Notes
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[*]
Ce texte est issu de travaux menés au sein de la recherche « Vivre/Leben/Vivere – Démocratisation de la vieillesse ? Progrès et inégalités en Suisse » menée dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES (IP13) et le projet SINERGIA CRSII1-129922, dirigée par Prof. Michel Oris, et financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. L’auteure tient à remercier l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices du projet. L’auteure remercie également Prof. Michel Oris, Dr Floriane Demont, Dr Delphine Fagot, Dr Guy Elcheroth ainsi que les évaluateurs anonymes pour les propositions d’enrichissement et les relectures critiques de ce manuscrit.
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[1]
J’ai également occupé la fonction de coresponsable des enquêteurs pour le terrain mené à Genève. Pour le canton de Bâle, ce rôle a été assuré par deux collègues suisses alémaniques, Julia Henke et Rainer Gabriel.
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[2]
Mes travaux de recherche portent essentiellement sur les trajectoires et conditions de vie des migrants âgés au regard des discours et politiques actuels du vieillissement et de la retraite.
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[3]
En incluant l’analyse des données, cet ensemble épistémologique comprend également les instruments d’analyse des résultats et les formes d’écriture (Paugam 2012).
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[4]
Le plan de recherche est ici entendu comme l’ensemble des objectifs à remplir pour mener à bien une étude scientifique. La définition de ces objectifs découle des choix scientifiques réalisés à partir des questions de recherche établies par le(s) chercheur(s) en charge du projet de recherche. Dans le cas d’enquêtes quantitatives, ces choix portent sur la construction du questionnaire, le plan d’échantillonnage, le mode de passation, la procédure d’approche, la stratégie de saisie de données et de codification.
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[5]
La notion de distance sociale renvoie ici à « l’idée d’un espace social structuré par des caractéristiques comme l’âge, le genre, l’origine ethnique et le statut social » (Bonnet 2008 : 57).
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[6]
En Suisse, une initiative populaire correspond à la procédure par laquelle une fraction du corps électoral, actuellement cent mille citoyens, peut proposer une modification, totale ou partielle, de la Constitution. L’acceptation finale de cette modification dépend toujours d’un référendum nécessitant une double majorité des voix, celles du peuple d’une part et celles des cantons de l’autre (définition tirée du Dictionnaire suisse de politique sociale).
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[7]
Nous faisons ici référence à la distinction opérée par Alain Desrosières dans le domaine de la méthodologie statistique. Selon lui, cette expression traduit « une division du travail entre, d’une part, des « experts » de l’outil statistique en tant que tel et, d’autre part, des « usagers » de celui-ci, économistes, historiens ou psychologues » (Desrosières 2001 : 112).
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[8]
La décision de réaliser un suréchantillon à Genève a une double pertinence : d’une part, les Italiens représentent près de 40 % des immigrés âgés de 65 ans et plus et constituent le groupe d’immigrés âgés le plus anciennement établi en Suisse ; d’autre part l’obtention d’échantillons italiens à Bâle et Genève permet de comparer leurs conditions de vie dans deux régions linguistiques.
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[9]
Les taux de réponse, refus et contact ont été calculés d’après les standards de l’Association américaine de recherche en opinion publique (AAPOR 2010) : Taux de réponse = (I+P)/(I+P) + (R+NC+O) + (UH+UO) – Taux de refus = R/((I+P)+(R+NC+O) + UH + UO)) – Taux de contact = (I+P)+R+O / (I+P)+R+O+NC+ (UH + UO)
I = entretien complet ; P = entretien partiel ; R = refus et abandon ; NC = absence de contact ; O = autre ; UH = Ménage inconnu ; UO = autre inconnu. Plus d’information sur le site web de l’organisme :
http://www.aapor.org/Standard_Definitions2/4232.htm -
[10]
Les citations sont extraites des propos rapportés par les enquêteurs sur les fiches de contact mentionnant les raisons de refus et les rapports réalisés pour les responsables de terrain.
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[11]
Cf. notamment l’article de Davis et al. (2010) pour une revue exhaustive des travaux de recherche menés depuis les années 1950 sur ce thème.
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[12]
Cette reconnaissance a été établie par les enquêteurs à partir des accents fortement marqués et différenciés entre régions d’Italie.
1Cet article propose un retour réflexif sur la production de données quantitatives auprès de populations difficiles à atteindre en se centrant sur les difficultés relatives au mode d’élaboration des données. Cette contribution s’inscrit dans le cadre large d’une réflexion liée aux observations et défis méthodologiques apparus lors de la réalisation de l’enquête « Vivre/Leben/Vivere – Démocratisation de la vieillesse ? Progrès et inégalités en Suisse » (ci-après VLV). Cette étude quantitative et interdisciplinaire porte sur les conditions de vie et de santé des personnes âgées de 65 ans et plus résidant en Suisse et comprend un volet intitulé « Migrants âgés : trajectoires, conditions de vie et bien-être ». Afin d’assurer une représentation adéquate des populations visées par ce volet, plusieurs mesures ont été implémentées au fur et à mesure que des obstacles étaient identifiés, mais sans toujours obtenir les résultats escomptés. Cet article repose sur l’idée d’assumer le récit des succès, mais aussi des échecs du terrain VLV, en prenant les non-réponses comme autant d’indices sur les perceptions et réceptions de cette étude. Les problèmes pratiques de production de données de ce volet mettent en effet en exergue un rapport particulier à l’enquête VLV, qui reflète les processus d’inclusion et d’exclusion, passés et actuels, des immigrés âgés dans la société dite « d’accueil ».
2J’ai assumé, sous la supervision des concepteurs de l’enquête, le rôle d’interlocuteur principal auprès des acteurs directs de l’enquête VLV pour les questions relatives aux migrants âgés. Cela impliquait de faire le relais entre les enquêteurs, les responsables des différents terrains et les directeurs de l’enquête pour ces questions [1]. Cette place s’est avérée un atout pour observer ce qui se nouait dans une enquête auprès de populations difficiles à atteindre. J’ai alors décidé de considérer chaque étape, obstacle et ajustement du déroulé du terrain comme autant d’amorces pour les analyses à venir. Mon choix a été, non pas de dissocier production de données et analyses statistiques, mais d’intégrer le processus de production des données à leurs traitements pour poser des interprétations mieux fondées, à la fois ancrées dans et distanciées du terrain [2]. Cet article présente une réflexion empruntée aux approches qualitatives pour étudier les modes de production de données générées par des méthodes quantitatives. Si d’aucuns seraient tentés de pouvoir prétendre « collecter » un supposé réel au travers d’une enquête « représentative de la réalité », ma position est ici de considérer les mécanismes de production de données comme processus d’administration de la preuve soumis à un ensemble épistémologique incluant la posture scientifique du chercheur, la construction de son objet de recherche, la définition des hypothèses, les modes d’objectivation et la méthodologie d’enquête [3] (Paugam 2012). Dans le cadre ainsi posé, la rencontre qui s’est jouée entre monde des chercheurs et monde des enquêtés est au cœur de cet article.
3Un tel exercice réflexif est régulièrement entrepris par les pratiquants des méthodes qualitatives sous l’angle des mécanismes à l’œuvre dans les interactions sociales se nouant lors de l’accès au terrain et du déroulé de l’enquête. Au-delà d’un regard introspectif du chercheur sur sa propre pratique, il constitue souvent une première amorce de l’analyse de ses données (Mauger 1991 ; Bonnet 2008). Du côté des méthodes quantitatives, l’accès aux populations et le déroulement de l’enquête sont davantage problématisés en terme d’incidence sur la représentativité des échantillons construits par les enquêtes réalisées (Groves 2006 ; Marpsat et Razafindratsima 2010). Nous prenons le parti de combiner ces deux approches et de révéler les logiques d’adaptations de l’enquête VLV, à la fois contraintes et raisonnées, afin d’analyser ce que l’implémentation et l’ajustement d’un plan de recherche [4] révèlent des enjeux liés à la production de données auprès de populations difficiles à atteindre.
Enjeux de la production de données dans un contexte de populations difficiles à atteindre
4De nombreux travaux en méthodologie d’enquête quantitative ont mis en exergue les difficultés à obtenir un groupe de répondants représentatif de la (sous-) population étudiée. Quand bien même la méthode d’échantillonnage serait gage de représentativité, certaines sous-populations s’avèrent difficiles à enquêter ce qui peut différencier notablement la taille et le profil du groupe de répondants en comparaison de l’échantillon initial (Groves et Couper 1998 ; Tabutin 2006 ; Gerville-Réache et al. 2011). Robert M. Groves et Mick P. Couper (1998) distinguent plusieurs facteurs influençant la participation des individus aux enquêtes : la composition socioéconomique et sociodémographique générale (y compris les attitudes, normes et valeurs) ; les caractéristiques spécifiques des individus composant l’échantillon (âge, statut matrimonial, structure du ménage, formation, revenu, milieu de vie), le plan de recherche (notamment le mode de production de données, le nombre de tentatives de contact, la longueur de la période de terrain), les caractéristiques des enquêteurs (sexe, âge, expérience) et les interactions entre enquêteur et enquêté.
5La synthèse de ces auteurs nous ramène nécessairement à la question du recrutement des individus appartenant aux groupes difficiles à atteindre dans des enquêtes traitant de manière égalitaire (i.e. avec un plan de recherche identique) l’ensemble des populations qu’elles visent. Ces recherches adoptent généralement des procédures standard dont les mailles encourent le risque d’être trop lâches pour retenir les populations difficiles à intégrer au processus pour des raisons de disponibilité (être sans domicile fixe ou absent du domicile pendant la période de terrain), de non identification aux objectifs et/ou à l’usage des données de l’enquête, ou d’incapacité de répondre aux questions d’enquête (non-maîtrise de la langue de l’enquête, de la lecture et/ou de l’écriture dans le cas de questionnaires auto-administrés, handicap mental, etc.) (Schiltz 2005 ; Riandey et Quaglia 2009 ; Marpsat et Razafindratsima 2010). En outre, les méthodes visant la « neutralisation » et la « standardisation des procédures de recueil de données » tendent à négliger la situation d’enquête en tant qu’acte socialement situé où s’exposent interactions, pratiques et perceptions des différents acteurs en jeu (Mauger 1991).
6La standardisation des procédures est à beaucoup d’égard une dimension intrinsèque aux enquêtes quantitatives puisque le but visé par l’application d’un plan de recherche identique à tous les enquêtés est de minimiser les biais. Selon Pierre Bourdieu et Gabrielle Balazs (1993), la situation d’enquête peut alors devenir l’espace d’une « violence symbolique » lorsque les règles du jeu – objectifs et usages des données – sont unilatéralement imposées par les porteurs du plan de recherche sans que l’enquêté ne soit en mesure de les négocier ni de les comprendre intégralement. Si Bourdieu et Balazs (1993) insistent sur l’entretien comme espace d’expression de cette « violence symbolique », il est nécessaire de reconnaître que dans le cas d’enquêtes quantitatives, l’ensemble de l’implémentation du plan de recherche auprès des enquêtés – et non pas seulement l’interaction enquêteur/enquêté – peut être créateur de rapports de force problématiques, en particulier par le choix des questions posées ou les modalités de prise de contact et de passation du questionnaire. Cette « violence symbolique » serait d’autant plus manifeste que la distance sociale dans la relation d’enquête est grande [5].
7Ces considérations soulignent le dilemme auquel font face les enquêtes quantitatives : appliquer de manière « neutre » et « standardisée » leur plan de recherche afin de minimiser les biais d’enquête mais courir le risque que de telles études soient dans l’incapacité d’atteindre et de représenter certains groupes, ou bien ajuster les procédures standards aux sous-populations visées afin que ces derniers s’identifient aux buts et usages des données et/ou aient une meilleure capacité à répondre aux questions mais en risquant dès lors de créer des biais pouvant nuire à la comparabilité, voire à la qualité des données produites. En ce sens, l’analyse de l’implémentation et de la réception du plan de recherche d’une enquête contribue à comprendre les raisons motivant la coopération des enquêtés et celles expliquant les non réponses. En la matière, l’enquête VLV auprès des immigrés âgés est illustrative du dilemme susmentionné.
Discussion méthodologique à partir du cas des immigrés âgés résidant en Suisse
8Utiliser le cas de retraités immigrés pour contribuer à cette discussion méthodologique découle du constat suivant : de par leur parcours de vie, il s’agit d’une population présentant des conditions de vie se distinguant par certains aspects de leurs homologues suisses, ce qui la rend davantage susceptible d’être sous-représentée dans les enquêtes quantitatives. Chacune des composantes de ce constat est explicitée ci-après.
9Selon la définition de l’Office fédéral des statistiques, est considéré comme immigré en Suisse toute personne, quelle que soit sa nationalité actuelle, qui est née à l’étranger et qui a immigré en Suisse. Elle peut avoir la nationalité de son pays de naissance ou avoir une autre nationalité, notamment la nationalité suisse. Au-delà de la catégorisation démographique de ces populations, les travaux issus de la sociologie de la migration soulignent le risque de naturaliser les différences en termes de nationalité ou d’origine en expliquant les caractéristiques de ces populations par le seul fait qu’elles soient immigrées (Rea et Tripier 2008). Dans le champ du vieillissement des immigrés, plusieurs chercheurs poursuivent cette réflexion pour éviter d’opposer de manière simpliste immigrés âgés et population autochtone. Afin de s’extraire du piège de l’essentialisation, ils ancrent leur approche dans la perspective du parcours de vie en avançant que les conditions de vie des personnes âgées d’origine immigrée découlent de trajectoires de résidence, professionnelle, familiale et de santé fortement marquées par le processus de migration et ses déterminants socioéconomiques et politiques (Attias-Donfut 2004 ; Ackers et Dywer 2004 ; Torres 2008).
10Les conditions de vie des immigrés âgés résidant en Suisse sont le produit d’un enchevêtrement entre, d’une part les politiques migratoires et de l’emploi qui ont joué un rôle essentiel dans leurs trajectoires professionnelles, et d’autre part les politiques sociales qui impactent leurs conditions économiques au temps de la retraite, l’ensemble de ces politiques étant fortement déterminées par les contextes sociopolitiques des pays d’origine et de la Suisse. Rappelons en effet qu’en Suisse, l’objectif principal de la politique migratoire de l’après seconde guerre mondiale était d’obtenir une main d’œuvre temporaire pour répondre aux besoins d’une économie croissante. Ces immigrés sont principalement venus d’Italie dans les années 1950, d’Espagne dans les années 1960, du Portugal et d’ex-Yougoslavie dans les années 1980 et au début des années 1990 et sont issus de pays ayant un contexte économique moins favorable que celui de la Suisse (Piguet 2004 ; D’Amato 2008). La plupart des immigrés âgés ont quitté des régions pauvres de leur pays pour chercher du travail dans des secteurs de l’économie suisse exigeant une main d’œuvre peu ou pas qualifiée (industrie, construction, nettoyage, etc.). Des restrictions légales sévères liées à leur statut juridique, notamment l’interdiction du regroupement familial pour les détenteurs du permis saisonnier, ainsi qu’une absence de politique d’intégration jusque dans les années 1990, ont eu pour conséquence de réduire ces immigrés à un rôle strictement économique en leur déniant l’exercice de droits citoyens. De plus, une hostilité de la part d’une frange de la population s’est largement exprimée dans l’espace public lors des campagnes associées aux initiatives [6] Schwarzenbach contre la « surpopulation étrangère ». Ces dernières sont des initiatives populaires soumises par deux fois au peuple suisse dans les années 1970, finalement refusées. Les tensions véhiculées pendant la campagne ont fortement marquées la plupart des personnes étrangères résidant en Suisse à cette époque (La Barba et al. 2013). Arrivés plus tardivement, les populations d’origine ex-yougoslave et portugaise sont issues de contextes socio-économiques très défavorisés, voire de conflits armés dans le cas de l’ex-Yougoslavie. En comparaison avec les autres populations d’origine étrangère présentes en Suisse, ces deux populations présentent le statut socio-économique le plus bas (Fibbi et al. 2010).
11Ainsi, la situation présente des immigrés âgés est avant tout le produit d’un construit sociohistorique qui les conduit à partager certains facteurs les distinguant avec plus ou moins d’ampleur de leurs homologues suisses. Les retraités d’origine étrangère sont surreprésentés parmi les populations désavantagées de la population âgée notamment en termes économiques et de santé. Leur revenu est en moyenne moins élevé que celui des nationaux âgés, et ce pour plusieurs raisons : un départ précoce à la retraite du fait d’un chômage de longue durée ou de problèmes de santé, une durée de cotisation pour la pension de retraite souvent plus courte (vie active passée dans deux ou plusieurs pays), et une trajectoire professionnelle marquée par des métiers peu ou pas qualifiés (Bolzman et al. 2004).
12Dans la continuité immédiate du point précédent, les trajectoires et conditions de vie des immigrés âgés en Suisse conduisent ces individus à partager certains facteurs péjorant leur taux de participation aux enquêtes. L’analyse des motifs d’inclusion et d’exclusion des minorités nationales dans les grandes enquêtes suisses en sciences sociales souligne le lien entre non réponses et affiliations ethnosociales (Lipps et al. 2011 ; Elcheroth et al. 2011 ; Laganà et al. 2013). Ces travaux concluent à un biais fréquent lié à la sous-participation des minorités immigrées, variant selon la nationalité. De substantiel pour les personnes issues des pays voisins de la Suisse et partageant une des langues nationales, ce biais devient en effet extrême pour celles issues de l’ex-Yougoslavie, d’Albanie, de la Turquie, des pays hors de l’Europe. Plus une communauté ethnonationale diffère socioculturellement et socioéconomiquement de la majorité nationale, plus faibles sont les chances qu’elle soit représentée dans sa proportion propre dans les enquêtes nationales (Elcheroth et al. 2011 ; Lipps et al. 2011).
13L’ensemble de ces conclusions rejoint celles d’autres recherches internationales visant les populations immigrées. Les nécessités de parler la langue de l’enquête si celle-ci n’est pas traduite et n’emploie pas d’enquêteurs bilingues, d’avoir des conditions de vie et des habitudes qui rendent un individu atteignable au moyen de procédures standards, et de posséder un système de croyances et de valeurs qui rendent significatives et compréhensibles les questions posées sont autant d’éléments susceptibles d’affecter la participation des immigrés aux enquêtes et de placer ces individus dans les groupes difficiles à atteindre (Wimmer et Schiller 2002 ; Feskens et al. 2006 ; Deding et al. 2008).
14Ainsi, si « toute situation d’enquête, comme toute situation sociale, n’est jamais neutre » (Bessière et Houseaux 1997 : 114), alors l’enquête VLV constitue un espace créateur d’interactions sociales à analyser, interactions entre d’une part, les chercheurs et enquêteurs détenant le monopole du savoir et imposant les règles du jeu de l’enquête et d’autre part, les enquêtés dont le statut découle de trajectoires et de conditions de vie en moyenne moins favorables que la population d’origine suisse.
Analyser la situation d’enquête et les adaptations du plan de recherche par les méthodes mixtes
15L’enquête VLV a été menée en Suisse dans deux régions francophones (canton de Genève et Valais central), deux régions germanophones (agglomération de Bâle et les parties alémaniques du canton de Berne) et une région italophone (canton du Tessin). L’échantillon final stratifié par âge et par sexe est constitué de près de 3 600 personnes âgées de 65 ans et plus. Les concepteurs de l’enquête VLV ont pris le parti de ne pas déléguer la réalisation de l’enquête à un institut de sondage afin de ne pas séparer « experts » de l’outil statistique et « usagers » de celui-ci [7]. L’application du plan de recherche a donc été assurée par les concepteurs et futurs usagers de l’enquête VLV, et par la gestion interne d’équipe d’enquêteurs chargés de recruter les participants et de faire passer les questionnaires. La participation à l’enquête VLV s’est faite sur une base volontaire non rémunérée. Une fois le contact noué et une acceptation de principe obtenue, le travail s’est déroulé en deux phases : la première consistait en l’envoi d’un questionnaire et d’un calendrier de vie auto-administrés, la seconde en une interview assistée par ordinateur avec un enquêteur, entretien basé sur un questionnaire d’une durée moyenne d’une heure et demie. L’enquête VLV inclut un volet « Migrants âgés : trajectoires, conditions de vie et bien-être » dont les objectifs de recherche résident principalement dans la comparaison des conditions et trajectoires de vie des immigrés avec les Suisses. Toutefois, des obstacles compromettant la réalisation de ce plan de recherche sont apparus rapidement, conduisant l’équipe à ajuster certains de ses éléments.
16Afin d’analyser les adaptations possibles des procédures standard et leurs effets, je me suis basée sur des données quantitatives et qualitatives. Les analyses quantitatives visent à déterminer si les immigrés âgés se distinguent des Suisses d’origine dans leurs taux de réponses, contact et refus, et comme nous l’avons vu, il s’agit d’analyses classiques en matière de questionnement méthodologique (Groves et Couper 1998). Les données qualitatives sont moins usitées en méthodologie d’enquête mais détiennent un intérêt certain pour la compréhension des processus à l’œuvre dans la situation d’enquête (Elcheroth et al. 2011).
17Ici, les analyses qualitatives se basent sur trois corpus de données. Premièrement, j’ai tenu un cahier de bord reprenant les rapports oraux et écrits des enquêteurs en charge des immigrés. Ces notes de terrain permettent de compléter les données des fiches de contact en apportant des interprétations aux raisons de non réponse ou d’acceptation. Y sont notamment consignés les motifs invoqués par les répondants pour refuser de participer ainsi que les obstacles identifiés par les enquêteurs compromettant la tenue et le déroulé de l’entretien. J’ai ensuite réalisé une analyse de contenu des discussions stratégiques de l’équipe de recherche à partir des procès-verbaux de ses réunions afin d’examiner les alternatives méthodologiques adoptées pour les populations d’origine étrangère en comparaison des procédures standards de l’enquête VLV. Enfin, j’ai effectué un entretien de groupe avec les enquêteurs en charge des suréchantillons. Cette discussion focalisée a eu lieu quelques semaines après la fin du terrain et a abordé les aspects ayant traits à la procédure d’approche et au déroulement des entretiens. À noter qu’il s’agit de propos produits dans des conditions particulières puisque, même s’ils étaient garantis par la confidentialité et l’anonymat, ils ont été rapportés par les enquêteurs devant leur ancien responsable de terrain. Ce discours situé conserve toutefois l’avantage de permettre d’affiner l’analyse du processus d’interaction sociale se déroulant dans le cadre de l’enquête VLV en confrontant entre elles les expériences individuelles de terrain.
Le plan de recherche à l’épreuve du terrain
18L’étude VLV a pris le parti initial de ne pas préconstruire de différences entre Suisses et immigrés, et ce en appliquant les mêmes types de prises de contact et questionnaires aux deux types de population. Ce point de départ crucial nous a amenés à sous-estimer les risques issus d’un tel traitement. Quatre mesures subsidiaires ont quand même été introduites en amont de la production de données pour assurer un recrutement adéquat parmi les immigrés âgés : suréchantillonnage de ces populations, traductions du matériel d’enquête, recrutement d’enquêteurs bilingues et actions de sensibilisation au sein des communautés d’immigrées. Ces mesures ne devaient pas interférer avec l’objectif initial qui était explicitement de ne pas préconstruire de différences entre Suisses et étrangers. Il ne s’agissait donc que de faciliter quelque peu l’entrée sur le terrain et éliminer la barrière de la langue. Nous présentons ci-après les effets contrastés de cette approche, puis les obstacles apparus, pour enfin discuter les adaptations de nos procédures et leurs impacts. Le tableau 1 reprend les principales étapes du terrain VLV afin de faciliter la lecture des résultats présentés.
Principales étapes et mesures du terrain de l’enquête VLV
Principales étapes et mesures du terrain de l’enquête VLV
19Afin d’assurer un nombre de répondants suffisants, l’équipe de recherche a en premier lieu procédé à un suréchantillonnage des populations immigrés âgés de 65 à 79 ans dans les cantons de Bâle et de Genève. Initialement, les suréchantillons visaient les personnes âgées, d’origine portugaise et espagnole pour le canton de Genève, celles d’origine italienne et ex-yougoslave pour l’agglomération de Bâle. Le choix de ces groupes et des sites d’étude fut déterminé par la répartition géographique des populations et par leur importance démographique relative à la population nationale et aux autres groupes d’immigrés âgés.
20La traduction de l’ensemble du matériel d’enquête dans la langue maternelle de chaque nationalité des suréchantillons a été réalisée en raison de problèmes potentiels de compréhension et de maîtrise de la langue locale. La nécessité de traduire le matériel n’a au départ pas fait l’unanimité au sein de l’équipe. Certains pensaient qu’après plusieurs dizaines d’années passés en Suisse, les immigrés âgés « devraient être capables » de s’exprimer dans la langue locale. D’autres au contraire avançaient que certains ne pourraient répondre aux questionnaires en allemand ou en français en raison d’un manque d’opportunité d’apprendre la langue locale pendant leur vie active, soit par manque de temps, de structures accessibles ou d’un niveau de formation de base suffisant. Ce dernier point s’explique notamment par le contexte socio-économique des pays d’origine évoqué plus haut et souligné par les propos d’une des enquêtrices :
« J’ai trouvé beaucoup beaucoup beaucoup [de répondants] qui avaient [fréquenté uniquement l’école] primaire ou presque rien. Parce qu’à l’époque, c’est normal, c’était pas obligatoire la formation. Il n’y avait pas beaucoup d’école obligatoire en Espagne à l’époque de Franco. Il y en a beaucoup qui avaient peut-être un apprentissage ou qui ont directement laissé l’école pour travailler dans la famille ou dans les champs pour aider »
22Au-delà des obstacles que cela crée au quotidien pour les personnes concernées, l’équipe a craint que cette absence de maîtrise linguistique entraîne un risque accru de refus de participation, impliquant qui plus est un biais de sélection. La lettre de contact, le calendrier de vie et ses instructions, les questionnaires auto-administrés et face-à-face ont donc finalement été traduits en portugais, espagnol, italien, albanais et serbo-croate. Des enquêteurs bilingues – de préférence recrutés parmi les secondes générations – et titulaires d’un diplôme universitaire ont été engagés pour réaliser la prise de contact, le suivi du dossier du répondant et l’entretien en face-à-face dans la langue choisie par les enquêtés. À Genève, 87 % des membres du suréchantillon portugais, 81 % des Espagnols et 90 % des Italiens ont répondu dans leur langue maternelle. Ces résultats soulignent à quel point l’option de la traduction a été cruciale pour atteindre les immigrés âgés. Ce constat se reflète dans les propos d’une enquêtrice :
« Je parlais tout de suite en portugais parce qu’au début j’essayais de parler en français et ça n’a pas du tout marché parce que malheureusement (…) il y a des gens qui parlent pas habituellement, ils comprennent un petit peu mais pour parler, elles parlent rien du tout, deux trois mots et pas plus ».
24Les pourcentages élevés de personnes choisissant de répondre dans leur langue d’origine pour l’étude VLV comprennent certainement des personnes qui auraient été capables de répondre aux questionnaires dans la langue locale mais pour lesquels la langue d’origine s’avérait plus confortable, voire plus propre à la mise en confiance.
25Néanmoins, pour des traductions correctes respectant les nuances de sens, il a fallu faire traduire le matériel d’enquête par deux traducteurs professionnels travaillant en dialogue avec l’équipe de recherche qui elle-même incluait au moins une personne de langue maternelle de la traduction. Cette procédure fut coûteuse et nécessita du temps. Ces exigences pourraient expliquer le renoncement de nombre d’enquêtes en sciences sociales à traduire leurs questionnaires dans les langues de groupes minoritaires. Dès lors, elles encourent clairement le risque de ne pas atteindre les immigrés qui n’ont pas eu l’occasion d’apprendre et de maîtriser la langue locale, mais aussi de placer certains enquêtés dans une situation de « violence symbolique » entre enquêteurs et chercheurs maîtres du capital linguistique usité, et enquêtés susceptibles d’en être plus faiblement pourvus.
26L’équipe de recherche a d’autre part entrepris des efforts conséquents pour promouvoir l’étude parmi les communautés étrangères. Le but était de réduire la méfiance de la part des immigrés âgés et de les faire adhérer aux buts de l’enquête pour pouvoir plus facilement les convaincre lors du premier contact. L’information a circulé auprès des médias (radios et journaux des communautés), paroisses catholiques, associations de compatriotes, épiceries, bistrots, coiffeurs, etc. Les effets d’une telle diffusion sur l’accès à la population et sa représentativité dans l’échantillon restent délicats à mesurer. Certains étaient rassurés du sérieux de l’étude :
« J’ai eu des retours par des personnes enquêtées, ils avaient vu l’affiche sur le consulat espagnol et à l’église aussi. (…) Ça les rassurait que c’était une chose pas frauduleuse [Approbation des autres enquêteurs], que c’était pas une arnaque ».
28Malgré ces mesures prises en amont du terrain, les objectifs initiaux, fixés à 120 répondants par nationalité n’ont pas été atteints, hormis pour les Italiens de Bâle (cf. tableau 2) : pour les Portugais et les Espagnols, nous sommes arrivés à un peu plus de la moitié des effectifs visés au départ alors que l’effectif atteint pour les personnes originaire de l’ancienne Yougoslavie n’a jamais été suffisant pour pouvoir former un échantillon consistant. Quant au suréchantillon d’Italiens de Genève, il a justement été réalisé suite à l’échec avec les aînés originaires de l’ex-Yougoslavie [8].
Nombre de répondants obtenus par Canton et par origine
Nombre de répondants obtenus par Canton et par origine
(120 étant planifiés dans chaque groupe)29Si les objectifs ont été atteints pour les suréchantillons italiens, la variation entre effectifs planifiés et obtenus pour les autres nationalités relève d’un ensemble de facteurs. À noter que les données pour les suréchantillons portugais et espagnol ont été collectées pendant la même période. Les échantillons italiens et ex-yougoslaves ont été engagés au cours (pour Bâle) et au terme (pour l’échantillon italien à Genève) de ces premiers suréchantillons. Ils ont donc bénéficié de l’expérience acquise par le lancement difficile de ces derniers (cf. tableau 1 pour la chronologie de la réalisation des suréchantillons) ce qui explique l’obtention des effectifs planifiés. Notre analyse se concentre donc sur les ajustements des procédures auprès des échantillons portugais et espagnol.
30Le premier élément d’explication est relatif aux taux de réponse, refus et contact qui diffèrent par rapport à l’échantillon principal [9]. Pour Genève, le taux de réponse de ce dernier atteint 36 %, ce qui illustre la faible participation des Suisses, mise en évidence dans toutes les grandes études européennes (Guichard et al. 2012). Pourtant, même par rapport à cette valeur basse, les suréchantillons italiens, portugais et espagnols se sont montrés encore plus réticents (cf. tableau 3).
Taux de réponse, refus et contact par pays d’origine
Taux de réponse, refus et contact par pays d’origine
(en %)31Les personnes originaires d’Espagne ont été plus faciles à contacter mais refusaient plus facilement de participer en comparaison des personnes originaires du Portugal qui furent plus difficiles à atteindre mais un peu plus enclines à participer. Le bas taux de contact de ces derniers s’explique en grande partie par la part d’individus de ce groupe à ne pas posséder de ligne téléphonique fixe : alors qu’elle avoisine les 23 % pour les Suisses (échantillon principal), ainsi que parmi les personnes originaires d’Italie et d’Espagne résidant à Genève, cette proportion dépasse 37 % parmi les personnes originaires du Portugal. À noter qu’il n’existe pas en Suisse de répertoire systématique des numéros de téléphone portable. En outre, d’après les rapports des enquêteurs et des membres de la communauté portugaise, ces dernières sont nombreuses à effectuer des allers retours fréquents entre la Suisse et leur pays natal, les rendant difficilement atteignables. Ce type de mobilité s’avère moins pratiqué par les Espagnols.
32Toutefois, le taux de réponse n’a pas été constant tout au long du terrain, et les taux de réponses mentionnés dans le tableau 3 – bien que modestes – se sont avérés difficiles à atteindre (cf. figure 1).
Évolution du taux de réponse au cours de l’avancée du terrain
Évolution du taux de réponse au cours de l’avancée du terrain
33Après six semaines de terrain, le taux de réponse pour les personnes originaires du Portugal était seulement de 2 %, pour 8 % chez les personnes originaires d’Espagne. Le nombre de contacts fournis par l’Office cantonal de la population diminuait sévèrement. Demander un nouvel échantillon était impossible étant donné la longueur de la procédure, et le fait que la quasi-totalité de la population portugaise résidant à Genève avait déjà été fournie lors de la première requête. À Bâle, les taux de réponse des ex-Yougoslaves ont été quasi nuls tout au long de la durée de l’opération. Au bout de dix semaines de tentatives, et malgré les adaptations des procédures d’approches, les directeurs de l’enquête ont décidé de renoncer à ce terrain en raison des coûts qu’il impliquait et des problèmes éthiques qu’il soulevait. Ce dernier point est explicité plus loin.
Les effets des adaptations du plan de recherche
34L’amélioration des taux de réponse observée sur la figure 1 coïncide avec plusieurs adaptations des procédures d’approche ayant contribué à l’obtention des effectifs susmentionnés. La première réponse à une situation jugée critique a été de clairement identifier et comprendre les raisons des non-réponses afin d’y remédier. En cas d’impossibilité d’établir un contact téléphonique, la consigne donnée aux enquêteurs était de procéder à une visite à domicile. Le taux de succès pour une telle procédure étant très bas à Genève pour l’échantillon principal (moins d’une visite sur cinq a abouti à un dossier complet), elle a été abandonnée petit à petit pour les suréchantillons. Une fois qu’une personne était atteinte soit par téléphone soit par une visite, une série d’obstacles restait à surmonter avant qu’elle n’accepte de participer. Beaucoup se méfiaient du non-respect de la garantie de l’anonymat et de la confidentialité : « Rien ne me garantit que vous ne donnerez pas mon nom aux autorités. » Certains exprimaient un degré de ressentiment élevé vis-à-vis de la « Suisse » : « À quoi ça sert de répondre ? Les choses ne changeront jamais (…). J’ai travaillé toute ma vie en Suisse et je touche une retraite de misère. » D’autres, notamment en raison du double sens du mot enquête en français, assimilaient les études universitaires à des contrôles de police ou de la part des autorités : « Votre questionnaire est trop policier. » Quelques-uns manquaient de temps à cause d’une activité professionnelle pour compléter leur pension ou, comme évoqué, en raison d’allers-retours avec leur pays d’origine rendant la prise de contact d’autant plus difficile : « Je n’ai pas le temps, je repars pour trois mois au Portugal. » Pour certains, et notamment les personnes issues de l’ex-Yougoslavie, le retour sur leurs parcours antérieurs au moyen du calendrier de vie impliquait le rappel d’événements traumatisants liés à la guerre ou à la dictature. Ce retour intrusif a été reproché par certains membres de la famille des enquêtés : « Depuis la visite de votre collaborateur, mon père fait des cauchemars. » Il paraissait dès lors difficilement soutenable, d’un point de vue éthique, de persister dans cette voie. Finalement, un niveau d’instruction en moyenne moins élevé que la population suisse, voire pour certains, une situation d’illettrisme, a aussi pu expliquer des réticences à répondre à un long questionnaire [10].
35La distance sociale créée par la charge symbolique véhiculée par l’enquête et exprimée dans les raisons de refus susmentionnées fait écho au raisonnement avancé par Gérard Mauger (1991) pour comprendre les raisons de participation aux enquêtes. Dans le cadre de travaux de recherche réalisés en « milieu populaire », il souligne l’importance des « pertes et profits symboliques » que les enquêtés retirent d’une participation à l’enquête. Dans le cas de VLV, il ressort de l’entretien de groupe que le profit symbolique retiré par les répondants contribue à expliquer la motivation à prendre part à l’enquête VLV. D’après les enquêteurs, ce profit symbolique – pour eux-mêmes ou pour le groupe auquel ils s’identifient – avait trait à la croyance que « quelque chose allait peut-être changer pour eux » (Enquêtrice n° 156, d’origine portugaise, 36 ans, école secondaire au Portugal, en Suisse depuis quinze ans, y travaille comme aide soignante et y réalise une formation en travail social) ou pour leur « communauté » (Enquêtrice n° 159, cf. infra). Si le degré de croyance de la part des répondants dans un tel apport de l’enquête VLV est difficilement vérifiable, il n’en demeure pas moins que l’identification par les répondants à l’usage de l’enquête – ou ce qu’ils se représentent de cet usage – participe des intérêts avancés pour participer à VLV.
36Étant donné les spécificités de l’accès aux populations immigrées âgées, l’équipe de recherche s’est efforcée de réduire la distance entre le dispositif VLV et les populations visées. Pour ce faire, trois grandes mesures ont été testées avec plus ou moins de succès. À l’origine, être bilingue – de préférence de seconde génération et du même pays de provenance que les populations visées – et posséder un titre universitaire en sciences sociales ou psychologie, étaient les seuls critères définissant le profil de recrutement. Même si certains des enquêteurs ainsi sélectionnés ont eu un taux de réponse correct, leur productivité à travers le temps restait basse. La plupart furent découragés et décidèrent d’abandonner. Pour rechercher une meilleure proximité avec les enquêtés, une nouvelle vague d’enquêteurs fut engagée selon des critères différents visant à réduire la distance enquêteur/enquêté : être une personne de première génération venant du même pays que les personnes visées, avoir un réseau établi dans sa communauté d’origine, ne pas nécessairement détenir de formation universitaire mais avoir plutôt une expérience auprès des personnes âgées. Ces nouveaux enquêteurs ont été recrutés par une annonce diffusée dans les réseaux des communautés d’origine des immigrés âgés et ont été rémunérés au prorata du nombre d’enquêtes effectuées au même titre que l’avaient été leurs prédécesseurs.
37Ces collaborateurs ont travaillé en étroite collaboration avec les responsables de terrain afin d’assurer la qualité du travail et maintenir leur motivation face aux difficultés. L’argumentaire pour convaincre les personnes de participer a été ajusté de manière à faire écho au vécu des immigrés âgés. Venir du même pays et vivre l’expérience migratoire comme première génération a joué un rôle déterminant pour éviter une trop grande distance et, au contraire, permettre que se noue une relation entre personnes pouvant échanger sur leurs histoires de vie, suffisamment similaires pour qu’émerge le sentiment d’une identité partagée :
« Savoir reconnaître les difficultés de la personne qui est arrivée ici et qui a connu un peu tout le parcours qui est pas toujours évident dès le départ, et ça je pense que voilà, on peut s’identifier d’une certaine manière (…) parce que voilà on a la culture du pays ».
39Cette proximité est d’autant plus appréciée que l’enquêteur vient de la même région que le répondant :
« Quand je tombais sur quelqu’un qui venait aussi de ma région “ah vous venez d’où, ah c’est à côté de moi, ah d’accord, venez” ».
41Certains répondants ont justement accepté de répondre parce que l’enquêteur était de première génération afin de l’aider dans le travail que ce dernier effectuait en Suisse :
« Il y a en a d’autres qui font [l’enquête] parce que c’est bien de faire, pour la communauté c’est bien, tout simplement, et d’autres par solidarité, envers la personne de la communauté ou envers moi par exemple parce que parfois ils te demandaient “mais tu es aussi espagnole ?”, par solidarité, ils ont aussi commencé par ici, alors il faut aussi tendre la main aux gens qui arrivent ».
43Que les enquêteurs aient une formation supérieure ou non n’a pas été un facteur déterminant dans la gestion de la distance sociale entre enquêteurs et enquêtés puisque la moitié des nouveaux collaborateurs en détenaient une et l’autre non. Ce qui a joué un plus grand rôle a été la double appartenance de l’enquêteur au monde des enquêtés par le partage d’une identification à un vécu migratoire perçu comme « similaire », et au monde des chercheurs par l’identification aux buts et usages de l’enquête. Cette double appartenance s’est notamment traduite par une ténacité, malgré les difficultés, à atteindre les répondants, ainsi qu’une capacité à convaincre et inspirer confiance :
« Enfin moi personnellement je pensais que c’était positif pour eux [population d’origine portugaise] donc ça m’a motivé en fait, de les convaincre entre guillemets de l’utilité et que je savais que finalement, une fois qu’on se rencontre, c’était toujours de belles rencontres. Et puis je savais aussi d’une certaine manière, que je pouvais apporter un peu plus, ne serait-ce que donner un renseignement, une adresse d’une association ou autre au niveau social. Je trouvais qu’il y avait une manière de rentrer chez eux et de leur apporter quelque chose. Et puis ben voilà c’était des belles rencontres et je savais qu’à la fin ça se passe bien. Quand il y avait des personnes vraiment désagréables et difficiles, et ben il faut passer au-dessus ».
45À noter que malgré des critères de recrutement plus sélectifs, deux engagés selon le nouveau profil ne sont pas parvenus à un taux de réponse suffisamment élevé, ce qui s’explique par des comportements individuels spécifiques : invalidité temporaire pour l’un et introversion lors de la prise de contact téléphonique pour l’autre. Excepté ces cas isolés, le nouveau recrutement intervenu après sept semaines a largement expliqué l’amélioration du taux de réponse observée sur la figure 1. Ce gain d’efficience suite au changement de collaborateurs fait écho à la littérature scientifique, en particulier anglo-saxonne, portant sur l’effet enquêteur. Largement documenté [11], ce dernier fait référence au fait que les données produites par un (groupe d’) intervieweur(s) puissent différer de celles produites par un autre (groupe d’) intervieweur(s) alors même qu’il(s) administre(nt) le même questionnaire à un échantillon de répondants issus de la même population (Groves 2004). Dans le cas de VLV, l’effet enquêteur lié aux différences de données produites entre les deux vagues de recrutement ne peut pas être mesuré en termes statistiques puisque le nombre d’enquêteurs n’est pas assez élevé pour un tel exercice. L’analyse qualitative de la relation nouée lors de la prise de contact a cependant le mérite de nous renseigner sur le rôle que l’enquêteur peut tenir dans la réduction de la distance sociale entre porteurs du plan de recherche et récepteurs de l’enquête, et sur le succès à atteindre les immigrés âgés obtenu par des enquêteurs auxquels les répondants peuvent plus facilement s’identifier.
46Un autre ajustement du plan de recherche vient du fait que les taux de refus et de non-contact élevés au début de terrain ont conduit à une diminution sévère du nombre de personnes listées dans les échantillons initiaux fournis par les services de la population. Face à ce constat alarmant, l’équipe de recherche proposa de compléter ces tirages aléatoires par un échantillon par quota en adoptant la méthode dite de la « boule de neige ». Les personnes recrutées devaient être âgées de 65 à 79 ans, posséder la nationalité espagnole, portugaise ou italienne. Le recrutement des participants potentiels a été effectué dans les réseaux des répondants et des enquêteurs, dans les associations d’immigrés, les paroisses, etc.
47Quelques 17 % des enquêtés ibériques proviennent du recrutement par boule de neige. Dans ce cas, la réussite finale, bien qu’en-deçà des objectifs visés, est davantage due aux compétences des nouveaux enquêteurs à convaincre les répondants qu’au lancement d’un nouveau mode de recrutement des participants. Par contre, 55 % des enquêtés italiens à Bâle et à Genève sont issus du recrutement boule de neige. Initiée cette fois dès le début des terrains, cette méthode a contribué fortement à nous permettre d’atteindre les objectifs quantitatifs fixés initialement. Mais d’après les rapports des enquêteurs, elle implique que la plupart des enquêtés obtenus par cette voie venaient d’Italie du Nord, ce qui constitue un biais sérieux étant donné la disparité des contextes socio-économiques entre le sud et le nord du pays. Néanmoins, les enquêteurs ont établi le même constat pour les personnes recrutées par la procédure standard et reconnues comme venant du Sud [12]. Ces dernières semblaient davantage refuser que ceux du Nord. Ces constats se confirment lors des analyses menées depuis à partir de la base de données qui renseigne la trajectoire de résidence des répondants.
48Enfin, les enquêteurs ont fréquemment reporté les difficultés des immigrés âgés à remplir certaines parties des questionnaires, en particulier la section « cognition ». Cette dernière débute avec un test de vocabulaire consistant à identifier les synonymes des mots en gras parmi six possibilités (cf. figure 2). Cet exercice requiert une excellente connaissance de la langue et de ses nuances. Ces tests n’ont pas été traduits pour cause de problèmes liés à la validité des échelles, exceptés pour l’allemand, langue pour laquelle ces tests existent.
Test du Mill Hill (Matériel d’enquête VLV)
Test du Mill Hill (Matériel d’enquête VLV)
49Les enquêteurs se sont plaints que certains répondants exprimaient un sentiment de frustration, voire d’échec, après la passation de cette section du questionnaire réalisée en face-à-face. Les enquêtés se sont sentis testés sur leur capacité à maîtriser la langue locale alors que la plupart répondaient à tout le reste dans leur langue maternelle. Ces exercices ont également pu faire écho à la question de la maîtrise d’une langue nationale pour tester « l’intégration », débat qui fait régulièrement surface en Suisse. Ceci décourageait les enquêteurs car créait un malaise évident au milieu de l’entretien, au point qu’à plusieurs reprises les répondants ont décidé d’interrompre l’interview et de se retirer de l’étude. Cela suscitait également des refus de participation. Dès lors, l’équipe de recherche a décidé d’abandonner cette section pour les suréchantillons italiens, portugais et espagnols afin de ne pas freiner les boules de neige, éviter tout encouragement à l’assimilation de l’étude VLV à une enquête des autorités, mais surtout ne pas mettre les enquêtés dans une situation de « quasi-procès » ou « quasi-examen » (Mauger 1991).
Représenter les populations difficiles à atteindre : un constant dialogue entre exigences statistiques et éléments constitutifs du terrain
50Les raisons de non réponse peuvent être informatives et complémentaires de l’analyse des données produites. La guerre (ex-Yougoslavie), les dictatures (Espagne, Portugal) dans leur pays d’origine, mais également le rejet d’une partie de la population suisse à leur arrivée et durant leurs années en Suisse expliquent très certainement l’assimilation de la part des immigrés âgés de l’enquête VLV – située du côté de l’« officialité » – aux dispositifs institutionnels, la méfiance à l’égard de la garantie d’anonymat et de confidentialité, et le rejet de ce qui s’apparentait à une intrusion dans leur vie privée et/ou à une remise en question de leur « intégration » en Suisse.
51Au-delà des caractéristiques du parcours de vie des immigrés âgés marqués par le processus migratoire et révélées par les raisons de non réponses, la situation d’enquête de l’étude VLV rappelle une fois de plus le lien crucial entre plan de recherche et composition de l’échantillon final des répondants. Elle invite le chercheur à interroger sa propre pratique et à se pencher sur les problèmes de mesures induits par les questions d’accès à ces individus. Parfois reléguées, les questions méthodologiques se révèlent en effet déterminantes dans l’étude des populations difficiles à atteindre. Étudier ces groupes place le scientifique au cœur d’une tension entre d’une part, le choix d’un plan de recherche identique pour les populations visées qui permet de ne pas pré-construire de différences entre groupes mais présente un risque avéré de créer une sous-représentation des groupes les plus vulnérables, et d’autre part une adaptation du plan de recherche à ces sous-populations par repérage des risques anticipés de leur éventuelle sous-participation, adaptation qui comporte le risque de nuire à la comparaison. Les résultats présentés dans cet article invitent le chercheur à résoudre cette tension en adaptant le plan de recherche dans un constant dialogue entre exigences statistiques et problèmes d’accès aux populations révélés par le terrain afin de placer les individus, y compris ceux en situation de vulnérabilité, en « disposition de parler » pour une enquête que d’aucun placerait du côté de l’« officialité » (Mauger 1991).
52Dans ce dialogue, comme le démontre l’expérience VLV, l’enquêteur joue un rôle essentiel dans la réduction de la distance sociale entre l’enquêté et les concepteurs et gestionnaires de l’enquête, détenteurs du monopole de la violence symbolique véhiculée par le caractère officiel du dispositif et imposant les règles du jeu unilatéralement dans le cas d’enquête quantitative. Plus qu’une courroie de transmission « neutre » chargée de conduire des questionnaires standardisés selon des normes précises, il se place comme intermédiaire défini par sa « double-appartenance au monde de l’enquêteur et au monde des enquêtés » (Bessière et Houseaux 1997 : 103), porteur d’attributs sociaux lui permettant d’être médiateur entre deux pôles de l’espace social, celui des chercheurs – concepteurs d’un plan de recherche empreint de leurs propres catégories d’entendement – et celui des enquêtés, récepteurs et interprètes de l’enquête. Convaincu de la nécessité de son rôle, l’enquêteur partage la conviction de l’utilité collective de l’enquête pour un groupe social auquel il est en mesure de s’identifier, et attribue le sens de son activité au bénéfice que l’enquête, en tant que rencontre sociale, apporte au répondant. En résumé, tenter de résoudre la tension entre contraintes statistiques et éléments constitutifs du terrain en tenant compte des paramètres auxquels cette tension est soumise – distance sociale entre chercheurs, enquêteurs et enquêtés ; buts et usages des données ; coûts et temps à disposition des concepteurs de l’enquête – permet d’éviter toute conclusion produite à partir d’enquête n’ayant pas réussi à représenter l’ensemble des populations qu’elle vise.
Ouvrages cités
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Notes
-
[*]
Ce texte est issu de travaux menés au sein de la recherche « Vivre/Leben/Vivere – Démocratisation de la vieillesse ? Progrès et inégalités en Suisse » menée dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES (IP13) et le projet SINERGIA CRSII1-129922, dirigée par Prof. Michel Oris, et financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. L’auteure tient à remercier l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices du projet. L’auteure remercie également Prof. Michel Oris, Dr Floriane Demont, Dr Delphine Fagot, Dr Guy Elcheroth ainsi que les évaluateurs anonymes pour les propositions d’enrichissement et les relectures critiques de ce manuscrit.
-
[1]
J’ai également occupé la fonction de coresponsable des enquêteurs pour le terrain mené à Genève. Pour le canton de Bâle, ce rôle a été assuré par deux collègues suisses alémaniques, Julia Henke et Rainer Gabriel.
-
[2]
Mes travaux de recherche portent essentiellement sur les trajectoires et conditions de vie des migrants âgés au regard des discours et politiques actuels du vieillissement et de la retraite.
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[3]
En incluant l’analyse des données, cet ensemble épistémologique comprend également les instruments d’analyse des résultats et les formes d’écriture (Paugam 2012).
-
[4]
Le plan de recherche est ici entendu comme l’ensemble des objectifs à remplir pour mener à bien une étude scientifique. La définition de ces objectifs découle des choix scientifiques réalisés à partir des questions de recherche établies par le(s) chercheur(s) en charge du projet de recherche. Dans le cas d’enquêtes quantitatives, ces choix portent sur la construction du questionnaire, le plan d’échantillonnage, le mode de passation, la procédure d’approche, la stratégie de saisie de données et de codification.
-
[5]
La notion de distance sociale renvoie ici à « l’idée d’un espace social structuré par des caractéristiques comme l’âge, le genre, l’origine ethnique et le statut social » (Bonnet 2008 : 57).
-
[6]
En Suisse, une initiative populaire correspond à la procédure par laquelle une fraction du corps électoral, actuellement cent mille citoyens, peut proposer une modification, totale ou partielle, de la Constitution. L’acceptation finale de cette modification dépend toujours d’un référendum nécessitant une double majorité des voix, celles du peuple d’une part et celles des cantons de l’autre (définition tirée du Dictionnaire suisse de politique sociale).
-
[7]
Nous faisons ici référence à la distinction opérée par Alain Desrosières dans le domaine de la méthodologie statistique. Selon lui, cette expression traduit « une division du travail entre, d’une part, des « experts » de l’outil statistique en tant que tel et, d’autre part, des « usagers » de celui-ci, économistes, historiens ou psychologues » (Desrosières 2001 : 112).
-
[8]
La décision de réaliser un suréchantillon à Genève a une double pertinence : d’une part, les Italiens représentent près de 40 % des immigrés âgés de 65 ans et plus et constituent le groupe d’immigrés âgés le plus anciennement établi en Suisse ; d’autre part l’obtention d’échantillons italiens à Bâle et Genève permet de comparer leurs conditions de vie dans deux régions linguistiques.
-
[9]
Les taux de réponse, refus et contact ont été calculés d’après les standards de l’Association américaine de recherche en opinion publique (AAPOR 2010) : Taux de réponse = (I+P)/(I+P) + (R+NC+O) + (UH+UO) – Taux de refus = R/((I+P)+(R+NC+O) + UH + UO)) – Taux de contact = (I+P)+R+O / (I+P)+R+O+NC+ (UH + UO)
I = entretien complet ; P = entretien partiel ; R = refus et abandon ; NC = absence de contact ; O = autre ; UH = Ménage inconnu ; UO = autre inconnu. Plus d’information sur le site web de l’organisme :
http://www.aapor.org/Standard_Definitions2/4232.htm -
[10]
Les citations sont extraites des propos rapportés par les enquêteurs sur les fiches de contact mentionnant les raisons de refus et les rapports réalisés pour les responsables de terrain.
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[11]
Cf. notamment l’article de Davis et al. (2010) pour une revue exhaustive des travaux de recherche menés depuis les années 1950 sur ce thème.
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[12]
Cette reconnaissance a été établie par les enquêteurs à partir des accents fortement marqués et différenciés entre régions d’Italie.