Genèses 2014/2 n° 95

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Article de revue

Dérogeance et commerce

Violence des constructions socio-politiques sous l'Ancien Régime

Pages 2 à 26

Notes

  • [1]
    Bibliothèque nationale de France (BnF dans les notes suivantes), F 23 670 (325), Arrests donnez entre Jean Delabarre marchand & les maistres & gardes des marchands merciers, Paris, De Varennes, 1670, p. 6.
  • [2]
    Bnf, Z Thoisy-57, Requeste des Six Corps des Marchands contre l’Ordre de Malte, s.l.n.d. [1694], p. 17.
  • [3]
    Archives nationales (AN dans les notes suivantes), E 1255B n° 27, Arrêt du Conseil du 22 juillet 1749 pour la draperie et la mercerie.
  • [4]
    AN, AD/XI/22, Recueil d’ordonnances, statuts et reglemens concernant le corps de la mercerie, Paris, Chardon, 1752.
  • [5]
    AN, KK 1340-341, Registre de délibérations des Six Corps, 1620-1774.
  • [6]
    Bnf, F 13096, Statuts, ordonnances et reglemens du corps des marchands merciers grossiers joüailliers de cette ville de Paris, Paris, veuve Garnier, 1737, p. 49, 66.
  • [7]
    Bnf, Ms Joly de Fleury 60, A Nosseigneurs de Parlement en la Grand’Chambre, Paris, Osmont, s.d. [1727], p. 6.
  • [8]
    Bnf, Ms Joly de Fleury 60, requêtes des tapissiers au Parlement, 1727.
  • [9]
    Bibliothèque de l’Arsenal, Ms 4496, « Mémoires de l’état présent du commerce », 1701.
  • [10]
    AN, F12 847, « Memoire sur les veües que le Roy a d’exciter ses sujets au commerce et à la navigation », 20 avril 1701.
  • [11]
    AN, G7 1686, « Memoire sur la decoration des commerçans », s.d. [env. 1702].
  • [12]
    AN, F12 847, « Proposition pour la decoration du commerce », 1701.
  • [13]
    AN, F12 847, mémoire des négociants de Nantes sur la décoration du commerce, 1701.
  • [14]
    AN, F12 847, édit de décembre 1701.
  • [15]
    AN, G7 1520, édit de novembre 1706.
  • [16]
    AN, G7 1520, réponse des échevins au mémoire des quarteniers, 1707.
  • [17]
    AN, G7 1520, mémoire des quarteniers et conseillers de ville, 1707.
  • [18]
    Archives de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (ACCIP dans les notes suivantes), X 1-00 (1), Memoire contre le projet d’accorder à toutes personnes sans distinction la faculté de faire le commerce en gros, 1759.
  • [19]
    ACCIP, X 1-00 (1), « Memoire pour les Six Corps des marchands negocians de la ville de Paris », s.d. [env. 1765].
  • [20]
    ACCIP, X 1-00 (1), lettre des Six Corps au Contrôleur général des finances, 3 décembre 1760.
  • [21]
    AN, KK 1342, registre de délibérations des Six Corps, 30 mars 1762 ; ACCIP, X 3-00 (2), « Memoire pour les Six Corps des marchands de Paris », s.d. [1762].
  • [22]
    AN, F12 692, procès-verbaux des élections des députés du Conseil de commerce, 1737-1768.

1Thème à la fois récurrent et rarement étudié pour lui-même dans l’historiographie, la dérogeance est évoquée autour d’un point essentiel : la démarcation qu’elle donne, tard dans son histoire, au second ordre français. La dérogeance serait l’opération par laquelle la noblesse, seulement à partir de la mi-xvie siècle, se verrait imposer une limite à la fois numérique et sociale (La Bigne de Villeneuve 1918 ; Zeller 1957 ; Bitton 1969 : 64-76 ; Richard 1974 : 21-52). La nécessité de cette délimitation n’est pas partagée par tous les pays où la noblesse est longtemps restée un groupe juridiquement ou démographiquement mal défini (Jones 1986). Ce n’est pas le cas en France. S’il est peu de contextualisations de la notion, posée comme une constante, son avantage serait donc de délimiter un groupe dont les composantes se multiplient au cours de la période, dont les justifications se complexifient et viennent à s’opposer les unes aux autres (Descimon 2010a). Sorte de définition en creux de ce que n’est pas la noblesse, de ce qu’elle ne peut pas être, la dérogeance dédouane l’historien – comme elle le faisait alors du jurisconsulte – d’avoir à expliciter ce que la noblesse est, positivement, et ce qu’elle devient. À travers elle, une frontière se donne simplement à lire, et matérialise deux espaces dont la ductilité embarrasse l’ordonnancement de la société du temps.

2En fait, en tant que corpus de prohibitions comportementales et professionnelles, la dérogeance est active dans tout espace de qualifications publiques parmi lequel l’Ancien Régime veut distinguer le digne et l’indigne, le noble et l’ignoble. Elle est certes une pratique judiciaire, éloquente à travers les procès qu’elle suscite, mais ne s’est jamais stabilisée en tant que telle. Au-delà, il s’agit d’une production de signes et de marqueurs. Si la dérogeance intéresse la noblesse, c’est moins en tant que catégorie réalisée que rapport entre les différents langages de la légitimité ou de la conformité sociale. Avec elle, l’appartenance se confronte moins à la question des droits qu’à celle de l’exercice quotidien. Supposant un code de relations intellectuel et matériel, spirituel et profane, la posture noble se résume dans le vivre noblement. Elle prend sens avec un groupe qui se donne à voir : les nobles doivent pouvoir se reconnaître moins à travers le statut qu’à travers le geste, la relation à la terre ou à l’épée. Alors la noblesse demeure une vertu sans que celle-ci se rapporte à l’individu lui-même, mais au système social dont il participe (Morsel 2005). Sur cette base, l’historien ramène rarement la notion à la nature et aux évolutions mêmes des espaces qu’elle cherche à séparer. C’est le cas du second ordre comme de sa négative – la roture, le commun, la bourgeoisie –, compris l’un et l’autre comme systèmes sociaux.

3Car la dérogeance prend bien en charge la sécularisation sociale et politique de points de doctrine religieux, dont l’étendue du transfert demeure méconnue autant que le contexte qui l’autorise. En la postulant comme ensemble de préventions à fondement théologique et moral, la dérogeance ne peut s’appliquer qu’au second ordre et être dépourvue de performances de chaque côté de la frontière qu’elle imprime sur la société. C’est en testant, au contraire, la manière dont une telle construction théorique et surplombante s’empare d’un territoire extra-nobiliaire que se dévoilent ses modalités exactes d’action et de catégorisations. C’est à partir des groupes qu’elle dévalorise, et qui opèrent sur elle leur propre travail social, qu’elle révèle sa chaîne de répercussions et son principe opératoire.

4L’exemple du commerce et des communautés de métier qui l’incarnent se prête à la démonstration par le degré de proscription que leur attache précisément la dérogeance. De plus en plus répulsif aux images de l’honnêteté et de l’illustration, comment cet espace interagit-il avec son propre avilissement ? Comment une activité qui cherche à se définir aussi par son lien à la Couronne souffre-t-elle les preuves de son indignité publique ? Commerce et vertu communiquent à la période même où la dérogeance s’installe (Clark 1998). Dans la capitale, les communautés de métier gagnent au même moment un pouvoir de représentation de la ville au détriment des vieilles communautés territoriales (Descimon 2009). La combinaison de ces éléments montre en fait toute la mobilité, presque la volatilité de la dérogeance par la multitude de sites et de moments qu’elle parvient à structurer, jusqu’au sein du commerce.

5La dérogeance appartient à la puissance sociale de nommer l’autre, l’extérieur, le discordant, au bout duquel se tient la notion aveugle de peuple qui, par sa non réciprocité, indique sa sortie du politique. Le peuple est celui qui est nommé, et non pas celui qui nomme (Cohen 2010 : 19-78). Avant cette impasse se succèdent des mécanismes d’attributions et d’imputations qui, depuis le dialogue entre théologiens et jurisconsultes, cherchent à ordonner la société urbaine dans son affinité avec le juste, l’honorable, mais surtout selon les rapports de force que développent entre eux pouvoirs locaux et centraux, citadins et monarchiques. Ainsi faut-il déjà retracer la genèse du concept et les premiers lieux qu’il traverse avant de voir, dans un deuxième temps, comment plusieurs acteurs s’en emparent pour le manipuler à leur avantage. C’est hors de son lieu de production, hors du contexte initial de son élaboration et de sa mise en œuvre que les communautés de métier et le Conseil du roi le remodèlent, les unes comme outil de démarcation avec l’artisan, l’autre comme outil de pouvoir sur l’ensemble du commerce. Dans un dernier temps, alors, la monarchie fait du commerce un lieu de rencontre entre normes contraires, un lieu d’agressions dont la dérogeance, plus que la finalité, constitue juste le principal instrument.

Encadré 1. Les sources

S’interroger sur la manière dont un débat théologico-juridique d’Ancien Régime trouve son terrain social nécessite d’accepter la mobilisation de registres documentaires différents. Si les bases d’une pensée dérogeante de la société s’énoncent dans des œuvres bien répertoriées tels les traités doctrinaux et jurisprudentiels (Tiraqueau, La Roque, Guyot), avant de se distiller parmi les dictionnaires du temps (Furetière, Richelet, Savary), il en va autrement de l’univers corporatif qui s’en approprie effectivement le vocabulaire. La difficulté générale d’une recherche sur le commerce, depuis le cas parisien des xviie et xviiie siècles, est la destruction des archives des communautés dans les incendies de la Commune en 1871. Subsistent majoritairement les mémoires et factums imprimés des principales communautés (celles qui disposaient des moyens financiers pour cela) dans leurs procès ou leurs négociations avec la Couronne (Bnf). De nombreuses versions manuscrites de projets et remontrances sont conservées aux archives de la Chambre de commerce et d’industrie, à présent déposées aux Archives départementales de Paris. Les fonds des arrêts du Conseil, du Conseil de commerce et du Contrôle Général des finances (Archives nationales, séries E, F12 et G7) apportent un volet ministériel indispensable en vue de restituer le discours et l’action monarchiques sur le commerce. Enfin, également sauvegardés aux Archives nationales (série KK), les registres de délibération des Six Corps des marchands présentent l’appareil décisionnel d’une grande fédération corporative en tête du négoce parisien. Ce sont les principaux vestiges subsistant de toute la production normative des communautés. À travers ce vaste dispositif de sources s’observent les mêmes occurrences, chaque fois réassimilées, publicisées, judiciarisées, du langage de la dérogeance.

Origines et filiations

L’encadrement de l’être noble

6L’ambiguïté de la notion de dérogeance réside dans le fait qu’elle semble faire référence à une définition comportementale de la noblesse, d’essence coutumière, alors qu’elle est mobilisée de manière croissante avec la juridicisation de la noblesse aux xviie et xviiie siècles, processus auquel elle renvoie puisque la dérogeance, comme substantif verbal associé à la dérogation, se comprendrait bien dans un système d’assignation juridique, un système dans lequel la noblesse serait une cession ou une attribution de droit, à laquelle le noble peut déroger, et non pas une nature de fait ou un seul mode de vie. Or, cet encadrement juridique que la monarchie donne à la noblesse est précisément celui qui découple le fait nobiliaire des conditions du vivre noblement pour l’assimiler, peu à peu, au fait de souveraineté (Haddad 2011). En tant que telle, la dérogeance pourrait donc paraître à un moment de tensions entre des éthiques purement nobiliaires et en mouvement, liées à la question de l’anoblissement royal, d’une part, et à la fixation d’un ordre politique monarchique d’État, d’autre part, vis-à-vis desquelles elle serait une réaction en rapportant obligatoirement la noblesse à un code de gestes et de conduites. La dérogeance est là souvent l’arme ultime que s’octroie la noblesse provinciale et pauvre, écartée de l’appareil d’État (Piétri 2004).

7Parallèlement, l’émergence des condamnations pour fausse noblesse s’appuie sur un moment fiscal particulier. La normalisation de la taille personnelle, dès les xive et xve siècles, voit le statut fiscal attaché à l’homme entraîner avec lui le problème de la preuve, le problème de sa lisibilité et de sa définition communes (Dravasa 1965-1966). La connaissance des faits de dérogeance aux Cours des aides ou aux Élections, tribunaux en matières fiscales, s’explique bien par l’assujettissement à l’impôt défendu comme bornage des ordres privilégiés. L’apparition même du terme dérogeance, en tant qu’action dérogeant nécessairement à la noblesse, coïncide avec le programme de vérification des preuves de noblesse lancé par Colbert dans les années 1660, où la preuve là aussi s’insère dans un contexte fiscal particulier qu’est la taxation des usurpations de noblesse (Piétri 2009). Comme pratique judiciaire, la dérogeance pourrait s’articuler avant tout à des moments fiscaux, initiés par la monarchie.

8Face à ces ambivalences, les définitions juridiques de la dérogeance que livrent les xviie et xviiie siècles proposent un terrain d’exposition relativement figé. Celles-ci optimalisent des éléments de droits plus ou moins arrêtés au xvie siècle, dont la valeur normative reste cependant fragile. Seule une déclaration du roi de 1661 sur les usurpations, appuyée sur un édit de 1599, semble servir de substrat législatif, minimal, à l’interdiction de pratiques résumées pourtant par leur contravention effective à la loi (Viéville 1739 : 380). En fait, tout en montrant son retard sur l’état jurisprudentiel de la question, le fixisme de telles définitions n’aide en rien à contextualiser leurs usages et leurs effets sur le fonctionnement social. Seul un effort de généalogie sur les concepts en présence permet d’en comprendre les utilisations ultérieures.

9Difficiles à trouver avant la fin du xvie siècle, les premiers principes de dérogeance organisés et justifiés sont l’œuvre des grands jurisconsultes de ce tournant de la modernité politique : André Tiraqueau (De Nobilitate, 1569), Jean Bacquet (Traité du Domaine, 1583), Florentin de Thierrat (Trois traictés, 1606), Charles Loyseau (Traicté des ordres et simples dignitez, 1610). Avec ces textes se propage un enseignement sur les contraventions à la noblesse, en réponse à une impulsion monarchique, mais surtout à une réflexion des nouvelles noblesses civiles sur elles-mêmes. La dérogeance y occupe le registre de la condamnation morale où elle prend l’aspect d’une perte et d’une déchéance, d’une dénaturation, sans que celles-ci aient besoin de trouver une traduction ou une homologation juridique. L’acte est en lui-même dérogeant. Ce n’est pas la sentence qui emporte la dérogeance, qui court depuis la première infraction prouvée et non depuis sa sanction. Ainsi se déroule le catalogage des positions et des cas de dérogeance : crimes, infamies, mais aussi gestes professionnels, natures du gain, natures du service rendu d’homme à homme. Vilénie et abjection continuent de faire écho à une noblesse pensée comme caractère et comme vertu.

10Toutefois ce sont les possibilités de transmission de la dérogeance à la progéniture qui y composent l’essentiel des démonstrations, au cœur desquelles les droits du sang, plus que les causalités, font la matière jurisprudentielle par excellence. Ces différents traités dévoilent en effet une évolution : le passage, du xvie au xviie siècle, de l’acte dérogeant à l’homme dérogeant. C’est là une mutation majeure par laquelle le début du xviie siècle supplée l’hérédité à la vertu personnelle dans la définition de la noblesse (Schalk 1996 : 97-142). Dès lors, grâce à ce transfert de l’opprobre depuis le geste vers l’individu qui l’accomplit, la faute s’inscrit dans la nature du transgresseur qui la transmet à sa descendance. Tous les tribunaux reconnaissent cette communication générationnelle. À l’échelle du royaume, seule y fait exception la Bretagne où la noblesse dormante parvient à suspendre les exigences de l’ordre le temps de la dérogeance (Meyer 1985 t. I : 135-166).

L’incompatibilité entre le commerce et la grâce

11Quant à la place du commerce dans ces écrits, elle est constante puisque, dès A. Tiraqueau, l’activité commerciale mêlée à l’activité artisanale y sont l’antithèse même de la noblesse. Réfutation de tous les devoirs propres au gentilhomme, le commerce est un tempérament, une inversion du courage, du désintérêt, du service du public. Ici la dérogeance cherche à exprimer l’opposition fondamentale entre travail et oisiveté, utilité et honnêteté, comme formant les deux pôles de la vie morale tels que l’école philosophique les expose depuis Montaigne (Desan 2008 : 177-184). Retirer un profit personnel d’une transaction est en soi un acte dégradant : « la negotiation qui a le seul gain pour but, & qui consiste à achepter pour revendre plus cher, est vile & deshonneste, & comme telle interditte aux hommes de Noblesse ou dignité » (Thierrat 1606 : 115).

12Plus que les antiques, grecs ou latins, la théologie est le lieu majeur d’une élaboration morale pour les juristes (Renoux-Zagamé 2002). En tant qu’elle offre un méta-discours sur la capacité des êtres à faire ordre, seule la théologie confère une justification au corps social en tant qu’émanation suréminente, inaccessible au libre arbitre, dans laquelle puisent l’idée de hiérarchie et la métaphore organiciste du royaume (Descimon 2011a). De manière explicite, tout en se référant à Denys l’Aréopagite, Gilles-André de La Roque situe alors l’origine de la dérogeance au cœur même du péché originel (La Roque 1678 : 418). La dérogeance est l’action inhérente à la nature humaine par laquelle celle-ci s’écarte continûment de la perfection immobile de la création, et donc de l’ordre social qui en est la manifestation première. Dans cette tradition, Jean Domat ne doute pas que les métiers, en répondant à la nécessité de pourvoir aux besoins primaires, sont au plus proche de la condamnation du travail imposée à l’homme à la suite de sa chute. L’artisanat n’appartient exactement qu’au régime de la nature (Domat 1697 : 381).

13Partant de ce terreau, il est un ensemble de textes grâce auquel se comprend la manière dont commerce et artisanat alimentent la vision dérogeante de la société. Le référent que constitue la littérature doctrinale sur les œuvres serviles, issue de la pensée de Saint-Thomas, est en effet celui par lequel s’édictent les interdits les plus ancrés dans la tradition scolastique. Les prescriptions canoniques sur les comportements autorisés ou non durant les dimanches et fêtes trouvent invariablement leur traduction dans le champ social. D’après un mode d’oppositions que l’on retrouvera en toute analogie parmi les jurisconsultes, la règle de l’esprit placé face au corps est celle qui met l’homme en position d’attirer à lui la grâce, le salut, tout en associant coutumièrement les actes corporels aux tâches du serviteur. Alors la prohibition des gestes incompatibles avec le temps de la prière se traduit par la dénonciation des métiers qui les accueillent. Toujours les états sociaux et professionnels se substituent aux actions impies – plus tard aux actions dérogeantes – pour désigner l’interdiction. Ainsi la totalité des canonistes juge utile de préciser les professions qui sont en devoir d’interrompre leurs activités durant les principaux temps de la liturgie. Pour ce faire, aucun n’hésite à définir les œuvres serviles par leur correspondance directe avec les arts et métiers, entendus comme travail corporel rémunéré, dont la nature aussi bien physique que vénale est contraire à l’élévation du chrétien vers dieu. On trouve le principe décrété chez Caignet, chez Gaudron, chez le Père Daniel de Paris, chez Billot (Caignet 1669 : 289, Gaudron 1719 : 1-41, Paris 1741 : 292-309, Billot 1774 : 280). Bien sûr, les extensions données à ce principe sont vastes, et lui confèrent une grande malléabilité doctrinale. Il reste que ce fond théologique hiérarchise les états sociaux autour d’une participation plus ou moins laborieuse et subalterne du corps à un profit matériel et personnel.

14Dans cette voie, plusieurs ouvrages spirituels distinguent alors œuvres serviles et œuvres libérales autour d’une gradation menant l’action humaine depuis la servitude vers la liberté, vers une libre disposition de l’esprit à appeler sur lui la grâce et le salut. Si les arts et métiers occupent par transposition le centre de la démonstration, un jeu lexical autour de mots aussi puissants que servitude et liberté induit une force qualifiante et disqualifiante en écho avec d’anciennes catégories du droit dont nul n’ignore la portée. Toute la période médiévale, en lien avec l’impureté de certaines substances et matières, s’en est saisie pour penser la classification des métiers (Le Goff 1977). L’œuvre et l’art sont ici dans une correspondance totale. Et un grammairien comme Claude Favre de Vaugelas note au début du xviie siècle combien la polysémie des termes, par l’opposition des arts serviles aux arts libéraux, renvoie des concepts moraux à d’antiques structures socio-juridiques qu’il s’agit de manier avec précaution : « d’où est venu qu’en François nous appellons les arts liberaux ceux qui appartiennent aux personnes d’honneur, comme si ces arts estoient opposez aux arts mecaniques, qui ne sont exercez que par des gens du commun » (Favre de Vaugelas 1647 : 92). Ce que relève Cl. Favre de Vaugelas est bien l’extrême nomadisme de ces notions. Celles-ci se transplantent dans les dictionnaires du temps, parmi lesquels Antoine Furetière écrit à la fin du xviie siècle : « on appelle Arts Liberaux, par opposition aux Mechaniques, ceux qui participent plus de l’esprit que du travail de la main, qui consistent plus en la connoissance qu’en l’operation » ; avant de donner au mot servile : « qui appartient à un valet, ou à un artisan ; service bas & mechanique (Furetiere 1690 : non paginé) ». Servilité et art mécanique sont clairement agrégés en regard du couple que forment liberté et arts de l’esprit.

15De fait, presque telles quelles, ces catégorisations morales migrent chez les jurisconsultes où l’on voit combien un corpus théologique compose un bagage intellectuel essentiel à la compréhension des valeurs et des rôles sociaux (Descimon 2010b). La servilité et la quête du gain y deviennent les critères de la dérogeance. Tout en liant noblesse et oisiveté, F. de Thierrat développe sa sentence sur l’affermage ou la profession de notaire d’après leur position de servitude vis-à-vis des particuliers (Thierrat 1606 : 116, 238). Et les métiers sont ceux qui supportent au mieux l’équivalence grâce à l’assimilation servile/mécanique qui, pour Ch. Loyseau, sert bien à soutenir leur bassesse par la double contrainte des individus qui y subissent l’effort ainsi qu’une forme de sujétion primitive (Loyseau 1613 : 99). Alexandre Belleguise reprend plus tard les mêmes thèmes de la sujétion et du travail manuel, alliés à celui du gain, pour dessiner l’anti-portrait du noble à travers l’ensemble des métiers (Belleguise 1679 : 106-107). Par un système d’analogies identiques en tous points à la doctrine des œuvres serviles, G.-A. de La Roque décrit alors en 1678 la distinction entre arts libéraux et mécaniques comme signalant la frontière entre l’esprit et le corps, et par conséquent la frontière dérogeante entre noblesse et roture (La Roque 1678 : 434). Aussi n’est-il pas surprenant de voir les sommes de jurisprudence de la fin du xviiie siècle extraire sans relâche des mêmes sources leur intelligence des ségrégations qui, avant de s’inscrire dans le droit positif, cherchent à traduire une structure morale du monde, une providence. Un recueil comme celui de Joseph-Nicolas Guyot, tout en relevant des années 1770-1780, est le condensé d’une pensée pré-Lumières où les arts ne sont toujours pas distribués selon leur fonctionnalité sur la société, mais selon leur aptitude à contenir un honneur. Leur éloignement des attentions du corps reste le seul moyen de les classer (Guyot 1775 : 147-148).

16Au-delà de ce fond théorique, la doctrine des œuvres serviles possède aussi une déclinaison concrète, une force coercitive. Tout un arsenal juridique en découle. En plus des mandements épiscopaux, la législation royale s’empare de ce terrain réglementaire pour l’imposer aux pratiques journalières, et ce n’est pas un hasard si Nicolas Delamare consacre un chapitre de son traité de police à « l’observation du Dimanche & des Fêtes en general » (Delamare 1722 : 360-386). Plusieurs règlements touchant les boulangers, bouchers, cabaretiers, barbiers, et leur autorisation à travailler le dimanche, y sont bien envisagés comme des dérogations aux prohibitions ordinaires. Une jurisprudence répétée tout au long du xviiie siècle continue de stigmatiser l’activité commerciale et artisanale comme étant la contravention première aux prescriptions canoniques sur les jours fériés. Faisant défense de travailler durant ceux-ci, une ordonnance de police de 1712 s’adresse spécifiquement à « tous les marchands et artisans de la ville et faubourgs de Paris », reconduite par une ordonnance de 1718, un arrêt du Parlement de 1734, etc. Bien avant le noble, le bourgeois est celui qui doit interrompre son état les jours d’actions de grâce.

17Au fil de ces filiations, intellectuelles et juridiques, on voit les métiers directement et unanimement désignés pour former un repoussoir aux vertus nobiliaires, par le biais de grands caractères négatifs : quête de la rémunération, application et pénibilité du corps, service du particulier (soi-même ou autrui). Tout en correspondant dans un même ensemble, entre corpus théologique et corpus civil, ces caractères abritent toutefois des progressions, des perfectionnements qui conduisent des arts du corps aux arts de l’esprit, en ce que ces derniers, en fin de processus, s’accommodent avec la noblesse. Or, c’est bien sur la base de cette gradation qu’un jeu social devient possible, que les acteurs conçoivent de composer avec un principe de dérogeance dont la plasticité décale alors les performances hors du champ social pour lequel il a été conçu. Après les théologiens et les jurisconsultes, la dérogeance est travaillée par ceux-là mêmes des groupes qu’elle désigne.

L’appropriation marchande de la dérogeance

18Le pouvoir de désignation des mots liés au travail, on le voit, est tel qu’il déborde au-delà de la noblesse pour décrire et donner une valeur à tout un ensemble professionnel, parmi lequel le commerce et l’artisanat occupent le centre de l’activité dérogeante. Face à ce thème de l’avilissement, il se trouve que les corps marchands de la capitale ont très tôt réagi. Tout ce lexique entremêlant commerce et artisanat, les rangeant sous un même dénominateur – leur propre dérogeance –, pénètre le monde corporatif qui cherche à composer avec ce jeu d’affectation sociale et le tourner à son avantage. Il vient peu à peu structurer les rapports entre communautés, y compris les rapports aux monopoles, aux prérogatives commerciales, aux privilèges sur la vente et la fabrication.

Une rhétorique de la dualité marchand/artisan

19Si le monde du commerce n’est pas resté étranger ou hostile à ces thèmes, s’il y a adhéré d’une certaine manière, il l’a fait en construisant une frontière nette en son sein entre les deux modèles d’identification et d’appartenance, les deux figures que la dérogeance associe : le marchand, d’une part, et l’artisan, d’autre part. Une partition cherche alors à s’installer, à créer un rapport de force, à diviser l’espace corporatif à l’aide du langage de la dérogeance, par la question du lien manuel ou industrieux aux matières premières, aux objets confectionnés, à la connaissance concrète ou savante des produits. Et c’est par ce mécanisme qu’émerge à Paris une force qui se revendique comme exclusivement marchande, non artisanale, et qui se nomme elle-même par auto-création les Six Corps des marchands de Paris.

Encadré 2. Les Six Corps des marchands

Issue du cérémonial urbain propre aux entrées royales de la capitale entre le xve et le xviie siècle, une fédération émerge de six différentes communautés (drapiers, épiciers-apothicaires, merciers, pelletiers, bonnetiers, orfèvres). Avec environ 4 000 marchands au début du xviiie siècle, soit entre 15 et 20 % de l’ensemble des maîtres parisiens incorporés, cette fédération suit un long processus d’institution au cours duquel elle en vient à s’intituler les Six Corps. Elle fonde alors ce statut de corps sur toute une série de capacités coutumières et publiques, reliées les unes aux autres : sa mutualisation des privilèges particuliers à chacune de ses composantes, son peuplement quasi exclusif des pouvoirs urbains, son équivalence avec une Chambre de commerce de Paris, sa proximité économique et financière avec la Cour, sa représentation de la ville à l’égal de la municipalité. Pour réaliser cette forme de domination, les Six Corps développent un très vaste rapport de force en direction des communautés de métier environnantes, auxquelles ils barrent l’accès tout d’abord à l’espace commercial qu’ils monopolisent, puis à l’espace politique qu’ils entendent prendre en charge. En cela les Six Corps sont l’incarnation d’une notabilité typiquement bourgeoise, à ceci près que leur contiguïté avec l’appareil d’État exacerbe parmi eux les réflexes hiérarchiques, tout en fragilisant paradoxalement leur autonomie.

20Cette fédération de six communautés différentes est issue du cérémonial urbain du xve siècle avant d’élaborer au siècle suivant les règles de sa stabilité. Par la régularisation juridique ou coutumière de leur existence, les Six Corps tentent alors d’incarner la nature du contrôle urbain devant la monarchie. L’effet est visible sur tous les lieux de pouvoir bourgeois qu’ils confisquent à leur avantage dans la capitale : échevinage, conseils de paroisse et d’hôpitaux, juridiction consulaire, lieux dont sont majoritairement rejetés les artisans (Marraud 2011a).

21Or, leur capacité à se revendiquer marchands est à la base de ce statut de corps, jugé comme une supériorité par-dessus les simples communautés d’artisans. Essentielle au fonctionnement politique de la ville, pareille disjonction entre les arts, marchands ou artisans, est déjà faite par Ch. Loyseau afin d’identifier ceux des métiers qui sont aptes à mener vers l’honorabilité urbaine. Alors que l’édit de Compiègne de 1554, inégalement exécuté, cherchait déjà à exclure les mécaniques des charges municipales parisiennes, Ch. Loyseau donne à l’aube du xviie siècle la liste des Six Corps comme étant ceux qui peuvent prétendre aux responsabilités publiques de la capitale (Loyseau 1613 : 99). Lentement la marchandise, par rupture avec l’artisanat, se signale dans sa représentation exclusive du commerce.

22En premier lieu, les marchands se pensent hors du processus de fabrication manuelle, et déclarent ne pas occuper le premier maillon de la production obligatoire des biens de consommation : ils ont « un pouvoir sans limite de negocier dedans & dehors le Royaume de toutes sortes de marchandises », tandis que les artisans ne sont que « travaillans & manufacturans [1] ». Quoique polysémiques, les mots du travail suivent clairement les dépérissements d’honneur relatifs à la science manuelle, c’est-à-dire à une disqualification de l’homme par l’usage physique que celui-ci peut faire d’un savoir. Par exemple, liée à la façon ou à la manufacture, à l’exécution par le corps, la main-d’œuvre s’éloigne dès le milieu du xviie siècle d’une évocation neutre de l’aptitude et de la dextérité gestuelle pour signifier la pénibilité d’un service, inférieur parce que ramené à l’effort individuel, subordonné à un accomplissement supérieur parce que ramené à un bien collectif : la production et la circulation des richesses. La manufacture vient en fait s’opposer à l’industrie en tant qu’intelligence de l’esprit – et non du corps – à créer précisément de la richesse. Tandis que le travail de la main sert à désigner l’ouvrier et son ouvrage, le même système d’analogie permet de rapprocher le marchand d’une habileté de l’esprit. Ingéniosité et pénibilité s’opposent en toute symétrie. Les dictionnaires le répètent eux-mêmes, tel Pierre Richelet en 1680 pour qui l’industrie équivaut à « adresse, esprit de faire quelque chose » (Richelet 1680, t. 1 : 427), et la manufacture à « travail & peine que l’ouvrier a pris à fabriquer quelque chose » (ibid., t. 2 : 15). L’esprit étant le siège du commandement, et la main en position d’obéissance, la métaphore permet de situer hiérarchiquement la main-d’œuvre sous un savoir éminent, orienté à l’exécution d’un dessein général qui serait d’engendrer l’opulence. Toute cette production lexicologique entre ainsi en correspondance avec les anciens repères thomistes plaçant les desseins de l’esprit au-dessus des réalisations corporelles, la quête du salut au-dessus des utilisations de la nature. Leur cohérence avec les principes de dérogeance est complète. Ce n’est pas un hasard si, concomitamment, la vente ou le négoce sont les bienfaits dont s’accaparent les discours des corps marchands sur l’abondance et la prospérité qu’ils sont sensés créer, à l’encontre des simples arts et métiers que les mêmes discours renvoient à une activité subalterne – la fabrication –, à savoir davantage une profession qu’un état, davantage une action qu’une qualité. Tiré d’un factum de 1690 dans leur procès contre des artisans des faubourgs, ce texte des Six Corps l’illustre parfaitement :

23

« Il y a une grande difference à faire entre les Marchands des six Corps & les artisans. Ceux-cy vendent leurs ouvrages, ceux-là vendent leur industrie, les uns ne font que le détail, les autres sont les seuls à qui il appartient de faire le commerce en gros ; les artisans n’ont la faculté de travailler de leur Mestier que dans la Ville où ils ont esté receus Maistres : les Marchands au contraire font leur commerce dans toutes les parties du Royaume, & dans tous les païs Estrangers […]. Les Marchands tiennent un rang honorable, & si ils sont parfaitement distinguez par les marques & les places d’honneur dont le roi & ses predecesseurs les ont gratifiez, ils ne le sont pas moins par leur zele & par l’attachement qu’ils ont pour la personne sacrée du roi ; chaque artisan n’est propre & ne peut servir qu’à tres-peu de personnes, son Mestier & son Commerce sont tres-bornez ; au lieu que les Marchands soûtiennent l’Etat par l’abondance qu’ils y procurent. » [2]

24L’argumentaire consiste donc à créer des couples d’opposition sémantique où chaque terme se définit par sa négative. Les antinomies ainsi conçues empruntent à la dérogeance et aux œuvres serviles leurs lignes de fracture. Même des verbes comme façonner, enjoliver, apprêter, assembler contiennent de ce point de vue le danger d’une négation, d’un renversement. Les Six Corps opposent de la sorte industrie à main-d’œuvre, mais aussi vente en gros contre vente au détail, ville contre banlieue, public contre particulier, global contre local. Toujours l’appel à une qualité se fait pour créer une incompatibilité, une discordance avec une autre. De façon tautologique, c’est de l’indigne que le digne se déduit (Descimon 2011b). Alors le sens politique ne se construit pas à travers l’affirmation d’une supériorité marchande située dans l’absolu, mais par l’opposition de normes contraires. Ce n’est pas tant une pensée positive d’eux-mêmes que développent les marchands des Six Corps qu’une contradiction de nature entre eux et les artisans. Et c’est bien de cette tension que surgit la notion de négociant, si victorieuse au fur et à mesure qu’on s’avance dans le xviiie siècle, notion qui se veut le miroir inversé, répulsif, de tout ce qui se rapporte à l’artisan. Le négociant est celui qui se valorise par son éloignement du produit lui-même. Il ne dispose plus que d’un savoir théorique sur celui-ci, d’un savoir sur les circulations, les rendements et les profits, c’est-à-dire d’un savoir abstrait sur les opérations bien plus que sur le fond réel d’un marché. Sa définition même se déduit du langage de la dérogeance.

L’outil de la délimitation commerciale et politique

25Néanmoins ce lexique n’est pas qu’un jeu rhétorique. Il a vocation à entrer dans la formulation juridique des droits des corps contre ceux des communautés d’artisans. Un arrêt du Conseil contre les tapissiers au bénéfice des drapiers et merciers parisiens, en 1749, contient une critique de l’artisan pour son ouvrage et sa façon[3]. D’autres textes législatifs capturent les mots de la trivialité artisanale produits par les marchands. Grâce aux arrêts sur requête du Conseil, rédigés par les avocats eux-mêmes, les termes du dénigrement social pénètrent la loi où ils secondent alors la vigilance policière des corps marchands à s’arroger la vente en gros et à cantonner les communautés dans la fabrication, en réservant à celles-ci la seule vente au détail des biens ou des objets qu’elles réalisent. Par ce découpage entre gros et détail, s’énonce un enjeu classificatoire majeur sur le commerce (Margairaz 2005). Une énorme production jurisprudentielle en découle, grâce à une multitude de procès parmi lesquels revient sans cesse l’argument d’une distinction marchand/artisan comme plaidoyer d’une supériorité concrète de la vente sur la fabrication. À eux seuls, les merciers parisiens, membres des Six Corps, comptabilisent des dizaines d’arrêts contre les graveurs, selliers-carrossiers, menuisiers, plombiers, cloutiers, serruriers, papetiers, cardeurs, éventaillistes, fourbisseurs, tapissiers… [4] Dans un souci de combiner les normes, chaque procès comporte alors un volet sur les prises de qualité. En même temps qu’est contesté l’empiétement de telle communauté d’artisans sur un monopole marchand, est contestée l’usurpation que cette communauté fait d’un nom ou d’un titre, c’est-à-dire d’une qualité, à l’occasion de la procédure : la qualité de corps au lieu de communauté, de garde au lieu de juré ou syndic, de marchand au lieu de maître. Cet aspect se retrouve dans les procès lancés par les Six Corps contre les tailleurs d’habits en 1670, 1730, 1754, contre les limonadiers en 1689 et 1738, contre les tapissiers en 1733 et 1741, contre les lapidaires en 1734 et 1741, etc. [5] À chaque reprise, les Six Corps veulent renvoyer les prétentions de la communauté adverse à son statut subalterne. Jugeant en haute instance de ces procès, le Parlement de Paris ou le Conseil du roi ne manquent pas d’insérer dans les condamnations l’interdiction de se parer de ces titres et qualités. L’activité procédurale tente alors de recouvrir l’essentiel de l’existence corporative où la conflictualité est donc tout à la fois morale et commerciale, honorifique et économique, coutumière et circonstancielle (Sonenscher 1989 : 244-294). Y compris dans ce cadre judiciaire, la théologie reste le support d’une intelligibilité des rôles dans l’espace du travail (Lyon-Caen 2010).

26Si le système repose sur une théorisation des caractères corporatifs à l’avantage des marchands, il implique aussi une double obligation. Car à l’image de toute règle dérogeante, l’interdiction est bien rétrospective : tandis que les statuts de la mercerie de 1601 font défense aux artisans de visiter les marchands et de vendre des marchandises que ceux-ci ont commanditées auprès de leurs ouvriers, les statuts de 1613 font clairement interdiction aux merciers de fabriquer eux-mêmes leurs marchandises [6]. La confection est tout autant défendue au marchand que la vente ne l’est à l’artisan. Chaque principe est réversible dans un jeu de miroir et de cloisonnement : l’un est défini en repoussoir par les attributs de l’autre.

27Du reste, un tel processus d’équivalence entre marchand et dignité n’est jamais abouti, finalisé, du fait des luttes et des résistances qu’il génère au sein de l’univers du travail. Le rapport de force s’appuie sur des pratiques policières d’une extrême brutalité, sur des temporalités judiciaires très longues. L’art, que défendent les communautés artisanales, s’applique à se présenter lui aussi comme étant « sans aucun mélange du sang du peuple [7] » (pour reprendre les mots des teinturiers), c’est-à-dire sur la base d’une distinction sociale. Des discours isonomiques existent sur l’acte artisan comme reflet d’une égale contribution au bien public (Ribard 2008). Maîtrisant eux aussi le langage de la dérogeance, les tapissiers se rangent parmi les arts libéraux que Louis XIV aurait directement protégés [8]. C’est au même registre des arts et sciences que les maçons font appel contre le savoir empirique des marchands : « leur profession est de beaucoup plus honorable que celle des Marchands, à cause de l’intelligence qu’ils ont de l’Architecture, Arithmetique, Geographie, Sphere, Peinture, Sculpture » (Le Pestre et Gueret 1679 : 835). Arme brandie par chaque communauté, les arts libéraux marquent l’effort d’adaptation à un contexte dérogeant, et la défense d’un terrain économique privilégié.

28Il demeure qu’en tant qu’interdits comportementaux et sociaux, cherchant à s’instituer et à se judiciariser, il se crée bien une dérogeance à la bourgeoisie avec le xviie siècle. Une preuve de cette barrière se révèle par les pratiques matrimoniales à l’aide desquelles la bourgeoisie incorporée, au niveau des grands comptoirs de la capitale, fait ressortir les Six Corps comme unité signifiante et surtout exclusive, où l’alliance est pensée moins sur la base de coopérations économiques que sur la base de similarités sociales et élitaires (Marraud 2009 : 123-172). Même faillis, désargentés, les marchands répugnent visiblement à un retour dans l’artisanat qui ferait d’un tel parcours une sortie de la notabilité (Croq 2007, 2009 : 190-197). Aucun marchand des Six Corps, même appauvri, ne condescend à placer ses enfants dans une communauté de métier.

29L’appropriation de la dérogeance par les communautés consiste par conséquent à définir des états corporatifs, à les naturaliser et les hiérarchiser. La dérogeance est inhérente à la pensée corporative en tant que système de qualification morale, lequel ordonne le prisme des activités professionnelles sur la base des gestes dignes et indignes, tels que les théologiens et les jurisconsultes les ont posés. Principe englobant, capable de déplacer dans toute la société urbaine les effets de seuil et d’appartenance, la dérogeance participe d’un mouvement général de dignitarisation et de segmentation de la société urbaine autour de l’exercice du pouvoir : la dignité ou l’indignité des acteurs s’entend avant tout dans le cadre d’une prise en charge de la représentation politique du commerce, et de la ville en général. Nul hasard, parallèlement à leur confinement commercial, à voir les artisans souffrir aussi dès le début du xviie siècle d’un rejet hors de la vie municipale (Descimon 2009). Les jurisconsultes notent déjà que les assemblées de paroisse dans les grandes villes refusent les artisans au profit des personnes de considération ou de condition honnête (Jousse 1769 : 122-123). À Paris, cette élévation politique est possible par la volonté d’une fédération particulière – les Six Corps – à faire alors entrer le commerce parmi les grandes fonctions régaliennes. Par eux-mêmes, dans un échange de plus en plus étroit avec la monarchie, les corps marchands cherchent à personnifier le commerce en tant que prérogative publique. Ce faisant, ils en viennent à personnifier la ville elle-même. Ritualisé, fiscalisé au tournant des xviie et xviiie siècles, cet échange engendre le sentiment d’une participation privilégiée à l’autorité souveraine, signalée par l’élaboration d’une dérogeance (Marraud 2012).

30Dès lors, dans la mesure où elle s’articule à une participation concevable à la puissance publique, la dérogeance vient délimiter des espaces politiques en compétition à l’intérieur même de la bourgeoisie et du monde corporatif. Liée à une organisation qui pense l’exercice public en termes de dignité, elle s’applique entre marchands et artisans. Elle y départage les monopoles, les accès aux marchandises en même temps qu’aux lieux de pouvoir (Hôtel de Ville, juridiction consulaire, Conseil de commerce) (Lyon-Caen et Marraud à paraître). À l’instar de la noblesse, elle circonscrit parmi la bourgeoisie un champ de conformité entre dignité personnelle et dignité collective. Si cette liaison perdure encore au cours du xviiie siècle, toutefois, il faut noter qu’elle est régulièrement dénouée, déréglée par la question directe de la noblesse et de l’anoblissement appliquée aux catégories du commerce.

Surimposition de la noblesse sur le commerce

31En tant que rapport conciliable ou antinomique à la noblesse, la dérogeance affecte les grandes corporations au xviiie siècle. Elle le fait à deux moments phares, autour de 1700-1710 et de 1760-1770, périodes marquées par une série d’interventions royales par lesquelles s’institutionnalisent de nouvelles conceptions sur le fait marchand. L’espace de leur mise en relation se décale ainsi vers le Conseil où les classes d’analyse, de plus en plus, se montrent exogènes au monde corporatif lui-même. Une nouvelle fois, le langage de la dérogeance expose ses facultés de déplacement au sein d’un champ social qu’il n’est pas censé organiser.

L’anoblissement royal du négoce

32La création du Conseil de commerce en 1700 marque une véritable rupture dans le rapport des communautés à la noblesse. La monarchie ministérielle offre alors une représentation directe au commerce (Smith 2002). Parmi douze députés tirés des grandes villes négociantes, Paris est doté de deux postes dont un ouvert au vote des communautés, vote accaparé par les Six Corps dès 1702. Aussi cette création s’accompagne d’une mission inaugurale en rapport avec les grandes consultations du commerce de ces années [9]. Très vite surgit une profusion d’écrits dédiés au problème de l’illustration et de la décoration du commerce, où la noblesse devient le repère central d’une réflexion sur la place du commerce dans la société politique. Cette ouverture répond à un désir certes antérieur de réhabilitation face au préjugé, toutefois la publicisation dont jouit soudain le commerce dans le cadre du Conseil royal attise le débat. Le souci est alors évident, à l’échelle du royaume, de fonder en honneur et en droit une distinction pour le marchand, une grandeur apte à le séparer de catégories inférieures à présent que sa condition est jugée compatible avec une fonction de conseil. Nombreuses, agitées par les nouveaux députés du commerce, les propositions mettent en exergue cette inquiétude du déclassement : il faut « accorder aux negocians des marques d’honneur et de distinction qui pûssent les flater dans leur estat » [10].

33Non seulement les propositions déclinent alors l’opposition nécessaire entre grossiste et détaillant, entre négociant et boutiquier, mais elles vont au-delà. Elles font émerger une société dégagée désormais de toute pensée corporative où l’état social se pose prioritairement à l’incorporation marchande. Plusieurs souhaitent renforcer les liaisons entre les grandes villes du royaume et le Conseil de commerce, doubler les députés du Conseil par plusieurs élus à vie qui prendraient la qualité de conseillers au Conseil de commerce[11]. D’autres vont chercher à optimiser les appellations de marchand ou de négociant, plaçant celles-ci sous une stricte vérification administrative capable de les ériger en qualités[12]. Des condamnations et des amendes sont prévues pour les négociants retombant dans le détail, pour des détaillants s’arrogeant un titre inapproprié à leur commerce.

34Le but est d’établir la classe négociante en véritable état public, c’est-à-dire soumis à contrôle public par le biais de l’enregistrement, de la titulature, de l’exemption de taxes, de la reconnaissance d’hérédité. De la sorte, en imaginant un lien structuré et publicisé du négoce avec les institutions centrales, en envisageant des marques d’honneur et d’authentification, en fixant la séparation avec l’inférieur artisan ou détaillant, les moyens se concentrent sur un langage traditionnel unissant puissance politique et distinction sociale. La noblesse est bien au centre des préoccupations lorsqu’à ce point les mémoires des marchands cherchent à en imiter les signes afin de faire du négoce un quatrième état, mais surtout afin de rendre la noblesse compatible avec lui en supprimant la dérogeance.

35En effet, l’abrogation de la dérogeance pour toute forme de commerce en gros est la principale demande ressortant de cette vague de consultation, avec en arrière-plan les archétypes politiques de l’Angleterre, de la Hollande, ou de villes italiennes comme Gênes ou Florence. Mis en minorité par les autres villes représentées au Conseil (Marseille, Nantes, La Rochelle, Bordeaux), où le grand commerce n’est pas incorporé, Paris n’est nullement élevé en modèle par le fonctionnement de ses institutions bourgeoises, face auquel se dresse le modèle du patricien noble et marchand des places portuaires. C’est à la suite de ces enquêtes sur la décoration du commerce, donc, qu’est promulgué le célèbre édit de décembre 1701 qui supprime la dérogeance du commerce en gros pour la noblesse (après l’édit de 1669 qui l’avait supprimé pour le commerce par mer). Cet édit, pourtant, procède d’une lecture qui n’est pas tant économique que sociale : « faire en sorte que les habitudes du commerce se puissent perpetuer de pere en fils, afin que les lumieres aillent toujours en augmentant [13] ».

36Telle qu’elle résulte du long travail préparatoire du Conseil de commerce, l’ambition première de l’édit n’est pas directement d’appeler les gentilshommes à s’investir dans des activités négociantes. Elle n’est pas d’aménager pour la noblesse désœuvrée une branche professionnelle honorable, ce qui fera l’objet d’un débat interne à la noblesse un demi-siècle plus tard (Depitre 1913). Elle cherche à fonder les moyens d’une perpétuation familiale et marchande tout en donnant des marques d’honneur à cette forme d’hérédité. Ainsi ce n’est pas le noble mais le marchand bourgeois qui en est la principale cible, appelé à se transformer en marchand anobli. Ce dernier est invité à maintenir sa descendance et sa fortune dans le commerce. Pour cela, c’est davantage le commerce que l’individu lui-même qui se trouve anobli.

37Si le commerce en gros n’est plus dérogeant, la raison en tient à la fonction publique que celui-ci contient désormais, rendue concordante avec la noblesse en tant qu’il remplit par lui-même un rôle à usage du public. C’est bien dans ce sens que va l’édit de décembre 1701 : s’il y a un honneur possible pour les familles à se perpétuer dans le commerce en gros, c’est que celui-ci est honorable en raison de sa participation aux prérogatives régaliennes. Traditionnelle, l’union est faite entre production d’un bien public et perpétuation familiale. Le signe d’une hérédité possible, respectable, est celui d’un bien en lui-même respectable et donc avantageusement transmissible [14]. Avant le marchand, c’est la marchandise qui ne déroge plus. Le procédé est identique à celui qui assoit la qualité de l’individu sur celle des biens qu’il possède ou des fonctions qu’il remplit. Dans tous les cas, le statut politique des individus repose sur le statut politique des biens et des fonctions détenus, transmis. C’est là un des piliers de la pensée juridique du temps pour laquelle le privilège est bien plus souvent réel que personnel (Guyot 1781 : 339-341).

38Suite à l’édit de 1701 intervient alors celui de 1706 par lequel la noblesse est octroyée aux échevins de Paris. Anoblissant son Bureau, l’édit signifie à la capitale que c’est elle qui est décorée autant que sa municipalité. Aussi l’adhérence entre la ville et sa représentation sociale devient soudain essentielle au contour des hommes aptes à recevoir la noblesse en son nom. Il lui faut dorénavant définir ses catégories honorables. Pour autant, bien que l’édit rende estime à la ville, sa formulation ne renvoie pas tant au corps urbain, en la personne de ses élus, qu’aux corps du commerce en la personne de ses marchands. Les catégories honorables sont immédiatement nommées. Car c’est bien un profil social et professionnel, moins qu’un profil directement politique, que la mesure vient décorer. Autour d’une figure commerciale dotée de critères et contre-critères, l’anoblissement des édiles vient en fait distinguer certains marchands à l’exclusion d’autres, rendus inaptes par plusieurs types d’activités qui ne disent plus leur antagonisme avec les fonctions municipales, mais avec la noblesse. La dérogeance à la noblesse devient l’instrument de la sélection des candidats. Détail et boutique y deviennent des interdits à la députation politique de la ville [15]. Clairement, la mesure entre dans le registre des ornements du commerce, et s’ajoute au mouvement de création des Chambres de commerce et du Conseil de commerce. Surtout, accolant plus encore bourgeoisie et commerce, l’édit de 1706 fait correspondre celles-ci à leur sommet, par leur fusion possible dans la noblesse. Alors la noblesse devient une récompense, et un encouragement, à une carrière déroulée dans un autre espace où les caractères sociaux peuvent s’épanouir avant d’être couronnés au-dehors, « eslevés au dessus des autres honneurs [16] », au sein du second ordre. L’anoblissement massif de négociants, armateurs et manufacturiers en témoigne dès ces années.

39L’accent que met le roi sur ce profil marchand, néanmoins, ne répond pas à la question de sa correspondance avec la réalité sociale de la capitale. Plusieurs doutent que les candidats à l’échevinage présentent des critères de vie conciliables avec la noblesse, exempts de toute dérogeance [17]. La figure du négociant n’est pas la meilleure, spécialement lorsque les grands marchands de cette période présentent un profil attaché à la boutique et à l’enseigne comme prétention même à la notabilité. Ainsi se trouvent dissociés des supports du commerce que la pratique marchande confond, mais qu’une certaine pensée sociale juge antagoniques à présent que le référent n’est plus le marchand, mais le noble lui-même. À la question de savoir si un noble peut tenir boutique, l’opinion commune répond : « pour la boutique, non ; mais pour le magasin, oüi » (Le Noble 1718 : 223). La réalité sociale est tout autre, qui mêle les genres.

40De la sorte, la législation royale sur le fait commercial et nobiliaire accuse la distance entre commerce en gros et commerce au détail, distance dont usent les corps marchands dans leur discours sur la dérogeance, sans jamais le faire cependant à partir d’un étalon de mesure qui serait la noblesse. Le souverain ennoblit le commerce en gros sur un thème qui jusque là était étranger à la culture corporative marchande, absent des textes produits par les communautés durant tout le xviie siècle, qui est la conformité des gestes professionnels à la noblesse. La noblesse s’est substituée à la notabilité bourgeoise dans l’appréciation des métiers. Il est clair que l’incorporation au métier, dans ce contexte, est en soi rédhibitoire. Dès 1723, le dictionnaire de Savary définit le commerce en gros par la vente en caisses et balles, mais aussi par « une espece de noblesse, que n’a pas le détail ; aussi y a-t-il des Etats où les Nobles l’exercent » (Savary des Brûlons 1723 : 833). Une branche commerciale se définit par sa noblesse, par ses nobles, non plus par les corps qui la possèdent. Ainsi s’amorce le long décloisonnement entre deux paradigmes politiques qui, de longue date, apparient cité et bourgeoisie corporative d’une part, état et noblesse dynastique d’autre part (Isaacs et Prak 1996).

41Avant ce moment 1700-1706, le principe d’une dérogeance nobiliaire est surplombant vis-à-vis des communautés de métiers. Chacune d’elles abrite alors des types marchands dissemblables, inégaux, qu’elle inclut et endigue au travers d’une conflictualité interne laissant le champ libre aux dirigeants – les gardes et jurés – d’exprimer la légitimité publique du corps (Kaplan 2002). À partir de cette période, tout en creusant leur écart avec le monde artisan, les corps marchands sont enclins à se définir plus encore par l’élément qui les distinguent et leur permet d’accéder au Conseil, à l’échevinage, à la juridiction consulaire, c’est-à-dire par le commerce en gros, et rejeter une part importante de leur propre composante, le détail. Alors que cette séparation gros/détail opposait les communautés entre elles, elle vient fragmenter une même communauté. De lourds conflits s’ensuivent (Marraud 2010). Désormais la noblesse est là comme mode d’évaluation imposé aux acteurs par la monarchie, et contraint les corps marchands à effectuer un écart toujours plus grand entre leur discours politique et la pratique commerciale de leurs membres.

L’impossible union entre corporatisme et noblesse

42Tout en ouvrant le commerce à la noblesse, les édits 1701 et 1706 rappellent donc la vieille défense faite aux gentilshommes d’exercer le trafic en détail et les arts mécaniques. L’alliance entre ces deux activités fait la force de la législation royale qui dresse une barrière ultime entre noblesse et roture, après l’avoir déplacée en deçà du commerce en gros. Pareil mélange va s’avérer fondamental à la vie corporative à venir, puisque la vente au détail et l’artisanat sont explicitement et juridiquement mêlés dans un même corpus de dérogeance.

43Survient alors le second temps d’une intervention dérogeante sur le commerce. La deuxième moitié du xviiie siècle, en effet, a pour particularité ses multiples projets visant à libéraliser le commerce en gros (1759, 1762, 1765, 1776), inscrits en droite ligne des édits de 1669 et 1701. Tandis qu’ils ouvrent le négoce à toutes les catégories, ces projets accentuent encore la question de la dérogeance : le commerce en gros tend à ne plus être la marque éminente d’une élite incorporée, le signe d’une supériorité corporative sur l’artisanat, mais le dénominateur commun à toute forme de commerce désincorporé à présent qu’il serait libre à quiconque de l’exercer. Le commerce au détail caractérise dorénavant la communauté, son labeur, et se montre discriminant sur une échelle que les corps continuent à penser hiérarchiquement.

44D’une part, une distance humiliante se creuse entre les communautés et la noblesse dont l’activité veut échapper à toute juridiction marchande. Les corps subissent toujours le dédain des nobles à leur appartenir, de « ces nobles qui veulent être marchands mais qui par une vanité puerile ne veulent pas être connus pour tels » [18]. L’idée qu’une juridiction marchande s’exerce sur des nobles présente une casuistique que le siècle n’arrive pas à trancher. D’autre part, une fois les négociants partis hors des communautés, la menace est celle d’une assimilation des derniers marchands incorporés avec le menu peuple. Seul ce dernier trouverait encore un intérêt à se faire recevoir, laissant surgir les archétypes obligés du domestique, du colporteur, de l’ouvrier, de l’artisan. Après qu’elle a détourné d’eux la noblesse, une même dérogeance empêche les corps d’envisager ce rapprochement social avec le peuple autrement que sous l’aspect d’une déchéance : « si donc le commerce en gros devient un etat separé des Six Corps et au dessus d’eux, ils ne seroient plus regardés que comme un assemblage de simples detaillans ou regratiers » [19].

45De cette façon, les projets de libéralisation communiquent en tous points avec le préjugé associé à l’incorporation marchande, à savoir l’incompatibilité de cette dernière avec la noblesse. À Paris, en déplaçant le commerce en gros hors des Six Corps, ils ne font que souligner la concordance entre marchand, détail, communauté, et bassesse sociale. Le danger est celui d’un éclatement de chacun des corps autour de cette fracture, assez artificielle, entre volumes commerciaux, débits à la vente, modes d’achalandage. Telle que le système politique de la capitale l’a mise en œuvre, l’analogie marchand/gros et artisan/détail s’avère être une impasse.

46La seule solution qui s’offre aux corps, alors, est la demande de suppression de la dérogeance pour toute forme de commerce. Cette demande anime tous les échanges des Six Corps avec la monarchie dans la décennie 1760. Le corps doit contenir en son sein l’antagonisme entre gros et détail, l’assouplir, voire l’annuler en le résorbant dans une conformité générale du commerce avec la noblesse. Ainsi l’ancrage identitaire du commerce doit pouvoir basculer tout entier de la bourgeoisie vers le second ordre. En même temps que noblesse et incorporation aux métiers doivent être en consonance, tout commerce doit devenir noble, au bénéfice des Six Corps qui en sont la personnification.

47

« Ce ne sera jamais en distinguant les commerçans en gros de ceux en détail que l’on parviendra à faire considerer le commerce. Ce sera en annoblissant tout commerce indistinctement, en conservant et en ajoûtant même la considération dont les Six Corps ont toujours joüy dans Paris. » [20]

48Le constat d’une dérogeance introduite par les édits royaux est tel qu’il est demandé au monarque de réinterpréter ceux-ci, presque un siècle plus tard, à l’aune des croyances qu’ils ont fait naître. Il semble urgent de corriger dans les années 1760 un préjugé tiré des implicites et des silences que les textes royaux de l700-1710 n’avaient alors aucun besoin de lever ou de combler [21].

49Aucune des requêtes pour la suppression de la dérogeance ne va cependant aboutir. Le gouvernement se montre de plus en plus sourd à ce type de sollicitations de la part de corps marchands dont il réfute alors la capacité à représenter le commerce. La période est à l’énoncé des grands fondements libéraux autour du cercle de Vincent de Gournay, François Quesnay, François Véron de Forbonnais, dont l’apparition dans la politique royale déstabilise à dessein les équilibres coutumiers. Soudainement la science commerciale et l’économie politique s’extraient des institutions mêmes du commerce pour devenir un genre (Skornicki 2011). Les mesures se multiplient à l’appel des théoriciens.

50Dès 1752, le Conseil révoque les candidats à la députation du commerce parisien sous couvert de leur appartenance aux Six Corps, comme signe d’incompétence. Magnifiant le négociant banquier, le Conseil renvoie dos-à-dos deux identités marchandes irréductibles à un même député. Il affirme la similitude entre un titre marchand, local, et un débit localisé n’apportant qu’une vision segmentée du commerce, à l’inverse d’une activité marchande non qualifiée en droit, en lieu ou en ressort, qui irait de concert avec un savoir global, décloisonné. Il pose d’emblée le problème du corporatisme en termes de limitation et de division d’une science unique qui ne serait que commerçante, dont l’échelle serait le royaume et l’étranger. Il dénonce la ville comme étant le siège de simples échanges de subsistance. Il dénonce le détail comme étant le résultat de l’incorporation marchande [22]. L’opération intellectuelle qu’effectue alors la monarchie assigne un rôle autant économique que politique à chaque forme commerciale, par une typologie extérieure à celle des corps, qui la renverse même. Alors que ceux-ci se définissent par le privilège et le pouvoir de police, cette typologie nouvelle le fait par le volume et la déréalisation des marchandises, par le flux et la circulation des biens, du crédit. Bien sûr cette frontière agite les corps eux-mêmes. On la devine à travers les conflits découlant des suprématies sociales qu’ils abritent, qu’ils produisent, mais jamais à travers leur effort de légitimation face au régime. Ce faisant, la monarchie montre son pouvoir de fabrication des catégories marchandes, y compris par la création d’une figure parisienne inédite, celle du négociant libre, dont les critères puisent au cœur du langage de la dérogeance, des oppositions entre matérialité et abstraction des savoirs, et échappe aux communautés au sein desquelles elle est pourtant née (Lefebvre 2011).

51À long terme, les corps marchands ont donc échoué à rigidifier la barrière dérogeante qu’ils ont eux-mêmes érigée. La raison en est l’intrusion en leur sein de la noblesse comme axe de démarcation. Dès lors que la noblesse s’introduit comme barrière juridique réelle, les communautés se fissurent sous l’effet de la diversité des pratiques commerciales qu’elles abritent, sans plus pouvoir les masquer grâce à la figure externe et protéiforme de l’artisan. Épargnant encore les communautés du xviie siècle, la noblesse est ainsi devenue dans les mains du monarque un agent de perturbation, moins un outil d’élévation, finalement, que de dislocation (Marraud 2011b). La monarchie en use à dessein sur des pouvoirs locaux qu’elle souhaite englober : l’anoblissement est ici le moyen d’extirper un marchand hors de sa communauté afin de l’ordonner dans un système hiérarchique global, contrôlé, où sa position sera explicitement inférieure.

Conclusion

52Il est difficile de restituer des temporalités propres à un concept souvent absorbé dans des démonstrations sur l’archaïsme de la pensée sociale sous l’Ancien Régime. En tant que confection de signes sur l’avilissement public, la dérogeance possède une mobilité évidente vers tout espace organisé publiquement sous la période. Elle s’est déportée, dès le début du xviie siècle, hors de son champ d’élaboration pour être travaillée par ceux-là mêmes dont elle désigne la déchéance : le commerce et les communautés de métier. Elle devient archétypique de l’univers commercial comme elle l’est de la noblesse. Depuis un même point de mire – le vieux répertoire théologico-social des œuvres serviles –, les corps marchands réinterprètent alors la qualité des gestes professionnels. Là se construit une dérogeance bourgeoise autour d’un système d’oppositions binaires (marchand/artisan, gros/détail, corps/communauté, industrie/manufacture, arts libéraux/arts mécaniques), qui renvoient aux adéquations entre statut et exercice social, et cherchent à échelonner des états corporatifs par une gradation des savoirs du corps vers ceux de l’esprit. Elles mobilisent pour cela les mêmes notions traditionnelles de la dérogeance mises en œuvre par les jurisconsultes. Pour autant, ces concordances dépréciatives ne dialoguent pas directement avec la noblesse attendu qu’au xviie siècle, la quête d’une distinction marchande se construit au cœur d’institutions bourgeoises, typiquement urbaines, dont le rapport à la monarchie se bâtit par le local, par un organicisme ancré localement. La noblesse n’est pas pour elles un mode d’exhibition ou de revendication de la puissance publique. Il s’agit d’accomplir pour l’heure la représentation corporative du commerce sur la base d’une dignité, dont les Six Corps des marchands de Paris sont l’incarnation majeure, et dont la figure de l’artisan est l’inversion, l’antithèse, l’exclu.

53Ce n’est qu’au début du xviiie siècle que s’impose une congruence des gestes professionnels avec la noblesse, au moment où l’exercice digne d’un pouvoir se traduit désormais par sa compatibilité avec la noblesse et, plus encore, par la noblesse même de cet exercice. Grâce à un acte de souveraineté du prince, anoblissant le négoce en gros, les usages publics du commerce se modifient. Ils ne justifient plus une délégation des corps vers leurs représentants grâce à laquelle une dignité bourgeoise, comme métaphore du bien public et de la ville, s’exprimait devant la Couronne et rejetait hors d’elle les communautés jugées inaptes à les personnifier. Ils s’appuient dorénavant sur une délégation directe du prince vers un particulier prélevé d’une référence au territoire et au privilège collectif, et dont la figure du libre négociant devient l’illustration. Le support de la notabilité se déréalise en même temps que le circuit marchand, que la marchandise elle-même. Contrairement à une liberté pensée à travers la maîtrise et la franchise, c’est l’incorporation elle-même qui devient, avec l’introduction de la dérogeance noble parmi les corps marchands à la mi-xviiie siècle, la marque de la servilité.

54Plus que permettre aux gentilshommes d’accéder au commerce, le but de la législation royale est alors d’assurer la continuité familiale des commerces et de produire des patrilignages négociants. Le lieu de la fixation des marchands n’est plus la communauté professionnelle mais la famille, non plus la fourniture mais une activité lucrative à l’échelle de l’État. Pour autant, ce modèle de l’anobli correspond très peu à la réalité, aux pratiques commerciales et familiales des communautés. Bien plus, il s’inspire d’une construction purement nobiliaire de la supériorité et de la domination en lien avec la centralité de l’État.

55L’obligation que fait la monarchie à l’univers commercial de se penser à partir de la dérogeance noble, en effet, oblige celui-ci à se structurer et se hiérarchiser dans sa globalité et sa centralité, et beaucoup moins dans son articulation au local qui est le propre des communautés de métier, communautés à la fois professionnelles et territorialisées. Quoique la fabrique de cette dérogeance se fasse au sein du Conseil, et à l’appel même des élites sociales du commerce, elle met cependant en concurrence des modèles et des imaginaires sociaux et économiques différents. Le choc causé par la dérogeance est certes celui d’une intrusion de la société d’ordres dans une structure corporative. Mais ses contrecoups vont au-delà.

56Clairement la dérogeance se relie à une délimitation des espaces politiques, parmi lesquels elle montre l’inclusion et l’exclusion. Tout en énonçant la proximité avec le sacré, elle le fait à l’aide d’un langage qui ne sait que transposer cette proximité sur une échelle de professions, d’états, d’emplois, et selon leur place dans une société obligatoirement politique. Les glissements de la dérogeance, au sein des acteurs du commerce, s’interprètent donc en termes de déplacement des définitions propre à l’exercice public, face auquel les communautés sont une sorte d’ultime laboratoire. En même temps qu’un transvasement lent des sources de la dignité comme bien personnel et non plus réel, désenclavé de la communauté, la dérogeance accomplit alors un travail de disqualification de privilèges, de juridictions, de territoires juridiques et sociaux en compétition au sein de la monarchie. C’est là sa tâche première. Elle exprime ce faisant la nature des pouvoirs, leur mutation, leur relation conflictuelle. Bien au-delà de la noblesse, elle est l’idiome par lequel le rapport de force entend dire la participation à l’État.

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Ouvrages cités

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Notes

  • [1]
    Bibliothèque nationale de France (BnF dans les notes suivantes), F 23 670 (325), Arrests donnez entre Jean Delabarre marchand & les maistres & gardes des marchands merciers, Paris, De Varennes, 1670, p. 6.
  • [2]
    Bnf, Z Thoisy-57, Requeste des Six Corps des Marchands contre l’Ordre de Malte, s.l.n.d. [1694], p. 17.
  • [3]
    Archives nationales (AN dans les notes suivantes), E 1255B n° 27, Arrêt du Conseil du 22 juillet 1749 pour la draperie et la mercerie.
  • [4]
    AN, AD/XI/22, Recueil d’ordonnances, statuts et reglemens concernant le corps de la mercerie, Paris, Chardon, 1752.
  • [5]
    AN, KK 1340-341, Registre de délibérations des Six Corps, 1620-1774.
  • [6]
    Bnf, F 13096, Statuts, ordonnances et reglemens du corps des marchands merciers grossiers joüailliers de cette ville de Paris, Paris, veuve Garnier, 1737, p. 49, 66.
  • [7]
    Bnf, Ms Joly de Fleury 60, A Nosseigneurs de Parlement en la Grand’Chambre, Paris, Osmont, s.d. [1727], p. 6.
  • [8]
    Bnf, Ms Joly de Fleury 60, requêtes des tapissiers au Parlement, 1727.
  • [9]
    Bibliothèque de l’Arsenal, Ms 4496, « Mémoires de l’état présent du commerce », 1701.
  • [10]
    AN, F12 847, « Memoire sur les veües que le Roy a d’exciter ses sujets au commerce et à la navigation », 20 avril 1701.
  • [11]
    AN, G7 1686, « Memoire sur la decoration des commerçans », s.d. [env. 1702].
  • [12]
    AN, F12 847, « Proposition pour la decoration du commerce », 1701.
  • [13]
    AN, F12 847, mémoire des négociants de Nantes sur la décoration du commerce, 1701.
  • [14]
    AN, F12 847, édit de décembre 1701.
  • [15]
    AN, G7 1520, édit de novembre 1706.
  • [16]
    AN, G7 1520, réponse des échevins au mémoire des quarteniers, 1707.
  • [17]
    AN, G7 1520, mémoire des quarteniers et conseillers de ville, 1707.
  • [18]
    Archives de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris (ACCIP dans les notes suivantes), X 1-00 (1), Memoire contre le projet d’accorder à toutes personnes sans distinction la faculté de faire le commerce en gros, 1759.
  • [19]
    ACCIP, X 1-00 (1), « Memoire pour les Six Corps des marchands negocians de la ville de Paris », s.d. [env. 1765].
  • [20]
    ACCIP, X 1-00 (1), lettre des Six Corps au Contrôleur général des finances, 3 décembre 1760.
  • [21]
    AN, KK 1342, registre de délibérations des Six Corps, 30 mars 1762 ; ACCIP, X 3-00 (2), « Memoire pour les Six Corps des marchands de Paris », s.d. [1762].
  • [22]
    AN, F12 692, procès-verbaux des élections des députés du Conseil de commerce, 1737-1768.
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