La mission qui leur fut confiée de protéger la « ville européenne » a actualisé des politiques de ségrégation datant de la conquête. Mais il s’agissait aussi d’une tâche concrète et urgente qui fut d’autant plus spontanément investie qu’elle était ajustée aux dispositions acquises au cours de leur socialisation dans les groupes de pairs masculins de cette ville ségréguée. Cet article défend donc la thèse que les massacres commis par les colons [5] ordinaires dans les derniers mois de la guerre constituent une manière d’agir étroitement ajustée à l’ordre colonial et patriarcal qui a structuré leur existence en temps de paix, et fut donc susceptible d’être vécue sur le mode de l’évidence préréflexive.

4L’article comporte trois parties. Il offre d’abord une lecture critique des travaux sur les violences commises par les colons en Algérie. Il montre ensuite l’importance décisive des spatialités coloniales dans le déclenchement des violences à partir d’une analyse de l’écologie des tueries. Enfin, il propose une analyse microsociale qui montre que la violence prend sa source dans les sociabilités masculines du temps de paix.

Tueurs et structures coloniales : des médiations introuvables

5Les généraux déserteurs qui ont fondé l’OAS en février 1961 à Madrid, dans le but de faire échouer le processus d’indépendance de l’Algérie entamé par le général de Gaulle, l’ont conçue comme une organisation dotée d’un état-major qu’ils entendent diriger comme une véritable armée. Ils recrutent dans les premiers temps des militaires déserteurs et des civils rompus aux techniques militaires. Les historiens invitent néanmoins à la prudence quant à la véritable force de frappe d’une organisation qui fait moins figure d’organisation centralisée que de « nébuleuse territorialisée » (Dard 2011) à l’organisation « particulièrement confuse et enchevêtrée » (Ageron 2005 : 527). L’OAS a aussi été qualifiée de « prétendue armée » (ibid.) en raison de ses effectifs qui n’auraient pas dépassé le millier au moment de sa plus grande force. La faiblesse des moyens humains comme le constat du caractère irréversible de l’indépendance après la signature des accords d’Évian expliquent le changement de stratégie des cadres à partir du printemps 1962. Dans des instructions datées de février 1962, Salan donne l’ordre d’un « accroissement à l’extrême du climat révolutionnaire dans les grands centres urbains » (cité dans OAS parle : 173). Cette stratégie de violence totale transforme la composition de l’organisation qui recrute désormais parmi les populations locales de colons. Le recrutement populaire de l’OAS a de longue date été noté et commenté par l’historiographie. Les auteurs des premières monographies de l’organisation l’ont interprété comme le symptôme d’une brutalisation des classes populaires européennes. Anne-Marie Duranton-Crabol a illustré cette thèse en reprenant, sans les livrer à l’analyse critique, les témoignages d’anciens combattants repentis :

6

« Sans s’embarrasser de formule, l’ancien “delta” Paul Mancilla, issu d’une famille ouvrière très pauvre expliquait son engagement ultra par la peur de mourir sous les coups des Arabes […] Encore moins rationnels, les “tourbillons de haine, de racisme, de violence” dans lesquels Pierre Dominique Giacomoni, adolescent algérois, reconnaît avoir été emporté ».
(Duranton-Crabol 1999 : 61)

7Arnaud Déroulède a de son côté objectivé le recrutement populaire de l’organisation à partir d’une intéressante analyse statistique de sources judiciaires. L’interprétation qu’il fournit de cette sociologie de l’OAS réfute néanmoins toute cohérence à la violence des colons qui est systématiquement analysée à partir des manques (d’argent, de culture politique, de rationalité) supposés caractériser les « petits blancs » (Déroulède 1997 : 153) d’Algérie. Au pôle opposé de cette analyse réifiée d’une violence du pauvre, les dirigeants de l’OAS sont décrits par d’autres historiens comme des intelligences froides promptes à mobiliser leur savoir doctrinaire pour manipuler les foules. L’historienne Évelyne Lever (1993) dépeint ainsi Jean-Jacques Susini, dirigeant civil de l’OAS, en « froid doctrinaire de la révolution nationale ». Ces « systèmes d’opposition » (Bourdieu 1983 : 99) servent une analyse du fonctionnement de l’OAS qui présuppose que ses dirigeants « manœuvre[nt] » (Lever 1993 : 227) des classes populaires préalablement constituées par l’analyse en une masse inerte et manipulable.

8En insistant sur le déchaînement raciste ou désespéré des classes populaires européennes, ces premiers travaux sur l’OAS ont contribué à naturaliser les stéréotypes contemporains sur la prédisposition des colons à la violence. Des analyses teintées de mépris de classe et de racisme culturel travaillent en effet les essais que les intellectuels engagés de l’époque consacrent à ceux qu’on nomme alors les Français d’Algérie. L’historien Pierre Nora, jeune professeur agrégé nommé en Algérie, consacre un ouvrage entier à cette population qu’il qualifie « d’inerte levier » vivant dans un « Moyen Âge mental » et à propos de laquelle il pose cette question rhétorique : « si on leur offrait le génocide presse-bouton, combien de Français d’Algérie le refuseraient ? » (Nora 1961 : 206). Son livre suscite un écho favorable parmi l’intelligentsia progressiste. Le journal Le Monde publie le 29 avril 1961 une critique élogieuse qui emprunte à l’auteur l’ensemble de ses stéréotypes :

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« Qui a mieux dit le sentimentalisme coléreux, la bonhomie brutale, l’hospitalité conquérante du peuple de “Bablouette” ou du cours Bertagna, l’extrême éloignement et le compagnonnage suspect des deux communautés, la cohésion criarde du groupe européen, l’éparpillement tragique de la masse musulmane. »

10Au début des années 2000, des travaux ont renouvelé l’historiographie du conflit algérien et complexifié l’analyse de la formation des violences en terrain colonial. Raphaëlle Branche (2007) a proposé une analyse de l’enchevêtrement des violences terroristes et de leur répression étatique. En restituant finement la « percolation continue des violences », son analyse permet de réintégrer les actions de l’OAS dans les échanges de coups et la rivalité mimétique avec le Front de libération nationale (FLN) et l’État. Les combattants ordinaires de l’OAS sont néanmoins absents de cette analyse qui s’en tient à une focale organisationnelle. Grâce à l’exploitation d’archives judiciaires inédites, Sylvie Thénault a comblé ce point aveugle de la recherche en proposant une analyse des profils sociologiques des combattants de l’OAS dans la ville d’Alger. Son article constitue l’analyse la plus aboutie à ce jour des déterminants sociaux de l’enrôlement à l’OAS. L’historienne montre notamment que l’OAS Alger est majoritairement composée d’hommes issus des classes moyennes urbaines, « à l’image du vivier des Français d’Algérie dans laquelle elle recrutait » (Thénault 2008 : 981). Elle reconnaît néanmoins que cette sociologie des profils combattants reste impuissante à expliquer l’origine des violences qui prennent leur source dans l’histoire séculaire de la colonisation française.

11Dans un ouvrage consacré au massacre de Guelma – ville dans laquelle des colons organisés en milice ont, en 1945, tué des centaines d’Algériens – Jean-Pierre Peyroulou s’essaie à cet exercice de quête des origines de la violence. Grâce à un minutieux travail de quantification des dépossessions foncières et des attentats, l’auteur reconstitue la formation d’un « antagonisme communautaire » à l’origine des tueries. Ce travail d’ampleur a pour grand intérêt de réinscrire les violences dans l’histoire longue d’une ville coloniale afin de mieux en saisir les ressorts. Mais cette approche structuraliste – qui consiste « à considérer le fait de massacrer d’autres personnes […] comme un révélateur du fonctionnement d’un système qui, dans certaines conditions, est de nature à produire ce type d’événement » (Peyroulou 2012 : 20) – comporte aussi ses points aveugles. Les termes d’« espace de légitimation pour la violence coloniale » (ibid. : 68) et de « matrice sémantique à son déchaînement futur » (ibid. : 72) sont significatifs d’une analyse qui fait disparaître les configurations concrètes de déploiement des violences pour privilégier l’étude de structures coloniales qui feraient agir les tueurs. En sous-entendant que les structures portent en elles le massacre à venir, l’ouvrage fait l’impasse sur les modalités des passages individuels à la violence. La principale difficulté de cette analyse est qu’elle ne permet pas de comprendre pourquoi seules quelques dizaines de personnes ont participé au massacre alors même que tous les habitants de la ville ont été socialisés dans cet univers colonial. L’ouvrage cède ainsi à l’« illusion étiologique » (Dobry 2009), c’est-à-dire la tendance à focaliser l’analyse sur les causes de la violence au détriment de la description de son déploiement processuel à l’échelle individuelle (Fillieule 2001). Ce faisant, il peine à identifier les médiations concrètes par lesquelles le « système colonial » (Peyroulou : 61) se transforme en implications individuelles dans des tueries. C’est cette pièce manquante de l’argumentation qu’il convient d’identifier si l’on veut comprendre les violences décuplées des derniers mois de la guerre. Dans le cas de Mostaganem, ces médiations sont principalement à trouver dans l’histoire de la ségrégation raciale de cette ville coloniale.

Les combattants comme vigies de l’ordre colonial

12En accordant une attention renouvelée à la « dimension spatiale du fait colonial » (Blais, Deprest et Singaravélou 2011), les historiens de l’Algérie coloniale ont réalisé un pas important dans la compréhension empirique et située des rapports entre le projet de domination des empires et l’ordinaire des populations coloniales. L’espace doit, selon cette approche, être considéré comme un support du pouvoir colonial qui façonne les expériences des populations locales. Si les effets de dépossession de l’espace sur les populations colonisées ont déjà été explorés (Carter 2010), peu de travaux se sont intéressés aux conséquences des spatialités coloniales sur les colons. Le cas de Mostaganem montre que la ségrégation séculaire de la ville a façonné l’idée que les combattants de l’OAS se sont spontanément faite de la mission qu’ils avaient à accomplir. On qualifie ici cette mission de « vigie de l’ordre colonial » pour donner à voir l’importance qu’y joue la surveillance des frontières raciales matérialisées par la ségrégation.

Sources et méthode d’une enquête monographique

L’enquête monographique sur laquelle se fonde cet article articule l’analyse des biographies combattantes et l’analyse socio-spatiale des évolutions historiques d’une ville coloniale. Les documents judiciaires contenus dans le fonds 5W de la Cour de sûreté de l’État dans huit cartons d’environ mille pages chacun (cote 491 à 498) ont été consultés. Les données socio-démographiques standardisées contenues dans les fiches d’état civil des 62 inculpés ont été codées pour constituer une base de données prosopographique. Les données relatives aux fonctions occupées dans le réseau ont également été codées pour identifier les hiérarchies combattantes. Les catégories de « chefs » et d’« exécutants » [6] ont été déterminées à partir des motifs de condamnation retenus par la justice qui distingue le « commandement de bande armée » de la « participation à bande armée ». Afin ne pas naturaliser ces catégories judiciaires, les motifs de condamnation ont été recoupés avec la lecture croisée des procès-verbaux d’auditions qui a permis d’établir que certains combattants disposaient d’une connaissance détaillée du réseau et adressaient des ordres de mission ponctuels à des hommes chargés spécifiquement des attentats ou des assassinats ciblés. Les procès-verbaux d’auditions ont également été mobilisés pour accéder aux ordonnancements combattants du monde, c’est-à-dire aux schèmes catégoriels que les inculpés utilisent pour qualifier leurs victimes et parler de leurs crimes devant les enquêteurs. Parallèlement à ce travail prosopographique, une littérature grise émanant des autorités municipales et militaires a été consultée aux Archives nationales d’outre-mer et au Service historique de la Défense afin d’accéder à la gestion civile et militaire de la ville. Enfin, des textes de mémoires publiés par des colons anonymes originaires de Mostaganem et rapatriés en 1962 ont été consultés pour accéder aux usages quotidiens de la ville [7].

13La division ethnique de l’espace est constitutive de l’histoire des villes coloniales algériennes. Une étude démographique publiée en 1961 signale ainsi la « ségrégation spatiale très profonde » de la ville d’Alger (Descloitres, Descloitres et Reverdy 1961). Mostaganem n’échappe à ce constat, mais la ségrégation y a pour particularité d’être matérialisée par une frontière naturelle qui sépare le quartier de Tigditt dit « indigène » ou « musulman » de la ville dite « européenne » [8]. Après la conquête française de la ville, au milieu du xixe siècle, le centre colonial a été construit de manière à être séparé des quartiers arabes. La ville est coupée en deux par un ravin qui s’étend à certains endroits sur plusieurs centaines de mètres et dans lequel coule un fleuve, l’Aïn Sefra (Figure 1). Cette frontière naturelle marque immédiatement les visiteurs. Un guide de l’Algérie publié en 1909 l’évoque d’emblée pour décrire la ville : « Mostaganem se compose d’une ville européenne et d’une ville indigène, séparées l’une de l’autre par le profond ravin de l’Aïn Sefra » (Jacqueton, Bernard et Gsell 1909 : 148). Ce texte s’accompagne d’un plan de la ville qui localise la ville indigène (Figure 2).

Figure 1

Ravin de l’Aïn Sefra, 27 novembre 1927

Figure 1

Ravin de l’Aïn Sefra, 27 novembre 1927

Source : Louis Abadie, Mostaganem de ma jeunesse, Nice, J. Gandini, 2008.
Figure 2

Plan de Mostaganem, 1909

Figure 2

Plan de Mostaganem, 1909

14Mais si la ségrégation raciale a durablement structuré l’histoire de Mostaganem, elle s’effectue par cycles et s’avère plus ou moins rigide selon les quartiers. Des données de peuplement publiées dans un plan d’action communal en 1946 font état d’un fort repli des Européens dont 98,1 % vivent dans le centre colonial, 1 % dans les quartiers arabes et 0,9 % dans les hameaux alentour. Le centre colonial est néanmoins mixte puisque 37,4 % des Algériens vivent dans cette partie de la ville [9]. Les quartiers populaires sont également marqués par une progressive mixité ethnique. Après le second conflit mondial, le plan Constantine – qui vise à résoudre la crise du logement liée à la forte croissance démographique des villes coloniales – entraîne la construction d’habitations à loyers modérés (HLM) où sont relogées les classes populaires européennes comme algériennes (Péchoux 1972). La mixité ethnique est aussi favorisée par l’installation d’écoles accueillant un public mixte dans les quartiers arabes. Les données du recensement de 1948 montrent enfin que les contacts interethniques sont également nombreux dans certaines catégories socio-professionnelles. Si les catégories supérieures s’avèrent particulièrement fermées au recrutement des Algériens (les Européens constituent 92,8 % de la population des cadres et les Algériens seulement 7,2 %), les catégories populaires présentent une configuration inverse puisque les Européens constituent 41,7 % du salariat ouvrier et les populations musulmanes 58,3 % [10]. Or Mostaganem est une ville industrielle qui compte un nombre important d’ouvriers, comme le signale le plan d’action communal qui évalue leur proportion à 50 % des actifs de la ville [11].

15Mostaganem est donc une ville populaire où se côtoient au quotidien Algériens et Européens sur les lieux d’habitation, de travail et dans les établissements scolaires. Ces processus localisés de mixité ethnique suscitent néanmoins, à Mostaganem comme dans le reste de l’Algérie, l’inquiétude des autorités. L’accroissement démographique des populations algériennes lié à la migration intérieure de travailleurs agricoles pauvres est constitué en problème public grave qui pourrait menacer la sécurité et l’harmonie des villes coloniales. Deux monographies de la ville d’Alger, parues en 1930 et 1961, alertent sur la fragilité grandissante des cloisons séparant les Européens des Musulmans et défendent la thèse d’une possible rupture des « équilibres coloniaux » (Lespès 1930 ; Descloitres, Descloitres et Reverdy 1961). Plusieurs rapports d’experts commandés par les autorités de Mostaganem expriment des préoccupations similaires. En 1946, le plan d’action communal s’inquiète des déplacements de populations arabes au-delà des quartiers qui leur sont réservés :

16

« À Mostaganem comme ailleurs, la crise du logement sévit durement. On voit se développer les “bidonvilles” un peu partout ; on constate aussi que les populations arabes, étriquées dans leurs quartiers, se répandent où elles peuvent, ce qui, compte tenu de leurs coutumes particulières, n’est pas sans aggraver encore la question du logement et sans nuire au développement harmonieux des quartiers [12]. »

17Une monographie de la ville commandée par l’armée en 1959 exprime la même inquiétude :

18

« Dans les “quartiers européens”, il se trouve un nombre assez important de musulmans imbriqués. À la suite des événements, cette tendance à déborder l’Aïn Sefra vers le sud n’a fait que s’accentuer [13]. »

19La métaphore récurrente du « débordement » crée une symbolique de l’ordre colonial menacé qui légitime la prescription de politiques urbaines ségrégatives. Il s’agit, comme le note aussi Emmanuelle Saada dans son étude sur les enfants métis de la colonie, de maintenir « à bonne distance » (Saada 2007 : 68) colons et colonisés y compris, et peut-être surtout, dans les zones où la séparation de ces deux mondes est particulièrement menacée.

20Les craintes d’un relâchement de la ségrégation s’exacerbent à la faveur des opérations de maintien de l’ordre menées au cours des derniers mois de la guerre d’indépendance, qui obéissent à une stratégie de « confinement » des populations arabes. Le 24 juin 1957, le préfet constitue la ville en section administrative urbaine [14] (SAU) avec une antenne dans le quartier de Tigditt. Des bureaux militaires ont pour mission d’y « assurer la présence permanente de l’armée ». Les opérations militaires menées dans le quartier passent à la fois par des frontières permanentes (fils barbelés, postes de contrôle), des barrages flottants, des patrouilles urbaines et des contrôles d’identité. Ainsi, le 15 février 1962, le bulletin de l’armée indique la construction de « 7 barrages permanents pour isolement de la ville musulmane de 20 h à 6 h » et le 4 mars l’installation de « 2 barrages filtrants qui deviennent permanents à partir de 12 h » [15].

21Un document conservé dans la procédure constitue une archive précieuse pour mieux évaluer les conséquences concrètes de ces opérations de clôture de l’espace sur la vie quotidienne des populations algériennes. Il s’agit d’une lettre que la veuve d’un avocat du barreau de Mostaganem assassiné par l’OAS à 78 ans, le 23 mai 1962, a adressée au président de la Cour de sûreté de l’État. Apprenant par hasard, en lisant un journal d’Oran, la tenue d’un procès (auquel elle n’a pas été convoquée), cette femme livre son témoignage pour « obtenir justice » et se faire « l’interprète » des victimes de l’OAS. Cette lettre fournit des informations circonstanciées et détaillées sur la vie quotidienne des habitants du quartier arabe :

22

« Nous habitions un quartier surélevé, au-dessus de l’Oued Aïn Sefra, lequel en mars 1962, s’est complètement vidé de tous les Européens qu’il contenait. Il fut entouré de barbelés posés dans tous les sens, ce qui obligeait pour parcourir 50 mètres d’en faire 500. L’on devait demander autorisation spéciale au poste qui gardait la seule issue au bas d’une côte, à un endroit nommé les 3 ponts. Il y a effectivement 3 ponts sur la rivière, qui accèdent à 3 rues faisant communiquer cette partie de la ville avec le centre. Nous étions enfermés [16]. »

23Le lieu-dit des « Trois Ponts » mentionné dans cet extrait constituait à Mostaganem le seul lieu de franchissement du ravin séparant les quartiers arabes et européens. Il constituait déjà avant-guerre une frontière tacite entre les deux communautés, comme le montrent les souvenirs d’enfance d’un Mostaganémois : « Au-delà des ponts commence la “ville indigène” [17] ». Mais des photos d’époque montrent que les populations algériennes y circulaient alors librement (Figure 3). On peut se faire une idée des transformations qu’a connues ce quartier à partir des photos des barbelés que les militaires utilisaient lors de la bataille d’Alger pour confiner les populations de la Casbah, équivalent algérois du quartier de Tigditt (Figure 4).

Figure 3

Lieu-dit des Trois Ponts (vers 1948)

Figure 3

Lieu-dit des Trois Ponts (vers 1948)

Figure 4

Barbelés entourant la Casbah d’Alger (septembre 1956)

Figure 4

Barbelés entourant la Casbah d’Alger (septembre 1956)

24Les sources permettent ainsi de mieux appréhender le rôle de l’armée française dans l’intensification de la ségrégation raciale de la ville. Les opérations militaires matérialisent une topographie coloniale qui restait jusqu’alors tacite et marquent ainsi l’aboutissement de la « construction permanente et vigilante d’une grammaire de la différence » (Cooper et Stoler 2013) qui a caractérisé l’ère impériale. La guerre a, selon l’efficace formule de Pierre Bourdieu, « porté le système colonial à son extrême, dissipant les équivoques » (Bourdieu 2008 : 168).

25La formation d’un espace polarisé qui réifie les appartenances ethniques et clarifie les camps en présence a-t-elle pour autant agi sur l’idée que les combattants de l’OAS se faisaient de la mission qu’ils avaient à accomplir ? Pour répondre à cette question, il faut s’intéresser aux victimes. Les sources révèlent d’abord l’importance de l’ethnicité comme critère central de ciblage des victimes. Les chiffres livrés par le commissaire central de Mostaganem indiquent que l’OAS a tué six fois plus d’Algériens que d’Européens (112 contre 17) et en a blessé cinq fois plus (64 contre 11). Ce constat d’une plus grande exposition des Algériens aux exactions de l’OAS doit-il pour autant nous amener à qualifier les tueries d’ethniques et à présumer ainsi un lien direct entre le racisme de la communauté européenne et les massacres ? Nicolas Mariot a bien montré la difficulté d’imputer des comportements violents à une idéologie sans « injecter en bloc une architecture propositionnelle » dans la tête des tueurs (Mariot 2003 : 167). Cette tentation est d’autant plus problématique, dans le cas algérien, que le terme de racisme ne suffit pas à saisir la complexité des rapports que les colons ordinaires de Mostaganem entretiennent avec les colonisés. Ces rapports ont peu à voir avec un racisme idéologiquement structuré dirigé contre un ennemi distant et s’ancrent plutôt dans des relations de fréquentation quoditienne qui vont de la défiance envers le colonisé à des formes plus subtiles de paternalisme. L’administration coloniale a institutionnalisé ces rapports inégalitaires en maintenant une distinction entre les deux communautés sur un fondement racial (Stoler 1989). L’appropriation de cet ordonnancement racial du monde se donne à voir dans les catégories mobilisées par les inculpés qui qualifient les femmes algériennes de « mauresques » et de « moukères », mais aussi par l’armée française qui reprend dans ses bulletins quotidiens les acronymes FSE (Français de souche européenne) et FSNA (Français de souche nord-africaine) pour distinguer les victimes selon leur origine ethnique. L’usage de ces catégories raciales montre que les Algériens ont toujours été – y compris dans les périodes de rapprochement interethnique – considérés comme des autres, fondamentalement différents des Européens.

26Si l’institutionnalisation d’une division raciale du monde colonial permet d’expliquer la facilité avec laquelle s’est installée une défiance généralisée envers les Algériens, elle ne suffit pas, néanmoins, à expliquer comment ils ont été constitués en ennemis à anéantir. La fabrique de l’ennemi passe, ici encore, par les spatialités coloniales. L’Arabe a progressivement été constitué en élément exogène menaçant l’intégrité de la ville européenne, comme le montrent les consignes des chefs qui visent les Algériens pour leur présence profanatrice en ville européenne :

27

« C’est sur les ordres de D. que je devais me livrer à l’action la plus violente comme je vais vous l’expliquer. En effet, avec lui l’ordre fut de rendre la ville européenne impossible aux Arabes et de les terroriser au maximum. »
(Audition, ouvrier soudeur, 25 ans, n. d.)

28La délimitation d’une ville européenne à défendre contre les intrusions arabes constitue une formulation du racisme d’autant plus audible pour les jeunes colons qu’ils ont été accoutumés, par les effets durables de la ségrégation, à considérer cet espace comme le leur. Cet ajustement structurel entre les ordres des chefs et les manières ordinaires d’habiter la ville est confirmé par l’analyse de la spatialité des premières tueries, qui montre que les ordres de protection de la ville européenne ont été très suivis. Les victimes identifiées dans la procédure ont toutes en commun d’avoir transgressé la ségrégation raciale de la ville. C’est d’abord le cas des civils algériens qui tentent de se rendre en ville européenne pour travailler, déménager ou se procurer des biens inaccessibles dans les quartiers arabes. La reconstitution par sa veuve des circonstances de l’assassinat de l’avocat algérien témoigne qu’il a été tué pour cette raison :

29

« Nous n’avions plus de distributions de courrier postal, ni aucuns journaux. Mon mari en souffrait beaucoup et a eu le tort de vouloir récupérer son courrier à la grande poste, située en plein cœur de Mostaganem. Non loin de là, une voiture flambait, les OAS en avaient tué les trois occupants musulmans et de surcroît avaient mis le feu à la voiture pour brûler les corps. Ils avaient donné le prétexte que ce devait être un commando FLN (il a bon dos le FLN). C’était absolument faux, simplement des cultivateurs ayant eu besoin de se ravitailler. C’est à ce moment-là que Maître Hamadou avait dû se renseigner sur cet attentat, et il avait pénétré dans le bureau de Poste, mais non sans s’en s’indigner vertement et en criant très fort son mépris pour de tels actes dont l’odieux l’avait mis complètement hors de lui […] Il fut froidement abattu sur le trottoir en face [18]. »

30La procédure mentionne également l’assassinat de femmes de ménage qui furent tuées alors qu’elles se rendaient à leur travail chez des Européens :

31

« Un jour de mai 1962, tous les commandos de Mostaganem reçurent l’ordre de tuer des bonnes ou des femmes de ménage musulmanes : une quinzaine auraient ainsi péri ».
(Notes d’enquête, n. d.)

32Le retour d’habitants algériens dans leurs lotissements HLM a également entraîné leur massacre :

33

« En mars, à l’occasion du déménagement de musulmans habitant les HLM de Bel Hacel, ceux-ci étaient pris à partie par des Européens et 8 d’entre eux, réfugiés dans un appartement étaient massacrés. Au mois de mai, neuf autres qui s’étaient aventurés dans le quartier de Cochonville pour récupérer leurs meubles étaient à leur tour tués par des Européens ».
(Compte rendu d’audition, police judiciaire de Bordeaux)

34Aborder les crimes par le biais de la transgression des frontières coloniales permet de comprendre l’apparent paradoxe évoqué par le commissaire central, qui signale que les Musulmans les plus liés à la communauté française ont davantage été visés :

35

« Peu à peu, les musulmans se repliaient sur le quartier de Tigditt et paradoxalement ne s’offraient aux coups des tueurs que des musulmans pro-Français ».
(Déposition, n. d.)

36L’avocat algérien assassiné par l’OAS était effectivement, selon sa femme, un notable francophile apprécié de la communauté européenne : « Maître Hamadou était connu de tous à Mostaganem, qui n’est qu’une petite ville. Il était même très aimé de la majeure partie de la population, tant musulmane qu’européenne [19] ». Les bourreaux connaissaient parfois leurs victimes, à l’instar d’un ouvrier soudeur de 19 ans qui a assassiné un collègue docker et un voisin :

37

« C’est le premier attentat que j’ai commis quelques jours seulement après mon entrée au commando, à la demande de J. Jacques. Celui-ci savait que je connaissais bien le nommé B. Ahmed, chef d’équipe au port de Mostaganem avec lequel j’avais travaillé occasionnellement […]. L’attentat contre B. Ahmed avait eu pour témoin le nommé D. Charef qui me connaissait car nous habitions sensiblement le même quartier […] Je me suis approché de Charef et j’ai tiré deux coups de feu sur lui ».
(Audition, 9 mars 1963)

38Un garde champêtre algérien victime d’une tentative d’assassinat confirme aussi qu’il connaissait bien son agresseur :

39

« Je n’ai eu aucun différend avec M. que je connais très bien puisque le dimanche avant l’attentat j’avais discuté avec lui au centre du village. Je ne comprends pas les raisons de cet acte ».
(Enquête préliminaire, gendarmerie de Mostaganem, 25 mai 1962)

40Les victimes européennes ont en commun avec les victimes algériennes d’avoir transgressé les frontières coloniales. Un instituteur de 27 ans originaire du Bas-Rhin a ainsi été tué devant ses élèves de trois balles dans la tête. Sa femme témoigne dans sa déposition des rapports de proximité qu’ils entretenaient avec les familles, toutes algériennes, de cette école :

41

« Nous avons toujours entretenu d’excellentes relations avec la population musulmane qui témoignait une grande confiance à leur directeur d’école ».
(Déposition, n. d.)

42Une infirmière a également été exécutée d’une balle dans la tête pour avoir travaillé dans un dispensaire du quartier arabe :

43

« La victime […] s’était faite remarquer en accordant son concours au dispensaire qui s’était installé à Tigditt sous la direction d’un médecin musulman après le cessez-le-feu ».
(Déposition du commissaire central de Mostaganem, n. d.)

44Le tract de revendication de l’assassinat du commandant du port de Mostaganem, conservé dans les dossiers de procédure, indique qu’il a aussi été tué pour avoir ravitaillé le quartier arabe :

45

« Le 19 mai à 18 h 30, le commandant du port nommé Commes a payé sa trahison : malgré les avertissements de l’OAS il continuait à tout mettre en œuvre pour que le FLN maître de Tigditt, puisse recevoir du ravitaillement. C’est après qu’il eut dénoncé les Patriotes qui détruisaient un camion de sucre destiné à l’ennemi que son exécution fut décidée. AINSI PÉRISSENT LES TRAÎTRES. CAR L’OAS VAINCRA ».
(Tract de l’OAS, dossier de procédure, n. d.)

46L’assassinat de ces Européens présente de nombreux points communs avec les humiliations publiques dont étaient victimes les Allemands accusés dans les années 1930 de « profanation raciale » (Rassenschande) pour avoir entretenu des relations amoureuses avec des juifs ou s’être procuré des biens dans leurs magasins (Wildt 2013). Si la profanation a, dans le cas algérien, une connotation spatiale et non biologique, elle n’en a pas moins des conséquences plus importantes puisqu’elle aboutit à l’élimination physique de ces individus « traîtres à leur race ».

47Classes populaires travaillant en ville européenne, notables algériens francophiles, Européens solidaires des Algériens : les profils des victimes montrent que les combattants ont d’abord visé des figures interstitielles qui – parce qu’elles se logent entre les mondes cloisonnés des colons et des colonisés – menacent l’ordre colonial. Les tueurs sont, eux, à la fois partie prenante de cette « interstitialité des existences coloniales » (Cooper et Stoler 2013) et le bras armé permettant d’y mettre fin. Cette ambiguïté rejoint celle qui a marqué leur socialisation dans une ville coloniale où la mixité ethnique a toujours été présente mais considérée comme menaçante par les autorités. La spatialité des violences montre ainsi que les crimes sont ajustés aux politiques coloniales qui visent à contenir les rapprochements interethniques.

Dislocation des vies ordinaires et façonnement des dispositions à tuer

48Si l’étude des spatialités coloniales permet de mieux comprendre le déclenchement des tueries, elle n’élucide pas les raisons pour lesquelles des personnes se sont rendues coupables d’atrocités, dont le mitraillage d’un fourgon ayant tué une fille de 11 ans et blessé gravement un enfant de 3 ans, ou l’assassinat à bout portant d’un Algérien de 78 ans. Comment expliquer que les relations de sociabilité entre colons et colonisés aient si rapidement laissé place à une violence interpersonnelle particulièrement brutale ? Ces violences posent au chercheur la difficile question de la cruauté des tueurs qui a déjà suscité beaucoup de controverses sur d’autres terrains de conflit [20]. L’absence de casier judiciaire de l’ensemble des inculpés exclut d’abord la possibilité que l’engagement ne soit qu’une étape dans une carrière déviante entamée avant l’enrôlement dans l’OAS. Ce constat recoupe les conclusions de Régine Goutalier (1975) qui montre qu’à Oran, Mostaganem et Mascara, sur 359 personnes poursuivies devant les tribunaux spéciaux 350 avaient un casier judiciaire vierge. Les inculpés ne sont donc pas des délinquants notoires mais des combattants qui agissent sur ordre.

49Le réquisitoire définitif indique néanmoins que certains assassinats ont été commis de la propre initiative des combattants. Certains inculpés justifient ces exactions par le sentiment de vengeance auquel ils étaient en proie après avoir été témoins d’assassinats du FLN. Ces déclarations doivent évidemment être analysées avec précaution et replacées dans le contexte répressif de leur production. Il n’est pas exclu – et est même fort probable – que les inculpés aient déployé des stratégies de défense visant à minimiser leurs actes en inventant ou en exagérant leurs traumatismes psychologiques pour mieux justifier leurs crimes. Pour autant, on ne peut pas négliger l’importance du phénomène de « dislocation des vies normales » qu’a entraîné le conflit algérien. Le sociologue William Sewell a utilisé ce terme pour tenter d’expliquer les actes de cruauté commis par les révolutionnaires français de 1789. Les « dislocations structurelles » nées des crises provoquent, écrit-il, une « insécurité pratique et morale » qui pénètre les existences ordinaires (Sewell 1996). Julie Pagis a également décrit, à propos du mouvement de Mai 68, un processus similaire de « dérégulation de l’économie émotionnelle » susceptible de produire un « affaiblissement conjoncturel du contrôle des affects » (Pagis 2014). Ces analyses donnent quelques pistes intéressantes pour mieux comprendre comment des actes qui, en temps normal, pourraient apparaître à leurs auteurs comme barbares deviennent socialement acceptables.

50La dislocation des structures coloniales ayant enserré la vie des Mostaganémois est susceptible de produire de tels bouleversements. L’insécurité est d’abord physique. Les habitants de Mostaganem ont été exposés à une violence permanente née des échanges de coups entre l’OAS et le FLN. En septembre 1960, un attentat de la rébellion dans un cirque fait 9 morts et 64 blessés. Le reporter du Monde signale que l’attentat a causé « une vive émotion dans toute la province d’Oran [21] ». Un des inculpés signale l’impact de cet attentat dans sa décision de rejoindre l’OAS :

51

« J’avais notamment été témoin quelque temps auparavant de l’explosion d’une bombe dans un cirque qui donnait des représentations avenue Raynal, près de chez moi. Cet attentat avait fait 20 victimes, dont plusieurs enfants. La vue de ces morts et de ces blessés m’avait bouleversé et un sentiment de vengeance s’était emparé de moi. Dès lors, j’étais “mûr” pour participer à l’action de l’OAS et j’ai accepté les propositions de J. et P. ».
(Audition, 8 mars 1963)

52Ces violences ponctuelles ne mettent pas fin à la vie routinière des Mostaganémois, mais ces derniers s’accoutument à la possibilité que la violence fasse à tout moment irruption dans leur quotidien. À cette situation de qui-vive permanent s’ajoutent les nouvelles des décapitations et enlèvements commis par le FLN, dont ils prennent connaissance par voie de presse. Les enterrements des victimes de l’OAS et du FLN donnent également lieu à des processions publiques auxquelles assistent des foules nombreuses protégées par la police. La mort et la violence sont ainsi constamment présentes dans l’espace public.

53La mise au jour d’une insécurité qui pénètre tous les aspects de la vie nous intéresse en tant qu’elle fournit quelques pistes d’explication pour comprendre la formation de dispositions à relativiser la valeur des vies algériennes. Elle fournit les conditions de possibilité d’une « distanciation psychologique » entre les communautés dont Christopher Browning a montré qu’elle est un déterminant clé des atrocités commises dans les contextes de guerre (2007 [1992] : 241). Le commissaire central de Mostaganem évoque dans sa déposition « la peur qu’inspirait [aux Européens] la présence toute proche d’une masse musulmane nombreuse et hostile dans le quartier de Tigditt ». Cette peur est nourrie par la vie sociale qui continue d’être très riche dans les quartiers européens vidés de leurs habitants algériens. Les lieux de sociabilité jouent le rôle d’espaces cohésifs où s’échangent les dernières informations de la guerre. Dans sa déposition, un habitant de la ville évoque l’importance du boulodrome de la ville :

54

« Les Européens de Mostaganem se réunissaient au jeu de boules pour se distraire et bavarder. C’est en ce lieu que se commentaient ou s’émettaient les nouvelles les plus diverses concernant la vie sociale de Mostaganem. Durant les derniers mois, la foule d’Européens fréquentant le boulodrome était de plus en plus dense, parce que les événements incitaient les gens à se regrouper pour éventuellement mieux s’informer de ce qui se passait ».
(Déposition, tribunal de Toulouse, 6 février 1963)

55Ces espaces d’entre-soi ethniquement exclusifs favorisent la diffusion de multiples rumeurs qui nourrissent la méfiance envers les Algériens :

56

« 20 mars 1962
Journée marquée par une tension permanente entre les deux communautés et une profusion de rumeurs et fausses nouvelles
21 mars 1962
Persistance des fausses nouvelles
22 mars 1962
Persistance accrue des fausses nouvelles et rumeurs d’intoxication
27 mars 1962
La partition entre les deux communautés se poursuit
Nombreux déménagements
De nombreux faux bruits sont transmis à l’autorité militaire par FSE anonymes [22] »

57L’insécurité est également liée à l’incertitude de l’avenir. La signature des accords d’Évian, qui consacre le caractère irréversible du processus d’indépendance, ne constitue pas seulement, pour les colons ordinaires, une date marquante dans le calendrier de la grande Histoire mais un profond bouleversement de leurs horizons d’attente. L’expression « être Algérie française » revient régulièrement dans les auditions pour qualifier le rapport majoritaire des habitants de Mostaganem à la question algérienne. Sa connotation naturalisante – « être Algérie française » plutôt que « pour l’Algérie française » – est révélatrice d’une position qui fait moins figure d’opinion politique que de sens pratique pour des colons qui n’ont jamais connu d’autre monde que l’Algérie où ils sont nés. C’est particulièrement vrai des inculpés qui sont, pour reprendre une expression utilisée par trois d’entre eux, « des enfants de Mostaganem ». 90 % des membres du réseau sont nés dans cette ville et y ont toujours vécu. La métropole constitue un horizon lointain et inconnu où la plupart n’ont jamais mis les pieds, ce qui rend la perspective d’un rapatriement prochain d’autant plus insécurisante. Les accords d’Évian font donc moins figure pour eux d’événement ouvrant une période de calme et de paix que de plongée angoissante dans l’inconnu. La description, aux allures apocalyptiques, des dernières semaines de l’Algérie française par un témoin signale les sentiments mélancoliques qu’a fait naître cet événement parmi la population de Mostaganem :

58

« Il est difficile d’expliquer l’ambiance de Mostaganem aux dernières semaines avant l’autodétermination […]. Le dimanche 3 juin a été le dernier passé en famille, avant que Mostaganem ne soit plus ville française, au yacht-club même. Nous n’étions qu’une vingtaine de personnes, très cafardeux nous avons passé la journée tous ensemble jusqu’à l’heure du couvre-feu ».
(Déposition, n. d.)

59Sans qu’on puisse déterminer précisément les effets psychologiques de l’exposition à la violence, on peut faire l’hypothèse que la guerre a instauré une incertitude généralisée susceptible de produire une relativisation des normes morales qui encadraient les existences de ces colons ordinaires. Cette hypothèse est étayée par la temporalité des actions collectives européennes qui commencent en 1961 par des grèves, des manifestations bruyantes, et qui ne basculent dans la violence interpersonnelle qu’à partir de la mi-mars 1962. Que les premiers massacres soient commis au moment même où est signé un accord qui consacre l’écroulement du seul monde que ces colons aient jamais connu apparaît, à cet égard, comme tout sauf une coïncidence.

Travail de la violence et masculinités coloniales

60S’il permet de comprendre la formation des dispositions à tuer, le contexte de guerre ne peut à lui seul expliquer les violences. Comment comprendre, sinon, que l’immense majorité des colons n’aient pas été impliqués dans les tueries alors qu’ils étaient soumis à la même dislocation de leur vie ? Le réseau OAS de Mostaganem ne compte en effet que 62 personnes sur les 20 000 habitants d’origine européenne. Pourquoi la violence ne s’est-elle présentée comme un choix évident que pour cette petite minorité de 0,31 % [23] des Européens de la ville ?

61Cette manière de formuler les choses ne rend pas compte de la large gamme d’actions qui s’offrait aux Européens désireux de collaborer avec l’organisation sans pour autant vouloir ou pouvoir participer à la violence. Peu de Mostaganémois ont été de simples by-stander, témoins impuissants des tueries. Les comptes rendus d’enquête font état d’une complicité fréquente d’habitants réticents à dénoncer les coupables d’assassinats dont ils ont été témoins ou à aider au secours des victimes. Un inculpé résume ainsi cette complicité des populations locales :

62

« Le terme de fuite ne signifiait rien à l’époque en Algérie, il n’était pas nécessaire de prendre la fuite lorsqu’on avait commis un meurtre ».
(Notes d’audience, 22 juillet 1963)

63Le chemin de croix qui fut imposé à la veuve de l’avocat algérien après l’assassinat de son mari signale que la complicité s’est organisée à tous les niveaux de la communauté européenne de Mostaganem :

64

« À 18 h on venait me dire sans aucun ménagement “qu’il était mort, qu’on l’avait tué”. Les agents de police avaient laissé filer le ou les assassins tout simplement […]. Je dus être très énergique et m’imposer à l’économat de l’hôpital afin que l’on me mène auprès de lui […]. Il faut vous dire, Monsieur le Président, qu’il était très difficile de retirer un corps de l’hôpital tué par l’OAS. On les rendait aux familles des victimes dans un état de putréfaction avancée et après 10 ou 15 jours, voire davantage. Le procès des dirigeants de l’hôpital de Mostaganem est encore à faire, mais je pourrais de source sûre en donner bien des détails tous plus odieux les uns que les autres […]. J’ai dû seule aller faire la déclaration à la mairie pour avoir le permis d’inhumer. Personne n’osait le faire et c’était bien compréhensible […] Dans mon malheur je n’ai trouvé que des amis musulmans de mon mari, pour m’aider, me consoler, me soutenir [24] ».

65Pourquoi la majeure partie de la population s’est-elle contentée de ces gestes de complicité passive, dévastateurs pour les victimes mais exigeant peu d’implication pour leurs auteurs ? Peut-on identifier chez les combattants des caractéristiques sociologiques permettant d’expliquer leur déviance meurtrière ? Les documents judiciaires permettent de répondre à cette question, car ils contiennent des données biographiques à la fois sur les 62 inculpés et sur les personnes arrêtées puis mises hors de cause. La composition socio-professionnelle du réseau donne d’abord des éléments sur les probabilités d’exposition à l’enrôlement en fonction du métier exercé. Si le réseau recrute majoritairement parmi les classes populaires, on observe une forte disparité entre le petit commerce et le travail manuel : parmi les 62 inculpés seuls 3 sont des petits commerçants tandis que 27 sont des ou vriers. Cette inégale représentation ne s’explique pas par la composition sociale de la population de Mostaganem puisqu’un plan d’action communal signale que ces deux activités sont également réparties parmi la population [25]. Ce contraste peut-il alors s’expliquer par une réticence des petits commerçants à rejoindre l’OAS ? Leur faible représentation dans le réseau semble en fait moins résulter d’un refus que d’une impossibilité pratique de s’engager. La guerre a entraîné une démultiplication des activités commerçantes qui ont constitué un garde-fou contre l’enrôlement à l’OAS, comme en témoigne un boucher-charcutier :

66

« Nous habitions le quartier de Beymouth où nous avions notre propre fonds de boucherie- charcuterie. J’ai toujours été très occupé à Mostaganem par la conduite de mon commerce et pratiquement je ne disposais d’aucun moment de liberté. Comme tous les Européens de là-bas mes sentiments étaient en faveur de l’Algérie française. Mais je n’ai pas appartenu à l’OAS ».
(Déposition, n. d.)

67Un boulanger évoque également le rythme de travail décuplé auquel il était soumis :

68

« Comme j’effectuais un travail très pénible je n’ai pas participé à des opérations de plasticage ou attentats. En effet notre boulangerie était la seule ouverte dans le haut quartier et comme les musulmans s’étaient retirés en ville indigène, je travaillais chaque jour de 5 h à 17 h à la fabrication du pain ».
(Audition, 27 novembre 1962)

69Au contraire, c’est l’espace libéré par la cessation de leur activité professionnelle qui semble expliquer l’enrôlement de nombreux ouvriers. Le travail manuel est une des activités professionnelles les plus affectées par la guerre et aussi celle que l’on retrouve la plus représentée dans le réseau. Les nombreux chantiers interrompus par les opérations militaires, les menaces d’attentats et les grèves ordonnées par l’OAS ont provoqué des situations de chômage technique, comme en témoigne un ouvrier soudeur de 19 ans :

70

« Employé pour une compagnie de recherche souterraine de prospection dans le Sahara, je revenais tous les 15 ou 20 jours chez mes parents […] Dans le courant du mois d’avril 1962, la situation est devenue telle que je n’ai pas pu rejoindre mon poste au Sahara. P. et S. m’ont révélé qu’ils “travaillaient” officiellement pour le compte de l’OAS, ils m’ont demandé si eux et l’organisation pouvaient compter sur moi pour des missions ».
(Audition, n. d.)

71L’absence de responsabilités familiales des inculpés libère également de la place pour l’enrôlement. Le groupe des exécutants est en moyenne âgé de 24 ans et comprend trois fois plus de célibataires que d’hommes mariés. Les jeunes combattants se trouvent ainsi en situation de « disponibilité biographique » (biographical availability) c’est-à-dire, pour reprendre la définition de Doug McAdam, libérés des « contraintes personnelles qui pourraient accroître le coût et le risque de la participation » (McAdam 1986 : 70).

72La disponibilité de ces jeunes colons ne suffit pas, néanmoins, à expliquer que l’enrôlement leur soit apparu si naturel qu’il n’avait pas – pour reprendre les propos de l’ouvrier cité en exergue de cet article – « besoin d’être dit ». C’est parce qu’il s’inscrit dans la continuité de leur existence en temps de paix et peut être vécu sur le mode de la cohérence à soi-même que le passage à la clandestinité a pu s’imposer à eux comme une évidence. Le fonctionnement des réseaux limite d’abord les effets de rupture que pourrait provoquer l’enrôlement. L’octroi de compensations financières aux combattants équilibre les pertes que peut susciter l’action armée quand elle empêche une activité professionnelle. Une perquisition effectuée au domicile d’un inculpé signale que ces compensations sont adaptées aux situations de famille des combattants :

73

« La perquisition opérée à son domicile nous a permis de découvrir deux documents manuscrits comprenant une liste de 17 prénoms et noms avec, en regard, la situation de famille de chacun. Il s’agit, comme le reconnaît D. de la plupart des membres du Commando Sidi Brahim auxquels étaient payés des appointements calculés en fonction de leur situation de famille respective ».
(Note d’enquête de la police judiciaire de Marseille, n. d.)

74Ces gratifications matérielles distribuées mensuellement s’assimilent à un salaire et instituent ainsi une continuité entre travail et violences. Le vocabulaire de l’organisation renforce également ces continuités : les combattants de base sont qualifiés d’« hommes de main » et les missions violentes qu’on leur confie de « coups de main ». Ces dispositifs disposent les jeunes ouvriers à banaliser l’usage de la violence en l’inscrivant dans une carrière de vie structurée, depuis leur plus jeune âge, par le travail manuel. La plupart des ouvriers du réseau ont en effet quitté l’école après l’obtention de leur certificat d’études professionnelles pour devenir apprentis à l’âge de 13 ou 14 ans. Cette banalisation se donne à voir dans les propos des inculpés qui qualifient devant les enquêteurs leur action à l’OAS de « travail » et leurs chefs de « patrons ».

75La possibilité concrète de verser le sang et d’ôter la vie suspend néanmoins ce processus de banalisation. Les historiens ont montré que, confrontés à « l’horreur de la première rencontre » (Browning 2007 [1992] : 240), les agents ordinaires des violences de masse sont fréquemment en proie à des sentiments de crainte, de répulsion et d’effroi avant de s’accoutumer à la violence. Un artisan forgeron témoigne devant la Cour de sûreté de l’État qu’il a été saisi par de telles émotions après avoir commis son premier meurtre :

76

« Quand ce musulman m’a bien regardé dans les yeux juste devant mon revolver braqué, j’ai pris peur, j’ai fermé les yeux et quand j’ai tiré, le musulman était alors à plusieurs mètres de moi. Il s’est écroulé. J’ai cru que je l’avais tué et je suis parti m’enfermer dans ma chambre, complètement désemparé ».
(Notes d’audience, 2 décembre 1963)

77La possibilité de dépasser les émotions déstabilisantes suscitées par les premiers crimes résulte d’une disposition à endurer la violence façonnée par la longue fréquentation des groupes de pairs masculins dans la société coloniale. Les travaux sur la genèse du nazisme ont souligné la longue accoutumance à la perte d’empathie pour les autres à laquelle ont été soumis les jeunes garçons allemands dans les camps de formation des Jeunesses hitlériennes (Kühne 2010). Si de telles institutions totales n’existent pas en Algérie, le terme « d’école de la masculinité » peut être réutilisé à propos de la société coloniale. La militarisation du monde colonial, qui s’accentue avec le conflit algérien, a joué un rôle important comme lieu de socialisation des jeunes hommes à la vie militaire et au maniement des armes. L’organisation des civils en milices dans les grands centres coloniaux montre que le « mouvement de monopolisation de la violence légitime n’est pas vérifié dans les empires coloniaux » (Blanchard, Deluermoz et Glasman 2011 : 46). Les sections administratives spécialisées (SAS) emploient aussi régulièrement des civils volontaires pour assurer le contrôle des populations algériennes. Plusieurs inculpés ont effectué leur service militaire dans la SAS de Mostaganem sous les ordres de notables de la ville qui y occupent des responsabilités de chefs civils. Certains de ces hommes entreront ensemble en clandestinité, comme l’indique un inculpé de 22 ans à propos d’un de ses chefs :

78

« Je connais parfaitement D. qui a été mon adjudant, j’ai en effet effectué mon service militaire sous ses ordres : j’étais pratiquement rattaché à la SAS où il appartenait ».
(Audition, 20 mai 1963)

79Une fois passés à la clandestinité, les chefs ont également profité de leur position pour fournir en armes les combattants de l’OAS, comme l’indique cet extrait de la procédure :

80

« Vol d’armes à la SAS de Mostaganem, 20 février 1962.
F. était, au moment des faits, affecté depuis trois ans à la SAS de Mostaganem. Vers la fin de janvier 1962 l’enlèvement des armes par un commando venu d’Oran fut décidé. »

81La construction des masculinités est également favorisée dans les colonies par une ségrégation genrée qui réserve l’espace public aux hommes et l’espace domestique aux femmes. À Mostaganem les clubs de football, de judo et de pétanque sont exclusivement fréquentés par des hommes et jouent particulièrement bien leur rôle d’espaces de « préservation et d’expression publique des normes traditionnelles de la masculinité » (Dunning et Maguire 1995 : 132). Les bars et les cafés constituent aussi des espaces d’entre-soi masculins où se développe une émulation virile quotidienne dont sont exclues les femmes. Les sociabilités professionnelles leur sont également peu ouvertes, comme le montrent les chiffres du recensement de 1948 qui indiquent que la main-d’œuvre féminine ne dépasse pas 50 % pour le personnel de service et 30 % pour les cadres subalternes et les employés [26]. Ce constat va de pair avec la prescription de normes morales sur le travail des femmes. Une chroniqueuse d’un hebdomadaire de Mostaganem rappelle qu’il menace la stabilité des ménages :

82

« Tout le monde est d’accord pour trouver que la vraie place de la femme est au foyer afin de veiller à la tenue de son intérieur et donner tous ses soins aux enfants. […] Il ne faut pas oublier que pendant des siècles le mari a été habitué à dominer le couple ; il se trouverait atteint dans sa dignité s’il se sentait surpassé par sa compagne : ce sentiment de jalousie troublerait l’accord du ménage et finirait par le rompre [27] ».

83Les rôles de genre incorporés en temps de paix dans ces groupes de pairs ont joué un rôle important dans le déclenchement de certaines carrières violentes, comme l’indique ce récit d’un inculpé :

84

« Vers la mi-juin 1962 je me trouvais vers midi place de la Marine en compagnie de M. Michel. Nous buvions l’apéritif à la buvette du boulodrome, quand un musulman est venu à passer devant la buvette. À ce moment-là, M. Michel, me tendant son pistolet, m’a dit : “Fais-nous voir si tu es capable de tuer un Arabe”. Bien que cela me répugnât, je n’ai pu me dérober sans passer aux yeux de mon camarade pour un dégonflé. J’ai donc pris le revolver et, me portant au-devant de l’arabe, j’ai vidé le chargeur de mon arme sur lui ».
(Audition, artisan serrurier, 25 ans, 8 mars 1963)

85Les renoncements sont l’objet de procédés de dévirilisation qui visent à stigmatiser toute prise de distance vis-à-vis du groupe :

86

« Je devais faire sauter le logement d’un musulman nommé L. à Mostaganem. J’ai pris le plastic. Je l’ai gardé un jour chez moi, mais je n’ai pas eu le courage de l’utiliser […] Pour cela, j’ai été traité de femmelette au café de la Jeune France ».
(Audition, pêcheur, 37 ans, 19 octobre 1962)

87Parce qu’elles augmentent le coût symbolique du renoncement à la violence, les masculinités coloniales facilitent ainsi la formation d’effets de seuil (Sommier 2012) et les propensions à s’enferrer dans la clandestinité. La stigmatisation des déviants, trop éloignés des normes de la virilité, n’est pas seulement interne au groupe combattant mais concerne aussi l’ennemi pour qui elle constitue une circonstance aggravante. L’homosexualité supposée d’une victime est ainsi systématiquement mise en avant par les inculpés avant même son appartenance à la rébellion :

88

« M. m’a raconté comment il avait exécuté un Arabe à la fin janvier 1962 : le nommé B. Mohamed, un pédéraste de 40 ans qui de plus était FLN ».
(Audition, 16 octobre 1962)

89

« Notre commando a également reçu l’ordre d’exécuter un nommé B. Mohamed, individu aux mœurs de pédéraste et membre du FLN ».
(Audition, n. d.)

90Le courage d’une autre victime semble au contraire lui avoir sauvé la vie :

91

« Non loin de la cave Sauvignon un Arabe se lavait la tête. J. donna l’ordre à S. de l’abattre. Celui-ci marcha sur l’arabe, son Lama 9 mm au poing. Le musulman regarda l’homme et ne bougea pas. Il comprit qu’il allait mourir… et S. l’estimant courageux décida de lui laisser la vie. Il tira dix coups de feu autour de l’arabe et revint auprès de J. à qui il déclara l’avoir tué ».
(Compte rendu d’audition, police judiciaire de Bordeaux)

92Qu’elle soit vraie ou non, l’histoire de cette victime affrontant courageusement la mort en regardant son bourreau dans les yeux nous dit beaucoup de celui qui la raconte : celle d’un homme qui considère que seul le déploiement des attributs virils peut ramener un homme à l’humanité. Elle témoigne de la place centrale qu’il accorde à la virilité dans sa représentation du monde et des hommes dignes d’y exister.

Stratifications coloniales et hiérarchies combattantes

93Si les caractéristiques socio-démographiques des jeunes ouvriers les disposent à faire le choix de l’action armée, elles restent impuissantes à expliquer pourquoi d’autres colons, qui appartenaient aux mêmes classes d’âges et aux mêmes catégories socio-professionnelles, n’ont pas participé aux violences. Les données montrent que ces dispositions à l’enrôlement restent à l’état latent si elles ne sont pas activées par une opportunité concrète de passage à la clandestinité. Les 62 colons concernés ont en commun le fait d’avoir rencontré ce type d’opportunité, en raison des contacts dont ils disposent dans le réseau avant même de l’intégrer. On constate d’abord l’existence d’un « effet voisinage » (neighborhood effect) similaire à celui qu’a observé Omar McDoom (2013) à propos des génocidaires hutus au Rwanda dont il a montré qu’ils étaient originaires des mêmes quartiers. Le recoupement des auditions permet d’établir que plusieurs exécutants ont grandi dans les mêmes lotissements HLM :

94

« L’équipe se subdivisait en deux. D’une part un groupe de tueurs : G. Jean demeurant cité HLM Bel Hacel, D. dit Caoutchouc, C. Victor, H. Jean-Claude. Ces trois dernières personnes habitent les HLM Bel Hacel à proximité de la rue Bel Hacel et du lotissement Chauvin. L. Pierre, escorteur et tireur, demeurant entre les rues Denis Pain et Cuvier, à proximité des HLM Bel Hacel ».
(Audition, 19 juin 1962, gendarmerie d’Oran)

95D’autres inculpés sont issus des mêmes familles : le réseau compte quatre fratries, dont une de trois frères, et 14 combattants sont liés par le sang à au moins un des autres membres du réseau, qu’ils soient cousins, oncles ou neveux. L’usage fréquent du terme de « copains » dans les auditions témoigne enfin que les combattants sont unis par des liens d’amitié. Un ouvrier soudeur de 24 ans évoque ainsi le groupe de jeunes célibataires avec qui il s’est enrôlé dans l’OAS :

96

« Entre autres, j’avais pour copains les nommés P. Eugène (25-26 ans) et S. Jean-Pierre. P. demeurant à Beymouth. Il était célibataire et vivait chez ses parents, ou plus exactement avec sa mère puisque son père était mort. S. Jean Pierre était célibataire et âgé de 21 ans, il vivait avec sa mère, également veuve. Il avait deux frères aînés. Je retrouvais presque à chacune de mes venues à Mostaganem S. et P. au bar des Flots bleus ».
(Procès-verbal d’audition, ouvrier soudeur, 28 ans, 23 octobre 1962)

97Les unités clandestines se sont ainsi constituées à partir de sociabilités locales préexistantes. Ce constat n’est d’ailleurs pas propre à l’OAS mais caractérise, selon Doug McAdam, « l’engagement à haut risque » (high-risk activism). C’est ce qu’il a montré en comparant les participants et les non-participants à une campagne du mouvement des droits civiques. Si la conviction idéologique dispose ces deux groupes à s’engager, c’est bien l’intégration préalable aux réseaux activistes qui constitue le facteur déterminant de la participation (McAdam 1986).

98Dans le cas de l’OAS, l’intégration n’est pas seulement horizontale mais également verticale puisque les jeunes ouvriers combattent sous les ordres de chefs qui occupaient à Mostaganem des positions dominantes, en termes à la fois de statut socioprofessionnel, d’âge et de responsabilités locales. Ils appartiennent, en effet, à la petite bourgeoisie et aux classes moyennes : parmi les 14 chefs identifiés, 3 sont des patrons d’industrie et de commerce, 3 des agriculteurs exploitants et 3 des cadres moyens. Ils sont, par ailleurs, en moyenne âgés de 32 ans, soit huit ans de plus que les exécutants. Ils jouissent, enfin, d’une importante notoriété locale liée aux responsabilités qu’ils occupaient dans les clubs sportifs de la ville. Un des chefs du réseau, secrétaire de mairie de 27 ans, se présente ainsi aux enquêteurs :

99

« Je suis un enfant de Mostaganem, j’ai grandi et vécu dans cette ville. Je connais la majorité de ceux-ci et je suis très connu moi-même des Mostaganémois étant donné que j’ai été un joueur de football de renom en Afrique du Nord ».
(Audition, n. d.)

100Un inculpé confirme le rôle qu’a joué ce notable dans son recrutement :

101

« C’est au mois de février que j’ai été recruté par J. Jacques que je connaissais bien pour avoir joué au football avec lui. Il m’a dit qu’il dirigeait un commando OAS et qu’il avait besoin de jeunes comme moi pour lutter contre le FLN ».
(Audition, ouvrier soudeur, 18 ans)

102Un autre chef, agriculteur exploitant de 40 ans, a acquis une notoriété similaire :

103

« Je connais D. Ferdinand, dit Nanou depuis mon enfance. Il a été joueur de football puis arbitre et supporter du club où je jouais. Je le rencontrais presque quotidiennement ».
(Audition, boulanger, 31 ans)

104Ces données montrent que les hiérarchies combattantes ont reproduit la stratification de l’Algérie coloniale dont le sociologue René Gallissot a décrit, à la fin des années 1960, les spécificités :

105

« Dans la société coloniale, la population européenne était répartie par conditions suivant un étagement qui s’échelonnait de la bourgeoisie possédante à un prolétariat de petits blancs. Mais toutes les catégories de cet ensemble colonial se trouvaient en état de supériorité sur la société coloniale ».
(Gallissot 1969 : 221)

106Ces logiques de cohésion propres à la société coloniale ont eu deux conséquences importantes sur la formation des violences. Premièrement, elles ont entravé la formation d’une conscience de classe interethnique entre ouvriers européens et algériens qui travaillaient, comme on l’a vu, sur les mêmes chantiers et habitaient les mêmes lotissements HLM. L’analyse contrefactuelle est ici utile pour « forcer l’imaginaire » (Deluermoz et Singaravélou 2016) d’une inéluctable continuité de l’escalade des violences : la défiance envers les colonisés se serait-elle si rapidement et si facilement installée si des solidarités de travail avaient existé entre les ouvriers algériens et européens ? Deuxièmement, elle a façonné une cohésion intracommunautaire entre notables et ouvriers européens de Mostaganem. Cette cohésion a façonné des processus de remise de soi et de légitimation des chefs qui ont ultérieurement œuvré à l’efficacité de la chaîne de commandement au sein des cellules clandestines. En leur fournissant des armes et en les invitant à en faire toujours davantage dans le déploiement de leurs savoir-faire virils, les chefs ont joué un rôle essentiel dans l’escalade criminelle des jeunes ouvriers qui s’étaient mis à leur service :

107

« Les Arabes tombaient autour de nous comme des mouches. Nous tirions avec ardeur, il n’y avait même pas besoin de viser tellement ils étaient nombreux […] Nous avons vite connu le résultat de notre mitraillage à Raisinville ; le journal en a parlé le lendemain. Nous avions tué trente-six Arabes et nous en avions blessé plus ou moins grièvement un nombre beaucoup plus important. Ce fut là d’ailleurs notre plus beau coup. […] Nous avons rencontré D. dans un bar et nous lui avons rendu compte du mitraillage de Mazagran […] il nous a dit que cela était très bien, qu’il fallait avoir de l’initiative et nous a payé à boire ».
(Audition, ouvrier soudeur, 25 ans)

108« Beauté », « ardeur », « résultats », « initiative » : les mots sont significatifs des sentiments de fierté virile que confèrent les massacres. La violence n’est pas – du point de vue des bourreaux – un processus destructeur mais une activité créative générant de multiples gratifications. C’est moins l’acte même de tuer qui génère toutefois ces rétributions que les réactions des figures d’autorité et de la presse locale qui constituent, aux yeux des tueurs, des instances extérieures permettant de mesurer leurs résultats et de faire naître un sentiment de travail bien fait. Les récits exaltés de mitraillages spectaculaires montrent qu’ils confèrent à ces jeunes célibataires en proie à l’inactivité professionnelle un sentiment de plénitude. Ces déclarations gagnent, pour être mieux comprises, à être comparées aux considérations amères des anciens combattants incarcérés. La correspondance d’un légionnaire est teintée d’une mélancolie qui contraste avec cette joyeuse ferveur :

109

« C’est très triste [28], je le sais trop bien, mais ça arrive, il y a des moments où on pense Indochine – Maroc – Algérie – la France – Prison, etc., et on se demande POURQUOI ? Même si on ne veut pas pensé, on ne le peut pas. Oublié tout ça c’est impossible ! Voilà l’accident ! Vous m’interdit de faire des folies ? Vous savez trop bien chez Monsieur L. que j’ai confiance en vous et que je vous promets de rien faire, mais il y a des moments où en a marre […] Vous savez on parlait plus de nous au radio. Il n’y a plus rien, ni des coups à gauche ou à droit, ni des choses incroiables et “sensass”, et ça me plaît pas ».
(Anonyme, cité dans OAS parle : 323)

110Les pensées suicidaires et les doutes exprimés par ce détenu sur l’utilité des sacrifices consentis montrent que c’est moins la violence que sa fin qui suscite la perte de sens. La détention ouvre un gouffre de quant-à-soi qui laisse de la place pour la réflexivité et la délibération morale. C’est seulement en détention que la violence cesse ainsi d’être un sens pratique pour devenir une expérience que les détenus mettent à distance et dont ils interrogent le sens et le bien-fondé.

111* * *

112Au terme de cette analyse à la fois structurale et microsociale des violences, on espère avoir avancé quelques explications pour comprendre la violence décuplée qui s’est abattue sur le sol algérien au cours du printemps 1962. L’analyse a permis d’identifier un ajustement structurel entre l’écologie des violences et la ségrégation raciale et genrée de l’Algérie coloniale. Elle a aussi mis au jour l’impact de la guerre d’indépendance sur la formation de dispositions à relativiser la valeur des vies algériennes parmi les colons. En éclairant les continuités entre travail manuel et violences, stratifications coloniales et hiérarchies combattantes, masculinités et prises de rôles combattants, l’analyse confirme également la thèse, déjà défendue ailleurs (Buton, Loez, Mariot et Olivera 2014 ; Collovald et Gaïti 2006), d’une absence de rupture entre violences du temps de guerre et vies routinières du temps de paix. Ce sont ces continuités entre l’ordinaire du monde colonial et l’extraordinaire d’une guerre d’indépendance, saisie au plus près des existences des jeunes colons, que j’ai voulu désigner en parlant des « origines coloniales de la violence ».

Bibliographie

Ouvrages cités

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Notes

  • [1]
    Charles-Robert Ageron (2005) indique le chiffre de 1 622 morts et 5 148 blessés.
  • [2]
    Voir notamment les travaux fondateurs de Christopher Browning (2007 [1992]) sur l’extermination des juifs d’Europe de l’Est et plus récemment les travaux sur le génocide tutsi au Rwanda (McDoom 2013).
  • [3]
    La Cour de sûreté de l’État est une juridiction d’exception mise en place par le général de Gaulle en 1963 et qui recourt à des moyens de procédure dérogatoire pour juger les illégalismes politiques (Codaccioni 2015).
  • [4]
    L’organisation est séparée en deux branches : l’OAS-Métropole et l’OAS Algérie-Sahara qui désigne elle-même un ensemble comprenant l’OAS d’Alger, de l’Oranie et du Constantinois.
  • [5]
    La catégorie de « colon » désigne parfois les catégories socio-professionnelles rurales. Nous ne l’utilisons pas ici dans ce sens mais pour différencier les inculpés (dont la plupart sont nés en Algérie) des métropolitains et pour souligner la centralité de la socialisation coloniale dans leurs trajectoires de vie. La catégorie administrative « Européens » est préférée quand il s’agit de restituer les points de vue des acteurs qui n’utilisent pas le terme de colons pour s’auto-définir.
  • [6]
    Ces deux catégories n’épuisent pas la totalité des 62 membres du réseau. Les fonctions de certains inculpés n’ont pas été renseignées en raison de leur acquittement ou d’un manque d’informations à leur propos.
  • [7]
    Mostaganem n’échappe pas au mouvement de nostalgie qui amène des anciens colons à partager leurs souvenirs de l’Algérie (Ruscio 2015). On trouve de nombreux témoignages anonymes à partir d’une simple requête « Mostaganem » sur un moteur de recherche.
  • [8]
    Afin de faciliter la lecture, cette terminologie coloniale, dont nous avons conscience qu’elle est porteuse de multiples assignations raciales problématiques, sera utilisée sans guillemets dans la suite du texte.
  • [9]
    Archives nationales d’outre-mer (désormais ANOM), 1Y/273, Plan d’action communal, 1946.
  • [10]
    Résultats statistiques du dénombrement de la population effectué le 31 octobre 1948, vol. 1 : Population légale ou de résidence habituelle. Répertoire statistique des communes d’Algérie, Alger, Service de statistique générale, n. d.
  • [11]
    ANOM, 1Y/273, Plan d’action communal, 1946.
  • [12]
    ANOM, 1Y/273, Plan d’action communal, 1946.
  • [13]
    Service historique de la Défense, 1H1229, Monographie de Mostaganem, juillet 1959.
  • [14]
    Les sections administratives urbaines (SAU) sont l’équivalent, pour les villes, des sections administratives spécialisées (SAS) des zones rurales. Les autorités ont pris prétexte de la sous-administration du territoire algérien pour mettre en place ces unités dirigées par des militaires et des civils et chargées de contrôler les populations algériennes à travers un mélange d’action sociale, de contrôle militaire et de propagande.
  • [15]
    Archives nationales, 5W 49, Comptes rendus quotidiens de l’armée du 31 juillet 1961 au 18 juin 1962.
  • [16]
    Lettre à la Cour de sûreté de l’État, 28 novembre 1963.
  • [17]
    Marc Ripoll, « Mémoires d’un zougueb », billet de blog du 24 février 2012. URL : http://marcripoll.unblog.fr/tag/mostaganem/.
  • [18]
    Lettre à la Cour de sûreté de l’État, 28 novembre 1963.
  • [19]
    Lettre à la Cour de sûreté de l’État, 28 novembre 1963.
  • [20]
    Voir à ce propos le commentaire que Nicolas Mariot (2003) a proposé de la controverse entre les historiens Christopher Browning et Daniel J. Goldhagen.
  • [21]
    Le Monde, 17 septembre 1960.
  • [22]
    Archives nationales, 5W 49, Comptes rendus quotidiens de l’armée du 31 juillet 1961 au 18 juin 1962.
  • [23]
    On obtient un pourcentage légèrement plus élevé (égal à 0,45 %) si l’on prend en compte les combattants qui ont échappé à la justice. Selon les estimations d’Arnaud Déroulède (1997) le réseau de Mostaganem n’a jamais dépassé les 95 combattants actifs.
  • [24]
    Lettre à la Cour de sûreté de l’État, 28 novembre 1963.
  • [25]
    ANOM, 1Y/273, Plan d’action communal, 1946.
  • [26]
    Résultats statistiques du dénombrement de la population effectué le 31 octobre 1948, vol. 1 : Population légale ou de résidence habituelle. Répertoire statistique des communes d’Algérie, Alger, Service de statistique générale, n. d.
  • [27]
    L’Ain Sefra, mercredi 31 janvier 1962, 79e année, n° 4167.
  • [28]
    Les mots en italique sont soulignés dans le texte. La mise en forme du texte et le niveau de langue ont été maintenus.
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